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L’art de cour d’Abomey
- Interview exclusive de Gaëlle Beaujean -
Est-ce que vous pourriez d’abord commencer par vous présenter pour nos lecteurs ? Je suis Gaëlle Beaujean, responsable des collections Afrique et chargée du cours organique Histoire des arts d’Afrique subsaharienne, et entre autres choses, j’ai fait une exposition qui s’appelait “Artistes d’Abomey, dialogue sur un royaume africain”, “L’Afrique des routes” aussi, dont j’étais la commissaire, et puis l’exposition sur la restitution des vingt-six oeuvres du Bénin. Et j’ai rédigé une thèse en 2015 sur “L’art de cour d’Abomey. Le sens des objets”, donc là, on est dans le vif du sujet puisqu’il s’agit d’un art royal !
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Ils se sont déplacés vers Alada, ils y ont fondé un royaume, et puis après, il y a eu une fâcherie entre trois frères qui voulaient le trône. L’un est resté à Alada, un autre est parti vers l’Est pour créer la ville que l’on connaît sous le nom de Porto-Novo aujourd’hui, et un autre est monté dans le Nord, et là, on est vers 1600, au tout début du XVIIe siècle, donc chronologiquement, c’est là que l’on peut situer le début de la constitution de ce royaume. Et géographiquement, on est à 120 km de la côte Atlantique, que les Européens ont déjà surnommé “la Côte des esclaves», avec un port qui est très important, où les Portugais ont déjà établi un fort à la fin du XVIe siècle, qui est la ville de Ouidah. [...]
Parfait ! Par rapport au royaume du Danhomè - le royaume d’Abomey -, est-ce que vous pourriez s’il vous plaît nous le situer chronologiquement et géographiquement ? Oui, alors bon, il y a toute une mythologie qui indique les mouvements migratoires en fait de cette famille royale, qui viendrait d’une ville qui s’appelle Tado, au Togo actuel, dont l’ancêtre serait un homme, mi-homme, mi-panthère, fils d’Agassou. Donc c’est pour ça que l’on appelle la famille royale les «Agassouvi», puisque en langue adja-fon, ça veut dire “les enfants d’Agassou”.
Très bien. Et donc la prochaine question : quels sont les corps et les fonctions qui composent la cour d’Abomey ? Qu’est-ce que la cour à Abomey ? Alors, j’espère parvenir à être exhaustive et à n’oublier personne ! Donc la cour proprement dite est composée du roi [...]. Autour du roi, dans la capitale, on retrouve tout d’abord ses épouses. Alors il en a grand nombre, et avec les épouses, on a les eunuques, puisqu’aucun homme non-castré, à part le roi, n’était admis auprès des épouses. A la cour, on va trouver la reine-mère, la kpojito, qui va être très importante dans les décisions, notamment en lien avec les cultes et le vaudou, puisque la religion nationale, c’est le vaudou. On va avoir les ministres, puisque je parlais de gouvernement à partir de Houegbadja. [...] Il y a aussi le devin royal, qui va être auprès du roi tous les matins ou dans la journée, et qui va donner des indications sur l’avenir, le destin, puisqu’il s’occupe du fâ - fâ, c’est le destin -. Aussi le matin, quand le roi se lève, il voit des médecins, qui font partie de la cour. Parmi les membres de la cour, il y a évidemment les responsables de cultes vaudous. [...] A la cour, on a aussi des personnes un peu particulières, qui sont les dadasi ; ce sont des femmes. Quand elles sont en transe, au moment des cérémonies, elles sont les réincarnations des rois défunts, donc ce sont des femmes importantes. Et d’ailleurs, sur la place des femmes, on peut souligner - puisque je parlais des ministres - qu’ils ont toujours un homologue féminin, qui est plus discret, mais qui est à la cour, et qui peut être une épouse royale. Donc il y a toujours un équilibre du pouvoir homme-femme. [...] Et puis, parmi les membres de la cour, il y a bien évidemment les officiers, hommes comme femmes, puisque l’on avait un tier de l’armée qui était composée de femmes à partir du règne de la reine Hangbe, la seule reine des Agassouvi, qui était l’une des filles de Houegbadja, et qui a constitué ce corps armé féminin. [...] Donc j’espère n’avoir oublié personne... Si, j’ai oublié une catégorie : c’est la catégorie des artistes ! [...]On a deux chefs de familles d’artistes qui sont très importants : tout d’abord, les Hountondji, qui sont considérés comme les frères du roi [...]. Les Hountondji, ce sont les orfèvres. Ils vont s’occuper de travailler l’or, l’argent, les alliages cuivreux, le cuivre. Et on a les Yemadje, qui sont considérés comme les épouses du roi. Cest une relation non sexuée, c’est 13
ce que disent les interlocuteurs au Bénin (rires). Mais justement, je vous parlais de qui peut aller dans les palais privés, et notamment côtoyer les épouses royales, donc il y a les eunuques, mais le daï Yemadje, donc le chef de la collectivité Yemadje - qui se charge des textiles et des textiles appliqués -, est le seul à être admis en fait dans les palais privés du roi, puisqu’il est considéré comme épouse du roi.
La prochaine question était : quelle relation la cour entretenait-elle à la production artistique ? Mais on y a déjà un peu répondu… Alors, mais ce qu’on peut préciser, c’est le rôle moteur du roi dans la création, à la fois dans sa volonté de repérer des artistes qui vont apporter quelque chose de nouveau et de révolutionnaire dans les arts visuels - ça, c’est quand même très étonnant ! Et bien avant les Avant-gardes en Europe ! - et à la fois dans une continuité “académique” on va dire, puisque le roi va prendre en charge les descendants du premier du nom qui a été révolutionnaire dans les arts visuels, donc il s’engage pour lui et pour ses successeurs à prendre en charge ses ateliers. Par exemple le premier Yemadje du nom a innové, et ensuite, les descendants ont poursuivi sur des patrons, des matrices qui avaient été dessinés par le premier du nom, après transformé selon les narrations à faire sur le textile, mais ont poursuivi un artisanat et n’ont pas innové. Mais le roi s’engageait à faire des commandes et à continuer d’entretenir ces familles. Mais il va - et ça c’est assez remarquable -, à partir de Houegbadja, repérer un art visuel et des techniques nouvelles qu’il va incorporer dans l’art de cour, pour ses propres besoins et les besoins de la cour, que ce soit cultuel, militaire… Pour toutes les personnes que je vous ai citées ! Donc il va repérer un artiste, il va l’installer dans la ville. Cet artiste peut-être parmi les anato, qui sont les roturiers.
Quel est le rôle et le sens des regalia au sein de cet art de cour ? Leur rôle, c’est que ce sont des attributs qui ne sont réservés qu’au roi, et qui sont au plus près du corps du roi. On a des récades spécifiques, donc c’est comme un sceptre. Il le porte sur son épaule gauche. Même si la récade, on va la retrouver dans les bataillons, pour les chefs de culte vaudou, les ambassadeurs, celle du roi sera dans d’autres matériaux, notamment l’ivoire, qui est vraiment un matériau jugé noble, dont seul le roi va autoriser l’utilisation dans les arts. En général, sa récade va porter une lame qui n’est pas en fer, comme pour les autres personnes, mais en ivoire. On va avoir l’ombrelle assortie au parasol. Il a une perle spécifique qu’il porte autour du cou. Il y a les trônes, bien entendu, qui sont pour les rois et rois défunts, aucune autre personne n’y a le droit. Parmi les regalia, on a aussi le katakle - dans les 26 objets, on a justement un katakle -. Si c’est le trône des chefs de famille que le roi va introniser, lui ne s’assied pas dessus mais pose ses pieds dessus. On a aussi parmi les regalia - et ça, c’est étonnant -, les sandales, car à la cour, seul le roi a le droit d’être chaussé. Tout le monde est pied-nu, sauf le roi. [...] Et aujourd’hui, on se déchausse encore devant le roi d’Abomey ? Ah oui oui oui, si vous avez une audience, vous devez. Pour ce qui est des regalia, je pense que je vous les ai toutes citées. Après, c’est le matériau [qui compte], puisqu’on peut trouver des objets qui vont être communs à des membres de la cour et au roi, mais ceux du roi seront en matériaux plus précieux [...] Puis après, on a des objets qui sont les incarnations du roi, et qui sont très puissants, notamment auprès des sujets et auprès de la cour pour incarner les rois. Alors ça va être les trônes pour les ancêtres royaux, ça va être les fameux bocchio, que l’on a restitués, on va avoir aussi des textiles exceptionnels exposés lors de cérémonies exceptionnelles, qui ne sont pas au plus près du corps du roi, mais qui sont en l’honneur de la famille royale et des vaudous pour protéger la communauté du royaume. Suite de l’interview sur louvrboite.fr !!! Interview menée par Axel, Joana et Blandine