LB n°35 : Réécritures

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sommaire édito 6. 7. 9.

Hervé Télémaque Moké Fils et la peinture populaire congolaise Cinéma extra-européen : quand le cinéma marocain s’attaque à la condition des femmes

Agents

Changement de point de vue

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20. 21. 22.

La SAPE comme jamais La couleur c’est plus compliqué que ça Histoire globale B.F.M. Food : Le quisotto

Coquine expérience Entre chien et loup Twerk ta race ou la racialisation culturelle

Altérités

errata 2


édito

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our clore l’année Louvr’Boîte a voulu tout réécrire. Réécrire, c’est recommencer. Remettre les certitudes sur les sujets que nous choisissons, sur nos première idées qui oublient souvent, avouons-le, ceux et celles qui n’ont que peu droit au chapitre dans notre culture. En tant qu’élève de l’École du Louvre a-t-on encore besoin d’un article sur la peinture française du XVIIIe siècle ? Vous lecteurs ne voulez-vous pas plutôt découvrir de nouveaux artistes qui ne rentrent pas dans les cases de notre programme (pourtant vaste) ? Réécrire, c’est écrire autrement. C’est écrire sur la culture, l’histoire de l’art et de ses institutions d’une manière différente des manuels, en changeant de point de vue sur l’histoire. Ceux-dont il est question dans ce numéro sont eux aussi des réécriveurs/réécrivains de leurs arts, de leurs disciplines. Comme un pied de nez à nos habitudes qui peuvent parfois rendre paresseux, le thème de ce mois-ci cherche à bousculer, en premier lieu nous-même, la rédaction, en nous poussant à réfléchir à ce que nous vous livrons chaque mois, à sa pertinence par rapport au monde, à la vie. Ainsi voici entre vos mains notre tentative car nous ne prétendons pas réussir mais peut-être mieux échouer (pour reprendre les mots de Samuel Beckett) à faire entendre enfin des voix dissonantes. Herminie Astay

Louvr’Boîte Le journal des élèves de l’École du Louvre. N°35. Septième année. 0,5 €. École du Louvre, Bureau des Élèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 Paris cedex 01. Tél. : +33 (0) 1 42 96 13.

Ont contribué à ce numéro, dans l’ordre alphabétique. Herminie Astay, Yvine Briolay, Camille Giraud, Bastien Hermouet, Aurélien Locatelli, Yohan Mainguy, Salomé Moulain, Lorenzo Oliva, Célien Palcy, Orégane Plailly, Elise Poirey, Marie Rafin, Margaux Ruaud, Clémence Trossevin.

Courriel : journaledl@gmail.com. Facebook : fb.com/louvrboite. Twitter : @louvrboite. Tumblr : http://louvrboite.tumblr.com. Instagram : @louvrboite

ISSN 1969-9611. Dépôt légal : mars 2016. Imprimé sur les presses de l’École du Louvre (France). Sauf mention contraire, © Louvr’Boîte et ses auteurs.

Directrice de publication. Sophie Leromain. Rédacteurs en chef. Herminie Astay & Aurélien Locatelli. Maquette. Aurélien Locatelli. Relecture. Camille Giraud, Marie Rafin. Toujours plus de contenu sur louvrboite.fr 3


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agents

Individus à l’action déterminante, jouant un rôle moteur dans une cause humaine ou sociale.

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Hervé Télémaque

Artiste assez méconnu, et pourtant à la charnière des grands mouvements artistiques d’après-guerre, Hervé Télémaque a fait l’objet, il y a quelques temps, d’une exposition au Centre Pompidou (oui, oui on est un peu en retard mais on n’est pas Connaissance des arts non plus). Et si il est intéressant, ce n’est pas tant parce qu’il a côtoyé l’expressionnisme abstrait, le surréalisme finissant et le pop art naissant, mais parce qu’il mène sa propre quête, transcendant l’idée de mouvement suivant des règles artistiques pour elles-mêmes. Il monopolise un ou des langages pour raconter son autobiographie tout en l’imprégnant de thématiques sociales et politiques. Si la narration n’est pas dans une toile, elle est étalée sur son œuvre entière. Techniques et ambitions formelles se succèdent, abstraction et figuration se mélangent, comme dans Le Propre et le Figuré, abolissant des frontières formelles que l’on sait parfois trop rigides. Il interroge surtout son identité issue du métissage et des voyages, entre Haïti, France et New-York. Son histoire personnelle entre en résonance avec celle de ces contrées. Né à Portau-Prince d’une mère haïtienne qu’il a toujours vu comme française, ses années à New-York lui font expérimenter une autre histoire noire en Amérique en même temps que la psychanalyse. Racisme et politique sont un trait essentiel de son œuvre. Dans Fonds d’actualité, n°1, de 2002, notre regard croise des caricatures, allant de noirs typés Banania à Jacques Chirac himself. Le sourire d’un des premiers est le notre, dans un jeu de miroir mettant en exergue l’ironie portée par ces stéréotypes d’un autre âge et pourtant révélatrice d’un racisme encore ambiant. Si les thématiques de son œuvre, parfois déjà « ancienne », paraissent toucher du doigt les préoccupations contemporaines,

Bastien Hermouet

c’est sans doute par notre « réelle » prise de conscience d’un racisme systémique après la – « presque » – résolution de l’institutionnel. Mais le traitement acide et coloré y est aussi pour quelque chose à l’heure où la culture pop ne s’est jamais aussi bien portée, dématérialisée, entre Blingee et les citations collégiennes de Warhol. Mais au contraire des temps de la Factory, elle connaît désormais beaucoup mieux ses propres limites et pose un regarde plus acerbe sur elle-même : de l’ironie, toujours. Même si Télémaque est sans doute quelque peu éloigné de cela en réalité (Dieu merci pas de Blingee sur ses toiles), son œuvre garde une actualité et une immédiateté, qui peuvent faire défaut à d’autres artistes de sa génération, souvent moins en prise avec la réalité sociale dans leurs œuvres. Bien évidemment son œuvre ne se réduit pas à cette dimension sociale mais il explique lui-même que son travail, depuis son installation à Paris surtout, est chargé de la richesse idéologique qu’il a pu côtoyer au cours du temps. Bref, comme dirait Anna Wintour, un art coloré et engagé, qui se porte aussi bien en hiver qu’en été.

Mais le traitement acide et coloré y est aussi pour quelque chose à l’heure où la culture pop ne s’est jamais aussi bien portée, dématérialisée, entre Blingee et les citations collégiennes de Warhol. 6


Moké Fils et la peinture populaire congolaise Zoom : L’art africain, de « l’art nègre » à la peinture contemporaine L’art africain n’est en général connu que pour ses masques, statues et autres objets apparus dans les galeries et expositions coloniales à partir du XIXe siècle. Pourtant, dès les années 1920, un style de peinture moderne se développe en Afrique avec l’importation de nouveaux matériaux, supports et outils. Des artistes locaux s’adonnent alors à ces nouvelles pratiques, et des expositions de « peinture nègre » se multiplient sur le continent africain. Des œuvres qui sont ensuite exposées dans de grandes galeries européennes sous l’impulsion d’hommes comme Picasso, Gide, Sartre, Breton ou Éluard... Ce nouvel art africain bénéficie donc d’une certaine reconnaissance ; néanmoins, il est toujours qualifié en Europe d’art nègre, d’art primitif et non de peinture. Il faut attendre les années 1940 puis 1950 pour voir se développer des écoles de peinture africaines, en particulier congolaises. Des noms d’artistes émergent pour de bon et passent à la postérité, comme ceux de Marcel Gotène ou Eugène Malonga. Riches de cet héritage, les peintres congolais contemporains font partie des artistes les plus prolifiques du continent et donnent à voir des œuvres à mille lieues de l’art contemporain occidental. Certains d’entre eux, repérés par le galeriste André Magnin ont pu profiter d’une large diffusion en Europe : on peut citer Chéri Chérin, Moké ou Chéri Samba, tous trois peintres à Kinshasa. Malgré tout, ces artistes et leurs confrères africains restent encore (trop) souvent inconnus de la scène artistique mondiale. Un oubli de l’art africain qui a tendance à diminuer avec le temps, comme peuvent en témoigner les œuvres de Chéri Samba exposées lors de l’exposition Une brève histoire de l’avenir (musée du Louvre) ainsi que la récente exposition Congo Kitoko à la fondation Jacques Cartier.

Yohan Mainguy

La peinture congolaise contemporaine est très souvent inconnue du public européen. J’ai moi-même découvert ce domaine il y a relativement peu longtemps, lors de la visite d’une exposition organisée par l’association ArchiDB en 2013 à Dijon. Intitulée « La ville Africaine », l’exposition présentait des enregistrements audio et vidéo, des peintures et des photographies. L’originalité de l’exposition reposait déjà sur les conditions dans lesquelles elle se tenait : peu de moyens, un local de taille modeste au sol couvert de gravier, courant sur un mois de novembre à décembre dans des salles peu (ou pas) chauffées. Mais la véritable originalité de l’exposition tenait à son sujet, peu abordé généralement malgré l’incursion de chapitres sur l’Afrique et ses villes en développement dans les programmes de géographie au lycée. On découvrait là un visage tout autre de l’Afrique : exit les problèmes de corruption, de famine et de guerre civile malheureusement bien réels. L’exposition entière était dédiée à la ville africaine d’aujourd’hui dans ce qu’elle a de vivant, d’original d’un point de vue culturel et social. Voir la ville africaine non pas pour la situer sur la voie du développement, mais plutôt pour l’observer se développer et en tirer des enseignements pour nous, afin de « nourrir notre réflexion pour faire évoluer nos villes européennes ». Une découverte de l’Afrique sous un nouveau jour qui passait, inévitablement, par la découverte de l’art africain contemporain. La peinture en héritage Les œuvres peintes exposées étaient des créations de Moké fils (de son vrai nom Jean-Marie Mosengwo Odia), un peintre populaire congolais de Kinshasa découvert par le galeriste André Magnin. Son nom d’artiste lui vient de son père (peintre également) qui se faisait appeler Moké, contraction de son nom de naissance Mosengwo Kejwamfi. C’est même lui qui lui a transmis le goût de l’art : peintre

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de rue depuis l’adolescence, Moké père s’était tourné vers la peinture faute de financement pour ses études. Une bourse de l’État lui avait finalement permis finalement de continuer dans cette voie et, ce faisant, il rencontra d’autres artistes comme Chéri Chérin et Chéri Samba. C’est là qu’a commencé la carrière de Moké Fils dans le milieu de l’art. Formé à la peinture par son père le soir après l’école, il décide d’abandonner sa vocation d’enseignant et s’attelle à vendre les œuvres de son père sur les grandes avenues ainsi que les marchés de la capitale. Il entreprend également de s’exercer sérieusement à la peinture et suit les enseignements de son père. Cette manière d’apprendre est capitale dans l’œuvre de Moké Fils : en travaillant aux côtés de son père et en observant d’autres artistes de la ville, il fait de nombreuses rencontres. Une en particulier est décisive : en 1997, son père le présente au galeriste André Magnin (qui tente de faire connaître, à cette époque, les œuvres de son père en Europe). Ce français en séjour à Kinshasa a une idée bien précise des artistes qu’il recherche ; « ceux qui, en dehors de tout, ont développé leur propre art ». De l’héritage à l’affirmation d’un style personnel C’est justement le cas du jeune peintre : de ses créations surgit un art libéré des règles académiques, un trait simple, souple et coloré propre à la peinture congolaise contemporaine mais avant tout propre à l’artiste lui-même. En effet, si ce contexte artistique privilégie les couleurs vives et le mouvement, il est à noter que Moké Fils a su développer un style personnel, reconnaissable. Au contact des œuvres de Chéri Chérin et Chéri Samba (deux artistes proches de son père, repérés par Magnin et diffusés en Europe comme celui-ci), il s’inspire de la manière paternelle sans pour autant la copier. À la mort de Moké père en 2001, les amis de ce dernier aident le fils à se lancer dans une carrière artistique ; l’association des Artistes Peintres Populaires participe aussi à son succès en le


faisant exposer dans divers événements, aussi bien en République démocratique du Congo qu’en Europe. Il s’inscrit alors parmi les grands noms de la peinture congolaise. Considéré comme un des chefs de file de la nouvelle génération, son style figuratif proche de la bande dessinée se revendique clairement « populaire ». Les traits de ses personnages ne s’attachent pas à un réalisme anatomique formel : la courbe et le mouvement priment, avec des personnages trapus aux formes rondes, bien délimitées par un trait noir franc. En plus de cette ligne noire qui entoure littéralement chaque personnage, le caractère populaire de sa peinture s’affirme par l’utilisation de couleurs industrielles apposées en plages de couleur homogènes, accolées les unes aux autres. Ce travail de la peinture en aplat ajoute au côté franc et simple de son œuvre, qui lui vaut d’ailleurs parfois le qualificatif de « peinture naïve ». Elles sont appréciées pour leur côté vif qui permet de créer des contrastes importants de jaune, de bleu, de blanc et de rouge notamment. Ces effets de contraste servent parfaitement la représentation de scènes agitées et contribuent à l’ambiance joyeuse, parfois festive qui règne dans les toiles de l’artiste. Ces scènes vivantes, Moké Fils souhaite les représenter à travers le prisme de sa propre vison des choses : il couche ainsi sur la toile ses impressions, ses émotions face à des scènes banales ou des situations exceptionnelles. C’est là une des grandes forces de sa peinture, qui touche donc le spectateur par son aspect visuel mais aussi et surtout par ce qu’elle a à lui dire.

Scènes de vie, scènes de guerre... La peinture comme reflet de l’Histoire contemporaine En faisant de la peinture le reflet de ses propres impressions, Moké Fils en fait également le reflet de l’Histoire contemporaine de son pays. Cette Histoire ne s’inscrit pas forcément avec un grand « H » : la majorité de ses œuvres représente des scènes de la vie quotidienne congolaise, des scènes de rue bien évidemment marquées par la pauvreté mais pas seulement. Comme le faisait l’exposition « La ville Africaine » en 2013, les œuvres de Moké Fils montrent la vie urbaine de Kinshasa dans ce qu’elle a de joyeux et d’agréable. Excentricité vestimentaires des sapologues, ambiance festive des terrasses de bar malgré l’insalubrité des rues, minibus bondés au point de ne plus pouvoir en fermer les portes... L’artiste insiste volontairement sur les divers aspects du développement de la ville. Parfois désagréables ou sujets à rire, ces moments de vie interpellent le spectateur et reflètent une manière de vivre bien loin des stéréotypes sur l’Afrique pauvre et constamment dans le besoin. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle l’art congolais (et africain en général) cherche aujourd’hui à être reconnu mondialement : véhiculer une autre image d’un pays, d’un continent parfois en proie à des guerres civiles dévastatrices. Ceci dit, Moké Fils ne se limite pas à la figuration de joyeuses scènes de rue quand son pays va mal. Et le Congo, depuis l’indépendance dans les années 1960 a eu son lot de guerres civiles. En témoignent de nombreuses œuvres d’artistes congolais, figurant l’espoir de la transition démocratique par les urnes ainsi que celui d’un avenir sans guerre. « Plus jamais ça » revient comme un leitmotiv sur de nombreuses toiles, dont TERRE PROMISE (2006) de Moké Fils. Il a également représenté la conférence de paix de Goma (Conférence de paix au nord et au sud Kivu, 2008) ainsi que l’opération de désarmement des civils par l’ONG PAREC en 2008-2009. Cette opération, financée en grande partie par le gouvernement de Joseph Kabila a été dirigée par le pasteur Daniel Mulunda. Le principe : dans des points de collectes de l’ONG, 100$ (ou un vélo, selon les villes) étaient donnés aux civils pour chaque arme rapportée (fusil d’assaut, grenade, bombe, etc.). Toutes les armes étaient ensuite détruites, de manière à ce qu’elles ne puissent plus jamais servir. Cette opération est figurée dans Église de la paix (2010) : un enfant rampe en tendant une grenade, un homme en chemise apporte un char d’assaut qu’il tient sur ses épaules... Une scène symbolique, presque caricaturée, toujours dans

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le style coloré et vif du peintre kinois. Mais cette toile reflète une grave réalité : en six mois de collecte à Kinshasa, l’ONG a pu recueillir plus de 11 800 armes de guerre. L’art de Moké Fils, populaire et enjoué, représente ainsi toutes les facettes de la vie congolaise dans un style propre à l’artiste. Un style lié à une histoire bien particulière, dans un contexte que l’on pourrait résumer par cette citation d’Yves Sambu : « Partout à Kinshasa, il y a des sons qui existent : des sons de voitures, des sons d’églises, des sons de musiques de bar, et les gens font la fête malgré tout ce qui les oppresse… Car il n’y a pas de liberté d’expression, la vie sociale est catastrophique ici. Mais tout le monde veut exister et pour cela tout le monde se bat pour survivre, tout le monde est obligé de créer. »


Cinéma extra-européen : quand le cinéma marocain s’attaque à la condition des femmes Texte : Yvine Briolay - Illustration : Orégane Plailly

Le cinéma marocain, tout comme la culture marocaine en général, est mal connu des Français. Pour peu que l’on s’éloigne des amalgames du type Maghreb = dromadaire, marocain = couscous/tajine, Marrakech = Club Med, on touche à une culture bien plus profonde que ce que l’on imagine. Alors rangez votre djellaba et vos babouches (ainsi que vos appropriations culturelles par la même occasion), le vous offre Louvr’Boîte un voyage cinématographique bien loin du Casablanca de Michael Curtiz (M. Vezyroglou c’est à vous que je m’adresse). Et aujourd’hui, le cinéma marocain nous parle de la condition des femmes. Putes mais pas soumises : Much Loved. Réalisé en 2015 par Nabil Ayouch, ce film a fait beaucoup de bruit à sa sortie. En France, il a été vu comme une réussite, il a été primé par la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Au Maroc, il a été interdit, hué, conspué, au point d’en venir aux poings pour certains. En effet, Loubna Abidar, l’actrice principale, s’est faite agresser à cause du rôle qu’elle a joué dans le film. Malgré tout le courage dont elle a fait preuve, elle a été contrainte de s’exiler du Maroc. À la cérémonie des Césars 2016, Florence Foresti lui rend hommage, tandis que le public occidental reste dans l’incompréhension de cet acte ignoble. Much Loved touche un sujet sensible : les prostituées marocaines. Dans une culture majoritairement musulmane où l’on cherche à préserver la femme, celles qui se dénudent et offrent leur corps n’ont pas leur place. Pourtant, ce que le film veut montrer, c’est avant tout l’humain derrière le corps. On voit nos protagonistes interagir avec des touristes, piliers économiques du Maroc, des investisseurs saoudiens… Bien qu’elle les ne cautionne pas, c’est cette société qui profite de ces femmes, et c’est elle qui bénéficie de leur labeur. Le réalisateur provoque, il met en place l’espoir que ce film aura marqué le Maroc et la condition des prostituées dans cette société contradictoire, qui utilise ces femmes pour après les ériger en marginales. Nabil Ayouch émeut par la justesse de son regard, tantôt dramatique, tantôt comique mais toujours profondément bienveillant sur ces quatre jeunes filles dont on suit le destin. Il ne les met pas en valeur, au contraire : il montre autant ses actrices belles et désirables que dans des situations malaisantes. Les dialogues nous touchent, ils arrivent à être aussi dérangeants que les images. Ce film est cru, mais il ne veut ni prôner la prostitution ni la blâmer : il veut simplement la montrer, essayer de se rapprocher

au plus près de ce que vivent ces femmes que l’on eût dit autrefois « de petite vertu ». Et il le fait avec talent. Alors nos « femmes à la fenêtre » comme les orientaux antiques les représentaient, ne seraient-elles pas femmes avant d’être putes ? Sois belle et hausse la voix : Derrière les portes fermées. Réalisé par Mohamed Ahed Bensouda en 2012, Derrière les portes fermées n’a pas fait le buzz en France, contrairement à Much Loved. Pourtant, il a non seulement été primé au Festival du Film Panafricain de Cannes (FIFP)* mais il a aussi eu un impact considérable au Maroc. Retour sur un film qui ouvre le regard sur le harcèlement au travail. Samira est une jeune femme active pleinement comblée : elle a un bon travail, un mari aimant, réussi à être femme et mère sans compromis. Tout va pour le mieux jusqu’au jour où un nouveau patron est nommé ; ce dernier fait des avances à Samira, qu’elle refuse poliment. La descente aux enfers commence : harcèlement, menaces, vengeance, le nouveau directeur va tout faire pour détruire la vie de la jeune femme. En abordant un sujet peu traité au cinéma, Bensouda veut montrer l’horreur du quotidien des femmes harcelées et le cercle vicieux dans lequel elles se trouvent. En dressant le portrait d’autres femmes harcelées en parallèle, il arrive sans maladresse à montrer que les femmes, de tous types, tous âges et de toutes religions, souffrent autant du harcèlement, et qu’elles sont victimes et non fautives. Mais la véritable victoire de ce film ne sera pas son prix au FIFP, mais bien un projet de loi sur le harcèlement au travail qui sera proposé au Maroc quelques semaines après la sortie du film. À une époque où la France cherche à supprimer des articles de loi sur le harcèlement dans les transports en commun, chapeau, M. Bensouda. Putes ou femmes d’affaires, il y a encore du chemin à faire pour que les hommes, les femmes et leurs droits soient sur un pied d’égalité. Alors que l’on se demande encore où le cinéma français – si renommé à l’international – se place sur le thème de la condition féminine, les artistes marocains réussissent le pari avec virtuosité. Et on les remercie. * Pour plus d’infos sur le Festival du Film Panafricain, rendez-vous sur le site du Louvr’Boîte pour un article dédié.

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changement de point de vue Interroger les enseignements acquis et les habitudes confortables.

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La SAPE comme jamais FFP *Fashion Faux Pas

Texte : Elise Poirey - Illustration : Clémence Trossevin

Vous rêvez d’avoir des habits qui brillent comme les mille et une nuits, mais vous ne savez pas comment ? Heureusement pour vous, la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, communément appelée SAPE, peut vous aider. La SAPE est une mode vestimentaire populaire née à la suite de l’indépendance du Congo-Brazzaville au cours des années 60. Son origine exacte est mal connue, mais on l’estime héritière du dandysme européen du XIXe siècle dont le modèle aurait gagné Brazzaville durant la colonisation dans les années 20. La SAPE se serait ensuite propagée tant à Brazzaville qu’à Kinshasa, puis dans les différentes colonies françaises et belges chez les jeunes. La création du mot « sape » est attribuée à Christian Loubaki, homme à tout faire des bourgeois du XVIe (qui ne comprennent pas pourquoi je t’aime). Loubaki, après avoir observé comment ses employeurs s’habillaient, aurait profité de leurs anciens vêtements qu’ils lui offraient. C’est en 1978 qu’il ouvre sa

première boutique La Saperie à Bacongo, qui deviendra le quartier par excellence de la SAPE au Congo. Stervos Niarcos est un autre nom majeur de la sapologie, dont il est aujourd’hui considéré comme le pape. Né en 1952 dans une famille aisée, il est le fondateur de la religion Kitendi (« tissu » en Lingala). Si Stervos est aujourd’hui considéré comme la tête de file du mouvement, c’est en partie dû à la mystification de son nom. En effet il grandit dans les quartiers aisés de Kinshasa, ce qui lui permit d’acquérir une certaine connaissance de la mode européenne. Stervos n’avait pas seulement un penchant pour les beaux habits, mais aussi pour la contestation. C’est à cause de ses nombreux démêlés avec la police qu’il sera contraint de s’exiler en France à 25 ans, et par la suite il ne remettra que deux fois les pieds au Congo. De ces deux figures majeures de la sape découlent deux courants. Le premier lancé par Christian Loubaki consiste principalement à se vêtir de manière occidentale. Dans le second courant, le Kitendi, qui est aujourd’hui majoritaire, les sapeurs sont dans l’exhibition et l’ostentation, et portent des couleurs très vives, voire parfois criardes. Si ce second courant est aussi fort c’est sans doute dû à la distance de Stervos Niarcos qui a participé à la mystification qui s’est développée autour de son nom grâce à ses chansons. En effet il était auteur-compositeur à succès, et nombreuses de ses chansons citent ses griffes préférées comme Black Mic-Mac (1986), ou encore son album Dernier Coup de Sifflet (1987) qui rassemblera des centaines d’adhérents au mouvement à Kinshasa. Bien plus qu’une simple mode vestimentaire, Niarcos fait de la SAPE une véritable contestation politique : il plaidait entres autres pour la réunification des deux Congo à travers sa chanson Les États-Unis d’Afrique (1988). Mais à une échelle plus locale, la SAPE permit aussi aux jeunes de Kinshasa de s’affirmer dans les années 70, années durant lesquelles le dictateur Mobutu prohibait costards et cravates dans le cadre de sa politique de zaïrianisation de la société. Et c’est cette philosophie et esprit contestataire que Niarcos a permis de développer. Vingt ans après sa mort, les sapeurs sont

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toujours aussi soudés, beaucoup d’entre eux font partie des Léopards de la Sape, sorte d’équipe nationale qui dit réunir les personnes les mieux habillées de la République Démocratique du Congo. Le président Chancelier Mobonda a résumé les points essentiels du sapeur : « 1. On naît sapeur puis on ne fait que s’améliorer. 2. Tu ne décevras jamais la Sape quelles que soient les conditions. 3. Tu respecteras la Sape comme ton père et ta mère. 4. Tu mourras sapeur comme l’a fait Grand Prêtre Stervos Niarcos. » Lorsqu’ils rencontrent des groupes rivaux, les sapeurs montent en pression et entament des clashs basés sur du « Personne d’autre ne porte du Yamamoto » ou « Mes lunettes sont griffées Versace » ; dans la


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sapologie éloquence et élégance ne font qu’un. Ces attaques à coup de griffes et de marques dénotent bien le luxe et le faste dans lequel les sapeurs évoluent. Pourtant, bien qu’il s’agisse de contrefaçons, elles coûtent bien plus qu’un simple simple salaire de Kinois. C’est ainsi que se dessine la tendance du sapeur DIY, qui prend aujourd’hui beaucoup d’ampleur. C’est le cas de Jean-Pierre Bobo, président de l’Alliance des Kabilistes Inconditionnels, une référence aux présidents Kabila père et fils qui exercent une main mise sur le pays depuis 1997, ainsi que les membres du Centre de Création Négro-Africain. Si leur tendance reste toujours dans la veine de la sapologie, ils veulent aussi renouer avec la culture congolaise plus traditionnelle. Alors bien que les sapeurs furent la plupart du temps dévalués pour leur soidisante superficialité, ils tendent plutôt vers une folie, un anticonformisme et une poésie qui aujourd’hui manquent tant au Congo des dictateurs. Peut-on alors réellement considérer la sapologie comme un FFP ? Au fond, ils ne sont pas tellement différents des hippies ou rockeurs des années 60, ils réunissent les mêmes contestations, leur mode s’exprime simplement autrement. Si la sapologie n’est pas un FFP elle reste pour autant « moche » pour beaucoup d’entre nous. Peut-être est-ce dû au conformiste de la société dans laquelle nous vivons, avec une mode qui ne se renouvelle jamais vraiment, et qui ne change que sa forme, sans toucher au fond. Alors bien sûr qu’un pantalon à carreau enfilé sous un kilt, le tout rehaussé par des chaussures en cuir vert et des lunettes D&G, peut paraître un poil dérangeant, mais pourtant si l’on va se balader à Château d’Eau, quartier par excellence de la SAPE à Paris, c’est peutêtre nos vêtements noir et gris que l’on regardera mal. Finalement, comme le dit si justement Maître Gims, le tout est de se saper comme jamais.

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La couleur c’est plus compliqué que ça. Texte : Herminie Astay

Illustration : Bastien Hermouet

« La couleur ne va pas sans mœurs violentes et louches »

pour celui qui voit sa peau comme blanche, l’état maladif colore la chair de nuance allant du jaune au bleu profond. C’est sur cette structure de pensée que repose un rejet de la couleur vers « l’Autre » non occidental. Déjà sous la plume d’Aristote la couleur est l’attribut d’un art oriental, étranger et il est possible d’observer encore aujourd’hui des restes de cette pensée.

Elie Faure dans Histoire de l’Art, volume I (1909) Il y a dans l’histoire de l’art des batailles, des duels esthétiques que nous connaissons bien. L’opposition entre les sensualistes partisans de la couleur contre les puristes partisans du dessin est une des plus récurrentes en occident. Elle prend sa source dans la Grèce antique quand au IIIe siècle avant J.-C. les peintres commencent à utiliser de nouvelles techniques pour créer leurs images par juxtaposition de touches colorées. Cette opposition ressortira de manière régulière au cours de l’histoire de l’Europe, jusqu’à l’impressionnisme via la querelle du coloris au sein de l’Académie royale de peinture et de sculpture au XVIIe siècle. Ces oppositions nous sont enseignées bien sagement comme des débats artistiques n’ayant d’autres enjeux que se positionner esthétiquement sur ce que devrait être tel ou tel art. Cependant, si l’opposition n’est qu’esthétique, pourquoi trancher est si difficile ? La récurrence de la question, son irrésolvabilité, ne montret-elle pas que quelque chose d’autre se joue dans la question ? Voici un petit panorama des questions que soulèvent les débats sur la couleur.

Couleur et altérité

Comme nous l’avons dit plus tôt, on trouve trace de questionnement sur les manières d’utiliser la couleur en peinture dès l’antiquité grecque. Paradoxalement, l’auteur nous donnant l’aperçu le plus systématique sur les techniques de la peinture grecque est un romain, Pline l’Ancien qui dans le livre XXXV de son Histoire Naturelle détaille l’histoire de la production hellène. En matière de couleur pour l’auteur latin, l’effet que les couleurs éclatantes a sur celui qui regarde n’est pas le résultat de la virtuosité du peintre mais des propriétés de la matière utilisé. Elles donnent un aspect agréable à la composition par des moyens faciles et artificiels. Reléguée dans le domaine du faux, de la tromperie, la couleur devient alors suspecte.

Blancheur marmoréenne et illusions perdues

Les sculptures antiques grécoromaines n’étaient jamais blanches. Cet argument sera repris au XIXe siècle par Charles Blanc pour qui la peinture est la moindre des capacités du peintre. Cependant il se double sous sa plume d’une naturalisation de cette dernière la plaçant au bas d’une hiérarchie. La couleur est le langage de la nature donc c’est le langage des formes primitives des êtres. Dans le contexte de la pensée du XIXe siècle, cette hiérarchisation naturelle reste le miroir d’une hiérarchisation culturelle. Le goût de la civilisation européenne, celle qui est supposée avoir donné naissance à l’aboutissement de l’humanité ne peut se porter que sur le dessin c’est-à-dire la forme fondamentale qui par glissement de valeur représente le sérieux et le profond. La couleur c’est la fantaisie, le relâchement, un plaisir pour les peuples où « le cerveau est subordonné au muscle » selon les mots de l’historien de l’art Bernard Berenson. Elle peut même représenter une maladie car,

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Les sculptures antiques grécoromaines n’étaient jamais blanches. C’est un fait que les observations de certains spécialistes, et depuis le XXe siècle les nombreuses études scientifiques sur les œuvres ont établi. Cependant les commentaires des publications grand public sur la sculpture restent sur le plan de la forme, du volume sans prendre en compte la dimension colorée. Bien sûr, la perte de la couleur sous l’effet du temps rend plus complexe la prise de conscience de son existence mais est-ce la seule explication de son absence ? Suivant le reproche, évoqué plus tôt, fait à la couleur d’être trompeuse, celle-ci est vu comme cosmétique, un décor ajouté à la surface mais n’ayant pas d’incidence sur les qualités intrinsèques de l’objet. Le vocabulaire entourant la peinture des sculptures antiques, quand elle est citée, est cerné à la surface, au décor. Le revêtement cosmétique masque la réalité de la sculpture c’est-à-dire la forme. Là encore cet aspect superficiel se double d’un aspect moral. En prenant un point de vue plus global, on s’aperçoit que peu de productions sculptées ne reçoivent pas de traitement de surface. Dans ce contexte, la sculpture gréco-romaine exposant la beauté de son matériau ferait exception. Et c’est peut-être là que se noue la difficulté à concevoir une sculpture peinte. En plus des valeurs négatives attachées à la couleur, perdre la sculpture de marbre blanc c’est aussi perdre « le miracle grec », le caractère exceptionnel des origines de l’art occidental. Si la sculpture grecque était colorée, alors elle peut être rapprochée des productions en trois dimensions des « Autres », des


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primitifs dont le goût pour les « beautés faciles » ne s’accorde que très peu avec la rationalité valorisée dans nos sociétés.

Rejet totalisant

La liste des domaines où le rejet de la couleur vers des valeurs négatives est présent est encore longue. On peut évoquer dans le domaine artistique la photographie et le cinéma. La technique de prise de vue en couleur est mise au point dès 1907 pour la photographie et adaptée à l’image mouvante dans les années 1930. C’est seulement à partir des années 1960 que les photographies

Encore aujourd’hui, le noir et blanc est gage de sérieux, de profondeur et d’une démarche artistique forte. et films couleurs se généralisent. Outre les raisons économiques, cette distance entre la création et l’utilisation rend compte de la valeur accordée à la pellicule colorée : la couleur était bien souvent réservée aux comédies et comédies musicales et les photographies en couleurs pour les images publicitaires. Encore aujourd’hui, le noir et blanc est gage de sérieux, de profondeur et d’une démarche artistique forte. La relation pathologique de l’occident à la couleur, la chromophobie qu’identifie l’artiste David Batchelor, se retrouve dans les aspects les plus quotidiens de la vie, des tendances aux décors d’intérieur aux murs blancs jusqu’au goût vestimentaire honnissant le trop plein de motifs et la multiplication des couleurs (cf. article sur la sape dans ce même numéro).

Pour en savoir plus : • David BATCHELOR, Chromophobia, Reaktion books. • Jacqueline LICHTENSTEIN, La Tache aveugle. Essai sur les relations de la peinture et de la sculpture à l’âge moderne, Gallimard.

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Histoire globale

Bastien Hermouet Après la grande école des Annales qui a dominé la recherche historique en France pendant presque tout le XXe siècle, le manque de modèle se faisait sentir depuis les années 90. Aujourd’hui commence à poindre une nouvelle façon de penser l’Histoire, à la fois très large et extrêmement ciblée. Il s’agit de penser les échanges, les phénomènes, les événements et leurs conséquences, à l’échelle du monde. Bien peu d’événements ont eu un impact sur la planète entière et quand ils existent, ils sont toujours vus au travers de cloisonnement de périodes ou d’aires culturelles qui en limitent l’étude. D’autres n’ont pas cette prétention universelle mais par un jeu de dominos finissent par se répercuter de l’autre coté d’un continent, comme l’histoire de la diffusion du papier pour prendre un exemple parmi d’autres. C’est un lieu commun de dire que le monde ne s’est pas construit sans interactions entre cultures, voisines ou non ; mais au regard de l’étude

historique, cela semble totalement novateur. L’histoire globale consiste à dépasser un point de vue trop restreint, à relier dans l’écriture ce qui l’a été autrefois. Ainsi on remet en cause des périodes historiques : la rupture entre Moyen Âge et Temps Modernes n’a de sens que pour une Europe occidentale assez réduite, mais ces deux périodes en ellesmêmes n’ont pas vraiment de sens pour l’Inde ou la Chine. Ce mouvement c’est aussi, et peut-être là est son principal intérêt, oublier un point de vue qui a presque toujours été européen pour en rencontrer d’autres, à la manière d’un réalisateur qui fait bouger sa caméra (métaphore extrêmement intellectuelle et subtile qui revient souvent quand on parle d’Histoire globale). On a tous appris comment les Portugais ont au XVe siècle poussé leurs routes commerciales vers l’Océan Indien, comme si ils l’avaient découvert. Or ils sont arrivés finalement les derniers dans un espace

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commercial déjà développé qui mettait en relation depuis longtemps le monde islamique avec l’Inde, la Chine avec les états de la péninsule indochinoise ou de l’archipel indonésien. L’histoire globale c’est par exemple donner la parole aux Indiens de Calicut et Goa au moment où ils ont vu accoster les tout premiers navires de Vasco de Gama. C’est ce qu’a fait notamment Sanjay Subrahmanyam, historien indien, ancien économiste et actuellement professeur au Collège de France (ah et il parle aussi une douzaine de langues – non ça va, il ne fait pas trop bader). L’histoire globale, c’est aussi étudier les interactions entre peuples même quand elles ne concernent pas l’Europe, comme la probable rencontre entre les Polynésiens dans leur élan vers l’est et les populations de l’Amérique du Sud précolombienne. En somme, l’Histoire globale c’est la démocratie même appliquée au savoir. Si aujourd’hui je parle de ce sujet, c’est

qu’il est presque d’actualité. Le 17 décembre dernier, dans sa leçon inaugurale comme professeur au Collège de France lui aussi, Patrick Boucheron a exprimé l’envie d’une Histoire plus libre et même indisciplinée. Il n’est pas à proprement parler un des grands tenants de cette nouvelle façon de faire l’Histoire, mais ce grand intellectuel invite à casser ce réflexe ethnocentriste qui nous aveugle. « Décloisonner » semble être le maître-mot pour un intellectuel qui mélange histoire, histoire de l’art et littérature dans ses écrits. L’écrivant, pour citer Barthes, devient quelque peu écrivain et se libère des carcans disciplinaires. Cette idée de décloisonnement, Subrahmanyam l’assume aussi dans le choix de ne pas se cantonner à une époque ou à une aire culturelle ou géographique comme sujet de spécialisation. Il revendique le fait de pouvoir tout aussi bien traiter des marchands du Japon au XVIIe siècle que les villes des Pays-Bas au XIIe. Et même si la liberté n’est jamais absolue – elle demande ici un apprentissage de langues, une familiarisation avec un milieu à recréer à chaque fois – ce mouvement enfante des créateurs plus ouverts et moins crispés sur leurs domaines réservés. Et l’universalité ne sera peut-être plus impérialiste.


B.F.M. Food : Le quisotto

Gaumar On m’a dit au détour de la rivière d’une réunion de la rédaction, quand je peinais à réfléchir sur le contenu de ma chronique culinaire pour le nouveau numéro, que je devais réécrire la cuisine. RIEN QUE CA. Mais bon, comme disait l’autre : faut pas se laisser aller ma Brenda. De fait, j’ai remué mes méninges engluées de vitamine Q pour revisiter une recette traditionnelle italienne. Oui ça sonne comme un épisode de Master Chef. Promis je n’utiliserai pas le mot croquant.

Ingrédients (pour une personne) : - 60 g de quinoa - deux cuillers à soupes de parmesan râpé - une demi courgette - des cornichons à convenance - une cuiller à café de gingembre frais - deux cuillers à soupe de crème fraiche entière - quatre cuillers à soupe de lait demi-écrémé - un steak haché décongelé Matériel : Une planche, un couteau de cuisine, une casserole, une poêle, des cuillers. Temps de préparation : Compter 30 minutes. Indice calorique : Mieux vaut ne pas en parler. Niveau de difficulté : Facile (comme ta …)

Processus créatif : Faire cuire le quinoa dans de l’eau salée (notons que l’al dente n’est pas conseillé). Couper la demi courgette et les cornichons en petits morceaux, et le gingembre en très fines lamelles. Faire cuire le steak haché (préalablement décongelé) émietté dans une poêle (suffisamment large pour accueillir le reste des ingrédients) avec un peu d’huile. Égoutter le quinoa et l’incorporer à la viande, à feu doux. Ajouter les cucurbitacées au mélange, puis la crème, puis le lait, et pour finir le parmesan. Saler et poivrer à l’envie. C’est prêt mes mignons.

Le plus de l’artiste : Vous une recette originale et moins écœurante que le risotto traditionnel, que de toute manière personne ne sait préparer dans les règles de l’art. Le moins de l’artiste : Manger du quinoa donne forcément l’air snob. Entre nous : Comme souvent, cette recette n’est qu’une suggestion, vous pouvez la modifier à volo, en ajoutant des champignon, retirant la viande, etc. Il faudra tout de même tâcher de conserver le quinoa. Ici s’achève cette année B.F.M, pleine de joie, de désillusion, de froid et de calories. Dans l’attente de vous voir (très très prochainement) avec mes petites douceurs à la main, je vous offre une bise affectueuse. Gaumar

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altérités États et qualités de ce qui est autre.

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Coquine expérience Margaux Ruaud De tous temps l’Homme a aimé les clichés, une invention pratique qui permet de classer chaque personne, chaque petit élément du cosmos, dans une case minuscule aux parois irrégulières. Les clichés ressemblent à une boîte à chaussettes où toutes les paires sont mélangées, le sport avec les motifs ou les orphelines, parce que bon, les chaussettes restent des chaussettes. Autant dire que plus la chaussette est éloignée de nos habitudes, plus elle est reléguée au fond de la boîte, enterrée par celles qui correspondent à notre idée de la chaussette. Ce n’est ainsi pas étonnant qu’en arrivant en Inde, ma boite à chaussettes cinématographique était réduite à un modèle : Bollywood. J’ai passé un mois sur le sous-continent, découvert que la vie n’était pas rythmée par les éléphants et le poulet tandoori, qu’elle était complexe, spirituelle et bigarrée. Très naïvement, je pensais que le cinéma se réduisait à Bollywood, aux chants, aux danses et à l’amour mièvre. Une chance que j’aie été baffée par Kaminey en chemin vers Bombay. Je préfère jouer la carte de l’honnêteté et avouer que ma compréhension du film de Vishal Bhardwaj fut limitée au strict minimum. Eh oui, le visionnage s’est déroulé dans un petit cinéma d’une ville de province qui ne proposait pas de sous-titres anglais. La bande-annonce de Kaminey était passée sur la chaîne de télé locale, et la simple présence d’un magnifique brun dont la nudité était seulement cachée par une guitare avait suffi à nous convaincre, ma sœur et moi, de persuader nos parents de nous enfermer dans une salle noire pour l’après-midi. Dans la bande-annonce, il y avait de la musique, des gens qui dansent et des saris. Ce qui constitua environ 7% du film. Non je ne regrette rien, l’expérience fut presque métaphysique. Étonnamment, en Inde, les cinémas ne proposent aucune bande-annonce avant le film, uniquement des publicités et souvent à caractère foodpornique. Après une énième image de grosse friture un peu écœurante, l’écran retourna au noir, l’hymne indien retentit dans la salle, tous les spectateurs se levèrent main sur le cœur, et je découvris avec frayeur que les sonos de la salle étaient bloquées sur le cran « gros beauf fan de tuning », soit suffisamment fort pour

m’enfoncer en urgence des boulettes de papier toilette dans les orifices auditifs. Puis vint le film, et surtout sa noncompréhension. Ce n’était pas un Bollywood donc, plutôt un bon thriller qui aurait tout à fait pu être réalisé par Olivier Marchal. Kaminey, traduit par « coquin » en français, raconte à priori l’histoire de deux frères perdus de vue, menant deux vies radicalement différentes. Le premier, Guddu, a un boulot pourri et traverse quelques difficultés (que je n’ai pas saisies) avec sa fiancée. Le deuxième, Charlie, semble être un petit loubard qui aime les boîtes de nuit et les chevaux. Jusqu’au jour

J’ai passé un mois sur le sous-continent, découvert que la vie n’était pas rythmée par les éléphants et le poulet tandoori, qu’elle était complexe, spirituelle et bigarrée. où il trouve une mallette de guitare remplie de dollars américains, qu’il est content, qu’il utilise l’argent, qu’il est content, et que les mafieux qui veulent récupérer l’argent le confondent avec son frère. C’est à peu près tout ce que j’ai pu percevoir des dialogues en hindi, langue que je ne parle pas. Le contexte n’annonçait donc pas un moment agréable et intellectuellement enrichissant. Pourtant, j’ai vraiment apprécié ce film sombre, tant dans son histoire que dans sa photographie. La force de cette production résidait réellement dans le jeu des acteurs, qui mélangeait le petit kitsch indien de la surabondance de gestuelle, pour le coup propre au cliché Bollywood, avec une manière beaucoup plus occidentale dans les regards jetés et les poses adoptées. Cette technique empreinte de théâtralité

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aidait finalement beaucoup à saisir les clés de chaque scène. Quand Guddu, le petit tendre, se rebelle contre un mafioso en appelant sa ville natale Bombay plutôt que par son nouveau nom Mumbai, et qu’on comprend tout ça alors qu’on n’a reconnu que deux mots dans l’échange (Mumbai et Bombay pour ceux qui suivent), on se dit que finalement les mimiques poussées peuvent avoir un avantage certain. Eat this, America. Surtout, au travers de ce film pour le moins énigmatique, j’ai pu entrapercevoir une autre dimension de ce pays si diamétralement opposé à la France. Kaminey présente la lutte de cette nouvelle classe de la population, employée dans le secteur tertiaire, dans l’attente d’un nouveau confort de vie plus en adéquation avec le monde occidental surmédiatisé. Mais ce n’est pas un Slumdog Millionaire, axé sur la misère et le dur labeur quasi quotidiens en Inde. C’est un film d’action avec du boum boum et un monsieur torse nu qui court avec des chevaux blancs. D’ailleurs j’ai eu beau chercher à faire un lien entre cette scène récurrente du film et le reste du scénario, je n’ai toujours pas saisi. Bien entendu je pourrais utiliser la magie de l’Internet pour enfin revisionner ce film avec des sous-titres, mais j’ai envie qu’il reste un mystère aussi partiel que la classification des livres de la bibliothèque : si proche, et en même temps si improbable.


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Entre chien et loup Salomé Moulain (Entre chiens et loups, Malorie Blackman, ill. Bruno Douin, trad. Amélie Sarn, coll. Macadam, © Milan, 2005) Entre chiens et loups, ou la diversité malmenée Il est vrai qu’on y pense peu, mais le roman est un moyen d’expression bien particulier. Par une simple histoire, on peut amener toute la réflexion à un point bien précis. Un roman sert à faire susciter des expressions, sentiments, réactions qui feront, s’indigner, bondir, crier, pleurer, apeurer, et bien d’autres. Parfois, ce moyen permet à l’auteur d’introduire une pensée. Entre chiens et loups est une saga écrite par Malorie Blackman, une auteure britannique. Entre chiens et loups est ce moment de la journée, appelé aussi « heure bleue », vers sept heures du soir, où l’on ne distingue plus la différence entre un chien et un loup. En même temps, quoi de plus ressemblant à un chien qu’un loup ? Eh bien on peut dire la même chose des êtres humains. L’histoire se déroule dans un univers tout à fait similaire au nôtre, excepté une chose. Un concept, supposé scientifique et très simple, comme quoi la Pangée, (le continent unique d’où proviennent nos cinq continents qu’on a tous vus dans nos ancestraux cours de S.V.T.), ne s’est jamais disloquée. En résulte un développement très différent de l’humanité, notamment une évolution bien plus rapide de la population africaine ce qui amène à une supériorité économique et sociale des Noirs (appelés Primas) sur les Blancs (appelés Nihils). Pour résumer, les Noirs sont les riches, tandis que les Blancs sont les pauvres. Mais attention, pas si simple, la vie n’est pas aussi facile dans un monde pareil. On n’a pas affaire à un de ces récits totalement manichéens et peu subtils. Ici on suit deux familles en parallèle et plus particulièrement deux jeunes gens, Séphy (diminutif de Perséphone), fille d’un riche ministre et Callum, le fils de sa nourrice. C’est sur un fond de ségrégation inversée que grandissent ces deux personnages. Tout au long de leur enfance, on voit à travers leurs yeux qui observent la société. On ressent par eux leur incompréhension d’un monde si refermé, leur indignation aussi. On se demande alors comment peut-on vivre dans un monde pareil. Ce n’est pas possible, un vie aussi affreuse ! Et pourtant…

La souffrance s’accroît et le désespoir apparaît. On voit alors deux familles, complètement opposées, se déchirer de façon tout à fait différente. Jusqu’où est-on prêt à aller pour faire entendre sa voix ? C’est ce que se demande Callum, face au tournant que prend son frère Jude, qui s’enfonce dans une résistance particulièrement violente. Séphy se demande ce qui est juste, tiraillée entre deux mondes entre lesquels elle devra choisir. Subtilement cette uchronie qui a inversé les pôles nous offre une critique de notre société basée sur le canon de beauté de la blancheur. À l’opposé, dans l’histoire, le bronzage est la clef, on achète des faux-culs pour faire plus « prima », on se frise les cheveux et on ne trouve pas de pansement pour les blancs. Le racisme est bien sûr très accentué pour appuyer cette argumentation. Callum se répète régulièrement le dicton de son père pour se rappeler comment est la vie, « si tu es noir je te sers à boire, si tu es marron, c’est encore bon, si tu es blanc, va-t’en ». Pour ces enfants, tout est si simple, ce sont donc les adultes qui semblent tout compliquer. Leur détresse et leur incompréhension, si légitimes, nous révoltent. Callum parvient à intégrer une école pour prima grâce à ses notes, mais est ce que ça vaut vraiment le coût ? Ses professeurs le méprisent, il est complètement ignoré. « Qu’est-ce qu’il avait contre moi ? Est-ce la couleur de ma peau qui le dégoûtait à ce point ? Je ne pouvais pas plus m’empêcher d’être blanc que lui d’être noir. Et puis il n’était pas si noir d’ailleurs. Plutôt marron clair ; très clair. Il n’avait pas de quoi se vanter. ». Les insultes sont communes et Séphy veut l’aider, mais comment y arriver sans se faire rejeter à son tour ? Leur monde commence déjà à se complexifier.

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Et puis on les voit grandir et cette complexité avec eux. Bien sûr, l’amour s’immisce comme il le faut bien dans un roman pour jeunes adultes. Mais c’est une romance subtile et nuancée. Évidemment, elle est impossible et risquée, sinon ce ne serait pas marrant. Mais ça ne facilite pas les choses pour autant. C’est ce qu’on aime non ? Un Roméo et Juliette durant la Ségrégation, ce sera fun ! Bon peut-être pas si fun, mais inventif et raffiné, oui. Malorie Blackman (qui porte bien son nom), nous introduit dans un monde pas si éloigné du nôtre. Une histoire qui vous permet de changer de point de vue, de perspective afin d’imaginer un peu l’enfer que sont susceptibles de subir nos voisins. Il s’agit d’une tétralogie, qui suit différents personnages par la suite. Le second tome, intitulé La couleur de la Haine, pose la question de cette colère et de qui finalement est le plus haineux ? Cette saga fait réfléchir à l’idée d’un monde plus juste et noble, non pas en tant qu’utopie, mais en monde réel bien accessible. Il nous faut juste tendre le bras, peut-être fermer le poing pour être sûr d’y parvenir et se lever, pour soi, mais également pour les autres. À lire : Entre chiens et loups, Milan, 2005.


Twerk ta race ou la racialisation culturelle. Texte : Célien Palcy - Illustration : Lorenzo Oliva Depuis quand une culture est-elle rattachée à un phénotype ? Depuis quand faut-il être « noir » pour savoir twerker ? Depuis quand faut-il être indienne pour pouvoir porter un sari ? Depuis quand seuls les noirs peuvent porter légitimement des marques de fierté noire ? Une personne descendante d’esclave n’est pas plus esclave que la personne qui n’en descend pas. De même, on n’appartient pas à une culture parce qu’on est génétiquement descendant de ses tenants. Quelle est cette vision raciale des cultures ? Pourquoi rattache-t-on cela à une apparence alors que c’est l’éducation (chose qui s’acquiert tout au long d’une vie) qui détermine nos couleurs culturelles ? Une personne aux yeux bridés ne peut-elle être « plus française » qu’un caucasien ? En quoi un allemand serait-il plus français qu’un brésilien ? De même, depuis quand devrions-nous nous enfermer dans la culture de notre naissance ? N’estce pas justement cela qui mène à l’intolérance, au renfermement sur soi et plus tard au racisme ? Cessons de cloisonner les cultures humaines ! Hommes et Femmes, Blancs, Noirs, Rouges, Jaunes Verts… C’est de la rencontre entre les cultures que naissent les métissages, les nouveautés et aussi la compréhension et le respect mutuel. Si les Grecs ne s’étaient pas appropriés des éléments culturels égyptiens et orientaux, bien des merveilles n’auraient pas vu le jour. Les cultures vivent les unes des autres, se nourrissent les unes des autres et s’enrichissent par le contact, l’appropriation et la réinterprétation. Il existe bien des phénomènes d’appropriation culturelle. Mais ce sont des cas précis, et de plus en plus de gens dérivent vers une certaine forme de racialisation culturelle, dont le milieu du XXe siècle a montré quelques avatars morbides. L’appropriation culturelle est un détournement. C’est une entreprise d’aliénation, de perversion par la dérision, la monétarisation ou encore l’effacement de tout le sens originel d’un élément culturel. D’abord critiquons le terme « appropriation ». Pour s’approprier, il faut retirer une chose qui était la propriété d’une autre personne. Or, la culture n’est pas la propriété de ceux qui la font vivre car elle est le résultat toujours changeant de productions qui, elles, sont appropriables et monnayables. La culture française ne peut ainsi pas se définir par des traits fixes

absolus : elle évolue à mesure que les Français la produisent. Elle est intangible. La culture est donc à tout le monde, et donc la propriété de personne. C’est universel, et humain avant tout. Mais puisqu’il faut bien employer le terme utilisé par la majorité allons-y et passons-le sous le scalpel. Il faut bien comprendre qu’« appropriation culturelle » n’est pas un terme universel même si le phénomène l’est. Le terme est directement né de la vision américaine de la société. Contrairement à des pays comme la France où l’identité administrative n’est basée ni sur un phénotype ni sur une religion ou sur une appartenance politique, les États-Unis ont construit leur nation sur l’emboîtement communautaire. L’américain appartient à sa communauté de quartier, à sa communauté religieuse, à sa communauté raciale, à son État et ensuite à la nation américaine. Ce cloisonnement social est issu d’une histoire spécifique, d’une vision spécifique du lien social qui entraîne des phénomènes divers de solidarité, d’interdépendance et parfois d’oppositions et de fractures. La communauté se caractérise par des pratiques sociales qui lui sont propres, qui la distinguent des autres communautés. Ces marqueurs sociaux peuvent revêtir une forme de sacralité, un contenu politique et identitaire fort qu’il est mal venu de dévoyer. « Cultural appropriation » est alors devenu un terme permettant de dénoncer les formes de violences symboliques subies par les communautés marginalisées aux États-Unis par les communautés dominantes, typiquement les

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« WASP » (White Anglo-Saxon Protestants). Les violences symboliques peuvent prendre la forme de l’utilisation par les personnes socialement dominantes de signes identitaires de dominés à des fins de distraction, avec par exemple un effet comique. Ces éléments ont alors tendance à renvoyer directement à un imaginaire raciste ou colonialiste par exemple. Le visage barbouillé de charbon et les lèvres rouges, les coiffes de plumes, les oreillers coincés dans les vêtements pour simuler seins, hanches et postérieurs, l’accent singé et exagéré peuvent en être des avatars. Mais, par pitié, faisons la différence entre l’idiot qui arbore des plumes sur sa tête à un concert de rock en se prenant pour un chef amérindien comique et cool et la personne qui apprécie une chanson de Rihanna ou Beyoncé et décide de la réinterpréter ! Depuis quand une personne n’aurait-elle pas le droit d’incarner, d’interpréter un artiste ou une figure connue au simple motif qu’elle n’est pas de la même « race » ? Réinterpréter une danse, un habit, une chanson, est-ce nécessairement un acte de violence ? Ne peut-on simplement pas parfois admettre qu’une personne d’une autre culture souhaite s’intéresser un peu à la nôtre ? On tombe ici justement dans ce qui est originellement combattu. En dénonçant les violences symboliques exercées par d’autres, on se met peu à peu nous-même à exercer une violence symbolique discriminante et vectrice de racisme. Comment tracer alors la limite entre ce qui est de l’aliénation culturelle, de la violence symbolique, et la simple réinterprétation d’un fait culturel ? Le tout tient en un mot, très simple : respect. N’importe quelle personne devrait avoir le droit de s’intéresser et de pratiquer n’importe quel phénomène culturel pourvu que cette personne le fasse avec respect, sans haine, intention de dégrader et de marginaliser. Cela implique quelque chose qui en soi est précieux : se renseigner, apprendre de l’autre, le comprendre pour pouvoir mieux enrichir les relations humaines et les cultures qui en naissent.


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errata Corrections apportées à l’article du numéro 34 (février 2016, Le corps) : Le musée ou la police des corps, p.36.

« les concepteurs de la muséographie1. » : Notons aussi que le visiteur n’a pas accès à tous les espaces du musée. Le visiteur-corps doit se munir de son « droit d’accès » - autre nom du billet – pour pouvoir d’entrer dans certaines partie du bâtiment et le type de ce billet détermine ces parties (collection permanente, expositions temporaires etc.). « la plupart du temps il s’y oblige2 » : La contrainte étant « l’action […] de forcer quelqu’un à agir contre sa volonté » ; l’obligation étant une « contrainte imposé par des règles morales, des lois sociales … » (définition larousse.fr). « au sens définit par Giorgio Agamben3 » : Dans Qu’est-ce qu’un dispositif ?, éditions Payot & Rivages, 2014.

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