LB n°29 : Criminalité(s)

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Lo u vr' Bo î t e Septembre_2015 n.29_/_50_CTS Criminalité(s)


DOSSIER C r i mi n al i t é (s ) Édito 3 RRRrrr_:_typologie_du premier_crime_de_l'Histoire 4 Meurtre_en_clair-obscur 6 Stupéfiant(s)_:_l'usage_des substances_dans_les_arts 7 Malraux_chez_les_Khmers 9 Daech_et_l'art_antique 1 0 Apollinaire_et_le vol_de_La_Joconde 13 Le_point_sur_Étienne_Marcel 15 Ôde_à_Cry_Baby 16 Feuillet_détachable 18 SKANDAL!_Rubrique_culturoartistico-sexuelle 22

RUBRIQUES Musée_insolitre_: 24 le_musée_de_la_contrefaçon Super-Série_: 25 How_To_Get_Away_With_Murder B.F.M._Food_: 26 La_Cervelle_De_Canut Interview_: que_sont-ils_devenus_? 27 (collectif_les_Igrecs) Actualités_: 30 le_Salon_d'Automne_2015 31 Le_choix_de_la_rédaction 32 Criminoscope 34 Mots_croisés


É d i t o

Arrêtons-nous un instant : chaque affaire criminelle ne serait-elle pas rendue culturelle par son inscription dans l’Histoire ? Chaque homme de culture, de vertu, chaque élite pourraient-ils se corrompre ? De ces cendres mémorielles naît « Criminalité(s) », premier vrai numéro de l’année académique 2015-2016. Imprégné par le vice véritable, il dévoile ou fait redécouvrir l’art de dépasser les limites, qu’elles soient légales ou morales. Ces études se basent sur l’ailleurs, le lointain… mais n’allez pas croire que nous sommes épargnés ! Souvenezvous bien que Raoul Vilain étudiait au sein de l’École du Louvre, n’oubliez pas qu’en ces lieux les offusqué.e.s des dégradations d’artefacts ou artistiques sont à géométrie variable. Promis, ce journal est certifié 100% Vigipirate compatible. Ce numéro est également l’occasion de nouer notre partenariat avec les potes de Kaktüm, étudiants à l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille (ENSA-M). Nous les saluons très amicalement, car ils sont certainement très impatients de recevoir notre article pour leur édition d’octobre. Et si patience est mère de vertu, ici plus court sera votre accès au vice : bonne lecture.

Louvr'Boîte

Le j o u rn al de s é lè ve s de l' É c o le du Lo u vre . S e p t i è me an n é e . S e p t e mbre 2 01 5 . 0, 5 €.

École du Louvre, Bureau des Élèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 Paris cedex 01. Tél. : +33 (0) 1 42 96 13.

Courriel : journaledl@gmail.com. Facebook : fb.com/louvrboite. Twitter : @louvrboite. Tumblr : http://louvrboite.tumblr.com. Instagram : @louvrboite

Aurélien Locatelli

Ont contribué à ce numéro, dans l'ordre alphabétique :

Herminie Astay, Valentine Chartrin, Gabriel Courgeon, Solène Devaux-Poulain, Sarah Favre, Camille Giraud, Maximilien Grémaud, Anne-Elise Guilbert-Tétart, Sophie Leromain, Aurélien Locatelli, Yohan Mainguy, Vincent Paquot, Elise Poirey, Marine Roux, Margaux Ruaud, Laure Saffroy-Lepesqueur, Adèle Steunou, Robin Viguié. Images de couverture :

L'Illustration, n°3695, décembre 1913.

http://www.gutenberg.org/files/33489/33489h/33489-h.htm

Sophie Leromain. 1969-9611. Dépôt légal : septembre 2015. Herminie Astay & Aurélien Locatelli. ISSN Imprimé sur les presses de l'École du Louvre (France). : Aurélien Locatelli. Saufmention contraire, © Louvr'Boîte et ses auteurs. 5 Camille Giraud.

Directrice de publication : Rédacteurs en chef : Maquette Correction :


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RRRrrr : Typologie du premier crime de l'histoire

serpent, ce fantasme insensé, faisant germer en lui les prémices du fanatisme. Fanatisme désignant, selon le Larousse, « un dévouement absolu et exclusif à une cause qui pousse à l’intolérance religieuse ou politique et conduit à des actes de violence ». Ce fantasme de se croire « dieu » ou « fils de dieu », poussant à commettre le péché le plus atroce, devenir un crimier, se retrouve dans beaucoup d’autres mythologies antiques, notamment Osiris et Seth en Égypte ou encore Rémus et Romulus dans la Rome antique. Cette rivalité fraternelle a pour but de représenter le combat du bien, Abel, contre le mal, Caïn, mais la singularité de la mythologie biblique vis-à-vis des mythologies archaïques est la malédiction divine. En effet pour punir Caïn, Dieu le maudit sur sept générations, alors que dans le mythe romain le crimier fonde la civilisation romaine, en Égypte Seth garde son statut de dieu. Pourrait-on donc en conclure qu’il est plus acceptable de tuer chez les Romains et les Égyptiens ? Si l’on suit cette logique, RRRrrr se rapproche plus de la mythologie biblique. En effet, si les Pierres veulent trouver le crimier, c’est d’une part déjà pour comprendre ce qui l’a poussé à tuer, mais aussi pour le punir. On peut voir que ceux-ci sont totalement désemparés face à l’idée du meurtre, ils n’arrivent pas à admettre qu’un autre homme ait pu faire une telle chose. La théorie de l’animal leur semble évidente, mais si ce n’est pas un animal il s’agit peut-être d’un végétal, puis l’hypothèse de la mort de vieillesse surgit bien que la morte soit jeune. Pourtant Alain Chabat démontre que la première morte fut forcément de la main de l’Homme, c’est à dire (spoiler), par lui. Ses motivations restent floues jusqu’à la fin, jusqu’à ce que Pierre (à prononcer B L O N D) se souvienne avoir tué le yorkmouth du guérissologue. Alain Chabat serait alors animé par la vengeance, une sorte de fanatisme, à la manière de Caïn. En effet, tout au long du film, on voit bien qu’il n’accepte pas la mort de son animal de compagnie, il le garde toujours empaillé près de lui, lui demande de ne pas lever la patte, alors par « dévouement absolu et exclusif à une cause » il est « capable de faire n’importe quoi pour se venger ». La véritable différence entre le crime de Caïn et celui de Pierre, c’est la punition. Au début du film, on voit clairement que les autres Pierres sont perdus. Le chef propose un sandwich à la fraise pour celui qui se dénonce, puis un repas à l’hippopotamouth lorsqu’il pense que la guitariste-couturière a fait le coup. Ces deux choses ne sont pas censées être des punitions, mais personnellement je compte bien punir mes enfants en les forçant à manger des hippopotames et des sandwichs à la fraise tellement cela a

Texte : Elise Poirey - Illustration : Bertille Masselot

Évidemment, à la place de dire crime j’aurais pu dire « meurtre », mais crime c’est mieux. Attention, spoilers. Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que RRRrrr fait partie des films les plus débiles et incohérents de l’histoire du cinéma, et donc, par extension, un des plus drôles et géniaux qui soient (oui c’est une ex-spé cinéma qui écrit ces mots). À moins que votre humour ne soit pas assez bas de gamme, et dans ce cas votre vie doit sûrement être très triste, il est impossible de ne pas rire devant ce film. De plus, ce dernier a eu la chance d’accueillir en guest-super-star l’ancienne chargée de TD des spés Cinéma, à vous de deviner si elle est plutôt un yorkmouth, ou un gourdin. Pourtant, je pense qu’il est important de l’étudier d’un point de vue sociologique, car il est en réalité très intéressant de comprendre la réaction des premiers hommes face au meurtre, quelque chose qui est en fait totalement irrationnel. Alors évidemment il existe plusieurs « types » d’homicides : volontaire, involontaire, accidentel, mais ce qui est fascinant dans RRRrrr, c’est qu’il s’agit d’un homicide volontaire avec préméditation, qui a pour but la vengeance. Dans l’Histoire, la plus ancienne attestation de meurtre remonte à la Bible et au Coran, avec Caïn et Abel. Lorsque le premier, par jalousie, décide de tuer son frère car Dieu aurait préféré l’offrande d’Abel, Caïn devient alors le premier crimier de l’humanité. Le premier meurtre de l’histoire serait alors, comme dans RRRrrr, dû au péché et à la faiblesse humaine. La jalousie et la vengeance restent dans la religion deux vices humains à proscrire si l’on veut atteindre le Paradigme du Salut (#Maxmilien). Les différentes interprétations de ce mythe tendent à dire qu’il s’agirait d’une métaphore du conflit entre les peuples de chasseurs-cueilleurs itinérants, représentés par Abel, et les premiers éleveurs nomades, Caïn et sa descendance, conflit qui se déroulait au néolithique. Pourtant les théories actuelles tendent à dire que Caïn serait en réalité le premier fanatique de l’Histoire, un homme qui, renié par son dieu, décide de tuer celui qui a eu ses faveurs. En effet selon certaines interprétations des textes, Caïn pourrait se considérer comme le fils de Dieu, après qu’Ève a dit « j’ai procréé un homme avec le Seigneur », saufque cet homme est Adam. Pour comprendre ces dires, il faut remonter à la source du péché originel, le fruit interdit qui, selon la promesse du serpent, rendra Adam et Ève « comme des dieux ». Caïn aurait donc, comme sa mère, cru les dires du

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Criminalité(s)

l’air ignoble. En réalité ce sont plutôt des manières de fêter le fait que le crimier soit démasqué. Le concept de punition n’apparaît qu’à la fin, lorsqu’Alain Chabat est coincé dans le trou créé par les Cheveux Sales. Le chef décide alors de remercier les Cheveux Sales qui les ont aidés sans le vouloir, et non le crimier, ce qui montre l’avancée de la mentalité humaine et la non-acceptation des meurtres dans cette société vivant à l’âge de Pierre.

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meurtre en clair-obscur Texte : Sarah Favre - Illustration : Wikimedia Commons « Il était venu pour détruire la peinture » Nicolas Poussin à propos du Caravage. Rome il s’inspire déjà de son vécu de la mort. Dans Judith décapitant Holopherne, le meurtre, bien que juste, est

Difficile de savoir dans quelles circonstances Poussin, grand peintre de son époque, énonça cette phrase. Sans doute une vive critique qui peut en dire long sur le personnage, une fois lue à la lumière de son œuvre et de sa vie. Le mot à retenir est « détruire » ! En effet, bien que créateur et peintre, le Caravage est un être de l’ombre, un être qui détruit tout sur son passage, que ce soit lui-même, les autres et surtout les règles : un passionné dans toute sa splendeur ! Né sous le nom lourd de sens de Michelangelo Merisi, il gagne Milan en 1584 et entre en apprentissage auprès du peintre Simone Peterzano chez qui se perpétue la tradition du maniérisme. Mais très vite le Caravage s’en détourne et adopte un style personnel. Il réagit contre les conventions du maniérisme et leur oppose une « peinture naturelle » inspirée de celle de Raphaël. Il présente ses sujets sans idéalisation et de manière très crue et choquante. Connaissant cette volonté, il semble naturel qu’il se passionne rapidement pour la mort. Cette dernière est une composante de la vie comme de l’œuvre du Caravage, et cela d’abord en tant que tabou dans une société dont il veut se libérer. Il joue, il boit, mène une vie de débauche qui le conduira à bien des arrestations. En 1606, il franchit la limite et tue un homme auprès duquel il avait des dettes de jeu. Caravage, alors peintre bien vu de l’Église, devient un meurtrier et un hors la loi. Il doit se réfugier à Naples. Ce sera ainsi le début d’une fuite sans fin pour échapper à la peine de mort. Il va à Malte puis en Sicile où il aurait été attaqué et laissé pour mort. Il finit par s’éteindre à Rome de maladie. Mais cette période de fuite est sans doute la plus émancipatrice. Cette mort qu’il côtoie et qui le suit nourrit sa peinture. Elle est présente dès 1600 au travers de ses sujets religieux. Toute représentation, même positive, est empreinte d’une atmosphère morbide. Par exemple, dans l’Incrédulité de Saint Thomas, le peintre représente une résurrection et pourtant ce n’est pas la joie qui habite le spectateur mais d’abord la surprise puis le dégoût. En vérité, on nous montre la mort pour nous montrer la vie. Le doigt de Saint Thomas pénètre dans la plaie christique comme pour s’assurer que ce n’est pas un leurre… Et non c’est une vraie plaie, de la mort il est revenu à la vie. Ce tableau de 1603 est très impressionnant mais n’est pas violent. Beaucoup de tableaux du Caravage représentent des meurtres et ce même avant qu’il n’en commette un lui-même. Habitué à errer dans les bas-fonds de

représenté dans toute sa violence et son horreur. Saisissant la tête, Judith, frêle jeune fille, semble accompagner le geste de la lame et arrache la tête de l’oppresseur de son peuple… Nous sommes en 1599. En 1610, après avoir commis son meurtre, Le Caravage peint David et Goliath. Il avait déjà traité ce sujet en 1599 mais il montrait alors le combat des deux hommes. Désormais, le public contemple David brandissant la tête sanguinolente d’un Goliath portant les marques de la mort. De spectateur, le Caravage est devenu acteur, il connaît la mort pour l’avoir expérimentée et, alors que la plaie du Christ semblait être un trou béant artificiel, la tête de Goliath saigne et son expression morbide renforce le sentiment de mal-être face à cette mort réaliste. Il s’agit pourtant toujours d’un thème religieux. Ce thème sombre n’est pas visible seulement dans le sujet mais aussi dans le traitement. Connu pour son clairobscur, dont certains historiens lui donnent la paternité, le Caravage fait naître la lumière de l’ombre. Sans partir dans des divagations trop métaphysiques, la mort, la débauche, permettent de mieux percevoir la beauté et la vie, de mieux la saisir. Le clair-obscur est l’expression de ce principe. Ainsi nous comprenons mieux le David et Goliath. La mort de Goliath, si atroce soit-elle, se fait pour le bien du peuple juif et est alors positive, mais cela n’enlève rien à l’atrocité de l’acte de donner la mort. Ainsi, Le Caravage regarde le sujet religieux avec une grande modernité, il y voit un sujet humain et le montre, non pas avec la distance du symbolisme mais avec la crudité du réalisme ! Ayant l’expérience de la mort, de la peine et de l’errance, il les incarne dans sa peinture. Passionné, tel un Lorenzaccio, il semble sacrifier sa pureté au service de l’œuvre de sa vie. Le Caravage : un être à fleur de peau, doté d’une sensibilité et d’une rage qui font de lui un des plus grands artistes de son temps. Le Caravage ne détruit pas la peinture, il la reconfigure.

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C RIMINALITÉ(S)

Stupéfiant(s) : L'usage des substances dans les arts premières représentations psychotropes ont un caractère empirique, l’usage des drogues dures s’est par la suite démocratisée et diversifiée ; celles-ci donnent lieu à des créations bien plus axées sur la déclinaison des motifs et des couleurs dans un but esthétique. C’est le cas des Autoportraits de Bryan Lewis Saunders, réalisés sous l’emprise d’une substance différente par œuvre. Cette série permet d’appréhender tant les modifications chimiques de la perception que les variations comportementales qui en découlent. Saunders semble halluciné sous marijuana, angoissé par la cocaïne et totalement déprimé avec le valium. Son étude va plus loin encore en consommant des médicaments ou des produits du quotidien à des fins hallucinogènes, questionnant implicitement la salubrité de ces produits. Si l’expérience de Saunders s’est limitée à une prise différente par jour (et une hospitalisation), l’utilisation de drogues peut bien entendu s’avérer nécessaire à la création dans des cas sévères d’addictions.e De nombreux artistes se sont épanouis à la fin du XIX siècle grâce à l’ingestion d’absinthe, une boisson alcoolisée de 68 à 72°, aussi appelée « la fée verte » (référence très subtile à sa couleur et ses effets). Sa nocivité ne fut découverte que plus tardivement, ce dont témoigne L’Assommoir d’Emile Zola, une des premières sources littéraires à décrire les intoxications provoquées par l’absinthe. Celle-ci est devenue l’emblème de la fin de carrière de Van Gogh, vraisemblablement devenu fou par sa consommation excessive. Les exemples d’artistes dépassés par leurs addictions sont fréquents tout au long du siècle dernier. En arts plastiques, Basquiat ne produisait quasiment qu’avec l’aide de substances, mais cette tendance se discerne aussi dans d’autres domaines. Le film Apocalypse Now, réalisé par F.F. Coppola en 1979, fut un vrai calvaire à terminer. En cause, la présence de drogues pendant tout le tournage au sein des équipes, en plus de réels problèmes financiers. L’excès peut même devenir le leitmotiv d’une production artistique, à michemin entre des préoccupations morales et scientifiques. Il n’existe certainement pas d’exemple plus marquant que Requiem for a dream, film réalisé par Darren Aronofsky en 2001. Il s’est attelé à décrire avec une précision sordide la lente descente aux enfers de quatre personnes toutes dépendantes à différentes formes de « drogues » : héroïne, médicaments, ou même télévision. Il s’agit ici d’une dénonciation effrayante et sévère d’une classe populaire américaine soumise à une pression sociale écrasante, gangrénée par la drogue. Pour autant, si les cultures occidentales traditionnelles ont une vision extrêmement négative de

Texte : Margaux Ruaud - Illustrations : Laure Saffroy-Lepesqueur

est la noblesse. Il ne se fonde que sur les sentiments les plus distingués et purs, de manière à créer des œuvres uniques, reflets du moi intérieur de son créateur. L’art ne cherche qu’à transcender les réalités temporelles pour atteindre ultimement la beauté universelle. Stop. Il est temps de balayer ce discours idéaliste d’un revers dédaigneux de la main pour accepter la vérité en face. Le vice est humain, l’artiste est un homme, donc l’artiste est un vice. Comme n’importe qui, l’artiste vit des expériences influençant radicalement sa production, qu’elles soient bénéfiques ou plus destructrices, physiques comme mentales. Quoi de mieux alors pour se pervertir que l’utilisation de substances d’une légalité discutable ? Les drogues, douces ou dures, peuvent faire partie intégrante d’une création artistique. Si le cliché de l’artiste maudit apparait automatiquement à l’évocation de cette pratique, l’utilisation de drogues varie pourtant selon des critères géographiques, temporels ou culturels. Une drogue dure, sans entrer dans de complexes explications chimiques (l’auteur en est incapable), agit directement sur le cerveau, à différents niveaux, toujours dans le but de modifier la perception de l’utilisateur. Cela peut se traduire par des hallucinations visuelles ou auditives, l’altération des couleurs, la déformation de l’environnement, etc. Difficile de mesurer les effets, annihilant tous les systèmes internes normaux de figuration du monde. C’est ce qui a intéressé un chercheur américain des années 50, faisant appel à un artiste cobaye pour imager l’hypersensibilité induite par la consommation de LSD*. L’artiste, resté anonyme, a ingéré deux doses de 50 microgrammes (sous forme de pilule) avant de dessiner neuf fois son portrait en huit heures. L’art est ici lié à des impératifs scientifiques : étudier les effets d’une nouvelle substance utilisée dans les milieux psychiatriques. Si les 9


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l’usage de drogues, il n’en est pas de même pour toutes les régions du monde. En effet, d’autres cultures considérées comme « exotiques » ont un rapport très différent à l’utilisation de psychotropes. Leur consommation est souvent associée à des pratiques rituelles, ne déclenchant pas nécessairement des addictions chez l’utilisateur. C’est le cas pour les croyances préhispaniques d’Amérique ecentrale (du troisième millénaire avant notre ère au XV siècle), adeptes du « vol chamanique ». L’officiant, ou chamane, se doit de communiquer avec les infra et supra mondes, ce qu’il ne parvient à accomplir que par une transformation. Il porte différents éléments de costumes pour se conférer un aspect animal : crocs, pelage, mufle, oreilles, etc. Les ornements sont tout aussi fondamentaux que la consommation de psychotropes pour exécuter le vol chamanique, car ils permettent une hybridation entre l’Homme et des animaux à fort caractère symbolique, comme la chauve-souris, l’aigle ou le jaguar. Pour parachever le rituel, le chamane peut consommer différentes espèces végétales, comme la coca, mélangée à de la chaux. Celle-ci est contenue dans un poporo et se mélange à la coca lors de la mastication ; cela permet un « voyage », voire une transe pour le chamane. Ce rituel marque fondamentalement les arts préhispaniques : ils en sont dépendants non seulement par la fabrication d’objets nécessaires au vol, comme le poporo ou tous les ornements faciaux utilisés, mais aussi par l’iconographie, imageant

fréquemment les chamanes en pleine transformation. Ces cultures revendiquent non seulement leurs pratiques, mais les expliquent aussi, de la même manière que les artistes représentaient les saints sacrements catholiques en Europe occidentale pour les inculquer au fidèle. Le rapport à la drogue a nettement changé dans les sociétés contemporaines. Démocratisée, étudiée, médiatisée, elle est bien moins mystérieuse et donc effrayante que par le passé. La multiplication des substances confère un aspect moins subversif à leur consommation. Cela peut même entrainer une forme de revendication, dont la musique semble être le médium privilégié. Elle peut traduire un sentiment d’appartenance, comme dans la culture reggae, inspirée par le mouvement rastafari. Bob Marley évoquait simultanément dans ses chansons une lutte pour un monde égalitaire et une consommation assumée de marijuana. Cette ode à la consommation ne se cantonne pas au reggae. Elle s’exporte dans le rap, mais s’adjoint à un souci de défier la loi, d’affirmer sa gangsta attitude**. O.T. Genasis cristallise cet ordre d’esprit avec son titre CoCo, hommage à sa passion pour la cocaïne. Les exemples sont nombreux, et dépassent même le cadre artistique, développant un culte de l’excès, une surabondance qui ne touche même plus à la consommation mais bien à la possession du produit audelà du besoin réel. Ainsi, si le XXe siècle était l’âge classique et raisonné de la drogue dans les arts, le XXIe sera-t-il roCoCo ?

Vous pourrez retrouver l’iconographie de cet article sur notre tumblr ! louvrboite.tumblr.com

*Le LSD est interdit à partir de 1966 aux Etas-Unis **Comportement adopté par les gangs américains répondant à une éthique particulière fondée sur l’échange d’insultes (ou clash). Cela se double généralement d’une haine viscérale envers les forces de l’ordre.

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Malraux Chez les Khmers cambodgiennes l’antéveille de Noël, ce qui provoque la mise en résidence du trouple dans un hôtel. Ils ne parviendront pas à le payer plus de quatre mois. Et c’est à partir d’ici que tout devient surréaliste. Presque un an après leur départ, André et Louis sont condamnés à respectivement trois ans et un an et demi de prison ferme. Clara est, elle, par son statut d’épouse suivant simplement son mari, renvoyée fissa chez les bérets et baguettes. La sous-estimer était une erreur : à son retour, elle milite auprès de l’intelligentsia parisienne pour faire revenir son mari, les intellectuels réclamant un statut privilégié à ceux qui « contribuent à augmenter le patrimoine intellectuel de notre pays », comprendre « aux Andrés qui récupèrent des artefacts chez les autres parce qu’après tout personne ne s’en occupe ». Si les peines sont finalement réduites pour les deux condamnés, il s’agit du point de départ d’un mouvement de révélation humaniste et existentialiste pour notre ami André au dépens de son ami d’enfance, Louis. Notre auteur va même jusqu’à pousser le vice en publiant La Voie royale, livre mot pour maux calqué sur son périple, mettant en scène son propre voyage. Ce roman d’aventure lui permet de se justifier et de révéler des personnages complexes, d’autant plus réels qu’ils sont poussés par les fantômes du passé. Malgré cette publication en toute simplicité, il n’en demeure pas moins que nous pouvons tirer des leçons de cet épisode : tous les saints ne sont pas forcément vêtus de manteaux blancs, il ne faut pas sous-estimer l’étranger ni mentir aux institutions (on vous aura prévenu) ; et bien sûr, ce qui appartient à l’histoire des autres ne devrait prétendre, sous aucun prétexte, à une possession de notre part. Ce roman sera aussi l’occasion de bons morceaux choisis à méditer : « Une expérience assez restreinte avait suffi à montrer que les imbéciles sont aussi nombreux chez les aventuriers qu’ailleurs. »

Texte : Aurélien Locatelli - Illustration : Herminie Astay

La lune de miel de l’aventure, selon André Malraux, serait de partir en pays khmer sur une pirogue — enfin, pas depuis Marseille, la pirogue — et de découvrir d’une façon tout à fait romanesque les trésors d’une civilisation millénaire. Dans ces années 1920 où tout est permis, chaque voyage bourgeois est une aventure scientifique, chaque aventure scientifique est une exposition coloniale, exception faite qu’il est bien compliqué de cacher un couple sous le costume de Louis Delaporte. Le jeune Malraux plein d’assurance est prêt à tout pour parvenir au Cambodge de la plus habile manière : il suffit d’user de mensonges concernant de prétendus cours à l’École des Langues Orientales, il suffit de quémander une mission archéologique désintéressée et, comble de l’humanisme, il suffirait de réaliser des moulages des œuvres rencontrées pour le musée Guimet, alors en déménagement du Trocadéro à la place d’Iéna. L’équipage comprend André, sa compagne Clara et son ami Louis, en bon lurons qu’ils sont. La voie semblait parfaitement libre, elle l’était. L’arrivée à Siem Reap se fait sans encombre (avec pirogue), et c’est ici que le fil se rompt. L’on vivote, l’on découvre, l’on profite. Au mois de décembre 1923, la cupidité les rattrape et il est temps d’honorer le véritable motif de ce voyage, à savoir : dénicher le moindre morceau de statue khmère dans le but… de le revendre à de riches collectionneurs. Et ça scie, ça découpe, ça terrasse des idoles centenaires, arrachées de leur mer végétale. Le site de Banteay Srei est égorgé, étripé, ses entrailles béantes bouillonnent dans les paquets soigneusement ficelés par la joyeuse équipe. L’excitation est à son comble, les wannabe aventuriers ont les mirettes comme fracturées par une lune de miel en cristal. Une fois les poches pleines, le convoi repart bien évidemment (à charrue) vers le port qui les mènera aux portes de l’Occident et d’une vie facile. Les pilleurs du dimanche — à ce stade, c’en est à se demander si le manque de clairvoyance de Malraux et Cie n’est pas simplement une marque de sottise — sont arrêtés par les autorités

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Daech et l'art antique : destructions, coups de com' et hypocrisie Zoz, Hama et d’autres villes encore. Le plus souvent, de nombreux musées avaient pu être évacués avant l’avancée des troupes de Daech, sauvant plus de 99% des collections de ces institutions : parmi eux, ceux de Mossoul et Palmyre. Ces pillages jouent un rôle clé dans la stratégie de l’organisation islamiste, qui se veut, et est, dans les faits, de plus en plus puissante. D’environ 10 000 à 15 000 membres à la prise de Mossoul en juin 2014, Daech compterait aujourd’hui le double de combattants et se dote au fil du temps d’une administration et d’une propagande « diablement » (pardonnez-moi, c’était trop facile) efficace.

Texte & illustration : Yohan Mainguy

Début 2015, nous avons tous vu ces images dégoulinantes d’effets visuels postées par Daech, où l’on pouvait voir des membres de l’organisation ravager un musée de Mossoul. Au-delà d’un militantisme de la dernière heure (ce n’est pas la première fois que des islamistes s’en prennent à des œuvres d’art), il est important de s’intéresser à tout ce qu’il se passe autour de ces vidéos chocs qui ont tant fait parler d’elles. Si la situation catastrophique du patrimoine culturel au Proche-Orient (en particulier en Syrie) n’est pas nouvelle, elle n’en est pas moins préoccupante. En effet, les destructions fortuites ou volontaires liées aux combats ne connaissent pas de trêve : à titre d’exemple, c’est aujourd’hui plus de 75% du patrimoine de la vieille ville d’Alep qui est touché. Ce chiffre regroupe les monuments détruits totalement (10% de l’ensemble) ou partiellement. La mosquée des Omeyyades a ainsi vu son minaret réduit à un tas de gravats, quand les souks AlMadina se sont éboulés ou sont partis en fumée pour la plupart d’entre eux. Ailleurs, les combats ont eu raison de la résistance de certaines zones du célèbre Krak des Chevaliers, ou de nombreux monuments à Bosra pour ne citer qu’eux ; inutile d’aller plus loin, ce n’est pas le propos et faire l’inventaire serait impossible, sinon insupportablement long. Mais si les combats portent gravement atteinte au patrimoine culturel du Proche-Orient, ce sont sur les pillages de sites archéologiques et de musées que nous allons ici nous pencher. Depuis des dizaines d’années, des pillages archéologiques avaient régulièrement lieu sur les sites d’Apamée (notamment pour ses mosaïques) et de Palmyre. Mais ces derniers temps, surtout depuis la montée en puissance de Daech dans la région, le phénomène s’est emballé. Des islamistes au pouvoir ont décidé de vendre mais surtout d’exploiter des « concessions archéologiques », qui transforment ces sites antiques en mines d’or grâce à la revente des objets mis à jour. Ainsi, les tells de cités antiques telles que Mari, Ebla et bien d’autres ont été tout simplement éventrés au bulldozer et pillés, tandis que le site de Doura Europos s’est transformé en ville fantôme remplie de chercheurs de trésors. En ce qui concerne les musées, les autorités ont pu constater le pillage des musées de Raqqa, Homs, Deir-Ez-

Stratégie iconoclaste et besoins de propagande

La stratégie de l’organisation terroriste semble claire : détruire les derniers témoignages d’un passé préislamique pourtant glorieux (les petits européens que nous sommes avons tous appris que la civilisation et l’écriture sont nées dans le Croissant fertile), pour la simple raison que ces œuvres d’art antiques sont des idoles à abattre, symboles de religions passées où les Hommes les idolâtraient au lieu d’aimer le vrai dieu (« Il n’y a de dieu que Dieu », Allah pour ceux qui suivent). Ces destructions sont également et à juste titre souvent interprétées comme un moyen d’effacer le passé afin de couper les peuples de leurs racines culturelles, et ainsi les empêcher de penser par eux-mêmes grâce à la connaissance de leurs origines. Certes, ces deux analyses sont tout à fait valables, mais un des aspects encore plus simple de cette stratégie est celui de la terreur : la peur que provoque chez la population locale ce genre d’images, pas seulement pour la protection de leur patrimoine mais aussi pour leur propre survie. Soyons honnêtes, et mettons les discours sur les racines glorieuses des peuples ; si demain des individus prenaient le pouvoir et que leurs partisans détruisaient des statues à coups de masse, ne craindrions-nous pas qu’ils en fassent de même avec des opposants en chair et en os ? Car il faut bien avoir à l’esprit que l’EI, niveau exécutions, ne recule devant rien : égorgements, lapidations bien-sûr, mais aussi condamnés à mort jetés du haut des immeubles sous les yeux du public… En même temps que la terreur, la diffusion de ces images de saccage de musées peut avoir pour but d’attirer de nouveaux combattants au service de Daech. En effet, si l’idéologie religieuse de l’EI peut réussir à endoctriner 12


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"... des profits

même des personnes cultivées et intelligentes, certaines recrues potentielles peuvent se révéler plus captivées par le déchaînement de haine et de violence que par de longs discours. Il ne faut pas oublier à cet effet que pour tenir le choc lors des combats qui font rage en Orient, l’EI a cruellement besoin de combattants robustes, serviles et peu enclins à avoir trop de remords ; en clair, le type de personne pour qui ravager un musée pourrait s’apparenter à un défouloir, rien de plus. Enfin, autre raison de diffuser ces images, le saccage d’un musée peut servir la propagande islamique. D’une part, en rejetant le modèle (et donc l’impérialisme) occidental que peuvent symboliser les musées. D’autre part, en se montrant en totale opposition avec le goût de Saddam Hussein pour le passé préislamique de l’Irak.

estimés à six voire huit milliards de dollars

Stratégie iconoclaste… Et petits arrangements financiers

Ensuite, et venons-en à la dernière partie de cet article, le pillage de sites archéologiques et de musées s’avère être une véritable manne financière pour l’EI. Lors de la prise d’une ville, Daech cherche d’abord et surtout à en tirer profit au sens propre du terme. L’argent étant le nerf de la guerre, tout est bon pour en amasser le plus possible : exploitation de gisements de pétrole (source de revenus n°1 de l’EI), traite d’êtres humains (yézidis et autres membres de minorités, kurdes ou non grâce au rétablissement du statut de dhimmi), et nous y voilà enfin : trafic d’œuvres d’art. C’est à ce titre que je parlais d’hypocrisie dans le titre,

puisque l’on voit que l’idéologie iconoclaste de Daech, en apparence implacable, souffre de fréquentes exceptions lorsqu’il s’agit de faire rentrer de l’argent. Ce trafic serait la deuxième source de revenus du « califat » selon des rapports de la CIA, avec des profits estimés à six voire huit milliards de dollars. Tous les musées sont donc une véritable mine d’or pour l’organisation terroriste, ce qui explique leur pillage systématique à des fins de revente sur des réseaux, nous allons le voir, plus ou moins légaux. Ce n’est donc qu’après avoir méthodiquement vidé les musées de leurs pièces les plus intéressantes (financièrement, entendons-nous) que le saccage commence : avec ou sans caméras, c’est selon. Les pièces choisies pour être revendues sont d’abord stockées un certain moment afin que les autorités en perdent la trace ; elles sont ensuite envoyées vers des pays limitrophes, comme le Liban ou la Turquie, ou des ports sans contrôle douanier comme à Dubaï ou Zurich. Une fois arrivées dans ces pays, elles passent aux mains de réseaux très bien organisés implantés en Irak, Syrie, Turquie, Iran ou Liban, en lien avec certains pays européens. Elles se voient alors attribuer un certificat d’authenticité falsifié, avec une fausse provenance. Ces pièces sont ensuite discrètement introduites sur le marché de l’art, tout à fait légal celui-ci ; les plaques tournantes de ce dernier sont les marchés français, allemands et britanniques. 13


Dossier

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... mais dans un monde où la concurrence est forte, il n’est pas si aisé d’allier souci d’honnêteté et rentabilité…

Le conseil de sécurité de l’ONU, de son côté, a adopté une résolution le 12 février 2015 pour étendre à la Syrie l’interdiction de commercialiser des biens culturels issus du vol, règle qui s’appliquait déjà à l’Irak. Mais dès 2003, ce même conseil de sécurité avait interdit la sortie de biens culturels d’Irak (en réaction au pillage du musée de Bagdad), sans grands résultats. Pendant ce temps, après un an de coalition militaire internationale contre Daech, force est de constater que l’organisation terroriste ne fait que se renforcer et fonctionne selon une mécanique de mieux en mieux huilée, que l’Occident peine à combattre. Et même si l’espoir subsiste encore de voir les habitants de la région triompher face à l’obscurantisme de l’EI, rien n’assure la victoire annoncée dans cette « Guerre de civilisation » (sans « s », attention ; l’expression ne vient pas de moi), qui s’avère d’ailleurs plus incertaine que jamais.

Mais alors comment enrayer un tel trafic, si bien organisé et profitant d’un chaos sans égal pour prospérer ? La tâche s’avère plus que compliquée, tout d’abord à cause des lois libérales des plus grands pays acheteurs (la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni), qui n’aident pas à réguler le trafic. Ceci dit, un projet de loi voit actuellement le jour en Allemagne, visant à interdire la vente d’œuvres d’art dépourvues de certificats d’origine authentique ; reste à définir les termes de cette loi afin de la rendre efficace, ce qui risque d’être très compliqué. Christie’s et Sotheby’s, deux grandes maisons de vente européennes se sont en revanche engagées à ne vendre aucune œuvre sans contrôle strict de leur provenance ; mais dans un monde où la concurrence est forte, il n’est pas si aisé d’allier souci d’honnêteté et rentabilité… Ensuite, les musées Syriens par exemple ne disposaient d’aucune base numérique pour leurs œuvres conservées, ce qui est malheureusement le cas pour de nombreux musées au Proche-Orient. Mieux vaut tard que jamais, des groupes de spécialistes ont été dépêchés par l’Unesco pour aider les musées concernés à numériser leurs collections et ainsi aider à retrouver les pièces en cas de vol, mais aussi pour donner des cours de « conservation d’urgence » en quelque sorte, c’est-à-dire apprendre à la population et aux professionnels à cacher au plus vite, si besoin, des œuvres d’art tout en limitant les risques de détérioration de ces dernières.

Pour en savoir plus sur les sites du patrimoine culturel oriental détruits ou mis en danger par les combats qui s’y déroulent actuellement, rendez-vous sur la page Facebook ainsi que le Tumblr du Louvr’Boîte où vous trouverez une sélection de liens fiables pour vous informer sur le sujet.

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C RIMINALITÉ(S)

Apollinaire et le vol de la Joconde Texte : Hood

Alors il y a tout d’abord eu le thème : criminalité culturelle. Après un moment de trouble, il fallait trouver un sujet. Les premières idées furent jetées au détour d’un carnet traînant par là. Rien de très convaincant au premier abord. Puis subitement, notre mémoire s’est révélée d’une aide salvatrice. En ressortant un lointain souvenir enfoui du temps du pénible passage sur les bancs du lycée, l’image d’un langoureux mercredi après-midi vint nous frapper d’un éclair révélateur. Celle de notre charismatique professeur d’histoire de l’art de l’époque, un certain M. Grison, qui au détour d’une de ses divagations, nous révélait l’identité de son poète préféré, en la personne de Guillaume Apollinaire. Il s’ajoutait d’empresser, sans doute pour épaissir le voile mystérieux de cette personnalité alors peu évocatrice dans notre esprit en ces temps de crasse ignorance, qu’il fut inculpé dans l’affaire du vol de La Joconde. Il était là le sujet, et ne pouvait pas être d’une plus grande perspicacité. En effet, quoi de mieux pour inaugurer cette nouvelle collaboration entre nos deux magazines, qu’un sujet sur la résidente la plus emblématique du Louvre ? Vous avez eu beau chercher, rien ne vous semblait plus adéquat. Alors, nous subodorons bien que cette histoire n’a plus guère de secrets pour vous, futurs conservateurs, commissaires, critiques, etc. Vous devez la connaître sur le bout des doigts, ayant par ailleurs déjà fait l’objet d’un article, Le Rapt de la Joconde, dans une publication antérieure, Art et Prison, n°19, décembre 2013. Les évènements étant brillamment contés, nous n’allons pas nous atteler de nouveau à cette tâche, qui par ailleurs peut être approfondie par vos soins, au vu du grand nombre de récits détaillés du vol du siècle fourmillant sur la Toile. Foisonnant de détails plus rocambolesques les uns que les autres, ils nous ont permis de trouver nos angles d’attaques de ce sujet qu’on croyait épuisé. Le premier et sans doute le plus intéressant est l’incertitude quant aux réels motifs du vol. Beaucoup d’hypothèses surgirent en ces temps de grandiloquence journalistique : complot ourdi par Guillaume II, l’empereur d’Allemagne, complot juif, plaisanterie d’un journal pour démontrer avec fracas les failles du système de surveillance, un larcin imbécile. La dernière hypothèse s’avèrera la bonne, puisque c’est un ouvrier italien travaillant au Louvre, Vincenzo Peruggia qui dérobera La Joconde, lors de l’été 1911. Même si ses raisons demeurent floues, – nous y reviendrons plus

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tard – il entraînera avant même sa chute, deux artistes majeurs du XXe, Apollinaire et Picasso. Car, s’apercevant du larcin, la direction du Louvre décide enfin de s’adonner à la tâche fastidieuse ; mais ô combien nécessaire au vu de sa réputation, illustrant brillamment l’expression « entrer comme dans un moulin » ; de l’inventaire. Quelle surprise fut-ce, ou ne fut-ce pas, de découvrir que plus de 300 œuvres manquaient à l’appel. Or parmi ces 300 œuvres, figuraient des statuettes phéniciennes, dont quelques-unes se trouvaient en la possession d’Apollinaire et de Picasso. Le nombre n’est pas exact, on parle de 3 ou de 5, mais la chose est admise : c’est l’ancien secrétaire du poète, Géry Pieret, un belge un peu roublard, qui les aurait dérobées au Louvre en 1907 et les aurait vendues aux deux amis. La légende voudrait même que Picasso s’en soit inspiré pour ses Demoiselles d’Avignon . À l’époque, nos deux amis ne prêtent qu’un crédit limité aux assertions de ce belge un peu mythomane. Mais lorsque l’affaire éclate, ils prennent peur, ils cherchent à s’en débarrasser par tous les moyens possibles, le projet de les jeter dans la Seine est quasiment mené à son terme avant qu’ils ne réalisent l’inconscience de ce geste. Apollinaire essaiera de la jouer fine, en restituant ses statuettes à Paris-Journal, par le biais d’un ami critique d’art y travaillant. Malheureusement pour lui, quelqu’un a dû en souffler mot à la police qui débarque à son domicile le lendemain. Il est incarcéré à la prison de la Santé durant 5 jours, pendant que l'intelligentsia littéraire parisienne s’offusque de cette arrestation brusque et réclame sa libération immédiate. Dans la confusion Picasso, quant à lui, ne sera que très peu inquiété, tout juste un interrogatoire où il refusera, apparemment de prendre la défense de son ami. Finalement, Apollinaire s’en sort sans trop de dommages, si ce n’est de perdre sa promise et de voir son honneur un peu écorché. Il faudra croire que la Justice n’est pas aveugle, puisqu’elle condamnera ledit Pieret – s’étant au passage vanté d’être l’auteur de l’odieux larcin de La Joconde et réclamant une coquette rançon – à 10 ans de prison, par contumace toutefois. Dans ce mélange des genres cosmopolite, à la limite de la blague potache, celle du Polonais, de l’Espagnol et du Belge, qui croyaient voler le Louvre sans conséquence, il est intéressant de remettre tout cela dans le contexte très tendu de l’époque. Faut-il vous le rappeler, nous sommes en 1911, soit trois ans avant la première mise à sac sans merci de l’Europe. Les tensions diplomatiques sont fortes, avec l’Allemagne qui lorgne du côté des colonies française au Maghreb, l’Italie en guerre contre les


Dossier

KAKT Ü M ENSA-M

Lauréats du premier prix du concours Kaléïdo'scoop (les gredins !), nous inaugurons dans ce numéro un partenariat que nous espérons des plus fructueux. Voici leur premier envoi d'article. Ottomans pour le contrôle de ce qui deviendra la Libye, et enfin la France orpheline de son Alsace-Lorraine. Il n’a fallu que d’un prétexte pour mettre le feu aux poudres, l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie. Et si ce prétexte avait été le vol de La Joconde ? Si le vol s’était déroulé en 1914, aurait-il servi de cause justifiable, valable ? Personne n’est capable de le dire, mais les nationalismes, tout comme les rancœurs envers les étrangers, étaient à leur paroxysme à l’époque, comme le prouvent les véhémentes déclarations d’un magistrat de l’époque proche de l’affaire, refusant qu’une bande d’étrangers dépouille la France de ses plus précieux trésors. Alors, effectivement si l’on laisse son esprit s’égarer, divaguer au gré des vents, nous pouvons effectivement penser que La Joconde aurait pu être un des motifs amenant à la Grande Guerre. Si elle ne le fut pas, elle constituera tout de même un prémice au basculement des alliances grâce à sa restitution à notre chère patrie par nos voisins transalpins, en 1914. Toutefois, cette intrigante idée qu’elle aurait pu être un véritable déclencheur, un motifbienvenu, prend du sens, lorsque l’on apprend aujourd’hui que Peruggia a sans doute été influencé par un allemand, possible espion, probable membre d’un groupe de voleurs belges. Il lui aurait soufflé l’idée de restituer à sa mère patrie un de ses chefs-d’œuvre spoliés. Outre la pertinente question de la nationalité des œuvres que cette perfide manœuvre soulève, il est intéressant de noter que cette pratique du pillage culturel fut de bonne augure du temps de Bonaparte et de sa campagne d’Italie où il ne s’était pas privé pour léser les italiens en leur dérobant quelques éminents tableaux, marquant son emprise sur le territoire et privant le peuple de sa mémoire. Manœuvre militaire cruelle, voire cynique, mais efficace s’il en est. Car après tout, qu’est-ce qu’un peuple sans mémoire, sans histoire commune, si ce n’est une pénible agrégation d’histoires individuelles, sans projet collectif ? Napoléon l’aura bien compris, et même s’il ne dérobera pas La Joconde, il ne se privera pas de l’accrocher dans sa chambre aux Tuileries, une fois le pouvoir conquis. Cet argument, de la prétendue spoliation du tableau par Bonaparte sera l’axe de défense principal de Peruggia lors de son procès en Italie, en 1914. Il entendait par ce geste rocambolesque rendre en tout bien, tout honneur, cette œuvre emblématique et facilement transportable au vu de son format réduit. Toutefois, cette grossière approximation historique – pardonnable pour cette époque où l’information n’était pas encore disponible en un clic, où l'illettrisme et l’analphabétisme régnaient encore en maîtres, où l’on

accordait beaucoup de crédit aux on-dit, aux ragots – aura le mérite de raviver la flamme du nationalisme des juges italiens, qui feront preuve d’une grande clémence en ne le condamnant qu’a une année et demie de prison, peine ensuite ramenée à sept mois. Quant à ses réels motifs, l’Histoire ayant depuis remis en cause sa naïve défense, le mystère reste entier. Fut-il manipulé par un agent allemand ? Était-ce une commande d’un faussaire argentin ? Pourquoi a-t-il attendu deux ans avant de faire quelque chose de ce tableau lové dans le double fond de sa malle ? Nous laissons ces passionnantes questions aux archéologues du futur. Enfin, comme le veut l’adage, nous avons gardé le meilleur pour la fin, le plus succulent, la cerise sur le gâteau. Effectivement, en 1911, La Joconde n’est connue que d’une certaine élite, d’un certain milieu cultivé. En monopolisant la plupart des unes le lendemain de son enlèvement, elle apparaît aux yeux de tous, du peuple, amenant même par là une foule de badauds à contempler le vide incommensurable qu’elle laisse. De là à dire que son vol l’aura définitivement transformée en icône de l’art, peut-être même en son essence, il n’y a qu’un pas...

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C RIMINALITÉ(S)

Le point sur Étienne Marcel Texte & illustration : Aurélien Locatelli

Mais qui es-tu, Étienne Marcel ? Jules Michelet parle de toi en disant que tu « fis créer par les États une quasi-république ». Une rue et une station de métro portent ton nom ; une statue de l’Hôtel de Ville de Paris immortalise ton effigie… ce qui nous amène à douter, et là, tout se brouille. Tu es LE criminel dont tout le monde parle en TDO 10 de deuxième année, et ce n’est certainement pas un épiphénomène. C’est le 22 février 1358 que Robert de Clermont, maréchal de Normandie, et Jean de Conflans, maréchal de Champagne, sont assassinés devant le futur Charles V, au coeur d’une guerre de Cent Ans tumultueuse. On nous aura maintes fois répété que tu voulais impressionner le dauphin, que tu étais le Dracula aux dagues acérées du XIVe siècle parisien, mais alors… Qui estu, Étienne Marcel ? Essayons d’éclaircir ton histoire, s’il te plaît. Les charges qui t’incombent sont celles de la prévôté des marchands de Paris, ou entre les lignes, tu es au sommet d’un échiquier politique bourgeois bien renforcé par un pouvoir royal aux abonnés absents. Quoi qu’il en soit, tu es assurément arrivé au bon moment : la féodalité va mal, le trône de France vacille et des états généraux sont plusieurs fois convoqués pour assister le jeune dauphin Charles. Lorsque le crime survient et que nos Jean-Robert trépassent, tu passes pour le pire, c’est dire ! Et pourtant. Ton action nous fait penser à Robespierre. Pas gentil, mais capital. Décisif, quoi. Ta radicalité est un pas en avant sur la ligne glissante de la Révolution, et tu le sais : le peuple parisien grogne, la jacquerie est autour de toi. Ta volonté de placer la monarchie sous contrôle est solide et ta foi, inébranlable. Personne n’ose l’aborder mais tu façonnes à ta manière la France moderne : il y a un peu d’Étienne Marcel dans chaque penseur révolutionnaire de 1789, dans chaque Communard, dans chaque étudiant soixante-huitard. En tout cas, il est sûr qu’il y a beaucoup d’Étienne Marcel dans Marie-Antoinette : ta fille Marie (Marcel) en est son ancêtre. C’est amusant, c’est complètement fou. Tu es une preuve que toute idée est possible (aussi folle soit-elle), mais ta motivation principale aura échoué : le dauphin n’est pas impressionné et tu ne pourras pas le placer sous tutelle. Charles V et son règne seront décisifs pour la France, marquant les prémices d’un contrôle plus grand de la monnaie, d’un renouveau certain des earts et d’une politique qui mènera à l’absolutisme du XVII siècle. En somme et malgré cet « échec », il est difficile de choisir

entre toi et le Roy. Vous existez l’un avec l’autre, antagonistes mais inséparables : sans Étienne Marcel, pas de révolte ; sans Roi, pas de Révolution. L’histoire républicaine reprendra ta figure pour en faire celle d’un héros de la nation aux côtés de Jeanne d’Arc et Vercingétorix (eux n’ont pas de métro, souviens t'en), comportant parfois quelques écarts avec la réalité des faits. Tu es en tout cas désormais plus complet.

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Dossier

Ôde à CRYBABY Texte : Gabriel Courgeon - Illustration : Laure Saffroy-Lepesqueur

Nous sommes en 1990. Le monde n’a plus que 10 ans avant le Bug et tandis que la France se remet de Bo le Lavabo de Vincent Lagaf’, quelques graines de folies eighties s’apprêtent à germer dans les salles obscures. L’une d’elle se nomme Cry Baby. Tout commence par une séance de vaccin dans un lycée américain en 1954. D’un côté se trouvent les « Squares » (« les Coincés »), Allison Vernon-Williams et son prétendant Baldwin en tête. De l’autre, les blousons noirs, les « Drapes » menés par Wade Walker dit Cry Baby. Après une telle description, on peut se dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil des comédies musicales qui fleurent bon les années 50. Mais notre première confrontation avec les différents membres du gang va vite nous donner tort. La caméra se pose sur une jeune fille de dos que tout le monde reluque et siffle, quand soudain celle-ci se retourne et pointe un cran d’arrêt sur la foule. Son visage est horrifique, savant mélange entre Chucky et Peggy la cochonne. Nous venons de rencontrer HatchetFace (« Délit de Faciès » en français). Elle est suivie de Milton, son amoureux transi « stupid and mean » (« bête et méchant »). Arrive Wanda, la femme-fatale, crainte par toutes les autres filles du lycée. Alors que ces dernières grimacent de douleur pendant le vaccin, Wanda est au bord de l’orgasme. C’est ensuite le tour de Pepper, la sœur de Cry Baby, qui, enceinte, fait une clé de bras à l’infirmière. Entre enfin Cry Baby, amené de force devant le médecin, qui, au moment de la piqûre, laisse couler une unique larme en dévisageant son love interest, la coincée Allison. Quelques minutes plus tard, celle-ci laissera échapper un langoureux, « I’m so tired of being good » (« J’en ai assez d’être une bonne fille »), et qui l’en blâmerait ? Non, ce film ne sera définitivement pas comme les autres. Et pour cause, nous devons cette pépite cinématographique à l’inénarrable John Waters, le « pape du trash », connu pour ses films underground et ultra sexualisés. Bien que ce film marque, avec Hairspray (la version de 1988), un certain assagissement du cinéaste, on reste loin des visions fifties idylliques précédentes comme celle de la série Happy Days. Alors que Fonzie n’avait de blouson noir que le nom (et pour être tout à fait honnête le blouson), Cry Baby devient l’incarnation sauvage et sexuelle du greaser tel qu’on aime l’imaginer, c’est à dire qui fait frémir la société bien-pensante. Délinquant juvénile, Cry Baby a le crime qui coule dans ses veines, ses deux parents...

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CriminalitĂŠ(s)

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Dossier

feuillet dĂŠtachable

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Criminalité(s)

...étant morts sur la chaise électrique. Mais malgré son attitude rebelle, Cry Baby est loin d’être un criminel. Comme il le dit lui-même lors d’un passage en milieu carcéral « I guess I’m doing time for being young », son seul crime est bien d’être jeune et impétueux. Cry Baby est aussi un être sensible qui laisse paraître ses émotions. Ainsi, une larme unique, quasi christique, coule souvent le long de sa joue et finira par être tatouée sur sa paupière. Cry Baby a donc tout pour séduire la jeune Allison, et par là même le public. Pour ce film sauvage et rock, John Waters réunit un casting complètement fou dont lui seul a le secret. Pour Cry Baby, il fait le tour des journaux à midinettes et jette son dévolu sur le jeune Johnny Depp, alors la star de la série culculte 21 Jump Street. 1990 marque ainsi un tournant pour Depp qui cassera son image gentillette avec deux rôles : celui de Cry Baby et Edward aux mains d’argent. Waters agrémente ensuite son film de personnalités hautes en couleurs. L’oncle de Cry Baby, lui faisant office de figure paternelle, est joué par Iggy Pop. La pin-up Wanda est quant à elle interprétée par Traci Lords, star de films porno des années 80 qui défraya la chronique pour avoir jouée majoritairement ces films en étant mineure. Un autre ovni du film est la mère de Wanda, incarnée par Patricia Hearst, fille du magnat de la presse William Randolph Hearst et qui

fut victime d’une prise d’otage en 1974 par le groupe d’extrémistes l’Armée de Libération Symbionaise. On peut également ajouter à cette clique Joe Dalessandro, ancien « Warhol Superstar » jouant le rôle du père culbéni de Milton. Seule manque l’actrice fétiche de Waters, le transsexuel Divine, qui devait interpréter Hatchet-Face mais qui mourut en 1988. À casting fou, film fou. J’ai, à titre personnel, une dévotion sans borne pour Cry Baby. Évidemment pour son humour débridé et absurde. Encore plus pour son esthétique kitch. Mais surtout parce que c’est un film libérateur. Après un énième visionnage, on se sent toujours aussi libre. Libre de conduire comme un taré, libre de chanter dans la rue, libre se curer les dents avec un cran d’arrêt, libre de se tatouer une chaise électrique sur le torse, bref, libre de faire ce que bon nous semble. Libre d’être jeune, putain ! Comme un enfant se dit qu’il aurait été résistant en 40, on se dit un peu naïvement que si on avait vécu dans les années 50, on aurait fait partie de la bande à Cry Baby. On est attiré par eux comme le papillon de nuit par l’ampoule allumée, c’est inexorable, on ne peut leur résister. Il faut les rejoindre et cultiver avec eux la bizarrerie et l’originalité. Oui, si John Waters veut bien quelque chose, c’est que le spectateur cultive sa bizarrerie. Alors suivez le pape Waters et restez forever young.

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Dossier

Skandal! Rubrique culturoartistico-sexuelle par G-inger Point - Illustration : Laure Saffroy-Lepesqueur

Retrouvez ces hommes politiques qui ont défrayé la chronique par leurs aventures de fesses.

1. Réputé pour avoir provoqué plus de scandales sexuels que de réformes politiques quand j’étais Président du Conseil, j’ai été condamné à sept ans de prison à cause de mes petites fêtes appelées « bunga-bunga ». Certes, j’ai un faible pour les prostituées mineures, mais mon charme méditerranéen m’a permis d’être acquitté. 2. Selon moi « le mélange des races … ouvre la voie à la dégénérescence » ; pourtant, cela ne m’a pas empêché de prendre pour maîtresse une de mes domestiques (esclaves) noires et de lui faire six enfants. Un des pères de la déclaration d’indépendance américaine, je suis aussi aujourd’hui considéré comme le père du métissage aux États-Unis. 3. Mes relations extra-conjugales étaient bien connues de ma femme et même du monde entier, notamment celle avec une sulfureuse blonde. Le journaliste qui me couvrait à l’époque dira même qu’ « il y avait une Mimi. Il y avait aussi une Pam, une Priscilla, une Jill (deux Jill, en fait), une Janet, une Kim, une Mary et une Diana ». 4. Découvert agonisant, le pantalon et le caleçon aux chevilles, en train de me faire faire une gâterie par Marguerite Steinheil dans le Salon Bleu de l’Élysée, je suis mort quelques heures plus tard. Ces circonstances m’ont valu de nombreuses moqueries et un surnom très sympathique pour ma maîtresse. 5. J’ai juré devant toute la nation que, non, je n’avais pas eu de relations sexuelles avec cette femme. En même temps, il fallait définir « relations sexuelles », parce que tout le monde n’en a pas la même définition visiblement. Mais, quand même, se faire avoir à cause d’enregistrements de confidence et d’une pauvre tache sur une robe… c’est ballot.

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musée insolite Le musée de la contrefaçon,

Madein China en

ou le

vitrine Texte : Elise Poirey - Illustration : Camille Giraud

Lorsqu’en 2012 Arnaud Montebourg tente de relancer la mode des marinières, beaucoup de journaux le tournent en dérision. Pourtant son message politique était clair : défendre le producteur, et qui plus est, le made in France. On ne peut qu’applaudir sa belle initiative pour relancer notre économie. Le problème est qu’il avait un peu de retard, parce qu’en 1951 l’Union des Fabricants avait ouvert un Musée de la Contrefaçon. Alors bien sûr, poser en une du Parisien avec son robot Moulinex, c’est classe, mais ouvrir un musée, ça impose tout de même un peu plus de respect… Pour comprendre le Musée de la Contrefaçon, il faut déjà connaître l’Union des Fabricants. Créée en 1872, l’Union des Fabricants rassemble de gros PDG français qui possèdent des entreprises de luxe, dont beaucoup sont orientées vers la mode, et qui sont pour le moins tristes lorsque les français achètent des faux moins chers. Depuis sa création l’Union avait rassemblé une énorme collection de faux, et cherchait une manière de sensibiliser les gens sur la contrefaçon. C’est pour cela qu’en 1951, M. Gaston-Louis Vuitton, président de l’Union,e décida de faire don de son petit hôtel particulier du XVI arrondissement à toute sa clique pour qu’ils puissent exposer leurs petits trésors. L’ouverture de ce musée permit d’allier la pédagogie, c’est-àdire apprendre aux visiteurs qu’il n’y a que le made in France de vrai, ainsi que les petites trouvailles de la douane (d’ailleurs le musée est gratuit pour les douaniers, histoire de les remercier). eL’anecdote drôle de cet hôtel particulier, construit au XIX , réside dans sa façade, copie de celle d’un autre hôtel particulier du Marais, détruit durant les travaux haussmanniens. À son commencement, le musée n’était visible que par des professionnels, aujourd’hui il est ouvert au monde. À l’intérieur se trouvent plus de 350 œuvres, de toutes catégories : tableaux, parfums, jouets, CD/DVD, vaisselle, textiles, stylos, pièces détachées d’automobile. Dans une vitrine on peut même observer ce qui serait le plus ancien témoignage de contrefaçon de l’histoire : des bouchons d’amphores. En plus de sa collection permanente, le musée organise des expositions temporaires, la dernière en date « Ces emballages qui changent nos vies » présentait le rôle des emballages dans notre quotidien et leur influence sur notre mode de consommation. Et dans un but toujours plus pédagogique, le musée a ouvert une vitrine présentant « l’objet du mois », permettant de mettre en avant chaque mois un nouvel objet confronté à une reproduction. Donc, si vous avez toujours rêvé d’apprendre des techniques de contrefaçon, de former votre regard au faux, ce qui en soit est plutôt pratique lorsqu’on étudie l’Histoire de l’Art, n’attendez plus et foncez au Musée de la Contrefaçon ! (gratuité possible avec le port d’une marinière). 26


culture télé La cri mi nelle subti li té :

How to get away with murder Texte : Margaux Ruaud

« Le soleil était de plomb, tout comme l’ambiance à dire vrai. Le jaune saturé de la rubalise contrastait avec le gris du macadam, rehaussé par une flaque d’un rouge sombre. Le sang auréolait le corps de la call-girl, mystérieusement tombée du 148e étage. Un séduisant quadragénaire observait le lieu du crime, le regard caché derrière des lunettes démodées depuis vingt ans. À ses côtés, un médecin légiste, âgé d’une vingtaine d’années par les miracles du bistouri, immortalisait la macabre scène, armé d’un appareil photo dont le flash pouvait s’entendre jusqu’à Tegucigalpa. Quelle énigme devaient-ils cette fois résoudre ? » En fait, le meurtrier était le deuxième témoin apparu à l’écran. Il est passé à l’acte pour une sombre histoire qui n’intéressait personne. À bien y réfléchir, le schéma est toujours le même, sans originalité, répondant aux codes indispensables pour faire tenir l’intrigue dans le format quarante minutes. Étonnant que les producteurs réussissent à renouveler ce genre de séries sur douze saisons. Et si, pour changer, le spectateur commençait par la fin ? Si les héros de l’histoire étaient les méchants, déterminés à cacher leurs méfaits ? Si l‘enjeu ne se résumait qu’à une seule question : How to get away with murder ? * Une fois n’est pas coutume, Shonda Rhimes (la maman de Grey’s Anatomy et Scandal tout de même) frappe fort, notamment par l’aspect trouble de ses protagonistes. Wes Gibbins, nouvel étudiant en droit dans une université américaine, obtient un prestigieux stage auprès d’Annalise Keating, professeur exigeante et avocate exceptionnelle. Si le scénario de base semble simple, déjà écumé dans les années 2000, Murder (le titre français bien édulcoré) se démarque largement par les zones d’ombre inquiétantes que cachent tous les personnages. Même ceux a priori lisses et superficiels dans ce milieu universitaire aisé se révèlent plus complexes, plus égoïstes. Annalise, magnifiquement interprétée par Viola Davis, se dévoile progressivement, se met à nu d’une manière bouleversante et angoissante. C’est avant tout l’histoire d’une femme cherchant à cacher ses faiblesses, ses malaises, sa tristesse face à un mari infidèle. Difficile pour autant de s’attacher à elle tant elle s’avère manipulatrice lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts mis à mal au fil des épisodes. Que dire alors des stagiaires, prêts à tout pour briller auprès de l’avocate, mais surtout déterminés à enfoncer les autres ? La complexité des personnages n’est cependant pas le seul intérêt de cette série réellement novatrice. Elle se démarque par le procédé narratif audacieux, une double

timeline. Tous les épisodes placent en parallèle les vies

d’Annalise ou de ses stagiaires en plein apprentissage, et le meurtre que ceux-ci vont commettre dans un futur proche. Oui, le spectateur connait dès le début les coupables alors même que la victime reste anonyme bien longtemps après l’épisode pilote. Tout cela sans jamais donner d’indications temporelles permettant de savoir pendant combien de temps après la rentrée devront-ils se débattre pour cacher leur méfait. Se développe alors un vrai jeu de piste, non pas pour découvrir l’identité des tueurs, dévoilée dès les premières minutes, mais pour retracer les circonstances, l’implication de chacun dans le drame, le mobile. Le titre prend ainsi toute son importance. Comme elle le précise dans son premier cours, Annalise Keating n’explique pas comment défendre un client en cour pénale, mais bien les astuces pour ne pas laisser de traces, pour démonter les pires accusations de crime. C’en devient un fil de trame liant intrinsèquement tous ces personnages, créant un maillage complexe et lugubre, où chaque nouvelle découverte entraine un mystère plus épais encore. C’est véritablement la force de la série, cette ambiguïté constante, cette hésitation face à la double nature des personnages. La vérité est si mêlée au mensonge que le spectateur reverra systématiquement ses théories sans distinguer le vrai du faux avant qu’ils ne soient clairement explicités. How to get away with murder marque ainsi une rupture sans précédent dans le rapport au meurtre, expose tout un panel d’émotions paradoxales et inattendues dans ce format proche du « policier ». La vérité est si mêlée au mensonge que le spectateur reverra systématiquement ses théories, tentant ardemment (vainement ?) de distinguer le vrai du faux.

*comment s’en tirer avec un meurtre ?

27


La cervelle de canut, criminellement exquise recette : Gaumar I ngrédi ents :

(pour un grand bol) 2 pots individuels de fromage blanc une échalote ½ gousse d’ail ½ botte de ciboulette 1 c. à soupe de crème 1 c. à soupe de vinaigre de vin 3 c. à soupe d’huile d’olive poivre sel I ndi ce calori que :

environ 200. Pas si grave donc.

Bon. Froid. Maison. food

C’est avec un plaisir presqu’illégal que je vous annonce le renouvellement de B.F.M. food pour une deuxième saison. Je ne peux cacher une petite émotion. Sans compter que le retour est marqué par un thème génialement horrible : le crime. Dans cette optique, je tiens à avouer une faute. Un charmant lecteur m’a fait remarquer que les prix du Nemours, café cité dans le hors-série de rentrée, ont augmenté. L’adresse est un peu moins intéressante, mais toujours aussi bonne. Avant que je sois jetée aux fers, voici la recette du mois. Avertissement : n’étant pas lyonnaise d’origine, cette recette peut ne pas être la version historique. J’ai utilisé celle-ci parce qu’elle est très bonne, mea culpa à mes amis de Lugdunum si elle n’est pas fidèle au terroir. Rassurez-vous, je ne me suis pas transformée en Hannibal Lecter pendant les vacances. La cervelle de canut est un plat traditionnel lyonnais, dont le nom est plus approprié au thème que la recette en elle-même. Eh oui, ce moisci, vous allez apprendre à faire une sauce ! La cervelle de canut est une référence à la révolte des ouvriers de la soie (les canuts donc) pendant la Monarchie de Juillet, largement réprimée. Une autre version moins glauque raconte que les canuts remplaçaient la cervelle d’agneau par ce plat. Choisissez ce qu’il vous plait. Processus créati f :

Hacher l’ail, l’échalote, et la ciboulette le plus finement possible. Mélanger tous les ingrédients dans le bol. Saler et poivrer selon passion. C’est tout. À manger avec du pain grillé, des crudités, des crackers, des chips, des tortillas… je vais m’arrêter là. Le plus de l’ arti ste :

Mon péché mignon : la sauce Viandox. Elle s’adapte partout, ajoute un petit gout bien particulier, salé et légèrement fumé. Un régal.

Ni veau de di ffi culté :

F-A-C-I-L-E

Le moi ns de l’ arti ste :

Ce n’est malheureusement pas vraiment une recette d’hiver. Quoique pour l’apéro…

Matéri el :

un couteau, une cuiller à soupe, un bol, une planche à découper

Entre nous :

N’ayons pas peur d’ambiancer le terroir, et de personnaliser un peu cette recette. Remplacer l’échalote par un oignon jeune, ajouter de la noix, une fois n’est pas coutume, un monde d’opportunités s’ouvre à vous. De rien.

Temps de préparati on :

15 mn

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? s u n e v e d Qu e so n t - il s

interview

1 0 qu e s t i o n s au c o lle c t i f le s I g re c s

propos recueillis par Anne-Elise Guilbert-Tetarrt - Illustration : Herminie Astay

Peut-être que Les Igrecs (ou The Y. Team) ne vous dit pas grand-chose, mais vous devez sûrement connaître leur tube « Les rappeurs du Vrelou », hymne écouté chaque année par une nouvelle promotion d’élèves avides de savoir quel beau patrimoine renferme l’École qui vient de les accueillir. Aujourd’hui, ces esprits chanteurs ne hantent plus physiquement les murs de celle-ci mais leur mélodie est restée grâce à des traces archéologiques conservées sur Dailymotion. Cependant, à la différence de tous ces peuples disparus il y a quelques centaines d’années, eux ont quitté les amphithéâtres de la Porte Jaujard il y a moins d’une décennie et ont survécu à la période d’acclimatation post-diplôme. C’est donc en exclusivité pour le Louvr’Boîte qu’ils ont accepté de répondre à dix petites questions, que peut-être même vous vous êtes déjà posées après avoir passé près d’une heure sur Dailymotion à les étudier. Le collecti f…

1 - Comment est venue l’idée de ce collectif et étiez-vous un groupe du BDE ou du Ciné Club ? Alex : Alors tout d'abord, figurez-vous que nous n'étions ni un groupe du BDE ni un groupe du Ciné Club, en dépit des multiples affinités que nous entretenions néanmoins en ce temps-là avec ce dernier - quand on travaille pour le KGB, il est complexe d'avoir d'autres employeurs. Phil : Bien que les trois membres fondateurs du Ciné-club (Valentine Gay, Sophie Paulet et moi-même) aient été impliqués dans les Igrecs à des degrés divers, les deux organismes sont en effet restés indépendants. Alex : Pour ce qui est de la création du groupe, comme disait Hans Arp à propos de la création de Dada en 1916, « nous étions présents avec nos 12 enfants, cela se passait au Café Terrasse à Zurich et je portais une brioche dans la narine gauche ». Au seul détail près que ça ne se passait pas à Zurich, mais bien dans les couloirs de l'EdL de 2007, couloirs dans lesquels il y avait pourtant certes bien peu de chances que trois personnes atteintes d'une forme parfaitement identique de fascination pour le cri de la girafe qui agonise se croisent à la même intersection à un instant T et s'écrient de manière tout à fait synchrone le mystérieux mot « HUA » à un volume pour le moins déraisonnable. Eh bien cette très mince probabilité est arrivée. Après ça, vous conviendrez qu'il paraissait naturel de créer un collectif. 29

Phil : Hua oui, tout cela est très exact. Mais, si nous partageons en effet une passion commune pour le mot « HUA », les origines des Igrecs se situent en réalité au point obscur et improbable de jonction entre un remake DIY de Shining entièrement bruité à la voix et un groupe de punk affairé à illustrer l'énergie basse et brutale du Néolithique acéramique, répondant au doux nom de « Skramasax » (véridique, quoi que le nom soit largement anachronique). Nous avons continué à jouer de la musique ensemble par la suite tous les trois, souvent très bruyante d'ailleurs, aboutissant à des projets parfois tout à fait sérieux (si, si) dont l'un porte aujourd'hui le nom de « Mur » (pour jeter une oreille ça se passe chez Dooweet Records) et un autre du nom de (vous ne devinerez jamais)… « HUA » ! JC : ... Hmm, hua. Mais à présent que l'origine du groupe est une question rebattue, il est plus intéressant d'informer les lecteurs sur la fin des Igrecs. Le collectifs'est séparé à la suite d'une dispute terrible : Alex rêvait d'organiser le suicide médiatique du groupe, (voulant satisfaire son goût pour le nihilisme Grand-Guignol et l'autodestruction dadaïste), tandis que Philippe voulait préserver le mystère authentique du groupe, en conserver l'alchimie fragile et céleste à des fins de spéculation égoérotiques. Je continuais à m'en foutre avec ardeur, passivement vautré dans l'indifférence et la joie.

2 - La plus connue de toutes vos vidéos reste celle d’Historicore « les rappeurs du Vrelou », d’où vient cette idée de rap ? JC : L'idée était de bâtir un gansta-pont entre la phénoménologie de la perception et les cultures urbaines à travers une approche post-déconstructiviste s'inscrivant dans un cadre nigga-herméneutique. Le médium vidéo nous a semblé être le plus approprié en raison de sa reproductibilité technique à croissance autoréférentielle, il était donc destiné à faire entrer les Igrecs dans un régime de célébrité néo-panofskien à côté duquel la seconde Parousie aurait des airs de pot de départ du dernier employé de la Cogif. Phil : Une certaine historiographie rétrograde et dépoétisante s’entête cependant à affirmer qu’il s’agissait simplement d’un rite potache visant à assurer la santé psychologique de ses participants à l’approche des examens. Nous ne saurions reconnaître aucune validité à


interview

cette interprétation.

bien entendu inévitablement entraîné une spirale infernale : débauche, alcool, Hector Obalk. Ces excès ont pu amener certains membres à quitter le siècle pour mener une vie de 3 - Le début se passe-t-il pendant un « vrai » cours de contrition [dans un célèbre musée de Limoges, selon une TDO ? A-t-ilété facile de tourner avec les touristes et visiteurs ? source anonyme]. Mais jamais tout cela ne sera révélé dans une quelconque interview, soyez-en sûrs. JC : En fait, c'était un faux TDO, l'acteur qui joue le chargé de TDO travaille aujourd'hui dans le business 5 - Y a-t-il eu des retours des professeurs sur l’ensemble de international (véridique). Les élèves du TDO sont votre travail ? (Je pense notamment à la vidéo « Robert Langdon maintenant thésard, enseignant en histoire de l'art à versus Maximilien Durand ». ) l’Institut Catholique, théoricien du non-formisme, artiste peintre éphémériste, chercheuse en droit du patrimoine, JC : Oui, Robert Langdon nous a félicité à la fin chargée de restauration... Le tournage s'est étonnamment d'un de ses cours, à la nuance près qu'il trouvait que les bien passé, nous avions moins peur des touristes que des slides allaient un peu vite sur son power-point. gardiens de salle à vrai dire ! Mais personne ne semble avoir Phil : ... Et nous avons même à l’époque eu un remarqué nos casquettes, biatch, ghetto-blaster, pimped retour de Maximilien Durand sous la forme d’un… low-rider. Comme quoi. Aucun problème pour shooter la commentaire Dailymotion (véridique) ! D’autres Victoire de Samothrace, par contre impossible de tourner professeurs ont manifesté leur sympathie, ainsi que devant la pyramide à l'extérieur du musée ! plusieurs membres de l’administration de l’École, qu’il Alex : [rires]... Haha oui d'où le plan dans la Cour nous faut ici remercier chaleureusement d'avoir apprécié carrée d’ailleurs ! Mais c'est vrai que ça a été plus simple nos absurdes clowneries comme nos écarts au bon goût, et qu'on ne pourrait l'imaginer en fin de compte, sûrement de nous avoir quand même soutenus dans nos parcours parce que notre humble projet était sous la tutelle et professionnels après ces épisodes. l'approbation secrète de quelque esprit errant de ShutrukNahhunté avide d'une nouvelle jeunesse à grands coups de beats du ghetto, qui sait. Phil : La scène du faux TDO devait être la seule … et ses membres. tournée dans le musée à l’origine, nous avions choisi les salles d’objets d’art car les touristes s’y font pour le moins… 6 - Quelles études avez-vous mené à l’École du Louvre ? discrets. Cela dit, quand nous avons commencé à tourner, cinq agents de sécurités sont venus nous voir puis sont Alex : En fait je n'étais pas réellement à l'École du repartis immédiatement. Nous avons par la suite compris Louvre : les rapports vous mentent, et les Français ont droit que n’ayant pas de trépied pour notre tournage, ceux-ci ne à la vérité. Je suivais des études d'épistémosémiologie. C'est pouvaient pas nous dire grand-chose… Et en avons profité une discipline méconnue mais passionnante, basée sur la pour tourner toutes les autres scènes ! théorie de la fusion des positions Cartésiennes et Barthiennes : le Cartébarthisme. Non je plaisante, en vrai, j'étais ingénieur en thermodynamique depuis quelques 4 - Aujourd’hui, cette vidéo est connue au sein de l’École et années. Mais c'était vraiment trop mal payé, je suis revenu beaucoup d’élèves l’apprécient. Mais lors de sa sortie, quelles ont été dans le milieu musée et patrimoine avec le temps [ndlr : il les premières impressions ? semble après vérifications qu'il ait validé le premier cycle de l'École du Louvre]. JC : Cette vidéo a tout de suite été un carton, Vasari Phil : J’ai suivi l’EdL jusqu’en M2 Recherche, et ai lui-même nous a téléphoné le lendemain pour nous dire : en parallèle suivi le parcours Droit du Patrimoine de Paris « J'aime beaucoup ce que vous faites ». On a pu mesurer XI, auquel j’ai survécu grâce à l’aide de sainte Hélène notre succès lors de l'unique concert du groupe (Gala 2010), (Charabani). Que son nom soit ici loué. J’ai ensuite c'était la grande époque, les gens vendaient des organes sur continué ma carrière de pilier de comptoir de l’EdL en ebay pour pouvoir s'offrir une place. Le public connaissait classe préparatoire. J’envisage, avec l’aide d’un ami les lyrics par cœur, c'était assez incroyable et - il faut bien le taxidermiste, de confier ma dépouille naturalisée à l’Ecole, dire - assez jouissif. En général nos trucs plaisaient bien à part afin qu’elle reste à côté des distributeurs de la cafétéria peut-être la vidéo de promo « Galah Akbar » au cours de jusqu’au jour du Jugement. laquelle trois terroristes menaçaient les gens qui ne JC : J'ai fait le Master international à Heidelberg, s'inscriraient pas au Gala, de s'en prendre à un lapin-chaton ce qui m'a permis d'exporter outre-Rhin l'esprit des Igrecs (concept de notre invention matérialisé par la fixation de et d'augmenter « outre-rein » ma consommation de chaussettes sur les oreilles d’un chat innocent) au cours breuvages fermentés. d’une prise d'otage grotesque. On touchait là au seuil de tolérance humoristique de l'Edlien moyen... Alex : ... Et nous avons préféré ne jamais mettre la 7 - Dans quelle spécialité(s) et option(s) ? vidéo en ligne. Par contre, on commençait à peine à passer le seuil minimum de notre propre humour abusif. Dommage. Alex : Attendez les gars, il y a des spécialités à Si les Igrecs avaient existé plus longtemps, nous aurions fait l'École du Louvre ..? des blagues sur les… enfin non non, sur rien pardon. Nous Phil : … À en juger par ton assiduité légendaire, n'avons d'ailleurs aucun sens de l'humour. personne n’avait non plus dû te dire qu’il y avait des TDO Phil : Il est vrai que les retours globalement positifs – qui, rappelons-le pour nos jeunes lecteurs, n’étaient pas ont participé à faire exploser nos chevilles dans nos notés en cettee époque lointaine. Nous étions tous les trois chaussettes, et que nos égos repus ont ensuite pu être en art du XX siècle. J’allais en spé cinéma en dilettante, JC aveugles à la bienséance. La soudaine célébrité du groupe a allait en art contemporain en dilettante, et Alex allait en 30


interview

10 - Dernière question… Si un jour Belphégor vous propose de hanter l’École du Louvre et de traumatiser des élèves en faisant des parties de chat-perché avec lui, accepteriez-vous ?

photographie pour de vrai – du moins essaie-t-il de nous faire croire. Il nous arrivait aussi de rater l’HGA pour aller jeter un œil aux cours d’Alain Bonfand, aux Beaux-Arts, de l'autre côté de la Seine. JC : Nous avons été très marqués par un cours sur Joseph Beuys, de cette fascination est née la dimension crypto-christique des Igrecs : génies-thérapeutes autoproclamés, nous avons alors revêtu l'habit du chaman pour réconcilier l'EdL avec le sol primitifdu Louvre, encore écrasé par un XXe siècle traumatique. La bibliothèque de l'Ecole porte d'ailleurs encore l'odeur du coyote, stigmate olfactive de notre passage rédempteur. KUNST = KAPITAL

Alex : Oui, mais pas si ya triche. ! JC : Seulement si la partie est commentée par

Peper Brooks et que les canards sont peints en blanc. Mais je trouve ce jeu un peu simpliste… [pour savoir pourquoi, n'hésitez pas à consulter le corpus des Igrecs relatif au chat perché malgache et aux règles du loup en Silésie occidentale] Phil : Pour traumatiser les élèves, j’ai préféré devenir chargé de TDO en Arts du XXe siècle puis chargé de TP en Art Contemporain (même si ma scolarité à l'INP 8 - Dans votre rap vous dites « futur conservateur », l’êtes- a interrompu cette expérience très rapidement, et que je ne crois pas avoir été bien méchant au final - il vous devenus ? Si non, que faites-vous aujourd’hui ? faudrait demander à mes élèves...). Devenir Belphégor impliquait de fréquenter Sophie Marceau et Frederick Phil : Eh bien.... oui ! Diefenthal, et je refuse de me réduire à de telles extrémités. JC : Je dirais même plus : oui. Alex : Oui bon ça va hein ! Je n'y peux rien si « futur restaurateur » c'était plus difficile à caser dans le Question bonus : Aimez-vous vraiment la Carlsberg ? rap ! Saloperie de terminologie. Phil : en tous cas nous sommes tous passés par la Tous : Ecoutez, après les séances de travail pour la case INP. Ah, fatidique jeu de l'oie du monde muséal… projection du gala de l'école de 2009, nous sommes arrivés à cette conclusion : JC boit de la Carlsberg parce qu'il aime 9 - Qu’est-ce que l’Ecole vous a apporté à part une (très) porter le pack vide en accessoire capillaire, comme un heaume médiéval, Philippe parce qu'il a grandi en Bretagne bonne culture en Histoire de l’Art ? (attention nous ne parlons pas ici d'alcoolisme atavique Phil : Cinq ans de sécurité sociale et des locaux mais simplement de la proximité des origines celtes de ces chauffés ?... Non, des soirées chouettes aussi, une sacré bande cultures respectives), et Alex ne fait qu'ouvrir la bouteille à de copains et un boulot passionnant. C’était vraiment une chaque fois, parce qu'il est beaucoup trop lent pour parvenir à parler de photo russe des années 20 en bougeant bonne idée en fait, de faire cette école. JC : Puisque cette question cherche de manière beaucoup ses mains et boire en même temps. éhontée à faire surgir des révélations, alors soit, jouons franc jeu : l'EdL nous a apporté de l'argent, du sexe et de la gloire. Pour les (re-)découvri r :

http://www.dailymotion.com/lesigrecs 31


actu Entre événement historique et culture contemporaine : découvrez le Salon d’Automne 2015 Le Salon se déroulera du 15 au 18 octobre 2015

Texte : Valentine Chartrin

Blanc-Nicolas, qui réalise des estampes numériques à partir de scans de matières, de dessins et de tissus. Récemment, nous avons appris que le sculpteur sénégalais majeur de l’art contemporain, Ousmane Sow, allait participer au Salon 2015. Cette très bonne expérience m’a permis d’apprécier la qualité et la pluralité des œuvres retenues ; mais surtout l’humanité qui régit ce salon. En effet, au vu du nombre d’artistes sélectionnés, 850 environ chaque année, on ne se douterait pas qu’une toute petite équipe est à l’œuvre à l’année. J’ai aidé ses fervents défenseurs, Annie Chollet et Paul Guoi, qui se chargent de l’administration, des artistes, de la comptabilité, de l’élaboration du catalogue mais aussi de l’organisation même du Salon. La Présidente, Sylvie Koechlin, elle-même sculpteur, et Véronique GrangeSpahis, chargée de communication, complètent le cœur du Salon. Le comité d’administration composé d’une vingtaine d’artistes forme le jury qui sélectionne les œuvres à accrocher lors du Salon, en les regroupant sous des sections. C’est un petit monde, il y a des artistes « sociétaires », qui exposent depuis longtemps au Salon et qui sont devenus des habitués et des amis, il y a de jeunes artistes qui téléphonent au bureau, très enthousiastes d’avoir été sélectionnés. Cette année, l’invité d’honneur est le défunt dessinateur Mœbius, dont vous pourrez voir les œuvres, et la marraine de l’événement est l’actrice Françoise Fabian qui sera présente. Je suis tombée sur les affiches des deux années précédentes, qui ont été dessinées par les regrettés Cabu, puis Wolinski, fidèles amateurs du Salon et parrains des éditions 2013 et 2014. En défenseur de l’accessibilité et de la démocratisation de la culture, le salon est gratuit, et n’engendre donc aucun bénéfice financier. À l’heure où les subventions du ministère se font moindres, le Salon a besoin de rallier à sa cause ses amis et défenseurs. Je m’adresse à vous, passionnés de l’histoire des arts, pour y aller, faire connaître le Salon d’Automne et faire croître le nombre de visiteurs, afin qu’il puisse chaque année nous ravir encore une fois, investir de nouveau le Grand Palais et se faire la vitrine de l’art contemporain. 1 Pour l’histoire complète du Salon de 1905, reportez vous au très joli texte écrit par Annie Chollet, dans le catalogue 2015 : « Il y a 110 ans ». ² Si vous avez des questions, n’hésitez pas à contacter Zoé Coulon, Guillaume Fabius ou moi-même, Valentine Chartrin, élèves en 2A et récemment en stage au Salon d’Automne.

Si pour certains l’identité, le rôle et les enjeux du Salon d’Automne ne font aucun doute, d’autres esprits, toujours épris par le sable chaud des vacances, ont peut-être un peu plus de mal à faire le lien.

La pet i te hi stoi re

Le Salon d’Automne ? En bon edlien/ne ça doit vous évoquer quelque chose. Je vous aide : un événement majeur de l’histoire de l’art s’est déroulé au Salon d’Automne ; et c’est en 3A que vous l’étudierez… Si, si, continuez à faire jouer vos méninges, vous êtes sûr d’avoir déjà lu ce nom quelque part… Paris, 1905. Une ambiance frénétique. Une effervescence de couleurs frappantes, saturées… Des sculptures en vrac, Rodin, des centaines d’œuvres d’artistes reconnus : Paul Cézanne, Auguste Renoir, Félix Vallotton, Hector Guimard... Mais aussi, accrochées là, visibles pour 1 franc sous la voûte du Grand Palais, eles toiles des futurs artistes majeurs de l’avant-garde du XX siècle. Une réplique mythique, ça y est, vous la tenez ? : « On dirait Donatello chez les fauves ! ». La phrase est lancée, le mouvement artistique aussi. Matisse, Derain, Vlaminck et bien d’autres forment1 le fauvisme et l’histoire de l’art prend un tournant majeur .

La G enèse : 190 3

Le Salon d’Automne a été créé en 1903 par une association d’artistes, alors que Paris est encore l’indéniable atelier et refuge des artistes contemporains. Au fil des ans, Ingres, Picasso, Vuillard, Apollinaire, ou encore Dali ont fait partie des très nombreux artistes qui ont exposé au Salon. Le mot d’ordre est la pluridisciplinarité. En corrélation avec le développement des techniques de création, vous pourrez découvrir cette année différentes sections : peinture, sculpture, dessin, gravure, photographie, art digital, vidéos… Car oui, ça peut surprendre, mais le Salon d’Automne existe toujours ! Malheureusement, son but non lucratifl’a desservi et il ne peut plus assurer sa visibilité. De nos jours, c’est un marché de l’art acharné qui régit l’art contemporain mais des événements comme la FIAC ont pris le pas sur les salons historiques français qui n’ont plus les moyens de diffuser une publicité à grande échelle. Et surtout, de continuer à exposer au Grand Palais. Depuis quelques années le Salon se trouve dans deux grandes tentes sur les Champs Élysées. Et pourtant, quelles découvertes j’ai pu faire dans les dossiers envoyés au jury du Salon 2015 ! J’ai effectué un stage dans leurs bureaux du Grand Palais², ce qui m’a permis de découvrir le travail mystique de Marie Boralevi, en section gravure, ou encore les œuvres de Maïté

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le choix de la rédac

Si vous devi ez être i ncarcéré, quel serai t l e mot i f de votre pei ne ?

Au ré li e n / Avoir travaillé un été chez Desigual. E li s e Avoir brûlé un salon de coiffure dont le nom est un jeu de mot. An n e - E li s e Avoir imité trop de fois Jacques Chirac pour prendre le métro.

H e rmi n i e Attentat à la bombe contre l'Académie Française (aucun vieux desséché ne me dit si un mot fait partie de ma langue ou pas !)

G- i nger Poi nt Être allée trop loin dans mes rubriques sexo.

Marg au x Excès d’humour.

Vi n c e n t Avoir violé les accords de Genève... Non non, littéralement.

Sophi e Pied-de-poule. Lau re Pour avoir traité en public le mignon écureuil qui m'a mordu cette après-midi dans une animalerie de véritable enfoiré.

S o lè n e Pour avoir ri aux Noces Pourpres dans Games ofThrones.

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crimino , corsaire sans corset, son tonneau de rhum se nomme Fidèle. Elise

, psychoporphyroxénète as de la commu-nication. Gaumar

, il vend bien, sans se mettre la rate au court-bouillon. Par contre celle des autres... Yohan

, trésorier communiste. (et dictateur du mauvais goût) Vincent

-chef: le travail, c’est sa came. Sophie

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, maître du hashtag, la who? derrière toutes les photos. Anne-Elise


scope , après s'être battue avec un Bescherelle pour rattraper nos bavures. Adèle

, aussi rousse que le sang, elle saura vous trouver si vous la cherchez. Marine

: faut-il se fier à son air enfantin ? Sarah

: nous sommes tous ses minions. Herminie

, notre trash-madone spiritualités. Laure

, prisonnier homosexuel radié de l’ordre des marins. Aurélien

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, machiavélique créateur de ce criminoscope. Alexis


mots croisés

par Sophie Leromain

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1. Cet homme pressé assassina sa compagne en 2003 2. En plus d’avoir un prénom difficile à porter, il était antisémite et le faisait savoir dans ses pamphlets 4. Étranger assassin 6. Il se trouvait déjà à l’intérieur de la Pompe Funèbre quand il est mort 7. Compagnon de larcin d’Apollinaire 8. Cambrioleur, oui, mais gentleman avant tout ! 9. Cette De Médicis commandita l’un des plus grands massacres de l’histoire

Réponses Hors-Série : Jeu des spécialités G.m.13 : Le Rillon de Tours H.n.1 : Les Cannelés de Bordeaux I.b.14 : Les Pruneaux d’Agen J.o.8 : Les Zézettes de Sète K.d.7 : Les Marrons Glacés de Privas L.c.5 : Le Nougat de Montélimar M.g.4 : Les Melons de Cavaillon N.a.10 : Les Calissons d’Aix-en-Provence O.e.15 : Les Citrons de Menton

2. Sans elle, David n’aurait jamais pu peindre Marat dans sa baignoire 3. Commanditaire de l’assassinat de la femme d’un réalisateur polonais 5. C’est grâce à lui que l’on peut admirer les Noces de Cana au Louvre 10. Il fut emprisonné pour un recueil de poèmes jugé contraire aux moeurs 11. En plus d’avoir voulu nommer son cheval consul, il aurait fait assassiner de nombreux citoyens 12. Inventeur de la dynamite, il répara son image d’« ange de la mort » en léguant sa fortune pour la création d’un prestigieux prix 13. Visiblement, il n’aimait pas vraiment la peinture du Caravage 14. Fit tuer le roi Duncan pour s’emparer du trône d’Écosse

VERTICAL

A.i.11 : Les Andouilles de Vire B.h.3 : Les Tripes de Caen C.f.12 : Les Bêtises de Cambrai D.l.2 : Les Biscuits Roses de Reims E.j.9 : Le Brie de Meaux F.k.6 : La Madeleine de Commercy

HORIZONTAL

Horizontal : 3. Espéranto - 7. Portugais - 9. Gaéliques - 10. Afrikaans - 11. Oc - 12. Hindi - 13. Finnois - 14. Flamand Vertical : 1. Arabe - 2. Unserdeutsch - 4. Créole - 5. Inuit 6. Kiswahili - 7. Espagnol - 10. Acadien Mots-Croisés


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