n ° 2 7 / 0, 5 € fé vri e r 2 01 5
NZK
Louvr'B o î t e Le journal des élèv es de l'École
du Louvre
S O MMAI RE dossier / la propagande : Prop-Art..........................................;.................... 4 Les récupérations post-mortem ou la fabrique des héros................................... 6 La propagande pour les Nuls.......................... 1 1 Vous n'admirez pas Napoléon ? Mais qui admirez-vous donc ? (V. Hugo)..................... 1 3 Étude de cas : le cinéma de propagande...... 1 7
rubriques : Musée insolite : le musée des coeurs brisés 1 8 Muséo-pop : la restauration et la médiation expliquées par Jurassic Park........................... 1 9 B.F.M. Food : la pâte à tartiner maison......... 2 2 Super-série injustement méconnue : Utopia 2 4 Le choix de la rédaction.................................... 2 6 Muséo-quiz.......................................................... 2 8 Mots-croisés....................................................... 3 0
ÉDITO
Chère lectrice, cher lecteur, je sais ce que tu te dis : « Mais n’y a-t-il aucun journal qui mérite que l’on pose les yeux sur lui ? », ou bien encore : « Sommes-nous voués, pour le reste de nos jours, à ces torchons qui se prétendent journaux ? ». J’entends cette colère qui gronde en toi, car elle résonne tout aussi puissamment en mon âme et en mon cœur. Que l’avenir semble sombre ! Et pourtant, ne cède pas au désespoir, la délivrance est proche. Entends l’appel de ce numéro, dédié à la parole vraie, la seule qui fasse sens, celle de Louvr’Boîte. Au cœur de la tempête, il se présente à toi telle l’arche de Noé, le radeau de la dernière chance pour te sauver du naufrage. Ne doute plus, ni ne questionne les vérités que nous allons te révéler. Elles seules te porteront vers le bonheur et la paix. N’en doute point. Ainsi te faut-il résister à tous les assauts de ces perfides journaux, Libération ou Figaro. Ne jure plus que par Louvr’Boîte et colporte la nouvelle autour de toi !… Mais… Diantre ! Je vous prie de bien vouloir excuser ce langage factice, fait de tours et de malice. Ce numéro vous entraînera dans les arcanes de la propagande et sur les chemins sinueux de l’apologie machiavélique. Dès lors, que votre lecture critique sonne le glas de cette antique mais bien moderne pratique ! Théo Le Gal
Louvr'Boîte, journal des élèves de l'École du Louvre. Septième année. Février 2015. 0,5 €. École du Louvre, Bureau des Élèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 Paris cedex 01. Tél. : +33 (0) 1 42 96 13. Courriel : journaledl@gmail.com. Facebook : fb.com/louvrboite. Twitter : @louvrboite. Tumblr : http://louvrboite.tumblr.com. Directeur de publication : Théo Le Gal. Rédactrice en chef: Herminie Astay. Ont contribué à ce numéro, dans l'ordre alphabétique : Herminie Astay, Gabriel Courgeon, Solène Devaux-Poulain, Alexis Dussaix, Sarah Favre, Julien Jourand, Théo Le Gal, Sophie Leromain, Aurélien Locatelli, Yohan Mainguy, Elise Poirey, Marine Roux, Margaux Ruaud. ISSN 1969-9611. Dépôt légal : février 2015. Imprimé sur les presses de l'École du Louvre (France). Saufmention contraire, © Louvr'Boîte et ses auteurs. 5
t r A Prop
Texte : Julien Jourand
italiens... C'est ce livre qui va me permettre d'élaborer sur la distinction entre art et propagande. Cette problématique était présente dans l'esprit de Yanker quand il rassembla sa collection, à partir de 1967 :
« Le collectionneur d'affiches politiques est réellement un oiseau rare. C'est un aventurier qui risque souvent sa vie pour une affiche : la chasse aux affiches de propagande a déjà son folklore. On a fait passer des affiches en contrebande à travers des frontières soumises à des tensions politiques. Des correspondants ont décollé des murs des affiches fraîchement posées, tandis que policiers et étudiants se livraient à des combats de rue. D'autres ont réussi à pénétrer dans les quartiers généraux sévèrement gardés de groupes révolutionnaires d'extrême-droite et de gauche, où on les a quelquefois pris pour des agents de la C.I.A. (…)
« L'art est utilisé comme moyen de propagande depuis les pharaons de l'Égypte antique. C'est pour exprimer un sentiment de puissance et de permanence que ces souverains ont construit leurs pyramides. De même l'architecture des Romains avait un but politique : la glorification de l'État. Les portraits peints en France au XIXe siècle par Jacques-Louis David ont contribué à répandre une image héroïque de Napoléon. Il appartient aux historiens de l'art de débattre du point de savoir si l'insertion d'un contenu de propagande dans l'art diminue sa valeur esthétique. » (Gary Yanker, Prop-Art, 1972.)
Au cours des émeutes étudiantes de mai 1968 en France, l'un de mes amis fut grièvement blessé. Tandis qu'il tentait de décoller l'affiche « La chienlit, c'est lui » d'un mur du Quartier Latin, il reçut un pavé derrière la tête et tomba sans connaissance. Il a raconté plus tard que sa seule pensée sur le moment fut « l'affiche est perdue ». »
C'est à partir de cette constatation somme toute assez largement partagée (l'art serait un instrument de propagande comme les autres, de toute éternité, ce qui renvoie dos à dos tous les camps s'y livrant) que Yanker construit sa thèse. Cependant, il rapporte aussi le propos de l'essayiste de gauche Susan Sontag, qui écrivit dans un essai introductifau livre The Art of Revolution que l'affiche moderne ne pouvait « exister avant l'apparition des conditions historiques du capitalisme moderne et que l'avènement de l'affiche reflète l'apparition d'une économie industrialisée dont le but est une production de masse toujours croissante » (Yanker, 1972).
Gary Yanker, Prop-Art, 1972 Il a existé durant les années 1960 et 1970 une vogue véritablement mondiale de l'affiche de propagande, née de la profusion d'affrontements politiques de l'époque, à tel point qu'une institution comme le WPPI (World Political Parties Institute) fut créée afin de les cataloguer, de les analyser et de les sauvegarder. Cette politique fut véritablement patrimoniale : la collection rassemblée par le fondateur du WPPI, Gary Yanker, forte de plus de 3500 exemplaires d'affiches de 1927 à 1980, est conservée à la Librairie du Congrès américaine. En est issue une publication étrange, dont les rares exemplaires subsistants sont conservés par certains particuliers : Prop-Art. Ce livre assez extraordinaire, mi-catalogue de collection d'art, mimanuel du parfait petit affichiste/propagandiste, est surtout parfaitement neutre au niveau politique : on y trouve tant des reproductions de posters du Ku Klux Klan américain (à un bout du spectre politique) que de la Chine maoïste (totalement à l'autre extrémité), et même des reproductions d'affiches de groupuscules inconnus aujourd'hui : parti nationaliste bavarois, coalitions politiques finlandaises oubliées, petits groupes anarchistes
C'est là un point de vue différent de celui ahistorique de Yanker, qui renvoie à une genèse et une histoire de l'art de propagande. Quelle est cette histoire de la propagande dans l'art ? Je ne fais qu'effleurer un sujet très vaste, en essayant simplement d'articuler des questions.
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Un des livres les plus connus sur la propagande, et celui qui a fourni à la langue anglaise l'expression d' engineering consent (la fabrique du consentement), est le Propaganda de Edward Bernays (1928). Bernays, neveu américain de Sigmund Freud, a été le fondateur de
DOSSIER
La propagande
l'industrie des relations publiques aux États-Unis après la Première Guerre Mondiale. Nommé un des 100 Américains les plus influents du XXe siècle par le magazine Life, Bernays a été l'un des grands théoriciens de la propagande et des relations publiques dans un système démocratique. Son Propaganda part d'une constatation simple : le système démocratique américain a été conçu et mis en pratique dans une société dont l'unité économique et médiatique de base était le village de colons. En 1928, la société américaine urbaine et industrialisée, disposant du télégraphe, de la voiture, de la radio et du chemin de fer était on ne peut plus différente. Un nouvel élément social était apparu : la foule, la masse, c'est à dire les citoyens libres de s'informer à n'importe quelle source des mass medias ; apparaissant toutefois à Bernays et aux décideurs de son époque comme une vaste entité sauvage et dangereuse s'il n'existait pas un moyen d'informer l'opinion des foules, c'est-à-dire de contrôler l'information par des moyens non coercitifs. De là l'invention des relations publiques, histoire longue et passionnante informée par la psychologie et la sociologie des années 1920-1930.
politique, qui est en possession de certaines croyances, et tente de les faire connaître, que ce soit par la parole écrite ou orale, pratique la propagande. » In Propaganda, 1928.
Car l'origine du mot « propagande », selon Bernays, est à trouver dans la Sacra Congregatio de Propaganda Fide, l'actuelle « Congrégation pour l'évangélisation des peuples » de l'Église catholique. Anciennement connue sous le nom informel de Propaganda, elle était, et est toujours, chargée de l'évangélisation en milieu non catholique, fondée en 1622, en pleine guerre de Trente ans. Le sens originel de « propagande » n'était pas péjoratif, et même parfois mélioratif dans l'Europe très chrétienne d'avant la Première Guerre Mondiale. Bernays lui-même identifie l'origine de la péjoration du mot dans le conflit mondial et l'afflux de propagande qu'il produisit grâce aux nouveaux moyens de communication de masse. De fait, comme l'a bien identifié Sontag, l'affiche de propagande est née et s'est diffusée avec l'expansion du système capitaliste, et comme le reconnaît Bernays :
« Aujourd'hui, cependant, une réaction a commencé. La
« Le
suffrage universel et l'école pour tous ont renforcé cette tendance, et finalement la bourgeoisie elle-même prit peur du peuple. Car les masses promettaient d'atteindre à la royauté. » In Propaganda, 1928.
minorité a découvert une aide puissante pour influencer les majorités. Il a été prouvé qu'il est possible de modeler l'esprit des masses de façon à ce qu'elles jettent leur force nouvelle dans la direction désirée. Cette pratique est inévitable étant donné la structure présente de la société. Quoi qu'il soit fait d'important aujourd'hui, que ce soit en politique, finance, manufacture, agriculture, charité, éducation ou d'autres domaines, doit être fait avec l'aide de la propagande. La propagande est le bras exécutif du gouvernement invisible. » Edward Bernays, Propaganda, 1928 (traduction personnelle).
De fait, adopter, comme on l'entend parfois, le point de vue assez réducteur de l'art comme éternel outil de propagande est une erreur : Yanker dans son livre Prop-Art se trompe. La propagande a une histoire et l'art, s'il a pu être souvent au service des puissants, doit toujours être replacé dans son contexte d'origine afin de nuancer les grandes généralités.
Bernays n'était pas un cynique : il pensait réellement aider à l'organisation efficace du système démocratique américain de façon à ce que celui-ci puisse préserver les libertés sans sombrer dans l'anarchie et le chaos.
Bibliographie : Prop Art, Gary Yanker, 1972 aux éditions Planète pour la
traduction française.
De fait, le Propaganda de Bernays peut être vu comme un vaste effort dans la réhabilitation de la notion de propagande. Il en livre l'étymologie et tente, en puisant à de multiples sources, de théoriser ce que doivent être les efforts de propagande en démocratie. Il cite pour cela un article anonyme du Scientific American :
Propaganda, Edward Bernays, 1928 sur
www.historyisaweapon.com/defcon1/bernprop.html
«
La propagande est une forme d'activité humaine parfaitement légitime. Toute société, qu'elle soit sociale, religieuse ou
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Les récupérations post-mortem
ou la fabrique
des héros
Texte : Yohan Mainguy - Illustration : Solène Devaux-Poulain
L’Histoire se construit autour de récits qui mettent en avant des héros, et nous sommes bien placés à l’École du Louvre pour le savoir tant on en rencontre au fil des cours d’HGA. Et c’est bien connu, l’Histoire est un instrument politique sans égal en terme de contrôle sur la société. Encore célèbres aujourd’hui et donc très présents dans l’imaginaire collectif, les héros qui jalonnent l’Histoire des civilisations pourraient être répartis en deux grandes catégories : les personnages légendaires et les personnages réels. Le problème, c’est que les personnages considérés comme réels ont toujours leur part de mystère, leurs zones d’ombre, qui fait que l’on ne sait réellement dans quelle catégorie les placer (oui, on aime ça, mettre les choses dans des cases). Et quand on est sûr qu’ils existent, se pose la question de savoir s’ils se sont vraiment illustrés par leur héroïsme sans faille et si oui, dans quelles conditions. Car
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on aime aussi faire la fine bouche. La raison de ces hésitations est simple : ces héros sont souvent le résultat d’une récupération, politique le plus souvent, à des fins de propagande. Les exemples ne manquent pas. Nous ne parlerons pas ici des héros grecs ou romains, mais plutôt des héros qui jalonnent le parcours de l’Histoire de France. Un en particulier : Vercingétorix. Vercingétorix, avec Jeanne d’Arc, est sans doute le personnage le plus emblématique de l’héroïsation postmortem en France. La raison est claire : c’est le premier personnage « historique » (cité dans des textes dont l’authenticité ne fait aucun doute - cf. La guerre des Gaules par un certain Jules César) à avoir tenté de défendre un territoire associé à la France, face à des envahisseurs dont l’identité est bien définie : les Romains. La réalité est un peu plus complexe : même s’il
DOSSIER
La propagande
s’est en effet battu contre Jules César et ses légions, Vercingétorix n’est pas un jeune Arverne qui a grandi en Gaule, apprenant en grandissant les techniques de guerre qui devaient lui permettre de devenir un grand chefgaulois. S’il est en effet né en Gaule, et s’il y a grandi en partie, c’est au sein des légions romaines qu’il a appris le maniement des armes et les tactiques qui lui ont permis de gagner à Gergovie. Il est issu d’une famille de la noblesse gauloise, descendant elle-même d’une ancienne famille royale ; comme d’autres jeunes Gaulois dans la même situation, il a pu être pris en « otage » par les Romains, qui l’auraient alors intégré dans les légions afin de s’en faire un allié. Il est d’ailleurs probable qu’une fois devenu chef gaulois, il ait accompagné César dans ses campagnes, avec d’autres chefs gaulois bien sûr. Car il faut bien se rappeler
d’une chose : la Gaule n’était pas un territoire uni, mais composé de différents groupes ou tribus qui ne s’entendaient pas forcément très bien, ce qui peut expliquer en partie leur envie de s’allier à Rome afin de mieux écraser les autres. Sa formation au sein des troupes romaines ne fait aucun doute, tant on ressent cette influence romaine dans la manière que Vercingétorix avait de diriger ses troupes au combat. Vers l’an 53 avant J.-C., certains chefs gaulois, dont Vercingétorix, abandonnent César et décident de s’opposer à lui, afin d’asseoir leur pouvoir sur une large partie de la Gaule en l’unifiant en partie, tout en chassant les Romains de la région. L’Histoire montra par la suite que leurs espoirs étaient fondés, même si ce stratagème ne s’est finalement pas révélé concluant. 9
Alors comment est-on arrivé à l’image du grand moustachu, symbole de la combativité de la France même dans la défaite ? C’est en fait au XIXe siècle que le chef arverne est érigé en héros de la Nation, tout d’abord parce que cette époque révèle un véritable engouement pour la littérature et l’histoire, puis pour des raisons politiques. En effet, lorsque Louis XVIII accorde la Charte (qui stipule que la censure ne peut être rétablie), la presse connait une véritable effervescence ainsi que la littérature. Un regain d’intérêt se fait également sentir pour l’Histoire, qui ne fait que se développer avec le temps. En résulte, sous Napoléon III, la parution de l’Histoire de France en 16 volumes d’Henri Martin, qui a la particularité de remplacer certaines phases de l'Histoire de France par des héros et leurs mythes. C’est d’ailleurs là que réside le défaut de cette œuvre, notamment en ce qui concerne la description de la Gaule à l’époque romaine : l'auteur semble plus fonder ses propos sur des légendes que sur l'Histoire elle-même. Et dans cette partie sur la Gaule figure le personnage de Vercingétorix, érigé en héros comme dans de nombreuses autres œuvres de l’époque. Côté politique maintenant : cette héroïsation se développe intensément sous Napoléon III, et atteint son apogée durant la IIIe République. Et qui dit changements fréquents de régime politique dit besoin de renforcer son pouvoir pour celui qui le détient. C’est ainsi que, pour unifier le pays derrière un même idéal et, par là même, montrer les racines historiques de la France quant à son attache géographique, Napoléon III décide de lancer une vaste campagne d’héroïsation des combattants gaulois, authentiques « Français », et de leur chef, bien sûr. Il s’agissait alors de renforcer la personnalité du chef qu’était Napoléon en tant qu’empereur. Ce dernier lança en parallèle de grands travaux archéologiques visant à repérer précisément les lieux des batailles de Gergovie, Alésia et Bibracte, entre autres, identification des lieux qui fait encore débat aujourd’hui, notamment pour le site d’Alésia. C’est pourtant là que Napoléon III fit ériger une monumentale statue de Bronze de Vercingétorix, réalisée par Hervé Millet en 1865. Le chef gaulois surplombe la vallée du haut de son piédestal sur lequel est inscrit : « La Gaule (comprendre « La France »)
(Petite anecdote amusante : ce n’est qu’à partir du règne de Napoléon III que le héros arverne est représenté avec une moustache et une barbe ; volonté de l’empereur selon certains, afin d’identifier sa propre personne au héros national.)
unie, formant une seule nation, animée d'un même esprit, peut défier l'univers ». Si ce n’est pas de la propagande, ça !
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DOSSIER
e d n a g a p o r p La s l u N s e l r u po Texte & illustration : Sarah Favre
« Toute propagande efficace doit se limiter à des points forts, peu nombreux et les faire valoir à coups de formules stéréotypées afin que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l’idée. »
Les représentations de la vie quotidienne ne sont pas novatrices puisqu’on peut en retrouver des exemples dans la peinture réaliste du XIXe siècle. Cependant, dans la peinture totalitaire, l’objectif n’est pas de rendre compte de la réalité, mais de glorifier un peuple. Elle ne s’adresse plus aux initiés mais à la population, aux prolétaires. La Vénus paysanne de Hilz, peinte en 1944, nous rappelle les Vénus romaines par sa position et son physique, cette référence étant d’autant plus explicite par son titre. Cependant, ce tableau est un éloge de l’esprit paysan, du fait du décor rustique et des vêtements traditionnels allemands. La paysanne est représentée, elle, avec le corps d’une déesse. La propagande est efficace car cela valorise l’image de la femme allemande ; cette Vénus est un modèle de vertu, d’humilité et de beauté. Pour ceux qui pensent que nous sommes en train de perdre notre temps, que ce n’est pas de l’art etc., sachez que votre dévouée rédactrice l’a cité dans le test probatoire : l’existence de cet article dans ce journal prouve que l’art de propagande sert à tout ! Les statues d’ouvriers sont également nombreuses dans la propagande soviétique, nous rappelant la politique du Stakhanovisme.
A. Hitler, Mein Kampf Lecteur, ne sois pas déstabilisé par cette première citation : t’es-tu déjà mis dans la peau d’un dictateur ? Moi oui, comme le montre l’illustration (on fait ce qu’on peut quand on ne trouve pas d’image libre de droit…). Pour toi, lecteur, je me suis mise dans le rôle des plus grands dictateurs du XXe siècle et j’ai tenté de dresser une liste des points forts d’une propagande (artistique) réussie. Il s’avère qu’Hitler avait vu juste : l’essentiel d’une propagande se situe dans la diffusion de stéréotypes qui s’ancrent à force dans l’esprit du public qui les conçoit alors comme une vérité. Cette idée, ce stéréotype, est un détournement de l’archétype ; une idée complexe issue de la culture religieuse et aristocratique. Pour que cette propagande fonctionne, le stéréotype doit être présent dans la vie quotidienne et qu’il s’inscrive dans la mémoire collective. Dressons une liste rapide des grands stéréotypes d’une bonne propagande.
La Force morale
L’Héroïsation d’une nation L’héroïsation par le physique
Le culte de l’apparence occupe une place primordiale dans la propagande totalitaire. Il fait appel au visuel qui constitue la première étape de l’identification et, en cela, est riche en stéréotypes. Nous pouvons constater que cette héroïsation de la nation s’inscrit dans deux grands thèmes : une représentation du peuple dans sa vie quotidienne et une vision d’un peuple guerrier. Vous aussi quand on vous dit que vous êtes beaux, vous avez tendance à faire plus attention à la personne qui vous parle, je me trompe ?
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Cela nous amène à souligner la valorisation de la force morale. Dans tous les régimes totalitaires, une adoration du parti est instaurée. Le parti devient ainsi proche d’une religion. Tout comme cette dernière, il incite à avoir des principes moraux, toujours dans l’optique de l’homme parfait qui aurait une fidélité à toute épreuve envers ses dirigeants. Un idéal chevaleresque est ainsi créé autour du soldat. La guerre est donc présentée comme une croisade contre un ennemi qu’il doit éradiquer. La guerre est nécessaire et le soldat purifie le monde. En Allemagne, le chevalier teutonique du Moyenâge qui part en croisade pour la chrétienté est transposé en soldat SS, se battant contre les maux de la terre : le
bolchévisme et le judaïsme. Cela permet également au parti de se créer une légitimité pour s’inscrire dans l’Histoire. Nous retrouvons cela chez les Soviétiques, notamment dans la statue Le soldat libérateur de Voutchetitch (1947-1949). Cette statue devait être placée sur le monument de la victoire au Parc Treptow à Berlin-Est, pour célébrer la victoire des Soviétiques sur les Nazis. Cette statue représente un homme qui tient un enfant dans ses bras et une épée à la main. Il est vêtu d’une cape qui fait penser à celle des chevaliers. Cet individu représente le sauveur, le protecteur qu’est le soldat soviétique. Il protège l’enfant - et donc les faibles - de l’ennemi incarné par les Nazis qu’il piétine d’un air digne. L’idée d’un protecteur de la nation est très présente dans le film d’Eisenstein, Le cuirassé Potemkine (1925).
des guerriers « purs », défendant des valeurs ancestrales. Hitler veut retrouver la gloire de l’Antiquité pour y faire naître sa « race pure ». Toute sa politique s’inspire donc des modèles grec et romain. Son projet était de transformer Berlin en « capitale du monde », Welthauptstadt Germania, conçue comme une ville romaine antique : un cardo et un decumanus reliant un réseau de rues perpendiculaires à ces axes centraux. Il avait bien évidemment prévu des bâtiments de style gréco-romain très néo-classique, en particulier celui qui abrite le chef: la Chancellerie du Reich, conçue par Albert Speer, l’architecte qui créa le plan de la ville. Mussolini prend également exemple sur l’antiquité et se présente comme le successeur de l’Empire romain. Il voue une grande admiration à l’empereur Auguste comme en témoigne la reconstitution et la mise en valeur de l' Ara Pacis à la fin des années 30.
Le rôle de la jeunesse
De façon générale, toute la population est glorifiée dans la propagande totalitaire, mais une attention toute particulière est accordée à la jeunesse. En effet, c’est elle qui est l’avenir du régime. Elle lui fournit de nouveaux soldats obéissants, c’est pourquoi de nombreuses structures ont été crées afin d’éduquer cette jeunesse à l’idéologie du part i: les jeunesses hitlériennes en Allemagne, les jeunes pionniers en URSS et les Ballilas ou Fils de la Louve en Italie.
La sacralisation
La glorification d’un chef
La population n’est pas la seule à être glorifiée. Pour que la propagande fonctionne, il faut un chefqui soit un guide, un père, un modèle. Le peuple se sent surveillé et, intimidé, il respecte cette figure de patriarche. Le chef, ce héros au sourire si doux…
On commence, bien sûr, par représenter le chef en héros de guerre comme dans de nombreuses affiches. La plus représentative de cela est celle où Hitler, en armure, porte un étendard sur son destrier qui rejoint alors le mythe du héros soldat appliqué à la population. Mais on utilise des symboliques beaucoup plus fortes en voulant s’ancrer dans l’Histoire pour légitimer son combat. L’inscription dans un héritage
Les dirigeants des régimes totalitaires veulent se présenter comme guerriers mais plus précisément comme
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Mais cette inspiration mégalo va beaucoup plus loin ! Le régime devient une nouvelle religion, surpassant toutes les autres, où le chefest le personnage central. Il est donc nécessaire pour celui-ci de s’attribuer un nom évocateur de son rôle. Cette nécessité se retrouve dans le nom de Führer pour Hitler, que l’on peut traduire par « guide » aussi bien que dans Duce, surnom de Mussolini signifiant à la fois « chef» et « guide ». Ce rapport religieux avec le chef est extrêmement présent dans le régime nazi. Hitler n’hésite pas à se représenter explicitement comme un prophète, voire comme un Dieu ! Dans le tableau de Traust, Hitler et Dieu, le dirigeant nazi est représenté au centre du tableau, au premier plan, couronné d’une auréole. Le parallèle avec le messie ou le saint nazi est d’autant plus manifeste que, audessus de la tête d’Hitler, à la place d’une croix chrétienne, nous voyons une croix gammée… Ses disciples l’écoutent « religieusement », certains sont même debout pour être plus proches du Führer. Cette vision cauchemardesque peut nous sembler folle à nous qui avons l’habitude de décrypter les images mais de nombreux évènements récents nous ont prouvé que ce n’était pas évident pour tout le monde. Pour ce qui est de Staline, la religion n’est pas une idée directrice de sa propagande. En effet, l’idéologie soviétique reposant sur des idées marxistes, Staline pense que la religion est « l’opium du peuple », qu’elle donne des illusions. Cela empêcherait le peuple de penser à une vie meilleure, car il accepterait tacitement sa situation comme une fatalité. Cela dit, par son surnom de
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« Petit Père des Peuples », Staline s’inspire tout de même de la religion chrétienne selon laquelle Dieu est le père de tous les Hommes. Cependant, cette omniprésence des stéréotypes religieux s’inscrit dans la logique du culte du chef et donc dans celui d’un homme. Comme le dit très bien André Malraux : « La chrétienté n’avait pas été totalitaire : les états
même avec le peuple Juif.
Une animalisation de l’ennemi
Une fois que l’ennemi a perdu son humanité, il devient une bête dangereuse qu’il faut vaincre. Le parti fait donc appel à des animaux terrifiants ou méprisables comme de la vermine pour incarner l’ennemi selon l’effet désiré sur la population.
totalitaires sont nés de la volonté de trouver une totalité sans la religion. » Dans le Christianisme, il y a bien incarnation de
Dieu dans la figure du Christ, qui est homme. Mais il n’est pas Dieu à lui seul, puisqu’il y a la Trinité. De plus, on attend du croyant qu’il s’interroge sur ses actes, alors que le système totalitaire, même s’il personnifie le pouvoir, exige de chacun qu’il obéisse sans même réfléchir. Nous comprenons donc la volonté du totalitarisme de dénigrer les grandes religions pour que le culte du dirigeant soit total…
Les adversaires sont souvent associés à des ennemis ancestraux qui proviennent de légendes de la mémoire collective. Ainsi, en Allemagne, les Juifs et communistes sont présentés sous la forme de dragon, image que l’on retrouve dans une affiche de propagande nazie en Belgique. Le dragon est un symbole fort issu du Moyen-âge où il avait pour rôle de garder des trésors. Cela rejoint l’image que veulent donner les nazis des Juifs : des pilleurs et voleurs cupides. Ce dragon est écrasé par le symbole SS qui passe sur lui telle la foudre ; les soldats SS sont ainsi présentés comme des chevaliers sauveurs de l’humanité.
La diabolisation de l’ennemi
Pour que la glorification du chef et de sa nation fonctionne bien, il faut que le contraste entre la race supérieure et l’ennemi soit fort. Ainsi, nous observons une antithèse entre la sacralisation du parti et la diabolisation de ses opposants. En agissant de la sorte, la propagande totalitaire perpétue la tradition héritée de la chrétienté : afin de toucher les masses, l’église présentait des démons hideux et des anges sublimes.
Mais les régimes n’utilisent pas seulement des chimères ou des animaux fantastiques pour diaboliser les opposants, ils usent aussi d’animaux réels afin de leurs enlever leur dignité et leur humanité. Ce phénomène se retrouve en particulier chez les Nazis. Dans le film Jud süss, influencé par Goebbels, les Juifs sont comparés à des sauterelles détruisant tout sur leur passage, comme une des Sept Plaies d’Égypte. Ici, l’ennemi est donc comparé à de la vermine très difficile à éradiquer mais dont la suppression est vitale. Nous retrouvons ce procédé dans le film Le Juif éternel, « Der ewige Jude » de l’artiste nazi Fritz Hippler. Dans ce long métrage d’une heure environ, la communauté juive est comparée à une horde de rats qui envahirait le monde, le souillant et le détruisant en apportant toutes sortes de maladies telles que la peste.
Retirer à l’ennemi sa morale et son humanité
Dans le but de retirer toute dimension morale à l’ennemi, le parti le présente comme un barbare n’hésitant pas à commettre des actes de cruauté purement gratuite sur les plus faibles : les femmes, les enfants La scène du cuirassé Potemkine : l’escalier d’Odessa, est la synthèse de ces deux procédés. En effet, dans cette scène, un plan se distingue des autres. On y voit une mère qui vient de perdre son enfant, elle le porte dans ses bras et fait face aux soldats tsaristes pour leur montrer leur acte, espérant de l’empathie de leur part. Les ombres menaçantes de ces derniers couvrent entièrement ou presque la femme et son fils, ils s’apprêtent à tirer, inébranlables n’obéissant qu’aux ordres du « cruel » Tsar. Pour susciter encore davantage l’indignation du spectateur, des cadavres jonchent le sol et la femme se trouve en position d’infériorité aussi bien dans l’espace qu’en nombre. Elle ne représente aucune menace mais les soldats l’exécutent tout de même. Evidemment, Hitler fera de
La propagande
Une omniprésence de l’ennemi
Dans la propagande totalitaire, non seulement l’ennemi est montré comme atroce mais, en plus, il est présent partout comme s’il envahissait le monde et la société. Cela a pour effet de créer un sentiment d’angoisse au sein du « bon » peuple. 13
Mais pour que l’extermination de l’ennemi semble être un devoir, son omniprésence doit s’étendre au
monde. La contagion menace le globe et ses habitants, et pas seulement la nation ! La propagande antisémite nazie reprend un stéréotype hérité du passé qui présente le Juif comme la source de tous les maux de la terre. Ainsi, le titre du film Le Juif éternel laisse-t-il à penser qu’il est impossible de détruire complètement cette menace et renforce alors la paranoïa et l’angoisse du spectateur. Les Soviétiques utilisent le même procédé à peu de choses près dans une affiche anti-américaine de 1952 : un homme place des drapeaux américains sur une carte du monde montrant que les conquêtes - et donc l’invasion du capitalisme - sont en train de se dérouler. Mais cette envahissement se fait discrètement et hypocritement : un speaker, dans sa poche, fait diversion en clamant la paix et l’égalité, alors qu’il tient dans sa main un rameau d’olivier, symbole de la paix, mais qui, en fait, sert à dissimuler la bombe A ! De plus, à coté, une arme à feu gravée du symbole du dollar et une liasse de billets couverts de sang pointent d’un doigt sentencieux le capitalisme assassin !
Pour récapituler :
L ’omniprésence de l’ennemi engendre une haine d’autant plus féroce de la part de la population qui se sent en danger et pense alors qu’il est de son devoir de protéger sa famille, la nation, et même le monde. Ce procédé héroïse le peuple qui va combattre l’ennemi diabolisé sous la direction d’un chef glorifié qui le guide vers la pureté ou le progrès. Ajoutez à cela une bonne utilisation des arts visuels et un soupçon de mégalomanie et vous deviendrez un dictateur épanoui dans un régime totalitaire accompli. Sinon vous pouvez également, après la lecture de cet article, aller demander conseils à nos chers amis de Corée du Nord, ils utilisent toujours les mêmes techniques alors « deal with it », comme on dit !
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«
Vous n'admi rez pas N apoléon !
Maisqui admirez-vousdonc?
La propagande
»
V. Hugo
Texte & illustration : Marine Roux
« Une grande réputation, c’est un grand bruit : plus on en fait, plus il s’entend au loin ; les lois, les institutions, les monuments, les nations, tout cela tombe ; mais le bruit reste et retentit dans d’autres générations » : la renommée de Napoléon n’a d‘égale
façon toutefois mesurée. En effet, Napoléon veillait à ce qu’aucun maréchal ou général ne puisse lui voler la vedette et c’est pourquoi il ordonna au baron Gros d’interrompre sa représentation de La Victoire de Nazareth, pourtant commande d’État, pour la bonne raison qu’elle mettait trop en valeur les faits d’armes du général Junot. Nombreuses sont les œuvres dépeignant « le petit caporal », tel que le surnommait son armée, guidant et dynamisant ses troupes contre l’ennemi, mais c’est pourtant un conquérant solitaire que l’imaginaire collectif a privilégié : Le Général Bonaparte au pont d’Arcole en 1786, réalisé par Antoine-Jean Gros, dont l’esquisse avait été approuvée au préalable, idéalise le modèle en lui conférant une monumentalité toute romantique et s’inscrit dans la peinture de propagande bonapartiste comme l’un de ses tout premiers jalons.
que son ambition, qui à l’aube de sa carrière, prenait déjà une dimension démesurée suite aux victoires militaires qu’offrait le jeune général à la France. Napoléon Ier, conscient du caractère éphémère de sa gloire naissante, ainsi que de l’instabilité de l’adoration qu’un peuple peut vouer à son souverain, comprit que ses exploits guerriers seuls ne suffiraient pas et s’attela, dès son entrée sur la scène politique, à jeter aux yeux des français une autre poudre que celle du canon. Du général fougueux, cheveux au vent, à l’Empereur sacré des français arborant la couronne de laurier, passant par le costume rouge sang du Premier Consul de la République et par le bicorne, l’image de Napoléon Bonaparte (1769-1821) s’est modelée au fil du temps, s’adaptant à chaque nouvel échelon gravi par le conquérant. Manipulant avec ruse les divers supports médiatiques de l’époque, il usa et abusa de la propagande pour conquérir le pouvoir et le conforter. La propagande napoléonienne s’adressait à plusieurs destinataires et ce sont les soldats, garants du succès du général, qui étaient naturellement les premiers à devoir être convaincus : « Ce n’est pas pour cinq sous par jour ou pour une chétive distinction que l’on se fait tuer ; c’est en parlant à l’âme que l’on électrise l’homme ». Au cours de ses
campagnes, Napoléon prenait ainsi soin de rédiger des commentaires exaltant le patriotisme, nommés Bulletins de la Grande Armée, qui étaient par la suite placardés dans les rues et publiés dans les journaux officiels tels que Le Courrier de l’Armée d’Italie, Le Moniteur ou encore Le journal de l’Empire. Ces journaux, premiers instruments de propagande, vantaient la bravoure des combattants et valorisaient de temps en temps quelques actions individuelles… mais de
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Les soldats n’étaient pas les seuls à avoir accès aux Bulletins de la Grande Armée, Napoléon savait que ces derniers étaient traduits et diffusés dans les pays alliés et ennemis alors il profitait de l’occasion pour leur adresser implicitement quelques remarques : « La politique de l’Angleterre nous inspire l’écœurement et l’indignation ». Les anglais ne manquaient cependant pas de répondant vis-à-vis des attaques personnelles de « l’ogre corse » : caricatures de James Gillray et écrits diffamatoires firent basculer l’opinion publique anglaise concernant celui que l’on surnommait aussi Little Boney (petit Bonaparte). Au delà de cette propagande internationale, c’était l’ordre intérieur qui constituait l’enjeu politique le plus conséquent. Les Bulletins permettaient à l’Empereur de rassurer la nation sur la bonne santé de l’État en accentuant l’éclat d’une victoire ou en minimisant l’ombre d’une défaite. Mais ces derniers finirent par être considérés comme mensongers, la véracité prétendue des propos de Napoléon était alors appuyée par des commandes artistiques propagandistes. Par exemple, la demi-victoire
de genre présentant l’empereur au travail dans son cabinet, toujours préoccupé par le bien-être de la France. C’est ainsi que l’a sculpté Antoine Mouton en 1809 : Assis à son bureau égyptisant, consultant une carte. Le petit bronze fût tiré à six exemplaires en vue d’être offerts comme cadeaux impériaux diplomatiques. La propagande napoléonienne s’adressait donc également aux semblables du souverain. Les œuvres représentant l’Empereur dans sa sphère privée se multiplièrent lorsque ce dernier devint père en 1811 d’un fils né de sa nouvelle union avec MarieLouise d’Autriche. Deux ans après son divorce avec Joséphine de Beauharnais dont la stérilité avait fini par alarmer la nation au sujet de la transmission du pouvoir et donc l’avenir de la dynastie, tous les espoirs de descendance se fondent sur cet enfant que Napoléon enlace tendrement dans la toile d’Alexandre Menjaud, peinte en 1812, Napoléon, Marie-Louise et le roi de Rome. Aux côtés de ces représentations d’amour filial, d’autres s’ajoutaient pour illustrer tout un chapelet de qualités profondes, telles que la générosité et la compassion, des sentiments qui définissaient l’Empereur comme un homme accessible, au cœur ouvert et naturellement bon. Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa de Gros (1804) dévoile la supercherie d’une anecdote totalement travestie au profit du souverain, qui après avoir distribué des pains aux pestiférés couverts de bubons, touche l’un d’eux sans crainte d’être contaminé à son tour. En réalité, son courage s’était résumé à ordonner aux médecins d’administrer de l’opium aux malades de sorte qu’ils soient moins encombrants. Cependant, la propagande n’était pas toujours injustifiée, comme en témoigne l’œuvre Clémence de Napoléon envers Madame de Hatzfeld, peint en 1806 par Marguerite Gérard, épisode où Napoléon, imploré par la femme enceinte d’un traite, décida de fermer les yeux sur les actes du mouchard.
contre les Autrichiens en Italie, repoussés in extremis à la bataille de Marengo en 1800, fût transformée par JacquesLouis David dans sa toile datant de 1801, Bonaparte franchissant le col du Grand Saint-Bernard, en une victoire incontestable. Le Premier Consul, ayant commandé trois versions de l’œuvre (sur les cinq existantes) à des fins propagandistes, avait demandé au peintre de le représenter « calme sur un cheval fougueux », c’est à dire en homme maitrisant ses passions et sachant garder son sang froid face aux imprévus. Étonnant, quand on sait que la statue équestre de Louis XIV du Bernin, avait été rejetée par le roi du fait de cette même fougue. Mais ce n’est pas dans la lignée des Bourbons que Napoléon cherche à s’inscrire comme digne descendant, c’est dans celle des inoubliables conquérants de l’Antiquité et du Moyen-Âge dont les noms sont passés à la postérité : Hannibal et Charlemagne, gravés sur les rochers du tableau de David, ou encore Jules César et Alexandre le Grand. Cependant, il refusait d’être comparé à un dieu comme l’atteste son rejet de la statue Napoléon Ier en Mars pacificateur d’Antonio Canova, qui pensait rendre à l’Empereur l’hommage le plus haut qui soit. Ce n’est pas tant la nudité toute dévoilée de l’œuvre en marbre qui gênait Napoléon, mais bien plus l’idée du souverain divinisé, qui ne correspondait pas à l’image du législateur qu’il entendait diffuser. Cet endoctrinement n’était pas uniquement appliqué aux faits militaires. Un des cas les plus représentatifs du strict contrôle appliqué à l’image de l’Empereur est celui de son sacre le 2 décembre 1804. L’immense Sacre de Napoléon, toujours peint par le grand partisan de l’Empire qu’est David, présente une version arrangeante et avantageuse de l’événement. C’est ainsi que Napoléon, qui s’était couronné lui même, couronne Joséphine sur la toile afin de donner plus de noblesse au geste, c’est ainsi que le pape se trouve relégué au second plan pour affirmer la soumission de l’Église à l’État, que les sœurs de Napoléon tiennent le manteau de Joséphine avec bon cœur alors qu’elles y avaient été contraintes, et c’est ainsi que la Reine Mère figure dans les tribunes alors qu’elle était absente de la cérémonie par désapprobation.
Au delà des représentations flatteuses du souverain que son dessein propagandiste disséminait partout en France, Napoléon avait conscience que pour s’inscrire dans l’Histoire, il fallait produire une imagerie plus universelle, ambassadrice non plus seulement de l’Empereur, mais ambassadrice de tout l’Empire. C’est pourquoi, à son retour de la Campagne d‘Égypte en 1801 qui fût un fiasco du point de vue militaire mais une réussite culturellement parlant, Napoléon ramena dans ses bagages le « Style retour d’Égypte », variante du « Style Empire » qui devait métamorphoser les arts décoratifs, le
Cependant, au delà des scènes de grand genre purement officielles, héritières des portraits solennels des Bourbons, Napoléon fut l’investigateur d’une propagande souveraine inédite, plus intimiste, véhiculée par des scènes 16
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La propagande
mobilier et une partie de l’architecture. Citons par exemple le Cabaret égyptien de Napoléon Ier conservé au Louvre, qui puise son vocabulaire ornemental dans le célèbre recueil La Description de la Haute et la Basse Égypte de Vivant Denon, que ce dernier avait dédié à celui qu’il avait accompagné dans cette extraordinaire expédition : « À Bonaparte. Joindre l’éclat de votre nom à la splendeur des monuments d’Égypte, c’est rattacher les fastes glorieux de notre siècle aux temps fabuleux de l’histoire, c’est réchauffer les cendres des Sésostris et des Ménès, comme vous conquérants, comme vous bienfaiteurs ».
Les motifs égyptiens côtoyaient alors les emblèmes impériaux : le sphinx aux côtés de l’aigle, le scarabée près de l’abeille et le papyrus jouxtant la couronne de laurier. Avec cette mode, Napoléon continuait de forger l’image d’une France érudite, mécène des arts et détentrice des plus belles collections du monde dont la plupart provenait des butins de guerre et nourrissait le ventre insatiable du Musée Napoléon. Napoléon guerrier, Napoléon sacré, Napoléon privé, Napoléon éclairé… Toutes les facettes de sa personnalité trouvèrent écho dans cette propagande sévèrement menée. La censure de la presse était la plus dure : le souverain avait interdit les journaux politiques lui étant défavorables, réduit le nombre de publications, contraint les imprimeurs à livrer uniquement une image positive de l’État. Mais s’il avait réussi à maitriser une grande partie de la machine publicitaire, en installant de nombreux « bureaux de propagande » au ministère de l’Intérieur, destinés à traiter l’information, il existait bien une voix que Napoléon ne voulait et ne parvenait pas à museler, celle de la littérature : « J'ai pour moi la petite littérature et contre moi la grande ». Alors qu’il avait reçu, en 1795, la plus belle distinction que l’on puisse donner à un intellectuel français : celle d’être élu à l’Institut National des sciences et des arts, l’Empereur ne comptait pas dans ses amis tous les plus grands écrivains du XIXe siècle, au premier rang desquels le couple Germaine de Staël et Benjamin Constant, farouches représentants de l’opposition libérale, doivent être cités. Madame de Staël, qui avait pourtant soutenu les débuts du général, devint très rapidement l’ennemie du Premier Consul et une des personnalités exilées sous l’Empire. Son roman Delphine publié en 1802, son salon réunissant ses amis « Idéologues » et son influence sur Benjamin Constant, 17
étaient autant de raisons valables pour éloigner la perturbatrice de la capitale qui allait alors partager sa haine pour Napoléon en Allemagne, en Suisse et en Italie. « Bonaparte n’est plus le vrai Bonaparte, c’est une figure légendaire, composée des lubies du poète, des devis du soldat et des contes du peuple ; c’est le Charlemagne et l’Alexandre des épopées du MoyenÂge que nous voyons aujourd’hui. Ce héros fantastique restera le personnage réel. (…) Bonaparte appartenait si fort à la domination absolue qu’après avoir subi le despotisme de sa personne, il nous faut subir le despotisme de sa mémoire » déclarait Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe.
La légende napoléonienne qui naît dès la publication en 1823 du Mémorial de Sainte-Hélène, trouve ainsi ses sources dans le maniement habile des codes de communication et l’ardente volonté du souverain de s’inscrire dans l’Histoire. Il ne fallu guère attendre pour qu’une propagande que l’on peut qualifier de « post-mortem » refasse surface : dès 1840, LouisPhilippe Ier, ce Roi des Français décidé à ne pas rompre avec le passé, ordonna le retour des cendres de l’Empereur à Paris, aux Invalides, « au milieu de ce peuple français (qu’il avait) tant aimé ». De plus, il commanda une nouvelle statue de Napoléon pour la colonne Vendôme, destinée à remplacer la précédente déboulée en 1814, veillant toutefois à ce que cette dernière figure le général et non l’Empereur. Très vite, Napoléon fut considéré comme un modèle et bientôt on évoquait son nom avec nostalgie : citons le monument en bronze Napoléon s’éveillant à l’immortalité de François Rude qui fut commandé par Claude Noisot, ancien officier de la Garde impériale pour orner sa propriété ou encore le roman La Chartreuse de Parme, publié en 1839, dans lequel Stendhal fait revivre son héros. Alors que des dizaines de monuments publics rendant hommage à Napoléon fleurissaient dans les grandes villes de France, ce dernier devenait en parallèle une grande source d’inspiration pour des projets personnels d’artistes, comme peuvent l’être les dieux antiques ou les héros de la littérature : Guerre, l’exilé et l’arapède, peint en 1842 par Turner le représente en héros romantique en proie aux doutes les plus humains. Ainsi, ce « grand bruit », symbole de « grande réputation » que visait le général, a retenti si loin et si fort, que son écho résonne encore, sûrement au delà des espoirs de Napoléon, qui avait compris que pour conduire un peuple, un chefdevait être un « marchand d’espérances ».
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etude de cas :
La propagande
le c i n é ma de p ro p ag an de Texte : Herminie Astay
Allons chercher la définition du mot propagande dans le Larousse : la propagande est une « action systématique exercée sur l'opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines ... ». Vaste projet. Afin de mener à bien cette mission, pourquoi se tourner vers le cinéma ? Nous avancerons ici quelques pistes de réponse, celles qui nous paraisse les plus importantes.
Enfin, et c'est là que réside la redoutable efficacité du cinéma : c'est un medium reproductible économiquement viable. L’œuvre peut être reproduite à des milliers d'exemplaires identiques, diffusé à une large échelle et ce pour un coût raisonnable (du moins non handicapant pour les producteurs). Le cinéma est un art populaire dans le sens où il est théoriquement accessible à tous les budgets et c'est à ce prix que peut être touchée la masse informe et sans visage que l'on appelle « l'opinion ».
Premièrement, nous devons l'avouer notre tendance naturelle est de faire confiance aux images produites par les techniques photographiques et cinématographiques puisqu'elles consistent en une captation de la réalité perçue comme passive (contrairement au dessin que nous imaginons plus comme une technique d'imitation active de la réalité.) Une scène filmé nous sembleras plus vraisemblable. Bien entendu, ces images-là ne sont pas plus neutres que les autres et ne garantissent en rien la véracité de ce qu'elles montrent. C'est là que notre deuxième point intervient. Un film, par le travail de montage, d'ajout de sons, d'effets visuels, crée de l'émotion. Et quoi de plus efficace pour persuader une masse d'être humain que l'émotion, choses que nous avons tous ne partage quel que soit notre origine sociale ou culturelle. Un raisonnement argumenté c'est bien, un raisonnement argumenté qui touche la corde sensible c'est mieux.
Nous vous invitons à compléter la lecture de ce dossier grâce à quelques cas de films de propagande ou à tendances propagandistes publiés sur notre Tumblr :
louvrboite.tumblr.com
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Musée insolite
RUBRIQUES
Le musée des coeurs brisés Texte : Marine Roux - Illustration : à vous de jouer !
leur relation, ce musée se présente comme une sorte de thérapie pour ceux qui sont venus déposer des objets similaires. Les divers souvenirs provenant du monde entier sont accompagnés d’un message anonyme du donateur, mentionnant les dates et le lieu de la relation finie. C’est ainsi que des menottes jouxtent une plaque d’immatriculation cabossée qui elle même cohabite avec un string en bonbons et un nain de jardin défiguré… Ces histoires intimes, tantôt acides ou nostalgiques, tantôt belles ou comiques, racontent de façon personnelle cette douleur pourtant universelle qu’est la rupture. Une donatrice ironise sur les porte-jarretelles qu’elle a légué « Je ne les ai jamais portés. La relation aurait peut-être duré plus longtemps dans le cas contraire » ; tandis qu’une autre exprime sa colère par l’intermédiaire d’une hache qu’elle avait utilisée pour réduire en miettes les meubles laissés par son ex « Plus la pièce se remplissait de copeaux de Créé en 2010 après le divorce de l’ex-couple que formaient meubles, mieux je me sentais ». Certains sont plus pragmatiques : Un ancien les croates Olinka Vistica et Drazen Grubisic, pour la simple raison que ces derniers ne voulaient pas se séparer des reliques de combattant tombé amoureux de sa kinésithérapeute a fait don d’une prothèse de jambe, qui selon lui, a tenu plus longtemps que sa liaison car elle était fabriqué avec un « matériau plus robuste ». La déception sentimentale passe par plusieurs étapes qu’incarnent ces bibelots. La dernière, celle du détachement, se matérialise par l’abandon de l’objet dans ce lieu, qui incite visiblement au recueillement. Architecture sobre, meubles simples, lumière tamisée, l’ensemble du Musée est conçu comme un lieu solennel, dont la fréquentation double à chaque Saint-Valentin. En ce mois d’amour dégoulinant où cœurs collés aux vitrines, marchands de roses rouges et offres spéciales couple parsèment les rues et vous donnent l’impression que vous allez croiser Cupidon au coin de chacune d’entre elles, je veux m’adresser à ceux qui tracent leur chemin devant ce débordement sentimental. Oui, cette rubrique concerne ceux dont le cœur fêlé ne supporte plus de tenir la chandelle aux couples enlacés, ceux dont la rupture amoureuse encore fraîche les condamne à passer cette fichue Saint-Valentin isolés. Vous en avez ras-le-bol de pleurer devant ces deux petites cuillères qui plongeaient jadis dans le même dessert ? De serrer contre vous cette peluche dégueulasse qui bordait autrefois votre lit conjugal ? Ou encore de planquer dans votre tiroir à souvenirs ce bijou que votre bien-aimé(e) vous avait offert ? Alors c’est le moment de balancer vos ex-voto dans votre valise et de décoller pour Zagreb où toute une collection d’objets abandonnés, symboles d’amours passés, trônent telles des œuvres d’art au sein du Musée des cœurs brisés.
À l’image du Musée des cœurs brisés qui propose de « surmonter l’effondrement émotionnel par un acte créatif », je vous laisse le loisir de crayonner dans ce carré, l’objet qui a marqué votre histoire d’amour défunte, afin de tourner la page… Et ainsi lire l’article suivant. 20
muséo-pop
RUBRIQUES
La restauration et la médiation Expliquées par
Jurassic Park
Texte : Gabriel Courgeon - Illustration : Herminie Astay
Lors du dernier numéro, vous avez pu lire l’article La Muséalistion expliquée par Interstellar. Ainsi fut posée la première pierre d’une toute nouvelle série d’articles qui explore les grands principes du monde des musées et du Patrimoine à travers le prisme des chefs-d’œuvre du Septième Art. En espérant que vous aimerez les lire autant que nous avons aimé les faire. Nous dédions cette série à François Mairesse, rock-star de la Muséologie. « Il l’a fait, il y est arrivé, ce vieux dégénéré ! ». Eh oui docteur Malcolm, John Hammond a créé des dinosaures. Après son cirque de puce de Pettycoat Lane, le philanthrope visionnaire se lance dans une attraction d’une échelle plus respectable, Jurassic Park, un parc zoologique entièrement consacré aux reptiles géants qui peuplaient la Terre avant qu’une comète ne mette un terme à leur tranquille existence. La présence de ces dinosaures dans le parc n’est pas due à quelques lointaines contrées préhistoriques miraculeusement préservées jusqu’à l’ère moderne, comme c’est souvent le cas dans l’imaginaire fantastique (The Lost World, King Kong , etc.). Ici John Hammond s’improvise restaurateur. Comme pour une restauration patrimoniale « classique », il se base sur des vestiges, des ruines à reconstruire, à compléter. Ces vestiges ne sont autres que des restes d’ADN : du sang de dinosaure aspiré
par des moustiques qui ont été piégés dans de la sève d’arbre, les fossilisant dans de l’ambre, ce qui apparemment était monnaie courante au Crétacé. Le directeur excentrique de Jurassic Park marche sans le savoir dans les pas de Viollet-le-Duc. Ce qu’effectue John Hammond est une parfaite illustration des théories exposées par Viollet-le-Duc dans le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle : « Restaurer un édifice, ce n'est pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir jamais existé à un moment donné ». Le cas de Jurassic
Park rentre complètement dans cette définition. John Hammond rétabli dans un état complet des dinosaures. Mais cet état n’a jamais existé. Ce ne sont pas biologiquement les mêmes dinosaures que ceux qui peuplaient la Terre il y a 65 Millions d’années. Dans le parc, on nous expose que l’ADN retrouvé était incomplet et qu’il a fallut retrouvé des séquences. Pour combler les manques, les scientifiques ont utilisé de l’ADN de grenouille. Les dinosaures originels avaient un ADN 100% dinosaure, pas mi-dinosaure mi-batracien. Ceux du parc et ceux peuplant la Terre il y a 65 millions d’années ne sont donc en aucun cas les mêmes. On pourrait également détourner la citation de Kenneth Hudson (citation qui n’avait rien à voir avec la restauration) : « Un tigre empaillé dans un musée est un tigre empaillé dans un musée et pas un tigre ». Et bien un T-Rex dans Jurassic Park est un T-Rex de Jurassic Park et pas un T-Rex. John Hammond restaure donc en suivant la doctrine de Viollet-le-Duc, ce qui soulève bien sûr beaucoup de questions. 21
RUBRIQUES La déontologie de la restauration aujourd’hui est bien loin de qui ce a pu avoir lieu au château de Pierrefonds ou dans le cas qui nous occupe à Jurassic Park. Une phrase du docteur Ian Malcolm résume bien la position actuelle face aux expérimentations du XIXème siècle : « vos chercheurs étaient si préoccupés parce ce qu’ils pouvaient faire qu’ils ne se sont pas demandés si ils en avaient le droit ».
La restauration est désormais un questionnement aboutissant à un choix culturel mûrement réfléchi et étudié. Ce n’est plus la seule lubie d’un individu pensant bien faire pour « sauver » le Patrimoine. Il faut se poser la question « que restaurer et pourquoi ? ». Bien entendu dans le cas de Jurassic Park s’ajoute toute une réflexion sur le vivant, la sélection naturelle et la déontologie des travaux génétiques se qui ne simplifie pas le débat. De plus, la restauration est aujourd’hui une solution de dernier recours. Le mot d’ordre est la conservation préventive. La restauration intervient si les conservations préventive et curative ont échoué. Malheureusement, la prévention en terme de dinosaure est aujourd’hui quelque peu inutile.
muséo-pop l Parlons maintenant de médiation. Comme toute institution culturelle américaine, Jurassic Park reçoit peu ou pas de subventions et doit se tourner vers le public pour survivre et assurer une rentrée d’argent. Les Etats-Unis sont ainsi des pionniers en terme de politique des publics. Le « public type » qu’évoque John Hammond est le jeune public. Les enfants sont en effet la pierre angulaire de la médiation d’Outre-Atlantique et ce depuis longtemps comme l’atteste le Boston Children’s Museum ouvert dès 1913. La médiation à Jurassic Park s’organise sur deux axes. D’abord bien entendu sur les dinosaures eux-mêmes : on présente les différentes espèces, leur mode de vie, etc. à l’aide d’une visite commentée en voiture au cœur du parc. L’autre type d’informations mises à la disposition des visiteurs concerne le
fig. 1 : Le dinosaure avant et après restauration 22
jamais ses portes, après une série de problèmes techniques et de raptors en liberté (restauration abusive ?). Mais cette année, 22 ans après l’échec de Jurassic Parc, Jurassic World va être inauguré et il semble qu’on y ait mis au point une médiation tout aussi spectaculaire. On devrait également y retrouver des dinosaures restaurés aussi peu déontologiquement, pour le plus grand malheur des visiteurs et le plus grand bonheur des cinéphiles/muséologues.
fonctionnement de Jurassic Park et notamment du laboratoire où naissent les dinosaures. Le public est très friand de ce genre de visite des coulisses, surtout qu’ici on peut voir travailler le vrai personnel en direct pendant la visite. « Est-ce que ces personnages sont… animaérotiques ? » : pas d’animatroniques contrairement à ce que pense l’avocat du parc. « Avec ce parc, je voulais montrer quelque chose qui ne soit pas une illusion, quelque chose de réel, quelque chose qu’ils (les visiteurs) puissent voir et toucher ». L’expérience proposée par John Hammond se veut réel à tout point de vue. On peut qualifier la médiation de Jurassic Park d’explosion technologique. L’ordinateur y est roi et devient l’outil pédagogique par excellence. Ces technologies assurent une véritable interactivité avec le public. Ainsi il ne s’ennuie pas et apprend en s’amusant. Il est intéressant de noter que les parcs zoologiques sont d’ailleurs plus souvent considérés comme des parcs d’attraction où l’on s’amuse que des institutions patrimoniales. Pourtant les zoos conservent, préservent et étudient le patrimoine naturel et l’expose à un public pour qu’il apprenne des choses, comme un musée. Mais les technologies comme celles utilisées par Jurassic Park possèdent un inconvénient majeur : l’obsolescence. En 1993, les dispositifs de médiation du parc étaient à la pointe du progrès. Aujourd’hui ils font un peu rire quand la petite-fille de John Hammond, Lex, nous les décrit : « c’est un CD-ROM interactif ! Regardez, il suffit de toucher l’écran pour choisir ce que tu veux qu’il te raconte ! ». La rapide course de la technologie et la maintenance permanente de ces installations font de ce type de médiation des investissements très gourmands et nombre d’institutions n’en n’ont pas les moyens. La médiation de Jurassic Park a été élaborée en même tant que le parc lui-même et John Hammond avait même prit le temps de la tester sur ses petits-enfants. La préparation de la politique des publics en amont du projet est souvent gage de qualité puisque les choix ont été étudié et testé avant l’arrivée des visiteurs. Ce fut notamment le cas durant la rénovation de la Grande Galerie de l’Évolution du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris dans les mêmes années que Jurassic Park. Malheureusement, le public ne connaitra pas les outils de médiation de Jurassic Park puisqu’il n’ouvrira 23
B. F. M. Food
RUBRIQUES
La pâte à tartiner maison Ou comment grossir en bonne santé
Recette & illustration : Margaux Ruaud
Le mois de février, c’est le mois des amoureux, grosso-modo. Du coup, je pourrais proposer une superbe recette (froide) pour faire plaisir à votre tendre moitié, mais premièrement, je n’aime pas la Saint-Valentin, et ensuite ce numéro sortira après le 14, donc aucun intérêt. Plutôt que de vous rendre désirables à coups de filet mignon /champignons, je préfère vous transformer en gros, mais en gros artisanaux. Donc parlons de la Chandeleur, cette période bénie de la crêpe. Je ne vais pas non plus vous apprendre à faire des crêpes, parce que je n’ai pas le tour de poignet pour les faire sauter et que même Wikipédia peut vous apprendre à faire la pâte. Non, je préfère vous faire économiser de l’argent et éviter que vous n’achetiez de l’huile de palme au gout de noisettes. Mesdames et (quelques) messieurs…
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Ingrédients :
- 150 g de chocolat - 250 g de beurre - une boite de lait concentré sucré (minimum 300 g) - 100g de noisettes en poudre - un sachet de sucre vanillé - une cuiller à café d’huile (pas d’olive hein). Indice calorique :
Franchement, mieux vaut ne pas en parler. Niveau de difficulté :
Un peu plus dur que précédemment, mais pas d’inquiétude, on va s’en sortir. Matériel :
- deux casseroles (l'une plus grande que l’autre) - de l’eau - verre doseur ou balance - Tupperware - cuillère ou spatule - plaque chauffante. Temps de préparation :
Processus créatif :
Faire fondre le chocolat au bain-marie (prendre la casserole la plus large, mettre un PETIT PEU d’eau, puis poser la casserole la plus petite dedans) avec le beurre (dans la plus petite casserole donc). Quand tout est fondu, ajouter tous les autres ingrédients en finissant par l’huile (ça permet de ne pas accrocher, donc on y va mollo hein). Quand tout est bien mélangé, verser dans le Tupperware, et au Frigogidaire ! Le plus de l’artiste :
Vous pouvez baisser un peu la dose de noisettes en poudre (75 g) et ajouter du Pralin ! C’est tout à fait délicieux et ça craque un peu sur la langue… (mais c’est plus agréable qu’une salade mal nettoyée). Le moins de l’artiste :
Certaines personnes sont nées avec un handicap majeur dans la vie (à part la gaucherie culinaire j’entends), à savoir une allergie aux arachides et autres « possibles traces de fruits à coquille ». Cette recette semble donc un peu compromise pour elles. Que nenni. Il suffira d’enlever la partie « noisettes » de la recette et rajouter du chocolat pour compenser le beurre fondu. Si le mélange est trop liquide, ajouter un TOUT PETIT PEU de gélatine alimentaire pour donner plus de consistance. Mettre la mixture au congélateur pendant 30 mn, puis au bien nommé frigogidaire. Entre nous :
Cette recette vous donne l’occasion de faire ce dont vous avez toujours rêvé (ou peut-être pas) : Pimper votre Nutella. Crêpe dentelle concassée, poudre de coco, noix, amandes… Cette base de recette n’a de limite que votre imagination débordante ! A bon entendeur…
10 bonnes minutes, plus le temps de refroidissement (à volo).
B.F.M.
Bon. Froid. Maison.
food
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Super-Série
RUBRIQUES
Texte : Élise Poirey - Illustration : Herminie Astay
Dans un monde actuel, Utopia est un roman graphique légendaire, autour duquel plane un certain mystère. Il fut écrit dans les années 70 par un fou dans un asile psychiatrique, et raconte l’histoire d’un complot qui serait au-dessus des gouvernements, plus puissant qu’eux, touchant tous les domaines, comme l’industrie pharmaceutique, l’armée, etc. Des fans de ce livre se rassemble sur un forum, Ian, Becky, Grant et Wilson, de parfaits inconnus qui communiquent grâce à de faux noms. Chacun a sa propre théorie et ses propres convictions vis à vis de ce roman : pure invention par un esprit dégénéré ou stricte réalité. Mais leur destin va basculer lorsque Bejan, un autre membre du forum, leur annonce qu’il est possession du manuscrit du Tome 2 jamais publié. Les personnages se retrouvent alors pourchassés par une organisation secrète, le Network, dont le seul but est de trouver et de détruire le manuscrit,
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qui ne refermerait pas seulement une histoire de sciencefiction écrite par un fou, mais des secrets réels. Cette série britannique fut crée par Dennis Kelly, et diffuseé en 2013 et 2014 par Channel 4. Elle n’est composée que de deux saisons, comportant chacune six épisodes, soit la série parfaite à commencer et finir à quelques mois des examens. Le premier épisode annonce d’emblée la couleur et l’univers de la série : des musiques electro créant une atmosphère angoissante ; des couleurs fluo et saturées qui nous transporte dans un monde presque étouffants ; beaucoup de sang et d’images de torture qui vaudront plusieurs censure à la série ; un jeu d’acteur troublant qui accentue la sensation de réalité. Les premières images nous transportent directement dans ce monde où tout semble calculé, mais où tout est terriblement angoissant, je pense que ce n’est pas le genre de série à regarder le soir seul juste avant de dormir. Mais il s'agit parfaitement du type de
série qui nous interroge sur la culpabilité de l’homme vis à vis de la situation actuelle planète, du rôle que nous avons joué, de l’impact de nos actes, mais aussi du rôle que nous devons jouer dans le futur. Cette série pose les bonnes questions, sur les solutions à mettre en place pour le futur, même si celle proposeé est très, très, très extrême. De plus l'intrigue est extrêmement bien construite, on y croirait presque. Certains acteurs interprètent leur rôle avec une justesse troublante tel que Neil Maskell dans le personnage d’Arby ou Fiona O’Shaughnessy pour le rôle de Jessica, ce qui rajoute une dimension réaliste à cet univers. Les personnages ne sont pas des stéréotypes, chacun d'entre eux possède un côté négatifce qui les rend particulèrement humains, et encore plus attachants. On découvre petit à petit toute la palette qui compose leur personnalité, les bons côtés comme les mauvais. L'analyse psychologique que les créateurs font de l'être humain est faite toute en finesse. Pour moi c'est réellement LA série à
voir, je la trouve particulièrement touchante, vraiment bien construite, et extrêmement complète. Le fait qu'elle ne soit pas reconduite pour une troisième saison me brise littéralement le coeur. Mais le manque de téléspectateurs a poussé Channel 4 à ne pas commander une autre saison à Dennis Kelly. C'est dommage que la qualité d'un programme ne fasse pas son succès. J'aurais aimé connaître plus certains personnages, que l'analyse psychologique d'Arby notamment se poursuive. Pourtant le dernier épisode clos de façon magistral cette série, Denys Kelly laisse au spectateur imaginer la suite. De plus l'épisode montre que cette intrigue est inépuisable, et que tout est un cercle sans fin duquel les personnages ne pourront pas sortir.
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le choix de la rédaction P o u r vo u s ,
qu e l e s t le de s s i n an i mé le p lu s
p ro p ag an di s t e ? É LI S E Probablement Blanche Neige, qui est complètement irréaliste, et misogyne. Quelle femme arrivant dans une maison après avoir erré des heures dans une forêt maléfique penserait à faire le ménage ? Il faudrait que Disney arrête de nous prendre pour des cons, et créer enfin un dessin animé féministe. MARG AU X J’opte pour la Belle au Bois Dormant, qui donne l’image de la femme facile et cruche. Il suffit qu’un inconnu lui chante « mon amour tu m’as vu au beau milieu d’un rêve » pour qu’elle reprenne en cœur. Transposons dans notre société : « Hey Mademoiselle ! Mon portable est fait pour avoir ton numéro ! » « Ah oui c’est vrai tiens ! ». Tss. S ARAH Ratatouille ! Non mais franchement quel est le film où on trouve autant de clichés sur les Français : on passe notre temps à bouffer, il y a des rats partout (bon d'accord la pelouse du Louvre ne le dément pas), un mec moche peut sortir avec une super fille, on ne fait que critiquer ou râler (avec des têtes de psychopathes) et enfin la seule ville qui existe c'est Paris… Non mais franchement y a-t-il pire niveau bourrage de crâne ?!
THÉO Je dirais Bugs Bunny, mais sans savoir pourquoi ?! Enfin, tout ce que je sais c’est que ça a marché… j’aime les carottes ! MARI N E R. ! Si l’on résume bien, c’est l’histoire d’un garçon qui ne veut pas devenir adulte, qui passe son temps à jouer à la guerre et à fumer le calumet avec ses potes tandis que son amoureuse Wendy, qui s’est précipitée pour lui donner un « dé à coudre » même pas cinq minutes après leur première rencontre, lui recoud gentiment son ombre, lui fait à manger et joue à la maman de substitution pour un groupe de 7 garçons perdus. Pour couronner le tout, une petite blondinette plutôt bien roulée tourne autour de Peter et lui donne de la poudre. Hum, même au pays imaginaire, on perd un peu notre âme d’enfant… Peter Pan
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SOPHI E Blitz Wolf de Tex Avery où Adolf le Loup envahit Pigmania, le pays des Trois Petits Cochons alors qu'il avait signé un pacte de non-agression avec eux. Réalisé en 1942, ce dessin animé est manichéen et propagandiste au possible, mais ça reste quand même le meilleur Tex Avery selon moi. "You're in the Army now !" ALE XI S DS X Je ne vais pas vous cacher que j’adore encore Disney, c’est la meilleure recette pour rester jeune et garder l’âme enfantine. Le dessin animé Disney le plus propagandiste selon moi est la Reine des Neiges, parce qu’on entend sans cesse la chanson « Let it Go » et on voit partout cette Reine qui fait apporter la grosse cagnotte (€€€) à Disney ^^
S O LÈ N E Même si j’adule ce dessin animé de Dreamworks, pour moi le plus propagandiste est le Prince d’Egypte. Les chansons à fond religieux à mort que tu ne peux t’empêcher de chanter à tue-tête (Délivre-nous ! ou encore On peut faire des miracles avec la foi) ou de verser une petite larme c’est… c’est… c’est de l’évangélisation, mes amis, via des graphismes et une animation géniale !! Mais cela reste la meilleure adaptation de la Bible pour moi (surtout niveau histoire de Moïse. Exodus va en enfer…). AU RÉ LI E N qui veut nous faire croire que sa vie parfaite est normale, alors qu'il souffre simplement du S.H.G., le Syndrôme Hermione Granger. Franklin,
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Muséo-quiz Par Margaux Ruaud
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mots-croisés
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Par Sophie Leromain
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1. Un oncle qui « vous veut » du bien 5. « Red Scare » des Etats-Unis marquée par sa "chasse aux sorcières" 6. En plus d'être Big, il vous regarde 8. On dit souvent qu'il était petit mais son 1,68m était plutôt dans la moyenne de l'époque 9. A mis en évidence le concept de « fabrique du consentement » dans son ouvrage Propaganda 11. Légendaires ou réels, leur image glorifiée est souvent le fruit d'une récupération politique 12. Personnalité du show-biz extrême-oriental décliné par Warhol, et qui a donné son nom à un col de chemise 13. Support privilégié de la propagande (même votre cher journal l'utilise ! )
1. Apologie d'un mineur ultra-productif, qui rappelle le discours de début d'année à l'EDL… 2. Octobre, la Grève et le Cuirassé Potemkine 3. Ministre de la propagande nazie qui s'est tué après avoir empoisonné ses 6 enfants au cyanure 4. Ce bon vieux Djougachvili, petit père de la propagande 7. Outil de manipulation en salles obscures 10. « Devenez vous-même » en est un
Vertical : 1. Marignan - 2. Bilal - 3. Bern - 7. Futurisme - 9. Expositions - 11. Utopie - 12. Delorean - 13. Futurama - 15. Demain - 16. Milan - 18. Poids Horizontal : 4. Orwell - 5. Hartog - 6. McFly - 8. Apocalypse - 10. Punk - 14. Nostradamus - 17. antérieur - 18. Phil (du futur) - 19. Anticipation Solutions du numéro précédent :
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G / Lou vr' BoĂŽ t e U @l o u v r b o i t e mj o u r n a l e d l @g m a i l . c o m T ou j ou rs plu s de con t en u s u r :
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