LB n°22 : L'art et la guerre

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ÉDITO

Nous voilà déjà au (presque) dernier numéro de Louvr'Boîte de cette année. L'année s'est déroulée à un rythme effréné pour l'équipe, avec beaucoup d'émotions (nous ne dévoilerons pas ici les coulisses des numéros qui sont pourtant plein de rebondissements dignes d'un blockbuster hollywoodien) et malgré tout plein de satisfaction des défis relevés, notamment ce qui doit vous sauter aux yeux : le format inhabituel du journal ce mois-ci. Et oui nous sommes comme ça, on aime vous surprendre pour que vous ne vous lassiez pas de nous. Et pour clôturer l'année 2014 du journal, un dossier dans l'air du temps, car Louvr'Boîte est toujours à l'affût de l'actualité. En effet 2014 est l'année des commémorations de la Première Guerre mondiale mais aussi du Débarquement de 1944. Nous nous sommes donc intéressés aux déboires de nos chères œuvres d'art lors des conflits .

Nous avons aussi l'honneur d'accueillir parmi les rédacteurs, le temps d'un numéro, M. Bernard Grué, auditeur libre à l'école, pour nous présenter son livre sur son expérience en tant que soldat. Chers lecteurs, trêve de discours, je vous laisse ici découvrir ce numéro guerrier, plein de violence et de drame, en espérant ne pas trop vous traumatiser ... Herminie Astay

Louvr’Boîte, journal des élèves de l’École du Louvre. Cinquième année. Numéro de mars2014. 0,50 €. École du Louvre, Bureau des Elèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 Paris cedex 01. Courriel : journaledl@gmail.com. Facebook : fb.com/louvrboite. Twitter : @louvrboite. Archives numériques : issuu.com/louvrboite. Directrice de publication : Kim Harthoorn. Rédactrice en chef : Herminie Astay. Ont contribué à ce numéro, dans l’ordre alphabétique : Herminie Astay, Marine Botton, Gabriel Courgeon, Thibault Creste, Bernard Grué, Kim Harthoorn, Théo Le Gal, Cassandre Mbonyo-Kiefer, Alizée Sabouraud, Laure Saffroy-Lepesqueur, Mathilde Schaefer. Dépôt légal : juin 2013. Imprimé sur les presses de l’École du Louvre (France). Sauf mention contraire, © Louvr’Boîte et ses auteurs.


DOSSIER

L'ART EN GUERRE

DE L'IMPACT D'UNE GUERRE SUR LA PRODUCTION ARTISTIQUE. L'exemple de Monet vs. Doré.

texte et illustration : Laure Saffroy-Lepesqueur

J'avais prévu de faire un article sur les lâches, les grandes figures désertrices, les fuyards et autres poules mouillées, et puis, au fil de la pensée, j'ai vite compris que ce genre de propos allait finir par tourner en rond, ne servir qu'à remuer des accusations faciles ou ordinaires et qu'au final je n'étais probablement que très mal placée pour disserter là-dessus en si peu de lignes . Forte de cette révélation et en sortant de l'exposition consacrée à Gustave Doré au Musée D'Orsay, la question de la guerre s'est abattue sur moi comme la pauvreté sur le monde : Ayant initialement prévu de parler de Claude Monet, j'ai choisi de conserver cet exemple pour l'opposer à la figure de Gustave Doré. Sans adopter un point de vue parfaitement manichéen, sans non plus faire du premier un abominable lâche et du second un ange, cette confrontation légitime dans le temps permet de se poser quelques questions essentielles, à mon sens, sur la notion même d'histoire de l'art, et car, comme on nous le répète chaque année, dans « Histoire de l'art », il y a le mot histoire, toutes ces questions me semblent doublement fondées. En temps de guerre, faut-il, à n'importe quel

prix, préférer créer ? Peut-on créer dans un territoire en guerre, faut-il fuir ou rester ? Je ne peux, à moi seule, répondre à ces grandes interrogations, elles ont un côté relativement écrasant qui nous dépasse, elles ramènent à la grande question du rôle social et de l'engagement de l'artiste, qui ne cesse d'être remis en cause au fil du temps. Mais sans vouloir délibérément prendre un parti, il est intéressant de poser la question de la confrontation de deux productions contemporaines en temps de guerre, celle d'un artiste exilé, Monet, et celle d'un artiste en plein décor de guerre, Doré. La réelle problématique posée ici sera celle de l'impact d'une guerre sur l'art, ou même en l'occurrence de son absence d'impact, car non réellement vécue. La guerre que j'évoque pour cette confrontation est celle de 1870, opposant la France à la Prusse, Napoléon III à Bismarck, le commencement d'une longue histoire franco-allemande. Ce qui m'a réellement frappé, et ce qu'il me semble désormais important à souligner, c'est le fait que Monet et Doré soient de parfaits contemporains. Avant cette exposition et la rédaction de cet article, je n'aurais

jamais songé à comparer deux toiles comme L'Énigme de Doré de 1871 et Impression, Soleil levant de Monet de 1872. Ces deux toiles, pourtant voisines dans le temps, donnent un parfait exemple, sans doute extrême mais pas moins véridique, de la différence de production d'artistes n'ayant pas eu le même contact à la réalité de leur temps. On le sait, Claude Monet fait le choix de fuir la France de 1870, désireux de continuer à peindre et surtout d'éviter de rentrer au service de l'armée, il restera en Angleterre le temps de la guerre. De huit ans son aîné, Doré lui n'a moralement pas d'autre choix que celui de rester dans son pays. Son ami, Théophile Gautier écrit : « Ce n'est pas quand la vieille mère est à l'agonie que ses enfants doivent la quitter sous prétexte que l'air n'est pas sain ». Il m'est très difficile de rester impartiale en rédigeant cet article car enfin, comment ne pas saluer sans admiration le courage d'un Doré qui tout en restant sur le champ de bataille, en s'engageant luimême dans la garde nationale, continue à s'exprimer artistiquement ? Sans tomber dans une description réaliste et misérabiliste des souffrances liées à la guerre qui pourtant semblerait légitime, Doré a multiplié les visions allégoriques et a rendu palpable son expérience de la guerre au travers de son regard d'artiste, de ces demi-dieux qui font du beau même avec du laid... À côté de cela, et je dois rappeler qu'il s'agit là d'une réflexion tout à fait personnelle, ce dont je souhaite me faire pardonner à l'avance, il est tout de même difficile de donner la même allure

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et la même légitimité à Monet. Il est agréable de penser qu'en ces temps dramatiques, Monet laisse entrevoir un ailleurs, un espoir en dehors du funeste schéma belliqueux, mais il est impossible de ne pas le voir comme un être quelque peu déconnecté de la réalité du pays où il retournera vendre ses toiles, où il a laissé les souvenirs de sa jeunesse et où il reviendra vivre lorsque la guerre, invisible de toute sa production, aura cessé. J'ai toujours eu moins de sympathie pour les artistes qui jamais n'ont laissé voir une part de social, d'ombre et de ce quelque chose de profondément humain dans leurs œuvres, mais cela n'est que mon avis, et reste assurément entièrement discutable. Seulement, qu'on le veuille ou non, l'exemple de ces deux toiles précédemment citées laisse entrevoir l'existence de deux mondes parfaitement diffèrent l'un de l'autre : Celui de Doré nous plonge dans la conscience d'une réalité funeste, cependant surmonté par l'existence, toujours, de la production artistique. Ses figures ailées se font le porte-parole de toute une humanité qui jamais ne pourra comprendre les origines profondes de la guerre mais sait qu'elle y sera perpétuellement soumise. À la vente de cette toile, Doré avait choisi d'accompagner cette dernière par deux vers d'Hugo : « Ô spectacle ! ainsi meurt ce que les peuples font ! Qu’un tel passé pour l’âme est un gouffre profond ! »


DOSSIER Vers qui nous donnent toute l'étendue de son désarroi et montre pourtant sa profonde volonté de combattre l'absurdité même de la question de la guerre en continuant à créer... Aux côtés de ces cieux si sombres, comment ne pas penser que Monet ait pu peindre sa toile dans un tout autre espace-temps ? La comparaison est en effet difficile à appréhender dès lors que l'on a pris conscience de ce que le mot guerre pouvait bien vouloir signifier. À la vérité, la peinture de Monet, en dehors de tout jugement esthétique, est totalement hors du temps, elle ne pose aucune question contemporaine d'un siècle précis, elle n'est en rien tâchée d'humanité et pour cela, j'ai presque envie d'en vouloir aux Impressionnistes. Sentant pourtant que plus de la moitié de la Terre s'apprête à se retourner contre moi, je reprends le fil de mon propos afin de mettre en avant, tout de même, la note acide qui reste dans l'esprit après la contemplation de ces deux œuvres, imaginairement accrochées côte à côte. L'on en vient à comprendre l'énorme fossé causé par le choix différent de ces deux artistes, à saisir le gigantesque abîme que provoque une distance, mais l'on en vient surtout au fait que ces deux œuvres, aussi différentes qu'elles soient, sont aussi importantes l'une que l'autre, et cela pour diverses raisons. Il est évident que des productions contrastées se mettent respectivement en valeur, ainsi, le drame de l'une permet d'apprécier davantage ce que j'appellerai l'insouciance de l'autre, et cette même insouciance permet de comprendre la gravité et la grandeur de la toile à laquelle elle est comparée. On ne comprend jamais aussi bien quelque chose qu'en connaissant son contraire... Ainsi, et bien que la monochromie de la toile de Doré rajoute au contraste avec l'évocation embrumée du matin pâle de Monet, et se fasse ainsi meilleur interprète de l'année 1870 en

L'ART EN GUERRE France, on ne saurait reprocher à Monet de ne pas savoir peindre l'atmosphère du temps de cette année précise, en ce lieu précis, tout simplement car il ne l'a pas connue. Pour qu'il y ait impact, et cela est ridiculement bête, il faut qu'il y ait expérience. Car au fond, la simple connaissance d'état de guerre, Monet la connaissait, et c'est un choix délibéré que celui de s'en détourner. Louable ou non, la seule conclusion possible est qu'un artiste ayant connu, vu, fait la guerre reste à jamais marqué par ces visions d'horreur et n'a, à mon avis, pas d'autre choix que d'en témoigner. À l'appui tant d'autres œuvres des guerres qui suivirent, au siècle suivant... On peut alors faire du le choix de fuir et de développer autre chose, mais l'artiste créant au milieu des canons, lui, est condamné, tellement cette force est absurde, universelle, et tellement elle nous dépasse, à l'instar des drames personnels, à témoigner, avec l'expression qui lui est propre, d'une terrible temporalité. R

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DOSSIER

L'ART EN GUERRE

Les

MUSÉES DU MI NI STÈRE DE LA

DÉFENSE

texte : Thibault Creste Pour la plupart des gens, la politique culturelle de l’État est assurée par le ministère de la Culture et par lui seul. Pourtant, d’autres ministères jouent aussi au niveau central un rôle plus ou moins important : c’est notamment le cas du Quai d’Orsay, de l’Éducation Nationale ou de la Défense. La politique culturelle du ministère de la Défense relève de la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (ou DMPA pour les intimes). Parmi ses subdivisions, on retrouve ainsi le Service Historique de la Défense, la sous-direction de la mémoire et de l’action éducative ou la délégation des patrimoines culturels, chaque service ayant un domaine de compétence bien précis. Cette politique culturelle cherche à valoriser un important patrimoine muséographique réparti entre 21 établissements, dont six sont labélisés « Musée de France ». Parmi ces derniers, trois disposent du statut d’établissement public : le musée de l’Armée, le musée de la Marine et le musée de l’Air et de l’Espace.

LE MUSÉE DE L’ ARMÉE

Créé en 1905 suite à la fusion du musée d’Artillerie et du musée historique de l’Armée, il est installé dans l’hôtel des Invalides. Héritier des collections du GardeMeuble de la Couronne et des collections des princes de Condé, il possède la troisième collection d’armures anciennes au monde et un ensemble majeur de souvenirs napoléoniens. Ses salles présentent des œuvres de nature et d’origine extrêmement variées permettant de retracer à la fois les mutations de la guerre et l’histoire politique et militaire de la France.

LE MUSÉE DE LA MARI NE

Ayant son siège au Palais de Chaillot, le musée de la Marine dispose également de quatre antennes en région dits « musées des ports » : Brest, Port-Louis, Rochefort et Toulon. Une première collection de modèles de navires et de machines portuaires est installée au Louvre en 1748. Après plusieurs enrichissements, elle devient le musée naval en 1927 par décret de Charles X. Très rapidement, le musée prend une forte dimension ethnographique (six salles sur dix-neuf en 1898). Occupant de plus en plus de place au sein du Louvre, il est transféré dans l’aile Passy du Palais de Chaillot entre 1937 et 1943.

Il se revendique aujourd’hui à la fois comme « un musée d’art, de sciences et de techniques, de traditions populaires et d’aventures humaines » autour du fil directeur qu’est l’histoire maritime. Funny fact : son conservateur Antoine Léon Morel-Fatio mourut en 1871 d’une crise cardiaque sur la terrasse du Louvre, en voyant les prussiens envahir son musée.

LE MUSÉE DE L’ AI R ET DE L’ ESPACE

Premier musée aéronautique au monde, le musée de l’Air voit le jour en 1921 dans un hangar de Chalais-Meudon. En 1973, on décide de réunir le musée de l’Air et le musée de l’Espace en une unique collection installée à l’aéroport désaffecté du Bourget, lieu symbolique dans l’histoire de l’aviation. Il présente aujourd’hui la plus grande collection d’aéronefs au monde, avec plus de cent cinquante avions dont deux Concorde et un Boeing 747. Outre les avions, on peut aussi y voir deux maquettes grandeur nature des fusées Ariane 1 et 5 et en apprendre plus sur l’espace au planétarium.

LE MUSÉE DU SERVI CE DE SANTÉ DES ARMÉES

Fondé durant la Première Guerre Mondiale, il est tout de suite placé sous la tutelle de l’École d'Application du Service de Santé des Armées et s’établit dans le cloître de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce. Il récupère alors les collections du musée déjà installé là : cabinet d’histoire naturelle, modèles anatomiques et pièces en rapport à l’histoire du corps de santé aux armées. Il a pour but de faire mieux comprendre aux visiteurs « les fondements et les vocations multiples de la médecine aux armées ». Plusieurs thématiques sont pour cela évoquées : l’hygiène et la prévention, la participation au monde civil, le soutien aux armées ou encore la recherche clinique et scientifique.

S POI LER

Et pour ceux qui l’ignorent encore (mais ils risquent sans doute d’être peu nombreux), sachez que la Gendarmerie Nationale va très prochainement ouvrir son patrimoine au grand public ! Un « Musée la Gendarmerie », labélisé « Musée de France » doit être inauguré fin 2014 à l’École des Officiers de la Gendarmerie Nationale de Melun. On compte sur vous pour vous y presser.

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DOSSIER

L'ART EN GUERRE

Le cauchemar syrien texte : Théo Le Gal illustration : Marine Botton

Mars 2014, voici maintenant trois ans que la guerre civile fait rage en Syrie. À l’occasion de ce numéro dédié à « l’art dans la guerre », il m’est apparu essentiel de revenir sur ce conflit meurtrier, aux enjeux complexes et plus particulièrement sur le sort du patrimoine culturel syrien, l’un des plus riches de la planète. Il est délicat de parler des pierres quand des hommes et des femmes meurent tous les jours dans d’atroces souffrances. Mais, ce serait une injustice de passer sous silence le sort tragique de ce patrimoine plusieurs fois millénaire, ne serait-ce que pour honorer la mémoire des Syriens qui ont donné leur vie pour le protéger et pour rendre hommage à ceux qui continuent de risquer la leur pour sauver l’âme de la Syrie. Mars 2011, en plein Printemps arabe, encouragées par les évènements survenus en Tunisie et en Égypte, des manifestations pacifiques sont organisées à Deraa dans le sud de la Syrie. Les manifestants réclament des réformes et plus de libertés au gouvernement autoritaire de Bachar al-Assad. Ce dernier réprime le mouvement de contestation dans le sang. Dès lors, les manifestations se multiplient. Des périphéries, elles gagnent les centres urbains majeurs et la capitale, Damas. Face à la cruauté et à la violence du régime, les manifestants s’arment et la répression se meut en une terrible guerre civile. La Syrie est déchirée entre pro-gouvernementaux et anti-Assad. Des villes entières se transforment en champ de bataille, Alep, Homs, Damas, Hama et bien d’autres. Le conflit se durcit au fil des mois, puis des années. Dès le

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début des contestations, le gouvernement ferme les portes du pays aux journalistes étrangers qui s’y infiltrent clandestinement rapportant les témoignages désespérés d’une population syrienne qui souffre de tous les maux : viols massifs, meurtres, tortures physiques, tortures psychologiques, destructions, humiliations, exode. Et devant ce carnage organisé, la communauté internationale reste interdite. Les tensions au sein du conseil de sécurité de l’ONU bloquent toute intervention militaire en Syrie. La Russie soutient le régime de Bachar al-Assad et pose par trois fois son veto à l’encontre des projets d’intervention du conseil de sécurité. De leur côté, les Américains, les Français et les Anglais hésitent à soutenir matériellement les rebelles car depuis l’été 2013, peut être même avant, des groupes terroristes fondamentalistes ont fait leur entrée en Syrie, combattant le régime alaouite (chiite) de Bachar al-Assad. Aujourd’hui, l’opposition au gouvernement est divisée. L’absence de soutien de la communauté internationale a favorisé la prolifération de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda que ce soit le Front Al-Nosra ou l’EIIL (l’Etat Islamique en Irak et au Levant). Ces groupes terroristes discréditent le mouvement de révolution syrien et commettent des exactions en toute impunité. Ils retiennent en otage des journalistes, notamment français, et procèdent à des exécutions sommaires ainsi qu’à des destructions massives du patrimoine religieux et profane. Désormais, l’Armée Syrienne


DOSSIER Libre (ASL) doit combattre non plus seulement al-Assad mais les djihadistes (pour la plupart étrangers). Voici le terrifiant tableau que l’on peut esquisser de la situation en Syrie. Après trois ans d’affrontements, le conflit a fait plus de 140000 morts, bien plus de blessés, des dizaines de milliers de femmes ont été violées et humiliées. Les camps de réfugiés situés en Turquie, au Liban et en Jordanie accueillent aujourd’hui près de 2,5 millions de Syriens qui ont fui les combats, les massacres. Et maintenant la famine sévit. Au milieu de ce cauchemar, le patrimoine culturel souffre en silence. En Syrie, six sites sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO (l’ancienne ville d’Alep, les villages antiques du Nord de la Syrie, l’ancienne ville de Damas, celle de Bosra, le site de Palmyre et le Krak des Chevaliers). Aujourd’hui, la vieille ville d’Alep n’est plus qu’un champ de ruines. L’armée régulière s’est retranchée dans la citadelle et bombarde les quartiers en contrebas. Les rebelles, de leur côté, répliquent en prenant pour cible la place forte. Le souk médiéval autrefois si vivant est devenu le tombeau d’un grand nombre de combattants rebelles après que l’armée y ait mis le feu à l’aide de barils de TNT. La grande mosquée des Omeyyades est ravagée. Son minaret a été sciemment abattu par un tir tendu des troupes d’alAssad. Le régime ne recule devant aucune violence. En détruisant le patrimoine des Aleppins, il cherche à détruire chacun d’eux dans leur âme et à insinuer la peur dans le cœur des Syriens. Damas et Bosra ont subi le même sort. Les mosaïques de la

L'ART EN GUERRE grande mosquée de Damas ont été gravement endommagées malgré tous les efforts d’un petit groupe de Syriens pour les protéger. Au nord de la capitale, le Krak des Chevaliers a été investi par les rebelles qui y trouvèrent un refuge. Et depuis, l’armée pilonne le château des croisés. Faut-il rappeler que la Syrie de Bachar al-Assad est signataire de la Convention de la Haye de 1954 interdisant l’utilisation des sites patrimoniaux comme champ de bataille. Pourtant, les châteaux sont transformés en casernes et Palmyre est occupée par une division entière de blindés qui lacèrent le site. Les villages antiques du nord de la Syrie sont démembrés pierre par pierre ou au bulldozer par des groupes religieux fondamentalistes. Ils détruisent et saccagent des mosquées, des églises et des synagogues. À tous ces maux vient se surajouter le pillage. Véritable fléau. Le site d’Apamée présente un visage lunaire, criblé de fosses creusées par les pilleurs. On n’en dénombre pas moins de 5000 sur ce seul site. Les réserves des missions archéologiques sont saccagées, les musées pillés quand ils ne sont pas tout simplement détruits par les flammes ou les obus. La liste est longue, sans fin. Il est impossible d’énumérer toutes les destructions, les pertes. Et malgré cette liste déjà trop longue, nous restons mal informés de l’évolution de l’état de préservation du patrimoine en Syrie. L’UNESCO est dépassée. Elle ne peut agir concrètement sans l’aval de l’ONU. Alors l’organisation tente de sensibiliser l’opinion internationale mais cela reste bien peu. Pourtant, un jour, cette guerre s’achèvera et à l’heure de la reconstruction,

de la réconciliation, le rôle du patrimoine sera de rassembler par delà les confessions et les sensibilités politiques, un peuple meurtri. Car le patrimoine est par nature, respect, partage, et altruisme. Aujourd’hui, sur place, des Syriens s’organisent pour porter secours à leur patrimoine agonisant. Ils agissent avec les moyens les plus rudimentaires pour sauver ce qui peut l’être. Ils coulent des murs de béton devant les portes des musées, emportent chez eux les œuvres pour les soustraire aux pilleurs, construisent des murs devant les parements et les mosaïques. Certains ont déjà perdu la vie mais ils poursuivent un combat qui nous concerne tous, celui que l’on doit mener contre l’ignorance et la bêtise.

Mais parce que ce ne sont pas juste des pierres, c’est une idée. L’idée d’un patrimoine mondial de l’humanité. Celle de bâtir ensemble, sur nos erreurs, nos échecs et nos réussites, un monde meilleur. R

Alors pourquoi sacrifier sa vie pour des pierres ?

« La Terre est ma patrie, et l’Humanité ma famille. » -Gibran Khalil Gibran-

Pour plus d’informations sur le conflit syrien : http://www.youtube.com/watch?v=ZTt9TtXcw04 (IMA – Conférence sur le patrimoine syrien) http://www.youtube.com/watch?v=55IVz0_FX6Y (France 24 – « Syrie : Aux origines de

l’horreur »)

http://www.youtube.com/watch?v=UAa280icbS8 (Arte – « Le crépuscule des Assad ») http://www.lemonde.fr/syrie/ (dossier consacré à l‘actualité du conflit)

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DOSSIER

Le Phénomène du tourisme mémoriel texte : Mathilde Schaefer

« La guerre révèle à un peuple ses faiblesses, mais aussi ses vertus. » - GUSTAVE LE BON

En voilà un, de ces fameux sujets qui appellent toute une réflexion philosophique et sociologique ! À la Première Guerre mondiale ont succédé les Années Folles, et ses heures d'amusement et de délassement, derrière lesquelles la société se cachait pour profiter de la paix retrouvée et pour oublier … Oublier les atrocités, oublier la peur, oublier la douleur et la peine. Ils ont ensuite connu la Grande Dépression, avant de repartir en guerre. Oui, cet entre-deux-guerres est elle aussi tragique, avec le recul, parce que ce n'est qu'un infime répit illusoire entre les deux plus grands conflits qui n'aient jamais été. Mais la guerre de 14-18 n'a malheureusement pas été « La Der des Ders », à peine 20 ans où le monde a tenté de se reconstruire tant bien que mal, avant que les limites de l'horreur soient encore repoussées. L'atrocité de la Seconde Guerre Mondiale elle, ne s'est pas arrêtée avec l'armistice. Au contraire, elle grandissait au fur et à mesure qu'on découvrait les camps, et avec eux toute l'ampleur du génocide perpétré par Hitler. Ces découvertes étaient controversées, elles ont nécessité des lois pour tenter de mettre tout le monde d'accord, et empêcher le négationnisme, qui insultait la mémoire des victimes de la théorie aryenne du Führer. C'est là. C'est à ce moment-là, que le devoir de mémoire est

apparu et s'est développé, et avec lui tout un phénomène de tourisme de masse, ou quand l'Histoire prend le pas sur l'art dans les musées. Aucune situation semblable pour aucun autre épisode de notre Histoire. Le tourisme mémoriel est presque inexistant pour d'autres faits historiques. Quelques plaques commémoratives au détour des rues « Il est mort ici », « elle a vécu là », autant de discrètes réminiscences d'un passé qui peut paraître parfois bien lointain, quand le monde entier se réunit pour se retourner sur un événement de cent ans. Notre Histoire a beau être une porte ouverte sur l'inconnu, un futur plus qu'incertain et parfois effrayant, une invitation à aller toujours plus loin et à ouvrir sans cesse de nouveaux chapitres dont nos descendants auront à être plus ou moins fiers, la mémoire subsiste. L'Histoire est un voyage dans le temps perpétuel qui nous rappelle que nous ne sommes pas seuls. Il n'est pas question d'extraterrestres ici. Nous ne sommes pas seuls, parce que, où que nous soyons, les ombres du passé envahissent l'espace. C'est encore plus flagrant ici au Louvre que dans les campagnes reculées, certes. Les grands rois qui s'y sont succédé, les bruits de cannes et de robes qui froufroutent lorsque nous arpentons ces

couloirs sont parfois beaucoup plus réels que de lointains seigneurs locaux, comtes fauchés au château tombant en ruine, riches ducs provinciaux ou paysans trimant dans leurs champs de nos chères provinces ! Et pourtant, ils ont tous été des artisans de notre patrimoine, de notre culture, ils ont tous contribué à l'édifice inachevé de l'humanité. Ce n'est pas uniquement une question de racines et de cheminement, c'est aussi une histoire de reconnaissance et de souvenir. Le souvenir … Des millions d'années, des milliards de vestiges de la présence humaine depuis tout ce temps que la vie est sur Terre, et cependant, l'Homme continue de regarder en arrière. Ne pas oublier d'où il vient pour savoir où il va ? Peut-être, c'est aussi ça se souvenir. Le centenaire de la Première Guerre Mondiale offre une vue envoûtante et infinie sur la condition humaine. Créée par la folie humaine, à la recherche de toujours plus de puissance, elle unit aujourd'hui les peuples en une seule civilisation, celle de l'Homme, autour de commémorations solennelles et empreintes de … oui, de quoi au juste ? De ressentiment contre ces fous qui ont entre-déchiré des peuples au nom d'une soif absurde et impossible à satisfaire ? De paix, après ces sombres heures mouvementées qui semblaient ne jamais vouloir finir et qui sont pourtant aujourd'hui révolues ? D'union autour de ce qui ne doit plus jamais, en aucun cas, réapparaître ? De peine et de tristesse, pour toutes ces vies gâchées, ces familles déchirées, ces microcosmes réduits à néants ? De fierté tout de même, pour ce qui a été accompli, pour tous ces hommes qui ont donné leur vie pour défendre une cause à laquelle ils croyaient, un pays qu'ils aimaient, un peuple auquel ils appartiennent encore aujourd'hui, et qui

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L'ART EN GUERRE

tente, tant bien que mal, de leur rendre hommage et honneur, cent ans après, pour leur bravoure et leur reniement d'euxmêmes ? Sûrement un peu de tout cela … La Guerre Mondiale a déchiré le monde par le passé, elle continue de déchirer nos sentiments qui oscillent entre les atrocités de cette époque, et la grandeur qu'elle a révélée sous la boue de l'orgueil. La guerre est absurde, la guerre est atroce, la guerre est triste, la guerre est violente, et malgré cela, la guerre conserve des espoirs et de la beauté : elle réside dans ces hommes morts au front, ces hommes qui ont perdu leur âme dans la noirceur et la puanteur des tranchées, la vision horrifique des champs de bataille et de tous ces corps plus ou moins jeunes, plus ou moins mutilés, abandonnés à la folie destructrice d'une politique mauvaise, orgueilleuse et mal placée, ces hommes qui ont mis leur peur et leur intérêt personnel de côté pour obéir à un ultimatum lancé par des égoïstes idéalistes, pendant qu'à l'arrière, la société s'organisait pour que le pays subsiste tant bien que mal. Le centenaire de la Guerre Mondiale, c'est ça. C'est remercier ces héros, combattants ou civils, disparus dans l'ombre de la guerre, glorifiés sous les projecteurs éclatants de la Mémoire de l'Homme, qui n'oublie pas et honore. Et parce que cet hommage ne doit pas être remis au goût au jour tous les cent ans, il est perpétuel à travers le tourisme mémoriel. L'intérêt que l'on porte à ces soldats, leurs armes, leurs chars, leurs conditions de vie, leurs objets de tous les jours – et de tous les combats -, en bref, s'intéresser à la vie de ces hommes – et à leur tombe -, c'est une façon muette et juste de les remercier et de leur rendre hommage, parce que devant de telles choses, les mots ne seront jamais à la hauteur de leur sacrifice. Oui, parfois, un silence vaut bien de longs discours. R


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L'ART EN GUERRE

LA PATRIE DÉBOULONÉE texte : Laure Saffroy-Lepesqueur illustration Marine Botton

Mystérieuses et ridicules, elles ponctuent les pelouses de leur dodue silhouette. Leur peau verte et molle brille fièrement au soleil du Jardin des Tuileries où elles font raisonner leur silence de bronze. Les « grosses dames » de Maillol semblent être ici depuis la nuit des temps, et c’est sans gêne aucune qu’elles brandissent leur nudité de matrone aux contours flou, sous les yeux étonnés (s’il s’agit d’un touriste) ou blasés (s’il s’agit d’un EDLien piétinant la pelouse boueuse en toute hâte parce qu’il va encore arriver en retard à son cours de synthèse, mais cela n’arrive jamais). Faisons un effort d’imagination…

Un matin comme les autres, émergeant par les escaliers du Carrousel, l’on fixerait machinalement son regard en direction du Musée d’Orsay, et là…Et là rien. Elles auraient disparu. Resteraient là, absurdes d’inutilité, leur socles, un peu vides, un peu grands, un peu seuls (mais très pratiques pour pique-niquer sans salir ses chaussures). Cette impression inquiétante du quotidien qui fout le camp, des parisiens l’ont eue, en des heures obscures de notre histoire nationale… En ce temps-là la vie était moins belle, et le soleil moins brûlant qu’aujourd’hui. C’était en 1942. Certes, depuis plusieurs années, beaucoup de

choses avaient été bouleversées, mais c’est parfois dans les détails qu’on saisit mieux l’horreur des temps. Quels détails ? Et bien les statues de Paris. Philosophes métalliques, soldats inoffensifs, vieillards éternels, idées incarnées, qui habitent les squares, les places, les coins de rue, menaçant de leur doigt oxydé le vol des pigeons goguenards qui ne manqueront pas de les décorer de parures indélicates… Enième agression dans un quotidien déjà noir, le déboulonnement d’un grand nombre de statues parisiennes est un fait méconnu de l’histoire de la ville, et pour cause, il apparut alors comme un épiphénomène de l’Occupation, un dommage collatéral dont on sous-estime

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peut-être les conséquences psychologiques qu’il eut sur les habitants, dépouillés de repères. Les faits, que diable ! – J’y venais (que le lecteur pardonne mes accès de schizophrénie) Le 11 Octobre 1941, le gouvernement de Vichy promulgua une loi au sujet de la refonte des statues métalliques, en vue de la récupération des métaux non ferreux (comme le plomb par exemple). Dans les mois qui suivirent, une centaine de statues furent détruites. Voilà comment Voltaire, Condorcet, Diogène ou Shakespeare se virent transformer en


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armes, mais aussi plus généralement en objets du « circuit de la production industrielle et agricole » (Journal Officiel du 11 Octobre 1941). L’opération fut menée par le ministre Lehideux (cet homme-là, on ne l’imagine pas offrir des bouquets de fleur à sa mamie malade, allez savoir pourquoi), au service de l’Allemagne. Dépouillée de ses bijoux, Paris se vit offrir un dédommagement en fonction du poids du bronze ainsi récupéré. « Emballez, c’est pesé ! » et le couvercle du four se referma sur les héros passés dans un claquement cynique.

pour la France et est mort pauvre ? Une pareille existence est un chef-d’œuvre auprès duquel rien n’est à comparer ». Tombé dans l’oubli, il se vit ériger une statue de bronze en 1913, ce qui devait sonner comme une juste commémoration de sa gloire passée… Trente années plus tard, parce que son visage de « mulâtre » ne correspondait pas aux canons de la beauté aryenne, le Général Dumas fut déboulonné de son socle, et fondu à nouveau dans l’oubli. Aujourd’hui, et ce depuis cinq ans, on peut trouver à la place de la statue disparue, un nouveau monument réalisé par le plasticien Driss Ce qui l’est encore plus, c’est que Sans-Arcidet. Il s’agit de fers d’esclaves de le choix des sacrifiées n’est pas dû au plusieurs mètres de haut, brisés en hasard. Les saints, les saintes (à condition symbole de la vie du Général Dumas. qu’ils ne soient pas trop patriotes), les rois et les reines furent épargnés, ainsi, Les statues disparues de 1942 ont paradoxalement que les monuments fait place à d’autres pour certaines, ou bien commémoratifs de la Première Guerre n’ont jamais été remplacées. Certains Mondiale. Mais les philosophes, les groupes de passionnés d’Histoire militent humanistes, et plus généralement tous pour que leur héros préféré regagne son ceux qui ne correspondent pas à l’idéal piédestal de jardin public. Alors qui sait, nazi virent leur effigie refondue. C’est le peut-être qu’un jour, la statue de bronze cas de la statue du général Dumas de Camille Desmoulin grimpant sur une dominant de sa carrure puissante modelée chaise pour monter à la tribune retrouvera par Alphonse de Perrin de Moncel la place sa place dans les jardins du Palais Royal… du Général Catroux, dans le 17ème En attendant, le soleil et la pluie n’ont pas arrondissement. Thomas Alexandre fini de chatouiller les « grosses dames » des Dumas, le grand-père de la dame aux Tuileries. R Camélias et l’arrière-grand-père des Trois Mousquetaires, était né en 1762 à Saint Domingue et mourut à 43 ans dans l’Aisne. Fils d’un noble normand qui avait fauté avec une esclave haïtienne, il fut vendu puis racheté par son père, avant de devenir un important général de la Révolution Française. Victime d’une épuration politique il est mis à la retraite en 1802 et n’obtint jamais son solde, malgré les campagnes victorieuses qu’il mena. Anatole France déclara « Le plus grand des Dumas, c’est le fils de la négresse. Il a risqué soixante fois sa vie

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Dessins Gabriel Courgeon


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Une esthétique nazie texte et illustration : Laure Saffroy-Lepesqueur

Faut-il établir une différence entre un homme et son art ? Est-on même capable de regarder un être de deux façons totalement distinctes, faire d'un corps le réceptacle de l'homme d'une part, avec tout ce que cela contient donc de faiblesse, et de l'autre l'artiste, le créateur. Il est certain que l'un ne fonctionne pas sans l'autre, que l'homme influence sans doute l'artiste et vice-versa. Pourtant il nous semble deux fois plus étonnant et condamnable de voir pécher un artiste, sous prétexte qu'il fournit du beau ou du bon (libre à vous de définir ces deux notions...). On ne pourrait tolérer qu'il soit laid dans son attitude d'homme. Je fais le choix assumé de dire que je trouve

belles les productions de Leni Riefenstahl et d'Arno Breker. Est-ce-que cela suffit à faire de moi une innommable nazie? Non; là est toute l'affaire... Ces deux noms d'artistes, celui de la photographe et celui du sculpteur, allemands, resteront probablement à jamais assimilés au régime nazi, cela n'est en rien niable, en rien discutable, car cela est un fait: les deux artistes, en ayant cependant refusé clairement de recevoir la carte du parti et de s'associer sciemment à ce dernier, ont « collaboré » au sens artistique du terme et ont répondu présents aux commandes qui leur ont été passées. Ce qui est moins factuel, c'est la dose d'engagement personnel de ces individus dans l'idéologie

pour laquelle ils acceptent de donner de leur raison d'être : leur art. Il est certain que ces deux là n'ont pas attendu le nazisme pour devenir des artistes et que leur traitement des figures et leur goût pour une certaine esthétique n'ont pas été inculqués par ce régime dont il est question. On rentre pleinement ici dans une sphère où se mêlent intérêt, opportunisme, hypocrisie et autres vertus cardinales des temps de guerre, c'est la raison pour laquelle je ne souhaite pas m'appesantir sur la question de l'entière et totale culpabilité de ces deux artistes. Mais leur participation à l'établissement de ce que l'on aura voulu appeler une « esthétique nazie » nous pose la question de l'existence même d'un tel concept. À leurs côtés, faisant figures de modèles, on retrouve de très grands maîtres comme Böcklin, Friedrich, Wagner, rivalisant avec la grande puissance des antiques grecs. Mais cette petite sélection d'artistes de renom vient essentiellement d'un seul esprit, toujours le même, celui qui ose définir un art valide, évoluant dans un même « sens commun », cet esthète à l'idéologie inhumaine, prouvant de manière effroyable que la Beauté n'a que faire du concept moral et se joue de la tournure qu'on espère lui prêter, revoilà Hitler. Car après tout, il est utile de rappeler que des aquarelles d'Emil Nolde, grand expressionniste, taxé de dégénéré par le Führer, furent accrochées dans le salon de Goebbels... L'esthétique nazie, à mon sens, n'existe donc pas réellement. Hitler a existé. Ses goûts en matière d'art ont existé. Mais accoler au terme esthétique l'adjectif « nazi » me semble à la fois infondé, disproportionné et parfaitement absurde. Il n'y a rien de plus dangereux qu'un régime s'associant à ce que le monde a de plus sensible, comme par exemple le domaine artistique. Mais ce

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n'est pas parce qu'une vision des êtres et du monde a trouvé des échos dans une idéologie, et je rappelle qu'une idéologie n'est pas l'assurance de l'affirmation du « bon » au sens conceptuel du terme, que cette vision doit être condamnée par les siècles à venir. L'art, dans ces tristes périodes, est violé, utilisé et pillé. On s'en sert comme d'un outil en vue d'obtenir plus d'ascendance sur les peuples, comme d'une excuse à sa propre folie et à sa propre inhumanité. Ni Friedrich, ni les Grecs n'ont attendu Hitler pour développer leur conception de ce que peut être la Beauté, de même que la Beauté n'a attendu personne pour exister. Fort heureusement, cela fait bien longtemps que l'ombre du nazisme ne pèse plus sur Böcklin ou Friedrich et on apprend peu à peu à faire fi des théories vaseuses cherchant à trouver dans des toiles d'artistes allemands du siècle précédant la seconde guerre mondiale, les fondements du nazisme. S'il n'en est pas de même pour Riefenstahl et Brecker qui eux, ont vécu dans cette période de bouleversement complet, il est tout de même légitime de bien vouloir les considérer comme des artistes dont la partie humaine a fait le difficile (ou non, je ne suis pas à même d'émettre un jugement définitif là-dessus) choix de se vendre, pour continuer à exprimer l'autre partie de leur être, la part du créateur. Cela n'est que la preuve que l'Histoire de l'art peut sembler très fragile, surtout lorsqu'elle tombe dans les mains de puissants mal intentionnés, mais qu'elle a cette force éternelle quelque part, de toujours pouvoir se dégager de toute temporalité, donc de tout bourreau, et venger, de part cette éternité, les affronts faits à toute notion du Beau. R


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Protéger le patrimoine en période de conflit : le rôle des conservateurs Interview propos recueillis par Alizée Sabouraud

En période de conflit, des populations entières sont menacées, mais pas seulement… Les œuvres d’art (qu’elles soient conservées ou non dans des musées), sont également en danger et sont bien souvent des victimes oubliées... C’est la raison pour laquelle la "Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé" a été adoptée à La Haye en 1954 et a été signée à ce jour par 126 pays (dont l'Égypte et la Syrie). Dans la protection des œuvres d’art, le conservateur a également un rôle important à jouer. Nous observons néanmoins que cela n’est pas toujours le cas, comme au musée du Caire, lors de la révolution de 2011. Bénédicte Lhoyer, chargée de cours à l’École du Louvre, à l’Institut Catholique ainsi qu’à la Faculté Jean Monnet de Paris et spécialiste en égyptologie, nous raconte le déroulement des faits.

Que s'est-il passé dans la nuit du 28 au œuvres. Cela expliquerait la présence des 29 janvier 2011 au musée du Caire ? câbles ayant permis de descendre en rappel

Il est très difficile de savoir précisément ce qui s’est vraiment passé cette nuit-là. L’ampleur de la contestation a surpris tout le monde, même si l’on ressentait une sorte d’ambiance de « fin de règne » les mois précédents. Comme le musée égyptien est situé place Tahrir, le cœur de la révolution, tous les égyptologues suivaient les nouvelles avec attention. Lorsque nous avons su que le musée avait été attaqué, nous n’étions qu’à moitié surpris. Des morceaux de statues de l’Ancien Empire brisées se trouvaient à un endroit qui ne correspond pas à leur emplacement initial. Une partie des cinquante-quatre objets volés a été retrouvée par exemple sur la pelouse du jardin du musée ou encore dans une poubelle du métro du Caire… Franchement, après tous ces efforts, pourquoi abandonner le scarabée de cœur de Yuya (le père de la reine Tiyi) facilement dissimulable et pouvant être revendu sur le marché parallèle ? A-t-on put découvrir qui étaient les pilleurs du musée ?

Beaucoup pensent aujourd’hui que les pillages ne sont pas le fait des manifestants. Wafaa El-Saddik, ancienne directrice du musée du Caire, a même déclaré que c’était le fait des gardiens du musée et des policiers des sites archéologiques, autrement dit, par des personnes qui étaient censées protéger les

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à travers la grande verrière de la salle centrale. En effet, cette pratique qui nécessite un entraînement, est un exercice qui est couramment pratiqué dans l’armée et dans la police. De plus, les objets volés ou détruits ont été choisis en toute conscience : période amarnienne, objets de la tombe de Toutânkhamon ou des parents de la reine Tiyi… Bref, que des objets bien connus des spécialistes et du grand public. Ces voleurs n’étaient donc pas des ignorants : ils savaient où aller et quoi prendre.

Quelles ont été les premières réactions du Conseil Suprême des Antiquités ?

La réaction a été immédiate et le premier à apparaître à la télévision a été le chef des antiquités égyptiennes, Zahi Hawass. Omniprésent, il s’est bâti un personnage d’aventurier intrépide, stetson visé sur la tête. Le personnage est à double tranchant. D’un côté, grâce à une très bonne communication, on lui doit d’avoir fait prendre conscience aux Égyptiens de la valeur de leur patrimoine. Mais de l’autre côté, il y a le tout puissant directeur, exigeant le retour des objets conservés dans les musées étrangers, distribuant grâces ou disgrâces, toujours le premier à faire part des « grandes » découvertes. Mais ses déclarations contradictoires le lendemain de l’attaque ont grandement discrédité la thèse de pillards issus du mouvement


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révolutionnaire. Il aurait mieux fallu jouer s’activaient sous ses yeux à exploser les la carte de la prudence… vitrines pour saisir les objets. Ils ont d’ailleurs détalé lorsqu’ils l’ont vue – cassant quelques œuvres volumineuses au Selon vous, quelles mesures aurait-il passage. De plus, la plupart des objets les fallu prendre pour éviter un pillage ? plus précieux avaient été mis à l’abri avant le début des hostilités. Il est toujours facile de critiquer Plus ancien mais en France, après coup, surtout face à une situation Jacques Jaujard ! Ce grand directeur du aussi exceptionnelle qu’une révolution. Louvre, qui a d’ailleurs donné son nom à Personne ne peut savoir précisément la porte de notre École, avait vite compris comment il réagira face à une situation le péril qui s’annonçait à l’aube de la d’urgence où tout peut basculer d’un Seconde Guerre mondiale. Ainsi, [dès instant à l’autre. Moi la première ! Mais 1939, 3691 œuvres partent ainsi pour la malgré toute l’assurance affichée – et province, dans des lieux moins exposés revendiquée – force est de constater que le comme le château de Chambord ou le musée égyptien a tout simplement été sud-ouest de la France] il permit la livré à lui-même ce soir-là. sauvegarde de la majorité des œuvres Avec le nombre de troubles exposées (il faut voir les photos de la depuis les années 2000, les objets d’art Victoire de Samothrace descendant sont devenus des cibles privilégiées pour l’escalier, ou cette vision de la Grande les pilleurs (existence d’un marché Galerie vide, hormis les cadres dorés avec parallèle fonctionnant sur commande, un numéro à la craie tracé sur le mur). De pièces dont la matière première peut être plus, il est également resté sur place pour facilement écoulée, etc.). Pourtant, faire face aux nazis. Ces derniers ont été certains conservateurs sont restés en bien dépités de découvrir le musée dans première ligne pour sauver leurs trésors. Je cet état. me rappelle notamment de la Il ne reste plus qu’à espérer que conservatrice du musée de Bagdad en des leçons seront tirées de ces événements 2004, seule pour faire face aux pilleurs et que les musées puissent à l’avenir ne alors que les Américains, à quelques plus subir ce type de dégâts…. R centaines de mètres de là, préféraient protéger le ministère du pétrole… Elle pleurait et invectivait les voleurs qui

Cependant, de nombreuses œuvres d’art sont aujourd’hui encore en danger, dans des pays au climat politique instable, comme en Syrie, où de nombreux sites historiques ou œuvres d’art ont été endommagés ou pillés depuis 2011. L’International Council Of Museums a ainsi jugé nécessaire de publier en septembre 2013 « la liste rouge d’urgence des biens culturels syriens en péril » dans le but d’alerter collectionneurs et marchands d'art sur les objets susceptibles de circuler illégalement au sein du marché de l'art (de telles listes avaient déjà été établies par le passé pour l'Irak, l'Égypte et l'Afghanistan). De même, une Association pour la Protection de l’Archéologie Syrienne (APSA) a été fondée par Cheikhmous Ali (docteur en archéologie du Proche-Orient ancien à l’Université de Strasbourg) et regroupe des citoyens syriens mais également des ressortissants d’autres pays. Il ne reste plus qu’à espérer que leur action soit davantage récompensée dans l’avenir …

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Q u e lq u e s q u e s t i o n s à p ro p o s de la m é di at i o n de s g u e rre s m o n di ale s texte : Kim Harthoorn illustration : Marine Botton

Le musée a un rôle politique, nous en sommes tous plus ou moins conscients. Que ce soit à l'échelle internationale ou locale, le musée public dépend des sous accordés par les élus, donc de leur bon vouloir, donc sert à leur stratégie politique. Certains musées sont plus concernés que d'autres. On a du mal à voir en quoi le musée du papier peint de Rixheim peut constituer un atout politique ; en revanche, pour le Louvre Abu Dhabi, c'est plus que transparent. C'est le cas des musées consacrés aux deux guerres mondiales. Ils sont légion : Mémorial de Caen, Historial de Péronne, Mémorial de la Shoah, musée de la Grande Guerre de Meaux... La guerre a non seulement bouleversé la culture française, mais elle a également marqué son territoire. Les lieux de mémoire jalonnent ces étendues de terre criblées d'impacts d'obus, toisées par des bunkers, burinées par des tranchées. Comment la médiation est-elle utilisée dans ces lieux où la fonction didactique est indissociable du message idéologique ?

Ici, médiation est entendue au sens large, et la muséographie/scénographie/expographie en font partie. Le choix d'un parcours, la mise en scène des objets ne sont jamais neutres ou innocents. Cependant, il est difficile de déceler clairement leur influence, surtout lorsqu'on n'est pas un visiteur aguerri, ce qui rend cette forme de médiation quasiment subliminale (voire fourbe). Le Mémorial de Caen est un bon exemple d'un parcours conçu afin de transmettre un message précis. On progresse dans l'histoire comme dans un manuel de classe, c'est-à-dire de manière téléologique : les éléments historiques sont choisis parce qu'ils annoncent la suite. Le regard est rétrospectif, sélectif et porte un jugement sur les actes de ceux qui ont vécu à cette époque. Sans remettre en question leur caractère atroce, on peut légitimement se demander si cette façon de présenter l'histoire enseigne réellement le regard historique. Ne retenir que les événements

annonciateurs de la suite donne à l'histoire un caractère inexorable, fataliste et univoque. L'histoire, ce n'est pas seulement les faits, c'est ce que l'on en fait. Cette vision de l'histoire est mise au service d'un message idéologique et politique : L'État reconnaît sa culpabilité dans les guerres mondiales et se fait un devoir d'inculquer aux générations futures l'horreur de la guerre. C'est une idée noble. Cependant, le regard critique en est absent. Il n'y a pas l'envie de montrer aux visiteurs que ce n'est pas si simple et qu'on ne peut pas affirmer, du haut de notre (relativement) confortable XXIème siècle, totalement hors contexte et avec un petit ton moralisateur condescendant : « moi, j'aurais été résistant ». Les gens du passé ne sont pas plus cons que nous, et le choix qu'ils ont fait ne peut pas se résumer à être « gentil » ou « méchant ». C'est pourquoi on peut se demander si le mémorial de Caen, avec sa vision prête à penser manichéenne et téléologique, peut réellement rendre service à ses visiteurs et leur apporter la connaissance et l'esprit critique nécessaires à la compréhension. En même temps, si l'on veut juger, il faut

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renoncer à comprendre. La programmation des musées pose également des questions. Quelle place est laissée à la controverse, au débat et à la critique quand c'est l'émotion qui prédomine dans le discours du musée ? On imagine mal des remises en question et des prises de distance en face d'un vétéran ou d'un ancien déporté qui vient vous raconter son histoire. De la même manière, ce n'est pas en faisant un voyage à Auschwitz qu'on se fera une idée claire de ce qu'est le nazisme. Oppressé par l'horreur, le visiteur du camp d'extermination peut-il comprendre comment on en est arrivé là ? Est-il encore possible de réfléchir posément aux cas comparables, à la possibilité que ça se reproduise, à ce qui fait que ces hommes et femmes sont devenus des tueurs industriels ? La programmation des musées touche également beaucoup à la commémoration. Ainsi, le mémorial de la Shoah organise des cérémonies pour chaque départ de chaque train de déportés, ainsi que pour chaque jour anniversaire, et martèle


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texte et illustration : Laure Saffroy-Lepesqueur

comme un corbeau son « jamais plus ». Répété, et répété, le message perd son sens, ne devient qu'un slogan subliminal associé à un sentiment diffus d'horreur. Le discours muséal, extension du discours public sur l'histoire des guerres mondiales, prend alors des accents pavloviens. Enfin, une toute autre question se pose avec certains dispositifs de médiation, notamment pour les enfants. Collectionner des médailles représentant des valeurs telles que l'honneur et le courage à l'Imperial War Museum de Londres, dialoguer sur Twitter avec un Poilu fictif créé par l'Historial de Péronne, ces moyens de médiation ludiques et interactifs sont courants dans les musées de nos jours. Mais il y a comme un malaise dans ces jeux qui ont pour but de rendre les musées plus proches des gens. Cette

légèreté entre en contradiction avec le message de deuil et de consternation que l'on veut transmettre. Il s'agit d'une superficialité courante dans ce type de dispositif de médiation, qui peut nous conduire à nous interroger sur leur pertinence. Nos pratiques de médiation répondent souvent aux attentes du public, telles que nous nous les représentons à l'aide d'études de publics : plus de proximité, plus d'interactivité, plus de ludisme et de facilité, des messages plus simples. Mais pour faire de nos visiteurs néophytes des citoyens capables de recul critique et de réflexion politique, il vaudrait peut-être mieux être exigeant avec eux, leur apporter ce qu'ils ne demandent pas forcément, même s'ils n'en ont pas envie. À l'instar de leur thématique, la question de la médiation dans les musées qui concernent les guerres

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mondiales n'est pas simple. Se la poser, c'est se demander si le musée doit être le relais de la position de l’État sur l'histoire, et si non, comment il peut y échapper. C'est également se demander si la médiation doit présumer des besoins des visiteurs et y répondre, ou simplement leur apporter ce qu'ils demandent. R


DOSSIER Ce livre n'est ni un roman ni une thèse. C'est le carnet de route d'un tout jeune officier de la Légion Étrangère qui découvre en 1949 la guerre en Indochine et la vie des légionnaires le long de cette « route coloniale n°4 (la RC4) » qui longe, au Nord du Vietnam, la frontière de Chine de Langson à Cao-Bang. On y suit l'auteur dans son poste de 41 Est qu'il tient avec 25 légionnaires et un petit groupe de partisans nungs*. Ce poste est complètement isolé dans la jungle, bâti sur un piton qui domine la RC4, ravitaillé une fois par mois par le convoi montant vers Cao-Bang. Le poste menace ruine. Il le rebâtit si bien avec l'aide de tous ses légionnaires, en puisant dans les ressources inépuisables de la forêt, qu'il va résister à une attaque de guérilleros vietminh. De poste en poste, d'ouverture de route** en ouverture de route, l'auteur est affecté au poste de Dong-Khé avec toute sa Compagnie dans les premiers jours de septembre 1950. Au total plus de 250 légionnaires pour défendre une ancienne citadelle qui se trouve à l'intersection de la route qui mène vers la Chine et de la RC4 qui conduit à Cao-Bang. S'ensuivent très vite, du 16 au 18 septembre, 50 heures de bombardements et de combats très durs allant parfois jusqu'au corps-à-corps contre plusieurs régiments de l'Armée régulière du Vietminh. À la fin, l'auteur qui a combattu jusqu'au bout est de nouveau

L'ART EN GUERRE blessé et tombe, inconscient, entre les mains de l'adversaire. Commence alors une nouvelle grande aventure qui va conduire l'auteur, après avoir échappé au peloton d'exécution, du PC du Général Giap au Camp n°1. C'est là que seront détenus pendant quatre ans tous les officiers capturés sur la RC4 à la suite des combats de septembre et d'octobre 1950. Le camp change d'emplacement tous les trois mois. Les prisonniers sont rapidement privés de leurs chaussures pour rendre leur évasion plus difficile. Ils sont "logés" chez l'habitant dans des villages thôs***. Les commissaires politiques essaieront vainement de les "ré-éduquer" à la chinoise et de les initier aux subtilités de la critique et de l'autocritique. Mais ils n'empêcheront pas les plus faibles d'entre eux de mourir. Car c'est bien à une lutte pour la survie que vont être confrontés tous ces hommes menacés par toutes sortes de maladies tropicales et privés de tous médicaments, sous-alimentés, astreints à de longs déplacements, contraints à s'adapter à la vie dans la jungle pour éviter ses pièges et y trouver un complément à leur nourriture. En août 1954, à leur libération, après la fin de la guerre, seuls 70% des prisonniers du Camp n°1 pourront rentrer en France et retrouver leur famille, certains pour y mourir. R

L'espoir meurt en dernier texte : Bernard Grué

* nung : minorité montagnarde du Nord Vietnam d'origine lointaine sino-thibétaine. ** ouverture de route : opération militaire déclenchée avant le passage des convois sur la RC4 pour s'assurer que la route est libre, c'est-à-dire non coupée par des tranchées ou des abattis, et non défendue par des guérilleros. L'ouverture est maintenue pendant le passage des convois. ***thôs : même origine que les nungs, mais plus nombreux. Peut-être apparentés aux thais de Thaïlande.

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Monuments Men de G e o rg e s C lo o n e y

texte : Gabriel Courgeon illustration : Herminie Astay

« Monuments Men » ou « la sauvegarde du patrimoine et la recherche des œuvres d’arts spoliées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale » est un des pans de l’histoire les plus passionnants et romanesques enfin porté à l’écran. Nous l’avons attendu ce film, nous l’avons fantasmé et nous y avons placé tant d’espoir. Peut-être un petit peu trop. Mais ne mettons pas le panzer avant les chenilles, commençons par un petit synopsis. L’historien de l’art Franck Stokes décide de créer un bataillon de spécialistes dans divers domaines artistiques, les « monuments men », ayant pour but de préserver les productions humaines mises en péril par la guerre. Cette mission va vite se transformer en course poursuite après les nazis pour retrouver les œuvres spoliées.

Men déçoit quelque peu. Avec un sujet aussi intéressant et un superbe casting (Georges Clooney, Matt Damon, John Goodman, Bob Balaban, Bill « fucking » Murray, Cate Blanchet, Hugh Bonneville et Jean Dujardin), on attendait quelque chose de formidable. Surtout qu’à la réalisation et au scénario on retrouve Georges Clooney qui n’a plus de compte à Loin d’être un mauvais film, Monuments rendre dans ces deux disciplines (après de

bien faites, notamment la scène d’ouverture. Et le film est ponctué de petites touches d’humour bienvenues (certaines étant toutefois un peu maladroites voire à côté de la plaque). La protection d’une œuvre d’art vaut-elle On se retrouve catapulté dans le film assez la peine de mettre une ou des vies violemment, avec une mise en place des humaines en danger ? faits et des personnages très (pour ne pas Voilà une question intéressante soulevée par le film. Malheureusement, elle est assez vite oubliée pour mieux continuer l’histoire. On est également déçu que cette mission de protéger l’art et le patrimoine se transforme très rapidement en chasse, se focalisant sur deux œuvres en particulier : « la Madone de Bruges » de Michel-Ange et le « retable de l’agneau mystique ». Malgré cela, le film provoque une véritable émotion, particulièrement pour nous étudiants en histoire de l’art. Découvrir émerveillé les cachettes nazis ou assister impuissant à la destruction d’œuvres au lance-flamme restent des moments intenses. Pour finir parlons un peu des inexactitudes historiques. Il y en a beaucoup, c’est indiscutable, mais les inexactitudes historiques n’ont jamais empêché de faire de bons films (j’en veux pour preuve le chef d’œuvre de Milos Forman Amadeus). Il est toutefois vrai que G. Clooney aurait pu faire des recherches plus sérieuses plutôt qu’uniquement se baser sur le très romancé Monuments Men de Robert Edsel. très bons films comme Good Night and Good Luck ou les Marches du Pouvoir). Même la musique du grand Alexandre Desplat est légèrement décevante. Alors que s’est-il passé ?

dire trop) rapide. Les évènements s’enchaînent très vite, les personnages se séparent aux quatre coins de l’Europe avec diverses missions ce qui nous perd dans un fourbi historique un peu difficile à suivre. On ne se rend presque pas compte que le film s’échelonne sur les deux dernières années de la guerre tellement tout se joue au pas de course. Cela étant dit, certaines scènes sont très

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En bref, on peut dire que Monuments Men n’est pas le film qu’on aurait voulu voir. Un peu trop classique voir cliché par moment, il est « sauvé » du nanard par un casting assez incroyable, mais ça ne suffit pas pour faire un bon film. R


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Diplomatie, film adapté de la pièce de Cyril Gely, nous fait vivre la nuit où l'avenir de la capitale française est en jeu. Pendant 1 heure 24, Volker Schlöndorff met en scène le face-à-face du gouverneur de Paris pendant l'occupation, le général Von Choltitz (Niels Arestrup), et du consul suédois Raoul Nordling (André Dussollier). Le général a reçu l'ordre de dynamiter les ponts et les grands monuments de Paris si les nazis perdent la ville, le consul va essayer de l'en dissuader. L'histoire est simple, sans suspense (non Paris n'a pas brûlé, comme votre expérience des TDO le confirme), sans grands effets, juste deux hommes dans une pièce, et leurs seules paroles comme armes. Car c'est une véritable joute verbale auquelle se livrent les deux hommes. Ils se mesurent, se jaugent, apprécient l'impact de leurs mots. Convaincre, persuader, bluffer tel est l'enjeu de la rencontre rendant palpable l'importance de la parole. Les mots ont un pouvoir, le rapport de forces entre les deux hommes change au gré des révélations de l'un ou de l'autre. Ce long dialogue pourrait être poussif mais il n'en est rien. Le film est parcouru par une tension créée par l'hors champs : les forces alliées avançant sur Paris, les ordres d'Hitler en Allemagne, et surtout les centaines de charges explosives disséminées dans la ville lumière qui sont telle l'épée de Damoclès. Il faut sauver Paris et les Parisiens et le temps presse. Le film est un quasi huis-clos (comme au

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Diplomatie

théâtre), où quelques vues de Paris ou incursions au-dehors sont comme des respirations dans le duel.

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V O LKE R S C H LÖ N DO RFF texte : Herminie Astay

Pour ce qui est du traitement de l'éventuelle destruction du patrimoine parisien, le film de Schlöndorff réussit mieux, avec moins de moyens mis en oeuvre, à faire entrevoir au spectateur l'abîme de la question tant répétée dans le film de Georges Clooney. Si Notre-Dame, le Louvre, le pont des arts explosent, c'est les deux millions de vies qu'abrite la capitale qui disparaissent aussi. Mais si Von Choltitz n'exécutent pas les ordres, c'est sa famille qui est exécutée à cause d'une loi créée par Hitler pour s'assurer la loyauté de ses généraux : sauver le patrimoine est ici un choix intime concret. Dans Diplomatie la culture et la vie vont de pair puisque les deux sont sauvées par la force vitale de la parole elle qui est au centre du travail du diplomate. R

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ASSOCIATION

INTERVIEW scientifique et éthique mais participe aussi de la dimension internationale Nous l’avons voulu RKÉO OPIA UNE AUTRE VOIE POUR L ARCHÉOLOGIE d’ArkéoTopia. également représentatif du projet de l’association. C’est pourquoi il comprend six personnalités de rang international propos recueillis parThéo Le Gal dont quatre chercheurs professionnels (un archéologue américain, un archéologue gallois, un historien français, un biologiste JEAN-OLIVIER GRANSARD-D ESMOND EST LE PRÉSIDENT ET CO-FONDATEUR DE français connu pour son œuvre de L’ ASSOCIATION « ARKÉOTOPIA, UNE AUTRE VOIE POUR L’ ARCHÉOLOGIE ». I L EST vulgarisation), un chercheur bénévole DOCTEUR EN ARCHÉOLOGIE, SPÉCIALISTE DE LA RELATION HOMME- ANIMAL ET français (ajoutant la dimension MEMBRE DE L'EAA (EUROPEAN ASSOCIATION OF ARCHAEOLOGISTS ). archéologie à ses compétences d'architecte), un artiste français de renom. LB : Dr. Gransard-Desmond, pouvez- des membres actifs et des bénévoles Ces six personnalités rendent compte de vous nous présenter ArkéoTopia en externes qui font tourner l’organisation ainsi que des salariés employés à la mission l’ouverture de l’association sur le monde. quelques mots ? dans le domaine de l’animation G-D : « ArkéoTopia, une autre voie pour scientifique. Certains étudiants ont LB : Quels sont les vocations l’archéologie » est née concrètement le 21 d’ailleurs compris l’intérêt qu’il y avait d'ArkéoTopia ? mai 2007, mais son germe est bien plus pour eux à devenir adhérent, leur facilitant ancien. J'ai cherché en vain depuis par cette voie leur accès à l’emploi via la G-D : L’objectif principal d’ArkéoTopia est d’être un carrefour de ressources, longtemps et tout au long de mes études et structure. d’expertises et d’aide à la communication de mon parcours, une association capable scientifiques, personnalités de rassembler la communauté scientifique ArkéoTopia est structuré en cinq entre et les différents acteurs de la recherche, départements : le pôle administratif pour politiques, société civile organisée, presse dont les citoyens. Leur position le fonctionnement, le pôle recherche qui et citoyens. De nombreux sous-objectifs individualiste induisant l'isolation comprend la production scientifique, le permettent également de contribuer à un sclérosante de la discipline a été le moteur soutien à la recherche et la défense de la projet national mais également humaniste. de cette création pour répondre à ce recherche, le pôle édition destiné à National par rapport à l’histoire de la besoin. La fondation d'ArkéoTopia, l’édition de livres, jeux et autres matériels recherche archéologique en France qui, du reconnu d’intérêt général en tant donc à la vente de biens. C’est le pôle le fait de la professionnalisation, a qu’organisme de recherche scientifique à moins actif pour le moment car c’est un aujourd’hui oublié d’où elle vient, en but non lucratif est également issue de ma axe que nous n’avons pas cherché à trop cherchant à faire disparaître du panel des rencontre avec Mme Chris Esnault venue développer. Le pôle formation œuvre à la acteurs, les chercheurs indépendants et les du monde de la communication vulgarisation, l’aide à l’orientation et bénévoles. Humaniste en utilisant événementielle. Nous avons commencé, à l’insertion professionnelle des élèves et l’archéologie non comme une fin, mais deux, avec un prêt de 2000€ pour arriver étudiants. C’est lui également qui s’occupe comme moyen de contribuer à une société aujourd’hui à 50 adhérents en moyenne, du partenariat. Enfin, le pôle service est le meilleure et plus éclairée facilitant ainsi un chiffre d’affaire consolidé de plus de 66 pôle rassemblant ce qui relève de la l’accès à la démarche scientifique utile à 000€ sachant que la valorisation du « recherche et développement » et la vente tout un chacun. Aiguiser son esprit bénévolat représente un peu moins de 2/3 de services permettant à l’association de critique et vivre en conscience au sein de la société est fondamental pour un avenir de ce chiffre. Aujourd’hui, ArkéoTopia s’auto-financer. conscient et… heureux. comprend des membres sympathisants qui bénéficient des ressources et des activités Un Comité d’honneur extérieur aux sans s’engager dans la vie de l’association, adhérents garantit à la fois la qualité LB : Cela est très large et ambitieux.

A

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Comment pourriez-vous résumer ce vaste projet ?

G-D : Pour résumer en une phrase je

dirais qu’ArkéoTopia a vocation à porter un nouveau regard sur l’archéologie d’aujourd’hui afin d'aider les organismes existants à préparer celle de demain. En accueillant et en soutenant les professionnels, les étudiants et les amateurs français et étrangers du domaine, en contribuant à vulgariser la recherche archéologique auprès du public, à la défendre et à participer à sa construction, ArkéoTopia se veut un outil complémentaire à la recherche actuelle. LB : Que propose ArkéoTopia comme activités à ses adhérents et au grand public ?

G-D : Nos activités sont très variées pour

deux raisons. La première est que l’association est composée d'archéologues bien sûr, mais aussi de nombreux nonarchéologues. Pour 2013-2014, nous avons 84 % de personnes du grand public, 12 % de chercheurs et 4 % d’étudiants. La seconde est que l’association n’a pas uniquement des activités pour ses adhérents. Nous intervenons également par exemple dans les écoles primaires, au sein d'autres associations, des universités, des laboratoires du CNRS, des collectivités, etc. Vous imaginez bien que les activités sont complètement différentes en fonction de nos interlocuteurs. Parmi elles, les plus visibles sont celles de vulgarisation (conférences, visites guidées, animations scientifiques, création de jeux pédagogiques) qui s’adressent aussi bien aux enfants qu’aux adolescents ou aux adultes. Elles permettent de sensibiliser le


INTERVIEW

public à la fois à la démarche scientifique et à la spécificité de l’archéologie en rendant compte des connaissances maîtrisées ainsi que des nouvelles découvertes. Avec les Secrets d’Arkéo par exemple, nous intervenons dans le cadre de l’Aménagement des Rythmes Éducatifs pour la Mairie de Paris auprès d’enfants du primaire sur l’archéologie égyptienne de l’antiquité et l'archéologie celte. Pour les adhérents, nous organisons des rencontres appelées ArkéoSpots afin de nous retrouver et d’échanger à l’occasion d’une exposition, d’un film, d’une conférence. Les archéologues et autres scientifiques du groupe apportent leurs lumières, mais la réciproque est également vraie en fonction des connaissances et compétences de chacun. Pour les étudiants et les chercheurs, nous avons des travaux spécifiques, soit sur des sujets de recherche, soit en soutien à d’autres chercheurs pour leurs travaux, que ce soit en relisant les articles ou en leur apportant un soutien logistique dans le cadre de leur recherche. À ce titre, nous échangeons beaucoup avec le département de préhistoire du Musée National d’Histoire Naturelle. LB : Quelle est la politique de l'association vis-à-vis des étudiants en archéologie et en histoire de l'art ? Et visà-vis du grand public ?

G-D : Une des raisons d’être d’ArkéoTopia

est le soutien à apporter aux étudiants en archéologie et histoire de l’art. J’ai moimême été étudiant à Bordeaux 3, à La Sorbonne et à l’EPHE et je me rappelle les difficultés rencontrées, que ce soit en terme d’orientation, de rédaction lors de mon master ou de plan de carrières durant mon doctorat !

De fait, ArkéoTopia a été pensé pour faciliter la vie des étudiants ainsi que nous l’avons fait avec le projet Étudier l’Archéologie en Europe (SAE) qui s’adresse à la communauté française et européenne des étudiants, de la Licence au Doctorat. Et pour accueillir les étudiants : soit de façon ponctuelle pour un renseignement, ou bien à la demande d’un établissement souhaitant par exemple un séminaire comme je l’ai déjà fait à l’Université Paris 7 pour une table ronde d’une journée dédiée aux métiers. Soit de façon plus suivie en accueillant les étudiants en tant qu’adhérents pour les aider dans la réalisation de leur mémoire et leur faciliter l’accès à la publication d’articles dans des revues de qualité en fonction de leurs compétences : revues de vulgarisation ou revues de recherche qu'elles soient papier ou électroniques. LB : Quels sont les projets d'actualité dans lesquels ArkéoTopia est impliqué et à quel niveau ?

G-D : En matière de défense des intérêts

de l’archéologie et des Sciences Humaines et Sociales en général, il y a le travail effectué en tant qu’expert pour la commission Afnor sur le management des activités de recherches. Ce dossier est actuellement soumis à enquête publique jusqu’au 13 mars 2014 et sera publié en fin d’année. Par ailleurs, le projet « Arkéthique » dirigé par ArkéoTopia sur le développement d’une éthique de la recherche archéologique en France avance bien et a fait l’objet d’un article de recherche l’an passé pour Internet Archaeology.

recherche. D’autres publications sont en attente dont une à la charnière entre recherche fondamentale et recherche appliquée en archéologie. Deux projets de fouilles sur le bassin parisien sont également à l’étude. En matière d’encadrement d’étudiants en archéologie, actuellement nous suivons deux étudiantes en Master. Un contact a été également pris avec l’école doctorale d’une université parisienne ayant une section formation en archéologie pour l’organisation, a minima d’une table ronde et voire plus selon le retour de ce premier échange.

parcouru ?

ASSOCIATION

G-D : Nous sommes partis à deux,

bénévoles, et rien d’autre sur la table qu’un projet, une dette de 2000€ et notre motivation. Nous rassemblons aujourd’hui une cinquantaine de personnes d’univers et d’âges différents autour de ce projet qui a bien évolué pour s’enrichir d’une culture humaniste beaucoup plus visible, avec des activités multiples effectuées autant à l’interne qu’à l’externe, avec des intervenants salariés, et des projets touchant autant la collectivité que le niveau national et européen.

LB : Quels sont les projets futurs de ArkéoTopia est la preuve vivante de la l'association ?

maxime Si on veut, on peut. Si nous

G-D : Nous souhaitons appuyer l’axe sommes satisfaits du résultat à ce jour, recherche d’ArkéoTopia. L’association a vocation à devenir une fondation et a été pensée pour que son développement soit facilité par l’implantation de filiales en France, mais également à l’étranger. De nombreux sujets sont encore en souffrance faute de temps ou d'aide pratique. Ainsi nous disposons de nombreuses diapositives sur l’iconographie médiévale que nous n’avons pas encore pu étudier ainsi que des sujets sur l’iconographie animale au Proche-Orient et en Égypte qui permettraient de renouveler la vision des sociétés du passé. Nous comptons donc reprendre le cercle vertueux liant l’ArkéoCenter (L’ArkéoCenter est le nom donné aux cours d’archéologie dispensés par ArkéoTopia) au grand public et aux étudiants, et le travail de recherche. Pour cela, nous avons besoin de certains partenariats. Il reste à les identifier, ou à reprendre contact avec certains ou encore pourquoi pas, espérer qu'ils se manifestent d’eux-mêmes.

En matière de recherche, ArkéoTopia porte actuellement une étude sur l’épave d’un navire du XIXème siècle en Nouvelle LB : Après sept ans d'existence, quel Calédonie suite à l’accès à des inédits de regard portez-vous sur le chemin

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nous ne nous en contentons pas pour autant car nous souhaiterions arriver à une implantation physique avec un local dans Paris. Cela nous permettrait entre autres, de rendre accessible l’ArkéoThèque qui est la médiathèque en archéologie, histoire de l’art, histoire et ethnographie de l’association qui compte à ce jour plus de 2500 titres, mais aussi de faciliter le développement des activités à l’année de façon permanente, avec un lieu de rencontre, lieu ouvert à tous mais personnalisé pour chacun. R

Pour plus d’informations sur ArkéoTopia : http://www. arkeotopia. org/site/index. php https://www. facebook. com/arkeotopia?ref=ts&fref=ts


MUSÉE DU MONDE

REPORTAGE

texte : Théo Le Gal illustration : Herminie Astay

Le Metropolitan Museum of Art, c’est 2000000 d’œuvres dont seulement 250000 sont exposées sur une superficie de 180000 m². Le MET, c’est 5000000 de visiteurs par an. Enfin le MET, c’est l’ambition de présenter les collections du musée du Louvre, du musée d’Orsay, du musée Guimet et du musée du Quai Branly dans un même musée. Espérons seulement que la file d’attente pour y entrer ne combine pas celles du musée du Louvre, du musée d’Orsay, du musée Guimet et du musée du Quai Branly. Pour éviter tout désagrément lié à une attente trop longue dans le froid de l’hiver new-yorkais ou sous le soleil implacable de l’été, à Gotham City, une seule solution : écourter sa grasse matinée. Un lever à 7h00 est recommandé pour une arrivée à 9h00, cela afin de faire partie des dix premières personnes à pénétrer dans ce mastodonte de l’art, vers 10h00. Le sacrifice en vaut la peine car au-delà d’éviter la queue interminable sur le trottoir, on peut prendre une photo de l’entrée déserte du musée, mais surtout on a le privilège d’assister au véritable spectacle que donne le couple de gardiens avant l’ouverture des portes. L’un imite à la perfection le King, Elvis Presley, tandis que sa collègue énumère les stars qu’elle a vues défiler au musée (surprise garantie !). 10h00. On revit La Ruée vers l’Or, les touristes ne savent plus où donner de la tête. Certains filent au département des peintures, d’autres courent au département des arts asiatiques tandis que d’autres encore se ruent… à la cafétéria ?! Il est vrai qu’un petit déjeuner conséquent est recommandé avant d’entreprendre la visite. Si les gens se dispersent dans tout le musée, il y a pourtant une salle à rejoindre au plus vite après cette arrivée matinale : c’est la salle du temple de Dendur, au cœur du département des antiquités égyptiennes. On franchit à la hâte salle après salle, dépassant les amulettes et les statuettes

pour tomber nez à nez au détour d’un étroit couloir sur une vision magique de l’Égypte des pharaons transportée ici, au MET. Dans une salle immense éclairée au travers d’une paroi de verre, le temple de Dendour s’élève, comme autrefois dans les sables de l’Égypte antique, au centre d’une plateforme cernée par un bassin luisant des milliers de pièces qu’on y a jetés. Personne, un silence unique, l’occasion de prendre une photo pour immortaliser le moment. Puis c’est parti pour un voyage autour du monde. Dans l’American Wing, on découvre l’intérieur d’une maison bourgeoise américaine de la fin du XIXème siècle, rappelant le décor d’Autant en Emporte le Vent. Plus loin dans le département de la sculpture et des arts décoratifs européens, au détour d’une porte, on se retrouve au sein d’une des chambres du Palazzo Sagredo de Venise, datée du XVIIIème siècle. Et on ne saurait manquer la cour d’une riche demeure chinoise de l’époque Ming (1368 – 1644) dans le département des arts asiatiques. Ces reconstitutions nombreuses entretiennent la magie du musée. Les enfants finiront leur visite par le département des armes et des armures tandis que leurs parents contempleront les peintures européennes ou les masques africains. Éreinté, pour ne pas dire sur les rotules, on échoue inévitablement à la boutique souvenirs qui ne vend pas ou presque pas (ne soyons pas de mauvaise foi) de souvenirs à part des catalogues d’exposition d’environ 5 tonnes. Mais finalement peu importe, les souvenirs les plus précieux sont gravés dans votre mémoire à jamais. R

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ACTUALITÉS

ODE

AUX

SHERMAN BROTHERS ...

texte : Gabriel Courgeon illustration : Herminie Astay

J’ai fait une découverte, pour être précis deux découvertes : Robert et Richard Sherman. Il y a encore quelques semaines je ne soupçonnais même pas l’existence de ses deux personnages. Mais qui sont ils vous demandez vous surement? C’est ça la beauté de la chose, ce sont deux artistes dont vous ignoriez peut-être les noms mais dont les œuvres vous sont connues depuis longtemps. Si je vous dis Higitus Figitus, ou encore Supercalifragilisticexpialidocious. Et bien oui les frères Sherman sont deux des plus grands (voir les plus grands) paroliers de film, en particulier pour les films Disney. C’est avec le récent film Saving Mr. Banks (traduit on ne sait pourquoi en français par Dans l’ombre de Mary), film retraçant la genèse de l’adaptation Disney de Mary Poppins et la confrontation entre Walt Disney lui-même (joué par Tom Hanks) et l’auteur du livre Mary Poppins P.L. Travers (incarnée par Emma Thompson). Dans ce merveilleux film, ont découvre ainsi les frères Sherman en chair et en os (interprétés B.J. Novak pour Robert et notre chouchou Jason Schwartzman pour Richard) et leur génie pour la composition. Écrivant des chansons ensemble, c’est en 1961 que Walt Disney les embauche pour écrire les chansons du film la Fiancé de Papa. Mais c’est véritablement pour les chansons des « classiques » du studio Disney que nous les connaissons : Merlin l’enchanteur, Mary Poppins, le Livre de la Jungle (excepté la chanson « Il en faut peu pour être heureux » – « the bare necessities » en version originale), Winnie l’ourson, l’Apprentie Sorcière ainsi que certaines chansons des Aristochats. C’est en partie grâce à ces compositions que cette période (les années 60 - correspondant à la fin de la vie de Walt Disney) nous laisse les films les plus drôles et énergiques du studio d'animation. Prenons l’exemple du Livre de la Jungle. Dans ce film, les frères Sherman nous offrent des chansons dans des registres très différents. Le

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HOMMAGE

jazzie « Être un homme comme vous » (en anglais « I wanna be like you » chanté par Louis Prima) côtoie la marche militaire du colonel Hathi et la chanson style barber-shop quartet des vautours « C’est ça l’amitié » (« That’s friends are for »). Ce sont des touche-à-tout. En plus de ces mélodies, il y a l’ingéniosité des paroles et l’humour qu’ils y insufflent. L’invention de mots, comme les formules magiques cités un peu plus haut (de Merlin et Mary Poppins), et le mélange entre paroles chantées et répliques rendent l’ensemble très vivant. Chacune de leur chanson est un succès et on ne peut pas s'empêcher de les fredonner. Comme le dit Walt Disney dans le film Saving Mr. Banks à propos d’une chanson des frères Sherman « it’s more than ironic, it’s iconic ». Voilà comment résumer le travail de ces deux génies qui ont bercé notre enfance et nous berce encore aujourd’hui (pas la peine de se voiler la face, Disney c’est à la vie à la mort). En cadeau voici les paroles d’une composition que je vous ai caché des frères Sherman, en espérant qu’elle vous reste dans la tête toute la journée (car oui j’ai toujours été du côté des méchants) R It's a world of laughter, a world or tears It’s a world of hopes, it’s a world of fear There’s so much that we share That it’s time we're aware It’s a small world after all It’s a small world after all It’s a small world after all It’s a small world after all It’s a small, small world There is just one moon and one golden sun And a smile means friendship to everyone. Though the mountains divide And the oceans are wide It's a small small world…


SÉRIES

RUBRIQUES

Episode 6 : Vicious

Les Super­séries injustement méconnues texte : Kim Harthoorn illustration : Herminie Astay

Ils vivent dans l'ombre de Game ofThrones et de Big Bang Theory, alors l'histoire les a injustement oubliés. Louvr'Boîte part pour vous à la rencontre de ces petits joyaux de la culture télévisuelle. Attention, culte.

Freddie et Stuart sont en couple depuis 48 ans. Freddie, interprété par Ian McKellen (rien mois que Magneto et Gandalf à son actif) est un acteur raté vieux beau complètement névrosé. Stuart, lui, est homme au foyer désespéré. Un jour, un charmant jeune homme répondant au doux nom de Ash («I didn't even know it was a name... ») emménage à l'étage au-dessus...

Après un générique kitsch à mort, sur la chanson « Never can say goodbye » du groupe The Communards (les noms des acteurs apparaissent en s'écrivant à l'écran... ridicule !), un épisode s'ouvre toujours sur Stuart ayant avec sa mère une conversation absurde généralement ponctuée de rires enregistrés frisant l'hystérie. Stuart et Freddie, en vieux couple aigri, se balancent les pires horreurs. Ils passent leur vie à organiser des soirées nulles avec leurs potes : outre Ash, il y a Violet, quinquagénaire en quête de l'amour, Penelope qui est atteinte d'Alzheimer et le peu aimable Mason. Tout ce petit monde s'envoie vanne atroce sur vanne atroce. Il n'y a rien d'autre. Pas de fond, pas de message, pas de morale, juste des situations surréalistes et des dialogues hilarants, où domine un humour british polychrome des plus jubilatoires.

Cela suffit comme point de départ. Vicious n'est pas une série à grande ambition, à intrigues dans l'intrigue et à twists fracassants (quoique...). Elle nous ramène à notre enfance, aux sitcoms à petit budget, deux décors et six acteurs, sans prétention mais vachement drôles. Les moyens sont réduits à tel point qu'on se demande même parfois si l'on n'est pas au théâtre, devant une pièce filmée (Balthazar, le chien semi-mort, n'apparaît même pas à l'écran). Peut-être que tout le Craquez pour Vicious, série budget est passé dans le cachet des acteurs, comique pas prise de tête qui n'a pour exceptionnels pour une petite série comme l'instant qu'une saison de sept épisodes à Vicious : Ian Mc Kellen bien sûr, mais son actif (la prochaine arrive courant aussi Derek Jacobi (moine enquêteur dans 2014, mais comme Ian McKellen a du Cadfael et méchant mémorable de Doctor boulot à côté...). A raison de 20 minutes Who), Frances de la Tour (la directrice de par épisode, ça reste raisonnable, même en l'école française de magie dans Harry période d'examens. R Potter et la Coupe de Feu) et Iwan Rheon (un jeune et beau Gallois vu dans Misfits et Game ofThrones). Vicious (Royaume-Uni, 2013) création de Gary Janetti et Mark Ravenhill production Gary Reich 1 saison (6 épisodes plus un « Christmas special »)

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COMMUNIQUÉ

TéléSorbonne vous invite à la 13ème édition du Festival National du Court Métrage Étudiant Mardi 8 avril à 18h :

Soirée Animation & Documentaire Université Paris VII Diderot Métro Bibliothèque François-Mitterrand Amphithéâtre 10E Mercredi 9 avril à 18h30 :

Soirée Fiction & Expérimental Université Paris III Sorbonne Nouvelle Métro Censier Daubenton Amphithéâtre D03

Jeudi 10 avril à 19h :

Soirée de Clôture

Université Paris IV Sorbonne Centre Malesherbes Métro Malesherbes Grand amphithéâtre

Entrée libre et gratuite !

19h30 : début des projections 21h : délibérations autour d’un buffet 22h : remise des prix 25


26 HORIZONTAL : 4. Arrangé ; 8. Hiérogamie ; 10. Bague ; 13. Vibromasseur ; 14. Hymen ; 16. Baiser ; 17. Cupidon ; 18. Dot ; 19. Himeros VERTICAL : 1. Célibataire ; 2. Gay ; 3. Anakalypsis ; 5. Gingembre ; 6. Rouge ; 7. Linga ; 9. Geisha ; 11. PACS ; 12. Folamour ; 15. Mort ; 20. Main

Pour changer, il y avait des erreurs ! 1 case était en trop pour les mots 4 et 8 horizontaux et 1 vertical…

SOLUTION MOTS-CROISES LB 21

JEUX MOTS C ROISÉS




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