N°44 50cts
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Édito
Articles
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Dans le ventre du monstre
Hannibal
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Le calendrier chinois ou le carnaval des animaux oriental
ou comment cacher la bête qui est en nous
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Les Nouveaux Animaux de Compagnie
16 Miyazaki
Le requin Expectation VS Reality
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créateur de bestiaires extraordinaires
Quand l’animal décrit l’humain Atelier
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Un éléphant, ça trompe énormément
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Marque-pages
33
Rubriques FFP
Casoar
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36
La masterview
Vegan : à la vie, à la mode 2.0
Review insta
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48
Histoi’Art
Louis XIV, un double lion ?
Le choix de la rédac 50
52 Ek°Phra°Sis
Test
les animaux entre rêve et réalité
54 Taslimiam
DIY : croquettes pour animaux
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Quel animal fantastique êtes vous ?
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Crédits photo
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Je vous parle d’un temps que les porteurs d’un numéro d’élève postérieur à 15ELE ne peuvent pas connaître. En effet, au doux retour des vacances de Noël en janvier 2016, le Louvr’Boîte vous a proposé un numéro étonnant, renversant même (les vrais savent), autour des deux meilleurs amis de l’Homme, le sexe et l’alcool, le chat et le chien. Des portraits de nos compagnons à leur rôle dans l’histoire en passant par l’art de les représenter, nous vous les avons exposés sous toutes les coutures… Mais, peut-être avons-nous trop parlé de ces deux géants du bestiaire commun, au détriment d’autres candidats ? Telle la politique du « ni-ni » (pas celle de Mitterrand, celle de 2017), nous n’allons favoriser aucun des deux et voter pour tous les autres, trop souvent oubliés. Ce numéro, réponse pas très végane à notre « VEGETAL / » se tourne donc vers l’ANIMAL, avec un grand A, où l’on tâchera de ne mentionner ni-chat, nichien. Sophie Leromain
Neuvième année. N°44. 0,5 €. Directrice de publication : Sophie Leromain. Rédactrices en chef : Élise Poirey et Yvine Briolay. Relecture : Camille Giraud et Salomé Moulain. Maquette : Lisa Fidon. Couvertures : Yvine Briolay.
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Ont contribué à ce numéro, dans l’ordre alphabétique : Anaïs Achard, Inès Amrani, Yvine Briolay, Clémentine Canu, Chloé-Alizée Clément, Lisa Fidon, Camille Giraud, Laureen Gressé-Denois, Bastien Hermouet, Sophie Leromain, Yann Koebel, Yohan Mainguy, Salomé Moulain, Ivane Payen, Déborah Philippe, Elise Poirey, Lise Thiérion, Morgane Vitcoq.
École du Louvre, Bureau des Élèves, Porte Jaujard, Place du Carrousel, 75038 Paris cedex 01 louvrboite.fr Tél. : +33 (0) 1 42 96 58 13. Courriel : journaledl@gmail.com Facebook : fb.com/louvrboite Twitter : @louvrboite Instagram : instagram.com/louvrboite ISSN 1969-9611. Dépôt légal : décembre 2017 Imprimé sur les presses de l’École du Louvre (France). Sauf mention contraire, © Louvr’Boîte et ses auteurs.
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Dans le ventre du monstre Yann Koebel Pointons du doigt le « monstre », créature somme de plusieurs animaux démembrés pour former un hybride. Le mot français désignant au XIIe siècle un prodige ou un miracle, le monstre s’incarne dans le monde médiéval où il est à la fois héritier de folklores régionaux et réceptacle des angoisses de nos ancêtres. En témoignent les nombreuses créatures qui peuplent les manuscrits médiévaux, griffons des lettrines, hydres des marges et autres saintes Marguerites qui ne cessent de se faire engloutir par le dragon depuis bientôt huit siècles.
Au premier siècle de notre ère, sainte Marthe profite de ses vacances dans le Sud de la France pour mettre sa race à la tarasque, qui sévissait dans les eaux sombres comme on peut le lire dans la Légende Dorée. Jacques de Voragine rapporte que, sur les berges du Rhône aux alentours de Nerluc (aujourd’hui Tarascon) rôdait une bête : « un dragon, moitié animal, moitié poisson, plus épais qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, avec des dents semblables à des épées et grosses comme des cornes, qui était armé de chaque côté de deux boucliers ; il se cachait dans
Sainte Marguerite avalée par le dragon, Live d’Heures, XIIIe siècle, Walters Art Museum, W.102, folio 30 (verso)
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Marthe promenant sa tarasque de compagnie, enluminure de Jean Poyer, Livre d’heures de Henry VIII, The Morgan Library and Museum, ca. 1500, Ms H.8, folio 191 (verso).
le fleuve d’où il ôtait la vie à tous les passants et submergeait les navires. ». La gueule grande ouverte, la tarasque avale ses victimes sans laisser de preuves : la bête concrétise ainsi une des angoisses médiévales, souvent liée à l’eau, celle de disparaître sans laisser de corps. Sans corps, comment mener à bien les rites funéraires chrétiens pour que le défunt puisse trouver sa voie vers l’au-delà sans encombre ? Au lieu de reposer en terre et souvent au sein des cimetières qui recréent la communauté, le défunt part sans laisser de trace ni relique pour honorer sa mémoire.
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Berceau du monstre, le milieu aquatique est une profondeur noire, plus souvent proche du marécage que de la mère nourricière. Ce milieu traduit en ce sens aussi l’angoisse de disparaitre à jamais, angoisse incarnée dans la figure du monstre dévorant et digérant sa proie. L’élément liquide,
dans lequel le monstre est roi d’un royaume marin ou fluvial, lorsqu’il est abordé dans son volume et non seulement dans sa surface, effraie par l’abîme qu’il dessine. On retrouve là un motif présent dans nombre de légendes populaires issues de la tradition orale : dans les affluents du Rhin rôde « l’homme au crochet », créature des marécages qui surgit de l’onde, crochète les enfants qui s’approchent trop près du bord pour les emporter au fond des eaux troubles ; on évite en contant ces récits que les enfants s’approchent trop près d’une eau qui pourrait les engloutir. Le thème de l’engloutissement, héritier de récits antédiluviens, rôde dans de nombreux mythes qui trouvent un succès considérable dans la première sculpture chrétienne et ce jusqu’à l’enluminure médiévale. On le trouve à l’œuvre dans le mythe
Animal de Jonas, où un « grand poisson » est dépêché par Dieu pour délier la langue du prophète (Dieu a ses méthodes que la méthode n’explique pas). Dans le mythe de Jonas comme dans bien d’autres mythes, le monstre surgit dans une mer agitée ou en pleine tempête : il est à la fois maître et incarnation des flots destructeurs, il est dans le cas de Jonas instrument d’une pénitence et non conséquence d’une damnation. Dans ce récit, le monstre est un « grand poisson », et non un monstre composite : il reste d’une même nature, celle du poisson. Cependant, la bête est parfois déformée pour devenir une créature mi-poisson mi-serpent comme on peut le voir sur les mosaïques de la cathédrale d’Aquilée, ou en monstre marin aux dents acérées proche du crocodile comme c’est le cas dans l’enluminure de la Bible de Guyart des Moulins. À de nombreux égards, ces représentations s’éloignent du texte
originel, où le « grand poisson » est invoqué par Dieu et non produit du mal. En dépit de la fidélité au texte biblique, on préfère donc parfois représenter Jonas avalé par un monstre qui cristallise les peurs médiévales ou actualise une angoisse millénaire pour mettre l’accent sur l’épreuve initiatique et la nécessité du repentir. Comme un appel à la fantaisie, on ne voit jamais le monstre marin que de façon fugitive. Le plus souvent, il ne se montre pas totalement, une partie de son corps reste submergée et inaccessible. Ce qui se dérobe à l’œil se soumet à l’imagination. Le monstre esquisse ainsi des lignes sur une page blanche et donne à l’esprit humain l’amorce d’un trait qui ne demande qu’à être continué par la fantaisie de chacun…
Jonas recraché par le grand poisson, Bible historiale T.2 de Guyart des Moulins, ca. XIIIe siècle, BnF, folio 406 verso.
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Hannibal ou comment cacher la bête qui est en nous
Salomé Moulain Il était un monstre dont on a tous déjà entendu parler. Il a eu beaucoup de visages, notamment celui d’Anthony Hopkins dans Le Silence des agneaux. Mais ici, c’est sous celui du magnétique Mads Mikkelsen (rappelez-vous, le méchant qui pleure des larmes de sang dans le James Bond Casino Royale !), que prend cette fois-ci vie notre cher Hannibal Lecter. Il n’a pas l’air fou au premier abord. Il est bien habillé, il est même plutôt classe, il parle bien, il peut parfois être gentil et attentionné. Surtout, il pourrait être un ami. Et en plus il est psychiatre. Il est aussi vraiment intelligent, il aime les belles et bonnes choses, la cuisine par exemple. Il est très féru de viande, et même celle humaine. Oui, Hannibal est un cannibale. Hannibal est une série qui pourrait vraiment vous donner des envies de devenir végétarien. Il s’agit d’une création de Bryan Fuller, dont on a récemment entendu parler pour la série American Gods sortie cette année. Ces deux séries ont en commun une esthétique qui frôle la création
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artistique. Un sens de la photographie se fait percevoir dans des plans ralentis et très graphiques qui apportent une certaine beauté mêlée d’étrangeté. De l’étrange, on en trouve dans toute la série.
Animal Hannibal, avant d’être enfermé dans l’aile de l’asile réservée aux psychopathes sévères, était un psychiatre renommé et respecté. C’est cette histoire-ci qui est relatée dans la série. Mais penchons-nous davantage sur le personnage de Will Graham, le protagoniste principal de l’intrigue. Personnage particulièrement névrosé, un brin autiste, il assiste le FBI en tant que profileur grâce à ses capacités hyper-développées qui consistent à pouvoir reconstituer les crimes violents en se mettant à penser comme les tueurs. Malheureusement, une telle aptitude ne vient pas sans quelques tares. Ce jeune homme, difficilement sociable, éprouve donc une grande difficulté à supporter les horreurs et les violences qu’il réalise dans sa tête et se force à ressentir. Et devinez qui vient pour
l’aider dans sa tâche ? Le gentil psychiatre Hannibal. C’est là qu’on remarque le cercle vicieux et très malsain de cette série. Peuplée de psychiatres analysant les faits et gestes des uns et des autres, l’histoire tourne autour de la relation assez perturbante et particulière entre le jeune profileur et son psychiatre qui mange secrètement des gens. Will est hanté par des visions sombres et cauchemardesques qui ressortent de ses enquêtes. Un cerf notamment, dont il était question dans sa première enquête, ressurgit constamment dans ses rêves éveillés. Cet animal semble incarner sa folie-même, il apparaît et disparaît sans jamais qu’on ne sache s’il le guide ou s’il le perd. Il ponctue la lente descente vers la folie qu’effectue Will. Toutes ses hantises sont retranscrites à l’écran tandis que Hannibal, le vrai psychopathe, est celui dont rien ne transparaît. Stoïque la plupart du temps, il reste impassible et ne montre sa vraie nature, bestiale et violente, que très rarement et de façon souvent très maîtrisée. Toujours bien habillé, poli et social, Hannibal a des attitudes bien humaines, et même plutôt maniérées, même si son calme et son sang-froid en deviennent glaçants et extrêmement glauques sachant ce qui se cache derrière ce masque. On le voit d’ailleurs très souvent faire la cuisine (mais très peu tuer des gens paradoxalement), et le plus déstabilisant, c’est qu’il invite vraiment beaucoup de monde à manger chez lui. Cette pulsion bestiale à vouloir manger
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Animal de la viande humaine est complètement occultée par les manières d’Hannibal, propres et très appliquées. Il cuisine avec sophistication et savoir-faire et ses convives ne tarissent jamais d’éloge sur ses repas, ce qui fait généralement grincer le spectateur des dents, d’autant plus que Hannibal n’hésite jamais à se permettre quelques sousentendus où allusions assez subtiles. Ainsi le monstre se trouve à la vue de tous et pourtant reste invisible, gibier devenu chasseur tandis que le chasseur – Will – en devient son gibier, à sa merci par sa fragilité mentale qui, elle, est visible aux yeux de tous, même de ses collègues. Il se confie constamment à son psychiatre à propos de ses enquêtes, et Hannibal en profite pour alimenter son carnet de recette. Au lieu de se faire soigner, Will plonge petit à petit dans une folie, pleine de visions et de trous noirs. Un de ses seuls réconforts est de récupérer les bêtes perdues autour de sa maison, située dans un lieu nommé Wolf Trap (littéralement piège à loup) comme pour souligner la situation dans laquelle il est en train de s’embourber. Cette esthétique sombre et très léchée de la photographie offre une approche du crime très particulière. Dans cette unité des meurtres violents, toutes les scènes de crime s’apparentent à des œuvres d’art glauques et gores. Il est évident que les cœurs fragiles devraient s’abstenir de regarder une série aussi portée sur les corps mutilés et l’anthropophagie.
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Le corps humain, réel gibier, remplace l’animal et est présenté sous toutes les formes possibles, du plat cuisiné à la présentation très soignée par Hannibal à l’utilisation de boyaux comme cordes de violons. Le meurtre se présente même comme un artisanat anonyme qu’il est nécessaire de répéter, d’expérimenter et bien sûr de mettre en valeur à la vue de tous sans qu’on ne sache qui en est l’auteur. En somme, la cuisine est pour Hannibal une façon d’assouvir les pulsions qui l’animent – et d’en faire profiter tout le monde bien sûr – sans pour autant dévoiler la bête qui est en lui.
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Le calendrier chinois,
ou le carnaval des animaux oriental Chloé-Alizée Clément Féru de culture asiatique, d’astrologie ou aucun des deux, on a tous un jour cherché notre signe chinois. Les plus chanceux avaient le droit à un signe plutôt classe comme le dragon ou le tigre (de quoi briller dans la cour de récré), ou moins peut-être moins attrayant le coq, le rat ou le cochon. Mais il est plus rare de s’être intéressé à l’origine de l’existence de ces signes : le calendrier chinois.
Même s’il a perdu son caractère sacré aux yeux de la plupart depuis l’adoption du calendrier grégorien en 1912 par la Chine, les références au calendrier chinois et les festivités qui lui sont liées restent des traditions profondément ancrées dans la culture du Pays du Milieu et au-delà. Par exemple, le fameux Nouvel An chinois est aujourd’hui une pratique de plus en plus courante en France : si elle a tout d’abord été instaurée par les immigrés asiatiques, elle est grâce aux échanges culturels petit à petit entrée dans notre quotidien et il n’est pas rare de voir des célébrations à cette époque de l’année dans les China Town (comme le 13e arrondissement pour ne citer que lui), ou même parfois par les villes dans leur ensemble. La date de ce Nouvel An découle directement du complexe système calendaire chinois : il existe un grand nombre de calendriers se basant sur des éléments comme la durée des journées, les phénomènes agricoles ou encore la longueur des ombres. Mais la tradition la plus commune prend surtout en compte les mouvements du soleil et de la lune : c’est pour cela que le calendrier chinois est dit « Soli-lunaire ». D’après la légende, ce serait l’Empereur Jaune Huáng Dì, un des pères fondateurs de la civilisation chinoise, qui aurait initié ce premier calendrier. L’an 1 correspondrait à l’année de sa conception et à l’an 2697 avant notre ère.
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Animal Bien entendu, le fonctionnement du calendrier a évolué depuis cette date lointaine, mais il se fonde toujours sur le fait qu’une année est constituée de 12 mois lunaires. Étant donné que leur durée est plus courte que celle d’un mois dans notre calendrier grégorien, les années du calendrier chinois sont légèrement plus courtes que les nôtres de quelques jours. Rien de grave apparemment, mais comme disait l’autre « petites choses, grandes conséquences » : au bout d’un moment, le décalage avec les observations astronomiques et naturelles devient trop important, et les chinois sont contraints de rajouter un mois supplémentaire à leur calendrier pour se rapprocher de la durée exacte d’une révolution de la terre autour du soleil (un peu comme nos années bissextiles, mais version hardcore). Pour vous donner un ordre d’idée, le décalage est tel il y a en général un mois supplémentaire tous les deux ou trois ans, et ce depuis l’époque des Royaumes Combattants au Ve siècle avant notre ère. Ça va, je ne vous ai pas tous perdus ? Alors revenons à notre Empereur. Philosophie asiat’ oblige, tout existe sous forme cyclique, on peut par exemple parler de l’éternel retour du printemps après l’hiver (et des examens (oups)). C’est pour cela que les années sont regroupées par cycles de soixante (divisés eux-mêmes en différents sous cycles car pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?). Actuellement, nous sommes au 79e cycle.
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Autre caractéristique instaurée cette fois par ce cher Qin Shihuangdi (pour le plaisir d’écrire son nom ici) alias le premier empereur, le solstice d’Hiver tombe toujours le onzième mois du calendrier, mais pas à une date fixe puisque nous sommes, comme expliqué précédemment, dans un système soli-lunaire… C’est d’ailleurs pour la même raison que le nouvel an chinois a toujours lieu entre le 21 janvier
et le 21 février. Ce principe est repris par les Han, et c’est le calendrier du « Grand commencement » initié par l’empereur Han Wudi (le même qui est à l’origine de l’ouverture des Routes de la Soie) qui est la référence principale du calendrier chinois encore aujourd’hui. Enfin, l’heure officielle de la nouvelle lune marquant le début d’un nouveau mois correspond traditionnellement à l’heure relevée à l’observatoire de la Montagne Pourpre près de Nankin, qui est encore en activité aujourd’hui. Fermons cette page « caractéristiques formelles », et voyons plutôt ce qui nous intéresse dans ce numéro : la présence des animaux dans le calendrier chinois. Il est notoriété commune que chaque année est placée sous un signe animalier particulier, mais les mois et même les heures le sont tout autant ! Cette coutume trouverait son origine dans une légende liée au tout premier Bouddha.
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On raconte qu’il aurait convoqué tous les animaux la veille du Nouvel An, et que douze se seraient présenté : le rat, le bœuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, la chèvre, le singe, le coq, le loup 2.0, puis le cochon (leur identité peut varier légèrement). Bouddha, pour les remercier de leur venue, leur accorde des bénéfices chacun leur tour durant un an dans l’ordre de leur arrivée, en commençant par le rat. Petite anecdote, on raconte que le rat aurait menti à Hello Kitty sur l’heure du rassemblement, et celui-ci étant arrivé treizième n’eut pas la possibilité de recevoir des bénéfices (d’où l’éternelle querelle entre le Maneki Neko vivant et la souris). Cet ordre correspond aussi aux associations des animaux aux mois, (le rat étant le signe du onzième donc le mois du solstice d’hiver) et à celui des signes horaires. Cette combinaison est étroitement liée à la mythologie : chaque animal possède d’après les légendes des caractéristiques
qui lui sont propres. Ainsi, le lièvre est casanier, le singe est acrobate, le cheval est libre… En plus de cette association d’un animal à une année, l’astrologie chinoise associe chaque année à diverses notions parmi lesquelles les éléments (eau, feu, terre, air, métal), le Yin et le Yang et beaucoup de numérologie. Tout cela permet aux astrologues de prédire l’avenir, de déterminer les bonnes et les mauvaises périodes pour récolter ou accomplir des actes clé dans la vie. Pour donner un exemple, nous sommes cette année sous le signe du coq de feu. Pour découvrir votre signe chinois et les notions qui lui correspondent, vous pouvez utiliser le disque ci-contre en trouvant votre année de naissance ! Rendez-vous le 16 février pour célébrer le Nouvel An chinois ou Lumière, qui met en 2018 à l’honneur Sirius Black et ses compères !
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Les Nouveaux Animaux de Compagnie
Inès Amrani
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Aussi connus sous l’acronyme N. A. C., ces animaux exotiques ou plus banals sont de plus en plus appréciés et demandés, tant par les familles avec enfants que par les curieux, les gens en quête de frisson ou encore d’attention. Je précise que le filtre canin snapchat dont vous êtes inséparable ne compte pas comme animal de compagnie, juste au cas où... Les N. A. C. sont définis comme une « espèce animale exotique ou sauvage commercialisée pour vivre dans un entourage domestique » (Larousse.fr). Le cochon d’Inde est considéré comme un N. A. C., tout comme les boas, les iguanes, les rats et souris, les araignées, les bernardl’hermite ou les fennecs. Le canari et le toucan, le poisson rouge, le piranha
et l’esturgeon, sont tous considérés comme tels, ainsi que l’axolotl (à prononcer... euh en fait non contentez vous de le lire dans votre tête). Certains sont aujourd’hui totalement banalisés comme le lapin ou le hamster, tandis que d’autres comme les crocodiles ou les mygales restent dans l’esprit collectif des animaux sauvages inspirant la crainte et donc à priori improbables en tant qu’animaux de compagnie. Mais avant de vous ruer vers la bouche de métro la plus proche pour y adopter un rat (que vous nommerez sûrement Ratatouille en plus #nooffense), il faut savoir ce que posséder un N. A. C. implique. Tout d’abord il faut recréer son environnement naturel, parfois tropical, contrôler la température, la luminosité, l’espace disponible, la salinité de l’eau, les courants d’air, ... À côté la conservation d’œuvres d’art c’est une partie de plaisir (en plus pas besoin de changer la litière du vase grec tous les deux jours) ! Il faut respecter son régime alimentaire, ce qui est facile avec des croquettes mais un peu moins quand il vous faudra trouver des insectes et des poissons vivants, ou encore de petits mammifères à donner à votre charmant
Animal python de compagnie ! Sans compter les animaux nocturnes qui s’amusent alors que vous essayez de dormir. Parce que quand vos souris décident que deux heures du matin est décidément un bon timing pour faire de la roue, il faut assumer... De plus, tous les vétérinaires parisiens ne sont peut être pas formés à s’occuper d’un crocodile. Certains N. A. C. peuvent également présenter des risques, tant pour l’Homme que pour l’environnement local. En France, il est nécessaire de posséder un certificat de capacités pour obtenir la garde de certains animaux. En effet, les morsures et piqûres peuvent être venimeuses, notamment chez certains serpents ou araignées, ou provoquer des infections comme c’est le cas pour le crocodile par exemple. Plus innocente à première vue, la tortue d’Hermann transmet en fait la salmonellose et les écureuils de Corée sont vecteurs de la maladie de Lyme. La transmission d’infections animales à l’Homme est ce que l’on appelle une zoonose (#wiserthanonelineago). Mais ne vous inquiétez pas, il est tout de même peu probable que vous tombiez sur un cobra ou un scorpion échappé des antiquités égyptiennes au détour d’un TDO.
Vis-à-vis de l’environnement, les risques présentés par les N. A. C. sont en réalité surtout dus aux humains qui relâchent illégalement dans la nature leurs animaux qui peuvent alors former une population entière pouvant devenir sauvage ou quasiment : c’est le marronnage. Exportées de leur pays d’origine pour finalement être relâchées dans un environnement qui ne les a jamais vu, certaines espèces étrangères peuvent devenir un véritable fléau pour les populations endémiques. C’est pourquoi il existe un organisme, la C. I. T. E. S. (Convention on International Trade of Endangered Species), qui réglemente les activités commerciales concernant les N. A. C. et met en place des permis et des quotas d’exportation. Cinq mille huit cent espèces animales sont ainsi protégées de la surexploitation commerciale, pour ce qui est du commerce légal tout du moins. Le but de cette organisation est également de préserver les espèces menacées ou victimes du braconnage. En effet, de nombreuses espèces, 14
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dont un nombre important est protégé, sont braconnées pour êtres vendues à l’étranger. Ce commerce illégal est selon l’Organisation Mondiale des Douanes l’un des plus lucratifs après les stupéfiants et les armes (un cobra ou une veuve noire d’attaque ça a de la gueule). Beaucoup d’animaux meurent pendant les campagnes de braconnage puis pendant leur importation illégale, qui s’effectue dans des conditions déplorables : les lézards, par exemple, sont cachés dans des chaussettes fourrées au fond d’une valise pour attirer le moins possible l’attention des douanes (#dirtylaundry).
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Les législations nationales concernant la protection des animaux, domestiques ou pas, posent également des règles censées garantir leur bien-être. Ainsi, selon la loi française « les installations et le mode de fonctionnement de l’élevage d’agrément (particulier possédant un N. A. C.) doivent garantir la satisfaction des besoins biologiques de l’animal et
de son bien-être ». Le propriétaire est également tenu de nourrir, de soigner et de donner un abri à son animal et il lui est « interdit d’infliger des mauvais traitements envers tout type d’animal (domestique ou pas, soumis ou pas à autorisation) ». Les peines sont variables selon les sévices subits par l’animal et peuvent aller de 450 euros d’amende pour atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de l’animal (15 000 euros si l’atteinte est volontaire et 30 000 si récidive) à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende en cas d’abandon ou d’actes de cruauté. Ces lois garantissent aux animaux un certain bien-être mais il ne faut pas oublier que la grande majorité d’entre eux sont sauvages et faits pour vivre en totale liberté dans un milieu auquel leur évolution naturelle les a parfaitement adaptés à vivre, en liberté (#bringbacknickyminaj #anaconda). Bon alors qui se sent d’adopter un Sugar glider* !? *Marsupial d’Océanie qui plane d’arbre en arbre et a donc besoin d’un grand espace de jeu rempli de branches. Il vit mieux en groupe et la nuit. Bonus : il aime bien les insectes.
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Le requin : Expectation
Sarah Ecalard En ce moment, il ne fait pas beau, on va pas se mentir. On ne peut pas mettre le nez dehors sans avoir au moins trois couches de vêtements sur soi et on devient ainsi une stratigraphie de soi-même (tant qu’à faire des études d’archéo, autant aller jusqu’au bout). C’est pourquoi ce mois-ci, il est temps de vous amener un peu de sunlight des tropiques, du peps, des summer mojitos. Par exemple, moi, cet été, j’étais en Corse. C’est beau la Corse. Mettez-vous à ma place : vous êtes littéralement en train de fondre sous le soleil et une étendue d’eau turquoise absolument idyllique vous tend les bras. Vous courez comme un enfant dans les vagues mais soudain, vous vous arrêtez net. Pourquoi ? Une petite musique agaçante tourne dans votre tête. Quelle importance, me direz-vous ? Ce n’est pas n’importe quelle musique : c’est celle des Dents de la mer,
film réalisé par Steven Spielberg et dont la musique immédiatement reconnaissable fut composée par John Williams. Ce n’est qu’une musique, penserez-vous, une moue de mépris se dessinant sur votre visage. Et pourtant, la simple pensée de cet air vous fait sortir de l’eau dare-dare en hurlant comme une gonzesse. Vous savez dorénavant où je veux en venir : je vous parlerai bien aujourd’hui de ma phobie la plus viscérale (qui est également celle, je pense, de beaucoup de personnes) : le requin. La réputation de ce seigneur des mers n’est plus à faire : un véritable monstre, dont la taille n’a d’égale que la férocité, prêt à bondir des abysses tous crocs dehors pour vous engloutir, et ce dans d’atroces souffrances, bien entendu. Le nom même de cet animal semble le condamner à cette description. En effet, certains étymologistes rapprochent le mot « requin » du mot « requiem ». Le rapprochement est clair : face à cet animal, vous n’avez plus qu’à faire votre prière. Déjà au XVIIe siècle, PierreDaniel Huet écrivait : « poisson très dangereux, ainsi nommé parce que, quand il saisit un homme, il ne lâche jamais sa prise et il ne reste plus qu’à faire chanter le requiem pour le repos de l’âme de cet homme-là ». Ainsi, pas de doute : dès qu’un requin voit un homme, il se jette sur 16 lui, le met en pièces et l’éparpille
Animal
VS Reality aux quatre coins de Paris par petits bouts, façon puzzle. On pourrait penser qu’à cette époque, la biologie et les sciences du comportement animal n’étant pas très avancées, l’incompréhension et l’ignorance faisaient naître la peur. Ainsi, quand des naturalistes du XVIIIe siècle décrivirent les différentes espèces de requins et leur biologie : youpi ! On aurait pu penser que cette rationalisation irait de pair avec une dédiabolisation de la bête, d’autant plus qu’avec le temps et les progrès de la science, on en arriverait, pense-t-on, à considérer le requin comme un poisson comme un autre. Seulement, notre siècle a vu naître des petits malins qui estiment qu’il est encore un peu tôt pour considérer le requin comme un animal lambda (tout de même, faut pas déconner, un requin qui tue, c’est vendeur). À commencer par le roman de Peter Benchley, mondialement connu : Jaws, littéralement « Mâchoires » mais magnifiquement traduit en français par Les dents de la mer. Bien sûr, on connaît mieux le film que le livre, ce blockbuster qui a explosé le box-office et surtout traumatisé toute une génération de baigneurs (dont moi).
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Je ne parlerai ici que du premier film de la tétralogie (les trois derniers sont nuls à ch***). Dans l’œuvre de Spielberg, tout est là : la musique imparable, le suspense insoutenable créé par une bête suggérée plutôt que dévoilée, un anthropomorphisme prêtant au monstre
une détermination et un acharnement féroce, n’abandonnant jamais sa proie tant qu’elle n’est pas au fond de son estomac. Tant d’éléments criant au spectateur : « il est là, il vous attend, même à 30cm du bord. Un moyen pour s’en débarrasser : tous les tuer ». Bien sûr, c’est un film et il faudrait être sacrément con pour prendre au pied de la lettre tout ce qui est dit dedans. Mais nous sommes tous cons et le requin étant victime de sa sale gueule, nous sommes tous forcés de prendre ces images pour argent comptant, même si elles sont délétères. Le film Les dents de la mer marque ainsi le début d’une longue série de films de requins au chiffre d’affaires florissant. Parmi eux : The Reef, racontant une virée dans l’océan entre amis qui va tourner au cauchemar suite à un naufrage (et qui est je l’admets, un des plus convaincants du genre) ; le nullissime Instinct de survie, où une Barbie un peu con-con se fait harceler par un requin de 10m (sachant que la taille maximale d’un grand requin blanc est de
Animal 7m, ce qui est déjà un beau bébé) ; et le tout récent et assez surprenant 47 meters down, mettant en scène deux sœurs voulant plonger en cage pour observer les requins. Seulement là, on passe un cap : le câble retenant la cage lâche, entraînant les filles à 47m de profondeur et c’est le drame. Ce dernier film, bien loin de tempérer la nature prédatrice des requins, va encore plus loin dans la psychose, en installant maintenant la peur que même dans une cage, on n’est pas en sécurité (vous vous rendez compte Mme Michaud ? On n’est en sécurité nulle part !). À quand un film montrant le requin tel qu’il est ? Surtout que c’est toujours la même espèce de requin qui est choisie par l’industrie du cinéma : le grand requin blanc, roi des requins. Ainsi, par son biais, on nous affirme que tous les requins sont dangereux. Breaking News : c’est totalement bidon. Cela dépend des espèces et généralement, le requin est un animal méfiant. Je parlais plus haut des espèces : pour commencer, le grand blanc n’attaque que de manière épisodique et surtout très rarement. Mais bon, il est gros, il est pas beau, il plaît pas aux filles donc on le met en scène comme le Voldemort de la mer (je suis très fière de cette comparaison). On en oublie ses cousins, bien plus agressifs que lui : le requin tigre et le requin bouledogue. Le premier est plus beau avec ses écailles tigrées, l’autre plus petit donc on ne se méfie pas. Pourtant, quitte à se méfier des requins, ce sont ces deux-là qu’il faut surveiller (pensez-y). Ainsi, les requins c’est comme les humains : ce n’est pas parce que des gens vous disent qu’une certaine espèce est sanguinaire et barbare et qu’elle vous fait peur qu’il faut y croire.
C’est cette erreur de jugement qui conduit au massacre des requins, notamment par l’industrie agroalimentaire. En effet, les bateaux asiatiques sillonnent les mers à la recherche des animaux, les pêchent pour prélever leur aileron et rejettent leurs corps mutilés encore vivants à la mer. Souvent, les spécimens ne survivent pas, faisant des requins une espèce en voie d’extinction. Mais face aux films qui nous ont appris à avoir peur de la bête, comment s’émouvoir d’un traitement aussi atroce ? Pourquoi médiatiser cette boucherie ? Le requin est ainsi tué par deux industries à la fois : le cinéma et l’alimentaire. Ainsi, la prochaine fois que vous voyez un film de requins, je vous encourage à réfléchir à une autre signification que celle qui nous est le plus souvent servie. Notre confort moderne, nos acquis technologiques semblent être des progrès mais ne font en réalité qu’exacerber la rupture entre l’homme et la nature. Notre angoisse face à l’inconnu et à la puissance de la nature crée une angoisse pouvant mener au radicalisme, nous conduisant à une fuite en avant visant à tout contrôler et tout aseptiser. Mais de temps en temps, Mère Nature se manifeste, toutes dents dehors, nous rappelant qu’elle peut donner mais aussi reprendre et nous enjoint alors à une certaine humilité face à elle. Face à la surpêche et à la pollution, comment pourrions-nous lui en vouloir ?
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Animal
Miyazaki, créateur de
bestiaire extraordinaire
Salomé Moulain Nous avions déjà discuté de la question végétale dans l’immensité abyssale qu’est la création de ce cher M. Miyazaki, alors portons-nous cette foisci sur le thème de l’animal. La nature faisant partie intégrante de son œuvre, on n’est pas étonné de retrouver un très grand nombre d’animaux dans ses films. En lien très étroit avec le végétal évidemment, l’animal incarne une beauté très particulière de la nature. À l’opposé de l’immobile végétation des forêts qu’on voit dans Princesse Mononoké et Mon voisin Totoro, la faune est en mouvement et réagit aux actions humaines de façon beaucoup plus immédiate. On se souvient des singes aux yeux rouges flippants de Princesse Mononoké. Encore une fois, ces œuvres montrent toutes la volonté d’une harmonie entre humains et animaux. Ce bestiaire se manifeste de façons assez diverses.
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On a d’un côté les animaux, en tant qu’animaux, comme la horde de poissons de Ponyo sur la falaise, l’adorable petite bestiole Teto qui accompagne Nausicaä ou encore la petite boule de poil noire Jiji aux grands yeux ronds qui ne quitte jamais Kiki la petite sorcière. Ils symbolisent surtout cette symbiose avec la nature, cette amitié profonde qui existe entre humains et animaux, ainsi que la fidélité. Ces bêtes ne sont pas là pour être domptées mais pour soutenir, guider ou protéger les humains afin que eux-mêmes à leur tour protègent leur monde. Ils sont présents en tant qu’égaux de l’être humain. Il n’y a aucune supériorité par rapport à eux, ils paraissent même parfois beaucoup plus puissants, rappelons nous les Ômus en colère prêts à détruire la Vallée du Vent, qu’il est donc nécessaire d’apaiser et non de tuer. Ces animaux communiquent avec leurs partenaires, soit par la parole comme Jiji ou simplement par leur émotion comme chez les Ômus dont les yeux virent au rouge lorsqu’ils ne sont pas contents. Parfois, ils peuvent communiquer en langue humaine, mais c’est souvent par le fait de la magie. Sinon, c’est plutôt dans leur propre langage qu’ils communiquent, et seuls quelques uns sont capables de les comprendre, Nausicaä notamment est l’élue destinée à faire la transition entre les deux mondes. Contrairement aux films
Animal de Disney, les animaux représentés chez Miyazaki ne sont pas uniquement une personnification animale de l’être humain, mais des animaux à part entière. Il n’adoptent pas le mode de vie, le parler, la manière de marcher de l’être humain. Ce qu’on retrouve dans tous ces animaux, c’est qu’ils sont dotés d’une âme et d’une façon de penser qui leur est propre et incite à un certain respect. Nausicaä, par exemple, demande pardon aux insectes pour les avoir dérangé dans la forêt. Il est intéressant de remarquer que les rapports entre humains et animaux sont soit complémentaires (Nausicaä et Teto, Kiki et Jiji, Ashitaka et Yakuru), soit conflictuels : les animaux de la forêt contre les gens de la forge (Princesse Mononoké), l’armée contre les Ômus (Nausicaä de la Vallée du Vent). Le génie de Miyazaki intervient également à travers les multiples animaux imaginaires. Vous ne l’aviez peut-être pas réalisé mais nombre de ces animaux sont des mélanges, le yak/bouquetin Yakuru, fidèle destrier du beau Ashitaka dans Princesse Mononoké ou le renard/écureuil Teto, compagnon si mignon de Nausicaä. Parfois, le monde humain, paradoxalement à l’idée principale,
devient trop insupportable ; c’est pourquoi certains personnages préfèrent largement s’abandonner au monde animal. Ainsi Fujimoto, le père de Ponyo, s’isole dans le monde sous-marin et n’est entouré que d’animaux marins. Il refuse même que sa fille rejoigne le monde terrestre, considérant les humains comme répugnants.
Cette vision de la vie humaine dégoûtante, est surtout développée dans Le Voyage de Chihiro – film relativement perturbant, on l’accorde – qui se déroule dans le monde des esprits où les humains sont considérés comme des êtres abjects et repoussants. Porco Rosso, du film éponyme, est un humain qui a préféré se transformer lui même en cochon plutôt que de rester dans le monde des hommes ravagé par la guerre, ayant perdu sa foi en l’humanité (il s’agit bien sûr d’une analyse personnelle puisque cela n’est jamais précisé dans le film). Ce film raconte l’histoire de l’aviateur italien Marco Rosso (devenu Porco, parce que vous l’avez compris, c’est un cochon), après la guerre dans les années 1920. Victime d’un malédiction mystérieuse qui l’a transformé en cochon, il vit isolé sur une île déserte, mais va tout de même sauver la veuve et l’orphelin contre de l’argent. Il dit lui même ne plus se sentir concerné par le monde des humains. Cette transformation est surtout un moyen assez simple pour truffer le film de jeux de mots tels que « Je vais en faire des rillettes de ce cochon » ou se plaindre
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Animal de « donner de la confiture aux cochons » quand l’aviateur embarque une jeune et mignonne mécanicienne avec lui. Le film lui même est un jeu de mot, sachant qu’en anglais When pigs fly, qui signifie quand les cochons voleront, est l’équivalent de notre expression quand les poules auront des dents. En parlant de cochon, on se souvient tous de nos yeux brillants d’appétit devant les soupes agrémentées de tranches de jambons et d’œufs dans Ponyo, de la tourte au hareng de Kiki ou du ragoût de Sheeta. La nourriture cuisinée rythme les films de Miyazaki de manière régulière et permet de rassembler ses personnages. La scène la plus marquante – je dirais même traumatisante pour certains toujours ancrée dans notre mémoire, restera le gavage des parents de Chihiro tout en se transformant en cochons au début du film, marquant le passage entre les deux mondes, celui des humains et celui des esprits. On en vient donc à notre dernier type de représentation, celui des animaux en tant qu’esprits et divinités, entités, qui sont en très grand nombre dans les œuvres de Miyazaki. Totoro, grand esprit de la forêt, Moro, la mère de la princesse Mononoké, déesse louve, et bien sûr,
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la quasi intégralité des personnages du Voyage de Chihiro, esprits à forme animales, grenouilles, cochons, bêtes étranges, etc. Ces incarnations expriment un monde invisible et en même temps présent dans le monde humain, qu’on ne comprend habituellement pas. S’y ajoutent des animaux imaginaires comme le dragon Haku qui peut également avoir forme humaine. Parmi eux de nombreuses divinités protectrices : Totoro et son pelage fantastique en est devenu un emblème, il s’agit également d’un des seuls dieux dont le côté obscur, diraiton, n’est pas montré. Le plus fascinant aura probablement été le dieu-cerf de la forêt de Mononoké, à moitié effrayant, doté d’un visage humain. Les petits sylvains de cette même forêt ne font peut-être pas vraiment partie de la faune mais ont tout de même un aspect très animalier par leur comportement étrange et observateur. Enfin le plus aimé de tous, qu’on a toujours rêvé d’avoir comme transport en commun, restera cet animal étrange, bus de nuit (un noctilien !) dont les yeux sont des phares et au sourire mi-flippant mi-hilarant. Sorte de mille-pattes à fourrure rayée dont l’intérieur moelleux et cosy accueille les petites filles perdues comme Mei, pour retourner chez elles en parcourant les lignes de haute tension à travers les champs, dans des bourrasques de vent à en faire pâlir Éole.
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Un éléphant, ça trompe énormément Jeanne Spiret Soyons honnêtes. Entre nous, qui n’a jamais rêvé de savoir se servir de sa trompe aussi bien que l’éléphant en est capable ? Trêve de plaisanteries, parlons peu parlons d’oreilles. Il est temps d’évoquer en ces lignes un animal trop méconnu. Notre ami l’éléphant bénéficie, certes, d’un intérêt continu, mais victime de son succès, il fut et est malheureusement trop souvent utilisé ou maltraité. Pensons par exemple au grand nombre d’expériences menées sur cet animal, à qui on apprend, entre autres, à peindre avec sa trompe pour le plaisir des réseaux sociaux, de sa domestication bien trop violente pour la satisfaction des touristes dans de nombreux pays d’Asie ou encore de son utilisation insensée dans des numéros de cirque. Mais que l’on ne s’écarte pas, le but de cet article ne réside pas dans l’exposition de ces pratiques ni dans leur critique. Tentons plutôt de rendre sa majestuosité, à l’éléphant. Longue vie et gloire à lui ! Que ses oreilles soient petites ou bien qu’elles se rapprochent de celles de ce cher Dumbo, les sens de cet animal en restent toujours exceptionnels. Eh oui,
l’éléphant dépasse la plupart des autres animaux, humain y compris, dans la perception de son environnement. Seule la vue de cet animal s’avère plus faible, à cause de la petite taille de ses yeux, mais la lenteur de sa marche lui confère une vision très élargie de son environnement. Il possède néanmoins une ouïe bien meilleure que tous les autres grâce à ses grandes oreilles, bien entendu. Son odorat est également sans faille, parmi les meilleurs tous animaux confondus. Les éléphants peuvent détecter une grande variété d’odeurs. Son toucher est également favorisé par sa trompe. Sans oublier sa légendaire mémoire, notamment en ce qui concerne les visages qu’il rencontre, qui se montre réellement impressionnante. Il est également un très bon communiquant et même télépathe, grâce à son barrissement puissant, et arriverait même à recevoir et envoyer des messages à ses congénères sur de très longues distances. Sa démarche pouvant d’un premier abord apparaître assez lourde et son corps massif, elle est toutefois harmonieuse. L’éléphant dégage ainsi une certaine sérénité, et se meut avec amplitude et grâce. Ces caractéristiques rendent sa beauté unique, d’autant plus qu’il n’utilise en aucun cas sa force
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Animal naturelle à mauvais escient, en voulant attaquer ses semblables ou autres animaux. Cet animal témoigne même d’une grande solidarité envers les autres, avec une très forte importance donnée au clan. Il restera toujours loyal envers tous ses membres et se montrera aidant et respectueux même envers les plus faibles du groupe (ce qui est rarement le cas dans le monde animal). Que de qualités ! Certains d’entre vous crieront peutêtre à la discrimination si son double des profondeurs ne trouve pas sa place dans cet article. Par souci d’exhaustivité (partielle), saluons donc le légendaire charisme ainsi que l’obsession pour les rapports sexuels (pas tellement consentis bien sûr) de son cousin éléphant de mer. Notons qu’il ne partage avec lui que son aspect plutôt massif, sa couleur ainsi que le fait qu’il soit doté d’une trompe. Qu’il soit gris ou bien qu’il soit bleu, toutes ces qualités indéniables confèrent donc à l’éléphant un certain pouvoir naturel, et c’est pour cela que le pachyderme est souvent considéré comme un symbole de grandeur et de majesté.
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Son attitude, assez lourde et lente peut ainsi métaphoriquement représenter la conscience, qui se construit en franchissant les différentes étapes, un pas après l’autre. Sa lenteur lui évite de faire demi-tour et il ne stoppe ainsi jamais la progression dans son parcours. Il suit son chemin de manière sereine et harmonieuse, et cela favorise également sa longévité. L’éléphant est par ce fait garant de la patience nécessaire à l’évolution de soi et à l’avancement de l’âme (si théorie dualiste acceptée) vers une certaine sagesse. Suivant cette métaphore, il peut être considéré comme animal totem par certains. Il nous invite alors à ouvrir notre champ de conscience
et à maîtriser la force de nos énergies afin d’obtenir une certaine harmonie et un équilibre. L’homme doit alors prendre sa place sur Terre mais sans écraser les autres, en restant respectueux envers eux et en toute simplicité. On se doit de souligner que cet animal continue très régulièrement à bénéficier d’un intérêt (plutôt commercial mais appréciable tout de même) chez nous, les Hommes. Bon nombre de bijoux, d’objets de décoration ou encore vêtements sont à son effigie dans les magasins et concepts stores notamment. Une vraie star !
Plus sérieusement, notre cher mammifère grisonnant est apprécié par de nombreuses cultures et religions et symbolise parfois beaucoup pour certaines d’entre elles. Dans la symbolique occidentale comme orientale, l’éléphant est associé à la mémoire, la sagesse, la longévité, la prospérité, la bienveillance. Dans le folklore africain, l’éléphant tient le rôle du père, du chef des animaux. L’éléphant est, dans la mythologie hindoue, symbole de paix et de prospérité mais également de puissance mentale. Celle-ci doit néanmoins être totalement maîtrisée car à cause de sa force, l’animal pourrait causer beaucoup de dégâts si elle n’est pas contrôlée.
Animal Ainsi, on représente de manière claire l’importance de cette étape: l’éléphant est représenté gris lorsque l’esprit n’est pas contrôlé et qu’il est alors susceptible de se laisser totalement emporter. Or, lorsque son esprit se trouve être maîtrisé, l’éléphant blanc sera représenté blanc. Celui-ci, fort et puissant, peut alors se diriger comme bon lui semble et en cheminant, défiant tous les obstacles avec une grande sérénité, sans colère ni panique. Les rares éléphants blancs sont sacrés, et les éléphants domestiqués et décorés aux couleurs des dieux bénissent les fidèles de leur trompe dans certains temples. Dans l’iconographie, cet animal peut être associé à Ganesh, dieu du savoir et de la sagesse. De plus, chaque dieu hindou chevauchant un animal, Indra, dieu des Orages et de la Bataille, et Agni, dieu du Feu, se déplacent à dos d’éléphant. Le pachyderme peut aussi avoir des significations culturelles dans différents pays d’Asie. En Inde par exemple, l’éléphant évoque la force, la puissance, l’orage à cause de la forme ronde et grise
des nuages de pluie. Au Laos, passer sous la trompe d’un éléphant permet d’acquérir ses attributs : force, longévité, fertilité et caractère sacré. Chaque année à l’occasion du nouvel an bouddhique, les cornacs laotiens organisent un baci ou soukhouan, cérémonie de rappel des âmes, pour leurs éléphants. Dans la symbolique chrétienne, l’éléphant symbolise le baptême, mais il peut également représenter la chasteté ainsi que la constance, la maîtrise de soi, la tempérance et la prudence. Puisque qu’en tant qu’Edelien, on ne peut évidemment pas se passer d’évoquer le domaine de l’art, cela va de soi de signaler la présence de notre animal fétiche dans bon nombre de représentations, de tous types, provenances et époques. Elles sont pour beaucoup liées aux différentes significations mentionnées auparavant. Quelle pérennité pour ce beau mammifère dans l’imaginaire collectif et ainsi, dans l’art ! Et peut-être qu’en usant de curiosité en partant à la recherche de quelques exemples de ces œuvres et en se penchant sur celles-ci, vous pourrez acquérir cette fameuse mémoire d’éléphant, si convoitée par tous les étudiants… Il existe d’ailleurs une « revue de culture générale » nommée… (suspense) … L’éléphant. En espérant ne pas avoir été maladroite comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, et que ce petit article à la faveur du beau pachyderme vous ait apporté plus d’informations sur celuici et vous ait été agréable ! Et si vous voulez continuer à explorer le territoire éléphantesque, le site Elefantasia est très intéressant et bien documenté. Pour conclure : Selon vous, les éléphants roses sont-ils réels ? (Continuez à être honnêtes, et avouez qu’ils sont au moins aussi importants que cette bonne vieille licorne).
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Quand l’Animal décrit l’Humain Bastien Hermouet
L’animal est un reflet de l’humain, sans cesse il nous fascine et nous tentons de nous définir à travers lui.
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Nombreux furent les qualificatifs animaux donnés à des rois et reines, dieux ou déesses. Rien que pour la monarchie française, on trouve Louis VIII le Lion et Louis XI, surnommé « l’universelle Aragne », les ducs et duchesses de Bretagne s’associaient à l’hermine et le fils de Napoléon est bien plus connu sous le nom d’Aiglon. Sur un autre plan, souvent un dieu ou une déesse est associé.e à un animal : Athéna et la chouette, Héra et le paon pour la Grèce, mais aucun panthéon n’est épargné. Le christianisme n’y échappe pas : la colombe du Saint-Esprit, l’agneau de Dieu, le perroquet de la Vierge et les animaux des quatre évangélistes. L’appel à l’Animal pour décrire est récurrent également pour le registre épique, et cela passe par l’attribution d’un trait de caractère spécifique à un animal particulier, le renard est rusé, la colombe pure, le lion royal et altier,
le serpent retors etc. Ce registre n’est pas uniquement laudatif. L’insulte passe aussi par l’animal : « grosse vache », « chacal », « vautour » sont quelques exemples fleuris de notre belle langue françoise. Les dessins de Charles Le Brun ou la représentation anthropomorphe d’animaux chez Disney relèvent de la même idée. L’utilisation de l’animal pour décrire un caractère est un procédé d’une grande force et plus subtil qu’on l’imagine. Le personnage animal anthropomorphisé peut porter une plus grande charge symbolique, puisqu’il reste malgré tout Autre.
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La pingrerie de Picsou, la colère de la Bête ou le fratricide de Scar sont extrêmes pour un public enfantin. Mais ces personnages restent justement des animaux avant tout pour ce dernier, permettant un message en miroir plus osé sur les comportements humains. L’Animal sert aussi à présenter ce qui serait un bon comportement, bon car naturel. Un des arguments les plus populaires des anti mariage pour tous était que l’homosexualité est une perversion humaine (entendre artificielle) car elle n’était pas présente chez les animaux, ce qui est d’ailleurs faux. Mais il faut ajouter que la diversité des comportements animaux ainsi que
ce qui guide leurs apparitions, la question de l’adaptation à un milieu, ne sont en aucun cas du ressort de la morale. Cet argument est d’ailleurs parfois utilisé à l’envers par ces mêmes catégories de penseurs : le comportement animal est celui qui est sale, primitif, sans contrôle, qui sort du domaine de la raison et donc de la civilisation. C’est tout le sens du mot « bestial » utilisé dans un contexte sexuel, on se sépare de ses inhibitions, de ses codes sociaux pour retrouver un prétendu instinct primaire, sauvage pour atteindre une plus grande intensité. Codifier, socialiser, c’est enlever l’aspect animal de nos comportements. On va ainsi utiliser des couverts pour ne
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plus avoir de contact tactile avec la nourriture, on s’habille, on s’épile et on rationalise la démarche et la gestuelle. Rien ne doit laisser penser un rapprochement avec les comportements animaux. Ce sont d’ailleurs ces mêmes arguments que l’on retrouvait pour parler des peuples non-blancs lors de la colonisation. Le « devoir de civilisation » imposait de les sortir de l’animalité que ce soit par l’évangélisation ou la conversion à la « raison occidentale » . La définition de ce qu’est l’Animal s’est donc reformulée tout au long de l’Histoire de la science et la philosophie. En effet, c’est par effet de miroir le premier critère permettant de définir l’humanité, de mettre en exergue notre spécificité à nous les humains, notre soidisante supériorité, ou du moins une différence fondamentale qui entraîne le refus de la bestialité chez l’Humain. Si une personne est bestiale, c’est qu’elle n’est pas véritablement humaine même si la biologie dit le contraire. Derrida pensait par exemple qu’Humain et Animal sont indissociables pour se définir mutuellement. Pour ce dernier d’ailleurs, dans le cadre occidental, l’Animal n’est pas uniquement un autre inférieur, mais il est aussi celui que l’on peut tuer et manger. Le bestial, attribué pourtant à l’Animal, est nécessaire à l’Homme pour se séparer de celui-ci. Notre culture que l’on dit basée sur
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la raison est en fait fondée sur une violence première. On a donc exclu l’animal du politique et de la morale, le tuer n’étant pas un meurtre mais un acte technique nécessaire pour se nourrir. Et par extension, on gère l’animal de manière technique : on régule les populations, on organise sa reproduction dans les élevages, les zoo ou mêmes dans les zones protégées, on le vend en animalerie etc. On intervient sans cesse dans un but « noble » mais sous-tendant une prétendue impossibilité de l’animal à s’administrer lui-même. La gestion est technique parce que la vie même de l’Animal est technique, elle est un simple élément scientifique, une abstraction intellectuelle. Mais sans cesse cette frontière s’atténue aujourd’hui, du moins sur le plan théorique. Nombreuses sont les études prouvant la présence d’une sensibilité, d’une intelligence « développée » chez telle ou telle espèce ou illustrant la proximité génétique et même comportementale entre l’espèce humaine et les grands singes. Même les plantes se trouvent à posséder une mémoire et une capacité d’action, mettant à l’épreuve nos premiers critères de l’organisation du vivant. Ainsi, l’humain occidental ne peut échapper à une redéfinition de ce qu’il est puisque ce sur quoi il a fondé sa propre définition se trouve être une illusion scientifique et philosophique.
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Après l’interview de CASOAR dans notre numéro Clair- de novembre, notre collaboration continue avec cet article écrit par les rédacteurs de CASOAR sur un oiseau… original !
On l’appelle Muruk en Tok Pisin¹, Karayé chez les Baruya et Casuarius dans les couloirs des vénérables muséums d’histoire naturelle. Avec son mètre cinquante de haut, sa crête digne d’un dinosaure et son abondant plumage noir et duveteux, le casoar est un oiseau étonnant mais souvent mal connu. Anatomie de la mascotte de la rédac’ de CASOAR.
Cousin de l’émeu, le casoar est un oiseau imposant mesurant généralement entre un mètre et un mètre cinquante de haut et pouvant peser jusqu’à une soixantaine de kilogrammes. Ce beau bébé doit son petit nom scientifique au naturaliste français Mathurin Jacques Brisson qui identifie en 1760 le genre Casuarius dans son Ornithologie. On reconnaît aujourd’hui l’existence de trois espèces de casoars réparties entre la Nouvelle-Guinée, l’Australie et quelques îles alentours : le Casuarius Casuarius (ou casoar à casque), le Casuarius Bennetti (ou casoar de Bennett) et le Casuarius Unappendiculatus (ou casoar à une seule caroncule)².
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Il existe de petites différences de taille entre les différentes espèces mais, globalement, les casoars se caractérisent tous par un plumage noir, un cou déplumé de couleur variable (rouge, jaune, orange ou bleu) et la possession d’une crête semi-circulaire au sommet du crâne. Ils se nourrissent de fruits et vivent de façon solitaire dans les forêts denses, ce qui les rend particulièrement difficiles à étudier. Bien que timides, les casoars sont des animaux territoriaux qui peuvent adopter une attitude agressive s’ils se sentent menacés. Leur poids ainsi
que la présence d’un ergot acéré sur leurs pattes ont déjà été à l’origine d’un certain nombre d’accidents. Si vous croisez un jour un casoar au détour d’un couloir du Louvre, mieux vaut donc ne pas aller le chatouiller de trop près. Les casoars ne se rassemblent que pour les besoins de la reproduction et la femelle laisse au mâle le soin de s’occuper des œufs et des petits. Ajoutons au passage que, si par hasard vous arrivez un jour à mettre la main sur l’un des dits œufs, il paraît qu’ils sont fort goûtus et très pratiques pour réaliser une omelette³. Enfin, il convient de conclure cette brève présentation scientifique en précisant que vous aurez beau le lancer dans les airs ou l’asseoir dans une catapulte, le seul moyen de faire décoller un casoar est de le faire embarquer à bord d’une mongolfière (ou d’un avion, mais nous doutons que les douanes apprécient) : bref, le casoar ne vole pas.
La fameuse crête du casoar a fait couler beaucoup d’encre en ornithologie. Sa composition et surtout sa fonction ont longtemps intrigué les spécialistes des bêtes à plumes. Si on en connaît aujourd’hui plus sur l’anatomie de cet appendice, son rôle en revanche est encore plus flou. Les ornithologues semblent s’accorder pour affirmer qu’elle est beaucoup trop fragile pour servir d’arme lors des combats ou encore de pare-choc lorsque les casoars courent dans la forêt (les scientifiques ont longtemps pensé qu’ils couraient tête la première tels des canards au décollage, mais on sait aujourd’hui qu’ils adoptent en
fait la position beaucoup plus cocasse des autruches, pareil aux membres de la redac’ lors de leur footing du dimanche matin). Deux options, qui ne s’excluent pas mutuellement, demeurent : soit il s’agit d’un caractère sexuel jouant un rôle dans la sélection d’un partenaire en indiquant la bonne santé d’un individu, soit il s’agit, et c’est beaucoup plus classe, d’une sorte de résonateur. Les casoars, dont le swag atteint décidément des sommets, sont en effet les oiseaux émettant les plus basses fréquences au monde (en tout cas d’après l’état actuel des recherches), ce qui leur permettrait de communiquer dans les forêts très denses (les basses fréquences sont en effet moins affectées par les obstacles tels que les arbres, plutôt nombreux dans les forêts, comme chacun sait). Les cris du casoar de Bennett descendent jusqu’à 23Hz, soit pratiquement la limite de ce que l’oreille humaine est capable de percevoir. Ces fréquences très basses peuvent provoquer des sensations dérangeantes chez un auditeur humain se trouvant à proximité ; certains des scientifiques qui les étudient auraient d’ailleurs cru à un petit tremblement de terre en les entendant pour la première ¹ Le Tok Pisin est le créole de la Papouasie NouvelleGuinée.
fois. Les ornithologues ne comprennent pas encore très bien de quelle façon ils produisent ces sons, mais soupçonnent que leur crête pourrait jouer le rôle à la fois d’un amplificateur et d’un récepteur. Comble de l’excitation, certains paléontologues pensent que l’étude des crêtes des casoars pourraient peut-être nous en apprendre plus sur les appendices semblables de certains dinosaures4.
Mais les casoars ne sont pas seulement fascinants d’un point de vue scientifique ; si tout océaniste les connaît, c’est bien parce qu’ils jouaient, ou jouent encore, un rôle important dans l’univers symbolique de nombreuses populations de NouvelleGuinée. Il serait impossible de détailler ici tous les mythes renvoyant à la figure du casoar ou toutes ses occurrences dans l’art ; nous devrons donc nous contenter ici de quelques exemples parlant. Chez les populations Baruya des Hautes Terres, les casoars étaient appelés karayié et étaient tous symboliquement considérés comme des femelles. Leur chasse était ² Pour plus d’informations sur la classification philogénétique du casoar : http://www. worldbirdnames.org/bow/ratites/
³ Nous devons cette information primordiale au naturaliste britannique Walter Rotschild qui avait apparemment tenté avec succès l’expérience. 4
Evidemment, en paléontologie comme en archéologie, les pincettes sont toujours de mise, mais la rédaction aime beaucoup trop les dinosaures pour ne pas mentionner cette hypothèse.
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réservée à certains hommes initiés qui maîtrisaient les magies nécessaires à cet exercice d’autant plus difficile qu’il était interdit de faire couler le sang de l’animal. Des pièges étaient posés dans la forêt par le chasseur qui recevait plus tard en rêve la vision qu’un casoar s’était laissé prendre. Seuls les hommes initiés pouvaient consommer la viande ainsi obtenue. Les casoars appartenant au monde féminin, en consommer la chair aurait en effet été pour les femmes comme se manger elles-mêmes. Un bon chasseur de casoar pouvait acquérir un statut social élevé chez les Baruya et être ainsi considéré comme un Grand Homme. L’un des mythes fondateurs des Ilaita Arapesh associe également le casoar au monde féminin et raconte comme la mère casoar originelle offrit aux hommes une ère d’abondance grâce à sa magie avant d’être trahie par ses fils et tuée. Maudite, sa descendance est désormais condamnée à produire elle-même sa nourriture jusqu’au jour où son plus jeune fils, le seul à ne pas avoir transgressé les interdits alimentaires, reviendra parmi eux. Nous pourrions encore évoquer ici des dizaines de mythes et de rituels impliquant le casoar, comme la cérémonie Ida du peuple Umeda au cours de laquelle les danseurs miment les oiseaux, ou le dema du casoar honoré par les Marind Anim de la côte sud au moyen d’un costume extrêmement élaboré, mais nous n’aurions jamais terminé.
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En plus d’être un protagoniste fréquent des mythes papous, le casoar est également un grand pourvoyeur de matériaux. Ses plumes noires et légères sont très souvent utilisées dans la fabrication d’objets rituels et de parures par de nombreuses populations de Nouvelle-Guinée. Ainsi, elles ornent certaines gourdes à chaux de la région du fleuve Sepik ou les masques du golfe Huon. Elles sont également échangées avec les populations du détroit de Torres, au nord de l’Australie, où elles sont utilisées dans la fabrication de nombreux objets comme les masques et les tambours. L’ossature extrêmement dense du casoar est également mise à profit dans la fabrication de dagues cérémonielles portées par les hommes et parfois finement ornées de
motifs gravés. Aujourd’hui, bien qu’il ne soit pas aussi populaire que l’oiseau de paradis qui figure sur le drapeau national, le casoar est tout de même représenté sur la mosaïque qui orne la façade du parlement de la Papouasie Nouvelle-Guinée, prouvant ainsi que si son rôle a pu évoluer, il n’a pas pour autant perdu son importance pour les populations du pays.
Nous espérons que cette ébauche de portrait aura su vous faire apprécier cet animal atypique qu’est le casoar et vous donner l’envie d’aller admirer son plumage sur les plateaux des musées. Toute la rédaction vous souhaite une très bonne année à l’EDL, qu’elle soit placée sous le signe de la curiosité et du rocambolesque. Sources Brisson, Mathurin-Jacques.Ornithologie... Paris : Chez Cl. Jean-Baptiste Bauch. 1760. (Pour l’article concernant le casoar voir Tome V à partir de la page 10) Gell, Alfred. The Metamorphosis of the Cassowaries. London : The Athlone Press ; New Jersey : Humanities Press. 1975. Godelier, Maurice. La production des Grands Hommes. Paris : Fayard. 1982. Naish, Darren & Perron, Richard. « Structure and function of the cassowary’s casque and its implications for cassowary history, biology and evolution » in Historical Biology, December 2014. Chur, New York : Harwood Academic Publishers. Mack, Andrew & Jones, Joshua. « Low Frequency Vocalizations by Cassowaries (Casuarius spp.). » in The Auk, January 2009. American Ornithologist’s Union. Morin, Floriane & Peltier, Philippe (eds.). Ombres de Nouvelle-Guinée : Arts de la grande île d’Océanie dans les collections Barbier-Mueller [exposition, Paris, Mona Bismark Foundation, du 4 octobre au 25 novembre 2006]. Paris Genève : Somogy éd. d’art Musée Barbier-Mueller. Pratt, Thane & Beehler, Bruce (éds). Birds of New Guinea. Princeton : Princeton University Press. 2014 (seconde édition). Rotschild, Walter. « A Monograph of the Genus Casuarius » in The Transactions of the Zoological Society of London, Vol XV, Part V. Décembre 1900. Tuzin, Donald. The Cassowary’s Revenge : The Life and Death of Masculinity in a New Guinea Society. Chicago & London : The University of Chicago Press.
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Pour l’interview du mois, nous avons rencontré quatre élèves de master 1 et 2 de l’Ecole du Louvre. Deux filles et deux garçons qui nous racontent leur parcours, leurs questionnements ainsi que leur rapport à la culture et aux enjeux professionnels : (version complète sur louvrboite.fr)
Parlez-nous de vos projets en master
Sahel : J’ai intégré par équivalence le Master 1 de l’EDL dans un groupe de recherche qui porte sur de la médiation. C’est donc un Master professionnalisant, et a priori je vais faire une sorte de bilan de tout ce qui a été fait sur les études de public adulte sur ces 50 dernières années en médiation parce qu’on a fait beaucoup d’études de publics mais on n’a pas fait de sujet de bilan pour voir ce qui restait à faire et si ce qu’on faisait dans les musées était efficace ou non. Adèle : Je suis en Master 2 professionnel de l’EDL, ce sont des professionnels qui nous donnent des cours comme à des futurs pros. Ça concerne donc les métiers de la régie c’està-dire l’accompagnement des mouvements d’œuvres que ça soit dans le musée, dans les lieux de réserve jusque dans une exposition, ou dans le cadre de prêts d’un musée à un autre, et ça concerne également la conservation préventive, on va donc gérer la conservation matérielle des œuvres, la température, les questions d’humidité, tous les éléments extérieurs à l’œuvre qui font qu’elle sera bien conservée. Mathieu : Je suis en M1 à l’EDL. J’étais en Spécialité Arts des Amériques et j’avais envie de continuer dans ce domaine-là en master sans être dans le groupe « Collections extraeuropéennes » qui est centré sur le Musée du Quai Branly qui ne m’intéresse pas plus que ça pour l’Amérique. J’ai donc tenté d’autres groupes et j’ai obtenu mon premier choix « Administration et Gestion du Patrimoine » avec l’objectif de faire de la recherche. Je compte rattacher ça aux Arts des Amériques et notamment l’Art des natifs nord-amérindiens et leur patrimoine culturel ; comment le patrimoine culturel est géré sur ce territoire.
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Maxence : Je travaille sur le même sujet que celui que j’ai entamé en M1, sur une personnalité de l’Egyptologie qui s’appelle Jacques Jean Clère. C’est un égyptologue qui a livré énormément d’archives personnelles, captées par les musées et les institutions, il y a une partie au Louvre, une partie en Egypte et une partie qui est à Oxford et qui concerne les objets qui ont été vus sur le marché de l’art et en musée et sur lesquels il a développé tout un raisonnement autour de la provenance ; il a ainsi été un des précurseurs dans l’idée que l’historiographie de l’objet est essentielle ; comment est-ce qu’on maintient l’objet dans
son contexte, dans son histoire ; comment on ne le sépare pas de cet environnement-là.
Le master implique une ambition professionnelle, vers quels métiers vous dirigez-vous ? Adèle : Régisseur des œuvres ! Cela comprend principalement de la conservation préventive. La prévention est généralement reliée à d’autres métiers, régisseur, conservateur ou architecte, par exemple. Mais vraiment ce Master-là, s’il doit mener à un métier en particulier c’est celui de régisseur des œuvres.
Sahel : Je viens totalement de revoir mes projets, je voulais faire de la recherche au départ avec l’envie de soutenir une thèse, faire un doctorat. Aujourd’hui je veux faire quelque chose de plus professionnalisant orienté sur la médiation pour derrière sans doute faire un Master 2 en médiation et devenir médiatrice culturelle. Ma difficulté c’est que j’aimerais partir en Erasmus et il me semble que pour partir il faut faire de la recherche. A priori il n’y a pas de parcours professionnel à l’étranger. Donc je compte m’inscrire de manière officielle en parcours de recherche mais dans l’application faire un stage, revenir et éventuellement retaper un Master 2 qui là serait officiellement professionnalisant. Mathieu : Mon idéal, c’était à la fois d’être dans la transmission et dans l’enrichissement des connaissances qui me semble indispensable. Mais le poste d’enseignant-chercheur, en tant que tel, n’existe plus vraiment donc je ne sais pas si je vais m’orienter vers des métiers dans les musées pour faire de la recherche en parallèle, en sachant que l’enseignement c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur et donc qu’il faudrait enseigner en faculté par exemple. Pour l’enseignement en faculté il faut avoir fait ses preuves, c’est assez compliqué de se projeter dans ces domaines-là. Je pense que
pas de connaissances, parce qu’on a le temps, on est encadré, on peut prendre des choses parfois meilleurs qu’en allant dans un groupe dans lequel on se sentait peut-être plus à sa place, il ne faut pas hésiter à aller un peu à l’aventure. Mathieu : Normalement la spécialité c’est ce qui va nous suivre sur la formation, c’est le cours que l’on poursuit chaque année malgré les changements en HGA. La spé permet justement de se rattacher à quelque chose lorsqu’on éprouve des difficultés en Tronc Commun. Ma spécialité c’est aussi ce qui a fait que je suis à l’EDL, parce que c’est une des rares formations à la proposer. J’ai eu un excellent professeur qui enseigne aussi en HGA, elle nous a suivi, j’avais une super promotion, elle nous a tous chouchoutés et poussés, ça a compté c’est sûr ; ça ne se passe pas comme ça dans toutes les spés. je ferai un troisième cycle, en tous cas je ferai un doctorat ; je veux faire de la recherche, ça c’est sûr !
La formation dispensée au Louvre vous semble-telle suffisante ?
Maxence : Il faut savoir qu’on ne fait que nous dire qu’on n’aura pas de boulot alors que du travail et des opportunités il y en a plein, c’est juste que ce ne sont pas des métiers qui sont uniquement axés sur ce que l’on apprend au Louvre, il faut intégrer des expériences extérieures, mais il ne faut pas avoir peur et se dire que ça passe nécessairement par des études supplémentaires, ça peut être des choses qu’on apprend sur le tas et surtout des choses qui vont nous plaire. Et pour ce qui est d’un métier en particulier je suis en plein questionnement !
Maxence : La formation de l’EDL n’est pas suffisante mais c’est la meilleure. Il faut aussi faire des stages, et être curieux de l’extérieur des musées. On a tendance justement à ne se concentrer que sur les musées mais il y a plein de choses qui sont faites en édition, dans le marché de l’Art et dans la médiation. Il faut aller à la rencontre des professionnels parce qu’ils aiment ce qu’ils font et c’est eux qui donnent l’envie.
Est-ce que c’est votre spécialité en premier cycle qui a donné sa direction à votre Master ? Adèle : Quand je suis arrivée en Master 1, on avait un mémoire à rédiger, et je suis partie sur une de mes passions qui est le Vitrail alors que j’étais en Spécialité Histoire de l’Art du XIXème et du début du XXème siècle. Donc on peut travailler sur tout en master puisqu’on apprend en cherchant ! Moi j’avais une sensibilité particulière sur ce type d’œuvres donc je me suis laissée porter, il vaut mieux que ça soit au départ un sujet qui nous tient particulièrement à cœur. Maxence : Quand j’ai postulé, c’est vraiment parce qu’en ce qui me concerne, ma spé c’est la seule chose dans laquelle je me sens vraiment bon. Je suis parti avec l’envie de faire un travail utile et intéressant, avec le recul je me dis qu’il ne faut pas hésiter à prendre un groupe qui nous plaît même si on sait qu’on a
Adèle : On est tellement amenés à travailler avec des professionnels que forcément on se crée un réseau, or dans le milieu culturel, le réseau c’est essentiel. C’est aussi pour ça que les gens font des stages, qu’ils démarchent auprès des galeries et auprès de diverses institutions justement pour pouvoir se faire un réseau et trouver un job. Après, l’Ecole du Louvre est bien reconnue dans le milieu de la culture, pour les diplômes qu’elle dispense notamment, on sait ce que ça vaut ! Sahel : Moi qui voulait faire de la recherche, le monde professionnel me semblait très lointain, dans cinq ou six ans. Comme mes projets ont changé, je me suis dis qu’il allait falloir chercher un travail dans deux ans et honnêtement mon parcours me semble insuffisant, d’où mon envie de partir à l’étranger et j’ai depuis quelques semaines l’idée d’un double diplôme avec Sciences-Po’. Alors je ne vais peut-être pas cumuler les deux parcours en même temps mais plutôt refaire un master « management culturel » chez eux après un M2 au Louvre. Ce qui est sûr c’est que sur les deux prochaines
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années je vais essayer de faire des stages. Mathieu : Disons qu’il faut voir l’EDL comme un plus, comme un cachet sur le CV. Ce qui aide c’est avant tout les expériences qu’il faut multiplier. Les diplômes ne sont pas suffisamment professionnalisants et quelque part, ils n’ont pas à l’être pour l’Histoire de l’Art. J’aime l’idée que nous ayons des cours généraux, néanmoins il serait bon d’accompagner davantage les élèves et de proposer un cursus qui associe des cours magistraux et des stages. Même si ça reste formateur, on est un peu livrés à nous-même. L’EDL est l’outil justement qui nous permet d’accéder à certains stages, mais la démarche doit être personnelle.
passéiste de l’art, avec un principe d’appréciation de la beauté qui n’est pas du tout accessible à tous. La notion de médiation est centrale parce qu’elle permet de faire un lien entre les gens qui pensent et ceux qui visitent.
Maxence : J’ai le sentiment que l’offre culturelle aujourd’hui répond à toutes les modernités. Les gens doivent saisir quelle est leur place dans cet univers et moins se sentir « derrière la vitrine ». J’aime beaucoup certains musées modernes comme la Fondation Louis Vuitton, qui propose des expositions géniales. Il y a là-bas une médiation éminemment moderne, l’espace est très agréable, on a des expositions « blockbusters » mais qui restent intéressantes comme l’exposition Chtchoukine qui m’a vraiment impressionné. On en revient finalement Marinetti publie en 1909 le Manifeste du futurisme à la crise des musées actuelle qui trouve des dans lequel il écrit : « [Nous voulons démolir réponses dans ce type de muséologie, à savoir les musées, les bibliothèques, combattre le sortir des cadres, toutes ces médiations hors-lesmoralisme, le féminisme et toutes les autres murs, je trouve ça génial. Je regrette seulement lâchetés opportunistes et utilitaires. […] Nous qu’on ne fasse ce type d’expériences qu’avec l’art moderne et l’art contemporain. voulons délivrer l’Italie de sa gangrène de
professeurs, d’archéologues, de cicérones et d’antiquaires. […] Musées, cimetières ! … Identiques vraiment dans leur sinistre coudoiement de corps qui ne se connaissent pas.] », ces propos s’inscrivent dans une dynamique nouvelle au début du XXème siècle, une esthétique de la machine et du bruit, qui n’est plus tout à fait d’actualité, du moins qui a pu évoluer ; aujourd’hui que penses-tu de cette vision des musées comme « d’innombrables cimetières », penses-tu que les institutions culturelles telles qu’elles nous sont proposées, sont modernes ? Adèle : C’est difficile à dire, tous les musées ne se ressemblent pas. Certains restent fixés dans une représentation très esthétique et
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Mathieu : Pour moi, ce qui est moderne aujourd’hui dans les musées, c’est le temporaire. Les collections permanentes attirent toujours le même type de publics, à savoir les touristes. Je n’ai pas le sentiment que les musées sont modernes, mais ça n’est pas négatif. Certains peuvent l’être avec des collections qui, régulièrement, sont renouvelées ; comme à Guimet par exemple, qui est à mon sens le meilleur musée parisien. L’espace du musée Guimet est très fluide, avec un rendu assez instinctif, on le ressent, c’est pratique, agréable et ludique. J’ai le sentiment que le musée, en général, n’est plus adapté à l’instruction et c’est quelque chose qui va devoir se faire en amont. Les outils mis en place ne fonctionnent pas forcément, j’ai cru comprendre que les DS n’étaient pas les plus efficaces et que les audioguides restaient encore le meilleur format explicatif vu que ça fonctionne quasiment comme une visite guidée. Sahel : Le musée peut toujours évoluer, mais c’est vrai qu’on est parti d’une image extrêmement sclérosée pour en venir à quelque chose de beaucoup plus « toursisticisé » aujourd’hui, avec les boutiques, les restaurants... Je pense que rendre l’accès à la culture de manière plus « facile » c’est quelque chose de positif. C’est le sens que je donne à la médiation finalement, pouvoir donner un accès au musée et jouer sur son image parce que c’est un lieu qui fait peur encore aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui considèrent que ça n’est pas fait pour eux. Le musée « moderne» c’est un peu l’enjeu de ma démarche en médiation.
Auriez-vous des réclamations pour la culture ? Si vous pouviez vous adresser à Françoise Nyssen, que lui diriez-vous ? Adèle : Tout dépend du domaine dans lequel on travaille. Par exemple dans mon master je vais travailler à la conservation matérielle des œuvres, je vais travailler à ce que les œuvres puissent toujours être exposées. On apporte énormément, on est garants de la possibilité de continuer à voir les œuvres chacun à notre échelle. Sahel : On a un patrimoine à conserver et pour cela il faut donner envie au monde de le découvrir. Le rôle du professionnel du patrimoine c’est de partager son goût, ses connaissances et son intérêt au public ; l’important c’est la transmission. Maxence : Nous sommes des optimistes ! Or la culture c’est ce qui marche quand tout va bien, et il faut qu’on soit prêts et présents lorsque les choses vont mal. Enfin… pour être tout à fait honnête je ne sais pas vraiment à quoi on sert. Mais je pense que c’est important, c’est tout ! Ça compte pour moi ! Il y a des jours où on se sent très important et d’autres au contraire où on se sent complètement inutile, faut vivre avec ça. Mathieu : Transmettre une ouverture d’esprit. L’École permet ça aussi, ouvrir un raisonnement et un regard grâce à une méthode. Moi j’avais un esprit très scientifique, je sors d’un Bac S, j’étais dans le concret mais je pouvais manquer d’ouverture. L’éducation Nationale axe beaucoup sur les sciences mais a tendance à oublier la culture. Il n’y a rien de plus humain que l’Art, il rend la société plus intéressante et plus riche. On est dans un système qui veut des résultats dans l’immédiat, qui est constamment dans la critique, dans le jugement sans remise en question, et malgré la quantité d’échanges, il y a peu d’ouverture réelle. On a tout à gagner à investir dans la culture, c’est un secteur qui jamais ne s’essoufflera.
de s’interroger et de voir si ce qu’ils ont envie de faire est dans le monde la culture. Si c’est le cas il faut rester, et sinon il faut qu’ils partent. Mathieu : Ne vous fermez pas trop, l’École est une bulle dont il faut savoir sortir. Il n’y a pas que l’École de même qu’il n’y a pas que l’Histoire de l’Art. Restez ouverts ! Il y a beaucoup de métiers dans la culture, ça ne se passe pas que dans les musées ; il y a des choses dans le spectacle, l’édition, le journalisme, les galeries, c’est un monde varié et vivant. Adèle : Pendant le Premier Cycle et un peu pendant le Master 1, on apprend énormément de choses, on assimile beaucoup de connaissances, sans vraiment saisir quelle en sera l’utilité. Or c’est vraiment en Master 2 qu’on comprend pourquoi. Se mettre dans des situations professionnalisantes ça implique d’avoir une culture vaste et des ressources dans de nombreux domaines, or on ne nous le dit pas avant. Souvent on peut se décourager face à la quantité de choses à apprendre, on se demande pourquoi on fait ces études et surtout on a peur de pas trouver de boulot, et c’est pour ça qu’il faut vraiment aller au bout parce que c’est qu’à ce moment-là qu’on se rend compte à quel point c’était important et que ça n’était pas du travail en vain, c’est une vraie formation complète.
Taslima Gaillardon
Un mot pour les élèves de Premier Cycle ?
Maxence : Ne vous laissez pas abattre. Moi j’ai redoublé ma première année, je n’ai pas honte, je ne me rendais pas forcément compte lorsque je suis arrivé du travail que ça pouvait demander. Je venais de la Fac où je n’avais pas de difficultés particulières et je ne l’ai peut-être pas pris avec tout le sérieux que ça demandait. Je pense que l’École est un environnement privilégié et pour les gens qui à la fin du premier cycle se posent la question de savoir s’il faut poursuivre, je leur demanderais juste
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Vegan : à la vie, à la mode 2.0
La fourrure fut probablement le premier habit de l’homme (après la feuille de vigne). Son emploi est attesté depuis le Magdalénien, où à l’époque les peaux issues de la chasse servaient tant de vêtement, que pour l’ameublement (sol, tentes, etc). Le premier emploi était donc utilitaire. Sous le Bas-Empire romain, la fourrure prend un autre sens : elle marque la sauvagerie. En effet, la matière est alors associée aux barbares, et les élites portent la toge, marque de la civilisation.
Cette matière connaît son âge d’or durant le Moyen Âge finissant, entre la fin du XIVe et la première moitié du XVe siècle. Son succès est tel que tout le monde en porte : les nobles, comme les plus pauvres. Le marché de la fourrure explose : à la fin du XIVe siècle on compte neuf cent pelletiers à Paris, environ un pour cent habitants. Elle joue un rôle essentiel dans le commerce et accompagne la fluctuation des modes. Les autorités ont tenté de limiter ce luxe mais sans succès, car dès les premières lois somptuaires du XIIIe siècle, le luxe s’est beaucoup développé. Ces lois somptuaires avaient pour principal but de limiter l’emploi de la fourrure par les classes les plus pauvres : il fallait éviter qu’elles se ruinent, mais aussi éviter le brouillage des classes. À cette époque la fourrure revêt un caractère universel, néanmoins, elle reste extrêmement chère. En effet, la plupart des personnes peuvent en porter grâce aux marchés de fripes, qui sont très importants tout au long du Moyen Âge. Au vu de leur prix et de la durée de vie d’une fourrure, elles étaient parfois réutilisées longtemps. Tout le monde pouvait porter de la fourrure, la plus chère valait l’équivalent de dix journées de travail. Les plus abordables valaient le gain de 2 ou 3 journées de travail pour les ouvriers et paysans. Cela explique la consommation de masse et de luxe dans les milieux populaires, où les habits étaient fourrés de peaux de lapins, moutons et chevreaux, des fourrures légères qui n’encombraient
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pas trop le travail. L’évolution de la fourrure, de son emploi, de sa couleur ou de sa forme, est tributaire de l’évolution des modes. Par exemple, si au début du XIVe siècle on porte plutôt des fourrures claires, dans les années 1380 avec la mode du noir, on préfère se tourner vers la zibeline ou l’agneau noir. Cet âge d’or se finit dès le XVIe siècle : la fourrure perd son caractère universel, et les plus nobles s’orientent vers le port des peaux seulement précieuses. La préoccupation du bien-être animal débute vers les années 1750 : on a considéré que faire preuve de cruauté envers les animaux entraîne un abrutissement du caractère, et s’oppose donc à la douceur favorisée par un esprit sensible. Ces critiques vont aussi de pair avec le Siècle des Lumières, et le développement de la conscience de l’autre. Mais la remise en cause du port de la fourrure prend son ampleur à partir du XIXe siècle, en Angleterre. De manière générale, le pays est pionnier dans la défense du droit animal : la première société protectrice est créée en 1824. Néanmoins, ce n’est qu’en 1892, dans Animals’ Rights Considered in Relation to Social Progress, qu’Henri Salt est le premier à critiquer de façon ouverte l’utilisation des animaux dans la mode. L’un des chapitres est nommé « chapellerie meurtrière » où est posée la question de l’emploi des plumes et fourrures. Salt se demande s’il est nécessaire de se servir d’animaux pour s’habiller. C’est une nouveauté car jusque-là, les défenseurs des animaux avaient lutté pour un meilleur traitement mais n’avaient jamais remis en question le fait qu’ils soient au service des êtres humains. Il assure qu’il n’y a aucune substance qu’on ne puisse pas trouver en végétal. En France la première critique de cette utilisation n’apparaît qu’en 1902, dans le Bulletin de la Société Protectrice des Animaux, par le docteur Pomme de la Mirimonde. Il signe un article intitulé Les animaux, les
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préjugés et la mode dans lequel il dénonce « les massacres des phoques que l’on tue à coups de bâton et qui fournissent ces belles fourrures » et le ridicule de certaines femmes qui font porter à leurs chiens de compagnie des paletots de fourrure. Le véritable scandale de la fourrure éclate dans les années 1960, dû à deux choses : d’une part, le grand public prend conscience du lien direct entre l’exploitation des ressources et la disparition de certaines espèces, d’autre part le registre des animaux attendrissants s’élargit, celuici était auparavant réservé aux animaux domestiques. Grâce aux nouveaux moyens de communication et aux reportages, comme L’Odyssée du Commandant Cousteau, les animaux sauvages ne paraissent plus si éloignés. Mais le véritable élément déclencheur fut la vidéo du massacre d’un phoque par Serge Deyglun en 1964. Ce chroniqueur de chasse et de pêche aux îles de la Madeleine filme un chasseur écorchant un phoque vivant : les images choc font le tour du monde. En 1986 la chasse aux bébés phoques est interdite, mais les blanchons sont toujours utilisés : l’image du bébé-phoque, avec ses yeux humides, ses formes potelées et son pelage soyeux se prêtait particulièrement bien à l’illustration des propos de ces mouvements, et son pouvoir attendrissant a été largement prouvé depuis, au moins depuis l’apparition de Brigitte Bardot en couverture de Paris Match en 1977. La capacité de réclame de l’image du blanchon est telle qu’elle continue d’être fréquemment utilisée par les organisations protectrices. Dans les années 1980 et 1990 la bataille semblait être gagnée : les ventes chutent et la fourrure est désormais majorée à 33%. De plus, le monde de la mode prend position contre l’emploi de la matière : les mannequins les plus connues et plébiscités font une campagne pour PETA, et la plupart des maisons de haute-couture arrêtent d’en utiliser.
Personne ne s’attendait à un revirement de situation, le scandale était tel que la fourrure aurait pu ne jamais réapparaître. Mais depuis la fin des années 1990, la plupart des créateurs réintègrent la fourrure à leur collection. De nombreux articles de mode annoncent le retour de la peau animale : « Après 10 années en sourdine la fourrure hausse le ton » ; « Le retour des bêtes à la mode » ; « La fourrure à la reconquête des femmes ». En 1999 la vente de manteaux de fourrure augmente de 15%, alors que 20 ans auparavant la qualité de la fausse fourrure s’était améliorée et était célébrée par certains comme l’alternative définitive. À la Fashion Week de 2015, 75% des défilés présentaient de la fourrure, mais il ne s’agissait plus de grands manteaux, la fourrure est revenue par petites touches (cols, accessoires, etc). L’anti-fourrure était un phénomène de mode, et comme tout phénomène de mode il est éphémère, ainsi la fourrure est revenue à la mode.
De plus, porter de la fourrure est devenu quasiment inutile aujourd’hui : si auparavant les hommes en portaient pour avoir chaud, ce n’est plus nécessaire aujourd’hui. En trouvant des moyens éthiques, il existe différentes alternatives au port de la fourrure, mais comme le dit le Jardin des Arts en Janvier 1955 « chacun sait que le superflu est bien nécessaire ».
Elise Poirey
Le retour de cette vogue s’est fait en parallèle de nouveaux scandales dans le monde de la fourrure. Les associations de protection animale diffusent de plus en plus souvent et largement des vidéos d’abattoirs où sont montrées les conditions atroces dans lesquelles les animaux sont élevés et tués. Ces vidéos montrent des animaux dans des cages exigües, avec des plaies béantes, des cadavres laissés à l’abandon. Aujourd’hui, des alternatives à la fourrure existent. La fausse fourrure est de plus en plus développée, et n’a presque plus rien à envier à la vraie. Par le passé, la fausse fourrure avait plutôt mauvaise réputation : on disait qu’elle vieillissait mal, qu’elle avait l’air bon marché et faisait partie de la mode jetable. Mais face à la demande croissante des consommateurs pour le synthétique, le développement technologique et l’innovation dans ce domaine ont accéléré.
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Histoi’Art
Louis XIV, un double lion ?
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Soleil parmi tous les soleils, Roi parmi tous les rois… vraiment ? Romeyn de Hooghe, dans son atelier, laisse échapper de ses lèvres tremblantes un sec petit rire amer. L’année 1672 plonge les Provinces-Unies dans un gouffre de terreur qui inquiète fortement le graveur… Ah qu’il est beau et bon, ce petit roi français, de faire croire à toute l’Europe que ses maudites batailles sont le fruit de sa volonté de guerre soidisant « juste » ! Que tous y croient ! Lui, n’est pas dupe… Louis XIV peut bien cacher son véritable intérêt derrière sa justification qu’il doit, en tant que pieux roi catholique, mener la guerre contre les ennemis de la Très Sainte Église, ces Réformés, ces Huguenots ! Non vraiment, personne ici n’ignore la réelle raison de la Guerre de Hollande qui vient de commencer : le Roi-Soleil veut récupérer les territoires espagnols de Philippe IV, démontrer son narcissique goût pour les victorieuses conquêtes et permettre à l’économie française de mettre à mal la V.O.C (Compagnie des Indes orientales) qui compromet les affaires de sa rivale française. Après que les premières scènes de massacre ont secoué la République flamande, les habitants survivants sont accablés par le prix d’occupation que demandent les Français. Quoi de mieux pour soumettre les communautés que la violence, les représailles, la terreur et la prise d’otage ! Ce ne sont pas que des exactions de soldats, oh non ! L’instrument étatique en est bien le cœur de la furieuse mécanique ! Est-ce là l’image d’un bon roi juste et pieux ? De Hooghe fulmine,
continue son ouvrage… Bientôt seront placardées et distribuées dans toutes les villes des Provinces-Unies sur des libelles et pamphlets sa gravure à l’eau forte, sa caricature de Louis XIV en lion… Le roi y est représenté en buste, le visage de trois-quarts, sa perruque bouclée encadrant son regard intense, impassible, presque inquiétant. En somme, voici de loin l’image d’un beau et fort souverain, dans la vigueur physique de ses trentequatre ans sauf que… Regardez attentivement sous le nœud, au niveau de son jabot, un trou anormal s’y forme… Retournez maintenant votre journal à 180° et observez ce qui apparaît… un lion en reflet du roi se dissimule sous son buste ! Le « trou » dans le jabot, que l’on apercevait avant, se révèle être en fait la béante gueule ouverte du félin, ses crocs nous menaçant. Ses pattes s’agrippent aux boucles de la coiffe du roi et sa crinière constitue le reste de son costume… Mais le visage-même du fauve se métamorphose radicalement. Il ne se fond plus de manière discrète dans le reste du portrait. Les yeux exorbités, le froncement des sourcils et le nez retroussé de colère annoncent la fureur de l’animal, comme s’il s’apprêtait à se jeter sur sa proie. L’inversion est aussi
comique que cinglante de la part de De Hooghe. Tout Flamand reconnaît sans peine à l’époque le visage de Louis XIV, déjà diffusé grâce à d’autres caricatures du même type : un homme au ventre bien plein se cachant tremblotant sous ses habits de sacre, un infirme chancelant avec ses béquilles sur son char d’Apollon, un souverain qui fait les poches de ses nobles sans scrupule sur des cartes à jouer anglosaxonnes, etc. Là n’est que le début d’une longue série de contestations européennes face au Roi-Soleil. L’éclipse vient en premier lieu des arts, l’image étant une propagande efficace. Après les Provinces-Unies, c’est le tour du Palatinat d’être réduit à feu et à sang dès 1674. Le roi est au courant de ces exactions, les favorise même. Preuve en est la correspondance de Louvois, secrétaire d’État à la guerre de Louis XIV. Dans une lettre de 1674, il s’offusque auprès de l’intendant d’Alsace que « c’est une moquerie que les habitants du Palatinat continuent à ne point contribuer [au prix d’occupation des troupes française] ». En 1689, il reçoit une missive de Charles Fautrier du Fay, commandant à Phillipsburg, qui déclare : « il ne tient pas à moi que je n’ai brûlé un quart du Palatinat ». Exemple pour les Provinces-Unies, le duc de Luxembourg écrit au ministre en 1672 : « J’envoyai, il y a trois jours, M. de Maqueline pour châtier les paysans qui avaient tiré sur un de nos partis ». Un sentiment anti-français naît alors dans ces régions victimes et les
débuts de la contestation se font peu à peu moins timides. En 1673 est publié par exemple L’Avis fidèle aux véritables Hollandais touchant ce qui s’est passé dans les villages de Bodegrave et Swammerdam et les cruautés inouïes que les Français y ont exercées : le titre est bien plus que révélateur sur l’opinion d’Abraham de Wiquefort, son auteur, sur les événements. Pour illustrer cet écrit, De Hooghe réutilise ses caricatures de Louis XIV en animal prédateur, comme dans les fables de La Fontaine. Cependant, les papiers volants et libelles sous le manteau ne s’arrêtent pas aux frontières… La contestation sait contourner les censures. Puisqu’en France, le roi contrôle les imprimeries et librairies, qu’à cela ne tienne, on tirera les protestations aux Flandres, qu’on débarquera par bateau et qu’on fera circuler dans tout le royaume du
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Bourbon. Malgré les informateurs de Louvois, comme Obrecht, prêteur royal à Strasbourg, les feuillets interdits semblent insaisissables. D’autres centres de protestation émergent, autres qu’Amsterdam et Rotterdam : Francfort et Cologne sont par exemple les grands pôles d’imprimés anti-français du SaintEmpire Romain Germanique. Des pamphlets germent ici et là comme cet appel en allemand : « Teutsche wehrt Euch, wider Frankreich ! » - « Allemands, opposez-vous à la France ! ». Dans le royaume de Louis XIV justement, même si le peuple a bien évidemment aussi ses protestataires, l’opposition, elle, se fait plus discrète, la censure régnant de tout son poids.
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Vous avez encore l’image du Roi-Soleil amateur d’art et grand mécène ? Vous avez raison, à condition de nuancer cette affirmation. L’art sous Louis XIV est au bon plaisir de Sa Majesté ou alors n’est pas. L’âge d’or du classicisme est tout sauf garanti par la liberté de création. De la fondation de l’Académie française en 1635 qui doit « nettoyer [la langue] des ordures de la bouche du peuple » au numerus closus de libraires imprimeurs acceptés à Paris en 1667, tout est contrôlé de la réalisation à la diffusion. On surveille les libraires grâce au lieutenant général de police, charge créée en 1667 et dont le premier tutélaire est Nicolas de la Reynie. Le roi s’arroge le quasimonopole des arts et du mécénat grâce à Colbert qui, en 1662, établit une liste de quatre-vingt-dix artistes auxquels doit être versée une pension royale annuelle, remise solennellement deux ans plus tard. Les artistes qui ne font pas la louange du roi sont presque condamnés à ne pas recevoir de succès de leur vivant, comme La Bruyère qui a osé défendre le disgracié Nicolas Fouquet (voir Louvr’Boîte numéro 43 – Clair à la page 32) et qui est ignoré des commandes royales. Au contraire,
ceux qui savent se plier à la censure et rendre hommage au souverain sont généreusement remerciés. L’exemple de Racine est le plus parlant. En 1664, le dramaturge écrit une ode pour le rétablissement de Louis XIV pour laquelle il reçoit six cents livres. Pour Alexandre dédicacé au souverain, ce sont huit cents livres accordées. Pour Andromaque, on passe à mille deux cents livres. Qu’il est bon de bichonner le roi dans ses écrits ! Entre 1680 et 1690, en étant historiographe officiel royal, trésorier du roi, et avec ses primes et ses rentes, Racine touche en tout annuellement quinze mille livres ! Alors… Vous êtes désormais plutôt #teamRacine ou #teamDeHooghe ? À l’époque, quel que soit le camp choisi, Louis XIV reste ce fauve, dans la savane européenne, craint pour sa prédation et sa violence ou adulé pour sa force…et son mécénat (bien que très encadré !). Personne ne peut donc remettre en question son rôle actif de souverain et ainsi peut-on au moins affirmer que jamais il n’aura tourné en rond comme un lion dans sa cage versaillaise !
Laureen Gressé-Denois
#Automnvibes @louvrboite
Les #JOPLouvre
Retrouvez le Louvr’Boîte les vendredis soirs de décembre et bientôt pour les Jeunes-Ont-la-Parole de printemps sur instagram et twitter pour suivre les médiations de plus de 400 étudiants ! Pour transmettre votre propre expérience, n’hésitez pas à utiliser le #JOPLouvre !
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La photo ayant reçu le plus de j’aime
Encore merci à Marché de l’Art - Ecole du Louvre pour leur participation à ce numéro ! Retrouvez-les sur instagram @maedlouvre !
La photo du concours
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Yvine : « laisser aller le chat au fromage » parlant d’une jeune femme, accomplir l’acte sexuel avec un homme. (Comment ça les rédacs-chefs sont des obsédées ?)
Salomé : « Rire comme des baleines » rien que pour s’imaginer le razde-marée qu’un fou rire pourrait provoquer.
Inès: « Il pleut comme vache qui pisse »
votre expression
tant de grâce et d’élégance en une seule phrase
Elise : « ça pue la moule » simple mais efficace Ivane : « monter sur ses grands chevaux ». Avec l’image en tête, on comprend très vite qu’on n’a pas intérêt à être en face des chevaux en question.
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Déborah : « Ça ne casse pas trois pattes à un canard » première expression que l’on te dit lorsque tu présentes quelque chose.
Anaïs : « Être / avoir une tête de linotte » l’expression la plus chou qui soit pour vous faire pardonner d’être vraiment étourdi-e.
animalière favorite
?
Chloé-Alizée : « Vos gueules les mouettes » Expression couramment entendue sur la plage du Havre. Fonctionne aussi à Paris avec les pigeons.
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Le
Laureen : « le pipi du roquet n’atteint pas le blanc rocher » expression remastérisée d’un prof d’anglais au lycée qui nous a tant fait rire qu’elle est restée gravée !
choix de la
Redac’ !
EK°PHRA°SIS les animaux, entre rêve et réalité Ah la nuit fut encore très agitée ? Malgré toutes les tisanes du monde et l’eau de mélisse en abondance, le sommeil se fait encore lourd ? Pas de panique ! Louvr’boîte, à défaut de vous offrir la solution miracle, vous propose un petit instant poésie… Quoi de mieux pour commencer ce nouveau songe de rimes pigmentées et d’aquarelles sonores qu’une immersion dans les méandres de Füssli et d’une vieille légende écossaise avant de finir apaisé avec une sublime photo de Guillaume Mazille et un poème pour vous bercer ? Revenez à votre enfance, ce délicieux temps où vous vous êtes réfugié sous la couette pour dévorer, avec une lampe torche pour l’éclairer, un livre que vous adoriez… Je vous en propose un ce mois tout particulier, un ouvrage qui touche petits et grands, un écrit visuel et musical vers… les animaux ! Vous êtes prêts ? Alors embarquement immédiat sur l’arche des œuvres et des poèmes à plumes, à fourrures et à écailles !
Laureen Gressé-Denois
Commençons avec un peintre qui luiaussi avait des rêves presque terrifiants… Sur Le Cauchemar de 1810 conservé au Detroit Institute of Art, Johann Heinrich Füssli, un peintre suisse qui sert l’art britannique, dépeint le saisissant songe malveillant d’une jeune femme. L’univers y est très sombre malgré la lumière venant du dehors de la toile. Une femme à la peau marmoréenne est assoupie, son corps voûté par ses visions. Elle ne se doute pas qu’un démon repose sur sa poitrine avec une expression délétère, mais surtout qu’un cheval maléfique aux yeux vitreux est saisi de surprise ou d’horreur à sa vue. Les tonalités chaudes annoncent un érotisme ambiant. En effet, Füssli dépeint ici un de ses fantasmes : la jeune fille est Anna Landolt, la nièce de son meilleur ami dont il est le malheureux amoureux. Le cheval aux yeux exorbités serait-il donc Füssli, le prédateur passionné contemplant sa proie évanouie ? C’est une interprétation possible, surtout que Füssli aimait les jeux de langage et la littérature (la jument se disant « mare » en anglais, cette toile The Nightmare ne désigneraitelle pas Anna, la jument de nuit que regarde le peintre cheval ?) Il s’intéresse en outre, dans le contexte du romantisme noir, aux mythologies germaniques et britanniques… Dès lors, cette figure du libidineux équidé ne serait-elle pas inspirée d’une légende écossaise qui serait parvenue aux oreilles du Suisse ? En effet, dans les contes des Highlands se trouve une histoire sur un tel animal fantastique malveillant appelé l’ « each-uisge ». Transmise à l’oral dans les îles Hébrides, elle fait partie de ces fables mises à l’écrit par John Campbell en 1893 dans son ouvrage Les Contes populaires des Highlands de l’Ouest. « Jadis, au nord de l’île d’Islay vivait un grand fermier qui veillait sur un important bétail. un jour, un veau naquit parmi eux, et une vieille femme du village, dès qu’elle le vit, ordonna qu’il soit mis seul dans une
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maison, gardé là pendant sept ans, et nourri au lait de trois vaches. Comme tout ce que conseillait cette vieille femme était toujours exécuté dans le hameau, sa demande fut exaucée. Des années plus tard, la fille du fermier alla faire paître le troupeau de son père au bord d’un lac. Là, elle s’assit près de la berge et, quelques instants après, elle vit marcher à sa rencontre un séduisant jeune homme. Il la salua respectablement, gagna sa confiance et lui demanda poliment de lui tresser les cheveux. Elle accepta. Le jeune inconnu s’allongea et plaça alors sa tête sur les genoux de la femme. Dès lors, elle commença à entrecroiser ses mèches comme les demoiselles napolitaines faisaient avec leurs cheveux. Mais bientôt, elle fut prise de frayeur ! En effet, grandissante parmi les cheveux de l’homme, elle découvrit avec stupeur une grande quantité de «Liobhagach an locha», une élodée locale verte et visqueuse qui abonde dans les lochs frais, salés et saumâtres. Elle comprit de suite qu’elle avait affaire à un « each-uisge », un des monstres malfaisants d’Écosse, cheval des mers anthropophages, qui charmait ses victimes en prenant apparence humaine pour mieux les enlever. Une fois re-métamorphosé, le jeune homme pouvait alors la placer de force sur sa croupe collante dont elle ne pourrait plus s’arracher pour l’entraîner ensuite dans son lac et la dévorer. Même si la jeune demoiselle voulait crier et s’enfuir, elle se contint pour ne pas éveiller ses soupçons. Elle travailla jusqu’à ce que l’homme s’endorme. Puis, elle dénoua les ficelles de son tablier et glissa ce dernier sur le sol avec son fardeau. Elle courut alors au hameau pour alerter les villageois. Cependant, le monstre s’était réveillé, avait compris le subterfuge et commença à la courser. Alors qu’il était sur le point de l’atteindre, la vieille femme les vit et ordonna que l’on ouvre la porte de la maison du taureau qui avait grandi là sept ans. Le bovin jaillit et, voyant l’inconnu redevenu cheval monstrueux, s’élança à sa
rencontre. Les deux animaux combattirent jusqu’à se repousser vers le lac où tous deux sombrèrent. On ne revit alors plus jamais le vicieux « each-uisge », au grand soulagement des villageois, et ce grâce aux prémonitions de la vieille femme ! »
Toutefois, même si les animaux ont parfois des rapports d’animosité avec les humains, il ne faut pas oublier que la plupart du temps, ils cherchent des contacts pacifiés, voire affectueux ! Certains artistes ont ainsi eu la chance d’observer la beauté animale dans la nature. Guillaume Mazille a ainsi su dégainer sa meilleure arme pour les défendre : son appareil photo ! Durant ses études, il étudie la biologie marine mais faute de bourse, il se lance dans la photographie animalière. Il préfère alors cette nouvelle voie pour « passer [s]on temps à montrer le Beau plutôt que de le décortiquer. » Il connaît la faune sauvage comme sa poche et l’approche dans tous ses secrets dans une proximité saisissante. À vingt ans, il connaît un moment rare qui le marque par la suite dans son travail : sa rencontre avec Virgule, un baleineau de Polynésie française, avec qui il passe de nombreuses heures dans l’eau chaque jour pendant plusieurs mois. Sa passion pour les cétacés est sans borne. Il les aime, les saisit dans leur danse, les sublime… ou bien estce plutôt eux qui subliment la vision qu’en a Guillaume et par lui, toutes les personnes qui ont pu voir ses photos. Avec sa famille, il part dans des épopées pour saisir l’indomptable, l’immuable. Tous passent sous son objectif : loups, ours, baleines, requins, pandas roux, grenouilles...
Vision enchanteresse, cette photo d’une plongeuse avec des cétacés montre toute l’harmonie qui peut exister entre homme et animal. Elle est l’un des témoignages que le photographe a accepté que nous publions rien que pour vous dans ce journal, ainsi que les autres clichés que vous avez pu découvrir dans ce numéro. Si vous tombez sous leur charme, sachez que Guillaume a collaboré à de nombreux films tels que La citadelle assiégée (2006 - Philippe Calderon) ou encore Loup (2009 - Nicolas Vanier). Il a aussi écrit des documentaires (Aventures en terre animale sur Arte - 2016), a publié des ouvrages comme Baleines, aux premiers jours en 2005 et expose, comme au Festival international de photo animalière et de nature à Montier, avec son exposition « Ministère de la disparition ». Il tient même un site où il expose régulièrement ses dernières merveilles pour les plus curieux : http://www.mazprod.com/. Désormais, prolongeons cette plongée visuelle avec un peu de poésie, prête à réveiller votre sensibilité avec la nature, à vous faire rêver !
Soir d’eau au profond prélude Qu’au lointain flot, la prompte Onde à la vibrante et maternelle berge amène, Voici, longue, claire, ascendante, Méditative, la bleutée contrebasse D’inversés cieux, de temples oubliés… Cristallin placenta où tout d’étouffés Bruissements émane, s’érige en miroitée Cathédrale la soudaine et songée épiphanie, Désirée, tant imaginée... S’élèvent lors les légères Orbes au doux regard d’une muette exaltation figée. …Bulle…Suspendue… Viens… Viens… Auguste chimère sacrée… Veux-je sous tes délicats cils l’océan De mes hommages déposé. Qu’à la grâce De tes entrelacs en l’apesanteur esquissés, Puis-je auprès de ta sereine force toujours demeurer. …Relâchée…Bulle… Déjà diluée au diffus miroir de nouvelles mers, Vit et devient, rare Majesté. Qu’à notre danse Se souvienne l’harmonie comme à un aérien menuet, À jamais la limpide Beauté immortalisée.
« Épiphanie bleutée »
Laureen GRESSÉ-DENOIS
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Taslima Gaillardon
DIY : Des croquettes maison pour ton animal de compagnie Tu aimes ta chatte ? Nourris-la sainement !! Prends tes patounes on va faire des croquettes. Pour cette recette il te faut : ACCESSOIRES : - Un mug (c’est une tasse) - Un saladier - Un four
ALIMENTS : - Une demi boîte de thon - ¾ de mug de Maïzena - ¾ de mug de Farine de blé - 1/3 de mug d’eau - ¼ de mug d’huile végétale
Pour l’ambiance sonore je te conseille : La Ferme des Fatals Picards. C’est tipar ! 1) D’abord tu mets le thon dans le saladier, et tu l’écrases avec tes doigts, tu fais des miettes ! et non pas des mites, héhé ! 2) Tu peux ajouter les farines dans le saladier et mélanger le tout ! et non pas le poux, héhé ! 3) Ajoute l’eau petit à petit, il ne faut pas qu’il y ait trop de grumeaux ou que ça soit trop liquide. Forme une boule avec la pâte et pétris la bien tout en ajoutant l’huile progressivement. 4) Mets ton four à préchauffer à 200°C, je ne connais pas trop le délire des thermostats, déso. 5) Sur une plaque, étale ta pâte de manière à ce qu’elle fasse environ un centimètre de hauteur et découpe des petits cubes. 6) Enfourne, TMTC. Laisse cuire environ 20 minutes, il faut que les croquettes soient dures. Bon ben voilà. À plus !
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PS : Si ton animal est mort, comme le mien, tu peux manger les croquettes, c’est que des bonnes choses.
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Quel animal fantastique ĂŞtes-vous ?
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Jeux
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Crédits photographiques : Hannibal p.7: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cerf_du_Canada,_bois_-_Canadian_stag,_wood_-_Gallica_-_ ark_12148-btv1b2300253d-f28.png Le calendrier chinois ou le carnaval des animaux oriental p.10.11.12: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ChinaShanghai-YuGarden-the_Lantern_Festival-2012_1837.JPG https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Les_douze_animaux.jpg https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chinese_lantern_night_sky_lijiang_yunnan_china.jpg Les Nouveaux Animaux de Compagnie p.13 .14 .15 : CC- Wikimedia Commons - Photo de John Goodvac CC- ain.naturalistes.free.fr- Remise en liberté de grenouilles, photo de Pierre Roncin publicdomainpictures.net CC- Wikimedia Commons - Photo de Sugar Glider par Alessandro Di Grazia Requin : expectation vs reality P.16.17.18 : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Poxa_de_marraxo_(Isurus_oxyrinchus)_ no_porto_pesqueiro_de_Vigo.jpg https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Male_whale_shark_at_Georgia_Aquarium.jpg https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Prionace_glauca_by_mark_conlin.JPG Marine Photobank image provide by Fiona Ayerst
Miyazaki p.19.20.21 : https://digitalcollections.nypl.org/items/510d47dc-4942-a3d9-e040-e00a18064a99
Eléphantsp.22.23.24 : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Two_Elephants_in_Addo_Elephant_National_Park.jpg https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Elephant_trunk_(1).jpg https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tibetan-bronze-statue-Ganesha.jpg https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Two-Elephants.JPG
Ek°phra°sis p.52.53 : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:John_Henry_Fuseli_-_The_Nightmare.JPG Manon Schneider : Guollaume Mazille devant son oeuvre Guillaume Mazille avec autorisation spéciale p.28.29 ; p.32 ; p.36 ;p.41 ; p.52.53 ; p.56