Louvr'Boîte 5, mars 2010

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DOSSIER : Culture de masse VS culture d’élite Etes-vous plutôt Harry Potter ou Hamlet ? Cameron ou Jarmush ? Ben ou Malevitch ? Rieu ou Rostropovitch ? Johnny, The Strokes ou Boulez ? Mac Do, Starbucks ou la Tour d’argent ? Que vous dévoriez goulûment tous les divertissements culturels qui vous passent sous la dent, que vous picoriez curieusement à tous les râteliers ou que vous dégustiez uniquement les bouchées de savoirs les plus rares, savoureuses et raffinées… votre comportement vis-à-vis de la culture reflète, que vous le vouliez ou non, votre statut social... (suite page 21)


EDITORIAL

Ça valait le coup d’attendre !

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uatre numéros (et un hors-série) plus tard, Louvr'boîte is back in the bacs. L’édito, ça sert à quoi ? A saisir l’air du temps, à prendre la température de l'école... Vous l’avez sentie, elle est plutôt négative en ce début mars. Les examens (« Ah ils ont bon dos les exams, t'as vu aussi comment on mange ?») approchent à grands pas et aucune perspective de libération immédiate pour ensoleiller nos âmes. La bibliothèque ne désemplit pas et a des airs de ligne 4 aux heures de pointe. Mais notre rédaction maintient le cap et est toujours d'attaque pour enjoliver vos pauses à la cafèt ou vos cours de techniques de création ! Mais (car il y a un mais) nous ne vous cacherons pas une légère baisse de régime. Passé l'effervescence des premiers temps et la satisfaction inégalable de balancer un prototype à la face du monde (un journal à l'école, trop bien ! A quand une nouvelle machine à sandwichs ?), la petite équipe s'est agrandie et Louvr'boîte a trouvé son rythme de croisière. Mais la monotonie gagne du terrain ! L’absence de motivation nous guetterait presque ! On ne peut s’empêcher de déplorer le peu de retour de la part de nos lecteurs. Face à cette consommation passive, on a envie d’insister sur le fait que ce journal a été conçu dans le but de faire participer un maximum de gens. C’est une flamme olympique qu’il faut entretenir ! Pour qu’elle continue d’éclairer l’école de sa lumière enchanteresse, nous attendons vos envies, vos idées, vos critiques et bien évidemment vos articles ! Notre adresse n'a pas changé : journaledl@gmail.com . (Pour ceux que l'ancestral système des mails intimide : vous pouvez vous manifester sur la page facebook du journal ou au BDE, notre lieu de réunion officiel et port d’attache.)

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Certains seront tentés de répondre « rien » et force est de constater que ce numéro ne plie pas sous le poids

des innovations. Rythme de croisière, on vous dit ! Ce n'est pas tous les jours que Frédéric Mitterrand nous convie à manger des muffins rue de Valois (ce journal, telle une bouteille à la mer, sera envoyé au ministère de la culture.) En ce cinquième numéro, Louvr'boîte propose des mots croisés sans erratum griffonnés au stylo à la dernière minute, ce qui est suffisamment inattendu pour être mentionné ! Sans parler de la rubrique courrier du cœur qui fait une entrée tonitruante dans nos colonnes (Merci à PhilippeAlexandre de se jeter dans la fosse aux lions et d’offrir ses émois les plus secrets à l’ensemble de l’école.) On se met aussi à la page de l'actualité des politiques culturelles (actu un brin faisandée, on l'avoue, en ce début mars) avec notamment le décodage des vœux présidentiels à la Culture. On part également à la rencontre du troisième cycle afin de connaître tous les secrets de ce G20 de l'école. Pour le reste, les vieilles recettes ont la vie dure : L'actu des musées s'adresse ce mois-ci à des edliens pantouflards et nostalgiques en restant dans le coin de la rue de Rivoli et en s'intéressant aux Playmobil mis en vitrine aux Arts déco. Notre dossier s’attaque aux phénomènes de la culture de masse. La rubrique « Ils viennent aussi de là » kidnappe notre école et la transplante en Bretagne. Le dictaphone s’enflamme avec les interviews (séparées, on précise !) de Denis Bruna et des Igrecs, tous frétillants à l'idée de faire parler d'eux (les Igrecs, pas Denis Bruna, nous ne nous permettrions pas !). La galerie des horreurs laisse la place à un programme encore plus bankable : La galerie des fantasmes, qui a pour dessein d’émoustiller vos sens. Malgré le fort pourcentage de filles et d’homosexuels à l’école, les femmes à oilpé ont toujours la côte dans notre petit milieu. Que Belting se rassure : L’histoire de l’art n’est pas finie ! Margot Boutges


… nous avons besoin de vous !

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Lors de ses vœux de rentrée, le Directeur de l'Ecole a souligné le bilan positif des activités du BDE. Il n'avait pas tort. Malgré un petit coup de mou au sein de l'équipe dû à un excès de chocolat, de dinde aux marrons et de cours de droit à réviser de façon intensive au mois de janvier, les choses sont reparties du bon pied. La Pink Party et le voyage à Amsterdam ont rencontré un franc succès, et la visite de l'IMA a affiché complet au bout de 24h. Du jamais vu ! Tout d'abord, nous voulons remercier les élèves pour leur participation, et leurs fréquents encouragements. Les messages sur Facebook, les remerciements, ainsi que les cartes postales hollandaises, tout ça nous aide à continuer. Cependant, si le BDE existe, c'est pour les élèves, et sans vous nous allons avoir du mal à continuer nos activités. C'est le cas du Journal, qui sans rédacteurs aura quelques difficultés à être publié. Comme ils le répètent, cette feuille de chou est la vôtre ! N'hésitez pas à venir partager vos idées. Et plus encore, nous allons avoir besoin de vous pour le Gala. Bien entendu, nous comptons sur votre présence lors de cet événement majeur de la vie parisienne ! Mais vos bras nous seraient aussi très utiles. Car une telle soirée, c'est pas mal de préparation et une sacrée dose d'huile de coude, que nous ne pouvons gérer seuls. L'année dernière plusieurs élèves extérieurs au BDE étaient venus nous donner un coup de main, ils sont aujourd'hui membres du conseil d'administration, preuve que ça leur a plutôt bien réussi ! En gros, on compte sur vous pour continuer à participer aux activités, à nous encourager et à nous aider, parce que mine de rien, pour nous, ça compte beaucoup ! » Autrement dit bougez-vous ! Et pour cela, rien de mieux qu'une petite actualité des activités de notre bienaimé BDE. Les visites exclusives continuent avec le 12 mars une sortie au Quai Branly pour explorer les ateliers de restauration du musée. L'occasion de découvrir les problèmes liés au traitement des objets ethnographiques et l'envers d'un des musées les plus controversés de la capitale (cf Louvr' boîte n°3, toujours en vente, bah oui on

fait de la pub comme on peut). La visite est gratuite, aura lieu à 15h et les inscriptions se font comme toujours au bureau.

ACTU DU BDE

Une actu du BDE un peu différente ce mois-ci, avec un petit communiqué de la présidente du BDE, Eloïse Galliard, sur l'état actuel des choses. Don't worry, nous ne sommes pas au bord de la banqueroute mais tout de même...

Le 20 mars, quittez la ville, la pollution et venez découvrir un des plus beaux châteaux de France (et donc du monde). Le BDE vous propose, le temps d'une journée, de partir à la découverte de Chantilly, de son château marqué par le connétable de Montmorency, les princes de Condé et le duc d'Aumale, sa collection de peinture, son parc splendide (avec kangourous !) ainsi que l'insolite musée du cheval. Le voyage se fera en car, il est ouvert à 40 personnes. Le BDE le propose en priorité aux élèves du Club International et à partir du 5 mars, tous les adhérents peuvent également réserver leur place. Le prix de la journée est de 9 euros, transport et visites inclus. Vu le prix du billet de train et celui du billet d'entrée en temps normal, c'est plutôt un super bon plan ! Pour plus de précisions, passez-nous voir. Vous aimez le sport mais l'idée de transpirer vous rend malade ? Venez encourager les valeureux athlètes de l'école qui participent le 27 mars aux 22ème foulées du Tertre à Montmartre. Une équipe de choc made in EDL sera sur les bords de la chaussée pour doper nos coureurs à la bonne humeur. Vu la dénivelé dans le secteur, ils vont en avoir bien besoin... Retour au chaud le 31 mars puisque le bureau vous propose des places pour Siddharta, à l'Opéra Bastille. Comme son nom l'indique (à moins que vous ayez séché les cours de Zéphir petits filous), cette œuvre retrace la vie de celui qui deviendra le Buddha. C'est une commande pour l'Opéra de Paris, donc une œuvre indédite, avec une musique de Bruno Mantovani et une chorégraphie d'Angelin Preljocaj, qui avait enchanté la critique l'année dernière avec sa relecture de BlancheNeige. Le BDE vous propose donc pour cette représentation du 31 mars 16 places au prix incroyable et fabuleux de 18 euros.

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Et pour finir, quelques nouvelles du gala ! Cette année, il aura lieu le 2 juin. On ménage un peu le suspense et on ne vous dit pas encore où et comment mais patience, ça arrive. Pour vous aider à supporter ce mystère incroyable, une petite nouveauté en exclu. Cette année il y aura une tombola ! Pas de porte-clé Heine-

ken, de casquette Cochonou ou de stylo-bille Cofidis mais plutôt des catalogues d'expo du musée Dapper ou de l'IMA, des laissez-passer pour Jacquemart-André, des grands et beaux livres d'art, des CD, du mobilier design... Les tickets seront en vente au BDE avant la soirée, le tirage aura lieu pendant et les lots seront à retirer dans la semaine qui suivra le gala. Et pour ceux que le volontariat ne rebute pas, le BDE cherche encore des petites mains courageuses et motivée. We want you !

ACTU DU BDE

Toujours du côté des spectacles, 10 places à 9 euros vous sont proposées pour aller voir la pièce d'Albert Camus, Les Justes, au théâtre de la Colline le vendredi 2 avril à 20h30. A travers cette pièce, Camus pose la question des limites de l'action révolutionnaire et de la justification de la violence, des thèmes encore très actuels. Pas forcément réjouissant mais c'est l'occasion de découvrir cet auteur majeur, mort il y a 50 ans.

LOUVRE

ACTU MUSEES

La Volga et le Nil à deux pas de la Seine Pour le printemps 2010, le Louvre vous propose une virée en terre slave, la découverte d'un empire antique, une plongée dans l'art classique européen ainsi qu'une multitude de concerts et d'évènements. Petit passage en revue...

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a grande actualité à venir c'est of course l'exposition Sainte-Russie, du 5 mars au 24 mai, qui dresse un panorama de l'art russe entre le IXe siècle et le XVIIIe siècle, depuis les premières mentions de la Russie chrétienne dans l'histoire latine jusqu'au règne de Pierre le Grand et l'intégration du pays dans le jeu politique, économique et artistique de l'Europe des Lumières. L'évènement prend place dans le cadre de l'année France Russie 2010 et a du coup bénéficié d'un gros soutien officiel. Ça promet d'envoyer gros ! Un incroyable rassemblement d'icônes, de textiles, d'orfèvrerie, de manuscrits et autres objets parfois pour la première fois exposés en France, rassemblés dans le but d'évoquer cet art influencé par l'empire byzantin, marqué par de nombreuses invasions et qui a brillé au XVIe siècle notamment sous le règne du sympathique Ivan IV le Terrible. Le commissaire de l'exposition n'est autre que Jannic Durand, la preuve que Durand et art chrétien vont très bien ensemble. Si tout ça est un peu obscur ne vous inquiétez pas on a tout prévu ! Le 15 mars à 12h30, Jannic Durand (alias Durand sénior) fera une conférence à l'auditorium du Louvre pour présenter l'exposition. Tarif réduit pour les étudiants (2€) et une occasion incroyable d'écouter le master, celui devant qui même Maximilien s'incline. Dans le cadre de cette exposition et plus généralement de l'année France Russie, une saison russe vous est présentée à l'auditorium. Concerts de musique sacrée et de musique classique jouée par des musiciens russes

ainsi que deux opéras : Rousslan et Lioudmila de Glinka le 28 mars et Prince Igor de Borodine le 29. Rien que les titres vous envoient direct au bord de la Volga !

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Toujours côté musique, si vous avez raté les deux premiers concerts de Camille, précipitez-vous le 19 mars à 20h30 à l'auditorium ! La chanteuse y donne sa dernière représentation dans le cadre de sa carte blanche


À partir du 25 mars, le Louvre se met à l'heure classique. Deux expositions pour se plonger dans les beaux-arts européens du XVIème au XVIIIème siècle. Cinquante dessins de Toussaint Dubreuil sont exposés à Denon. L'occasion de découvrir le premier peintre d'Henri IV, artiste encore assez méconnu qui fit pourtant passer la peinture française du maniérisme bellifontain à la grande manière classique, ouvrant la voie à Vouet, La Hyre ou encore Poussin. Il sut assimiler la leçon des maîtres, de Michel-Ange au Primatice, pour développer une manière ample et énergique qui l'imposa comme un des grands peintres de la fin du XVIe siècle. Pour les 3ème années, l'occasion de bosser les origines du classicisme-qu'on-n'appelle-plus-comme-ça-mais-que-tant-pis -on-dira-quand-même. Pour les autres, juste une occasion de se régaler les yeux.

proposée. Celle d'Helena et Guy Motais de Narbonne, un gentil couple de donateurs qui ont amassé à partir des années 80 une collection de peinture du XVIIe et XVIIIe siècle. Si l'ensemble se concentre sur la France avec des œuvres de Le Brun, Boucher ou Vien, il lorgne aussi un peu du côté de l'Italie avec des tableaux de Giordano ou Creti. L'exposition se termine, tout comme celle sur Dubreuil, le 21 juin.

LOUVRE

autour du cinéma des débuts. Elle sera accompagnée de Reggie Watts qu'elle décrit ainsi : « c’est l’improvisateur vocal le plus drôle et le plus génial que j’ai jamais rencontré. Il sera le fantôme, je serai le revenant. Ou peutêtre l’inverse, je ne sais pas. BOUOUOU !! ». Tarif super avantageux pour les étudiants, dépêchez-vous d'en profiter !

Les antiquisants et les fans des civilisations méconnues, on pense aussi à vous ! Avec Méroé : un empire sur le Nil, le Louvre vous propose de découvrir la Haute Antiquité de l'Afrique à travers l'histoire de cette civilisation implantée au nord de Khartoum et qui se développa entre le IIIe siècle avant J.-C. et le IVe siècle après J.-C. Deux cents œuvres aux influences africaines, égyptiennes et gréco-romaines montrant la diversité de cet art méconnu car écrasé par la popularité de son voisin pharaonique. Les images des fouilles de 1821 et de 2007 présentés témoignent quant à elles de l'engagement mené sur le terrain par le musée du Louvre. Bonne visite ! Anaïs Raynaud

ARTS DECO

À Sully c'est une collection entière qui vous est

Les Playmobil au musée Les expositions parisiennes sont souvent prises d'assaut le week-end et pendant les vacances. Celle-ci ne déroge pas à la règle, mais c'est ici en compagnie de plusieurs dizaines de bambins en délire que se fera la visite.

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ourquoi une exposition Playmobil? Les fameuses figurines, nées en 1974 ont rapidement connu un succès planétaire : dès 1980, 300 millions d'unités ont déjà été vendues, et l'on atteint un chiffre de 2,2 milliards en 2009. Parallèlement, c'est plus de 3000 modèles qui ont été créés. Dès lors, parés d'une telle réussite, comment ne pas considérer les Playmobil comme des chefsd'œuvre des arts industriels?

vérifie immédiatement à la visite de cette exposition, qui s'ouvre sur les témoignages de possesseurs de Playmobil devenus adultes expliquant leurs rapports aux Playmobil, leur façon de les mettre en scène... A ceci s'ajoutent les histoires que s'inventent en temps réel les jeunes visiteurs, malgré la distance et les vitrines entre eux et les objets. Car les Playmobil ont ce pouvoir peutêtre magique de faire germer dans l'esprit des enfants les plus incroyables histoires.

C'est donc pour le bonheur de nombreux enfants que se tient une exposition Playmobil au Musée des Arts Décoratifs depuis décembre et ce jusqu'au 20 mai prochain. Pour le bonheur des enfants certes mais aussi pour le bonheur des ex-enfants que nous sommes. Cette exposition a la particularité de présenter des objets que chacun d'entre nous ou presque possèdent ou ont possédés, objets que l'on aura un grand plaisir à redécouvrir.

C'est grâce à une crise que naissent les Playmobil, en 1974. La société Geobra, spécialiste des jouets en plastique et plus particulièrement du Hula Hoop voit son fonctionnement rendu difficile par le choc pétrolier. La reconversion devient préférable, sinon nécessaire. L'idée serait de concevoir et fabriquer en série des objets de plus petites dimensions, utilisant moins de pétrole et donc moins coûteux. C'est Hans Beck, designer de l'entreprise qui va concevoir le premier un projet de figurine adaptée à la main de l'enfant, pouvant se vêtir et porter des accessoires multiples. Les Playmobil étaient nés. Le

Playmobil, c'est une figurine de 7,5 cm et un slogan célébrissime « En avant les histoires ». Celui-ci se

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C'est cette riche histoire que s'attache à nous présenter l'exposition. Il en résulte un certain nombre de vitrines-tableaux présentant les Playmobil en situation, de manière thématique, parfois chronologique. Dans la première salle est exposée une collection particulière autour du thème du cirque particulièrement impressionnante, tant par la quantité de figurines installées que par leur variété et l'originalité de la mise en scène. Presque tous les univers créés sont représentés, des plus connus -la maison BelleEpoque ou les cow-boys- aux moins courants – saviezvous qu'il existe une arche de Noé Playmobil, une des rares références religieuses de la production ? (on trouve également la crèche de la Nativité et une église, ndlr) Les panneaux explicatifs ne sont pas toujours en lien direct avec les vitrines : ceux-ci nous en apprennent davantage sur l'histoire des Playmobil, pendant que les vitrines parlent d'elles-mêmes (le poids des mots, le choc des photos!). Et l'on se prend à passer de longues minutes devant chaque vitrine, tentant de reconnaître les personnages que l'on possédait étant petit, et admirant tous les détails de la mise en scène : il faut bien dire que

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les scénographes ont dû s'amuser un certain temps à créer toutes ces scènes. Le manque de stabilité des figurines les auront amené sacrilège!- à coller certaines d'elles !

ACTU MUSEES

développement du produit va dès lors être exponentiel. Le premier Playmobil se sentant peut-être seul tel Adam, les designers créent en 1976 les premières figurines féminines. A partir de 1982, les Playmobil ont les mains qui pivotent, puis certaines figurines voient leur ventre grossir, les femmes acquièrent dans les années 1990 une vraie poitrine. Parallèlement à ces innovations, Geobra développe sans cesse de nouveaux univers de jeu. Tournés essentiellement à l'origine vers des sujets guerriers ou sportifs (cow-boys, soldats, cyclistes...), les Playmobil vont peu à peu s'ancrer dans de nouveaux environnements : cirque, Belle-Epoque, vie quotidienne contemporaine, pompiers, pirates, chevaliers, hôpital, etc. Au final, presque toutes les époques historiques et tous les métiers sont représentés. En 1988, ce sont près de 50 employés et designers qui développent les nouveaux produits, et ce non sans l'aide des jeunes usagers : l'exposition présente un certain nombre de dessins envoyés de manière quotidienne par des enfants à la société Playmobil figurant les personnages qu'ils rêvent de voir créer, parfois avec foule de détail. Attacher de l'importance à ces dessins était sans doute la meilleure manière de répondre aux attentes des enfants.

Cette exposition a l'intelligence de ne pas se contenter de présenter la production Playmobil. Elle se place aussi du côté de l'enfant qui utilise les Playmobil, tant par des témoignages écrits d'adultes et des dessins d'enfants. On montre ainsi leur réception, les liens qu'entretient l'enfant avec ses Playmobil. Seul bémol peutêtre : montrer presque uniquement des Playmobil comme juste sortis de la boîte, sans mélanger les accessoires, les époques et même les types de jouets, comme le fait souvent l'enfant. Un adulte en témoigne : il acheminait ses Playmobil dans un train Lego, Playmobil qui ne manquaient pas de se faire attaquer par ses dinosaures en plastique !

D'une manière plus générale, l'exposition nous prouve qu'un jouet, même si produit de masse, très peu coûteux, a sans aucun doute sa place dans un musée, en tant que témoignage d'une époque, d'une civilisation et même d'un type de production. La galerie des Jouets du musée des arts décoratifs en montre l'exemple depuis des années. Et qui sait, peut-être que dans quelques milliers d'années un ou deux Playmobil retrouvés dans des fouilles archéologiques seront exposés, comme nous exposons de nos jours les poupées-jouet égyptiennes? Certes il s'agit d'une exposition Playmobil, mais il s'agit tout autant d'une exposition sur les rêves et l'imaginaire de tous les enfants depuis ces 35 dernières années. Quoiqu'il en soit, le visiteur sera au final ravi d'avoir revu les Playmobil qu'il a possédé dans son enfance, aura vu en situation ceux qu'il a un temps rêvé de posséder et en aura découvert de nouveaux. Un petit détour à la boutique du musée vous permettra de voir une mise en situation nouvelle pour les fameuses figurines : montées en boucles d'oreilles, elle vous coûteront alors la bagatelle de 400€ pièce ! Alexis Comnène


POLITIQUE CULTURELLE

2010 : Quels grands chantiers culturels ?

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ous avons pris le parti de ne pas engager d’analyse critique ou de polémique et de rester aussi objectif et partial que possible (bien qu’il nous sera difficile de ne pas céder à la tentation de relever quelques bonnes petites blagues telles que : « j’ai été très fier d’inaugurer en 2009 le très beau département des arts d’Islam » ou encore plus drôle : « j’aurais tant d’autres choses à vous dire. Tant d’autres choses. Vous le savez, il s’agit d’un sujet [la culture] qui me passionne »). Non ! Promis, nous prendrons les propos de notre Président avec tout le sérieux qui se doit ! Dans une première partie, Nicolas Sarkozy fait le bilan des actions déjà menées dans le domaine culturel et des progrès y ayant été accomplis. Il souligne tout d’abord la fréquentation en constante hausse des institutions culturelles comme les musées, la FIAC ou les cinémas. Celle-ci est encouragée par de grands chantiers à Paris et en Province, tels le Centre des Archives Nationales de Pierrefitte-sur-Seine, l’antenne du Louvre à Lens et celle du Centre Pompidou à Metz, le Musée des Civilisations de la Méditerranée à Marseille ou encore la création de la Philharmonie de Paris. Il poursuit en réaffirmant le bien-fondé des réformes les plus marquantes de son début de mandat : réorganisation de France Télévisions et suppression de la contrainte publicitaire, réforme du marché de l’art, adoption de la loi HADOPI ou application du plan livre. Le Président brosse ensuite le tableau des principales orientations de la politique culturelle du gouvernement pour l’année à venir, insistant sur son rôle de «protecteur des arts et défenseur de la culture» (Louis XIV, nous y sommes presque !). Il insiste sur le projet du Grand Paris (devant ensuite être adapté aux grandes métropoles régionales), destiné à embellir la capitale et à accroitre sa compétitivité internationale. Il annonce ensuite l’inauguration de l’année France-Russie célébrée notamment par l’exposition Sainte Russie au Louvre ainsi que la création dans ce même musée d’un département d’arts des chrétientés d’orient, des empires byzantins et slaves. L’ouverture sur les cultures étrangères se fera également par le biais du musée d’Abou Dhabi, d’un partenariat avec Damas et de l’exposition pour la première fois en Australie des chefs-d’œuvre impressionnistes du musée d’Orsay. Le président dit même vouloir « renouer avec l’époque des grandes missions

DECRYPTAGE

Pour ce premier numéro de l’année 2010, nous vous avons concocté un rapide compte-rendu du discours de vœux que Nicolas Sarkozy a adressé au monde de la culture, le 7 janvier dernier à la Cité de la Musique de Paris.

archéologiques » (référence aux Napoléons cette fois-ci !). Afin de lutter contre la crise et de nous prémunir de ce qui peut porter atteinte à notre humanité (nous paraphrasons), le chef de l’Etat propose la création d’une Maison de l’Histoire de France pour affirmer l’identité française et interroger les multiples interprétations des faits historiques. Il inscrit dans la même problématique l’entrée au Panthéon d’Albert Camus. Ensuite, il s’intéresse à tout ce qui concerne la « Révolution numérique » . Il annonce avant tout un budget destiné à la restauration et la numérisation des patrimoines immatériels, mais affirme en contrepartie soutenir les industries du disque et de la presse qui eux pâtissent de cette offre numérique. Il insiste surtout sur la nécessité de protéger le droit d’auteur par le biais de la loi HADOPI déjà citée, dont il développe longuement les tenants et les aboutissants. Le gouvernement propose la mise en place de la « Carte Musique » adressée aux jeunes : d’un potentiel d’achat de 200€, la moitié serait prise en charge par l’Etat pour réhabituer les jeunes à acheter leur musique. Nicolas Sarkozy veut aussi faire en sorte qu’une TVA réduite sur l’ensemble des produits culturels puisse être appliquée, afin que le livre physique ne soit pas taxé à 5,5% alors que le disque ou la vidéo le sont à 19,6%. Par ailleurs, notre gouvernant souhaite une politique plus audacieuse quant au spectacle vivant, alors que le Ministère de la culture vient tout juste de fêter ses cinquante ans. Une réforme en profondeur des aides à la création a été engagée. Elle vise à favoriser l’excellence artistique des projets, leurs vertus pédagogiques et éducatives ainsi que la diversité des esthétiques, mais promeut également les créateurs français en assurant leurs développement et diffusion. Enfin, le discours se clôt sur la question de l’éducation artistique : il s’agit d’introduire l’histoire des arts dans les programmes scolaires, de l’école primaire au lycée, de profiter de plusieurs portails Internet en cours de réalisation qui permettrait de visionner des films, des captations d’opéras ou de théâtre, des promenades virtuelles dans des collections permanentes ou temporaires de grands musées… ce qui permettrait de créer le public de demain. (« Rendez vous compte de tout ce que l’on peut réaliser si l’Education nationale se met au service de la culture ! » s’exclame-til comme s’il était le premier à y avoir pensé !). Le chef de l’Etat veut également mettre l’accent

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POLITIQUE CULTURELLE sur la pratique artistique, notamment par l’initiation musicale ou la création d’orchestre dans les quartiers difficiles. Pour finir, il promet que le budget du ministère de la culture sera dégelé en 2010 afin d’aider à l’accomplissement des différents chantiers et réformes mentionnés précédemment. Pour davantage de détails, nous vous renvoyons bien entendu à l’intégralité du discours prononcé par Nicolas Sarkozy. Nous sommes sûrs que celui-ci satisfe-

BILLET D’HUMEUR Auditeurs libres mais pas trop!

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n a souvent entendu des adultes (nous parlons ici de personnes ayant plus de 45 ans) dire dans le bus, au restaurant, à la télévision : « les jeunes sont irrespectueux », « ils sont pourris gâtés » ou bien encore « quels fainéants ces jeunes ! ». On nous dit de respecter nos aînés, d’éteindre nos téléphones portables (« de toute façon, ils ne peuvent plus vivre sans, il n’y a plus de communication »), de laisser la place assise dans le bus à une personne âgée ou enceinte (donc une femme techniquement, à moins que nous ne soyons pas tenus au courant des avancées de la science). Nous savons donc ce que certains pensent de nous. Maintenant intéressons-nous à ce que nous sommes, nous élèves de l’EDL. Pour la grande majorité d’entre nous, nous sommes là, dans cette belle école, par choix et non par défaut. Nous avons tous la motivation pour réussir et nous faisons des efforts pour y parvenir. Il suffit de voir comment nous nous marchons dessus dans un lieu que je ne citerais pas mais qui se trouve sous l’école, hum-hum (allez, un petit effort, un lieu avec plein de livres). Ou alors avec quelle dévotion, nous assistons les gardiens de musée en épiant les touristes. En clair, nous appartenons bel et bien à cette école.

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Pourtant, nous ne sommes pas les seuls à assister aux cours. Il y a bien sûr les auditeurs libres. Ils se trouvent que nous ne sommes apparemment pas du même monde. Mais si voyons, vous l’avez tous entendu ce leitmotiv : « nous payons assez cher alors nous avons plus de droits ». Vous avez tous vu la foule compacte des auditeurs se massant une heure avant le début du cours de spécialité devant l’amphi pour être sûr d’avoir la bonne place. Et lorsqu’ils se sont bien tous installés en bout de rangée, ils se font une joie de refuser de se pousser pour laisser les élèves accéder aux places restantes, les condamnant même parfois, à s’asseoir par terre. On se demande d’ailleurs comment il n’y a toujours pas eu de morts dans ces ruées hebdomadaires. On peut aussi entendre souvent la délicate sonnerie d’un téléphone portable interrompant le professeur. Je témoigne en tant qu’élève de la spécialité Inde où les cours se passent dans un amphithéâtre pourvu de réseau (bien entendu ce n’est pas quelque chose qui arrive à Rohan). Or, ces parasites sonores proviennent en majorité de portables appartenant à des auditeurs libres. Donc, avant de regarder un jeune de travers parce que son portable sonne, éteignons le nôtre.

ra à la fois votre curiosité de connaître en profondeur les grandes tendances de la politique culturelle de la France, et confirmera la haute opinion que vous vous faites de notre Président, qui sait manier avec brio les grandes envolées lyriques, et ne s’en prive d’ailleurs pas (il évoque notamment dans une subtile métaphore filée l’Allégorie de la Caverne de Platon et emploie avec parcimonie de très beaux imparfaits du subjonctif… ça vaut le détour !!) Perrine Fuchs

On est aussi témoins de scènes plus violentes comme une tentative de forçage de la porte de la salle sous prétexte que le cours précédent est en retard de cinq minutes. Ce qui n’est, à mon sens, pas très grave pour des retraités. Fusent même des insultes et des remarques désagréables tel que : « il fallait arriver avant » (en même temps, vous êtes tous là une heure avant) et bien sûr, l’indémodable « nous, nous payons ». Si certains peuvent se le permettre alors qu’ils sont en retraite, alors cela ne doit pas être si terrible. Remarquons au passage que nous payons aussi, que nous sommes étudiants et qu’il est normal que les cours nous soient accessibles si nous souhaitons travailler à notre avenir. Et surtout, au bout du compte, nous avons un examen qui détermine la suite de nos études. Il m’a été dit que le personnel de l’Ecole (qui ne fait qu’exécuter un ordre et donc n’est pas responsable) bloque l’entrée de l’amphithéâtre aux élèves pour que les auditeurs puissent rentrer d’abord. Nous voulons bien qu’ils soient en partie à l’origine du financement de l’école (ne soyons pas langues de bois) mais de là à ce qu’ils ne nous respectent pas et pensent avoir tous les droits (si, si, rappelez vous : « ils paient, eux »). Bien sûr, il s’agit peut-être là d’une généralisation un peu trop abusive (il n’y a pas que des retraités chez les auditeurs, ils ne sont pas tous désagréables, heureusement, et tous les élèves ne sont pas des jeunots). Mais le constat est là et de nombreux élèves se plaignent. Beaucoup de comportements de ce genre sont des faits avérés. Je pense que nous avons le droit à une meilleure considération et que certaines personnes devraient apprendre le respect et le calme (qui aurait l’idée d’enfoncer une porte dans notre société civilisée ?). Les remarques faites aux jeunes énoncées au début de cet article ne s’appliquent visiblement pas qu’à ces derniers. Alors cela devrait donner à réfléchir. Parce qu’en tant qu’élèves, nous avons le droit à la même considération que les auditeurs libres car nous donnons du temps à nos études et à notre Ecole que nous aimons tous. Si cela murit dans la tête de certaines personnes, qui espérons-le, se reconnaitront dans ces propos et qu’ils comprennent notre plainte, alors nous pourrons cohabiter dans ce lieu cher à nos cœurs. Pour conclure, quelques mots de notre ami Rousseau : « La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse; la vieillesse est le temps de la pratiquer. ». A bon entendeur… Marie Surget


Denis Bruna, en toute simplicité

Quel est votre parcours ?

J’ai commencé mes études en histoire de l’art et en histoire en m’inscrivant tout d’abord à l’école du Louvre, parallèlement je me suis inscrit à l’Université de Paris 1. A l’école du Louvre, j’ai choisi comme spécialité l’art contemporain. En deuxième année, j’ai été touché – pourrais-je dire – par une « révélation médiévale » en suivant l’excellent cours d’HGA de Jannic Durand. La même année, à l’université, j’avais suivi le très bon cours d’histoire médiévale assuré par Robert Fossier. Là, j’ai commencé à me poser des questions. J’ai continué l’école jusqu’à la fin du premier cycle. Je ne me suis pas lancé dans le second cycle parce que j’allais poursuivre à l’université avec un mémoire de maîtrise d’une centaine de pages et je voyais que celui-ci allait me demander beaucoup de temps. J’ai donc poursuivi l’université, une maîtrise, un DEA en histoire de l’art, que j’ai eu la chance de faire en partie en Angleterre. Ensuite, j’ai commencé ma thèse de doctorat que j’ai faite dans de bonnes conditions car j’ai été bénéficiaire d’une allocation de recherche. Une deuxième « révélation » a eu lieu pendant cette première année de thèse : mon directeur de recherche m’a proposé de faire des travaux dirigés pour les étudiants de Paris I, et quelques cours en amphi. Je me suis rendu compte que l’enseignement était quelque chose qui me plaisait beaucoup. Mon doctorat en poche, j’ai commencé à enseigner dans divers établissements, d’abord à l’Institut national du patrimoine au département des restaurateurs d’œuvres d’art où je donnais des cours d’histoire de l’art du Moyen Âge et d’iconographie chrétienne. A ce même moment, juste après ma thèse, Vivianne Huchard (à l’époque directrice du musée de Cluny) m’avait demandé de rédiger pour les éditions de la Réunion des musées nationaux le catalogue des insignes religieux et profanes du musée, ce que j’ai accepté de faire. C’était un gros catalo-

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Les élèves de première année ne connaissent pas encore celui qui règne sur les royaumes barbares et qui a l’aigle de Suger pour monture. Ils devront patienter encore un peu avant de découvrir cette valeur sûre du corps professoral edlien. Après Agnès Benoit et Maximilien Durand, c’est au tour de Denis Bruna de s’en remettre au très indiscret dictaphone (neuf) de la rédaction. Il nous avait habitué aux calembours parsemant délicieusement ses cours. On découvre un homme discret, soucieux de ne pas trop en faire. Comme il le dit lui même. « Je suis un homme sérieux. Qui ne se prend pas au sérieux. »

gue de 700 notices. J’étais très content car c’était mon 1er livre. Juste après sa publication, Vivianne Huchard m’a proposé d’être le commissaire de l’exposition sur les insignes au musée de Cluny. Peu de temps après j’ai travaillé pour la direction du patrimoine au ministère de la culture où j’ai été le coordinateur du dossier du patrimoine français en rapport avec le pèlerinage en général et le pèlerinage à Saint-Jacques-deCompostelle en particulier. Ce dossier était conçu en vue de l’inscription des édifices – au total 71 églises, hôpitaux, ponts et chemins – au Patrimoine mondial de l’Unesco. Ensuite, j’ai proposé ma candidature au poste de professeur à l’école des Beauxarts de Versailles où j’ai été retenu. J’enseigne là-bas depuis presque dix ans. J’ai commencé à enseigner à l’école du Louvre au même moment. Et parallèlement, je continuais à participer à des colloques et à écrire des articles et des ouvrages. Quel était le sujet de votre thèse ?

Elle s’intitulait Enseignes de pèlerinage et enseignes profanes (publiée sous le titre : Enseignes de plomb et autres menues chosettes du Moyen Âge aux éditions du Léopard d’Or). Les enseignes étaient des insignes, des sortes de

broches, que les pèlerins et les membres d’une faction politique pouvaient porter sur le vêtement. Elles furent fabriquées et mises en circulation entre le 12ème et le 16ème siècle. On en a beaucoup trouvées dans la Seine, lorsque elle fut draguée au 19ème siècle. (On en a trouvé aussi à Lyon, à Rouen, à Londres, dans les Flandres, un peu partout). Les pèlerins avaient sans doute pour habitude d’en jeter dans l’eau pour remercier la Vierge ou un saint d’avoir effectué une grâce ou un bienfait. On a découvert ces objets à Paris sous le second Empire ; ils ont été achetés par Napoléon III pour être ensuite placés dans les collections du musée de

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On est bien loin de l’art contemporain qui était votre spécialité à l’école !

Il faut dire que j’avais choisi l’art contemporain parce que j’avais une formation initiale dans les arts appliqués. Les quelques cours d’histoire de l’art dans cette section portaient sur la création au 20ème siècle, sur l’histoire de l’objet du Bauhaus à nos jours. Je m’étais dit que j’avais déjà des connaissances concernant le 20ème siècle et qu’il était peut-être bon de continuer dans un enseignement plus spécialisé. Je me suis donc inscrit en art contemporain. J’ai continué malgré les fameuses « révélations médiévales » parce que cela m’intéressait et que les cours étaient bons. Et je me suis toujours dit qu’un historien de l’art devait être au courant de l’art de sa propre génération. Si je m’étais spécialisé aussitôt dans une période ancienne, peutêtre que je me serais laissé enfermé trop facilement dans cette période là. Aujourd’hui, j’aime toujours autant aller dans les galeries d’art contemporain. Je pense aussi que le fait d’avoir un diplôme de 1er cycle spécialisé en art contemporain a joué en ma faveur pour l’obtention du poste à l’école des Beaux-arts à Versailles ; je présume que si j’avais montré uniquement ma thèse en médiéval cela aurait moins séduit le jury.

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Pour en revenir au Moyen Âge, y a-t-il eu des prémices à cette « révélation médiévale » ? Quelques anecdotes enfantines ayant pu éveiller cette passion ?

Ma passion pour le Moyen Âge date en effet ! Quand j’étais enfant, j’adorais les livres de Walter Scott, Ivanhoé et Quentin Durward. J’aimais aussi beaucoup le cinéma américain, celui des années 30 à 50 : le cinéma qui passait le mardi soir à la télévision dans une certaine émission (ndlr, La dernière séance, si chère à nos parents). Je me souviens surtout de Robin des Bois avec Errol Flynn, Ivanhoé de Richard Thorpe avec Elizabeth Taylor (ndlr et Richard Taylor, et Joan Fontaine et Georges Sanders !). Je me souviens aussi du petit château fort en carton-pâte qui occupait mes mercredis. Mes parents m’avaient acheté pour mon onzième anniversaire un petit livre qui s’intitulait « les châteaux forts » et qui était écrit par Gaston Duchet-Suchaux et Michel Pastoureau. C’est un petit livre pour les enfants avec des illustrations qui racontaient la vie dans un château-fort, l’état de siège etc… De nombreuses années après, j’ai eu la chance de rencontrer Michel Pastoureau après ma thèse. Nous sommes maintenant amis et je lui ai montré ce livre. Il a beaucoup ri et m’a précisé qu’il était très heureux que ce livre, sorti en 78

je crois, m’ait donné le goût pour le Moyen Âge. Pensez-vous avoir été prédestiné au Moyen Âge de par votre patronyme Denis ? Y avez-vous vu un signe, quelque chose de supérieur vous appelant vers les cathédrales ?

Je crains de vous décevoir (rires) mais non ! Mais j’avoue tout de même une chose : quand au XVe siècle, saint Michel a détrôné saint Denis, ça m’a fait quelque chose… Etiez-vous gothique quand vous étiez jeune ?

Désolé de vous décevoir encore (rires). Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, mais durant mon adolescence, la mode gothique n’existait pas ! (ndlr : A d’autres !)

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Cluny. Ma thèse a donc porté sur ces petites broches essentiellement en plomb et en étain. Il y avait peu d’étude sur le sujet en France, probablement car le matériau était modeste. Cela dit, c’était vraiment des objets importants à l’époque. Les individus humbles en portaient mais, les rois de France comme Louis XI, en avaient aussi sur leur chapeau.

Comment percevez-vous votre mission de professeur dans l’école du Louvre ?

Je crois qu’une mission est un bien grand mot. Comme je le dis souvent en introduction du premier cours, je me considère un peu comme un débroussailleur dans le sens où je prépare le terrain, j’essaie de simplifier les choses pour qu’ensuite les élèves soient plus à l’aise pour aller plus loin. Ils vont découvrir la période, les œuvres d’art dans le cadre des travaux dirigés. Ils vont aussi mieux appréhender la période avec les manuels qui sont précisés dans la bibliographie. Non, je n’ai pas de mission particulière, j’essaie de transmettre une passion. Mon travail je le conçois en disant que j’essaie d’abord d’approcher les choses, de les comprendre pour pouvoir les expliquer. Et j’essaie toujours de les expliquer simplement pour qu’elles soient à leur tour comprises. Entre l’enseignement à l’Ecole du Louvre et celui que vous donnez dans les autres établissements, ça change beaucoup ?

En effet, c’est très différent. L’histoire de l’art dans une école des Beaux-arts est un peu le « parent pauvre ». Les élèves ont essentiellement des cours en arts plastiques. A Versailles en l’occurrence, les élèves n’ont que deux heures d’HGA par semaine. Là, bien évidemment, il faut concevoir un enseignement différent, adapté à ce que les élèves font. Il y a quatre ans de formation à l’école des BA à Versailles. En première année, j’aborde des thèmes un peu différents : on travaille notamment beaucoup sur l’actualité, sur les images, sur les analyses d’images, sur les articles de presse pour débroussailler le terrain, pour aborder l’histoire de l’art d’un aspect un peu contemporain : on peut très bien parler d’une expo ou d’un événement culturel dont on entend parler à la télévision ou autre. A partir de la deuxième et de la troisième année, j’entame une histoire générale de l’art entre la fin du Moyen Age et le début du 20ème siècle en privilégiant la peinture et la sculpture puisqu’elles sont les discipli-


Entre l’approche université et l’approche Ecole du Louvre, quelle approche de l’enseignement de l’histoire de l’art vous satisfait le plus ? C’est quand même satisfaisant de finir le 1er cycle de l’école du Louvre en ayant eu une vision globale de tous les espaces/temps !

Je suis tout à fait d’accord avec vous. Lorsque j’étais étudiant à l’université, on avait le choix pour les périodes anciennes entre plusieurs disciplines qui allaient de la préhistoire au Moyen Âge. Et parmi ces périodes, il fallait – si mes souvenirs sont exacts – en choisir 4 : en ce qui me concerne, j’avais choisi pour mes 2 années de DEUG préhistoire, protohistoire, Grèce et Moyen Âge. Comme vous le constatez, à l’université, je n’ai pas pu aborder le Proche-Orient antique, Rome et la Gaule romaine. De plus, à Paris I, il n’y avait pas de cours sur l’Égypte ancienne ! J’étais heureux de pouvoir compléter à l’EDL ces manques en suivant les cours de Proche-Orient, d’Egypte, de Rome, de Gaule romaine… Des amis me demandaient souvent ce que je préférais entre l’université et l’EDL. Mais en toute franchise, je répondais que je n’ai pas pu faire de préférence l’un par rapport à l’autre parce que j’ai vraiment ressenti que ces enseignements ne sont pas comparables, mais ils se complètent. Et en tant qu’enseignant, vous avez une préférence?

Moi ce que j’aime c’est d’être face à un auditoire, peu importe qu’il soit de l’université où de l’école du Louvre. J’aime être face à un auditoire attentif, intéressé, qui semble comprendre et qui a la volonté d’aller plus loin. Je pense que lorsque vous êtes enseignant et que vous aimez véritablement ce métier, l’institution où

vous êtes importe peu. Mais c’est vrai que j’ai pris beaucoup de plaisir à enseigner à l’université de Dijon. C’est vrai aussi que je prends toujours énormément de plaisir quand je fais cours à l’école car il y a une ambiance particulière : vous travaillez dans un bel amphi, spacieux, confortable pour vous, et aussi pour nous professeurs. On travaille en collaboration avec des équipes, les documentalistes de la photothèque, les appariteurs qui s’occupent de vous… Et entre les cours aux auditeurs et aux élèves, vous faites une différence ?

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nes artistiques plastiques essentiellement enseignées à l’école. Enfin, en quatrième année, les élèves passent leur diplôme ; ils ont un mémoire d’histoire de l’art. J’interviens donc au cours de cette année comme directeur de recherches puisque je reçois les élèves pour les faire travailler, réfléchir sur leur mémoire. Donc, vous le voyez : je n’ai pas du tout la même approche. L’enseignement à l’université diffère un peu de celui que je dispense à l’école du Louvre. J’ai été chargé de TD à Paris I il y a longtemps maintenant et jusqu’à l’année dernière j’étais chargé de cours pour des licences de premières, deuxièmes et troisièmes années et quelques participations à un séminaire de master I à l’université de Bourgogne à Dijon. Là, les élèves n’ont pas de cours d’HGA à proprement parler ; les cours fonctionnent par modules. Pour les élèves de première année de licence, par exemple, je faisais un cycle de cours de 12 h autour du 9ème siècle – Occident et Byzantin–. Pour les deuxièmes années, je faisais 24h sur le 11ème et 12ème s, et en troisième année au 1er semestre, je dispensais un enseignement de 12h sur le mécénat des 1ers ducs de Bourgogne, donc essentiellement sur la chartreuse de Champmol. C’est une approche différente qui se complète quand un étudiant fait à la fois l’EDL et l’université.

L’auditoire est différent, l’enseignement aussi ! Je fais presque le même cours aux élèves à l’école le mardi qu’aux auditeurs le vendredi. Les images, à quelques détails près, sont les mêmes. Mais je ne m’adresse pas aux auditeurs de la même façon que je m’adresse à vous. Il me semble que les auditeurs viennent ici pour leur plaisir, pour leur culture personnelle. Pour un élève, c’est différent : il y a tout d’abord l’échéance de l’examen, il y a une formation, un apprentissage et le dessein d’une future vie professionnelle. La plupart des élèves qui sont ici veulent se préparer à un métier en rapport avec l’Histoire de l’art ou l’archéologie. Pendant le cours donné aux élèves, je parle plus lentement, j’explique davantage, je distille ce que j’essaie de faire passer en cours de méthodologie sur l’analyse de l’image, la description, l’identification… Je n’ai pas véritablement le temps de le faire pendant les cours d’auditeurs. Mais attention, je ne dis pas que je néglige le cours du vendredi ! Je pense que l’enseignement se modifie en fonction de l’auditoire. Je me souviens d’une amie qui est professeur de français dans un collège et qui m’avait demandé de venir parler du Moyen Âge à ses élèves de 5e. Pour moi, c’était un vrai défi, car je n’avais encore jamais fait un cours à des jeunes de cet âge là (conseil de la rédaction : Le château fort Playmobill fait toujours son petit effet). J’avais pris l’exemple de la broderie de Bayeux, en insistant sur la bataille… Je pensais que cela devait plaire à ces jeunes élèves. Mais modifier son enseignement en fonction de son auditoire n’est pas toujours facile ! Refaire chaque année le même cours, ce n’est pas barbant ?

Non ! D’abord, mes cours évoluent en fonction de mes lectures, de la bibliographie. Par exemple, cette année, mes cours sur le 14ème et le début du 15ème siècle ont été largement complétés. L’année dernière, c’était le tour des Carolingiens et de l’an mil. De plus, lorsque mes cours s’arrêtent en décembre, j’avoue que je suis un peu triste. Bien que je sois le premier à rentrer dans l’amphi vers le 15 septembre, je suis content ! Bon, j’avoue que je rentre parfois de vacances le 14 au soir pour commencer le 15 au matin, mais je suis toujours très heureux de faire cours. Je pense que le jour où j’en

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aurai vraiment assez, lorsque je me dirais « ça y est j’ai fait mon temps » j’arrêterai, mais pour l’instant ça me plaît vraiment.

Quelle image pensez-vous que vos élèves ont de vous ?

Avez vous une idée précise de l’identité de la multitude des élèves qui vous écoutent ? Comment les percevez vous ?

Nous sommes heureuses de vous apprendre que vous avez été élu prof préféré des élèves sur le forum de l’école du Louvre. Il y a eu un sondage très sérieux.

Pensez-vous rédiger un manuel pour les élèves ?

C’est difficile vous savez. C’est à la fois l’avantage et l’inconvénient, si j’ose dire, de faire cours dans un grand amphithéâtre. Lorsque j’étais à Dijon, j’ai fait des travaux dirigés en licence troisième année. J’avais une classe de 30-40 étudiants. Je connaissais plus facilement les étudiants, je parvenais assez vite à les appeler par leur prénom, ce qui est impossible à faire dans un amphithéâtre où vous êtes 300320... J’arrive quand même à reconnaître certains d’entre vous, notamment ceux qui viennent me poser des questions à la fin du cours ou me saluer après…

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Ils vous offrent des peluches…

Ah non ça ne m’est jamais arrivé ! Il me semble que quelqu’un est venu déposer une peluche à vos côtés à la fin d’un cours il y a deux ans … Vous ne l’avez pas gardée ?

Ah oui ! On est venu me poser une peluche ou une mascotte pour qu’elle reste sur le bureau pendant la durée du cours. Mais l’étudiant est venu rechercher son bien (ndlr : pas cool.). Il y a des choses un peu bizarres mais amusantes quand même (rires) comme par exemple lorsque des élèves vous interpellent à la piscine ou, même une fois, à la sortie d’un restaurant à Séville. Mais c’est difficile de donner un avis sur un amphithéâtre, vraiment. On a donc plus conscience de vous que vous n’avez conscience de nous !

Je pense oui !

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J’y pense, c’est peut-être en projet. C’est une chose que j’aimerais faire, c’est vrai. J’aimerais faire peutêtre pas un manuel stricto sensu, mais un livre qui soit à la fois destiné aux élèves et aux auditeurs de l’école en essayant de montrer une vision particulière (ça semble prétentieux de dire cela), de travailler sur des œuvres d’art un peu comme je le fait en cours, c'est-à-dire de les considérer comme des objets de civilisation, comme des documents, et en essayant à travers une cathédrale, un retable, une pièce d’orfèvrerie de voir comment on peut comprendre la vie des femmes et des hommes de ce temps, de mieux connaître celui qui a commandé l’objet en question, quelles étaient ses motivations, comprendre le travail de l’artiste, tout le processus de la réception de l’œuvre, comment on a pu ressentir l’œuvre, comment on a pu l’utiliser dans une église, sur un autel, dans une maison… c’est plutôt cette vision-là qui m’intéresse.

Je vais vous décevoir mais cela ne m’intéresse pas beaucoup. Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont ils perçoivent mes cours (rires). J’ai de bons échos, les élèves sont plutôt sympathiques. Certains viennent me voir à la fin du cours. A la fin du dernier cours d’histoire générale de l’art, les applaudissements sont plutôt chaleureux, ce qui me fait très plaisir. Je reçois aussi parfois des cartes postales de vacances d’une église gothique, d’un voyage en Italie… avec des mots très sympathiques. Ce qui me touche aussi, c’est quand des élèves en M1 et M2 à l’école viennent par plaisir suivre les cours à nouveau. Cependant, le compliment qui me touche le plus, c’est quand des élèves viennent me dire qu’avant le cours ils n’avaient pas une très bonne vision du Moyen Âge, et que maintenant ça leur plait. Quand on me dit cela, j’ai l’impression que j’ai un peu rempli ma « mission », pour reprendre le mot que je n’osais pas employer tout à l’heure.

Cela me fait plaisir, mais j’ai l’habitude de me méfier des sondages ! Durant vos cours, vous laissez filtrer quelques informations personnelles... (ndlr : Denis Bruna a démenti : Il n’a rien contre les enfants.) Et des petites blagues toujours appréciées. Ça fait parti du spectacle ?

Il ne s’agit pas d’un spectacle (rires). Je suis quelqu’un de sérieux qui ne se prend pas au sérieux. A l’Ecole du Louvre, vous avez peu de cours, mais ils sont denses. Je pense que la petite blague est là pour détendre, pour couper le rythme du cours, pour faire rire un peu. Pour moi, un bon cours doit être proche du théâtre, je suis certain que le métier d’enseignant est proche de celui d’acteur : un comédien a son texte et l’enseignant a sa base documentaire. Le comédien doit ensuite faire vivre son texte sans le réciter et l’enseignant doit bien connaître son texte pour arriver à le transmettre, le faire passer, en mettant une intonation, en parlant plus vite ou plus lentement, en faisant une pause, en mettant une petite blague pour souffler pendant ce temps. Je pense que ça fait partie d’un cours. Les blagues sont-elles écrites sur vos notes de cours, (avec un petit smiley) ?

J’avoue qu’il y a des blagues qui reviennent (rires), mais elles ne sont pas du tout écrites sur mon texte. J’ai des textes courts : la liste des images et c’est à peu près tout car je ne veux pas être prisonnier d’un texte. J’avoue que je pense parfois à la petite blague en amont parce que je sais que cela peut créer un rythme dans le cours, mais je suis sûr aussi que les plaisante-


ries les plus calculées ne sont pas toujours les meilleures. Parfois elles arrivent et je me dis : « mince je n’aurais jamais dû dire ça » surtout depuis que le journal du BDE existe avec sa rubrique des perles de profs ! D’ailleurs en ce qui concerne ces perles, le journal du BDE en a cité une que j’aurais prononcée. Je tiens à préciser que la tournure originelle est « je n’ai pas d’enfant, ce n’est pas pour être embêté par ceux des autres ». J’avais bien dit « embêté ». Dans le journal du BDE, on avait employé un autre mot, grossier, que je n’emploie jamais en cours ! Permettez-moi de rappeler en deux mots le contexte dans lequel est arrivée cette tirade. J’avais donné mon e-mail personnel aux élèves lors du premier cours. En effet, si certains rencontraient des difficultés, des incompréhensions, ils pouvaient m’écrire… J’ai précisé toutefois que je n’envoyais pas les images du cours, et que je n’étais pas là non plus pour « paterner ». Le mot était un peu dur, c’est pourquoi j’ai prononcé la phrase en question ! Pour continuer dans les informations essentielles, utilisez vous un soin particulier pour vos mains (manucures, crèmes hydratantes) qui passent souvent à l’écran, lorsque vous dessinez des schémas de voutes par exemple ?

Je vais vous décevoir mais non, je n’utilise rien de particulier ! Mais cela me rappelle lorsque je suis rentré au conservatoire quand j’étais enfant. J’avais une demicontrebasse et ma mère insistait pour que mes ongles soient très propres car on allait beaucoup les voir sur l’instrument ! Quels sont vos travaux secrets en dehors de l’enseignement ?

Mes travaux secrets… Depuis quelques temps, je m’intéresse à la représentation du corps. J’avais publié un petit livre en 2001 sur le piercing (Piercing, Sur les traces d’une infamie médiévale) : j’avais fait des allers -retours entre le piercing de notre époque et celui que l’on peut voir dans des textes et sur des peintures des XIVe, XVe et XVIe siècles. Je viens de terminer un mémoire universitaire dans le cadre d’une habilitation à diriger des recherches, qui me permettrait de postuler

Y a-t-il une figure médiévale qui vous fait rêver ?

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On ne veut pas brimer votre créativité !

à des candidatures de professeur d’université. J’ai travaillé sur l’iconographie des étrangers au XVe siècle, plus précisément sur les premiers Gitans arrivés en France dans les années 1400-1420. Les autochtones les voient, les peintres commencent à les représenter dans des scènes religieuses ou profanes. Mon travail étant terminé, j’espère pouvoir en faire un livre. J’aimerais poursuivre dans la voie de la représentation du corps dans un Moyen Âge très chrétien qui a eu une certaine réticence à montrer le corps.

J’ai une passion pour Marco Polo. Marco Polo… C’est vraiment quelqu’un de fascinant ! Il part pendant des années, parcourt la route de la Soie pour atteindre la Chine. Il rencontre des peuples… Il est allé en Extrême-Orient pour faire le commerce de la soie et des épices. Il est curieux, il regarde les peuples, les us et coutumes… C’est un homme qui a fait, en plein XIIIe siècle, un voyage aux confins du monde tel qu’il pouvait être connu voire imaginé à cette époque. Il a écrit un livre fabuleux qui fait rêver ! Il est certes un peu rébarbatif : il a une mentalité de marchand. Il commence toujours ses chapitres en disant qu’à tel lieu la soie est bonne et peu chère, qu’à tel autre les épices sont de bonne qualité mais un peu plus chères… mais il est aussi très loquace sur les manières de vivre des étrangers qu’ils rencontrent. J’aime énormément la littérature de voyage. J’en lis beaucoup pour mes recherches sur le corps : les Occidentaux partent en pèlerinage, en mission, en prédication, faire du commerce… on a de nombreux textes entre le XIIIe et le XVe siècle où l’on découvre les Africains, les Orientaux, les Grecs, les Chinois… on a une vision différente, une très belle description de l’Autre. La lecture de ces récits de voyages, que j’ai commencée il y a pas mal de temps, m’a donné envie de prendre la route. Quand j’arrive à me ménager quelques semaines de vacances, je pars. Je suis déjà allé deux fois en Chine, également en Inde… Certes, je découvre ces pays et ces peuples avec les yeux et la culture d’un homme du début du XXIe siècle. Mais j’aime aussi reprendre les récits anciens et

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essayer de parcourir les villes, les monuments ou les manières de vivre décrits dans les textes. C’est sans doute un peu naïf… mais cela m’amuse.

Ca fait partie des petites blagues pour détendre l’atmosphère en cours… mais c’est vrai que j’aime beaucoup la bonne cuisine en général et les gâteaux en particulier. J’ai une réelle passion pour la pâtisserie. Un éditeur a même voulu que j’écrive un livre sur l’histoire de la pâtisserie. Je ne l’ai pas fait, car cette passion doit faire davantage partie du plaisir que du travail, et je n’ai pas envie de tomber dans l’exercice d’en faire un livre avec toutes ses contraintes. Mais il faut savoir se faire plaisir. Quand j’étais élève à l’Ecole du Louvre, on avait formé un groupe de quatre ou cinq amis. Comme l’une d’entre nous avait une voiture, on avait décidé de partir très régulièrement pour visiter les cathédrales et les châteaux autour de Paris. On allait visiter, on prenait des notes, on travaillait ce qu’on avait vu en cours (d’ailleurs j’insiste : si vous pouvez le faire, faites-le car on apprend beaucoup plus si on est sur place que dans un cours ou face à un livre). Mais on prenait aussi du bon temps en mangeant un gâteau, une choucroute ou autre chose… Etes-vous un geek du Moyen Âge ?

Qu’entendez vous par « geek » ?

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Un fanatique du Moyen-âge. Un nostalgique de ses us et coutumes. De ceux qui ont pour hobbies les tournois, les banquets, le travestissement en seigneur ou autre reconstitution…

Je sais que les fêtes médiévales ou les revues spécialisées sont très à la mode, moi personnellement j’adhère assez peu avec ce genre de choses… En revanche, ce qui m’intéresse, c’est l’archéologie expérimentale qui tente de fabriquer des objets en utilisant les mêmes outils ou les mêmes techniques qu’au Moyen Âge. Pour mon travail sur les enseignes, j’ai rencontré un jeune archéologue qui, pour gagner sa vie, faisait des fêtes médiévales et avait fabriqué des moules pour couler des enseignes… Ce que je n’avais jamais pu faire ! On a échangé nos expériences, et ça m’a beaucoup plu de voir comment il avait gravé un moule en pierre, fabriqué son plomb, coulé ses enseignes… cela m’a montré des choses que je n’avais pas pu voir en examinant des moules seuls. Il est confronté à de vrais problèmes techniques et c’est vrai que le partage de nos expériences communes était particulièrement intéressant. Pensez-vous que le Moyen Âge est trop vulgarisé ?

Je n’ai absolument pas de jugement à porter dessus, je n’ai pas de regard méprisant. Si cela intéresse un public, tant mieux ! Je vous ai parlé des films que je re-

Quels conseils donneriez-vous aux élèves, pour les examens et pour leur vie professionnelle future ?

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Vos cours sont parsemés de petites anecdotes culinaires (c’est chez Yvonne qu’on mange l’une des meilleures choucroutes strasbourgeoises). Etes-vous un passionné de cuisine ?

gardais étant enfant, je suis sûr qu’un historien puriste du Moyen Âge qui regarderait maintenant ces films pourrait parler des anachronismes... et alors, ce n’est pas bien grave ! D’autant plus que ces films n’ont pas une vocation scientifique. Si cela donne au grand public le goût pour le Moyen Âge, l’envie d’aller plus loin, tant mieux !

Pour les examens : le premier travail d’un élève est d’apprendre ses cours, donc je pars du principe que ce que j’ai dit en cours doit être su. Mais le cours est insuffisant : il faut lire, se documenter sur l’histoire, l’iconographie des saints, le vocabulaire spécialisé notamment en architecture, assister aux TDO… Je ne suis pas quelqu’un de sévère, je ne suis pas large non plus… j’essaie d’être juste mais je suis exigent et j’aime le travail bien fait. Je n’aime pas les copies dans lesquelles le titre des œuvres est mal cité, où il y a des erreurs dans le nom des artistes, où il n’y a aucune date… je n’aime pas l’à-peu-près. En deuxième année, on est apprenti, ce qui veut dire qu’il faut avoir un minimum de connaissances et savoir manier les outils. Il y a eu ces derniers temps des débats dans lesquels on a pu mesurer toute la méfiance voire le mépris que certains portent sur les disciplines littéraires, sur les sciences humaines en général, sur l’histoire et sur l’histoire de l’art en particulier. C’est vrai qu’aujourd’hui, peut-être encore plus qu’hier, un jeune qui entreprend des études en histoire des arts est certes passionné mais plus encore méritant. Le seul conseil que je pourrais donner, c’est qu’il faut aller au bout de sa passion, y croire dur comme fer et ne rien lâcher. Il n’y a pas de secret : il faut beaucoup travailler et savoir se singulariser dans la manière de faire de l’histoire des arts, de l’histoire ou de l’archéologie. Il est aussi nécessaire d’avoir un peu de chance, mais la chance se provoque : il ne faut pas rester seul et isoler mais savoir se faire connaître. Ce ne sont pas des études faciles, mais il n’y a pas une ou deux voies. Il faut y réfléchir, penser aux autres voies auxquelles les autres ne pensent pas. Soyez un peu débrouillards ! Y aurait-il une question que vous auriez aimé que l’on vous pose ? Ou quelque chose à ajouter pour conclure cette entrevue ? Je ne veux pas tomber dans la démagogie ou dans une avalanche de bons sentiments, mais je répéterais que je prends vraiment beaucoup de plaisir à enseigner à l’école et j’ai aussi beaucoup d'affection pour les élèves. Merci à Denis Bruna d’avoir accepté de répondre à nos questions. Propos recueillis par Margot Boutges, Aurélie Deladeuille et Perrine Fuchs


PARCOURS

Il y a des œuvres qui nous séduisent pour leurs qualités dites stylistiques. Quand l’admiration s’éloigne des questions de lignes et de coloris pour entrer dans le domaine de l’attraction physique pure, quand notre imagination érotique s’agite à la vue d’une toile, on est bien forcé d’admettre que des amours très terrestres peuvent se cacher au milieu des délectations formelles d'historiens de l'art. Dans cette galerie des fantasmes, nous avons dressé un itinéraire de découverte des œuvres du Louvre qui nous ont rendues esclaves de leurs charmes.

La galerie des fantasmes

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otre parcours commence au deuxième étage de l’aile Richelieu.

Question chairs féminines, ceux qui auront été traumatisés par le "beurre salé" de Rubens et la "margarine fondue garantie 120% matière grasse" de Jordaens seront fort inspirés d'accomplir quelques foulées de Converse jusqu'au Persée secourant Andromède de Joachim Wtewael, cette merveilleuse conque ambrée du maniérisme nordique. Fort judicieusement, Wtewael a relégué au second plan ce benêt en cape rouge de Persée et son invraisemblable dragon chinois mécanique, pour accomplir au premier plan la rencontre du corps marmoréen à peine ourlé de rose de la belle Andromède et des superbes débris de l'océan de l'existence, ossements et coquillages. Andromède y devient, en quelque sorte, le parfait fantasme érotique du conchyliologiste solitaire. La peau y devient d'une pâleur et d'un lisse aussi luisants que les carapaces de nacre des coquillages, les petits seins pointant comme des extrémités de conques, le ventre blanc bombé comme la surface humide d'un nautile - tandis que tibias et crânes célèbrent dans l'ombre les habituelles noces d'Eros et Thanatos, à l'image de toutes ces coques désertées par leurs mollusques. Andromède est nacre et calcium, statue de pierre attendant masochistement son sauveur, la chevelure blonde apportant une note chryséléphantine. Elle est le coquillage de rêve que nous pouvons ramasser de notre regard sur la plage encombrée des cimaises de musée.

Continuez votre chemin sans vous attarder dans les salles de peintures françaises du XVIIème siècle qui sont des véritables tue-l’amour ! Le cycle de la vie de Saint Bruno par Le sueur et la nonne paralysée de Philippe de Champaigne ne risquent pas d’éveiller vos sens ! Vous traversez enfin les salles consacrées au siècle des Lumières. La douceur sucrée de Watteau affronte le vérisme âpre de Greuze et Chardin tandis que les pâtisseries rose bonbon de Boucher dégoulinent de mièvrerie indigeste. Laissez-vous emporter par cet élan rococo et vous sentirez une certaine fièvre monter en vous en arrivant face au Verrou de Fragonard. Rarement une œuvre aura condensé autant de sensualité brute, d’émotions contradictoires, de libido déchainée, de sexualité torride… sans pour autant montrer quoi que ce soit ! Pas même de corps dénudé pour une fois, fait pourtant rare dans les œuvres de ce siècle libertin (voyez l’Odalisque de Boucher et son séant grassement exposé !), la seule chair visible étant les mollets et bras musculeux du Don Juan. Le physique, assez grossier même, de ces deux jeunes gens n’est guère suffisant pour mettre en branle une quelconque vision érotique… Non, c’est grâce à une composition violente, des symboles à peine cachés dans les tentures dressés, l’abandon désespéré de cette Tourvel vaincue par un Valmont au corps raidi par le désir, des couleurs équivoques, que nous fantasmons déjà sur la scène qui va suivre le moment figuré. Notre vil esprit corrompu de références

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PARCOURS

que s’en faisait Aristote ou enfin un androzoone (animal spécialement dressé pour avoir des relations sexuelles avec un être humain, de nos jours principalement chien, cheval, anguille, oie, mais pourquoi pas un dauphin, nous sommes tous ouverts d’esprit n’est-ce pas ?). La dernière théorie a quand même le bon goût de ne pas prendre les Grecs pour des imbéciles ne sachant pas manier la symbolique érotique, le sous-entendu salace et l’utilisation à des fins de bonheur éphémère et fugace des possibilités de la nature (non, désolé, mais la légion étrangère n’a rien inventé). Toute personne normalement constituée, moi le premier, ne peut donc que fantasmer sur cette représentation étonnante. L’aspect « jeune première », si ce n’est innocent, du visage et des gestes soyeux, le corps gracile, les seins menus et le cou élancé dans lequel tout un chacun rêve de planter ses dents, voilà un corps que personne, quel que soit le sexe, l’âge ou la sexualité, ne refuserait de caresser. La mauvaise foi caractérisée du cartel ne fait qu’ajouter à la sensualité de la représentation. Cette accumulation d’érotisme naturellement lié à Aphrodite, d’étrangeté, d’iconographie lolita, de perversion zoophile fait de cette figurine, dont la possession « joseph-fritzlesque » est rendue aisée par la petite taille, un vecteur tout particulier de fantasme pour l’EDLien. On ne regrette finalement qu’une seule chose : la taille de la représentation. Que ne donnerait-on pas pour que la figurine soit statue ? On raconte en effet que l’Aphrodite de Cnide, réalisée par Praxitèle, fut une nuit souillée dans le temple même par un jeune homme éperdument amoureux de la représentation marmoréenne. Ce pygmalisme (attirance sexuelle pour les statues) n’est pas des plus réalisables dans notre cas d’espèce qui donc se voit ravaler au rang de simple fantasme. Le fantasme prend cependant corps lorsque l’on cesse de philosopher dans ce boudoir d’antichambre et que l’on passe dans les Enfers du Louvre, à savoir la galerie Campana.

sadiennes et d’imaginaire libertin, sans doute exagéré, nous permet de rêver de mille façons à l’issue de cette liaison dangereuse. C’est là tout le pouvoir de cette œuvre, qui nous oblige à évoquer mentalement ce qu’il serait impensable de représenter décemment. C’est une véritable machine à créer du fantasme, dont la force de suggestion nous pousse à deviner plus, beaucoup plus que ce qu’on nous montre. Que celui ou celle qui n’a jamais rêvé de corset délacé, de jupons retroussés, de chemises à jabots déchirées me jette la première pierre ! Poussons, poussons l’escarpolette… Descendez le petit escalier en colimaçon, vous arrivez dans les antiquités égyptiennes. Rêvassez quelques instants devant le relief de Sethi Ier et laissez votre énergie sexuelle se régénérer au contact du collier Menat que vous offre Hathor. Vous êtes prêts pour les antiquités !

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Dans la galerie Campana, on s’attend à tomber nez à nez avec des céramiques lestes, ce qui explique sans nul doute l’absence notoire d’EDLiens, mais les quelques salles servant d’antichambres de ces Enfers érotiques du Louvre contiennent quelques pépites, dont une magnifique Aphrodite à queue. Qualifiée pudiquement d’Aphrodite « anadyomène » par les instances dirigeantes du musée du Louvre, le cartel identifie la forme phallique qui ruisselle le long de sa jambe comme étant « un dauphin dont la queue vient habilement dissimuler son sexe ». Il est en effet de notoriété publique que le dauphin dans les fameux bonds qui ont fait la gloire de Flipper surgit de l’eau la queue la première, la tête la dernière. Il me semble, tout comme à vous, évident qu’il ne s’agit pas d’une nageoire caudale mais bien de la seule et unique représentation de poils pubiens dans l’art grec ancien. Le forme qu’ont vu les yeux innocents d’un stagiaire sous-payé à rédiger des cartels n’est alors au choix qu’effectivement un dauphin (ce qui serait un symbole iconographique bien trop évident pour Aphrodite par une civilisation ayant quand même inventé la philosophie et le romain-feuilleton mythologique), ou un spermatozoïde répondant à la figuration imaginée

En quittant les salles grecques, vous passez devant l’idole cloche, si sexy avec ses petites jambes fuselées. Grimpez l’escalier de la Victoire de Samothrace qui remportait en son temps tous les concours de drapés mouillés de l’île. Vous arrivez en terres italiennes. Partez en quête des charmes méditerranéens ! Direction la sacro-sainte salle de la Mona Lisa (fantasme universel,


L'homme au gant de Titien nous ferait regretter de ne pas avoir 490 ans de plus, ou qu'il ait 490 ans de moins (c'est une question de point de vue me direz-vous). Son allure, altière, le place parmi les gentlemen bien élevés, sûrement peu enclins à vous accoster de la sorte : "Hé Mademoiselle, t'sais que t'es bien charmante ? T'veux pas faire le tour du périf dans ma 205 tuning ?". Lui, il a la classe. Son regard dans le vide, sans doute en pleine méditation intellectuelle, lui donne un faux air d'ange mélancolique qui nous rendrait capable des plus fous stratagèmes pour le voir, ne serait-ce qu'esquisser un fugace sourire. Et ces yeux, ces yeux pour lesquels la plus pieuse des religieuses se damnerait afin qu'ils daignent un jour l'effleurer amoureusement, lui promettant une vie comblée d'amour dans la campagne vénitienne, au beau milieu des vignes de prosecco... Enfin, que dire de ses mains ?! Somptueuses, mises en valeur par une lumière suave et par ces gants raffinés que l'on aurait envie de lui arracher. Ah ces mains ! Si j'osais, j’écrirais que je voudrais qu'elles prennent un jour mon visage afin que, sur mes lèvres, il dépose furtivement le plus sensuel des baisers volés! Certes, il n'a pas grand chose à voir avec les rugbymen du célèbre calendrier (autre fantasme s'il en est) quoiqu'il faudrait le voir sans son élégant habit d'aristocrate pour lancer une telle affirmation… Empruntez la « sortie de secours » de la salle vénitienne, pour traverser les salles rouges dédiées aux grand maîtres du Romantisme français. La violence sexuelle émanant de La mort de Sardanapale vous frappe d'effroi ! Descendez l’escalier de la nymphe de Cellini qui vous rebute plus qu’elle ne vous séduit (Quelle idée d’ajouter une tête de cerf inquisitrice à coté d'un corps nu qui a un peu trop forcé sur les séances de bodybuilding ?)

PARCOURS

mais pas le votre, n’est ce pas ?) L'objet du désir se dévoile enfin !

Vous voici dans la galerie Michel-Ange. Le groupe de Psyché et l’Amour de Canova attire tous les hommages. Comment ne pas se laisser séduire par cette pose alambiquée, doucereuse et déclamatoire à la fois ? Par cet abandon maîtrisé des corps ? Par ces jambes resserrées dans l’attente du plaisir ? Par ces bras mignons de ballerine alanguie ? Par ce jeune dieu imberbe à la fesse galbée ? Donnons la parole à nos instincts de midinette, à l’héroïne de Twilight qu’il y a en chacune d'entre nous et qui est la plus à même d’apprécier cet amour de marbre à sa juste valeur. Bella Swan est allée au Louvre en revenant de Volterra, pour une petite visite de célébration. Guidée par le flot touristique, elle est conduite devant ces amours mythologiques qui la plongent dans l’admiration la plus totale. A l’aide de son portable, elle envoie une photo du groupe sculpté à Edward. Et sur son journal intime, elle confie ses impressions : « Edward me manque. Je le vois partout. Dans les nuages… Dans le métro… Jusque dans les traits des sculptures du Louvre. Ce garçon ailé et cette jeune fille humaine, c’est nous. Ils ne sont pas du même monde, mais vois combien leur amour est pur ! Leurs lèvres vont se joindre dans un baiser qui scellera leur union, ou presque. Car mes yeux restent attirés par ce cou gracile qu’elle tend vers lui. Que la morsure serait douce ! Sous l’effet du doux venin, deux ailes viendraient à lui pousser et ils pourraient s’envoler ensemble et être unis pour l’éternité ! La mordra-t-il ? Je crains qu’il ne refuse. Quand Edward comprendra-til que je veux devenir comme lui ? Que ses dents plantées dans mon corps libéreraient mon moi véritable ?…» Bella s’éloigne, des larmes plein les yeux et des frissons plein le coeur. Espérons qu’en chemin, elle ne tombe pas sur le loup pris au piège de Barye. Ses pensées ne manqueraient pas de dériver vers Jacob, le concurrent lycanthrope…

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Twilight nous semblant une évocation parfaite pour conclure cette galerie des fantasmes, nous vous abandonnons à vos rêveries et espérons vous faire partager bientôt une nouvelle sélection d'oeuvres de notre cru. En attendant, continuez vos périgrinations dans les salles du Louvre pour en déceler les trésors cachés. Margot Boutges, Sébastien Passot, Annabelle Pegeon, PhilippeAlexandre Pierre, Pierre Pigot,


Rencontre du troisième cycle

T

out d’abord, comment en arrive t’on un jour à se poser la question saugrenue « et si je faisais un troisième cycle à l’Ecole ? ». En fait, la réponse est simplissime. Mais reprenons dans

l’ordre. Ça commence un matin, entre Bob l’Eponge et les Totally Spies, à quelques jours du bac blanc, quand on se dit que quand même, faire l’Ecole du Louvre ça serait drôlement chouette. On passe le test, on réussit le test, on passe le bac, accessoirement on le réussit aussi, puis on fait un an, deux ans, trois ans, des clichés, des disserts, des nuits blanches, des révisions, des overdoses de fraises Tagada, et on l’a, ce foutu 14, sésame parmi les sésames, qui fait s’ouvrir devant vous les portes de l’année de muséologie. Là, forcément, ça se corse. Il faut faire des recherches, et écrire un mémoire. Puis finalement, ça se passe. Alors pourquoi ne pas continuer sur une si bonne lancée et postuler en cinquième année, histoire de poursuivre ses recherches. Et de rester un an de plus à l’Ecole. Sauf que forcément, quand vous devenez la fine fleur de l’Ecole du Louvre, ça se corse encore. Oui, la cinquième année, on y rentre sur dossier. Vient alors la semaine de rédaction de lettres de motivation, aussi bien construites que le 1) du B du II de la Partie Deux de votre mémoire. Pareil. Et puis ben ça se passe aussi. Vous allez en cinquième année, et tout recommence. Le mémoire, le stage… et puis voilà. Alors soyons clairs, une fois la soutenance passée, les possibilités d’avenir, il n’y en a pas des masses. Ou vous trouvez un boulot, ou vous devenez adepte du pôle emploi, ou vous conti-

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INSOLITE

L’Ecole du Louvre. Sa cafétéria, son musée, ses amphis, son Agnès Benoît, sa faune sauvage. Un univers familier à tout élève. Cependant, en y regardant bien, on tombe parfois sur des spécimens rares, pas tout à fait en voie d’extinction, mais loin d’être en surnombre : les troisièmes cycles. Bêtes vivant dans l’ombre, rarement dans les couloirs de l’Ecole faute de cours, ou méconnu du grand public édlien car ne vivant pas à la cafétéria, le troisième cycle est un animal étrange, soulevant un certain nombre de questions. Questions auxquelles, en tant que représentante pas tout à fait officielle de cette espèce, je vais tenter de répondre.

nuez (tout en cherchant un boulot via le pôle emploi). Donc, ou vous en avez assez et vous arrêtez, ou vous êtes un tantinet masochiste sur les bords, et vous vous dites que la recherche c’est vachement bien, que de toutes façons votre futur conjoint sera riche, et que mine de rien… l’Ecole, ben vous l’aimez bien. Et qu’il y a encore plein de choses que vous n’avez malgré tout pas eu le temps de faire à l’Ecole, comme être présidente du BDE. Non, décider de faire son troisième cycle à l’Ecole, c’est pas plus compliqué ! Une fois l’étape de la prise de décision franchie, rude épreuve qui se passe généralement devant un court-sanssucre du distributeur de droite (parce que c’est le meilleur), il faut s’inscrire. Si décider de faire son troisième cycle à l’Ecole était une chose facile, s’inscrire relève du niveau bac à sable de difficulté. Il vous suffit de venir avec un sujet, un directeur de recherche professeur à l’Ecole, et votre motivation. Bon, oui, il faut avoir une vague idée du sujet. Mais quand on a déjà fait deux ans de recherches sur un même sujet, et qu’on se dit que ça serait une bonne idée de creuser ça un peu plus, le sujet, le plan, voire la bibliographie n’est pas une chose compliquée à formuler.


C’est bien beau tout ça, mais globalement, en troisième cycle, on y fait quoi ? Sur le fond, le troisième cycle est un doctorat. Ça ne s’appelle pas Doctorat, vous ne faites pas une thèse, finalement vous faites la même chose : vous planchez. Vous planchez longtemps (trois ans tout de même, avec possibilités de rallonge), vous planchez dur. Oui… ou pas. Des cours, certes, il y en a. Oui, mais l’emploi du temps, vous le recevez par mail mi janvier. Ce qui signifie que vous avez eu une bonne demi-douzaine de mois de nonoccasions d’aller dans un amphi, sauf si vous avez la nostalgie de vos cours organiques et que de temps à autres vous allez faire un détour par l’amphi Cézanne le vendredi après-midi. Et puis bon, les cours… il y en a cinq entre le premier février et le mois de juin, ce qui laisse amplement le temps à votre cerveau d’oublier qu’il doit aller s’asseoir sur un banc deux heures par mois. Alors du coup, l’Ecole, vous n’y mettez plus les pieds. Au lieu de ça, vous allez dans les musées, faire des expositions, au cinéma, et au boulot. Ca sert pour passer le temps, et aussi pour payer des choses dans les magasins. Et puis vous cherchez. Non parce que bon, en troisième cycle, en thèse, en doctorat, peu importe le petit nom doux que l’on donne à la bête, le but du jeu est que vous produisiez un truc. On vous a déjà prévenu, le troisième cycle ne se fait que sur présentation d’un sujet. Mais attention, pas n’importe quel sujet. Le rôle de fromage de brebis sur la transmission des signaux névralgiques chez l’enfant de moins de

quatre ans peut être certes intéressant, mais à moins de ne faire cette étude qu’au travers les scènes de genre flamandes du XVIIe, l’Ecole du Louvre n’acceptera pas. A l’inverse, tout sujet ayant trait à l’histoire de l’art, à l’histoire des collections ou à la muséologie risque fort d’y trouver sa place. A ce propos, notons l’ouverture cette année d’un troisième cycle de muséologie, cycle qui suit directement la cinquième année en recherche en muséologie. Ce tout nouveau troisième cycle se fait en partenariat avec la faculté d’Avignon, ainsi que la faculté de Montréal. Le soleil et les caribous. Si ça ça ne vous donne pas envie de vous inscrire ! Une fois le sujet trouvé et accepté vient l’heure des recherches. Encore et toujours. Alors oui, trois ans, c’est long. Mais croyez moi, il faut bien ça… Parce que les recherches, c’est long, ça prend du temps, vous allez souvent à la bibliothèque pour rien, et la plupart du temps, on vous répond ça : « J'ai bien peur que votre recherche ne puisse aboutir » (je précise ici que le texte ci-dessus est véridique). Alors bien sur, les raisons sont multiples… Sources inexistantes, archives dévorées par les souris, musée de Caen et/ou Orléans et/ou Douai bombardé en 44… Dans ces cas là, il ne vous reste plus qu’à aller au cinéma, faire les soldes ou vous jeter sur tout ce qui peut contenir du chocolat vendu dans les distributeurs. Mais bon, le troisième cycle, c’est loin d’être un enchaînement de périodes de stress constante. Entre deux « ohnon-jamais-je-n’y-arriverai-je-ne-trouve-rien-je-vais-me -pendre », on s’en sort assez bien, on a pas mal de temps libre, et on arrive encore à voir des gens. Parce que en troisième cycle, pas de dissertation, pas de clichés, pas de dossiers, pas d’exposé, rien. Que demander de plus ?

INSOLITE

Quant au directeur de recherche au sein de l’Ecole, un mail, un café, un mail, une signature… Bien entendu, on ne vous laisse pas vous inscrire comme ça avec tout et n’importe quoi comme sujet en troisième cycle. Tout d’abord, vous passez un entretient pédagogique avec Madame Barbillon. Qui, si vous venez avec déjà tout de prêt, vous dit que c’est parfait. 3 minutes 47 au chrono, et encore, vous avez dû monter les escaliers. Puis on soumet votre sujet au directeur, qui, ravi de vous garder un an de plus, accepte aussitôt. Trois jours plus tard, vous souriez devant la caméra pour recevoir votre nouvelle carte d’élève. Vous aussi vous préfèreriez vous inscrire en troisième cycle que d’aller chercher un recommandé à la Poste, n’est-ce pas ?

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Oui… Alors présenté comme ça, le troisième cycle est un petit havre de paix, coincé entre Cézanne et Dürer. Sauf que le troisième cycle, je n’en suis qu’au troisième mois, et je n’ai pas encore mis un orteil dans un seul cours… Je vous donne donc rendez-vous d’ici deuxtrois ans pour un bilan de fin de parcours, peut-être même pour un bilan intermédiaire, si les archives, les rats et tout ça ne m’ont pas tué avant ! Eloïse Galliard

« Je fais un inventaire en pharmacie »

« Je vais au vernissage de l’expo Astérix » (et l’ai regretté…)

« J’ai danse en banlieue »

« Il y a grève du R.E.R. A »

« Je suis en Guadeloupe pour mon mémoire »

« Je l’ai déjà vu »

« Je fais de la médiation au musée de l’Armée »

« Hitchcock est un obsédé sexuel ! »

« Je suis en dépression » « Je suis fatiguée » « Je me suis endormi à la dernière séance »

Excuses bidon pour ne pas venir au ciné-club… entendues pour de vrai...


… et si l'Ecole du Louvre était bretonne?

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omme tout le monde le sait, la Bretagne imprime depuis de nombreuses années sa marque vivante au sein de notre bien aimée Ecole du Louvre. Après s’être fait voler la vedette lors du dernier numéro de Louvr’Boite par les terres du Sud, notre place de 1ere région de France nous reviens enfin. On peut donc espérer que sous peu notre emprise sera enfin totale sur l’aile de Flore. Aussi quelle joie pour nous tous de passer un jour sous le giron breton. Adieu Palais de Louvre et bienvenue à Pont-Aven, avant gout de petits changements à prévoir. Ainsi le doux climat de cette charmante contrée accueillera de nombreux élèves venus de toutes parts s’initier à la grande tradition du patrimoine breton. Petit aperçu … A tout seigneur, tout honneur, les cours d’HGA traiteront les grands jalons d’une histoire plus que millénaire. Archéologie préhistorique, menhirs, dolmen, cairn pour les mordus de vieux cailloux. Histoire romaine et royaumes armoricains de 636 à 913, première trace d’indépendance de ce fier et rude peuple breton. Royaume breton et christianisation de la péninsule qui marquera jusqu’à nos jours la grande destinée de la petite-fille aînée de l’Eglise. Bien sûr la Grande Renaissance Bretonne, dans son architecture du XVIIe et XVIIIe siècle, ne tâchera pas de vous émouvoir. Ainsi les enclos paroissiaux du XVIIe et Tro Breizh n’auront plus de secret pour vous. Enfin une grande part de l’enseignement abordera les arts et traditions populaires vivants de la Région, l’histoire des techniques de la pêche, de la sculpture sur granit et l’iconographie des 7847 saints bretons.

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Cependant les cours de spécialités ne seront pas en reste. Histoire du costume des 972 paroisses bretonnes, archéologie insulaire (Belle-Île, Ouessant, Sein…), Décors et ameublement des manoirs, Patrimoine technique et industriel (agriculture, élevage porcin, conserverie), arts extra européens (art français entre autres)… Pour les TDO, bien entendu de nombreuses visites en musées. Musée de la crêpe, musée de l’Evêché breton à Quimper, musée de la sardine à Douarnenez, musée Bigouden de Pont-l’Abbé, musée de la Forge à Lozinzac-Lochrist. Ils égayeront votre quotidien en

vous insufflant le noble sentiment d’une culture supérieure. Le Breizh Détente Engagement, émanation du BDE parisien, vous proposera de nombreuses activités : championnat du craché de bigorneaux à Sibiril (record de 10,41 m à battre), concours de lancer de crêpes, concours du cri du cochon à Milizac et de nombreuses activités sportives (Gouren, palet breton, concours de pêche à la palourde). Tout cela dans un esprit on ne peut plus convivial sous les hautes latitudes bretonnes. Bien sûr vous n’êtes pas obligés de me croire… D’ar c’hentañ gwel ! Tim le Berre

ILS VIENNENT AUSSI DE LA

Dont a rit alies da Pont Aven e Baradoz an Arzou ?


A quelle culture quelle classe ? La culture de masse : entre bien marchand et ciment identitaire

C

ommençons notre petite étude sociologique par l’évocation de la culture de masse. Je vois déjà votre moue dubitative et votre imperceptible froncement de sourcil… c’est qu’elle n’a pas très bonne presse la culture de masse : on pense tout de suite aux sacs bondés de peluches Disney que les hordes de touristes portent tant bien que mal sur les ChampsElysées, aux hurlements hystériques à chaque apparition de Céline Dion ou encore aux étalages du dernier livre de Guillaume Musso coincés entre le produit vaisselle et les œufs bio dans votre supermarché. Pourtant, la naissance de la culture de masse ne date pas de l’explosion décomplexée du capitalisme dans les années 1980. En effet, on peut en percevoir les prémices dès la Monarchie de Juillet. A cette date, les journaux élargissent considérablement leur public en abaissant le prix de leurs tirages et en développant l’imaginaire de la périodicité, notamment par le biais des romans feuilletons. Ceux-ci déchainent les foudres des conservateurs qui déjà à l’époque crient à l’abaissement de l’art, à la démobilisation politique et à l’immoralité. Le critique de la Mode s’indigne par exemple en 1844 : « Au lieu de s’adresser à l’élite des intelligences, on ne s’adressa plus qu’aux instincts de la folie, non pour les corriger, mais pour les satisfaire. » Dans la seconde moitié du XIXes, les changements s’accélèrent encore davantage. Prenons l’exemple, peut-être le plus fameux, du Petit Journal de Moïse Millaud et Jules Mirès : il passe de 500 000 exemplaires dans la fin des années 1860 à un million 20 ans plus tard. Les clefs de ce succès ? Le prix le plus bas possible, la vente désormais faite au numéro et l’offre basée sur le fait divers. Considérer la culture comme un bien marchand n’est donc pas un phénomène nouveau. Il s’agit d’adapter les produits culturels aux attentes des consommateurs, de faire en sorte qu’ils viennent à eux de la manière la plus directe, accessible et efficace possible. Cette culture de masse ne cherche pas à interroger, instruire ou dénoncer, c’est pourquoi on l’a longtemps considérée comme un instrument de mystification du plus grand nombre, permettant d’annihiler tout jugement et tout esprit critique. Elle doit avant tout faire rêver, divertir et détendre. La série Desperate Houswives met par exemple en scène une banlieue chic où des couples fortunés vivent dans de somptueuses maisons, où les magnifiques

femmes sont toujours sur leur 31. Le spectateur se prend au jeu des histoires de sexe, d’amour, d’amitié, de commérages, de tromperies et de disputes sans fin. Si on y traite de sujets sérieux comme ceux de la maternité, de l’adultère, de l’homosexualité, de la vieillesse, de la maladie ou encore du suicide, il n’en reste pas moins que le ton est toujours humoristique, léger et enjoué. Le but n’est pas de questionner mais plutôt d’amuser.

SOCIOLOGIE

A travers cet article, nous allons essayer d’expliquer quels sont les rapports complexes entre la culture des individus et leur classe sociale ainsi que leurs enjeux tant identitaires que stratégiques et financiers.

Ce qui tend peut-être toujours à s’accentuer, c’est le comportement exagéré voire névrotique de certains consommateurs. Toutes les manifestations qui se sont déroulées à la sortie des derniers tomes d’Harry Potter – librairies ouvrant leurs portes à minuit pour des fans n’ayant pas hésité à sortir leurs plus beaux chapeaux pointus pour l’occasion, multiplication de produits dérivés de toutes sortes –, illustrent bien cette surexploitation d’un livre à des fins purement financières et spéculatives. La culture devient un bien marchand comme un autre, que l’on consomme puis jette, que l’on parcourt plus qu’on ne l’étudie et dont on profite plus qu’on ne l’assimile. Elle n’est pas diffusée comme un vecteur de savoir, de connaissance ou d’élévation intellectuelle mais comme une source de bénéfices et de gros sous.

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Pourtant, les tenants et aboutissants de la culture de masse peuvent aussi êtres lus de manière plus positive. Les sociologues des Cultural Studies au RoyaumeUni, avec Richard Hoggart (dès la fin des années 1950), Stuart Hall et David Morely, sont les premiers à étudier la culture de masse pour elle-même et non plus en regard de la culture légitime. Ils cherchent à établir la manière dont le peuple s’approprie les biens qu’on lui propose pour en tirer sa propre interprétation, qui échappe parfois à l’intentionnalité des producteurs. Il s’agit par conséquent d’une co-construction de sens entre ceux qui produisent et ceux qui en font quelque chose. Par exemple, si les jeunes indiens apprécient le culte de la violence des films d’Hollywood, il n’en reste pas moins qu’ils continuent à penser que les mariages d’amour n’existent pas dans la vie réelle, préférant les mariages arrangés par leurs parents. La culture de masse permet en quelque sorte d’affirmer une identité et une appartenance commune. Quel meilleur sujet de conversation que la course fulgurante de gnous fonçant tout droit sur le jeune Simba, les joyeux dérapages sur la glace de Panpan et Bam-


L’élite a effectivement de plus en plus tendance à s’attribuer des symboles de la culture de masse. Certaines pratiques très légitimes ne sont par exemple suivies que par une minorité au sein même des classes supérieures. D’après les chiffres de Bernard Lahire (dans La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi), seuls 12% des membres de ces classes supérieures déclarent comme genre de livres préférés la littérature classique ou 56% ne sont jamais allés à l’opéra. Par contre, 25% ont visité un parc d’attraction au cours des douze derniers mois et 61% regardent la télévision tous les jours. Ils écoutent en somme maintenant la Symphonie inachevée de Schubert et Le Roi des Ombres de M-, regardent L’Homme à la caméra de Dziga Vertov puis un épisode de Friends, lisent L’œuvre de Zola ou le dernier livre d’Amélie Nothomb. On peut toutefois se demander si c’est l’annonce d’une unification de la culture au profit de la culture de masse, ou au contraire si ce n’est pas d’une certaine façon une nouvelle forme de domination : la distinction contemporaine s’exprimerait moins dans la capacité à s’approprier les pratiques les plus légitimes que dans l’aptitude à jouer d’un « éclectisme éclairé » et avoir ainsi le privilège de décider quels emprunts illégitimes peuvent être ajoutés au répertoire des pratiques légitimes.

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Quelles passerelles entre culture de masse et culture d’élite ? On observe de plus en plus un phénomène nouveau en France et dans les sociétés occidentales : la « people-isation » des élites, qu’elles soient politiques, financières ou culturelles. Les unes de journaux, surtout des tabloïds et des journaux locaux, nous montrent souvent en période d’élection nos chers politiques prendre un bain de foule, en compagnie d’un ou d’une de leurs meilleur(e)s ami(e)s, vedette de cinéma ou encore star de la chanson. En agissant de la sorte, ils affirment leur pouvoir et leur domination sur la classe populaire, qui admire ces icônes de la culture de masse. Ils imposent également de façon ostensible le rapport d’exclusivité qui les unit. Dans notre « société du spectacle », l’apparat est d’ailleurs devenu le meilleur moyen de confirmer aux yeux du monde son statut social. Il est alors indispensable pour l’élite de se réapproprier ces symboles populaires, sans toutefois en consommer les biens. Mais qu’en est-il alors des produits culturels

destinés traditionnellement à l’élite qui tentent de s’ouvrir à un public plus large ? Là encore on vogue entre hypocrisie et échec. Prenons l’exemple de l’art contemporain, où des expériences intéressantes ont pu être faites. L’ouverture du MAC/VAL (Musée d’Art Contemporain du Valde-Marne) à Vitry-sur-Seine était bien prometteuse en 2005. Voilà une belle volonté d’ouvrir l’art contemporain à un public populaire de banlieue. Cependant, après le coup de pub de l’année d’ouverture du musée, on observe que les visiteurs ne sont pas les habitants de Vitry, encore moins ceux d’Ivry, de Choisy, ou d’autres communes environnantes du Val de Marne, mais ce sont pour la grande majorité des habitants de Paris ou des Hauts de Seine. Le MAC/VAL ne serait donc qu’une succursale des grands lieux de l’art contemporain parisien, dont le seul intérêt pour les visiteurs parisiens serait de faire une excursion exotique dans la périphérie parisienne. Les raisons de cet échec d’intégration sont multiples (le choix des expos temporaires de qualité mais uniquement destinées à un public averti, le manque de publicité au sein même des villes de banlieue, la quasi absence d’activités qui inciteraient les habitants de banlieue à participer à la vie du musée, peut-être aussi le manque de budget…), mais cela montre bien que le fossé culturel qui existe au sein d’une même région n’est pas simplement dû à l’empla-

SOCIOLOGIE

bi ou encore les fastes de la salle de bal du château de la Bête, pour enflammer les esprits, faire briller les yeux et partager des souvenirs communs à plusieurs générations d’enfants ? Les films de Walt Disney sont non seulement un ciment culturel pour les masses, mais je suis sûre que les petits aristocrates ont aussi eu droit de jouer avec Barbie ou Pocahontas et de collectionner les autocollants d’Anastasia dans un cahier prévu à cet effet.


Certains diront qu’il s’agit peut-être du début, certes maladroit, de ce phénomène d’assimilation culturelle entre les classes, mais qu’on peut se féliciter qu’il y ait des tentatives. C’est possible, mais certains comportements récents d’une partie de l’élite vis-à-vis de la culture de masse peuvent nous faire douter. Il va sans dire que les grands médias traditionnels qui diffusent les biens culturels sont dirigés par les membres de l’élite. Or la révolution d’Internet a bouleversé toutes les données. Le petit groupe d’entreprises spécialisées dans l’industrie culturelle qui asseyait confortablement son pouvoir sur les promos de leurs produits dans les médias traditionnels va devoir faire face à la tempête anarchique d’Internet, dont le pouvoir de diffusion est nettement supérieur. Cependant, un problème va rapidement se poser : les pertes de profit dues à la gratuité de téléchargement sur certains serveurs. Contrairement à ces entreprises, le consommateur a su rapidement manier ce média extraordinaire et surtout utiliser les serveurs qui permettent un accès illimité et gratuit à un grand nombre de films, musiques, logiciels, voire livres. La gratuité a été une formidable opportunité pour les classes les moins fortunées de se fournir en divers biens culturels, et par la même occasion d’assouvir sa frénésie de consommation. De plus, le consommateur a désormais le choix et devient actif : il est certes influencé par la publicité, mais ne va plus se limiter aux films qu’on lui propose à la télé ou au cinéma. En somme, afin de contrer cette menace pour le système déjà établi, on préfère adopter une loi interdisant le téléchargement sur ces serveurs plutôt que d’innover avec le nouveau média. Ceux qui défendent le projet Hadopi affirment que l’interdiction, et surtout les sanctions, vont protéger les droits des créateurs. Or, et là

-dessus tout le monde est d’accord, c’est sur la vente de produits de la culture de masse que ces firmes gagnent le plus d’argent. Et c’est évidemment ces mêmes produits qui sont les plus téléchargés. Quand on s’attaque au gagne-pain de l’élite, il faut alors s’attendre à des réponses fortes ! On préfère instaurer une loi très difficilement applicable sur le plan technique, mettre en péril les libertés individuelles des personnes soupçonnées (l’accusé devra accepter l’installation d’un logiciel espion sur l’ordinateur pour prouver sa bonne foi) et trouver une niche dans la constitution permettant son application, plutôt que de toucher au pouvoir des producteurs. Cela montre encore une fois que la culture de masse n’a pas pour but premier le divertissement mais la consommation, et par conséquent un moyen d’enrichissement pour cette partie de l’élite (cela se voit d'ailleurs bien dans la qualité de la plupart des blockbusters ou des tubes du top 50 !). On remarque donc que lorsqu’une partie de l’élite se sent menacée, elle peut se permettre par son réseau social de créer de nouvelles lois pour se protéger et continuer à dominer. Et personne ne discute la loi, sauf ceux qui la font…

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cement des institutions. Il s’agit hélas d’un problème bien plus profond, incompris par les élites au grand cœur, qui cherchent à faire partager leur goût pour l’art contemporain à un public non réceptif, car différent des visiteurs habituels. L’autre exemple significatif serait surement l’exposition Né dans la rue de la Fondation Cartier. La tentative consiste ici d’exposer à un public éduqué à l’art contemporain l’intérêt des arts du graffiti, tag et autres expressions visuelles du hip hop. La situation est cette fois-ci inversée : on veut faire découvrir la culture de la banlieue à un public parisien. Les commissaires de l’exposition, qui font partie de l’élite culturelle, intronisent de cette manière tel ou tel artiste graff comme grand représentant de son mouvement, alors même que celui-ci est presque inconnu des habitants de la ville de banlieue dont il vient. Réappropriation d’un mouvement culturel populaire, encore et toujours ! Si la culture savante s’ouvre à d’autres influences, elle les utilise davantage à ses propres fins que dans une véritable ouverture à l’autre. Cela permet à ses membres, surtout aux générations les plus jeunes, de se sentir « branchés ». Mais ce n’est en aucun cas une fusion culturelle entre différentes classes sociales.

La culture de l’élite : du capital culturel au réseau social Si l'élite s'attribue certains symboles de la culture de masse et tend à en contrôler les produits, elle conserve toutefois une culture propre, qui la définit. Tout d'abord, elle se caractérise par une quête constante d'élévation intellectuelle. Il ne s'agit pas simplement de se divertir, mais plutôt de questionner, de faire réfléchir, de sublimer. Ensuite, l'élite tend à enrichir son savoir à tous les domaines et prône une culture encyclopédique. De plus, elle est en recherche de perpétuelle nouveauté, d'une certaine originalité, et parfois d'une dose de transgression.

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De ce fait, la séparation entre culture de masse et culture savante semble toujours être d’actualité. Cette distinction a été faite par Pierre Bourdieu dans les années 1960. Dans son étude sociologique intitulée Les héritiers, les étudiants, et la culture, il s’est concentré sur les inégalités dans l’éducation. Il a remarqué que certains élèves sont plus favorisés à l’école par les codes et les savoirs transmis par leur famille. Ceux-ci acquièrent alors des habitudes de pensée et de langage qui leur permettent non seulement de mieux réussir dans leurs études, mais surtout d’accéder plus facilement aux études supérieures. On remarque, déjà dans les années 1960, qu’un fils de cadre supérieur a 80 fois plus de chance d’accéder à l’enseignement supérieur qu’un fils d’ouvrier agricole. Les chiffres des années 2000 sont du même ordre : en 2008, en moyenne 85,8% des enfants d’enseignants et de cadres supérieurs accèdent à l’ensei-


Comment peut-on expliquer cette situation ? Là encore, Bourdieu nous éclaire. Le capital culturel d’un individu est l’ensemble des qualifications intellectuelles qui lui ont été transmises aussi bien par son environnement familial que par l’école. Il se compose de trois éléments : l’habitus culturel (la maîtrise du langage, la façon de penser), les biens culturels, et les diplômes scolaires. Chaque individu a ainsi un capital culturel différent, plus ou moins adapté à la société dans laquelle il vit. Or, c’est par l’acquisition d’un habitus culturel et de biens culturels adéquats à ce que demande l’école qu’un individu aura plus de chances de réussir sa scolarité, et ainsi de s’élever socialement. Dès lors, le capital culturel d’un membre de l’élite est beaucoup mieux adapté à ce que l’école requiert, il est donc logique que sa descendance soit la mieux diplômée. De plus, il faut noter un autre fait qui favorise plus encore la reproduction des élites : le réseau social. C’est là que va se creuser un écart, cette fois plus dans la réussite professionnelle que dans les études. Les cadres et les professions intellectuelles supérieures ont généralement un réseau social qui va permettre à leurs enfants une meilleure intégration sur le marché du travail. Cela passe aussi bien par les stages pendant les études supérieures, que pour le premier emploi, ou encore pour décrocher un contrat. De ce fait, un fils d’enseignant, ayant autant de chance de réussite dans l’enseignement supérieur qu’un fils de cadre supérieur, aura plus de difficulté à trouver un stage par le réseau social de ses parents. C’est le sentiment d’appartenance à un groupe qui fait la différence. C'est-à-dire qu’un membre de l’élite va préférer employer pour un poste important une connaissance faisant partie du même groupe social que lui, dont le capital culturel est plus ou moins identique, espérant un jour un retour de bon procédé, plutôt que d’employer pour ce même poste quelqu’un d’un autre groupe social, dont il ne pourra tirer aucun avantage dans l’avenir. Par conséquent, la reproduction de l’élite est un phénomène qui s’explique non seulement par l’héritage du capital culturel, mais aussi par le bénéfice d’un réseau social.

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La culture des classes moyennes : en quête d’une élévation sociale La classe moyenne se trouve quant à elle dans un entre-deux. Tout comme l’élite, elle possède des bases

d’éducation et de connaissances artistiques, littéraires ou musicales. Elle sait donc apprécier la culture savante car elle en comprend les principales clés et peut en tirer les plaisirs intellectuels. Elle a de plus à la fois le temps et les moyens nécessaires pour en profiter. Elle connaît cependant aussi la culture de masse, qu’elle consomme régulièrement, d’autant plus que les nouveaux médias tels qu’Internet permettent de dissiper l’éventuelle honte ressentie à cette pratique, puisque celle-ci peut désormais être confinée à la sphère privée et intime. La consommation est néanmoins exercée avec mesure et avec une certaine distance critique. En effet, ces individus savent faire les différences de qualités des œuvres et activités et ne les considèrent pas à valeur équivalente. S’ils se divertissent volontiers une journée à Disneyland Resort Paris et qu’ils vont déambuler le lendemain avec un même plaisir dans l’exposition Soulages du Centre Pompidou, ils savent cependant très bien que les deux occupations ne sont pas destinées au même public, qu’elles n’ont ni les mêmes objectifs ni la même qualité. On pourrait alors penser que cette classe moyenne est la plus consciente et la plus épanouie, arrivant à combiner joyeusement à la fois distraction et savoir.

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gnement supérieur, mais seulement 31,1 % des enfants d’ouvriers non qualifiés y parviennent. On observe des proportions encore plus inégales dans les classes prépa : en 2002, en moyenne 54% des élèves sont issus d’une famille dans laquelle le chef de famille est cadre supérieur ou enseignant (professions intermédiaires 14 %, employés 9%, artisans-commerçants 7%, ouvriers 6%, retraités 5%, inactifs 3%, agriculteurs 2%). On assiste alors clairement à un phénomène de reproduction sociale des élites.

Toutefois (eh oui, ce serait trop beau s’il n’y avait pas de mais !), son rapport à la culture d’élite est plus ambigu qu’au premier abord. Les différenciations sociales sont de plus en plus accusées et l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de s’accentuer. C’est pourquoi on peut analyser l’appétence de la classe moyenne pour la culture légitime comme une volonté de lutter contre le déclassement et de s’élever intellectuellement dans la société, au détriment de la possibilité de le faire financièrement. Elle cherche en quelque sorte à s’approprier la culture d’élite pour oublier sa frustration sociale. D’où une frénésie à visiter les expositions, comme en témoigne le succès retentissant de Picasso et les Maitres au Grand Palais (il paraît d’ailleurs que les musées n’ont jamais connu autant d’affluence que ces dernières années), à lire les derniers Prix Goncourt (Trois Femmes Puissantes de Marie Ndiaye est dans les dix meilleures ventes de romans français) ou à aller au théâtre (pensons au One man show de Guillaume Gallienne qui ne désemplit pas). Il s’agit paradoxalement d’une attitude de consommation de masse transférée à la culture d’élite.

Un système encore cloisonné Nous sommes partis de la théorie de Bourdieu qui affirme qu’à chaque classe sociale correspond un type de culture particulier, pour en apporter les nuances nécessaires. En effet, la culture de masse est avant tout un bien marchand comme les autres, dont les ficelles sont


démagogique d’exposer sa tolérance et son ouverture d’esprit, que dans un véritable élan d’altruisme, d’échange et de partage. La classe moyenne fait en quelque sorte la synthèse puisqu’elle consomme la culture de masse comme celle de l’élite, qu’elle se plait à se distraire autant qu’à apprendre, qu’elle souhaite tout à la fois rester ancrée dans la réalité sociale concrète du peuple et à s’élever intellectuellement. En sommes, si de nombreuses passerelles s’établissent entre les cultures, on peut noter que chaque classe sociale conserve une culture propre qui continue de la définir, de la différencier et de la distinguer ! Gauthier Melin et Perrine Fuchs

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tenues par de grands industriels qui cherchent à en tirer profit plus qu’ils ne veulent instruire les consommateurs. Cependant, elle reste une incroyable source de plaisir, de divertissement et de partage, elle permet de créer une identité commune et de construire du sens, d’autant plus qu’avec les nouveaux média informatiques, chaque internaute peut choisir ses produits culturels en toute liberté et sans aucun contrôle d’une instance extérieure. La culture de masse est également en partie assimilée par la classe supérieure, qui aspire ainsi tant à se détendre qu’à étendre son aire de domination en réinvestissant certains symboles populaires. Au contraire, la culture d’élite reste elle toujours aussi hermétique et inaccessible pour les masses. De plus, quand elle tente de se désenclaver (en vulgarisant sa propre culture ou en allant à la rencontre de celles des autres), c’est davantage dans une volonté

LETTRE OUVERTE A UNE DEMOISELLE DE TROISIEME ANNEE Ah ! Mademoiselle, l’air de la nuit, chargé de secrets et de solitude, est plein de volupté. Comment cet instant va s’embellir dans mes souvenirs ! Jamais je n’eus éprouvé tant de plaisir à écrire ; et j’entrevois déjà que je n’achèverai pas cette lettre sans me voir dans l’obligation cruelle de l’interrompre. Mais que suis-je en train de réaliser ? Céder à un sentiment involontaire, insufflé par la beauté et soutenu par la pureté de l’acte, sans relâche respectueux, que je confesse par l’innocent aveu (comment être véritable quand ma sincérité peut me perdre auprès de vous ?), conséquence de la confiance et non de l’espoir. Trahirez-vous alors cette confiance ? Je ne puis vous supposer quelconque tort, et mon âme se révolte à la seule pensée de vous en trouver un. Accoutumé à n’éprouver que de vains désirs, à n’offrir corps et âme meurtris qu’à ceux qu’encourageait l’espoir, il a suffi de vous voir pour désirer vous plaire. Et bientôt, le plaisir de vous voir se métamorphosa en nécessité. C’est alors que je me rendis compte n’avoir jamais connu les tourments véritables de l’Amour. Mais est-ce criminel ? Sans doute ; livré à ces épouvantables tourments, ne suis-je pas suffisamment puni de ressentir ? Si aimer eût été un tort, vous en seriez à la fois et la cause et l’excuse. J’épiais vos regards distillant un d’autant plus mortifère poison qu’il était épandu avec bonne foi et bu sans méfiance. Content de vous adorer en silence, que n’ai-je pu souffrir de par vos grâces ! Et je ressentis qu’il m’était dorénavant impossible et de ne pas vous aimer et d’essayer d’en aimer une autre. Dévoré ainsi par un amour sans espoir, je ne peux qu’implorer votre pitié. Et puissiez-vous à jamais me refuser un bonheur que je chérirai sans cesse, il me faut vous prouver au moins que mon cœur en est digne.

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Ne subsistant que de remords et privations, que ce sentiment est lourd quand l’objet qui l’engendre le partage nullement ! Avez-vous idée jusqu’à quelles nues peut s’élever mon désespoir ? Pour mesurer mes maux, et je les pèse, il faudrait connaître à quel point je vous aime, mais vous ignorez les landes désolées de mon palpitant. Et, dans l’état dans lequel je me trouve, le plagiat est nécessaire ; et je peine à déguiser ce sentiment la journée pour m’y livrer pleinement la nuit. Je préférerai toujours un mot, un regard librement accordés, savamment calculés à toutes les jouissances que je pourrais ravir ou surprendre. Par ma confiance, me serais-je nui ? Et me punirez-vous de ma franchise ? Mais quelle peine pourrez-vous m’infliger qui me soit plus douloureuse que celle que je ressens déjà, qui puisse être confrontée au remord de vous avoir déplu, à la souffrance indicible de vous avoir meurtrie, à la douleur ineffable de m’être rendu moins digne de vous ? Me livrerezvous, mademoiselle, aujourd’hui à un éternel désespoir ? Je pourrais vous supplier des consolations, non que je les mérite, mais parce qu’elles me sont vitales, et que de vous seule elles peuvent provenir. Faîtes-moi savoir ce que j’espère ou crains. Tanguant, tremblant, entre l’excès de bonheur et celui des pleurs, l’incertitude est un bien trop cruel tourment. Se peut-il ainsi que le réputé le plus doux des sentiments puisse inspirer tant d’effroi et de souffrances ? Mais où alors trouver le bonheur si d’un amour réciproque il ne peut naître ? N’omettez point que, placé par vous entre un profond désespoir et une félicité suprême, le premier mot que vous prononcerez décidera de mon sort à jamais. Je vous prie de ne douter en rien de la véracité de mes sentiments les plus purs et dépose à vos pieds le serment de sempiternellement vous aimer. Philippe-Alexandre JBM PIERRE

COURRIER DU CŒUR


Les Igrecs de A à Z Les Igrecs, qu'est ce que c'est ? Oh, c'est bien simple ! L'organisation des Igrecs doit être entendue tout bonnement comme la structure atomique, un noyau dur autour duquel gravitent des électrons libres (ou comment perdre les lecteurs de Louvre Boite à la première réponse de l'interview). Le principe est ainsi d’avoir une équipe d’habitués à laquelle peut s’intégrer quiconque nous propose une bonne idée ou nous donne envie de travailler avec lui. Les Igrecs, ça a commencé comment ? La genèse des Igrecs a été la participation au concours de film suédé organisé à l'occasion de la sortie du film Be kind rewind de Michel Gondry. Il nous restait très peu de temps pour produire quelque chose, et c‘est de là que vient le caractère très cheap de nos productions. Pourquoi les Igrecs? Parce que Valentine Gay. En fait, lorsque Valentine a souhaité s‘inscrire sur un célèbre réseau social bleu et blanc, celui-ci lui fit remarquer que le nom Gay n’était pas politiquement correct et par conséquent non recevable (véridique). Elle a ainsi du s‘inscrire sous Valentine Gai, et nous l’avons vengée dans le générique de notre Shining suédé en remplaçant les « i » compris dans les noms du casting, par des « y ». C‘est donc une origine à la fois particulièrement révoltante et stupide.

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Parlez nous de votre œuvre avec la modestie qui vous caractérise. Après Hubert Damish et Georges DidiHubermann, nous nous situons dans la recherche d'un paradigme post-panofskyen visant à atteindre l'invu du phénomène edlien par un craquèlement de l'étant en tant qu'il est la manifestation vertigineuse du dasein (voire la notion d'être-au-monde dans la phénoménologie husserlienne), et ce en rupture complète avec la logique néo-contemporaine d'avant garde. Par ailleurs, nous tenons à préciser que les rumeurs consistant à dissocier ingurgitation massive de mal bouffe, sorties nocturnes, travail désorganisé et réflexion philosophique (de génie) sont parfaitement infondées. Comment procédez vous dans l'élaboration de vos vidéos ? Après une longue période de procrastination (modérément) alcoolisée, une discussion éventuelle-

EDLIEN(NE)S

Les vidéos du BDE au gala ou dans vos cours d'amphi, c'est eux. Vous les avez vu rapper devant le palais du Louvre, doubler Ben Stiller en TDO ou s'envoyer des tartes à la crème dans leur délires promotionnels pour le Ciné-Club. Dans leur suite du Ritz, entre deux interviews accordées à Libé et à Madame Figaro, ils ont accepté de répondre à nos questions.

ment qualifiable de brainstorming met à nu, très souvent, la nécessité de l'usage de nouveaux logiciels et matériel technique inutile (dans le but principal d'avoir la classe). S'en suit une phase de logistique effrénée qui consiste principalement en un harcèlement soutenu de l'ensemble du répertoire téléphonique de Philippe, afin de glaner tant bien que mal acteurs, accessoires et lieux de tournage. Le tournage se fait, dans l'écrasante majorité des cas, dans l'urgence et le chaos, à la merci des sociétés de sécurité, d'un matériel défectueux, d'un budget proche de l'investissement nécessaire à l'acquisition d'un Kinder Bueno, et des envisageables plaies cataclysmiques du type invasion de sauterelles/pluie de grenouilles enflammées/nouvelle production de Luc Besson. Enfin, l'étape du montage est généralement celle de l'arrivée (à raison d'une moyenne de 4 à 5h de retard) d'Alexandre, et l'occasion de force insomnies et dépressions nerveuses chez Philippe (les membres féminins s'occupant bien évidemment aux fourneaux tandis que le dernier membre masculin, amputé de toute aptitude informatique, dort paisiblement). Cela s'entend, l'usage veut que cette étape se termine deux à trois heures avant l'impératif rendu du projet (déjà repoussé depuis trois jours).

Quelles sont vos influences ? Elles sont nombreuses : Les gars en t-shirt, La classe américaine, le Monty Python's flying circus, South Park, les Robin des bois (la majorité tient à préciser qu'elle se désolidarise de cette réponse, assumée uniquement par Jean-Charles Hameau), Albert Dupontel, Mike Myers, Family Guy, La chanson du dimanche, Rémi Gaillard, la mégalomanie dalinienne. Pourraient être à rajouter, en toute prétention, Stanley Kubrick, Joseph Beuys, Ingmar Bergman, le non formisme, Werner Herzog, Andrei Tarkovski, Carl Theodor Dreyer, Frantiçek Kupka, Alfred Hitchcock, Orson Welles, Frank Zappa, les frères Coen, Terry Gilliam, Pierre Desproges. Un but ultime à votre action ? Lucille : Militer en faveur de l'accroissement d'un esprit féministe dans le milieu des actions edliennes, aux mains du génie masculin, comme chacun sait. Philippe : De faire cracher leur thunes aux étudiants aux séances du ciné club, et particulièrement à la séance prochaine du Miroir de Tarkovski (depuis passée, ndlr).


je ne peux me prononcer. Lucille : La population féminine homosexuelle de l'EDL étant trop inhibée à mon gout, je n'ai pas encore eu l'occasion de vérifier cette information. (S'adresser à Philippe également.)

EDLIEN(NE)S

JC : Insuffler un semblant d'esprit de folie et de trivialité dans les esprits edlien, tout en satisfaisant notre passion sans limites pour la cuistrerie. Mais aussi : faire parvenir aux interessé(e)s le numéro de téléphone de Philippe.

Quels sont vos projets futurs ? Y aura-t-il une vie pour les Igrecs après l'école ? Nous venons de refuser un contrat avec la Warner, et sommes actuellement en cours de négociation avec la Fox, qui ne semble cependant pas disposée à nous laisser la liberté artistique nécessaire à nos productions. Il est donc fort probable que notre chômage nous laissera le temps nécessaire à nous consacrer à la réalisation de vidéos humoristiques geeks pour historiens de l‘art. Plus sérieusement, l’après EDL a déjà commencé pour l’un d‘entre nous, Alex est en effet élève à l’INP en restauration photographique. Lesigrecs survivent donc à l’après école! Il y a par ailleurs fort à parier que les productions des Igrecs se diversifient, si le temps le permet, jusqu’à, qui sait, la réalisation d'un projet un peu plus sérieux, à l’exemple d’Ex Libris, réalisé par Frank Puaux, un élève de troisième année. Dans un futur proche, nous aimerions réaliser une vidéo sur un super-héros sauvant le Cabinet des médailles. Des questions que vous auriez aimé qu'on vous pose ? Alex : - Parlez nous du lien substantiel entre phénoménalisation de la pulsion créatrice et intuition mystico-religieuse dans la peinture d'icone post byzantine d'Andrei Roublev. Philippe : - sachant qu'un train A part de la gare de Pau à 18h30 à la vitesse de 289 km.h, qu'un train B part de la gare de Lyon à 15h43 à la vitesse de 138 km.h, qu'il ne roulent pas sur la même ligne et que Pau est située à 495 km de Lyon, quelle sera l'heure à laquelle les deux locomotives se rencontreront ? Valentine : Jambon beurre ou thon mayo? Lucille: Quel est le score du match Grenoble/Saint Etienne? Alex : quelle est la différence entre un canard? JC : « Trotsky tue le ski » , la persistance des loisirs en URSS, 1917=1989. Vous argumenterez votre propos en vous appuyant sur des exemples précis.

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Dailymotion upsiloniste dailymotion.com/lesigrecs Etre une star à l'école, ça aide à pécho ? Alex : S'adresser à Philippe. JC : C'est la raison pour laquelle j'ai arrêté de fréquenter les soirée du BDE. J'ai peur du harcèlement. Philippe : C'est la raison pour laquelle je fréquente les soirées du BDE. Valentine : Dans la mesure où je ne me souviens plus des évènements au cours de la dernière soirée du BDE,

Merci à Philippe Bettinelli, Valentine Gay, JeanCharles Hameau, Alex Michaan et Lucille Pouillard d'avoir répondu à nos questions. Propos recueillis par Margot Boutges


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A. Centilitre. Rapide B. Avant Christophe C. Enchantés. Lutte ouvrière. Ville belge. D. Parcours. E. Vieux briscard. On peut y avoir plusieurs cordes. F. Chausseur. Lieutenant. Pareil que le 9 mais en vertical (bah quoi?) G. De l'agneau mystique ou de Boulbon. Union européenne. H. Oui transalpin. Un dessous de bras. I. Affluent de la Seine. Sélectionnée. J. Artisanat en osier. 117 au ciné.

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E

Définitions 1. Enlever. 4 chez Lucius 2. Impacts de météorite. 3. Elévation d'objets par un procédé psychokinétique. 4. 7ème art. À l'intérieur. 5. Mesurer. Sous le fût d’une colonne. 6. Amener dans son camp. 7. Les soucoupes le sont. 8. Emotions. Société. 9. Louvr'boîte. De la bouche et des pieds. 10. Piaf. « chanteuse » 11. Pied de vigne. Ajustés. 12. Ecole des dirigeants. Fabriquées.

PAUSE-CAFE

Mots croisés

Louvr’boîte n°5 ISBN 1969-9611

Directrice de publication : Anaïs Raynaud Rédactrice en chef : Margot Boutges Rédacteurs : Alexis Comnène Perrine Fuchs Eloïse Galliard Tim Le Berre Gauthier Melin Sébastien Passot Annabelle Pegeon Philippe-Alexandre Pierre Pierre Pigot Marie Surget Illustrateurs : Aurélie Deladeuille [http://orely.over-blog.net] Valentine Gay Gauthier Melin Silvère Tricaud Maquettistes : Alexis Comnène Sébastien Passot

FLASH INFO Le cabinet des Médailles en danger ! Le cabinet des Médailles est le plus ancien des Musées français. Ouvert dès le XVIIe siècle, il possède des collections d’une grande richesse notamment en numismatique et en céramiques antiques. Il conserve par ailleurs des vestiges inestimables pour l’Histoire de France (trône de Dagobert, croix de Saint Eloi, échiquier de Charlemagne…). Le musée souffre depuis longtemps d’un manque de moyens et d’une communication quasi inexistante, rendant impossible toute mise en valeur des collections. Pire encore, le projet de rénovation du Quadrilatère Richelieu, aujourd’hui en cours de réalisation, prévoit la disparition du musée ! Alors que ce dernier n’expose aujourd’hui qu’environ 1500 œuvres sur les 550 000 qu’il conserve, on aboutirait dans le meilleur des cas à l’exposition d’une dizaine de pièces dans la Galerie Mazarine, qui ne sera ni plus ni moins qu’un espace de circulation. Une analyse plus détaillée de ce projet est disponible sur le site de la Tribune de l’Art. Nous vous invitons dors-etdéjà à signer la pétition contre l’inacceptable disparition du Cabinet des Médailles sur www.cabinetdesmedailles.net


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