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Histoi'Art - Le Hollandais volant

Veiller au grain

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Le Hollandais volant

11 juin 1881. « Au milieu d’une lumière rouge, on distingua nettement les mâts, les vergues et les voiles d’un brick à environ deux cents yards (soit environ 180 mètres) par bâbord avant. Le veilleur d’étrave signala le navire très proche et l’officier de quart le vit aussi, clairement, de la passerelle. Le midshipman de service l’aperçut également et fut envoyé sur le gaillard d’avant, mais, quand il y arriva, il ne put voir aucun signe de bateau matérialisé. La nuit était claire, la mer calme. Treize personnes au total ne pouvaient nier l’avoir vu. » Le duc d’York écrit ses mots avec fébrilité dans son carnet. Au même moment, le matelot de vigie en haut du grand mât bascule et tombe mort sur la passerelle. Le lien est évident pour celui qui sera le futur George V d’Angleterre : cet accident est lié à la vision du vaisseau fantôme qui ne peut être que le Hollandais volant alors que son bateau, Le Bacchante, naviguait vers Sydney. Hallucination collective ? Confusion avec un vaisseau existant ? Apparition surnaturelle d’un réel bateau maudit ? Dans tous les cas, journaux et carnets de bord le relatent : le Hollandais volant a été aperçu six fois à proximité du Cap de Bonne Espérance entre 1861 et 1960.

Des rumeurs naviguant de conserve

Imaginez une noire et puissante tempête au XVIIème siècle à la pointe sud de l’Afrique… Nous sommes en plein Vendredi Saint. Alors que la pluie bat la passerelle de badernes d’eau rugueuse dans un vent violent, les cris épouvantés des matelots font rage. Leur capitaine force son équipage à garder leur vitesse en riant comme en pleine extase, galvanisé par le danger imminent. Les marins refusent, tentent de le faire revenir à la raison en pleine panique à bord. Le capitaine lève alors le poing au ciel et tente de percer de son regard hystérique les menaçantes nues chaotiques. Sont-elles un signe d’avertissement divin ? Qu’importe, l’arrogant s’exclame alors, se damnant éternellement par la même occasion : « Je naviguerai, tempête ou pas tempête, Pâques ou pas Pâques. Je naviguerai, même pour l’éternité ! ». Qu’à cela ne tienne, il est alors maudit et erre

depuis ce funeste jour sur les flots. Cette punition divine rappelle ainsi qu’un comportement d’hybris, de défiance envers le Ciel, est toujours un acte d’imprudence sévèrement réprimandé par de puissantes malédictions. En effet, il faut garder en tête que le XVIIème est l’âge d’or du commerce maritime et que la concurrence européenne fait rage. Amsterdam est alors une place financière de premier ordre dans le monde grâce à la V.O.C (compagnie des Indes hollandaise). Composée de marchands aussi bien ingénieux qu’agressifs, de rouliers des mers parfois trop sûrs d’eux navigant jusqu’en Asie pour les épices, la V.O.C ne possède quasiment que des navires de commerce. Ceux-ci sont commandés par des aguerris de la cartographie, des connaisseurs des eaux imparables, des explorateurs fiévreux. Par exemple, Henrik Brouwer avait lancé le commerce des Hollandais aux Indes en passant par le Cap de Bonne Espérance. Abel Tassman avait lui exploré les Terres australes et découvert l’île qu’on nommera Tasmanie en son nom. Cette concurrence marchande bestiale qui alimente une fièvre financière et maritime en Europe donne lieu à de féroces rivalités. Les Anglais sont les premiers ennemis des Hollandais et ces derniers le leur rendent bien. Une haine tenace va naître entre eux, accrue en 1667 avec un acte impardonnable : le Néerlandais Ruyter mène un raid surprise en entrant dans Londres en remontant par la Tamise. Il s’empare alors du vaisseau amiral britannique. L’honneur anglais, blessé, se prend un monumental soufflet. Les navigateurs britanniques nourrissent depuis un incommensurable mépris encore plus tenace à l’encontre des Hollandais, en les fustigeant des plus horribles comportements et vices, en faisant répandre des rumeurs et des légendes de malédictions qui auraient frappé les Provinces-Unies. Celle du Hollandais volant en fait partie et naît ainsi. Pourquoi « volant » d’ailleurs ? Parce qu’habituellement, un navire met environs huit mois pour relier Amsterdam à l’île de Java. Notre vaisseau maudit lui n’en mettrait que cinq, donnant ainsi l’impression de flotter sur les vagues avec la légèreté et la vitesse du seul vent.

Une légende qui a le vent en poupe

En 1839, Frédérick Marryat, ancien marin anglais, est le premier à donner consistance à la rumeur du Hollandais volant. Il réunit tous les témoignages possibles des différentes histoires colportées dans les ports et les synthétise pour donner sa version de la sinistre histoire. Dans son roman du même nom, le fils du capitaine maudit embarque à bord du Ter

Schilling. En arrivant près du Cap de Bonne Espérance, il a alors la vision du vaisseau fantôme de son père : « À environ trois milles de distance, (…) était un grand vaisseau qui semblait lutter contre un ouragan violent, quoi qu’il fît un calme plat. Il plongeait et s’élevait sur une eau parfaitement tranquille : tantôt disparaissant sous les flots, tantôt se remontrant à la surface. Sa grand’voile et ses huniers étaient serrés, et il ne portait que sa misaine dont les ris étaient pris, une voile d’étais et une voile de senau sur son arrière. Ce bâtiment semblait poussé par la force du vent vers le Ter Schilling. À chaque instant on le distinguait mieux. Enfin on le vit virer de bord ; et pendant cette manœuvre il était à si peu de distance qu’on aurait pu compter les hommes sur le pont. Mais à ce moment une obscurité soudaine l’enveloppa, et on ne le revit plus. » Le roman est un retentissant succès et devient un livre de chevet européen prisé, un classique de la littérature maritime d’aventure. Richard Wagner s’empare lui-aussi de la légende après un pénible voyage en mer. Partition et crayon en main, le voilà déjà en train de composer son opéra Le Hollandais volant : le capitaine devient un héros romantique qui cherche à laver son péché d’orgueil pour enfin être pardonné et retrouver la paix dans une puissante et angoissante musique. Victor Hugo, amateur de spiritisme et de fantastique, compose lui quelques vers dans un poème de La Légende des siècles : « C’est le Hollandais, la barque / Que le doigt flamboyant marque / L’esprit puni !/ C’est la voile scélérate ! / C’est le sinistre pirate / De l’infini. » Le cinéma aussi s’empare de la légende, notamment dans Pandora and the Flying Dutchman d’Albert Lewin en 1951 ou encore, bien évidemment, dans Pirate des Caraïbes. En effet, Calypso crée le bateau Le Hollandais volant pour Davy Jones qui doit conduire pendant dix ans l’âme des défunts morts en mer au bout du monde.

De quoi avoir des frissons dans le dos si vous décidez de faire un jour une croisière près du cap de Bonne Espérance ! On attend vos témoignages et reportages photos au journal avec impatience !

Laureen Gressé-Denois

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