LB n°18 : La restauration

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édito ***** Ces deux mois ont été trépidants pour LB. Nous avons tout fait pour nous rendre plus visibles auprès des élèves, et cela a payé ! Aujourd’hui, nous sommes nombreux, motivés, et nous avons de grands projets. Au terme de la constitution et de la consolidation de cette nouvelle équipe, ce beau numéro bien gras, avec pour thème central la restauration. Nous avons choisi la restauration pour coller à l’actualité : la Victoire de Samothrace est en restauration. Plus aucun chargé de TD Grèce ne pourra se lamenter en geignant que « berk, elle est sale, on voit rien ». Nous avons demandé à Ludovic Laugier en quoi allait consister cette restauration. Nous avons exploré plusieurs pistes autour de ce thème : les enjeux théoriques de la restauration, mais aussi des interviews plus terre-à-terre de personnes impliquées dans la restauration, des études de cas précis, et des illustrations d’un goût très sûr pour rendre le tout plus savoureux. De nouvelles rubriques vont également mettre du soleil dans votre quotidien : les « musées insolites », mais aussi « le choix de la rédaction », ainsi que le dernier coup d’archet d’Enguerrand pour « les décommentaires de clichés n°3 ». Appréciez ce nouveau LB pour ce qu’il est : un pot-pourri de diférentes sensibilités, styles, opinions, qui fait de cette rédaction un échantillon représentatif de la diversité édlienne.

F Louvr’Boîte, journal des élèves de l’École du Louvre. Sixième année. Numéro d’octobre-novembre 2013. 0,50 €. École du Louvre, Bureau des Elèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 Paris cedex 01. Courriel : journaledl@gmail.com. Facebook : fb.com/louvrboite. Twitter : @louvrboite. Archives numériques : issuu.com/louvrboite. Directrice de publication : Kim Harthoorn. Rédactrice en chef : Herminie Astay.Maquette : Herminie Astay, Gabriel Courgeon, Kim Harthoorn. Correction : Marine Botton, Kim Harthoorn. Ont contribué à ce numéro, dans l’ordre alphabétique : Herminie Astay, Céline Barthélémy, Marine Botton, Pauline Corrias, Gabriel Courgeon, hibault Creste, Chloé Gérard, Frédéric Eberhard, Matthieu Fantoni, Pauline Fuster, Kim Harthoorn, héo Le Gal, Sophie Leromain, Sarah Moine, Apolline Pauvert, Solveig Pauvert, Olivier Renard, Alizée Sabouraud, Mathilde Schaefer. Dépôt légal : octobre 2013. Imprimé sur les presses de l’École du Louvre (France). Sauf mention contraire, © Louvr’Boîte et ses auteurs. 3


DOSSIER

La restauration de la Victoire de Samothrace par le menu Le commissaire de la restauration de la Victoire de Samothrace et professeur à l’Ecole du Louvre Ludovic Laugier nous raconte le déroulement des opérations que subira l’oeuvre la plus «bateau» des cours d’art grec de première année, d’alpha à oméga.

propos recueillis par Kim Harthoorn - illustration : Apolline Pauvert

Louvr’Boîte : En introduction, pouvez-vous nous redire pourquoi la Victoire de Samothrace a besoin d’une restauration, et pourquoi maintenant ?

des décisions qui l’honorent, car c’était courageux de le faire : puisqu’on n’arrive pas à le faire sur place, il faut faire autrement. On dépose la statue, on démonte le bateau, et on trouve un autre endroit : en l’occurrence, Ludovic Laugier : Elle a besoin d’une restauration la salle des Sept Cheminées, pour pouvoir travailler parce qu’elle est encrassée, pas du tout parce qu’elle convenablement. La salle des Sept Cheminées : il a fallu faire un est en péril, ou en danger, ou parce qu’il y aurait un incident structurel qui causerait sa dépose. Je vous le dis projet pour voir comment faire la cabine, il y a eu deux parce que dans certains articles de presse, la question pré-études de résistance des sols pour vériier qu’il était qu’on nous pose, c’est « est-ce un chef-d’œuvre en péril possible de mettre là les blocs du bateau plus la statue ? », ce à quoi je réponds : Non, Venise ne coule pas au (c’est-à-dire 32 à 34 tonnes), comment les répartir Musée du Louvre, tout va bien ! Simplement, voilà : (parce qu’on ne les met pas n’importe comment), éviter elle est diicile à entretenir, elle est dans un escalier très tout risque, parce que si ça ne marche pas, la Victoire de fréquenté, elle est haute (5 m 57 de haut exactement), Samothrace passe à travers le plancher et tombe sur la donc c’est un monument qui s’encrasse et qu’on ne Vénus de Milo (rires). C’est vrai qu’on serait tranquille peut pas restaurer tous les 30 ans de façon minimaliste. et qu’on désengorgerait Denon déinitivement… Plus sérieusement, il y a des enjeux vraiment Donc on en est arrivé à un point où le monument est prosaïquement sale, et il a besoin d’une restauration importants, donc ça a mis un certain temps à se mettre en place ; plus le temps de trouver des budgets, des complexe, plus poussée. Et pourquoi maintenant ? Eh bien parce que ça mécénats (ça prend du temps de faire une campagne fait 10 ans qu’on y travaille ! Parce que c’est compliqué. de levée de fonds), et puis sélectionner une équipe de Comme on a voulu savoir quelle était précisément la restaurateurs. Cela se fait par consultation publique. Il y avait quatre équipes qui ont candidaté, j’avais à peu près situation, on a fait deux pré-études. La première était en 2002, et portait sur l’état 250 pages de mémoires techniques à analyser, à justiier de surface de tout le monument, ce qui concerne d’un point de vue juridique. Je n’ai jamais été aussi fort l’encrassement du marbre, l’état des badigeons et leur en marchés publics : je connais tous les juristes de la jaunissement (puisque la statue a été restaurée plusieurs maison … Rien qu’attribuer le marché, ça m’a pris trois fois : 1864-66, 1880-83, 1934), c’est-à-dire tous les mois. Donc tout ça fait que nous sommes en 2013, et agents qui ont été posés sur la statue. Donc en 2002 on on restaure tout le monument jusqu’à l’été 2014. a fait une cartographie complète de l’état de la statue. En 2009, on n’avait pas de solution pratique LB : En quoi va consister la restauration, d’un point pour organiser le chantier. On a fait une étude sur l’état de vue technique ? du bateau, et particulièrement la capacité qu’on avait à le démonter, le cas échéant (probable, mais à vériier), L.L. : La première chose qu’on fait, c’est qu’on parce qu’on s’est bien rendu compte que, depuis 2002, pousse les analyses et examens de laboratoire. Comme on n’arrivait pas à organiser la restauration sur place. toujours. On a déjà fait des UV, des infrarouges, des Dans l’escalier Daru, il y a 7 millions de personnes qui radiographies… Tout ça se fait de nuit, pour des raisons passent par an, et si on ferme l’escalier, plus personne de sécurité, ou parce que pour les UV, il faut le noir, ne peut aller voir la Joconde, ça bloque littéralement et que la salle des Sept Cheminées, ça ne vous aura Denon. Or, on ne peut pas bloquer Denon. Donc pas échappé, bénéicie d’un éclairage zénithal. Vous il fallait trouver une autre solution, et ça fait dix ans trouverez des images du travail sur le site. On utilise qu’on y réléchit. C’est Jean-Luc Martinez qui a pris également un vidéomicroscope pour observer la surface 4


DOSSIER se nommait Carlini. En a résulté le fait qu’on n’arrivait plus à distinguer la proue du pont de combat. Or, d’après de nombreuses monnaies antiques, on connaissait la silhouette du bateau. Pour suggérer le niveau de pont de combat, on a rajouté ce bloc moderne. Or, au bout de deux mois, on a rétabli l’ancienne disposition des blocs du bateau. On s’est retrouvé avec un pont de combat au carré. Tout cela a été expliqué en commission, et tout le monde a convenu qu’il était évident qu’il fallait enlever le bloc moderne : premièrement on perd l’idée que c’est une Nikè en train d’atterrir sur un navire, deuxièmement, on a deux ponts de combat pour la peine. Avec la commission, on a également regardé les premiers résultats d’examens de laboratoire, qui seront présentés exhaustivement à la prochaine commission. Comme c’est le début, on ne peut pas encore en parler dans le détail. On a aussi fait des prélèvements pour examiner le marbre, enin on fait toute une série d’enquêtes, des tests de nettoyages, (parce qu’on va la nettoyer). On a décidé d’y aller très lentement : on fait un premier nettoyage très léger, on voit comment ça se passe, qu’est-ce qu’on voit comme badigeon, on regardera à nouveau… Tout cela se fait vraiment étape par étape. On a dix mois, donc on se donne du temps. En efet, démonter le bateau, restaurer les blocs et remonter le bateau, ça prend de toute manière dix mois. De fait, pour la statue en elle-même, ça nous laisse beaucoup de temps pour prendre toutes les informations dont on a besoin et toutes les précautions nécessaires.

du marbre, mieux connaître son état qu’en 2002, voir s’il y a encore d’éventuelles traces de polychromie que pour l’instant on n’a pas repérées (mais on continue à chercher). En gros, des examens plus que des analyses, préliminaires et absolument nécessaires. Là, on s’est beaucoup attelé à ça depuis qu’elle a été déposée. Jour et nuit. On a réuni une commission internationale, on a discuté d’un certain nombre de thèmes, de parti-pris… En gros, tout le monde est d’accord pour dire qu’on ne touche pas à la silhouette de la statue telle qu’elle a été restaurée en 1883. Tout le monde connaît cet historique, la Victoire de Samothrace est autant un chef-d’œuvre de l’époque hellénistique que cette silhouette créée par Félix Ravaisson-Mollien, qui était le conservateur, mais aussi pratiquement le maître d’œuvre de la restauration dans ces années-là. Donc on pérennise cet état historique. En ce qui concerne le bateau, sa forme est celle de 1934, on garde cet état. En revanche, les joints sont beaucoup plus en retrait que dans l’état 1883. Cela donne un aspect discontinu, qui fait que beaucoup de gens ne comprennent même pas que c’est un bateau. Donc on garde la silhouette générale, mais on va certainement améliorer d’abord le remontage des blocs de façon plus précise, et on va réléchir sur le niveau des joints pour voir si le parti-pris de 1883, de ce point de vue-là, n’était pas mieux. On a eu une discussion sur ce point, mais aussi et, surtout, on enlève le bloc intermédiaire ! Je vais enin pouvoir faire cours à l’École du Louvre en arrêtant de dire « voici le monument de la Victoire de Samothrace, faites abstraction du bloc moderne installé en 1934 qui fait que cette statue n’atterrit plus sur un bateau mais sur un bloc moderne ». La commission a été unanime. Ce bloc a prétendument été installé pour améliorer la vision de l’ensemble du bas de l’escalier, pour des questions de perspective. C’est vrai quand on lit les comptes-rendus de l’époque, mais ce n’était pas du tout la raison principale. En fait, pendant deux mois, on a changé la restauration de la proue sur les conseils d’un capitaine de frégate qui

LB : Y a-t-il des déis techniques particuliers auxquels vous devez faire face durant la restauration ? L.L. : Démonter le bateau : ce n’est pas très compliqué mais il faut le faire bien, et sans risque. Le bateau est démonté derrière la palissade pendant la semaine, on passe les blocs le mardi, le matériel arrive le matin tôt… Vous savez, rien que monter l’échafaudage pour la descente, j’y ai passé deux nuits. Je ne voulais pas 5


DOSSIER qui commentent, etc. De toute manière la surveillance, c’est-à-dire les pompiers, a dit que pour des questions de lux, comme on dit aujourd’hui, il est impossible de maintenir cette fenêtre ouverte, et nous, à partir du moment où c’est d’un point de vue sécurité…

que ça se fasse sans moi, parce que s’il y a le moindre problème, il valait mieux que je sois là pour constater, et pour agir, ou faire agir, ou dire stop quand ça me paraît inquiétant. Encore une fois, c’est un endroit du musée où on ne peut pas fermer le secteur, donc il y a des préparatifs qui se font de nuit. Tout ça est passé par un bras de grue de la cour Napoléon, par la fenêtre. Donc il y a démonter le bateau, le remonter parfaitement, désocler la statue, ce qui veut dire qu’à un moment donné il va falloir qu’on l’élingue, qu’on déscelle le bas, etc. On veut scanner ce qui se passe en-dessous, parce qu’on n’a jamais vu le lit de pose de la statue ! On va enlever le mortier moderne qui sera probablement là, et puis on va numériser 3D. On numérise également 3D la statue, le bateau, probablement les blocs un par un (si on arrive à caser ça). L’enjeu, c’est aussi la complexité de tout ce chantier. Premièrement, la restauration en elle-même, c’est un gros travail. Deuxièmement, on fait dessiner tous les blocs par un laboratoire du CNRS, l’IRAA (l’Institut de Recherche de l’Architecture Antique), parce que ça n’a jamais été dessiné, ce à quoi s’ajoutent les numérisations 3D. Donc il faut organiser tout ça tout en continuant les analyses avec le C2RMF, tout en recevant les mécènes, tout en recevant la presse (ou tout en ne recevant pas la presse), etc. En fait, ce qui est compliqué, c’est d’articuler tout ça. Le nettoyage de la statue en soi n’est pas compliqué.

LB : Nous on trouvait ça intéressant de voir que cette fenêtre existe, il y a quand même eu la volonté de pouvoir montrer… L.L. : C’était un souhait, ou plutôt, quelque chose qu’on n’excluait pas. Après, on s’est rendu compte que matériellement, ça allait âtre l’enfer pour la surveillance, ça allait complètement bloquer l’accès vers la salle des Bronzes, etc. Cette fenêtre, elle nous servira le mardi, pour certains groupes de mécènes. Je ne suis pas mécontent d’appuyer sur le bouton « Levez le rideau », pendant ce temps les restaurateurs sont tranquilles à l’intérieur, et moi, je garde mes mécènes à l’extérieur. Donc elle nous servira pour des visites particulières où les gens ne rentrent pas mais peuvent voir les choses à une certaine distance. Il y a également des visites professionnelles. LB : Est-ce une tendance actuelle dans la restauration de vouloir la montrer au public ? L.L. : Ce n’est pas une tendance générale, mais ça se produit de temps à autre. Ce n’est pas une obligation.

LB : La restauration dans les salles obéit surtout au fait qu’on ne peut pas la déplacer ailleurs. Y a-t-il une autre volonté, celle de rendre la restauration visible au public ?

LB : A propos des mosaïques de Jules Lepneveu : l’escalier va lui aussi subir une restauration. Est-ce qu’on compte faire réapparaître un jour ces mosaïques ?

L.L. : Non. De toute façon ça ne sera pas public, puisqu’il y a une fenêtre, mais qu’elle est fermée. Ca se fait dans une salle du musée, parce que c’est plus pratique de ne pas aller trop loin, avec ce fait de devoir sortir les blocs tous les mardis, etc. Il y a une fenêtre qui a été dessinée et elle existe, donc on aurait pu de temps en temps l’ouvrir, pour que les gens voient, ça ne nous posait pas de problème. Entre nous soit dit, ce n’est pas toujours très agréable pour les restaurateurs, parce qu’ils ont l’impression d’être surobservés, et ils ont besoin de calme et de concentration. Mais surtout, étant donné la taille de la salle, la répartition au sol qu’on a dû calculer pour l’ampleur de la zone de restauration, il reste assez peu d’espace dans la salle des Sept Cheminées côté public. Du coup, le store reste et restera fermé : on ne peut pas se permettre un embouteillage là, avec des groupes guidés

L.L. : Pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour. Ça peut rebondir. Mais le rapport de Michel Goutal, qui est l’architecte des Monuments Historiques, ne va pas dans ce sens. Je ne sais pas si la messe est complètement dite. Mais a priori, maintenant que le cahier des charges est fait… L’état cohérent, c’est l’état 1934. Les mosaïques étaient concomitantes de volées d’escaliers moins larges, et de rambardes XIXème, avec croisillons et cabochons. En 1934, on n’a pas fait que cacher les mosaïques de Jules Lepneveu, on a élargi l’escalier, on a modiié la taille du palier et on a mis des rambardes Arts Déco. Donc si vous faites ressortir les mosaïques sous prétexte qu’elles sont funky, vous créez un état incohérent. Là-dessus, Michel Goutal a plutôt bien argumenté, alors que la question était assez ouverte. D’ailleurs, souvent on avise selon ce 6


DOSSIER vous le descendez », et après il y a ce qu’on garde pour la commission internationale, quand ce sont des choix qu’on veut discuter de façon plus collégiale. Mais on ne réunit pas une commission internationale tous les matins. Moi, j’y vais tous les matins. Et tous les soirs. Et même dans la journée, s’il le faut. Après, je laisse les restaurateurs travailler, je leur fais coniance, mais quand il y a un choix… Mon rôle a également été qu’on puisse LB : En quoi consiste votre rôle au sein de cette sélectionner une équipe, que le service juridique rende restauration ? ses petites afaires à temps, que le service archi fasse L.L. : Généralement, les restaurateurs connaissent leur la cabine comme on le voulait et comme on en avait métier. Ils savent très bien ce qu’ils ont à faire. Mais ils besoin… C’est à la fois un travail scientiique, un travail se posent des questions, ils sont confrontés à des choix. de suivi de restauration, et c’est un travail d’organisateur. A la in, il faut qu’il y ait une équipe désignée, une C’est au département de dire sa préférence. D’abord on apprend beaucoup de choses au équipe prête, et tout ça est compliqué… Il faut être fur et à mesure d’une restauration. Là, en 10 jours, on sûr que les budgets, ça va (et puis que ça continuera a déjà appris beaucoup de choses. On a vu des choses à aller), il faut que le CNRS soit calé en même temps, qu’on n’avait jamais vues avant. J’ai vu les lattes de que la numérisation soit calée avec, que le site Internet placement sous les blocs du bateau sous le socle. On fonctionne… Toutes les semaines, je valide ce qui va en connaissait l’existence théoriquement mais là, on sur le site. Il y a un documentaire d’Arte ? Eh bien on sait où ils sont et comment ils sont placés, etc. En en discute, c’est moi qui dis « ça, on peut le ilmer », « comparant les cadres de pose des blocs du bateau sur le ça, ce n’est pas intéressant », vous voyez ? Je valide avec socle antique on s’est rendu compte qu’il était déporté Marianne le contenu de ce ilm. On est aussi en train de de 6 cm sur le côté, et donc on va le remettre 6 cm préparer des mini-ilms pour le site Internet, il faut les dans le bon axe… Il faut un interlocuteur scientiique valider, etc. C’est à la fois un travail d’organisation de spécialisé en Antiquité classique pour dire « ça c’est ça tout le projet, et après, concrètement, sur la restauration, », « ce que vous voyez est intéressant », parce qu’eux un travail d’étude-recherche et de suivi en partenariat sont spécialisés en restauration de sculptures, mais pas avec les restaurateurs. En gros, c’est ce qu’on fait tous les forcément en Antiquité grecque. Je suis là pour que ce jours. Il y a aussi de la com’ : répondre à la presse, faire dialogue scientiique se fasse au fur et à mesure, qu’on visiter les mécènes…, et concrètement sur l’œuvre, il y ne rate pas les informations. C’est le premier point, ce a recherche, étude, suivi de restauration au quotidien. qui constitue l’étude de l’œuvre rendue possible par une Et puis le reste du temps, le reste du boulot ! J’ai un restauration, ou plutôt : une restauration est toujours catalogue raisonné à rendre pour la in de l’année… J’ai mes 658 notices, elles sont écrites ! Je n’ai pas encore l’opportunité de mieux étudier une œuvre. D’autre part, il y a le fait qu’il y a toujours un les chapeaux, je ne sais pas quand je vais le faire, mais moment où il y a plusieurs options, plusieurs choix, le service édition a bien compris que je ne le rendrai et il faut bien que quelqu’un décide. En l’occurrence, pas le mois prochain, au moins c’est clair. Il y a d’autres il y a un commissariat de restauration, ce qui est rare restaurations en cours : j’en ai deux ici à Flore, on (mais comme c’est une longue restauration, c’est le cas), restaure toujours la frise de Magnésie du Méandre dans composé de Jean-Luc Martinez, Marianne Hamiaux et la cour du Sphinx, donc j’y vais le dimanche. Et la nuit, moi-même. Marianne Hamiaux est plutôt spécialisée je m’occupe des copies de l’École du Louvre. dans la technique du monument, car elle l’a publié. Jean-Luc Martinez, quant à lui, a longtemps dirigé LB : Notre dernière question sera un peu plus le département, il garde donc ce projet en tant que personnelle, puisque les élèves de l’École du Louvre président-directeur. Et moi, comme je suis à la fois sont curieux de savoir d’où viennent leurs professeurs, spécialiste de sculpture hellénistique, et par ailleurs quel parcours ils ont eu, ce qu’ils ont fait dans leur c’est moi qui, d’ordinaire, suis les restaurations de vie… Quel est votre parcours ? sculptures grecques et romaines au département, j’ai l’habitude de ces questions de choix. Il y a ce qu’on L.L. : Qu’est-ce que j’ai fait ? Eh bien j’ai fait l’École peut dire au quotidien, par exemple « ce bouchage, du Louvre ! Je suis un pur produit qui reproduit le qui se passe en cours de chantier, mais l’argument de la cohérence est assez remarquable. Et puis par ailleurs, quand ces mosaïques ont été dévoilées au public dans leur première phase de travaux, à l’époque, ça a été un tollé. Tout le monde les a trouvées absolument trop historicistes, trop… enin, ça a été le massacre dans la presse.

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DOSSIER produit… (rires) Je suis devenu chargé de TD à l’École du Louvre, chargé de TP à l’École du Louvre, chargé de CS à l’École du Louvre, chargé d’HGA à l’École du Louvre, donc tout le cursus honorum. Je n’ai jamais quitté l’École. Avant l’École du Louvre, j’avais fait hypokhâgne-khâgne, c’était le contrat (j’avais le droit de faire l’École du Louvre si je faisais une prépa pour être un peu plus chevronné). Je trouvais d’ailleurs que c’était

une bonne méthode. Je suis allé à Nanterre en M2. On m’a proposé de rentrer au Louvre sur contrat, donc j’y suis rentré tout de suite en ayant ini mes études. C’était vraiment une chance. Et donc j’ai travaillé, j’ai assisté Alain Pasquier, qui était le directeur du département à l’époque, j’ai eu quelques contrats, j’ai passé le concours d’ingénieur d’études et j’ai été titularisé. Jusqu’à maintenant. l

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DOSSIER

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LES ENJEUX DE LA RESTAURATION

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texte : Céline Barthélémy

Écrire sur un thème aussi polémique que les enjeux de la restauration n’est pas facile, encore moins de manière brève, et je ne savais pas vraiment par où commencer. J’ai donc décidé de m’intéresser tout d’abord à l’image qui nous vient spontanément à l’esprit : le mythe du restaurateur travaillant en ermite méticuleux dans sa grande salle blanche et aseptisée. Or, ce n’est qu’en 1936 que les premières écoles de restauration ont été créées en Italie, puis en Pologne. Il a ensuite fallu attendre 1973 pour voir la création en France de la maîtrise des sciences de restauration du patrimoine à l’Université Paris 1, aujourd’hui menacée de fermeture. Pourtant, depuis des siècles, des « restaurations » de tous types sont pratiquées, en France et ailleurs, sur notre patrimoine. Ces opérations posent des problèmes éthiques et surtout une question majeure : malgré la transmission de savoir-faire de maîtres à élèves depuis ce qui nous semble la nuit des temps, conions-nous réellement la restauration de nos œuvres, le futur de notre culture à « n’importe qui » ? Au premier venu libre d’agir à sa guise ? Examinons cette horrible interrogation point par point :

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par son caractère historique, elle subit les outrages du temps et en est même le témoin.

Selon Cesare Brandi, le référent dans le domaine de la théorie de la restauration depuis la parution de son ouvrage révolutionnaire en 1963, l’erreur la plus fréquente est alors la volonté de retour à un état primitif de l’œuvre. Or le temps ne se remonte pas (encore). L’intérêt esthétique d’une œuvre ne doit pas nécessairement primer sur un intérêt archéologique : il n’y a pas que les livres et les objets utilitaires (entre autres, les tire-bouchons) qui appartiennent à l’Histoire. Et les œuvres ont elles-mêmes une histoire que l’on se doit de respecter. Pourtant,

je vous entends déjà répliquer que nos ancêtres se montaient beaucoup moins le bourrichon : ils prenaient n’importe quel sardoine ou camée antique un peu joli, le montaient et le sertissaient de pierres et métaux précieux et rangeaient ça bien à l’abri dans nos grandes églises. Et c’est justement parce que nous ne pouvons pas supprimer ces traces du passage de l’homme après l’artiste que l’on se doit de responsabiliser les restaurateurs et le public aux enjeux de la restauration et de la conservation des œuvres. Toute entreprise sur l’œuvre, même ratée, est diicilement réversible, quelles que soient les présomptions des institutions actuelles. La restauration n’est pas une in en soit, n’a pas pour unique but de rendre l’œuvre agréable à l’œil, mais s’inscrit dans un long processus de compréhension de l’œuvre. Je vous renvoie ici à une citation de Brandi, tirée de sa héorie de la restauration : « Gouvernée par deux instances, l’une esthétique et l’autre historique, la restauration doit trouver sa juste place dans le temps et, tout en se gardant des falsiications, rendre à l’œuvre l’unité potentielle qui la déinit. » Beau programme en perspective hein ? Mais concrètement, comment faiton ?

La restauration

est aujourd’hui confrontée à un problème majeur : la reconnaissance de la doublenature de l’œuvre d’art comme étant à la fois un objet esthétique et un objet historique. Ainsi, l’œuvre d’art est à la fois intemporelle par son image et l’émotion, l’intensité qu’elle véhicule dans la conscience du spectateur au moment de sa découverte, mais elle est également soumise aux épreuves du temps : en efet, la réalité intemporelle de l’œuvre se manifeste au travers d’une matière qui, elle, a évolué. Entre le moment où l’œuvre a été achevée et celui de sa découverte par le spectateur, cette matière, à la fois aspect et structure de l’œuvre, a subi des transformations naturelles (rouille, érosion, écaillement du vernis, issures, patine, etc.) et des transformations dues à la main de l’homme (usures, ajouts, réfections, remaniements, restaurations antérieures et dérestaurations, etc.). Par son caractère artistique unique, l’œuvre échappe donc au temps mais,

Dans ce sens, les progrès fulgurants de la science

ces deux derniers siècles ont ouvert des champs d’investigation jusqu’alors inattendus. L’apparition de nouvelles techniques telles la photographie sous

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DOSSIER ultraviolets ou à infrarouges, la radiographie, la stratigraphie des couches picturales, la chromatographie, la gammagraphie, la numérisation 3D et même notre bébé AGLAÉ au Louvre (le seul accélérateur de particules dans un laboratoire de musée), ont permis de prolonger l’histoire en révélant repeints, croquis préparatoires, colmatage de statues… Et même de détecter beaucoup de faux qui n’auraient jamais été révélés. Pour vous faire votre propre idée de ces techniques et de leur intérêt, je vous renvoie à la base de données du programme européen Narcisse, sur le site du C2RMF, recensant plus de 12000 notices et images d’œuvres étudiées dans les laboratoires muséaux. Mais je pense que vous avez tous déjà en tête le fameux exemple du scribe accroupi qui, sans le démontage lié à sa restauration et notre cher AGLAÉ, ne nous aurait jamais livré les secrets de son regard mystérieux et par là même la certitude de la connaissance anatomique profonde des Égyptiens de l’Ancien Empire.

compte des conséquences ni du contexte de l’œuvre. Pour d’autre une restauration doit être démontable et les parties reconstituées directement visibles. Dans tous les cas, ces choix de restauration s’efectuent rarement seul. Revenons-en donc à l’image de notre restaurateur ermite : il existe, bien entendu, de petites structures de restauration privatives à laquelle sont coniées des œuvres de particuliers, à la valeur plus sentimentale que pécuniaire ou culturelle. Cependant, en ce qui concerne les restaurations d’œuvres ou de monuments classés, le restaurateur, seul face à l’œuvre en un contact intime au moment de la restauration pure et dure, n’est en réalité que la part intégrante d’une équipe organisée en laboratoires tels en France le C2RMF ou le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques ou bien encore l’Istituto del Restaura de Rome : ces institutions se divisent en pôles, en équipes partageant compétences, expériences, savoir-faire et conseils. Les centres de recherche et de restauration ont de plus souvent à dialoguer avec des interlocuteurs extérieurs : conservateurs, chefs de projet, commanditaires, mécènes, experts, entreprises fournissant les matériaux …

L’analyse des matériaux

constitutifs des chefs-d’œuvre, mais aussi de pièces mineures, a donc permis d’en comprendre les grandes étapes de création et d’évolution. Cette compréhension technique de l’œuvre doit être groupée à une compréhension plus documentaire sur le contexte historique et culturel de l’œuvre, de sa création au moment où elle passe entre les mains du restaurateur. Les témoignages écrits, ou photographiques pour les œuvres les plus récentes, constituent la principale source d’information.

Ce qui nous conduit enin à observer la igure

du restaurateur lui-même. Longtemps méprisé par les conservateurs car considéré comme un simple technicien, le restaurateur est en réalité pourvu d’une triple casquette : celle de scientiique, pour les connaissances poussées qu’il doit avoir dans de nombreux domaines ain de ne pas endommager l’œuvre qu’il est censé restaurer ; celle d’artiste, pour la touche, le dessin, la passion et la patience ininie de son travail direct sur l’œuvre ; celle d’historien d’art enin, pour comprendre pleinement l’œuvre et son contexte et ne pas oublier tous les enjeux de la restauration. Ce sont des « artistes de l’éphémère » qui se doivent de tout connaître d’une œuvre tout en sachant s’efacer derrière elle avec humilité, et qui sont surtout responsables de leur choix. Chaque restauration est unique, tout comme chaque œuvre est unique, en fonction de sa technique, de son histoire, de ses dommages. Et je ne parle même pas des enjeux posés par la conservation et la restauration des œuvres contemporaines, qui commencent tout juste à être étudiées. La formation du restaurateur est donc déterminante, autant que ses expériences et son ressenti. Il s’agit d’un métier d’apprentissage permanent car plus que de la simple restauration, un raistolage d’urgence, il s’agit d’un métier de conservation de l’œuvre, évoluant dans le temps en même temps qu’elle.

Fort de ce double dossier technique et documentaire,

qui ne doit pas être traité à la légère et dont l’élaboration peut prendre des mois voire des années suivant l’urgence de la restauration (cf l’interview de M. L. Laugier sur la restauration de la Victoire de Samothrace), on peut penser que le restaurateur est en de bonnes conditions pour opérer les choix qui s’ofrent à lui. Malheureusement, le manque d’études préliminaires ou une restauration trop empirique, largement répandue au XXème siècle, ont souvent causé des dégâts irréversibles. Dans son livre polémique Outrage à la peinture. Ou comment peut la restauration, violant l’image, détruire les chefs-d’œuvre, Sarah Walden, historienne de l’art et restauratrice, est même beaucoup moins clémente : « L’ampleur de la restauration des peintures durant ces cinquante années est sans précédent, aussi bien par le nombre que par l’extrémisme des méthodes employées, qui vont de l’inadéquat jusqu’à l’irresponsabilité totale ». Pour beaucoup, une bonne restauration est encore une restauration « qui ne se voit pas », quitte à utiliser des matériaux synthétiques et anachroniques sans tenir

C’est dans ce sens que l’on tente actuellement 10


DOSSIER de privilégier ce que l’on appelle la « conservation préventive » et même parfois la « restauration préventive », comme c’est le cas pour le nettoyage de la Victoire de Samothrace, car selon Brandi la conservation préventive « est une expression inhabituelle qui pourrait induire en erreur et faire croire qu’il existe une sorte de prophylaxie susceptible, telle une vaccination, d’immuniser l’œuvre d’art, au cours de son existence dans le temps. Cette prophylaxie, disons-le d’emblée, n’existe pas. (...) l’œuvre d’art est, en efet, composée d’une certaine quantité de matière et d’un certain nombre de matériaux qui, dans leur assemblage, peuvent subir diférentes sortes d’altérations, nocives pour l’image, pour la matière ou pour toutes les deux, ce qui entraîne les interventions du restaurateur ». Il faut donc essayer, par des gestes simples et réguliers de restauration, ceux que les restaurateurs entre eux appellent le « bichonnage », de préserver les œuvres avant d’en arriver à des interventions lourdes. Des tentatives d’accords internationaux sur la notion de restauration et de conservation du patrimoine ont été mises en place telles la Charte Internationale Sur La Conservation Et La Restauration Des Monuments Et Des Sites de Venise de 1964 ainsi que sur le métier de restaurateur. En France, la loi muséale de 2002 est claire sur les obligations des musées : « Les Musées de France ont pour missions permanentes de conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections... » ; de même que le code de déontologie de l’ICOM : « l’autorité de tutelle d’un musée a le devoir éthique de maintenir et de développer tous les aspects d’un musée, ses collections et ses services. Surtout, elle a la responsabilité de veiller à ce que toutes les collections qui lui sont coniées soient abritées, conservées et documentées de façon appropriée ».

Le cas des réserves est néanmoins équivoque :

souvent négligées, mal entretenues ou mal conçues mais nécessaires à la recherche scientiique inhérente à tous les musées, on y a accumulé durant des décennies, des objets, parfois non référencés, qui se sont érodés, corrodés, putréiés. C’est comme cela que lors des inondations de 2002 qui ont noyé les parties basses de la ville de Prague, 30 tonnes de livres de la Bibliothèque Nationale ont été submergées par un torrent de boue et ont dû être « congelées » puis séchées l’un après l’autre et traitées avec des ixateurs. Ou bien encore un second squelette en chocolat ( ! ), réplique de l’œuvre Catacombes de l’artiste canadienne Jana Sterbak, a été découvert non étiqueté dans les réserves du Musée d’Art Moderne de Saint-Étienne des ANNÉES après son ensevelissement, sans que personne n’ait eu idée de son existence. Imaginez les trésors dont recèlent encore les

réserves de nos musées, petits et grands !

Mais qu’en est-il des trésors que l’on trouve dans

les greniers, au marché aux puces, enfouis au in fond d’une cave ou d’une épave ? Parfois remarquablement bien conservés, ils peuvent également être trouvés dans un tel état que, malgré la signature de tel ou tel grand maître, on peut se demander si les œuvres n’ont pas le droit d’aspirer tout simplement à l’anéantissement, un « droit à l’euthanasie » plutôt que de les dénaturer au point où leurs artistes eux-même les auraient reniées ? Chaque fois que l’homme fait acte de création se pose à nouveau cette question : faut-il essayer de la conserver en l’état à tout prix, au risque de voir disparaître ce qui fait sa nature même d’œuvre d’art ?

Cette question

reste un débat ouvert, et je ne tenterai pas d’y répondre. Elle mériterait une thèse à elle seule. Mais à la question posée à Sarah Walden quelques années après la publication de son livre : « Sommesnous plus coupables aujourd’hui que nous l’étions hier ? », alors que les enjeux de la restauration et de la conservation de notre culture avaient déjà commencé à pénétrer lentement les esprits, cette dernière a répondu : « Nous le serions si nous n’avions rien dit, ni rien fait. Nous le serions parce qu’aujourd’hui, nous savons qu’en assurant la conservation préventive des œuvres, nous pouvons éviter d’avoir à intervenir lourdement. Nous le serions parce qu’aujourd’hui les progrès des diférentes sciences qui sont utiles à l’analyse et à l’intervention sur les œuvres nous permettent de les connaître parfaitement, sans même avoir à les toucher. Nous le serions si nous ne formions pas bien les restaurateurs, qu’ils soient publics ou privés, à l’acte de restaurer sans dénaturer. Nous le serions, enin, parce que nous avons la connaissance ».

Et j’espère que,

malgré quelques erreurs de parcours tels le « Christ espagnol » qui nous laissera à tout jamais une impression impérissable, nous continuerons à travailler dans ce sens et qu’avec ce modeste article, un simple survol des enjeux qui occupent actuellement notre domaine, j’ai pu raviver dans vos consciences l’enjeu de nos études en tant qu’historiens de l’art et peut-être futurs conservateurs ou, qui sait ?, restaurateurs du patrimoine. l

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DOSSIER

«Agissons pour le plus grand musée de France» : mission restauration du patrimoine en péril Entretien avec Léopold Legros, Jean-hibaut Couvreur et Guillaume Denniel, de la Junior Entreprise de l’ÉdL. propos recueillis par Pauline Fuster

LB : La JE, c’est quoi ? L. : La JE est une association qui a une vocation professionnalisante pour les élèves de l’École. On doit chercher auprès de clients potentiels des missions à faire exécuter par nos adhérents. Les JE, c’est un système qui existe depuis les années 60 dans les écoles de commerce et les écoles d’ingénieurs et qui s’est beaucoup développé en France, mais nous sommes la première JE du secteur culturel. C’est ce qui fait notre diférence. LB : Quand ont débuté les missions ? G. : On a démarré une phase de prospection il y a un an et démarché un gros client [la Sauvegarde de l’art Français] qui nous a conié une mission (qui est la principale mission de la JE). On a recruté 25 élèves qui ont prospecté dans 12 régions de France. La mission consistait dans le repérage, la médiatisation et mécénat d’objets d’art mobilier dans les églises et chapelles des communes françaises. En fait, on repère l’œuvre, on la médiatise pour la faire connaître, et on récolte les fonds. Après la procédure de restauration se déroule normalement. LB : Quel est le critère de sélection des œuvres ? L. : Le principal est le critère de qualité artistique de l’œuvre, puisqu’on va préférer un superbe tableau d’un grand maître à une croûte. Ensuite, on va tenir compte de l’intérêt historique de l’œuvre

puisqu’une œuvre qui n’est pas d’une qualité plastique exceptionnelle peut avoir beaucoup de choses à dire sur l’histoire de la commune et de la région. Enin, il y a le critère de l’urgence de la restauration. Forcément, on va privilégier une œuvre en très mauvais état, qui se dégrade rapidement, ou très vulnérable du fait de sa nonprotection. JT : Dans un premier temps, la recherche a été très large. Chaque élève a pu repérer 5 à 10 œuvres. Ensuite la recherche de mécénat oblige l’élève à sélectionner les œuvres les plus intéressantes, qui l’ont le plus touché, ou bien les plus abîmées. LB : Travaillez-vous avec des professionnels de la restauration ? L : Oui bien sûr. Par exemple, j’étais hier avec une restauratrice, qui est diplômée de l’INP, sur une visite de terrain dans une église collégiale à Avesnes-sur-Helpe (Nord). J’y ai trouvé un ensemble de six tableaux de Louis Watteau, dont trois sont particulièrement dégradés. Elle a pu me donner son expertise technique et m’a beaucoup éclairé sur le caractère matériel de l’œuvre. Pour nous, élèves de l’ÉdL, c’est une approche fondamentale que l’on n’a pas forcément dans le cadre de nos cours. Nous sommes aussi amenés à être en relation régulièrement avec la DRAC : quand un objet est classé monument historique ou est inscrit, une autorisation de travaux est requise. 12

Avec les missions, on découvre totalement le circuit de restauration des objets et on a hâte de voir les œuvres restaurées. JT : Et le choix du restaurateur appartient au pouvoir public ! LB : Avec quels médias travaillezvous pour faire connaître les œuvres ? JT : On a commencé à se faire connaître localement, et ensuite on a intéressé les médias nationaux (comme TF1, Libération ou Le Figaro). C’est une réaction en chaîne. Nous sommes aussi très actifs sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) ainsi que la plateforme de donation KissKissBankBank qui permet d’être visible d’une autre façon, sur un autre réseau. On tisse aussi des nouveaux partenariats, notamment avec le Journal des Grandes Écoles, qui est assez peu connu. LB : Comment marchent les donations ? G : Là où le mécénat est le plus fort, c’est lorsqu’il y a contact direct entre le donateur et l’œuvre. L : Les dons en ligne fonctionnent moyennement, le public ciblé est constitué des élèves de l’École et d’élèves en histoire de l’art. Même si ce n’est que quelques euros parci par-là, les petites rivières font les grands leuves. l


DOSSIER

QUELQUES CAS PARTICULIERS L’histoire de la réception des oeuvres comprend souvent l’histoire de leur restauration. Que restaurer, comment ? Voilà qui en dit long sur le goût d’une époque. L’histoire des idées se nourrit de ces cas un peu exceptionnels, parfois polémiques, parfois foireux, de restauration. Notre rédaction a sélectionné ces quelques exemples de façon totalement partiale (sans grande originalité, on aime bien Michel-Ange).

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DOSSIER

1 À la recherche des couleurs # S

CA

de Michel-Ange

texte : héo Le Gal - illustration : Sarah Moine

Juin 1980, nous sommes à la veille du plus grand chantier de restauration du XXème siècle. Il durera quatorze ans. Quatorze années durant lesquelles on s’eforça de redonner aux fresques de la Chapelle Sixtine leurs couleurs, celles de Michel-Ange. Le 11 décembre 1999, les portes de la «cappella» sont ouvertes. Les visiteurs qui s’y pressent ne peuvent y croire. Disparues les ternes fresques de 1980, laissant leur place à des œuvres d’un autre temps qui nous entraînent dans un tourbillon de couleurs chatoyantes. Le Michel-Ange romantique n’est plus. On ira jusqu’à dire que « tous les livres sur l’artiste sont à réécrire ». La polémique est née. D’où viennent ces couleurs ? Sontelles idèles aux originales ? Ou aurions-nous outrepassé les limites de l’éthique ? Ain que chacun puisse se forger sa propre opinion sur le sujet, revenons sur les étapes de cette restauration. À la in des années 70, l’état de conservation, inquiétant, des fresques de la chapelle de Sixte IV conduit les autorités vaticanes à initier une campagne de restauration. Les fresques de la chapelle ont déjà fait l’objet de restaurations antérieures. Cependant en 1979, lorsque les analyses préparatoires débutent, c’est un projet ambitieux et coûteux qui est retenu par la direction des Musées du Vatican. Ce n’est pas moins de 4,2 millions de dollars (soit environ 3,1 millions d’euros) nécessaires pour la restauration des quelques 700 m2 de fresques. La Papauté n’a pas les moyens d’ofrir ce nettoyage à la chapelle. C’est inalement, la société japonaise Nippon Television Network Corporation qui propose de inancer l’opération en échange des crédits photographiques sur l’ensemble du décor de la Chapelle Sixtine. La restauration est supervisée par le directeur des Musées du Vatican, Carlo Pietrangeli, et menée par Gianluigi Colalucci, Maurizio Rossi, Piergiorgio Bonetti et Bruno Baratti. Avant de débuter l’opération, des études préalables sont réalisées en 1979 ain de déinir les objectifs de la restauration ainsi que le mode opératoire. C’est aussi l’occasion pour les restaurateurs d’étudier en détail les techniques employées par Michel-Ange ain de retrouver l’aspect original des fresques. Dans un

souci de contrôle et de mémoire, chaque étape de la restauration it l’objet d’un enregistrement sous forme de photographies et de ilms. En 1980, suite aux analyses préparatoires, n’ont été retenues pour la restauration que des techniques au processus simple, ayant largement fait leurs preuves, sans danger pour les fresques et aux efets réversibles. Après étude, le chantier se révèle vaste. Les fresques soufraient d’un certain nombre d’altérations qui menaçaient leur intégrité. Tout d’abord, les fresques étaient recouvertes de plusieurs couches de suie, issue des braseros et des cierges continuellement allumés au il des siècles. De plus, les zones en périphérie des lunettes (seules aérations de l’édiice) avaient subies des altérations dues à la dégradation de la qualité de l’air romain depuis la seconde révolution industrielle. Venaient s’ajouter à ces calamités, des iniltrations d’eau qui créèrent à la surface des fresques du plafond des elorescences salines et causèrent des issures dans le mortier qui menaçait par endroits de s’efondrer. Enin, on remarqua la présence de moisissures à la surface de la couche picturale. Plusieurs campagnes de restauration au cours du temps tentèrent de contrecarrer ces dégradations qui, somme toute, ne sont pas nouvelles et qui commençaient déjà à sévir peu de temps après la réalisation des fresques. Exceptées les restaurations de 1570 et de 1710 qui irent l’objet d’une grande attention, les autres tentatives de conservation ne résistèrent pas à l’épreuve du temps. On utilisa, ain de masquer les elorescences salines et de redonner leur éclat aux couleurs amorties par les dépôts de suie, des colles animales, très liquides, et additionnées d’huiles. Ces diverses colles s’altérèrent progressivement et ixèrent de façon plus tenace les dépôts de suie et de poussière qui assombrirent les fresques. Enin, le mortier se détachant, on avait eu recours à des crampons en bronze ou en cuivre qui, après avoir maintenu le mortier en place, avaient aggravé les issures. Les restaurateurs s’attelèrent donc à faire disparaître les dépôts de corps étrangers à la surface des 14


DOSSIER fresques ainsi que les diférentes couches de colles animales et de gommes naturelles (utilisées à des périodes plus récentes). On utilisa de l’eau distillée associée au solvant AB 57 pour dissoudre ces couches successives. Cependant ce solvant inquiéta une partie de la communauté scientiique car il est relativement diicile de contrôler son action de dissolution, le risque étant d’atteindre les couches picturales d’origine.

poussière, on installa un système moderne d’air conditionné.

Les crampons furent ôtés et on combla les issures avec du mortier de chaux et de la pouzzolane (roche constituée de scories volcaniques connue pour sa résistance à l’eau). Ces obturations sont discrètes et peu visibles aujourd’hui à l’exception du remplissage efectué sur la scène du Déluge et sur la igure de l’Ignudo au-dessus de la Sybille de Delphes.

Un des grands succès de cette restauration titanesque fut la redécouverte, sur certains pans de fresque, de la technique du cangiante (utilisation par le peintre de deux couleurs diférentes ain de jouer sur la luminosité d’un même motif ) auparavant dissimulée par l’encrassement. Pourtant, bien que spectaculaire, la restauration de 1980 est loin de susciter l’unanimité des chercheurs. L’historien de l’art, James Beck, la critiqua ardemment avançant que la restauration s’est faite au dépend des intentions réelles de l’artiste que nos connaissances actuelles ne peuvent permettre de déinir précisément.

Pour ce qui est des fresques, on prit le parti de supprimer les retouches effectuées par les précédents restaurateurs ainsi que, sur la fresque du Jugement Dernier, certains voiles d’il braghettone (« le culottier »), Daniele da Volterra (1509 – 1566) qui les peignit ain d’ajouter un peu de pudeur à l’œuvre de Michel-Ange (cf. la igure de Saint-André). Enin, il fut décidé, contrairement aux habitudes, de ne pas recouvrir les fresques restaurées d’une substance permettant de raviver les couleurs (gommes naturelles ou graisses animales) qui comme nous l’avons constaté précédemment se dégrade progressivement. Ce parti pris fut fortement critiqué car il n’existe plus aucune couche de protection à la surface des peintures ce qui oblige un contrôle total sur l’isolation de la chapelle et sur le « microclimat » intérieur. Car si les gommes et les graisses se dégradent, elles avaient au moins le mérite d’avoir conservé intactes les fresques sous-jacentes. À ce titre, l’isolation de la chapelle fut remaniée ain de lutter contre les iniltrations d’eau et limiter l’impact de la pollution de l’air sur l’état de conservation des fresques. Pour réguler le taux de dioxyde de carbone dans l’air à l’intérieur de la chapelle Sixtine, fréquentée par des millions de visiteurs chaque année, et lutter contre la

Les travaux de restauration des lunettes de Michel-Ange furent réalisés de juin 1980 à octobre 1984. Ceux de la voûte, commencés en 1984, s’achevèrent en 1989. Et enin, la restauration de la fresque du Jugement Dernier eut lieu de 1989 à 1994.

Jean-Pierre Mohen dira en 1999 : « On est passé d’une vision romantique de Michel-Ange, artiste « malheureux » à la palette obscure, à un génie coloriste aux talents multiples. Le contraste fut brutal. » À vous de juger ! l

Pour plus d’information sur le sujet : « Restauration/dérestauration en peinture murale : un problème entre histoire et actualité », mémoire de master I, Guylaine Ruard, 2007

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DOSSIER

Michelangelo et le Torso, une histoire d’amour platonique 2 #

CAS

texte : Matthieu Fantoni

L’histoire de la restauration et de sa

du Monde dans la chapelle privée de la Curie ?

Il est le divin Michel-Ange, ami intime de

déontologie recense aussi bien des maladresses que des réussites. C’est l’histoire du vandalisme, du patrimoine et de la pratique artistique qui se raconte à travers l’étude des amputations et des grefes que subissent les œuvres du passé. Que les collectionneurs, les idéologues ou les conservateurs soient lucides ou maladroits, leurs « restaurations » se décrivent toujours comme des actes positifs. Mais ne pourrait-on pas aussi inclure dans cette longue histoire les abstentions ?

la Beauté, cette grande ordonnatrice du cosmos. L’artiste a été élevé dans l’esprit de la Florence de Laurent le Magniique, et le fascinant Savonarole n’aura fait qu’ébranler ses convictions néo-platoniciennes. Il sait qu’il faut respecter le Beau comme une puissance supérieure, celle qui permet le transport de l’âme jusqu’au divin et à la volupté. Parfois, la Beauté se manifeste de manière imprévue, précocement. Et Michel-Ange, pris au dépourvu, ne peut que laisser tomber son pinceau ou son ciseau au sol. Il commence ainsi à mettre au point son esthétique du non-inito, considérant la inition de la sculpture comme superlue. Seules comptent l’idée et la forme, et l’esprit avisé sait les découvrir dans un bloc à peine dégrossi. Face au torse, l’artiste reconnaît une même conviction. S’il est possible de combler les lacunes du vestige, il est en revanche dur d’envisager – même pour lui - de rendre à l’idée et à la forme leur beauté originelle, sans risquer de les dénaturer.

Imaginez

la Rome du début du Cinquecento. Les murs du Vatican tremblent d’un cri de colère. Dans une stanza de second rang, Michel-Ange est en proie à un violent débat avec un subalterne de l’administration pontiicale. L’objet de leur litige se dresse au milieu de la salle. C’est un torse antique, ou plutôt un buste, muni de deux cuisses, assis sur un tronc. Le pape veut le voir restauré, c’est-à-dire muni de la tête, des deux bras et des jambes qui lui manquent. Cela revient presque à réaliser une nouvelle sculpture. Seuls subsisteraient dans l’œuvre inale quelques rares éléments antiques. Mais quels sont-ils ! Étonnantes contractions des muscles abdominaux, souplesse des dorsaux, dynamisme élégant d’un très léger déséquilibre des hanches… Michel-Ange le sait, il n’aurait aucun problème à compléter l’œuvre, à munir cet arc de chair et de marbre des membres que la nature fournit habituellement aux hommes. N’importe quel tailleur de pierre, capable de creuser une mortaise et de dégager un tenon, peut faire ça. Et l’artiste lorentin est plus qu’un tailleur ! N’est-ce pas lui qui dégagea d’un seul bloc le colossal David ? N’est-ce pas lui qui est en train de peindre, seul comme Dieu au ciel, sur son échafaudage, la Création

Il ne pourra pas

restaurer ce marbre. Mais il sait que le pape ne s’encombrera pas de son refus et pourra toujours trouver un artiste moins regardant. Ce praticien moins préoccupé par la beauté déigurera – ou plutôt, igurera, ce qui serait pire – le torse. Alors Michel-Ange se tourne vers l’intendant, qui manipule nerveusement un petit pot de pigment de lapis. Il aurait pu se ruer sur lui, tenter de lui subtiliser le torse. Mais le subalterne balourd lui a donné une idée, en tripotant ses couleurs.

On ne sait pas réellement comment Michel-Ange a réussi à convaincre le pape de laisser le 16


DOSSIER marbre « intact », à l’état original de fragment. Si l’artiste n’avait pas intercédé en sa faveur, Joachim Winckelmann, en visite au Belvédère deux siècles plus tard, n’y aurait peut-être jamais vu l’expression simultanée de la beauté intemporelle et du génie simple et noble des grecs. Qui sait à quoi aurait ressemblé notre histoire de l’art si la restauration du marbre avait eu lieu ?

efet, proposer au pape d’inscrire cette œuvre parmi les igures idéales qui cohutent au plafond de la Sixtine ? En donnant à un des Ignudi de sa fresque la posture du torse, l’artiste en a fait une modélisation. Il lui a rendu simultanément ses membres, son expression et – l’imagine-t-il seulement ? – sa polychromie. Tout en préservant l’objet original, il en restaure et magniie l’idée. Il le place du même coup en plein cœur de son cycle céleste, au plus près de Dieu, de ce divin lumineux vers lequel nous élèvent les sens. l

Les membres attentifs de la Curie ne s’y trompent pourtant pas. Ils savent que l’artiste a bel et bien restauré le torse, d’une manière originale, à la fois grandiloquente et humble. N’aurait-il pas osé, en

3 # S

CA

La têtE Laborde texte : Mathilde Schaefer - illustration : Chloé Gérard

La Tête d’Iris, dite « Tête Laborde », du nom d’un de ses prestigieux propriétaires, est à l’origine une sculpture du Parthénon. Il lui manque le nez, le menton, et l’arrière de la tête. Et pour arriver jusqu’au Louvre, elle a vécu une vraie épopée ! Tout commence le 26 novembre 1687. Une guerre oppose Venise à l’empire ottoman, mais l’épisode qui nous intéresse se déroule en Grèce. Les Ottomans sont retranchés dans l’Acropole, assiégés par Venise, et ont eu la bonne idée de stocker leur poudre dans le Parthénon. Seulement, pendant une guerre, il « pleut », et lorsqu’un boulet vénitien frappe le Parthénon, c’est le drame ! Vieillissement accéléré pour ce vestige de l’humanité vieux de plus de 2000 ans. La tête semble avoir été arrachée pour être rapportée à Venise comme souvenir du « tir heureux », selon l’expression de son auteur le général Francesco Morosini. D’autres évoquent l’invraisemblable hypothèse qu’elle ait été retrouvée dans les décombres. Pardonnez-moi l’humour premier degré, mais il faut avoir la tête sacrément dure pour ne pas se l’être fracassée dans l’éboulement ! Par la suite, cette tête survivra à l’oubli, aux menaces de destruction, retaillage, débitage et j’en passe, mais quoi qu’il en soit, rien de bien méchant à côté de la survie miraculeuse au « tir » heureux.

l’éternel comme chacun sait (ou peut-être pas d’ailleurs, dans ce cas, c’est à lui qu’on doit le recensement des monuments historiques), s’y intéresse alors, et publie un article accompagné d’un dessin, qui montre que la tête était déjà restaurée à l’époque. Mais par qui ? On sait que Gaetano Ferrari aurait souhaité marier le marbre et le plâtre, mais il semblerait que ce soit Pierre-Charles Simart, renommé à l’époque, qui s’en soit chargé, encore une fois ce n’est qu’une hypothèse.

En 1844, Léon de Laborde, conservateur au Louvre, parvient à importer de Venise de manière pas très légale (pas DU TOUT légale même …) le vestige grec. Prosper Mérimée, grand amateur culturel devant 17


DOSSIER Hypothèse cependant qui a tout de même bien protégé le difamé appendice nasal, la restauration de mutilation antique étant déjà fort décriée à l’époque, et complètement disparue depuis. Chers Édliens, remercions la science ! En efet, une simple radiographie a permis de délimiter les contours du rajout en plâtre, permettant ensuite de le retirer sans mutiler encore plus le marbre. Chacun s’accordera pour dire que les dégâts importants du proil n’en font que magniier la beauté (et puis de toute façon, c’est toujours mieux que du plâtre !). Et s’il reste des sceptiques parmi vous, qui pensent qu’on peut trrrrrèèèèès bien boucher les trous d’une statue antique comme ceux d’un mur, je vous quitte sur une citation (certes un peu longue il est vrai, mais il faut bien ça), à méditer si le temps et l’envie vous en

prennent, d’Alain Pasquier, lors de son discours à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres : « L’extraction du plâtre […] rend toute sa dignité et toute sa force à un visage qu’il banalisait par sa forme et dépréciait par sa matière : la terne inertie du plâtre est bien éloignée du relet cristallin de cette belle roche qu’est le marbre. » Et si vous avez de bons yeux, vous pouvez toujours aller salle 6 du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, dans l’aile Sully (Salle de Diane), pour comparer la « Tête Laborde » avec la miniature photo en noir et blanc qui accompagne le cartel, et montre un moulage de la statue avec son attirail complet de plâtre, nez, menton et corps fragmentaire compris. l

The Strange case of Doctor Viollet and Mister Duc

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# S CA

texte : Gabriel Courgeon - illustration : Marine Botton

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DOSSIER

Dans le coin rouge… C’est l’un des pionniers de l’architecture moderne. Érudit du XIXème siècle qui redonna au Moyen Âge ses lettres de noblesse, protecteur des Monuments français, applaudissez bien fort Eugène Viollet-le-Duc.

Dans le coin bleu… C’est une brute épaisse du Patrimoine, un restaurateur pas tenté des trésors nationaux. Tenant du titre du cliché le plus tenace de l’Histoire de l’art, notre champion Eugène Viollet-le-Duc.

;;;;;;;; sorte d’archéologie expérimentale à grande échelle. Viollet-le-Duc est un chercheur, un érudit qui embrasse l’architecture dans son entier, qu’elle vienne d’autres pays ou d’autres époques (aussi bien l’Antiquité que le Moyen Âge). Dès 1854, il étudie ce monument avant qu’il soit chargé de le restaurer et préconise même une restauration partielle, déconseillant la restitution totale Étant limité par le nombre de caractères pour du château ain de garder un écrin de ruines. cet article et n’étant pas spécialiste en la matière, je vais Il y a bien entendu des ratés et des inexactitudes. me limiter à un exemple de restauration de Viollet-leDuc. Un exemple ô combien célèbre, le seul et l’unique Viollet-le-Duc gomme l’aspect fortiié du château, pensant que Pierrefonds était une résidence princière château de Pierrefonds dans l’Oise. alors qu’il s’agissait vraisemblablement d’un fort pour ème ème garnisons. Cet édiice de la in du XIV - début du XV siècle, construit par Louis Ier d’Orléans, était en ruine Ce sont ces erreurs et cette méthode de restauquand Napoléon Ier l’acheta en 1813. En 1857, Napoléon III charge Viollet-le-Duc de le restaurer ce qu’il it avec ration « totale » qui valent à Viollet-le-Duc son image grande joie et diligence. Les théories de restauration de Bad Boy du Patrimoine. Mais il ne faut pas oublier d’Eugène sont claires et nettes : « Restaurer un édiice, qu’à l’époque la restauration n’en était qu’à ses babilce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le lements, encore loin de l’éthique et des techniques acrétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais tuelles. Viollet-le-Duc représente une étape majeure de existé à un moment donné ». Au revoir ruine romantique l’histoire de la restauration et des sites comme Pierreet bonjour château tout neuf, ressemblant plus à fonds posent de nombreuses questions nécessaires sur la Jusqu’où l’hôtel Excalibur de « Restaurer un édiice, ce n’est pas l’entrete- discipline. restaurer ? L’œuvre Las Vegas qu’à une bâtisse médiévale nir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans est-elle encore originelle après des resayant survécu aux un état complet qui peut n’avoir jamais existé à taurations drastiques outrages du temps. un moment donné. » ? Quelle est la place C’est beau, peutde l’invention et de être un peu trop. Pas un mâchicoulis de travers, pas de créneau branlant, la restitution dans la restauration ? Et l’on pourrait s’en on s’attend à voir Jean Marais surgir en collant avec poser encore bien plus. Bien entendu, cet article est une épée à la main. Mais malgré des théories de d’une accablante supericialité sur un sujet aussi vaste restauration pour le moins extrêmes, il est important que Viollet-le-Duc restaurateur. Il existe de nombreux de préciser que cet apparent décor Playmobil (« Viollet- livres écrits par des professionnels de la question qui ne le-Duc, en avant les histoires ») repose sur des études manqueront pas de vous éclairer bien plus sur ce jovial précises. Ce brave homme ne restaure pas de manière barbu, en attendant un biopic au cinéma. Je verrais bien complètement extravagante, il s’appuie sur ses propres Will Ferrell dans le rôle de Viollet-le-Duc et Sylvester recherches et sur ses connaissances de l’architecture Stallone en Napoléon III, mais je divague… l moyenâgeuse. Ce château n’est pas que le fruit de ses fantasmes chevaleresques mais une véritable expérience scientiique basée sur des faits et des découvertes, une Il y a depuis le vivant de Viollet-le-Duc (18141879) une dualité du personnage dans l’opinion publique et dans l’imaginaire collectif. Un gentil et un méchant, un pour et un contre, des admirateurs et des détracteurs. Qu’a fait the Purple Duke (ça claque n’est-il pas ?) pour être au cœur de ce maelstrom ?

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DOSSIER

Les coulisses de la restauration Visite d’un atelier de restauration texte : héo Le Gal

L’atelier de restauration est un laboratoire. La profession et les techniques dont elle se sert, des plus simples aux plus complexes, sont en perpétuels évolution et renouvellement. Tout doit être testé et validé, avoir passé l’épreuve du temps, avant d’être employé sur une œuvre originale. Malheureusement, les cas de restaurations mal menées ne manquent pas. Négligence ou ignorance, la question n’est plus là, il est de toute façon trop tard. Les blasons avancent bien. En arrivant en avance ce matin-là, vous découvrez un autre monde. Endormi, silencieux, presque religieux. Vous déambulez au cœur de cette cathédrale de tôle aux gargouilles et statues foisonnantes. Aucunement des originaux mais des moulages, par centaines. Ici une stèle romaine, et là, la statue d’un ange rémois. Les plus grands monuments de France font acte de présence : cathédrales, châteaux, palais, hôtels de luxe,… Ils sont tous là, à Saltegourde, dans les locaux de la SOCRA. Cette société de restauration et de création d’œuvres d’art fut crée en 1963. La SOCRA est une entreprise privée, une iliale du groupe VINCI. Elle est actuellement dirigée par Patrick PALEM, architecte en chef des monuments historiques. La société possède deux ateliers, l’un à Périgueux et l’autre à Nanterre. Après avoir diversiié son champ d’action dans le domaine de la restauration (pierre, métal, mosaïque et pavement), l’entreprise se lance dans la création d’œuvres d’art pour des artistes contemporains tel Loris Gréaud dont on peut admirer la sombre statue sous la pyramide du Louvre. Parmi les œuvres restaurées par la SOCRA, on trouve la Statue de la Liberté parisienne mais aussi le quadrige du Grand Palais qui igure aux côté des mosaïques antiques de Vaison-la-Romaine. Les blasons sont terminés. Flambant neufs, à la hauteur du palais de la Légion d’Honneur, à Paris, où ils seront bientôt visibles. Le vernis de protection est apposé, les emballages sécurisés et vous avez déjà changé d’activité. La mosaïque, jeu de tesselles colorées, vous attend. Si votre patience a été mise à rude épreuve jusqu’ici, ce n’était rien avant la pose de tesselles. Mais chaque chose en son temps, loin d’être un restaurateur

C’est au cœur de la zone d’activité de Saltegourde, dans la banlieue de Périgueux, que vous trouverez des merveilles insoupçonnées. Après avoir passé une grille, trois portes et autant de codes, vous arrivez dans le tumulte d’un atelier dont l’activité bat son plein. La poussière, l’odeur de colle, de vernis et de peinture vous révèle que votre tenue n’est pas adéquate. D’une inactivité totale, on vous repère assez rapidement. Les présentations sont brèves et les consignes abondantes. Tout à coup, vous réalisez que vous êtes assis sur un tabouret, pinceau à la main, une œuvre trônant devant vous. Des sentiments contrastés s’entrechoquent. Anxiété, désarroi, impatience. Aucune inquiétude, personne ne vous aurait laissé toucher à ce blason de la République, et de la IIIème qui plus est ! Le responsable de chantier se charge de votre instruction. Les gestes deviennent mesurés, vous n’aurez pas le droit à l’erreur, ou presque ! En restauration, une chose à savoir, un coup de pinceau appliqué est un coup de pinceau en moins à rattraper. Un calme relatif semble s’être installé, commenceriez-vous à entendre quelque chose à la restauration d’œuvres d’art ? La concentration, et l’application qui en découle, sont votre fer de lance. La mesure en tout, votre outil le plus iable. Le blason est vraiment en piteux état. Les initiales de la République, couronnées par des feuilles de chêne et de laurier, se détachent, rouillées jusqu’à l’os, d’un fond aux couleurs passées. Vos outils sont ceux du peintre : pinceaux et peinture acrylique. Mais que disje, patience voyons ! Il vous faut, avant d’appliquer la peinture, retrouver les teintes d’origine car quel bleu choisir parmi la dizaine entreposée dans la réserve ? Le bleu, le blanc, le rouge et maintenant il vous faut retrouver la teinte chromée des initiales et de la couronne végétale. Aucun pot ne correspond. Un relent d’angoisse vous envahit. Ce n’est qu’après trois jours d’intenses recherches et d’expériences assidues que vous aboutirez à la teinte originale à coup de couleurs argentée, étain et d’une pointe de noir qui fait toute la diférence. Pour la brillance, il suira d’appliquer un produit prévu à cet efet. 20


conirmé, c’est le décaissage qui vous attend. On vous remet une scie à diamant et un pan de mosaïque (art nouveau) emprisonné dans sa gangue de colle, appliquée lors du prélèvement in situ. Votre mission, la retirer. Lunettes et masque de protection en place, vous mettez en marche la scie et vous vous retrouvez blanc de la tête au pied. L’engin a servi à la découpe d’un moule et n’a pas été nettoyé. Sans les éléments de protection minimaux vous auriez pu perdre la vue. L’efervescence de l’atelier ne doit pas vous leurrer, c’est un endroit où les dangers sont multiples et permanents. L’équipement de protection ne doit pas être négligé et l’attention doit être permanente. Vous avancez à bonne allure avec la scie mais c’était compter sans le doyen de l’atelier qui vous l’échange contre le marteau et le burin, bien plus eficace et précis à son avis. Serait-il en train de se jouer de vous ? Assurément pas, on vous apprend à bien faire même si vous devez le payer de quelques ampoules. À midi, vous faites connaissance avec une équipe de passionnés, issus d’horizons diférents. L’historien de l’art côtoie le compagnon chaudronnier et l’ingénieur du patrimoine, le responsable de chantier, dont l’expérience est indispensable. Tous ont leur spécialité et tous apportent leur pierre à l’édiice. Une restauration est l’œuvre d’une équipe. Et gare à celui qui se prendrait pour le nouveau Michelangelo. Il faut rester humble devant des œuvres dont la qualité plastique et conceptuelle nous dépasse. Nous ne sommes là que pour lui permettre de perdurer et non pour la remodeler. À ce sujet, l’Unesco exige que, placé à courte distance, les actions de restitutions soient discernables de l’original (dans le cas d’une mosaïque fragmentaire par exemple). Là sont les limites à ne pas franchir. Le midi c’est aussi le temps des histoires. Souvenirs de chantiers, échecs et réussites, il y en a pour tous les goûts. Chacun fait part de son expérience avec une certaine ierté, seule récompense du restaurateur. Artisan de l’ombre, il permet aux monuments de perdurer et de resplendir de plus belle car alors que nous ne seront plus, eux seront encore là. l

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Pour plus d’infos sur la SOCRA et son activité : www.socra.fr

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Interview d’une élève à l’INP Retauration propos recueillis par Pauline Corrias

Parce que le thème de ce dernier numéro est la Restauration avec un grand R (je ne comprends pas pourquoi tout le monde pense toujours cuistot quand je parle de ça), il m’a semblé plutôt sympa pour vous autres, pauvres âmes en quête d’orientation, de vous faire partager l’expérience d’une amie aujourd’hui étudiante en première année de restauration à l’Institut National du Patrimoine. Cette amie, nous l’appellerons Marie pour garantir son anonymat. Louvr’Boîte : Salut Marie ! Alors pour commencer, je voulais te demander quand tout a commencé pour toi ? Marie : Pour être honnête, c’est en première que j’ai commencé à vouloir être restauratrice, c’est à la fois vieux et pas vraiment. En fait, j’étais tombée sur un reportage à la télé concernant ce métier, et une ou deux expositions plus tard j’étais décidée.

LB : Est-ce que tu pourrais nous parler des modalités du concours de l’INP ? Marie : Alors déjà, ce qu’il faut savoir, c’est qu’il est très diicile d’obtenir des informations (surtout de la part de l’INP) donc il faut vraiment s’y prendre à l’avance, ne serait-ce que pour ne pas louper la période d’inscription au concours. Au niveau des admissibilités, les épreuves ont lieu courant février et c’est à cette époque qu’il faut choisir sa spécialité entre arts du feu, peinture, sculpture, arts graphiques, photographie, textiles et mobilier. Il y a une épreuve d’histoire de l’art qui consiste en l’analyse de 4 œuvres au choix sur les 25 proposées. Contrairement aux commentaires de cliché de l’École, dans cette épreuve il faut tout particulièrement insister sur les techniques de création, mais le bonus, c’est le cartel fourni. Puis, il y a une épreuve de dessin, soit académique (c’est-à-dire au trait) soit technique (ce que j’ai choisi et les cours de dessin archéologique m’ont bien servie). Enin, il y a une épreuve de sciences (mathématiques, physique et chimie) qui est de niveau baccalauréat scientiique. Les exercices sont tirés de chapitres tels que la trigonométrie, le nucléaire, les réactions acido-basiques, les réactions en oxydoréduction, les atomes, les fonctions ou encore l’optique [nda : les chapitres à réviser pour l’épreuve de sciences sont décrits sur le site de l’INP]. Les épreuves d’admission se déroulent in avril-début mai et les résultats d’admissibilité sont généralement une semaine avant, donc il faut vraiment se préparer en amont. Il y a tout d’abord une épreuve d’habileté manuelle qui se divise en deux : premièrement, il faut savoir dégager des couches picturales une à une à l’aide d’un scalpel ; et deuxièmement, il faut savoir reproduire des couleurs à l’aquarelle, ce qui peut sembler facile mais en fait retrouver exactement le même ton

LB : Est-ce que tu peux nous dresser rapidement ton parcours s’il te plaît ? Marie : Bien sûr ! J’ai passé un bac littéraire en spécialité arts plastiques avec option histoire des arts. Le bac en poche, je suis arrivée à l’École du Louvre où j’ai choisi deux spécialités très diférentes mais également très enrichissantes : Arts de l’Islam et Archéologie et histoire de l’art étrusque et italique. En même temps, je suivais les cours optionnels de dessin archéologique. Aujourd’hui, je suis en première année de restauration à l’INP [nda : ne pas confondre avec Institut National de Podologie], en spécialité arts du feu-métal. LB : Est-ce que ça a été facile pour toi de trouver des informations sur la restauration en général et les formations en particulier, notamment à l’EdL ? Marie : Avant d’entrer à l’EdL, j’avais un peu cherché et je savais qu’il y avait une formation directement postbac en Avignon [nda : plutôt spécialisée dans la restauration de peintures]. J’y avais d’ailleurs été acceptée mais j’ai préféré décliner pour venir à l’École, histoire de bénéicier d’une formation solide en histoire de l’art. Au sein même de l’École, je suis allée aux conférences sur les métiers lors des Journées Portes Ouvertes, j’étais aussi allée voir plusieurs professeurs des cours de technique de création, qui sont généralement des restaurateurs du patrimoine. Et puis en troisième année, Hélène Charabani a été d’une grande aide. 22


DOSSIER livres sur la restauration (une bibliographie était donnée par l’INP).

n’est pas si aisé. Ensuite, il y a une épreuve de copie en fonction de la spécialité choisie au départ. Il s’agit de reproduire une œuvre à raison de 8h/j pendant 5 jours. L’idée est de montrer qu’on a déjà de l’expérience dans la spécialité qu’on s’est choisi. Enin, on passe un oral qui commence par le constat d’état d’une œuvre muséale (pas de cartel cette fois-ci), c’est-à-dire un commentaire d’œuvre avec l’analyse des matériaux, des techniques et des altérations. Puis le jury interroge sur la motivation de chacun (la connaissance du métier, l’appréciation personnelle au sujet de celui-ci et l’intérêt du candidat). Enin, il interroge sur le parcours scolaire et les stages efectués par le candidat avant de poser quelques questions qui vont des questions techniques sur les matériaux, la conservation préventive aux rélexions sur l’âge et la formation du candidat. LB : Peux-tu nous donner quelques chifres du concours ? Marie : En gros, pour le concours de 2013, on était 200 environ lors des épreuves d’admissibilité puis environ 80 lors des épreuves d’admission. En in de compte, il y a eu dix-sept lauréats après modiication du nombre de place selon les spécialités [nda : pour plus d’informations, voir les annales disponibles sur le site de l’INP]. LB : Et alors comment as-tu préparé ce concours ? Marie : J’ai dû préparer les épreuves en même temps que je travaillais pour la troisième année, ce qui n’a pas été des plus faciles. J’ai clairement bachoté dans des livres de niveau bac pour l’épreuve de sciences. Je me suis entraînée au dessin chez moi et heureusement qu’il y avait les cours de dessin archéologique pour m’entraîner régulièrement. Pour l’histoire de l’art, j’ai un peu révisé les cours d’HGA du premier cycle mais globalement ça a été assez facile de ce côté-là (surtout que la plupart des œuvres tombées au concours faisaient partie du programme de troisième année). En gros, pour les épreuves d’admissibilité, je m’y suis mise dès septembre, mon temps était partagé aux deux tiers pour l’École, le reste pour les révisions du concours (vie privée = 0). J’ai commencé à réviser les épreuves d’admission tout de suite après avoir passé celles d’admissibilité pour ne pas perdre de temps. Je me suis essayée aux soudures dans le garage de papa [rires], j’ai fait deux objets en métal ain de tester plusieurs techniques [nda : c’est vraiment pour la spécialité arts du feu-métal, en sculpture c’est une épreuve de modelage, en peinture ben c’est de la peinture]. Je me suis entraînée à la maison pour défaire les couches une à une avec un scalpel, pareil pour la reproduction de couleur. Puis j’ai lu des 23

LB : Après toutes ces péripéties, dis-en plus sur la vie à l’INP, on l’a bien mérité ! Marie : C’est assez familial. Déjà, tous les professeurs et les anciens élèves appellent l’INP « la Maison », mais le plus bizarre c’est que le jour d’accueil toute l’équipe pédagogique t’appelle déjà par ton prénom alors que tu ne les as jamais rencontrés. On a des bons contacts avec les élèves des années supérieures, on a déjà fait des petites soirées, c’est très sympa ! En ce qui concerne les cours à proprement parler, le démarrage de l’année scolaire se fait en douceur, même si dès le début on a pas mal de cours : 9h-18h tous les jours du lundi au vendredi. Il y a beaucoup de cours de pratique (dessin, modelage, photographie), mais aussi des cours de chimie, de langue, d’iconologie, des cours sur les matériaux du patrimoine (pierre, plâtre, métal, bois) c’est-à-dire qu’on regarde chaque matériau au microscope et qu’on observe ses altérations. On a aussi des cours d’informatique et des cours de dessin académique (diférent du dessin pratique). En première année, on ne fait pas encore vraiment de restauration, ça commence un peu en deuxième année mais c’est surtout à partir de la troisième année [nda : la formation restauration à l’INP se déroule sur cinq ans et équivaut au grade master] qu’on commence à restaurer de vrais objets. Il y a également de nombreux stages qui se font l’été soit en chantier-école, soit en chantier des collections (où sont conviés également les conservateurs stagiaires et des élèves de M2 à l’EdL). LB : Et au niveau de la vie associative ? Marie : Très peu développée, c’est encore au stade embryonnaire même s’il y a des places à tarif réduit pour le théâtre ou l’opéra qui sont proposées. Par contre, on a déjà fait un barbecue dans le jardin de l’école et il y a des soirées informelles. LB : Le mot de la in ? Marie : Ce que je regrette le plus dans cette formation en cinq ans, c’est qu’elle est située à Saint-Denis La Plaine. Enjoy ! l


« Désirs et volupté dans l’Angleterre victorienne » texte : Pauline Corrias

I did it ! Je l’ai fait ! Oui, messieurs, dames, je l’ai fait, j’ai payé pour voir une exposition. Mais reprenons depuis le début si vous le voulez bien. Alors voilà, un jour, dans le métro, je tombe sur une aiche de « Désir et Volupté dans l’Angleterre victorienne » du musée Jacquemart-André et j’ai tout de suite su que je devais y aller, comme une évidence pour quelqu’un qui s’abreuve de littérature anglaise du XIXème siècle. Plus tard, je cherche quelques informations et c’est là que j’ai mal pour la première fois : 9,50€ pour le tarif RÉDUIT. Première hésitation : j’y vais ou j’y vais pas ? (« si t’y vas c’est bien, si t’y vas pas tant pis, si t’y vas pas j’en ferai pas une maladie » comme un super remix de Marcel Zanini (comprenne qui pourra)) Finalement, je ne résiste pas et décide de visiter cette exposition (faut dire que le titre m’a vraiment envoyé du rêve). Il faut savoir que tous les tableaux présentés appartiennent à un seul homme, Juan Antonio Perez Simon, (très) riche patron mexicain. Vous avez donc devant les yeux une toute petite part (et je reviendrai sur ce point) d’une collection aux allures d’inini. Bon autant le dire tout de suite, histoire de casser le mythe : les œuvres qui sont exposées ne sont pas des chefsd’œuvre au sens où l’entend l’édlien habitué à la maison. Les grands chefs-d’œuvre sont bien évidemment dans les musées, mais, même si ce sont des tableaux moins connus, l’exposition a l’heur de présenter des artistes majeurs de l’Angleterre victorienne (ou pas, je sais qu’elle a vécu longtemps la Victoria mais on ne peut quand même pas résumer le XIXème siècle à son règne (comment ça je chipote à cause de quatre ou cinq tableaux hors chrono ?)). On retrouve donc des grands noms tels que Waterhouse, Alma-Tadema, Burne-Jones ou encore Millais. En ce qui concerne le parcours à proprement 24

parler, je dois aussi avouer un truc : huit salles, une dizaine de tableaux au grand maximum chacune. Donc si vous avez appris à compter et que vous êtes pas trop mauvais, vous savez que 8x10 (si on a de la chance) = visite très courte. Il faut dire que ce ne sont pas des grands formats qui sont présentés, pas besoin de passer une demi-heure devant chaque peinture, d’autant plus que les petits vieux venus par cars entiers ne vous en laisseront pas le loisir. Quand je vous disais que c’était une petite partie de la collection de Perez Simon…. Et maintenant, il nous faut en venir au sujet principal : le titre de l’exposition. Parce que quand on vous dit « Désirs et volupté dans l’Angleterre victorienne », vous vous attendez quand même à voir de la courbe, à voir de la fesse. Alors je vous arrête tout de suite, déjà point d’homme représenté (pour ça allez voir « Masculin/Masculin » au musée d’Orsay si ce n’est pas déjà fait), uniquement de la courbe féminine et l’on sait tous que ce n’est pas ce qui est le plus en vogue à l’EdL. Et pour parfaire le tableau, il doit à peine y avoir trois ou quatre représentations de femmes dénudées (pas forcément toutes nues). Donc pour bien expliquer l’ambiance qu’on y observe, je citerai seulement une visiteuse : « Elles me laissent froides, ces femmes ! ». Ah ! Et j’avais dans l’idée au départ de quand même vous conseiller d’aller voir cette exposition si vous en aviez le courage (enin, pour ceux qui n’ont pas déjà fui devant le prix, la collection, le temps de visite). Mais je viens de tomber sur un site Internet (http:// desirs-volupte.com/fr/lexposition-1/le-parcours) qui retrace le parcours entier de l’exposition, avec des informations plus complètes que dans le musée et même carrément des notices d’œuvre, sans oublier des clichés avec possibilité de zoom. De quoi visiter l’exposition gratuitement, tranquillement (comprenez sans la masse de visiteurs) à la maison. A bon entendeur ! l


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L’expo Georges Braque : La vie de l’artiste à vol d’oiseau texte : Alizée Sabouraud - illustration Marine Bottton

Une expo sur un peintre qu’on disait « braqué » sur le cubisme, contemporain de Picasso et dont on a souvent confondu les œuvres avec ce même peintre espagnol ? Hermétique à l’art contemporain, je me suis tout de même laissée entraîner par la curiosité que me guide ma toute jeune conscience édlienne… Reportage.

œuvres, touristes obligent). L’exposition est d’ordre chronologique, ce qui permet une certaine continuité entre les tableaux. Je dois vous l’avouer, l’afiche était prometteuse, deux oiseaux blancs sur un fond jaune et rose, qui vous invitent au rêve et à l’évasion… Eh oui, je me suis fait berner. En réalité, les œuvres de ce peintre argenteuillais sont un peu

le mur nous apprend que Braque s’est découvert une passion pour les papiers collés aux alentours de 1912. Inutile de vous dire, que face à un « Oh, que c’est magniique ces papiers de journaux collés » d’un couple à côté de moi, j’ai murmuré « Oh, que c’est moche ». Ils ne m’ont pas entendu heureusement, j’aurais eu trop peur de leur ouvrir soudainement les yeux et de les dé-

Installée au Grand Palais, du 18 septembre 2013 au 6 janvier 2014, l’expo retrace la vie de Georges Braque (1882-1963). Avec la fameuse carte V.I.P., vous bénéiciez de la gratuité et si vous avez de la chance, les vigiles vous laisseront utiliser l’accès coupe-ile, ce qui est normalement impossible. Mais avec un peu de charme et de persuasion, on arrive toujours à ses ins (oui oui, vous sentez l’odeur du vécu). Le lieu est magniique et immense, pas loin de dix salles traversées au cours de mon périple pour m’approcher au plus près de la vie de Georges Braque (et non pas des

plus… sombres. Cependant, au commencement de sa carrière et donc de l’exposition, Braque s’est approché du fauvisme. Impressionnée, je me suis entendue dire « Finalement, j’aime bien Braque. C’est un peu une révélation, je ne pensais pas que ses œuvres pouvaient être aussi colorées. ». Et non, jeune naïve ! Il ne s’agit que d’une partie de sa carrière ! Dès 1908-1909, l’artiste s’essaie en efet au cubisme. Les œuvres prennent une toute autre tournure, et mon enthousiasme est retombé comme un soulé. Mais le pire reste à venir. Dans une autre salle, une rapide présentation sur

cevoir, mais bon après tout, tous les goûts sont dans la nature ! Certains petits recoins, plongés dans le noir, sont dédiés à la vie personnelle de Braque : ainsi, on peut voir des témoignages de sa mobilisation lors de la Grande Guerre, et des documents manuscrits attestant de son amitié avec Picasso, Apollinaire et bien d’autres… Les natures mortes sont intéressantes. Elles me permettent de mettre en pratique l’expression gestuelle : tournant la tête de 90° vers la droite, penchant légèrement mon buste dans cette même direction et tenant en équilibre sur un

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B pied (non là j’exagère), j’essaie de découvrir où se trouve ledit compotier qui igure dans le titre Compotier et cartes (1913). Je savoure ma victoire quand je l’ai enin discerné. Avis à tous les ophtalmologues : pas besoin de faire vos tests de vue, emmenez plutôt vos patients à l’expo Braque ! Certaines salles sont vouées aux lubies de l’artiste : ici, on ne voit que des Canéphores, là une série de Billards. La série des Ateliers entre 1949 et 1956 relète toujours le modernisme de ce peintre, mais il est assez touchant de voir les représentations que l’artiste fait de son lieu de travail car on peut y apercevoir des objets de la vie quotidienne du peintre, comme la carafe présente dans Atelier I (1949). Néanmoins, lorsque je descends l’escalier, je

glisse à celui qui m’a accompagné : « Si on descend, c’est sûrement parce que l’exposition est bientôt inie. » Il me répond : « On sent de l’espoir dans ta voix ! ». Moi ? Non, non, pas du tout ! Absolument pas ! Ou peut-être bien que si… Saviez-vous que l’artiste avait peint des Oiseaux pour le plafond de la salle Henri II du musée du Louvre ? Voilà qui est fait. Après ce plafond, l’artiste continue de peindre des Oiseaux, et dans la salle où réside cette série est exposée le tableau de l’aiche qui m’a dupée : L’oiseau noir et l’oiseau blanc (1960). Ces notes douces atténuent le côté obscur (majoritairement présent selon moi) de l’exposition. Avant de s’éteindre, Braque peindra ses derniers paysages de Varengeville, qui constituent une des der-

nières salles de l’expo. Cette expo m’a inspirée tout de même beaucoup de respect pour l’artiste, qui en son temps, s’est essayé à la modernité, au risque du mépris de tous. Et elle m’a permis de conirmer quelque chose d’important : je n’ai aucun regret de ne pas avoir choisi la spé Art contemporain. On se demande bien pourquoi … l

Pour plus d’infos : Grand Palais : RMN Avenue Winston Churchill 75008 Paris Tel : 01 44 13 17 30 www.grandpalais.fr

Masculin / Masculin texte : Frédéric Eberhard - illustrations : notesdemusées.blogspot.fr - Apolline & Solveig Pauvert

«L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours»; par ce titre s’ouvre de manière quelque peu stérile une exposition qui ne peut par son thème que soulever moult critiques au travers d’une approche qui ne sera de toute façon pas de tous les avis : «Masculin / Masculin», qui a lieu au musée d’Orsay en ce moment même et ce jusqu’au 2 janvier 2014 - si les nombreux éphèbes dénudés qui parent les murs publicitaires du métro n’auraient encore attiré votre regard et pris une place dans votre agenda, vous n’avez désormais plus d’excuse pour rater ladite rétrospective. Quelle approche alors dans cette exposition, et pourquoi me permettre d’ouvrir cet article par la mise en valeur de la critique? C’est qu’il me semble que la critique a justement, et pas forcément dans le sens préconçu, quelque chose à amener à l’approche ; laissezmoi m’expliquer.

Certains s’attendaient au contrepoids du féminin - masculin qui eut lieu au Centre Pompidou (19951996), et donc, suite à la mise en valeur de la sexualité entre hommes et femmes dans l’art, à un accent teinté d’homoérotisme ; non déçus par les oeuvres, ils le furent du moins par une présentation qui n’a su réellement se revêtir d’un quelconque sentimentalisme LGBT. De même, les puritains de la beauté classique, les avant-gardistes ne se penchant que sur l’après-guerre ou les névrosés des thématiques historio-chronologiques (dont je suis habituellement) auront quelque diiculté à s’y retrouver, les thématiques parfois douteuses entraînant un mélange de styles et d’idéologies contextuelles relevant souvent du capharnaüm, il est en efet impossible de trouver « salle à son goût ». Cependant, est-ce absolument critiquable ? Il est vrai qu’au fond cela permet à un public bien fermé 26


B tard, comme un autoportrait de Schiele; et ce qui est fascinant, c’est que l’on soit écorchés, et non rassurés: le nu n’étant pas qu’un nu extérieur, mais aussi un nu intérieur, tel qu’autre que Schiele, Bacon a aussi su le démontrer ; le corps est retourné, la psyché est mise à nu, et tout son contenu avec, exposé en vrac.

dans ses préjugés esthétiques de découvrir des choses nouvelles, même si parfois les oeuvres vont si loin que même la thématique de base (le nu) s’y retrouve diicilement dans une abstraction qui ne laisse plus beaucoup de place au iguratif, tel l’Homme en noir (2008) d’Henri Foucault*. Néanmoins, je ne me permettrais pas de critiquer sans ambages une exposition qui, au fond, a su se permettre de regrouper des artistes aussi diférents que Pierre et Gilles, Kehinde Wiley, Francis Bacon, von Gloeden, Breker, Bouguereau, Schiele, Giraud et j’en passe ; car il est vrai que de même que le rapprochement de tant de courants fait un peu marché aux puces, de même cela n’est au fond que le concept et l’intérêt d’une rétrospective, avec comme seul élément visé par la critique une mise en valeur particulière qui « force » le public à la tolérance des mélanges inattendus ; intéressons-nous alors à la raison qui fait qu’il s’agisse là d’un forcing, plus qu’à critiquer gratuitement, car au fond, j’aime bien les bricà-brac qui forcent à chiner. Que nous révèle donc la présence d’une telle critique vis-à-vis de cette exposition ? Celle-ci réveilleraitelle quelques sentiments inconscients profondément enfouis dans notre psyché socioculturelle, provoquant inévitablement un rejet digne de celui des salons? N’oublions pas que, faisant suite à la «Näckte Männer» de Vienne, elle n’est que la seconde dans son domaine à nous proposer de purement et simplement mettre l’homme à nu - ce qui n’est pas sans signiication, et provoque assez facilement un sentiment de dérangement à la sortie. C’est ainsi que le mélange a aussi du bon : on se retrouve soudainement projeté dans un fatras de corps dénudés digne de celui qui règne dans notre inconscient collectif ; les oeuvres fascistes exaltant la plus froide virilité de l’homme-soldat se retrouvent proches des idéaux homoérotiques greco-romains ou romantiques, les christs en croix sont mis au niveau des amants d’Andy Warhol ou des stars provocatrices actuelles ; nos sentiments ne peuvent qu’alors inir écorchés, tôt ou

Mettre côte à côte des oeuvres qui dans notre iconographie sociale sont si disparates, par le rapprochement thématique le plus simple du monde, le fait qu’il s’agisse encore et toujours d’hommes nus, choque. On se retrouve perdus dans notre culture comme le jeune homme du Plâtres dans l’Académie des Beauxarts d’Herbert List* l’est parmi les ruines allemandes de 1946 ; qu’entends-je par là?

Pareille proximité nous a simplement révélé à quel point ce que nous cloisonnons comme faisant partie de mondes séparés est en réalité proche, et le contraste vibrant entre les diférentes manières de représenter l’homme dans l’habit d’Adam n’en est que relativisé ; l’idéologie de représentation et d’approche est rendue nulle, en ce monde où tout se côtoie désormais ne serait-ce que par Internet, dans une exposition universelle touchant à un touchant ridicule : tous ne sont que, et simplement, des « hommes nus », déconstruisant nos modèles de hiérarchisation et de cloisonnement socioculturels. Nous voici ainsi assis dans les ruines des pensées qui ont formé notre fond culturel, comme on le serait dans des ruines d’après-guerre; entendons par «ruines», témoignages du passé. 27


Le «politiquement correct» n’y ayant évidemment pas sa place, cela ne me fait dès lors que peu m’étonner de constater les réactions passablement moroses des médias (cf. l’article du Monde Au Musée d’Orsay, « le grand bazar de la virilité ») face à cette exposition. Cela ne veut en rien signiier que les diférentes approches du corps de l’homme au travers des mouvements de pensées politico-artistiques n’aient de valeur que relative ; leur valeur est absolue lorsqu’inscrite en un temps, en un contexte ; il s’agit de la vérité d’une époque et d’un lieu, ou du moins de la volonté de vérité exprimée par l’honnêteté présumée d’un nu. Vérité métaphysique, existentielle, virile, languissante, érotique ou morbide de l’essence du masculin ; mises ensembles, toutes ces vérités inissent par traduire non une vérité de type manichéenne et simpliste, mais au contraire la diiculté de la recherche que l’homme consacre à se comprendre lui-même, et des modèles qu’il s’érige pour ce faire, aussi opposés en apparence qu’un Saint Sébastien martyr de Guido Reni* et qu’un Grand Guerrier d’Antoine Bourdelle* soient-ils, possédant tous leur part de réalité. Ajoutons à cela le malaise de l’homme face à une sexualité qui ne fait que reléter ce mal qu’il a d’appréhender son existence lorsque cela est injustement fait de manière mécanique, simpliste, presque industrielle

et non intuitivement humaine et dès lors variée comme l’échelle de Kinsey, et l’on a ini de déranger ; hélas l’exposition ne touche pas cette profondeur d’âme ; nous épargnant certes le pur lobbying LGBT, elle exclut aussi par ailleurs une profonde approche de l’homoérotisme tout court, de manière passablement décevante. Passons ; ce qui dérange est ce qu’il y a au inal de plus constructif - par la déconstruction préalable des idées reçues ; il s’agit en général soit du fruit d‘une audace recherchée ou du plus pur hasard ; savoir en l’occurrence s’il s’agit d’audace ou d’un heureux hasard de la part d’Orsay, ce sera à vous d’en juger. Je mise pour le hasard, regrettant tout de même la stérilité de thèmes choisis pour le regroupement des oeuvres ; regroupements étonnants, certes, mais sous l’égide d’un conformisme ennuyeux qui se relète dans le manque de subversif et de profondeur des analyses d’oeuvres présentes. Fort heureusement, les oeuvres parlent d’elles-mêmes, suit au public de savoir regarder d’un oeil nouveau et introspectif et, comme on nous le dit en cours, «à nous de nous faire l’oeil». l

NB. Je rappelle ici pour ceux qui sont intéressés par les thématiques du corps et de la sensualité dans l’art l’existence du groupe Polychrome qui passa hélas quelque peu inaperçu en ce début d’année, et les encourage à se renseigner sur la page Facebook «Polychrome - Edl». Une visite de l’expo avec un regard sûrement plus pointu que celui d’un visiteur lambda est prévue le 30 novembre à 13h, menée par Laurence Tardy (Gratuite).

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B

NÉCROLOGIE : «À LA SPÉCIALITÉ ICONOGRAPHIE» par Zanobius Escarteigue - illustration : Sarah Moine En cette rentrée, l’École du Louvre met in à un suspens de près de trente ans en transformant la spécialité Iconographie en option. Les débats publics entourant cette réforme auront peut-être parus discrets aux oreilles des étudiants. Et pour cause, il n’y en a eu aucun. Quelques-uns des arguments qui ont motivé cette disparition sont néanmoins assez bien connus. Sans vouloir réveiller une polémique tuée dans l’œuf par le pouvoir Central, j’aimerais quand même, pour rendre hommage à ce cours, essayer de défendre sa cause. J’espère que mes adversaires, me voyant lutter contre le vent sur une tombe encore fraîche, me pardonneront cette naïveté. #1 : le cours de spécialité Iconographie n’a pas d’objet propre. Voilà peut-être l’argument majeur avancé contre cet enseignement. L’École du Louvre est une école scien-ti-ique, son enseignement de premier cycle se veut objectif c’est-à-dire au premier sens du terme, basé sur des objets. Toute spécialité de l’école se doit donc de former les élèves à la connaissance de certains objets matériels précis, ce que ne permettrait pas l’iconographie. Mais il faudrait peut-être se pencher attentivement sur le nom même de la spécialité, composé des termes « Icônos » et « graphè », ce qui signiie, en somme « la description des images ». L’image est l’objet de l’iconographie, invariablement. Ce qui varie par contre, c’est son support. L’image peutêtre sculptée, peinte, gravée (et même décrite, voire seulement imaginée, mais n’entrons point dans des sphères trop éloignées de notre bonne vieille Histoire de l’Art). Si je ne m’abuse, l’image est un des objets centraux de l’histoire de l’art occidental. Il ne paraît dès lors pas bête d’étudier la manière par laquelle une même image, quel qu’en soit le support, a pu traverser les siècles et les continents, conservant ou adaptant ses signiications initiales au il de ses déplacements. Juste comme ça, un des sujets de dissertation en Renaissance (qu’on m’explique l’objet spéciique de la « Renaissance

») matière de l’enseignement de tronc commun, en mai dernier, était « la difusion des images à la Renaissance ». On pourrait juger de la pertinence des arguments des procureurs de l’Iconographie en évoquant deux autres spécialités. Prenons par exemple la spécialité Cinéma. Certes, l’art cinématographique repose sur l’emploi objets précis, et le traitement du support, pouvant inluencer l’image projetée, est une donnée fondamentale. Que l’on m’explique cependant ce que l’étude des « Nuages », de « Greta Garbo » ou de « l’idiotie chez Godard » a à voir avec le support matériel ? Ne seraient-ce pas là des problématiques iconographiques ? Pourtant personne n’oserait même remettre en question la légitimité de cette spécialité (ce que je ne fais pas, si vous me suivez bien, tout au contraire). Mais basta, penchons-nous sur la spécialité Art Contemporain. J’espère que l’on me pardonnera certaines lacunes et maladresses. Il me semble quand même bien que la notion d’« objet » est sérieusement ébranlée en ce moment, et même depuis un bout de temps (mais je ne vais pas commencer à incriminer les vingtièmistes, sous peine d’ouvrir un débat interminable). Ceux qui connaissent les théories de Sol LeWitt sur l’existence matérielle de ses œuvres doivent trouver bien prudes les théories des iconographes. #2 : Il n’existe pas d’institutions consacrées à l’Iconographie « Pas d’musée, pas d’spécialité », telle pourrait être le sous-titre cet argument. Sauf que. Promenonsnous sur internet pour voir les programmations des musées en cette rentrée 2013 : deux grandes expositions sont consacrées à la représentation de la musique en peinture : à la National Gallery de Londres, Vermeer et la musique et à ce cher musée de la Renaissance d’Ecouen, Un air de Renaissance. Quel est l’objet de ces expositions ? Au hasard, l’image d’une certaine pratique ? Un petit peu à voir avec les problématiques de la peinture, un petit peu avec celles de la musique, le tout avec un soupçon de philosophie et d’histoire : de l’Iconographie

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B quoi. A noter que la National Gallery présente aussi l’exposition de l’artiste contemporain Michael Landy, Saints Alive qui, en plus de réutiliser l’iconographie des saints, prouve toute l’actualité de la matière et le potentiel de subversion qu’elle présente, de quoi faire « d’une pierre deux coups » en faveur de l’Iconographie. Alors évidemment, il y a peu d’expositions permanentes reposant sur cette matière exclusivement (si l’on excepte les musées d’art sacré…) mais les expositions temporaires sont réalisées par les musées, qui sont, jusqu’à preuve du contraire, des institutions, on peut dire que l’Icono possède quand même des institutions, non ? En parlant vite, je me trahis : le terme « icono » est propre aux élèves de cette « spé ». C’est aussi un raccourci qui rapproche l’Iconographie de l’Iconologie. La seconde peut être le prolongement de la première (mais les exercices de déinition sont périlleux…). Quoiqu’il en soit l’Iconologie possède, elle, à coup sûr, des institutions à commencer par l’institut Warburg de Londres. Et si vous êtes toujours sceptiques, tapez donc « Iconology » dans une barre de recherche. Dans le cadre des cultural studies, la discipline a connu un regain d’intérêt outre-Atlantique et noue des liens avec l’anthropologie, la sociologie etc., dans un contexte contemporain. Emoustillant, je vous assure. #3 : L’Iconographie couvre une trop grande période chronologique Aïe, l’Ecole du Louvre, qui propose un cours de tronc commun qui va de -17 000 ans avant le Christ à +1971 ans reproche à une spécialité de couvrir l’immense période qui va de l’apparition de l’art chrétien (résumons : à partir du IIIème siècle) jusqu’au XIXème ? Il faut remarquer qu’en pratique, les cours ne balayent jamais une telle période, chaque année le programme se cantonne soit à un ou plusieurs monuments proches dans le temps (la chapelle Sixtine entre 2010 et 2012 ; les mosaïques paléochrétiennes jusqu’à Ravenne en 2012 / 2013) ou à un type de sujet de représentation dans un contexte particulier (la réapparition des dieux païens à la Renaissance en programme « antique » 2012 / 2013). Rien à voir avec un cours de spécialité « histoire

de la mode » qui couvre, en trois ans, un demi-millénaire d’histoire de l’habillement. Si l’on se cantonnait à la lecture des noms des spés « Art de l’Afrique » ou spé « Art Indien », on pourrait pareillement croire que le programme couvre plus de deux mille ans de création, sur des aires bien plus grandes que l’Europe. Pourtant personne ne s’ofusque du raccourci que présentent les noms « Indien » ou « Africain », qui trahissent tout de même un je-ne-sais quoi d’eurocentrisme. # 4 : L’Iconographie en option et en HGA, c’est suisant Le calcul est simple : 20 heures de CO + 20 heures de CS + 20 heures de TP = 60 heures de cours de spécialité par an. 9 heures de cours d’HGA + 10 heures de cours d’option (soyons optimistes) = 19 heures de cours dans la coniguration actuelle. On argue : « oui mais avant seuls les élèves inscrits pouvaient assister aux cours ». Au cours de TP oui, ce qui fait tout de même 40 heures de cours par an en accès libre, dans les amphis Rohan et Michel-Ange, auxquels n’importe quel élève peut accéder. Les professeurs auront désormais moins de temps de parole, les élèves moins de contenu et ne pourront pas aussi bien s’immerger dans la matière. J’imagine que peu de gens se seraient lancés dans le pari de la double-spé avec l’iconographie, mais ils étaient tout de même nombreux à venir, en dilettantes, à quelques cours par-ci par-là, et à les apprécier. Ma défense a été longuette et peut-être fastidieuse, que les élèves inscrits dans les spécialités survivantes citées plus haut ne s’imaginent pas pris à parti. J’essayais bien au contraire d’utiliser le succès de leur discipline pour souligner, en contraste, le drame que peut constituer la disparition de l’Iconographie. Disparition… Rien n’est déinitif et le tombeau de notre spécialité est peut-être vide, la pierre roulée sur le côté, servant de siège à un inconnu vêtu de blanc. Oui, les futurs anciens élèves de la spé parient déjà sur le retour glorieux de cette matière à l’Ecole. En attendant, il faudra garder la foi. l

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«Lucia di Lamermoor» On vous dit « opéra » et vous répondez « pâtisserie parallélépipédique au goût chocolat-café » ? Cette rubrique est pour vous. texte et illustration Marine Bottton

Le B.A.-BA de LuciA

qu’Edgardo est tombé pour une autre. Elle signe alors du même geste le contrat de mariage et sa propre in car la pauvre sombre dans la folie et assassine dès la nuit de noce son nouvel époux. Edgardo, apprenant la perte de sa bien-aimée, décide de retourner son arme contre lui et la rejoindre à jamais.

Lucia di Lammermoor est un opéra en deux parties et trois actes composé par Gaetano Donizetti en 1835. Le livret de Salvadore Cammarano s’inspire du roman de Walter Scott he Bride of Lammermoor (1819). Dans l’Écosse de la in du XVIIème siècle, les clans Ashton et Ravenswood s’opposent depuis des générations. Enrico Ashton réussit à s’emparer du château de ses rivaux mais il est ruiné et compte bien marier sa sœur Lucia au riche Arturo Bucklaw pour se refaire. C’était compter sans les vœux déjà échangés par Lucia et Edgardo Ravenswood. Enrico intercepte le courrier des deux amants ain de forcer sa sœur à accepter le mariage. Écartelée entre le désespoir amoureux et le devoir ilial, Lucia init par céder, convaincue

Le suBLime

Le thème de la folie parcourt toute cette œuvre qui se situe entre bel canto et romantisme. Il est en efet un moyen extraordinairement eicace pour faire vibrer la corde de la virtuosité des chanteurs (vocale et expressive) ainsi que le dramatisme de l’action. La scène emblématique de la folie (il dolce suono, Acte III) met notamment à l’épreuve la soprano qui incarne Lucia (vous pourrez 32


en juger en regardant le Cinquième Élément ; mais si, vous savez, cette femme bleue avec des spaghettis sur le crâne (alias Maïwenn en diva Plavalaguna, eh oui...) interprète justement cet air).

une mise en scene AudAcieuse Un second thème est primordial dans cette œuvre : celui de la brutalité, de l’autoritarisme des hommes face à la frêle Lucia. Il y a en premier lieu celui d’Enrico Ashton, marieur réduisant sa propre sœur à l’état de monnaie d’échange politique et pécuniaire, puis vient Arturo Bucklaw, propriétaire d’un soir de la jeune ille, violeur sitôt puni par sa victime, et enin Edgardo Ravenswood, séducteur puis bourreau, il menace Lucia du pire après avoir appris le mariage, avant son rachat par l’épée. C’est ce thème qu’Andrei Serban a choisi d’éclairer – et de la façon la plus crue – dans sa création pour l’Opéra de Paris en 1995 reprise en cette rentrée 2013. Où sommes-nous ? Le décor, aux matériaux imitant métal et béton, est une vaste arène de laquelle des hommes en frac et haut-de-forme observent l’action. Gymnase, chambrée militaire et cirque se succèdent. On est certes loin des landes écossaises et leurs manoirs fréquentés par les esprits, ou pas. La scène reste toujours hantée par ces hommes voyeurs et commentateurs

prenant place dans les gradins (en ferions-nous aussi partie ?) et qui assistent à la descente aux enfers de Lucia, comme on venait aux séances du professeur Charcot à la Salpêtrière. Ces choix ont provoqué un tollé général lors de la création en 1995. Déjà mis à mal par un décor abhorrant l’historicisme, l’auditoire fut achevé par les acrobaties imposées aux chanteurs (ils doivent efectivement crapahuter sur des passerelles à quelques mètres au-dessus du sol et garder une égale qualité de chant, ce n’était peut-être pas nécessaire). Pour ma part, je trouve que cette mise en scène est tout à fait cohérente et pertinente pour ce que cherche à montrer Serban, c’est-à-dire que Lucia est en efet cernée par des hommes dangereux qui, sous leurs airs de victimes, la compressent et la tordent jusqu’à la détruire déinitivement. L’aspect très froid et mécanique de ce décor d’inspiration industrielle met vraiment en valeur le caractère irrévocable de la décision d’Enrico Ashton, ainsi que l’inéluctable processus qui mène la malheureuse Lucia à la folie. Aujourd’hui, le temps semble avoir fait son œuvre car si certaines personnes restent choquées de l’interprétation d’Andrei Serban, la plupart acceptent ces choix de mise en scène, sachant que dans le fond, le chant est bien au-dessus de toutes ces considérations et qu’il est particulièrement admirable en cette rentrée de saison.l Bel canto : mode de chant en usage entre 1680 et 1820 environ, caractérisé par une agilité virtuose et une forte expressivité.

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ActuAlités texte : Olivier Renard

Paris est une des villes qui possède le plus de cinémas dans le monde, mais il en est certainement de même pour les théâtres ! Entre les grands noms et ceux de quartier, il n’est toujours facile de s’y retrouver et impossible de ne rien louper. Heureusement, il existe quelques événements comme le «FESTIVAL D’AUTOMNE», qui a lieu de septembre à décembre/janvier, et qui regroupe une sélection assez éclectique de ce qui se présente dans notre capitale nationale. Voici quelques spectacles proposés pour le mois de novembre (liste non exhaustive donc) : [Musique - Allemagne] Karlheinz Stockhausen - Trans / Bassetsu Trio / Menschen Hört / Unsichtbare Chöre Mercredi 13/11 à 20h - Cité de la Musique

[Danse - Brésil] Lia Rodrigues - Pindorama Du 21 au 26 /11 à 20h30 - héâtre de la Cité Internationale Du 28 au 30 /11 à 20h30 - CENTQUATRE

Bruno Beltrão - CRACKz 26 et 27 /11 à 20h30 - CENTQUATRE Du 3 au 6 /12 à 20h30 au héâtre de la Ville [Danse - Afrique du Sud] Robyn Orlin - In a world full of butterlies, it takes balls to be a caterpillar… some thoughts on falling... Du 21/11 au 01/12 à 21h - héâtre de la Bastille

[héâtre - Hongrie/Allemagne] Ödon von Horváth - Parole d’acteur / Casimir et Caroline mise en scène d’André Wilms Du 4 au 8 /11 à 20h30 - Atelier de Paris Carolyn-Carlson

[héâtre - Russie] Robert Wilson - he Old Woman* Du 6 au 23 /11 à 20h30 - héâtre de la Ville

* Place en vente au BDE pour le Jeudi 14/11 !

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Pendant ce temps-là, chez nos copains les musées (non exhaustif ) : [Musée du Louvre] - Le printemps de la Renaissance (1400-1460) - Les origines de l’estampe en Europe du Nord (1400-1470) [Musée d’Orsay] - Masculin/Masculin. L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours - Allegro Barbaro. Béla Bartok et la modernité hongroise 1905-1920 [Musée de L’orangerie] - Frida Khalo et Diego Riviera [Centre Georges Pompidou] - Le surréalisme et l’objet - Pierre Huyghe [Musée d’art moderne de la ville de Paris] - Serge Poliakof - Pecorum (tapis et tapisserie d’artiste) - Zeng Fanzhi [Palais de Tokyo] - Philippe Pareno [Musée du quai Branly] - Secret d’ivoire. L’art des Lega d’Afrique Centrale - Kanak, l’art est une parole [Musée Carnavalet] - Fantaisies parisiennes : dessins de Jochen Stücke - Roman d’une garde-robe. Le chic d’une parisienne de la Belle-Epoque aux années 30 [Palais Galliera] - Azzedine Alaïa [Musée Jacquemart André] - Désirs et volupté à l’époque victorienne [Cinémathèque française] - Jean Cocteau [Musée des Arts et Métiers] - Enki Bilal - Mechanumanimal

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Musées insolites #1

«

More corkscrews thaN you can imagine »* * titre qui provient d’un commentaire trouvé sur Internet à propos du musée

texte : Sophie Leromain - illustration : Herminie Astay

uniques en leur genre. En plus de vous permettre d’admirer un objet absolument indispensable, ce musée vous fera découvrir l’histoire du tire-bouchon, de son origine à sa fonction en passant par sa fabrication. Vous apprendrez alors que cet ustensile est un objet des temps modernes qui est apparu en même que la bouteille, en 1620. Avant, c’était plus facile, on buvait à même la barrique.

Collectionneur dans l’âme, vous n’hésitez pas à garder précieusement toutes les capsules de bouteilles de bière que vous buvez ou les tickets de métro, voire de musées que vous utilisez ? Vous trouverez alors peut-être de l’intérêt au musée insolite dont je vais vous parler et qui recense plus de 1200 objets tout de même plus dignes que de simples caps. Le « Musée du Tire-Bouchon », situé dans le Domaine de la Citadelle de Ménerbes (Vaucluse), présente des milliers de vrilles diférentes, du XVIIème siècle à nos jours, venant des quatre coins du monde. Ces pièces, soit pratiques, soit esthétiques (ça paraît assez diicile d’extraire un bouchon quand on a une tête d’Arlequin entre les mains), sont présentées au public depuis maintenant 20 ans. Certaines sont mêmes

L’histoire du musée est aussi digne d’intérêt : il a été fondé par le réalisateur de ilms Yves RoussetRouard, aussi propriétaire du domaine de la Citadelle. Si son nom ne vous dit rien, peut-être que ses ilms vous parleront plus : la série des Bronzés ou même le célèbre ilm érotique Emmanuelle, resté 10 ans à l’aiche du cinéma des Champs-Elysées. Du fait de ses relations 36


avec certaines personnalités, on retrouve dans le musée des pièces uniques données par Jacques Chirac ou même l’artiste César. Vous pourrez admirer sa compression faite à partir de 20 kg de tire-bouchons. Si vous avez été séduit par ce lieu incontournable pour les pomelkophiles (OUI, il existe aussi un nom barbare pour les collectionneurs de tire-bouchons), c’est très simple de vous y rendre depuis notre chère École du Louvre. Il vous suit simplement de prendre la ligne 1 du métro jusqu’à Gare de Lyon puis de dépenser toutes vos petites économies d’étudiant en un billet aller (le retour, c’est seulement si vous le souhaitez) jusqu’à la gare d’Avignon TGV et vous débrouiller pour trouver un taxi/louer une voiture/trouver des bus (cette dernière restant une option assez improbable) jusqu’au village de Ménerbes, qui se trouve au pied du Luberon. Petit conseil d’autochtone, si vous vous y rendez efectivement, parlez bien du Luberon et non du Lubéron si vous ne voulez pas être catalogué comme un « parigot ». Le musée vous accueille tous les jours d’avril à septembre mais est fermé le dimanche et les jours fériés d’octobre à mars. Vous avez même la possibilité, à la in de votre visite, de participer à une dégustation gratuite ! La légende voudrait que cet établissement soit unique au monde mais apparemment, il a de la concurrence avec un musée semblable dans la commune de Chablis (Yonne) et même en Allemagne avec le Korkenziehermuseum Kaiserstuhl à VogtsburgBurkeim. Si vous vous découvrez, après la visite à Ménerbes, une passion pour les tire-bouchons et que vous planiiez un road-trip en Europe pour visiter tous les musées qui y sont consacrés, je vous conseille de faire

un tour sur le site internet du CFBT, le Club Français du Tire-Bouchon. Vous pourrez peut-être rejoindre les 110 membres qui en font partie et même écrire dans leur bulletin d’information « L’Extracteur » (le nom évoquant plus un tueur en série qu’un tire-bouchon…). Cependant, si vous êtes plutôt « pomelkophobes » et que vos parents, ravis de vous retrouver pour passer du temps avec vous, vous traînent en vacances dans la région de Ménerbes, aucun souci ! L’attrait culturel de la région ne se réduit pas à ce fameux musée ! Tout d’abord, le village est classé au nombre très restreint des plus beaux de France et est réputé pour son vin et ses trufes. D’autre part, la grotte de houzon est relativement proche. Bon, elle ne vous fera pas réviser l’art pariétal des grottes préhistoriques mais vous permettra quand même d’admirer des phénomènes spéléologiques assez impressionnants. Un peu plus loin, à environ 45 minutes, se trouve la très jolie ville d’Aixen-Provence et son musée Granet où des expositions et des conférences sont organisées tout au long de l’année. Enin, la région est connue pour ses nombreux vins. Entre autres, le domaine du Puy des Arts où se mêlent vignoble, gastronomie et peinture, à découvrir dans le village d’Ansouis. Toutefois, si vous n’avez pas l’occasion de « descendre » en Provence, recherchez le soleil dans un parc en milieu de journée, débouchez une bouteille de Côtes-du-Luberon et écoutez « Le Sud » de Nino Ferrer, ça vous consolera ; le temps de la pause déjeuner, tout au moins. l

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DÉCOMMENTAIRES DE CLICHÉS #3 par Enguerrand - illustration Marine Bottton

Malgré le peu d’envie que j’avais de terminer cette série des œuvres les plus moches vues en premier cycle (et puis surtout le peu d’envie que vous aviez de me lire), la rédaction tyrannique du journal m’a forcé à la terminer. Autant vous dire que vu mon peu d’enthousiasme, ce ne sera pas brillant (si tant est que ça l’ait déjà été).

Vulcain présentant à Vénus les armes pour Énée, par François Boucher, huile sur toile, 1757 (musée du Louvre, Paris)

Carré blanc sur fond blanc, par Kasimir Malévitch, huile sur toile, 1918 (MoMA, New York)

Pique-leurs réalisé à Noron-la-Poterie (Calvados), 1834, terre cuite vernissée (MuCEM, Marseille)

Je pense que la majorité des élèves s’accorderont à dire que Boucher est plutôt incontournable dans un classement d’œuvres moches. À moins que Barbara Cartland soit pour vous une référence en matière d’esthétique. Dans ce cas-là, je pense que vous vous êtes plantés à un moment dans votre orientation. Et si vous ne connaissez pas Barbara Cartland, vous avez alors probablement raté votre vie. La toile en question représente un passage de l’Énéide où Vénus vient réclamer à son époux des armes pour son ils Énée, qu’elle a bien sûr eu avec un autre homme, qui plus est mortel. A priori, on pourrait se dire qu’elle part pas gagnante. Mais elle est maline la mère Vénus, elle a la bonne technique : venir à poil avec ses copines et une bande de nourrissons obèses. Efet garanti, surtout si tu fais diversion en oubliant pas d’apporter le stock de roses d’Interlora. Tout ceci n’a pas vraiment l’air de perturber Vulcain plus que ça, qui tend l’épée demandée à Vénus dans une connotation phallique des plus sympathiques. Enin, pour compléter l’ambiance digne d’un ilm de Brigitte Lahaye, un cyclope pervers en proite pour mater Vénus discretos. Bref, tout ceci donne bel et bien envie de passer son CAP de fondeur.

Voilà, voilà...

Ah, les ATP. Même si le prof tente de faire diversion en nous noyant sous une avalanche de graphiques, chifres et illustrations, on ne peut pas ne pas rigoler devant certaines d’entre elles. Outre l’indispensable marqueur de beurre, ou le non moins féerique panier à fromage en forme de cœur, mon attention a été retenue par ce splendide pique-leurs dédicacé à la sans doute ravissante «Augustine Seigle». Pourquoi cet objet ? Parce que c’est le type d’horreurs qu’on trouve encore chez pépé-mémé ou au détour de la grand braderie de Houilles. Le choix des couleurs, les formes courbes toutes en douceur, le décor recherché, la symbolique discrète, tout est fait pour que l’émetteur du présent d’amour puisse parvenir à pécho le récepteur (Augustine quoi). 170 ans plus tard, il trône toujours sur le bufet familial, à côté des assiettes à décor breton et des photos de votre première communion. Ou comment un coït datant du siècle dernier parvient à tuner la salle à manger.

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Le choix de la rédaction #1 Parmi nos nouvelles rubriques, celle-ci est un petit peu spéciale : des membres de la rédaction (pas tous, hein, entre ceux qui n’ont pas d’avis et ceux qui ne rendent pas leurs devoirs à temps...) répondent en quelques lignes à une question en lien avec le thème du dossier.

« Quelle oeuvre souhaitez-vous voir restaurée ? » Marine : Le Palais des Tuileries. Enin un vaste chantier pour rassembler les Français ! Plus drôle qu’une restauration, venez vous prendre pour des maçons et reconstruisez en costume d’époque les futurs logements-étudiants pour Édliens ! Promis, il y aura des micro-ondes. Mathilde : L’Église de Saint-Germain l’Auxerrois. Les peintures murales auraient bien besoin d’un petit coup de pinceau ! Comme le dirait si bien la Junior Entreprise, les églises forment le plus grand musée de France, c’est tout de même dommage d’en avoir une aussi près et dans cet état. héo : Ce sera chose faite sous peu, mais soulignons-le tout de même : la colonne Vendôme, qui n’a pas supporté le passage à l’automobile, a bien besoin d’un nettoyage de fond. La noirceur semble consumer la colonne de bas en haut, menaçant un Napoléon, qui reste de marbre (enin de bronze).

Gabriel : La Calypso, fameux navire de J.-Y. Cousteau. Ce n’est pas une œuvre d’art mais de toute évidence un monument historique, véritable symbole français dans le monde entier. Après de nombreuses tentatives infructueuses de restauration, ce ier vaisseau mérite de repartir par-delà les 7 mers. Pauline C. : On rigole tout le temps du fait que j’ai suivi la spécialité étrusque en premier cycle, mais c’est pas la spé le problème c’est le département du Louvre ! Éclairage minimaliste, poussière accumulée parfois nichée dans le sein des œuvres. Problème de budget ou je-m’enfoutisme au musée ? C’est à vous de choisir (envoyez un sms au 1882 et tapez 1 pour le budget et 2 pour le je-m’en-foutisme, 10,5€/ sms). Chloé : Vous allez dire que je suis un peu dérangée, folle ou complètement dingue, mais pourquoi pas La Joconde ! Obscurcie par ses 43 couches de vernis, qui ne mettent vraiment pas en valeur son teint, protégée des assauts de tasses soviétiques par une vitre blindée mais pas des lashs irradiés japonais, elle mérite un petit relooking, comme sa copine La Sainte-Anne !

Kim : Le plafond de la salle des Bronzes du musée du Louvre. Je ne saurais trouver le repos tant que cette horreur ne sera pas dézinguée au Kärcher. Herminie : Le Christ de Borja, parce qu’à ce point de détérioration autant continuer la «restauration» jusqu’à l’efacement total.

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Critique CinEma

Get Loki

Thor le monde des tenebres texte et illustration : Gabriel Courgeon

Que les choses soient claires tout de suite, je suis fan de super-héros, comics et ilms confondus. Cette petite mise au point accomplie permettez-moi de vous conter l’extraordinaire épopée de hor - Le Monde des Ténèbres, que j’ai eu la chance d’aller voir en avantpremière au Grand Rex en présence de Natalie Portman et Tom Hiddleston (incarnant respectivement Jane, petite-amie de hor, et Loki, frère adoptif ascendant psychopathe de ce dernier). Pour ceux qui n’auraient rien suivi (ou qui s’en contreichent totalement, auquel cas je vous conseille d’arrêter de lire cet article immédiatement), après moult batailles notre héros brushingué au puissant marteau réussit à sauver la Terre (planète de sa bien-aimée Jane) mais au prix d’un grand sacriice : la destruction du pont (Bifröst) entre chez lui (Asgard) et le reste de l’univers (donc de la Terre, snif). S’ensuit alors une sorte de guerre civile intergalactique que hor, héritier du trône d’Asgard, doit stopper, après un aparté new-yorkais avec ses buddies Avengers. Ah oui car le Bifröst est réparé.

des sentiers battus, quelqu’un qui connaisse le vrai visage du Mal. Et qui de mieux pour cela que le frère meurtrier multirécidiviste du héros, Loki, spécialisé dans l’extermination de terriens (entre autre). Somme toute un homme de coniance. J’ai peur de ne pas être pris au sérieux en vous disant que ce ilm est génial. J’ai donc sélectionné 5 bonnes raisons d’aller voir ce ilm, ou tout du moins d’envisager d’aller le voir pour les plus récalcitrants d’entre vous. 1- Pour Loki. Oubliez hor, héros pourtant plus que convenable, c’est pour son frère diabolique et sophistiqué que vous vibrerez. 2- Pour la pléthore d’acteurs talentueux. En plus des quelques igures cinématographiques qui n’ont plus rien à prouver (Anthony Hopkins, Natalie Portman, etc.), il faut saluer la performance des seconds rôles (Christopher Eccleston, Stellan Skarsgard ou encore Chris O’Dowd). 3- Parce que vive les mandales et les bagarres à grands coups d’objets contondants. Le tout nimbé d’humour ça fait pas de mal. 4- Parce qu’il n’y a pas que des explosions et de la testostérone mais aussi un spectre d’émotions plus fouillé qu’avant, comme par exemple la relation fraternelle hor-Loki, digne de Moïse et Ramsès.

Après cette rapide histoire du dieu du tonnerre pour les Nuls, il est temps de passer au sujet qui nous occupe, la suite des aventures de notre blondin nordique préféré. En gros, le méchant elfe-noir de l’espace Malekith (joué par le bien-aimé Christopher Eccleston) veut replonger l’univers dans le chaos originel (ça c’est méchant). C’est sans compter sur hor (Chris Hemsworth), afublé de sa terrienne et de ses collègues scientiiques complètement siphonnés. Mais cela ne suit pas, il faut ajouter à l’équipe quelqu’un qui puisse prendre les chemins de traverse et sortir

5- Pour l’univers esthétiquement riche du ilm. Entre space opera et heroic fantasy, les amateurs de Star Wars et du Seigneurs des Anneaux seront servis. On trouve également quelques clins d’œil sympathiques au reste de l’univers Marvel et de ses franchises. En conclusion, hor – Le Monde des Ténèbres est un ilm pour les amoureux du cinéma décomplexé, où l’on peut se réjouir de voir les méchants se prendre des coups de marteau magique dans la gueule sans avoir à se préoccuper d’une trame militante abreuvée de messages sociaux à la sauce française digne d’un journal télévisé. Vive Hollywood, vive le popcorn et vive le cinéma ! l Sortie le 30 octobre 40


Playlist

Christine and the Queens - Nuit 17 à 52 he Do - Unissasi Laulelet Mamadou Camara dit Bikadi - Konoli João & Astrud Gilberto - Samba de minha Terra Shadmehr Aghili - Alamate Soal Miguel Poveda - A ciegas Youn Sun Nah - Gwangondo Arirang Hindi Zahra - Orsoul à écouter sur : http://8tracks.com/louvrboite/autour-du-monde

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Et pour inir, des perles de visiteurs (cadeau t’as vu !) : « - Regarde ce tableau, on dirait une photo en sépia. - Ah non, regarde les drapés sont mieux. » « - Ça a l’air érotique tout ça… - Ah non ! -Bah, elle est nue ! » « Regarde, on dirait princesse Leïa » à propos du tableau de Waterhouse La boule de cristal. 41


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6 Deuxième maison des EDLiens 8 Période de la protohistoire qu’on a tous mal prononcé au moins une fois dans sa vie 9 Ne fumait pas la moquette, mais peut-être de l’herbe rouge 10 Style du couvre-chef aux feuilles d’acanthe 12 Muse de la danse 16 Auteur dont l’oeuvre est enin dans le domaine public, 94 ans et 272 jours après sa mort 18 Grand Manitou de l’Antiquité Orientale 19 Espèce peuplant les sous-sols parisiens (et le jardin des Tuileries la nuit) 20 Ville où un être d’exception est né sous un arbre (en sortant du lanc de sa mère, s’il vous plaît)

1 Demoiselle acéphale entretenue par Ludovic Laugier 2 La lamme de l’Alma, qui s’est éteinte le 31 août 1997 3 Un acteur à bout de soule 4 Masculin, à Orsay 5 Roy, à Pompidou 7 Musée lottant sur les eaux de Bilbao 11 Obstacles entre toi et une oeuvre 13 Noces qu’observe Mona Lisa 14 C’est pas l’homme qui la choisit, c’est elle qui choisit l’homme 15 Bryan, acteur jouant autant un professeur de chimie-fabricant d’amphétamines que le père d’une famille déjantée 17 Lieu de perdition des oeuvres du Louvre 42




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