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A Cor et à cri musical

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Inquiétude en crescendo

Une fois n’est pas coutume, je pianote nerveusement sur mon livret. Mes oreilles revenaient encore à peine des merveilles que nous venions d’interpréter à huit voix. Mais nous attendions, dans un silence religieux. L’assemblée avait refermé ses partitions : nous gardions Mozart dans notre cœur, mais notre tête était désormais toute dissonante d’une portée cette fois bien terne. Jean-Philippe reposa sa feuille sur le pupitre. Il cessa soudain de tourner lentement sur sa haute chaise de chef de chœur et poussa un soupir bien las. Cela ne faisait qu’un semestre que j’avais rejoint les rangs des soprani 1 de l’Académie de musique du Palais Royal et pourtant, je me sentais déjà si intégrée dans cette incroyable famille... Deux cents choristes qui se retrouvent chaque mercredi soir avec ce grand chef parisien, Jean-Philippe Sarcos, et qui m’offrent ainsi hebdomadairement ma bulle d’air et de musique pour m’échapper un peu de ma semaine louvresque… Je regarde autour de moi. Tout le monde, des soprani aux alti en passant par les ténors et les basses, semble soudain happé dans un moment de dignité, à la fois brutal et nécessaire. Jean-Philippe se redressa, prit son inspiration et nous délivra enfin le funeste message que nous redoutions. Son accent du sud-ouest n’eut d’un coup alors plus la chaleur et la lumière du soleil. Le voir si sombre alors qu’il était habituellement si rayonnant, si enjoué et si proche des jeunes amateurs que nous sommes, à qui il enseigne un répertoire digne de grands professionnels, me fit un coup au cœur. « Mes amis, j’ai quelque chose de très grave à vous annoncer qui me touche beaucoup ». Il laissa un temps passer dans la partition de sa déclaration. « L’Académie risque de s’arrêter. » Le verbe si tranchant venait de passer sa froide lame sur nos nuques && sensibles. S’arrêter ? Pourquoi le devrait-elle ? Elle accueille depuis des années deux cents choristes et cent musiciens de 18 à 30 ans, de tous domaines de travail, d’études et de pays d’origine différents. Nous chantons et jouons avec tout ce qui nous est de plus cher, avec cette incommensurable soif d’apprendre de nouvelles astuces musicales, de rencontrer ces compositeurs défunts à travers les anecdotes et contextes donnés par Jean-Philippe, de faire vivre leurs vibrantes et étincelantes musiques à travers nos concerts. Pourquoi devrait-elle être à l’agonie ?

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Urgence en si majeur

La situation musicale en France est réellement catastrophique. Nul ne s’en doutait, moi la première. Les régions, les DRAC, les différentes subventions de l’État… Toutes ont ces dernières années peu à peu chuté, lentement mais sûrement. La culture, dernière roue du carrosse dans le portefeuille de l’État, ramasse les rares miettes des butins ministériels. Elle répartit ensuite maigrement les ridi-

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cules bouts restants à tous les domaines qui nous sont pourtant chers à l’École du Louvre, mais au-delà aussi. Des chefs se battent alors pour continuer à dynamiser le paysage musical en France, pour qu’il ne soit pas l’apanage d’une élite éclairée. Elle doit être accessible à tous, quel que soit son niveau de musique, de chant ou d’oreille, quels que soient la part de ses revenus, son âge ou son milieu social. Certaines formations avaient même le mérite de dynamiser certains territoires avant de subir elles-aussi l’infamie budgétaire. La Simphonie du Marais a vu mi-septembre 2019 son chef d’orchestre et fondateur Hugo Reyne, grand hautboïste français à la carrière internationale, tirer sa révérence. Dans un article de France Musique, il raconte qu’au bout de trente-trois ans d’aventure en Vendée, à donner des concerts au grand public pour partager ses émotions et toute la joie qu’il ressent à travers la musique baroque, il se sent fatigué. Fatigué de se battre face à toute cette chronophagie de recherche infructueuse de fonds. Il ne peut plus faire survivre son orchestre et ensemble vocal pour lequel les Vendéens prenaient leurs places jusqu’à parfois un an à l’avance tant la Simphonie était appréciée. D’autant qu’Hugo Reyne souhaitait vraiment que tout un chacun puisse s’offrir un moment de délice musical baroque avec des places à petits prix, ne dépassant jamais vingt euros. Augmenter le prix des places de concerts ? Jamais. Une ineptie qui va à l’encontre de la démocratisation de la musique. Comment peut-on pousser à bout des âmes virtuoses au grand cœur qui souhaitent simplement et ardemment partager leur passion avec les autres ? Jean-Philippe connaissait bien Hugo Reyne, cette nouvelle l’a beaucoup ébranlé. Mais la Simphonie du Marais n’est pas la seule touchée. Il ne faut pas croire que la baisse des subventions ne se fait qu’en province. Le 27 décembre dernier, une émouvante tribune a été écrite dans Le Figaro. Près d’une trentaine d’écrivains, de médiévistes, de musiciens, de théologiens et d’intellectuels ont dénoncé le licenciement du chef de chœur grégorien de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris. Depuis le terrible incendie qui a ravagé la majesté de pierre le 15 avril dernier, les concerts ne rapportent plus rien. Ces graves difficultés finan-&& cières n’ont fait qu’empirer au point que cinq enseignants de la Maîtrise dont ce chef, ont dû être mis à la porte. Indignés, les étudiants choristes ont même refusé de jouer leur célèbre concert de Noël, qui aurait dû être exilé à Saint-Sulpice à la fin de l’année, du fait du chantier en cours sur l’île de la Cité. Le général Georgelin a promis de faire chanter un Te Deum le 16 avril 2024 pour célébrer la fin des rénovations mais à ce rythme-là, il n’y aura plus aucun musicien devant l’autel. C’est encore pire que lors de la Révolution française, où les clavecins de Paris, considérés comme des symboles de l’Ancien Régime, avaient été rassemblés et tous brûlés dans la cour du Conservatoire de la capitale.

L’État signe depuis plusieurs décennies la mort lente mais sûre de la musique et de son enseignement en France. Constat alarmiste : à moins d’être une grande formation et d’être sponsorisée par n’importe qui, les petites et moyennes formations sont condamnées à survivre en tremblant. Jean-Philippe releva alors la tête et nous sourit. Il ne faut pas que cette réalité nous accable et nous pousse à abandonner. Au contraire, il faut se battre, encourager même de pas grand-chose les chœurs et orchestres que nous écoutons. Pour l’Académie du Palais Royal, il faut tracter, parler autour de nous et décupler son énergie en fortissimo de courage. Aujourd’hui, grâce à nos concerts de décembre où nous avons interprété la Messe en ut mineur de Mozart et le Concerto pour violon de Tchaïkovsky, nous avons pu récolter juste assez d’argent pour survivre encore un semestre. Nos concerts du 26 mai et 4 juin 2020 au Cirque d’Hiver pour interpréter Carmina Burana de Carl Orff et la Symphonie écossaise de Mendelssohn sont donc capitaux. Venez nous écouter et plus ! Si vous vous sentez l’âme choriste ou musicienne de tout niveau, rejoignez nos rangs au second semestre, nous accueillons tout le monde et serions ravis de voir gonfler nos troupes pour sauver la musique, enchanteresse Muse qui nous habite et vêt de joie nos existences au quotidien. Laureen Gressé-Denois&&

Quelques liens utiles :

Facebook : @academimusiqueparis Instagram : @academiemusique Mail : contact@academie-de-musique.com

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