Louvr'Boîte 4, décembre 2009

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l’édito Toujours vaillant et sur la brèche

L

ouvr’boîte revient une fois

Deux dossiers vous sont également

nouveau !

de plus afin de meubler les

proposés, un sur le problème très

La galerie des horreurs et les bons

pauses

actuel de l’exposition des restes

plans font leur apparition, nous ne

d’icono et les trajets en métro. Pour

humains dans les

vous en dirons pas plus, allez jeter un

ce numéro qui risque bien d’être le

deuxième

dernier de l’année nous vous avons

l’anachronisme dans les séries télé. A

Notre équipe s’est agrandie et nous

mis les petits plats dans les grands en

côté de ça vous pourrez découvrir une

développons donc de nouvelles

vous proposant un journal encore plus

association présente à l’école et qui

choses, nous espérons bien sûr

long

s’occupe de l’accès au musée du

qu’elles vous causeront le plus exquis

passionnantes lectures.

public handicapé, le témoignage

des ravissements, dans le cas

Les classiques sont toujours là : l’actu

traumatisant d’une élève daltonien et

contraire vous avez toujours notre

du Louvre fait la part belle à Umberto

une nouvelle rubrique très fashion...

mail (journaledl@gmail.com), les

Eco, l’actu du BDE vous informe de

Les fictions font leur grand retour

mes s a ges

d’ i ns ul t e

toutes les sorties, réunions de clubs et

dans notre feuille de chou avec un

bienvenus.

N’hésitez pas à donner

événements à venir, l’entretien nous

texte de théâtre et une petite scène

votre avis, proposer des idées, militer

entraine à la rencontre d’une

autour de l’Apothéose d’Homère

pour le retour d’autres rubriques pour

association travaillant en Equateur, le

d’Ingres. Cet espace consacré à la

le moment au cimetière ou juste crier

gros plan sur une région prend des

fiction est un lieu où chacun peut

votre haine du monde et votre amour

couleurs en Provence et les mots

laisser l’âme sensible qui est en lui

de notre adoré journal.

croisés ambitionnent d’être pour une

s’exprimer librement, nous sommes

fois complets.

très contents de le voir occupé de

avec

cafèt,

encore

les

plus

cours

de

sur

la

musées, le question

de

coup d’œil…

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Anaïs Raynaud


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l’actu du BDE Sacré programme !

P

as d’hibernation pour le BDE ! Cet hiver, le Bureau des élèves continue de vous proposer des tonnes d’activités pour affronter les abysses du thermomètre et les jours qui raccourcissent. Le ciné-club poursuit sa mission évangélisatrice : le rêve sera l’invité d’honneur pour les fêtes de Noël puisque vous pourrez découvrir La Belle et la Bête de Jean Cocteau. Cette merveille de poésie et de créativité sera projetée le 15 décembre toujours à 18h15. Le club-jeux continue de vous accueillir deux fois par semaine, le lundi de 15h à 17h et le jeudi de 16h à 18h. La palette des jeux proposés s’est élargie et vous pouvez toujours amener vos jeux et vos idées alors venez faire un tour ! Les jeux sont choisis en début de séance selon les envies, c’est vraiment l’occasion de s’amuser et de découvrir de nouvelles choses ! Les horaires et les salles ne sont pas toujours les mêmes, on vous encourage donc à venir jeter un œil au calendrier affiché au BDE.

Nouveauté au Bureau ! Un club-sport est en train de voir le jour. L’objectif est de participer à des courses à Paris. Pour cela nous vous donnons rendez-vous tous les dimanches matin à 10h15 devant l’entrée du Château de Vincennes. Petit jogging et parcours santé sont au programme. Le premier événement auquel nous participerons est la Course pour le Plaisir au bois de Vincennes le 13 décembre. Rassurez-vous il n’y a pas de classement mais de nombreux lots et surprises et la course est ouverte à tous niveaux ! Renseignements au BDE. Parmi les visites à venir (là encore, passez au bureau, on vous dira tout) notez mesdemoiselles et messieurs mais surtout mesdemoiselles la visite des ateliers de restauration textile des Arts Décoratifs puis une visite de l’exposition Madeleine Vionnet sous l’angle de la restauration des costumes, le tout par Maximilien Durand. Les places sont limitées, dépêchez vous de réserver ! Et le 22 janvier de 11h à 13h, une visite du Musée national de la Chasse et de la Nature par Raphaël Abrill, conservateur au musée. Là aussi la visite est gratuite, profitez-en ! Le BDE se mobilise aussi pour des nobles causes (mais oui Maxou est aussi une noble cause on n’a jamais

CONTACTER LE BDE au bureau : de 9h à 16h30 tous les jours à Flore. téléphone : 01 42 96 58 13 mail : bde-edl@hotmail.fr blog : http://bde-edl.blogspot.com

dit le contraire) et participera encore cette année à la semaine du Sidaction. Du 30 novembre au 4 décembre vous trouverez à la borne de Jaujard des informations, des préservatifs distribués gratuitement ainsi que des pin’s et teeshirts que vous pourrez acheter. L’intégralité des bénéfices ira bien sûr à des associations qui se battent pour aider les malades, développer la prévention et lutter contre la propagation de ce triste fléau. En avance sur notre temps nous vous invitons à célébrer Noël avant l’heure lors de la presque traditionnelle Christmas Party. La soirée, en partenariat avec l’Ecole des Gobelins aura lieu au Divan du monde à Montmartre le 10 décembre à partir de 23h30, 13 euros pour les adhérents et 15 euros pour les non-adhérents (une boisson comprise). Le BDE recrute ! Nous cherchons toujours des volontaires pour s’occuper de l’organisation du gala. Seule qualité requise : une disponibilité tout au long de l’année car c’est un projet à tenir sur la distance. Côté voyages, après le brouillard londonien, abandonnez-vous à l’atmosphère romantique des canaux d’Amsterdam. Quartier rouge ou Rijksmuseum sans oublier les balades à vélo ou le Tropenmuseum, le musée ethno et anthropo situé dans un des plus beaux bâtiments de la ville. Ce voyage aura lieu du 30 janvier au 1er février. Anaïs Raynaud


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actu Louvre Umberto Eco et le Vertige de la liste Après Pierre Boulez la saison dernière, le Louvre invite le célèbre écrivain, Umberto Eco qui a mené une réflexion autour du thème de la liste.

C

'est un Umberto Eco, sans sa barbe (O désespoir!), qui a choisi de réfléchir à la force de fascination des énumérations dans les œuvres du musée du Louvre. Le défi de ce thème était de trouver comment parler de listes visuelles, surtout pour des œuvres soumises au cadre et à l'encadrement. Comme l'explique l'auteur du Nom de la Rose, "il est difficile d'imaginer une statue qui dise et cetera, c'est à dire qui suggère qu'elle peut continuer au-delà de ses propres limites physiques". Dans le domaine de la peinture, Umberto Eco s'est notamment intéressé à un peintre italien du XVIIIe siècle : Pannini, qui est connu notamment pour ses représentations de galeries d'art remplies de tableaux. Pour lui, il est évident que le peintre voulait montrer à son public que l'accrochage ne s'arrêtait pas là, qu'il y avait d'autres salles et d'autres œuvres. C'est ainsi que l'on se retrouve devant un et cetera visuel ! Umberto Eco compare ces œuvres à une figure rhétorique : la synecdoque. Pour ceux qui aurait oublié leurs cours de lycée, il s'agit de parler d'une partie pour évoquer un tout. Et voilà, il n'en fallait pas plus pour que notre écrivain ne trouve d'autres œuvres évoquant la liste. Cela va du Sacre de Napoléon de David à la nature

morte hollandaise. Ces œuvres invitent le spectateur à aller au-delà du cadrage. Dans le cadre de cette invitation, de nombreuses manifestations sont organisées. Du 4 novembre au 14 décembre, la salle audiovisuelle du musée du Louvre, dans le hall Napoléon (sous la pyramide) sera transformée en "Chambre des Merveilles" proposant quelques inventaires du cinéma du premier temps. Il est question d'évoquer, à travers le thème de la liste, le lien unissant l'univers muséal et le cinéma, notamment les itinéraires perceptifs intimes suscitant des réactions émotionnelles intenses. Annabelle Pegeon

association L’aumônerie de l’Ecole du Louvre On entend parler de l’aumônerie de l’école du Louvre, mais on ne sait pas vraiment en quoi elle consiste. Axel Lefranc, président de l’aumônerie, a accepté de répondre à quelques questions à ce sujet. Bonjour Axel, peux-tu expliquer ce qu’est l’aumônerie de l’école du Louvre ? Nous sommes un petit groupe qui fonctionne bien et se réunit régulièrement. En même temps, nous sommes reliés aux autres aumôneries d’étudiants d’île de France. Nous sommes d’ailleurs allés à la messe de rentrée à NotreDame, qui nous a permis de porter très haut –dans la mesure de notre taille –les couleurs de l’école, que nous avons voulues vertes. Pourquoi le vert ? Parce que c’est la couleur de l’Espérance, de la Résurrection dans les vitraux de la cathédrale de Chartres. Et surtout, le vert symbolise le lieu préféré des élèves de l’école du Louvre : les pelouses du jardin des Tuileries ! Tout à l’heure tu parlais de réunions, peux-tu m’en dire davantage ? Bien sûr ! Nous nous réunissons un jeudi sur deux dans un local convivial gracieusement prêté par la paroisse Saint Roch (à 5 minutes à pied de l’école), pour parler de sujets d’actualité en rapport avec la Foi et l’Art. Ça nous fait une occasion de se rencontrer, puisqu’on vient de toutes les années et de toutes les spés. Et puis une fois le débat termi-

né, on discute de manière plus informelle, autour d’un repas. Au sujet des débats, tu aurais des exemples de thèmes? L’an dernier nous avons eu une conférence par le père Brière (l’aumônier, ndlr) sur le «Couronnement de la Vierge » de Fra Angelico, dans les locaux du Louvre. Sinon, nous débattons sur des sujets tirés de la Bible, des questions de bioéthique, ou même des questions qu’on se pose sur la Foi. Une conférence, la messe de rentrée des étudiants, vous participez à beaucoup d’événements ! Oui, nous avons aussi participé à une retraite, en commun avec l’aumônerie des Beaux-arts, à Fontainebleau, certains d’entre nous sont également allés à la soirée d’Holywins. Nous sommes en train d’organiser une soirée de Noël pour le 15 décembre. Et bien sûr nous sommes ouverts à des propositions concernant d’éventuelles autres activités ! Pour nous contacter : aumonerie.edl@hotmail.fr, le forum de l’Ecole et même un groupe Facebook ! Propos recueillis par Pauline Joffard


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shopping Ce que vous avez toujours voulu acheter dans les musées (ou pas mais qu'on vous proposera quand même) u détour d’un manuel incontournable (mais néanmoins soporifique) destiné aux étudiants de second cycle, on croise de nombreuses définitions du Musée. Toutes s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’une institution à but non lucratif. Pour une fois, on est d’accord avec Michel Colardelle, prof de muséologie n’hésitant pas à démonter la matière qu’il enseigne à grandes injections verbales rageuses (voir page 17), il y a de quoi être septique… A quoi servent donc les gift shop des musées si ce n’est à remplir un peu les caisses ?

A

donner un patronyme affectueux (Robert ?). Alors comment envisager d’en faire « un objet transitionnel » digne de ce nom ? Tout le contraire des peluches Takashi Murakami, reproduisant les petites fleurs multicolores et hystériques (so kawaï) de l’artiste japonais. On avait déjà bien envie de les grattouiller à même la toile, on peut maintenant les acheter en version calinable dans l’échoppe du palais de Tokyo . La voie de la peluche est ouverte, il s’agit donc de s’y engouffrer !

Outre les guides, catalogues d’expositions et cartes postales que vous-mêmes acquérez fréquemment, on trouve sur les présentoirs un bel échantillonnage de produits dérivés destinés à ferrer les touristes. Ces souvenirs se déclinent à l’infini et revêtent toutes les formes (in)imaginables, du porte-clefs au magnet pour le frigo en passant par l’indétrônable boule en verre neigeuse (à quand un musée de la boule neigeuse des origines à nos jours ?). Les Offices font la part belle au Printemps de Botticelli, la Joconde s’incruste sur tous les supports parisiens et le musée du Caire ne jure que par la bouille dorée de Toutankhamon. Plutôt que d’incendier ce marketing (difficile de cracher sur la société de consommation quand notre portefeuille déborde de cartes de fidélité) et de pleurer sur les aléas de la vulgarisation qui dépoétisent l’Art, on déplorera le manque d’inventivité, d’originalité et d’humour sévissant dans l’univers du produit dérivé artistique ! On recense tout de même quelques heureuses exceptions : Le Van Gogh Museum d’Amsterdam propose à sa clientèle un petit Vincent en pièces détachables invitant les fans à rejouer la scène du drame (Si en son temps on avait prédit à l’artiste que sa popularité atteindrait de telles extrémités et que son geste désespéré deviendrait source de revenus, il se serait probablement coupé plus d’oreilles.).

Je conçois que ce concept puisse ne pas remporter tous les suffrages. L’œuvre d’art doit-elle quitter le musée pour envahir la garderie ? Certains reprocheront une désacralisation extrême, la ridiculisation d’un sujet et d’un dessein artistique. Ceux-là ne verront pas l’intérêt pédagogique, n’entreverront pas une nouvelle génération de conservateurs éclairés capables d’apprécier le maniérisme dès le berceau, à grands renforts de jets de salive sur les lignes serpentines de leur doudou. La force des premières images est immense et pourrait bien créer des vocations à tour de bras ! Imaginez aussi le plaisir des spécialistes ! Les conservateurs d’aujourd’hui n’ont pas des journées faciles : ils rencontrent parfois l’incompréhension des mécènes et l’hostilité des politiques, ils sont envahis par la paperasse administrative, leurs recherches prennent du retard et les bris de potiches en réserve s’accumulent (il ne fallait pas y abandonner un stagiaire hyperactif). Ceux-là trouveront une consolation le soir venu, en serrant contre leur cœur les plus belles pièces de leurs collections. Imaginez Agnès Benoit dans quelques situations un brin régressives, bécotant un Ebih-il rembourré ou craignant que son Goudéa préféré ne sorte ébouriffé de la machine à laver. Cela n’ira bien sûr pas sans quelques ratés et quelques traumatismes, comme à l'époque où les tamagotchi régissaient le monde . L’ange de Pérugin finira probablement enfermé à double-tour dans un placard afin de prévenir tout syndrome Chucky (vous savez, la poupée souriante qui éventre les gens…). Les Saints martyrs se verront réservés aux marmots les plus courageux ou les plus dissipés. Un Cosme Tura ou un Cranach en peluche glissé dans le lit à barreaux d’un enfant turbulent vaut mieux qu’un long discours ou une bonne fessée (et au moins, vous ne risquerez pas d’amende). Cela n’ira pas non plus sans quelques dérapages… A quand une Vénus de Cabanel grandeur nature pour les grands enfants en quête de nouvelles émotions ?

Cet article a pour (pro)vocation d’évoquer un grand absent des présentoirs : la peluche. Ce marché florissant ne semble malheureusement pas s’être beaucoup intéressé à l’histoire de l’Art. Ceux qui connaissent bien la boutique de Louvre réagiront et me contrediront : elle propose en effet aux acheteurs une reproduction duveteuse du petit hippopotame bleu en faïence siliceuse que l’on peut admirer dans les salles égyptiennes. Malgré les végétaux nilotiques qui lui donnent son petit côté festif, c’est une peluche sans grande personnalité, qui n’a même pas d’yeux dans lesquels se refléteraient son âme et nos pupilles énamourées ! On ne s’imagine pas lui confier des petits chagrins ou lui

Margot Boutges


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l’entretien Hoéquateur, késako? Certains aiment aller se détendre à Saint Trop' pour l'été, d'autres choisissent la solidarité internationale. Deux anciennes élèves de l'Ecole et le reste de leur équipe ont choisi de partir en Equateur, pour aider la communauté Shuar à valoriser leur culture. L'équipe d'Hoéquateur 2009 nous raconte cette aventure.

H

OE, ces trois lettres ne vous disent probablement rien. Il s'agit du sigle d'une ONG : Heaven On Earth, aux buts pas si utopiques que ce nom pourrait nous le laisser croire. Cette association est née en 2001 d'un regroupement d'étudiants et de jeunes actifs et compte aujourd'hui près d'une centaine de membres. HOE travaille en partenariat avec diverses associations qui officient dans des domaines tels que la protection de l'enfance, l'insertion sociale et professionnelle, ou dans des actions interculturelles. Il est important de contextualiser les choses. Depuis la découverte des Amériques, les communautés indiennes d'Amérique du Sud luttent contre l'acculturation, l'exode urbain et ce combat est toujours d'actualité. C'est le cas en Equateur, où la communauté Shuar a entamé un processus de sédentarisation, d’exode urbain et de perte de culture. Certains vivent maintenant dans des banlieues délabrées, d’autres continuent tant bien que mal de vivre comme ils l’ont toujours fait. Quelques uns cherchent à défendre leur histoire, leur art, et leurs terres. Ils se battent comme ils le peuvent. C’est le cas de Francisco Ecuador Vivanco Sanchez et Maria Shacay Chup qui ont pour cela créé la fondation Tsunki-Shuar. Plusieurs équipes de d'HOE sont parties en Equateur : en 2003, 2006, 2007, 2008 et enfin 2009. Leur but est de valoriser la culture indigène Shuar et soutenir les initiatives locales en partenariat avec la Fondation Tsunki-Shuar. Pour exemple, l'équipe de 2006, a établi un soutien financier au groupe de musique et de danse Tsunki Shuar crée par Francisco Ecuador et Maria Shakay. Elle leur a également acheté du bétail afin de palier les carences alimentaires (en protéine notamment) touchant surtout les enfants et a initié le projet de la Casa de la Sabiduria (littéralement, "maison de la sagesse") qui sera un musée vivant des cultures indigènes de l'Amazonie équatorienne. Il mettra en valeur ces différentes cultures et sera également un lieu d'échange et de solidarité pour les peuples indigènes. A terme, l'idée est qu'il puisse être géré de manière collective et s'autofinancer. L'équipe d'Hoéquateur 2009, composée de six membres, dont

deux issus de l'Ecole (Marie et Jenn, toutes deux en spé Amériques), a du donc faire preuve d'ingéniosité, de courage et de ténacité afin de récolter des fonds pour continuer la construction de la Casa. Le but de cet article est de mettre en valeur le travail effectué sur place, autant donc aller à la source. Pour cela, j'ai interrogé Marie (la cheffe de projet ), Jenn, Antoine, Mick, Lucie et Kévin, les membres de l'équipe 2009. Comment es-tu entrée en contact avec l'association Hoéquateur ? Marie : C'est arrivé un peu par hasard. J'errais sur le forum de l'Ecole du Louvre quand j'ai lu un message d'une élève qui parlait de la construction d'un musée en Equateur en partenariat avec des Shuars. Il y avait le contact d'un membre de l'association qui est un des initiateurs du projet en Equateur. J'ai pris contact avec lui rapidement et il m'a convaincue de rejoindre l'association et de m'investir dans ce projet. Ensuite tout s'est enchainé assez vite, deux mois après je rencontrais le bureau de l'association et j’assistais à la formation que l'on suit avant de partir en projet. Puis encore deux mois plus tard, l'équipe et moi même participions au week-end d'avant projet qui nous a permis de découvrir une grande partie des autres membres de l'association afin de se rencontrer et d'échanger nos diverses expériences notamment à propos des autres projets. Jenn : Par Marie, qui m'en avait parlé au moment où elle recrutait son équipe. Puis mes plans pour l'été sont tombés à l'eau, et j'avais très envie d'aller en Amérique latine, elle m'a donc proposé de me joindre à l'équipe et je suis entrée dans l'aventure ! Antoine : Je suis entré dans l’association HOE en 2005, par le bouche à oreille. J’ai vite été conquis par la philosophie de l’asso et sa conception du développement. C’est pourquoi j’ai décidé de partir en projet avec eux au Pérou en 2006. Cette première expérience dans les bidonvilles de Lima m’a beaucoup marqué, et j’ai alors été formateur pendant quelques


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temps dans l’association. Cette année, j’ai voulu tenter à nouveau l’expérience dans un tout autre contexte, le projet Equateur étant bien plus centré sur des problématiques culturelles que sur celles de la pauvreté. Mick : Par le biais de Kévin, cousin d'Evan pilier du projet Equateur (et chef de projet de l'année 2006 ). Lucie : Je suis entrée en contact avec l'association grâce à Kevin qui était en cours avec moi, est le cousin d'un des membres du projet, et m'avait proposé de faire partie du groupe 2009. Kévin : Il faut dire que j'ai eu de la chance car j'ai de la famille qui y est ou a été en tant que bénévole. Alors je connaissais vaguement leurs activités jusqu'à ce qu'un jour j’en parle sérieusement avec mon cousin. Quels ont été les plus gros challenge que vous avez du relever avant de partir ? Marie : Je dirais que les deux plus importants ont été la quête des subventions d'une part, qui avec la conjoncture actuelle n'a pas été simple ; et la cohésion ainsi que la bonne entente du groupe d'autre part. Car c'est cela la base d'un projet qui a toutes les chances de réussir : un groupe soudé, motivé et qui travaille dans une même dynamique. Et sur place ? Marie : Le groupe est évidemment resté un des points les plus importants. La bonne entente, et la communication entre nous étant indispensables afin de pouvoir être dans les meilleures conditions pour réagir aux imprévus qui sont les autres grands challenges sur place... Et bien sur tout ça sous-entend le grand challenge de tout projet, à savoir suivre les objectifs définis avant le départ. Justement quels étaient vos principaux objectifs et avezvous pu tous les atteindre ? Marie : Les trois grands objectifs étaient la poursuite de la construction de La Casa, l'évaluation des actions menées les années précédentes dans la communauté de Putuim et la réalisation d'un film documentaire. Nous avons atteint les deux derniers ! Nous avons financé l'achat de bétail à Putuim afin de démarrer un partenariat visant à l'autosuffisance alimentaire de la communauté. Le film documentaire est en cours de montage, il traitera du combat des Shuar pour conserver leur culture à travers le combat que mène la Fondation Tsunki-Shuar. Le bémol est donc attribué à la Casa ! En effet nous avons eu quelques problèmes comme le raccord à l'électricité qui n'est toujours pas fait et qui est pourtant nécessaire à la construction du toit notamment. Nous avons donc pu financer uniquement la construction de la chape du rez-de chaussée (faisable sans électricité !) afin de protéger les fondations. Allez vous repartir, ou laisser place à une nouvelle équipe ? Marie : Grande question ! Justement c'est le principal sujet en ce moment. Nous allons nous réunir afin de savoir quelles sont les envies de chacun. Le retour de projet n'étant jamais facile, on se dit tout de suite que l'on repartira l'année d'après... Donc la question reste entière. Puis recruter une nouvelle équipe nous permet de nous investir différemment dans le projet, c'est tout aussi intéressant et cela apporte bien sur un nouvel oeil et surtout des nouvelles compétences né-

cessaires au projet. Quels souvenirs gardez-vous de cette aventure ? Marie : De nombreux souvenirs... Mais pour résumer, je dirais que je garde l'image d'une famille soudée, généreuse, accueillante... Et surtout cette manière formidable de vivre sa vie, de manière sereine et positive qui vous font relativiser beaucoup de choses sur la votre. Jenn : Il y en a beaucoup trop pour tous les raconter...d'ailleurs ce serait impossible. Il y en a des magnifiques comme des plus tristes... je retiendrais le plus magique selon moi, le moment où nous étions à Putuim, autour du feu, et que sur un air de guitare bien "franco-franchouillard" (la Rue Kétanou), tout le monde s'est plus ou moins mis a chanter, fredonner, bouger, swinguer... Français et Shuars compris bien entendu, et sans limite d'âge ! Une sorte de pause qui a effacé les âges et les cultures ! Antoine : Une expérience inoubliable ! Le lien que l’on tisse année après année avec la communauté Shuar est quelque chose de très précieux. L’échange est passionnant. Je n’oublierai jamais nos discussions, les contes de la Abuela (littéralement "grand-mère"), la forêt amazonienne, nos engueulades (toujours constructives) autour du projet, et tous les visages des shuars que nous avons rencontrés. Mais je ne veux pas que ce soit de simples souvenirs encadrés dans un coin de ma tête, je veux les faire vivre . Mick : Que des bons souvenirs, évidemment, mais il y en a tellement que je ne pourrais les énumérer. C'était ma première expérience au sein d'une association, avec des personnes formidables, et nous avons mené une action concrète qui mérite qu'on y prête de l'attention, du temps, et des efforts, pour des gens qui resterons gravés à jamais dans ma petite caboche. Un véritable projet d'aide et d'échange international en somme. Lucie : Ce projet a été un véritable échange culturel et surtout humain avec la naissance d'une belle amitié et énormément de découvertes. Kévin : On y apprend énormément tant sur soi que sur ce monde qui nous entoure. Je garde de cette aventure le sentiment profond que nous nous trompons totalement, ici, dans notre société qui nous pousse à la consommer et à être égoïste. Là-bas ils étaient si près des choses réelles. Quand nous étions à Quito, la capitale, je me rappelle du contraste entre la misère et le luxe. Dans les zones touristiques, j’ai bu un verre pour 5 dollars dans un café plutôt classe. Quelques minutes après je me trouvais à manger un menu pour 2 $ dans un restaurant simple, mais copieux et délicieux. Quand nous sommes allés dans la forêt, nous étions dans un univers puissant mais serein. Nous étions avec des gens qui savent profiter de ce qu’ils ont et qui s’en contentent. Je me suis souvenu que la vie est belle, et simple. Ne la rendons pas laide et compliquée. Pour plus d'infos ou pour prendre contact avec les membres, voici l'adresse du blog : http://hoequateur2009.over-blog.com/ Annabelle Pegeon


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analyse La restitution des restes humains : problème éthique ou politique ?

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eux affaires récentes ont remis la question des restes humains au cœur de l’actualité. Les musées en effet conservent et parfois exposent ces « objets » dont la nature suscite, parfois, des interrogations et des débats d’opinion. L’appellation très large et assez vague recouvre des situations très diverses et des réalités différentes car elle désigne aussi bien les momies, les restes osseux qu’ils soient, ou non, de nature archéologique, les restes anatomiques, les organes, les embryons, les reliques, les œuvres d’art incorporant tout ou une partie du corps humain dans leur confection… Ces restes humains sont présents dans tous les types de collections (collection médicale, collection d’histoire naturelle, collection archéologique…) et la plupart des musées en France et dans le monde en conservent. Le statut juridique de tels objets constitués en « œuvres » en raison de leur inscription sur un registre d’inventaire et leur conservation dans une institution patrimoniale est complexe. De plus, la présentation de fragments, plus ou moins reconnaissables, de corps humains n’est pas neutre et peut provoquer des controverses et des réactions plus ou moins violentes. D’un point de vue juridique, ces restes humains ne bénéficient pas d’un statut particulier : comme l’ensemble des collections des musées de France ils sont inaliénables et imprescriptibles. Néanmoins, cette spécificité, réaffirmée par la loi sur les musées de 2002 rentre en contradiction avec la loi de bioéthique de 1986 qui stipule que le corps humain ne peut pas faire l’objet d’un quelconque trafic monétaire pas plus que de revendication de nature patrimoniale. Ainsi le statut de ces pièces muséales reste mal défini ce qui les place dans une sorte de vide juridique : à chaque nouvelle polémique devra répondre un nouveau texte législatif. D’un point de vue moral et éthique, la question est encore plus épineuse car, là aussi, il s’agit d’un traitement au cas par cas qui suscite parfois des réactions exacerbées de la part du public autant que de la communauté scientifique. Personne ne remet en cause le bien-fondé de l’exposition des crânes préhistoriques dans les musées archéologiques pas plus que celui des squelettes dans les musées scientifiques. Néanmoins, se pose déjà la question de savoir dans quelle mesure il est légitime de présenter ces restes humains sachant que les musées ne disposent pas toujours, et même jamais dans le premier cas, d’une autorisation expresse de la personne intéressée. C’est une des questions soulevées par l’exposition Our Body, à corps ouvert, présentée à l’espace Madeleine. Cette exposition mettait en scène des cadavres dans des postures totalement décalées, jugées obscènes par certains

observateurs, par exemple en train de jouer aux échecs ou de faire du vélo. Elle a été présentée dans de nombreux pays avant d’arriver à Paris, où elle a suscité de violentes réactions au cœur desquelles surgit la question : peut-on exposer ainsi des corps humains conservés par plastination sans connaître leur origine exacte ? Rien, en effet, ne permettait d’établir de manière claire la provenance de ces corps, bien que l’organisateur affirmait qu’il s’agissait de personnes ayant fait le choix de léguer leur corps à la science. Les réticences étaient d’autant plus forte que ces corps provenaient de Chine et qu’il semblerait que ce soient ceux de condamnés à mort. Une plainte fut donc déposée par deux associations de défense des droits de l’homme. Le tribunal de grande instance de Paris dans son arrêté du 21 avril 2009 leur a donné raison en estimant que cette exposition représentait une « atteinte illicite au corps humain », que les « découpages », « les colorations arbitraires » et « les mises en scène manquaient de décence ». De plus, le jugement stipule que « l'objectif commercial » de la manifestation était une atteinte manifeste au respect du corps humain et rappelle que « l'espace assigné par la loi au cadavre est celui du cimetière ». L’exposition a donc été interdite au nom du respect de la loi de bioéthique et plus largement du respect du corps humain. Néanmoins il convient de s’interroger sur les aboutissants politiques de cette affaire : si les corps n’avaient pas été ceux de Chinois, probablement exécutés, l’exposition aurait-elle été interdite ? Si les corps, en effet, avaient été ceux d’hommes et de femmes ayant délibérément exprimé ce choix de leur vivant, il n’y aurait plus eu de motif pour interdire l’exposition. Ce qui pose problème dans ce cas particulier, c’est l’origine de ces corps découpés et utilisés et ce d’autant plus qu’ils proviennent d’un pays reconnu pour bafouer les droits de l’homme. Il ne faut pas omettre non plus que cette exposition a eu lieu après les contestés Jeux Olympiques de Pékin et les mouvements de répression envers les minorités ethniques mais plus largement l’ensemble de la population. Dans ce climat tendu, cette décision n’avait donc rien d’anodin et peut être interprétée comme un signe fort adressé à la Chine et à son gouvernement. Ainsi, c’est moins le propos même de l’exposition, montrer des corps mis à nu au sens littéral du terme, et ce d’après les organisateurs dans un but pédagogique, d’autres y voyant juste un moyen de satisfaire une pulsion morbide de voyeurisme, qui a conduit à son interdiction que des motifs politiques. Un autre problème soulevé par la question des restes humains et de leur restitution tient à la revendication identitaire des populations pendant longtemps jugées inférieures. C’est le cas par exemple des Indiens d’Amérique pour qui a été constitué le NAGPRA (Native American


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Graves Protection and Repatriation Act) qui concerne l’ensemble des biens culturels des civilisations amérindiennes, y compris les restes humains. Aujourd’hui les communautés ont donc un droit de regard sur ce qui est exposé et ont déjà fait valoir à de nombreuses reprises leurs droits en ce qui concerne la restitution des os de leurs ancêtres. C’est au nom de cette loi que les Apaches demandent aujourd’hui, de manière médiatique, la restitution du crâne de Geronimo. Les institutions françaises sont également sollicitées par différents groupes de population qui réclament la restitution des ossements de leurs ressortissants. Ainsi, alors que dans un premier temps, les Maoris s’étaient satisfaits d’une voie médiane consistant dans la nonexposition des têtes tatouées conservées dans les réserves, ils ont entrepris de récupérer l’ensemble des têtes tatouées qui se trouvent éparpillées dans l’ensemble des collections occidentales. Le conservateur du musée de Rouen s’est montré favorable à cette requête et la polémique qui s’est ensuivie a ravivé le débat sur les restes humains. Deux conceptions se sont en effet opposées à cette occasion. La ministre de la culture Christine Albanel a refusé la demande de déclassement au nom de l’inaliénabilité des collections tandis que le conseil municipal et la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Valérie Pécresse ont pris position en sa faveur. Cette divergence de point de vue au sein du gouvernement a provoqué un débat d’idées, au cœur duquel se situe la question de la morale, de l’éthique et de la dignité humaine. Les arguments renvoient à la loi sur les musées d’un côté et à la loi de bioéthique de l’autre. Le débat conduit les sénateurs à proposer une loi, rapportée devant la commission le 23 juin 2009 par Philippe Richert, visant à autoriser la restitution non seulement de la tête rouennaise, mais également de toutes les têtes maories conservées dans l’hexagone. Il est intéressant de remarquer plusieurs choses en ce qui concerne cette tête. La première tient à la nature même de l’objet : les Maoris revendiquent cet objet au nom du droit sacré de leurs ancêtres puisque traditionnellement ce sont les plus grands chefs qui étaient tatoués. Or, il est avéré depuis longtemps que les Maoris, conscients de l’engouement européen pour ces têtes, ont fabriqué des faux à partir de n’importe quel

individu qu’ils ont largement diffusés. Le discours affirmant que la restitution de ces têtes doit se faire au nom de peuples opprimés qui ont subi les affres du colonialisme est donc inapproprié. Car, et c’est bien là le véritable fond du problème, cette restitution se fait au nom de la morale et ressemble fort à un acte de repentance visant à expier les péchés du colonialisme. Cette approche vient donc brouiller un peu plus la difficile question de l’exposition des restes humains. Il est en effet frappant de constater que la question de la restitution des restes humains concerne essentiellement, si ce n’est majoritairement, les artefacts issus des anciens pays colonisés et longtemps considérés comme inférieurs sur l’échelle humaine. Personne, en effet, ne songe à réclamer le crâne de l’homme de Tautavel pour lui offrir une sépulture, Otzi repose toujours dans un laboratoire afin de préserver son intégrité physique, la seule polémique ayant porté sur le pays, Suisse ou Italie, qui en est le propriétaire et l’Eglise ne réclame pas la restitution des divers reliquats humains conservés dans les reliquaires. Le cas de Saartjie Baartman, « la Vénus hottentote » est en cela exemplaire. Son squelette fut exposé au Museum d’histoire naturelle du Jardin des Plantes puis dans les salles du Musée de l’Homme jusqu’en 1974, date à laquelle il fut remisé dans les réserves de cette institution tandis que le moulage de son corps restera encore deux ans en place. Les conditions dans lesquelles Saartjie Baartman a vécu, réduite à l’état de bête de foire et devenue une curiosité anatomique en raison de sa stéatopygie, expliquent en grande partie pourquoi sa dépouille ne pouvait plus être exposée. Cela rappelait de manière trop directe la théorie raciale qui avait justifié le colonialisme au nom d’une prétendue supériorité de l’homme blanc. Cette histoire permet également de comprendre la démarche des responsables de sa communauté d’origine, les Khoisan d’Afrique du Sud, qui, au lendemain de la fin de l’apartheid en 1994, ont demandé la restitution et le rapatriement du squelette. Des négociations débutèrent alors entre la France et l’Afrique du Sud qui n’aboutirent pas, car le gouvernement s’est retranché derrière l’inaliénabilité des collections publiques et l’intérêt scientifique que présente le squelette. En 2001, Nicolas About, sénateur français, reprend cet épineux dossier à son compte et dépose à l’Assemblée Nationale une proposition de loi qui


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vise au déclassement de « la Vénus hottentote ». La presse fait alors largement écho à cette démarche en renvoyant une nouvelle fois la France à sa mauvaise conscience colonialiste. La loi n°2002-323 du 6 mars 2002 décide la restitution de la dépouille mortelle de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud. Son inhumation prend valeur de manifeste : non seulement elle se fait selon un rituel œcuménique mêlant pratiques traditionnelles et chrétiennes, mais elle est précédée par un hommage national. Cette histoire a connu un épilogue médiatique et surtout politique : les personnels du Musée de l’Homme affirmaient depuis longtemps que la dépouille ne présentait aucun intérêt scientifique, ainsi que l’a affirmé à plusieurs reprises le professeur Langanay. Les nombreuses réactions qui ont accompagné cette restitution prouvent bien que le débat ne se plaçait pas sur terrain scientifique mais bien sûr celui

des sentiments. Les termes employés dans la proposition de loi sont assez éloquents à ce sujet : il est question d’une « malheureuse femme » à la « destinée funeste », termes compassionnels qui peuvent surprendre dans un texte de nature législative. Il semble donc qu’il soit difficile de trouver des solutions satisfaisantes quant à l’exposition des restes humains, à leur préservation et à leur éventuelle restitution. Il n’y a actuellement aucune législation générale sur ces questions, le cas par cas étant de mise. Il n’en reste pas moins que le véritable débat, moral aussi bien que scientifique, sur cette question n’a jamais eu lieu puisque l’aspect politique a toujours primé sur toute autre forme de réflexion. Marie-Anne Léourier

itinéraire de visite La galerie des horreurs

A

près le parcours Da Vinci Code mis à disposition par le Musée du Louvre, nous avons pensé qu’il serait temps pour les élèves du Louvre, ayant une connaissance parfaite de tous les coins et recoins du musée, de proposer notre propre sélection d’œuvres. Nous souhaitons que tout visiteur éclairé puisse bénéficier de nos choix avisés, audacieux et originaux pour découvrir avec un œil neuf les trésors que nous réservent nos belles collections. Pour que la Joconde, la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace ne soient pas les seules à attirer toutes les convoitises, nous allons vous commenter quelques unes des œuvres que nous trouvons les plus fantasques, ahurissantes, insolites… voire tout simplement moches et ridicules… pour enfin donner la parole à ces infortunées et apaiser de vieilles jalousies ! Rendez-vous sous la pyramide, munissez-vous d’un plan si besoin, et suivez consciencieusement notre itinéraire : Bienvenue dans notre Galerie des HORREURS !!!

un visage que la Hammer n’aurait pas désavoué. Preuve que cet homme aura influencé le monde du showbiz, on peut clairement voir dans son nez un ancêtre retroussé à l’extrême de l’appendice qu’arborait Michael Jackson, ses yeux cernés de khôl étant eux une préfiguration évidente de l’esthétique glam rock (mouvement dont le bon goût reste encore à prouver). Si cette pièce est un jalon essentiel de l’histoire de l’Humanité, on est quand même grandement soulagé que depuis 10 000 ans l’Homme soit passé à autre chose.

Pour commencer la visite, je vous invite à vous rendre aile Sully au rez-de-chaussée et à pénétrer dans le dédale du département de l’Orient ancien. Il s’y cache une merveille, digne des plus grands cadeaux en pâte à modeler offerts à la fête des mères, un genre de sculpture si terrible qu’on n’en voit plus depuis des siècles… L’homme d’Aïn Ghazal, venu tout droit du désert jordanien est un remarquable exemple de sculpture anthropomorphe néolithique. Si nous sommes bien sûr bouleversés par le grand âge de cette pièce, témoin émouvant des premiers essais de l’homme de se représenter grandeur nature il faut bien reconnaître que ces débuts furent quelques peu laborieux. Qu’avons-nous là ? Un manchot inquiétant souffrant d’hypertrophie pachydermique au niveau des pieds, un corps modelé à la truelle, déformé et écrasé, une peau usée par des millénaires d’enfouissement dans le sable et qui mériterait bien un coup de crème hydratante et

Faisons maintenant un bond dans le temps et passons à l’art du Moyen-Age, en partant à la découverte du département des objets d’art. Retournez sous la pyramide


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puis empruntez les deux escalators de l’aile Richelieu, passez devant la statue équestre de Charlemagne et vous tomberez nez à nez avec un drôle d’oiseau… assurément la star du département : l'Aigle de Suger ! Qu'entend-on par Génie français ? Ne vous inquiétez pas, il ne s'agit pas d'un concept compliqué. C'est une façon (sobre bien sûr) d'exprimer notre supériorité et d'affirmer que l'humanité nous doit beaucoup. Vous doutez de l'à-propos de cette expression ? Approchons-nous un peu de l’œuvre pour que nous puissions vous montrer la véracité de la formule. Sur le magnifique vase de Sardoine, une inscription : « cette pierre méritait d'être sertie dans l'or et les pierres précieuses. Elle était de marbre, mais ainsi, elle est plus précieuse que le marbre ». Et oui. Ce petit vase doit tout à un français plein de génie qui au XIIe siècle s'est dit : « il est pas mal ce vase mais ça serait vachement mieux avec un aigle autour ». Un vase en forme d'aigle, c'est conceptuel. La démonstration est probante. La France a réussi à imposer sa marque grâce à sa vision toute personnelle de l'aigle. Parce qu'honnêtement, qu'estce qu'un aigle sinon un oiseau avec un cou démesurément long, des mini-ailes et des grosses pattes ? Où comment l'homme français du XIIe siècle qui n'a jamais vu une girafe de sa vie l'envisage déjà (la classe). Ce vase, chanceux vase, au lieu d'être une production sobre de l’antiquité égyptienne est devenu grâce à nous un témoignage d'une époque, un objet précieux digne d'être la star d'un département. Et voilà comment la France contribua au développement de l'art oriental. Le Génie français.

Un peu plus loin dans le département d’objets d’art, une fois passées les céramiques de Palissy (n’hésitez surtout pas à vous arrêter un instant pour admirer ces petits bijoux, crées par un artiste français, eh oui toujours français ! qui moulait des phoques vivants à ses heures perdues), entrez dans la salle des Chasses de Maximilien, qui mériteraient d’ailleurs à elles-mêmes un chapitre entier dans ce parcours. Passez les premières vitrines et vous tomberez sur un bassin trilobé qui ne manquera d’attirer votre attention ! Il s’agit bien, comme vous l’avez reconnu, d’une pièce maîtresse du service commandé par Al-

phonse II d’Este, duc de Ferrare, pour son mariage avec Marguerite de Gonzague en 1579. Ô majolique, toi qui a ravi l’œil de tous les mécènes italiens, toi qui a attiré la convoitise des riches familles françaises, toi qui fascine les visiteurs du Louvre (si nombreux qu’on se bouscule pour pouvoir en admirer quelques instants les détails)… et toi qui hante les nuits de tous les edliens passés par la deuxième année !! Ce ravissant objet au fin décor peint sur un émail blanc, se distingue par la pureté de ses lignes courbes, la symétrie ternaire rigoureuse des ornements, la richesse des coloris et l’harmonie des formes. Les grotesques, motifs influencés par les compositions de Raphaël, envahissent l’espace, développant avec fantaisie des monstres de toutes natures et des rinceaux variés. De sensuels nus de fleuves en faux camées et une allégorie de la Piété synthétisent quant à eux avec finesse les éléments païens antiques et chrétiens. C’est à ce moment-là que l’on apprécie à sa juste valeur le dépouillement des céladons des Song du Nord et que l’on rend grâce au goût pour le dan de ces chers lettrés chinois !! Si vous poursuivez votre parcours et que vous vous perdez dans les salles consacrées au XIXe siècle, la Table de toilette de la duchesse de Berry par Nicolas-Henri Jacob ne vous laissera certainement pas indifférent ! Que la première personne qui n’a jamais voulu prendre un marteau et briser cette « merveille » du département me jette alors la première pierre. Cela dit, ne me lancez pas de pierre car je serais capable de m’en servir en retour contre cette sublissime table de toilette. Je vous cite la notice du site Internet du musée : « Cette table de toilette provient sans doute du magasin A l’escalier de cristal au Palais royal et dut appartenir à la duchesse de Berry, belle-fille du roi Charles X. D’une grande innovation technique et esthétique, elle est entièrement composée d’éléments en cristal montés en bronze doré. Un miroir ovale à double face surplombe la table. Il bascule entre deux candélabres à trois branches qu’enlacent les figures de Flore et Zéphyr »… Bla bla bla bla bla bla. Je ne connais pas un troisième année qui n’ait jamais eu une envie compulsive de se précipiter dessus avec une massue… ou de fuir la salle le plus rapidement possible. J’entends encore les chargés de TDO : « Non, ce n’est pas que du cristal ! C’est du verre églomisé ». Ce terme « églomisé » me reste en travers de la gorge comme une sorte de grosse guimauve impossible à avaler et qui vous étouffe plus vous la mâchez. De plus, si vous avez le malheur de vous rendre dans cette salle un jour de beau temps et que les rayons de soleil se réfléchissent dans le verre églomisé de cette table de toilette, prenez vos Way Farer ou toutes autres paires de lunettes, vous permettant ainsi de vous protéger des effets solaires, éblouissants et néfastes que dégage cette chose…. Changeons maintenant de domaine et attaquons nous à la peinture (eh oui, même en peinture on peut tomber sur de (mauvaises) surprises !). Restez pour cela au même étage, mais dans l’aile Denon cette fois-ci. Après


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avoir monté, avec un brin d’émotion, le fameux escalier de la Victoire de Samothrace et après avoir dépassé la majestueuse Madone de Cimabue, entrez, si le cœur vous en dit, dans la salle des sept maîtres. Y sont rassemblés pêlemêle les petits formats, les fonds d’or « réactionnaires » et quelques laissés pour compte de la peinture italienne. Ceux-là se voient exclus de la logique évolutive de la grande galerie, ne trouvant pas leur place entre les innovations florentines et vénitiennes. Par ici les siennois, les petites écoles du Nord et autre supposés retardataires. Les œuvres de Crivelli ne passent pas inaperçues. Ce vénitien d’origine, qui émigrât dans la région des Marches pour y faire carrière après un passage à Padoue et à Zara (c’était les soldes) est l’auteur d’une œuvre tourmentée, où le grotesque se dispute au raffinement outrancier. Dans Le Christ mort soutenu par deux anges, sur un panneau de bois, deux nains difformes soutiennent un corpus christi pour le conduire au tombeau. Ils ont beau être ailés et joufflus, leurs faciès grimaçants ne sont pas ceux de putti enjôleurs mais plutôt ceux des bourreaux de la flagellation. Ces sales gosses semblent railler le Christ et malmener son corps déjà déformé par la douleur. Car ce dernier a pris cher et fait peine à voir : Visage tuméfié, flanc droit marqué par une plaie béante d’où s’échappe une coulée rougeoyante et stigmates de la Passion qui prolongent cette vision d’horreur. On en vient à espérer que l’hélice qui lui sert d’auréole (à l’amoindrissement physique vient s’ajouter l’humiliant déguisement) se mette à tourner et l’emporte loin de ce monde de brutes. Face à cette souffrance acerbe, le dégoût est légitime. Mais si on accepte de ne pas détourner les yeux, on en viendrait presque à apprécier. Comme le Ferrarais Cosme Tura, Crivelli fait dans la véhémence, l’épilepsie et certainement pas dans la dentelle. Quand il s’attaque à Saint Sébastien, c’est pour en faire un cactus sanglant, le livrant en pâture à une quinzaine d’archers ou aux soins d’un acupuncteur démoniaque. Rien à voir avec le sort que pourrait lui réserver un Pérugin, à savoir la volée de deux cures dents dans le gras d’une épaule langoureuse (toute ressemblance avec une horreur de la grande galerie serait fortuite). Les peintures de Crivelli sont glauques, on l’accordera volontiers, mais après tout, la Bible n’est pas un roman de Marc Lévy. Alors halte aux niaiseries ! Si vous suivez en ressortant un groupe de japonais (ce qui ne manquera pas d’arriver), vous jetterez certainement un rapide coup d’œil à l’imposante Vierge de la Vic-

toire de Mantegna, au mystérieux Saint Jean-Baptiste de Vinci, peut-être même à l’original Eté d’Arcimboldo (si vous n’avez pas tourné à droite quelques mètres plus tôt pour vous précipitez vers la Joconde !). Mais vous serez malheureusement passés à côté d’une perle de gracieuseté et de joliveté, que seuls les edlliens sont en capacité d’apprécier à sa juste valeur ! Revenez donc sur vos pas, et arrêtez vous un instant devant le ravissant Noli me Tangere de Bronzino… oui, c’est bien celui-là !! Je suis sûre que votre souffle en est presque coupé : la posture du Christ, appuyé avec désinvolture à une bêche, n’est-elle pas tout à son avantage ? Quelle élégance dans les courbes sensuelles de son corps, quelle agréable fermeté dans ses muscles tendus, quelle préciosité dans la gestuelle de ses bras, délicatesse dans sa démarche et finesse des traits de son visage !! Appréciez également la douceur du vent qui effleure son corps et fait flotter légèrement l’étoffe dont il est drapé ! Un ravissement, vous ne pouvez me contredire ! Il va sans dire que la pose de Marie-Madeleine, déclamatoire et si spontanément naturelle, ajoute une subtile touche à l’ensemble. Son vêtement d’un bleu somptueux fait discrètement écho à l’arrière plan baigné d’une lumière azurée, tandis que ses gestes et regards évoquent la dévotion profonde qu’elle voue au Christ… Seules les croix sur le mont Golgotha font planer une ombre tragique dans cette scène d’une fraîcheur et d’une mesure exceptionnelles !

Enfin, pardonnez-moi je m’égare, je ne vous retiens pas plus longtemps je crois que vous en avez assez vu pour aujourd’hui ! En espérant que cette visite inhabituelle vous ait plu et que vous ayez dorénavant la curiosité de vous perdre dans les antres du musée du Louvre pour découvrir encore et toujours ses trésors inavoués. Margot Boutges, Jean-Baptiste Corne, Perrine Fuchs, Sophie Paulet, Anaïs Raynaud


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Handicap & Culture Etre daltonien à l’EDL: un témoignage poignant

C

a y est ! Test probatoire en poche te voilà arrivé en pleine séance de rentrée de première année. Premier contact avec ta toute nouvelle école, et le ton est donné, tu viens de t’embarquer pour trois ans d’un grand jeu ! Les premiers cours passent et tu comprends alors rapidement ta douleur. Quelle solitude quand le professeur perché du haut de son estrade annonce « Comme vous pouvez le voir grâce à ma flèche lumineuse, le subtil travail du repoussé bla bla bla… ». Euh oui mais là, comment dire, toi tu ne vois rien. Tu as beau rassembler toutes tes forces pour chercher ce satané point que tout le monde dit rouge, rien, pas l’once d’un bout de laser sur l’écran. C’est alors que tes amis se rendent compte combien il va être difficile de suivre tranquillement ces cours en amphi avec toi. Toutes les cinq minutes donc, tu leurs tapes sur l’épaule « et là il parle de quoi ? », « C’est quoi comme couleur ici ? »… Finalement tu finis par te faire une raison, ce point rouge restera le Graal de ta scolarité, le but ultime de tes expériences visuelles, mais après tout note-le comme ca et joue au perroquet puisque toutes les voies de recours semblent épuisées. Mais nous n’en sommes qu’au début de ton parcours du combattant, il te reste encore de grandes choses à essayer ! Pour ne pas pousser le vice trop loin, tu t’arranges quand même pour choisir une spé qui a vaguement à voir avec l’archéologie. Ainsi tu évites habilement tous les conflits chromatiques de la peinture ou les expériences tragiques des grès prétendument rouge de Mathurâ. Cependant, tu as encore à regretter ce choix toujours inexpliqué en prenant l’héraldique comme option. Forcement le blasonnement de première année devient un immense jeu de « qui perd gagne ». Gueule, Sable ou Sinople après tout c’est un peu la même chose quand même… Mais là n’est pas le pire. Vient le grand jour où Monsieur Pastoureau, grand ponte de l’héraldique vous fait une conférence lors d’un cours. Sur quel sujet ? « La couleur verte en héraldique », forcement petit rire jaune en entrant dans la salle… Seul problème, le vert tu ne le vois pas. Tu te résous à rester quand même parce que ce n’est pas n’importe qui ! Et

alors là on frôle l’expérience métaphysique, la théorique des concepts prend en une seconde tout son sens. Mais j’avoue c’est encore une expérience que je partage difficilement et non sans difficultés… On se rapproche un petit peu de cet état d’angoisse lors du cours sur la technique de la couleur en troisième année. Deux fois une heure trente de couleur c’est du lourd ! Là tout passe en revue, du rouge, du vert, des nuances, un festival pour tes petits yeux ! Au final tu en sors un peu plus convaincu que de toute façon c’est une cause désespérée que tu défends… Comment aussi ne pas vous parler des examens ! Le grand jour est arrivé, Maison de la Mutualité, 9h, roulement de tambour… Déjà toi, hop avec les « anormaux » dans le couloir. Rien que pour toi et cinq ou six autres camarades, traitement de choix ! Là sur quelques tables, des visionneuses toutes droit sorties des meilleurs films avec De Funès. Mais quel est cette chose étrange ? Grand moment quand après trois essais, ton surveillant insère enfin dans le bon sens cette satanée diapositive qui apparait dans une qualité exécrable à l’écran. Ô joie, Ô désespoir, faisons contre mauvaise fortune bon cœur, tu n’es pas seul dans ce cas là ! Paraitrait-il qu’il y a même déjà quelqu’un qui a fait l’école du Louvre en voyant en noir et blanc… Finalement la couleur ne sert à rien mais, chuuuut... Tim Le Berre

Perles-express « Quoi ? Vous ne savez pas écrire Shakkanaku Ishtup Illum ? Mais ça s’écrit comme ça se prononce voyons ! » Agnès Benoît - Archéologie du Proche Orient « Accouchement de la cuisse, non répété depuis à ma connaissance. » Georges Brunel - Iconographie « … et Adam dit « Non! c’est la femme ! »… je sens que je vais me prendre des trousses... Il est vrai que la gente féminine est majoritaire dans mon cours. » Gilles Chazal - Iconographie


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Handicap & Culture De l’accessibilité en milieu muséal

«

De toute façon il faut bien admettre à un moment donné qu’une personne aveugle ne peut pas découvrir certaines choses et puis voilà. »

Phrase entendue dans la bouche d’une personne professionnelle de la culture… ça fait peur ! Bien que ce ne soit pas évident pour tous, une personne handicapée, quel que soit son handicap, peut vouloir découvrir le monde vaste de l’art. Il suffit que les professionnels de la culture prennent en compte deux choses : la diversité des perceptions et les nécessités techniques d’accès. Or le rôle d’un Conservateur, pour ne citer que ce poste, est, entre autres fonctions, de « mettre en valeur et faire connaître le patrimoine » ; il semble pertinent d’ajouter : « de tous ». Ce qu’il est proposé de nommer les nécessités techniques concerne particulièrement les handicaps moteurs de la parole et de l’audition. En effet, face à l’art, une personne en situation de handicap moteur nécessite un équipement technique permettant son accès physique à l’art. Ce besoin est aujourd’hui dépassée par des systèmes d’ascenseurs ou de plates-formes mobiles dont les musées sont équipés. Mais il s’agit également de prendre en compte qu’une personne aidée d’une béquille aura besoin de temps de repos dans sa déambulation, ou bien qu’une personne en fauteuil roulant possède une ligne de regard basse, les cartels et œuvres doivent donc ne pas être accrochés trop haut. Concernant les handicaps de la parole et/ou de l’audition, la nécessité technique concerne le dialogue, l’échange. En effet, comme le note par exemple Michel Laclotte, la Langue des Signes Française (LSF), ainsi que tous les langages muets, est tristement pauvre en vocabulaire lié à l’analyse d’une œuvre. L’accessibilité, pour employer un mot à la mode sur le plan politique, de ces handicaps est liée au développement de ce langage, il manque un outil technique pour briser l’isolement. Si l’un d’entre vous a envie de faire évoluer le vocabulaire LSF, il y a un créneau à développer… Le second aspect évoqué est celui des perceptions, et je ne saurais trop insister sur le pluriel ici employé. Je refuse catégoriquement de croire qu’une personne vivant avec un handicap visuel ou un handicap mental, cognitif ou psychologique ne pourrait pas accéder à l’art (une fois de plus dans le champ matériel qui est évoqué ici). Dès l’instant qu’il est admis qu’il ait, non pas une perception, mais des perceptions, il est absurde de se demander si ces personnes peuvent accéder à l’art. Prenons en premier lieu le cas des handicaps mentaux. Il faut admettre une pluralité des perceptions du fait que le cheminement intérieur des personnes handicapées sur le plan mental ne se caractérise pas par les mêmes schémas qu’une autre personne. Il faut être à l’écoute de

tout un chacun. Une approche davantage marquée par le ressenti, ou l’aspect matériel de l’objet, peut parfois être privilégiée à une approche scientifique. Mais cette pluralité des approches mentales d’une œuvre n’est pas que à lier aux handicaps mentaux. Parleriez-vous de la même manière du sceau de Saushtatar à un chercheur spécialisé dans la gliptyque du Mitanni qu’à un ami qui ne met les pieds dans un musée que lorsque vous l’y trainez ? Les perceptions sont enfin en cause lorsqu’est impliqué un handicap visuel. Il est évident que la perception « traditionnelle », habituelle d’une œuvre est visuelle ; il s’agit de regarder. Imaginons un instant que le mot regarder soit remplacé dans notre langage courant par celui de percevoir. Je ne vois pas une personne, je la perçois ; il ne s’agit plus de voir un objet en bronze mais de percevoir ce même objet. S’il a été mis en évidence la pluralité des perceptions c’est justement pour rejeter l’amalgame voirpercevoir. Voir pour percevoir est possible, il n’empêche que toucher, sentir, entendre permet également de percevoir. Tous ces sens négligés au quotidien par nous, personnes « normales », bien que cette normalité soit à questionner, sont hypertrophiés chez la personne aveugle. Il ne me semble pas possible de faire une hiérarchie des perceptions, qui seule peut justifier la phrase citée en introduction ; phrase limitative quant à l’accès à l’art. Pour qu’une personne aveugle ou malvoyante ait accès à l’art il faut seulement revoir notre approche des œuvres, et surtout leur perception, pour ensuite en venir aux moyens techniques qu’il faut mettre en place pour que cette perception soit possible. Evoquons pour conclure quelques démarches entreprises dans le milieu culturel pour rendre visible des collections à tous. Le Centre Pompidou possède un programme de visites « participatives » dédiées à des personnes handicapées mentalement et des visites en LSF. Un autre programme, assez largement développé, a été mis en place pour répondre à un public déficient visuel. Des loges pour lecteurs aveugles et malvoyants existent au premier étage de la Bibliothèque publique d’information (BPI), et des visites orales sont mises en place en plus du programme « Toucher pour voir ». Enfin, grâce au mécénat de compétence d’Alain Mikli (créateur de lunettes), des « images tactiles » ont été créés. Il s’agit de panneaux comprenant un relief de l’œuvre, un élément donnant l’échelle grâce à un rapport (des mains sur un tableau ou un personnage devant le tableau) et un cartel. Ces supports matériels sont complétés par un audio-guide. Projet issu du service éducatif du Centre, il est en libre-accès au niveau 1 des collections. Au musée du Quai Branly, les personnes aveugles sont également accueillies par un système tactile installé tout au long de la « rivière », ce chemin qui parcourt le


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plateau des collections sur toute sa longueur. Inscriptions en braille, miniatures tactiles d’habitats, écrans adaptés aux malvoyants forment ce parcours. Un peu d’architecture avec la Sainte-Chapelle qui développe son propre projet en lien avec les architectes du patrimoine pour accueillir des personnes handicapées visuellement. Un guide spécialisé propose une visite à l’appui d’une maquette, d’échantillons de matériaux, d’un discours liant tout cela pour terminer par un atelier lié au vitrail. Enfin, évidemment, le Musée du Louvre comprend divers programmes. Des visites en LSF sont programmées. Une équipe dynamique développe actuellement plusieurs programmes dirigés vers les personnes handicapées sur la plan mental. Citons les « Rencontres du handicap mental, cognitif ou psychique » destinées aux professionnels impliqués dans des domaines liés à ces handicaps. Il s’agit de travailler ensemble, d’échanger des compétences et de créer de nouveaux programmes de visites. Enfin, la Galerie Tactile propose de découvrir une sélection de sculptures du musée par des reproductions en résine accompagnées d’un cartel en braille et d’un échantillon du matériau original. Qui plus est, la direction du Louvre aurait promis que le futur département des Arts de l’Islam serait un model d’accessibilité avec des éléments tactiles non plus mis à l’écart dans une salle spécifique mais directement insérés dans le parcours « normal ». Des réponses sont encore à apporter du côté de la peinture : Comment retranscrire une peinture tactilement ?

C’est sur ce dernier point que nous nous arrêterons avec l’évocation de solutions existantes. Des systèmes de tissage existent, retranscrivant les formes et les zones colorées à tendance chaude (laine) et les zones chromatiques plus froides (soie). Il se pose ici le problème de la couleur, élément parfaitement abstrait pour une personne aveugle de naissance. Encore, les plans reliefs qui reproduisent en résine les plans successifs d’un tableau, en faisant, finalement, un relief de la peinture originelle. Une diversité à noter parmi ces tableaux-reliefs : jouer sur les matériaux. Le Musée des Beaux-Arts de Lyon, en lien avec ses visites « Du bout des doigts », a diffusé un tableau-relief original après l’acquisition de La Fuite en Egypte de Nicolas Poussin. Ici, les humains sont en papier d’imprimante, les architectures en carton cranté, les rochers en papier kraft froissé, l’âne dans un tissu duveteux, … Il apparaît que de nombreuses solutions existent, ne serait-ce que sur la scène française. Par le dialogue et la communication, ce domaine ne peut qu’évoluer ; surtout si les professionnels de la culture de demain, n’oublient pas que les objets exposés doivent être mis en valeur pour tous. Corentin Dury

Perles de Profs Denis Bruna - Arts du Moyen-Âge

Thierry Zéphyr – Arts de l’Inde

« On n’a pas construit les chapelles échelonnées parce qu’on avait beaucoup de pierres et qu’on ne savait pas quoi en faire, mais parce qu’on en avait besoin. »

« Des couples tendrement enlacés, voir très tendrement enlacés... ou copulant frénétiquement »

« La Sainte-Chapelle avec ces immenses e-bay... baies! J'ai besoin de vacances... » « Des tours jumelles, photographiées avant le 11 septembre 2001. San Gimignano, Manhattan du Duecento » « Il ne travaille plus avec son père à ce moment, il faut dire que le père est mort. »

« Pour aller au Sri Lanka il suffit d'un tronc d'arbre... » « Tout ce qui est entré au Musée Guimet s'est fait par la voie légale... en tout cas dans le contexte du colonialisme. Rien à voir à ce qui se passe à certains endroits… notamment, avec la frise du Parthénon… au British Museum. » « Ce manuscrit copie le texte du Prajnapaba*************, dont vous êtes priés de retenir le nom... … … je plaisante. »


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à la loupe Anachronismes

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a mode, ces derniers temps, est à l’archéologie signifiante. On nous reconstitue, à très grands frais, les décors soi-disant authentiques d’époques lointaines, et on nous prie bien de croire que cela constitue l’un des éléments de vente déterminants, pardon, un des arguments de poids, devant nous inciter à regarder telle série télévisée. La précision maniaque du détail, la surdétermination du décor, prennent un aspect écrasant et disproportionné. Le message que les réalisateurs et scénaristes veulent porter est très clair : « Nous avons fait de gros efforts de crédibilité dans la situation. Nous voulons que vous puissiez regarder notre série tout en croyant que vous êtes, vous-mêmes, le regard contemporain de cette période de l’histoire. La Rome antique comme si vous y étiez. » Il y en a qui le croient. Il n’y a pourtant rien de plus faux, car un tel regard innocent, totalement familiarisé et donc fondu avec une époque, ne peut pas exister. Et dès lors, l’argument archéologique se met doucement à tanguer. Commençons par ces paroles que Jorge Luis Borges, dans sa série de conférences L’Art de la poésie, énonce à propos du concept de modernité : « Si vous ouvrez l’Ivanhoé de Walter Scott ou (pour prendre un exemple tout différent) la Salammbô de Flaubert, vous savez tout de suite à quelle date ces livres ont été écrits. Flaubert a beau parler de Salammbô comme d’un “roman carthaginois”, n’importe quel lecteur digne de ce nom s’avise, dès qu’il a terminé la première page, que le livre n’a pas été écrit à Carthage mais qu’il est l’œuvre d’un Français très intelligent du dix-neuvième siècle. » Rome est, il faut le reconnaître, une série efficace dans sa réalisation, et qui fait plus que se laisser regarder. En toile de fond, il ne manque pas un trépied en bronze, pas une mosaïque, les décorateurs n’ont pas lésiné sur les couleurs vives de l’époque (en particulier le rouge, rouge sang bien entendu). Qu’est-ce que Rome ? Une reconstitution très soignée d’une époque, une série de complots politiques, des petites histoires de famille, tout cela étant sensé faire très authentique. Pour ce qui est de la politique, on avait déjà Shakespeare, dont le spectre plane inévitablement sur la moindre ligne de dialogue comme sur le jeu des acteurs. Et qu’est-ce qu’un dialogue vrai, dans ses intonations d’époque ? Il suffit d’écouter les intonations, les manières de parler, d’espacer leurs mots, des acteurs français des années 30 ou 40 pour comprendre le fossé qui peut se creuser, dans l’oralité d’une langue, en moins d’un siècle. Maintenant, portez ce problème à la puissance de plusieurs millénaires… La fiction historique est par ailleurs incapable d’éviter le dialogue informatif (« qui est X ? qu’a fait autrefois Y ? souviens-toi que Z… »), alors que toute l’Histoire a été bâtie sur des secrets, des nondits, des silences, qui ont par la suite trouvé leur forme explicite dans des œuvres rétrospectives. Pour les petites histoires privées, c’est encore plus problématique. Placer sa caméra au ras du plancher des

trahisons, mesquineries, assassinats, dans une veine « réaliste », c’est fatalement glisser, très doucement, insidieusement, du côté du soap-opera qui, contrairement à ce que l’on croit, ne se cantonne pas aux villas de la côte ouest des Etats-Unis. Lisons, par exemple, la nouvelle de Donald Barthelme intitulée The Joker’s Greatest Triumph (dans The Teachings of Don B.) : de manière irrésistiblement drôle, une banale aventure du feuilleton-télé Batman des années 60 y est ralentie au niveau d’un feuilleton interminable, à coups de dialogues sans intérêt autre que d’étaler la durée, jusqu’à l’invraisemblable le plus hilarant. Dans Rome, le sandwichage des affaires privées entre les scènes politiques ne répond guère à un autre motif. C’est la bonne vieille méthode de l’identification qui joue à fond (pour les hommes comme pour les femmes), et qui n’est pas différente de ce que l’on trouverait dans une série se passant dans les années 2000. Ce que nous affichent les décors de Rome, c’est ce simple axiome : l’authentique, c’est le sale et la violence. Là où, dans les années 50 ou 60, Hollywood nous avait offert de majestueuses colonnes blanches et des personnages aux attitudes dignes, les studios nous offrent maintenant une vision sordide de l’histoire, une vision prétendument moderne, où l’on s’active à déployer de la crasse authentique, des vêtements laminés et des litres de sang à asperger sur des corps. La violence en particulier a pris place au premier plan. Ce n’est même pas une question de changements de mœurs, où ce qui était jugé littéralement obscène il y a cinquante ans serait désormais montrable, mais plus tristement le reflet d’une fascination morbide pour le combat, le meurtre, le viol, toutes les transgressions du corps humain, scatologie et sexualité. Le luxe tranquille de la Rome antique des années 50 peut à juste titre nous apparaître aujourd’hui comme suranné ; mais avec le déchaînement souvent gratuit de la violence, destinée à repaître le spectateur d’une soif supposée pour elle, on ne fait que substituer un maniérisme atroce à un autre maniérisme. (On se devrait, normalement, de passer sous un silence charitable cette mauvaise et longuette plaisanterie télévisée qui s’appelle The Tudors, dans laquelle l’insup-


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portable Jonathan Rhys Meyers prête ses traits délicats de mannequin métrosexuel et son jeu fadasse et outré au jeune Henri VIII, métamorphosé pour le coup en ancêtre putatif des rocks-stars capricieuses forniquant avec leurs fans après un concert et portant le dernier pourpoint brillant à la mode. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la dissolution rapide de ses territoires coloniaux, l’Angleterre ne peut plus se rêver comme empire, si ce n’est dans la recréation steampunk du victorianisme : elle n’a plus qu’à reporter son regard sur des mythes antérieurs, geste d’Excalibur ou théâtre élisabéthain. Qu’est-ce, en fin de compte, que le petit monde campagnard, désuet et légèrement niais des Hobbits de Tolkien, sinon la reformulation de l’Angleterre éternelle ? Aux Anglais, la nostalgie d’un Eden insulaire enfui ; aux Américains, l’angoisse de la décadence ou de la déchéance, dans le droit fil de ce Jugement Dernier qui obsède tant les chrétiens fondamentalistes de ce pays. Le nouveau kouglof apocalyptique et numérique de Roland Emmerich, 2012, ne dit pas autre chose.) Tout regard sur le passé est inévitablement anachronique. Tout regard synchronique est impossible, car disparu avec l’époque qui le portait. Dès lors qu’on parle du passé (et particulièrement en fiction), ce n’est pas du passé que l’on parle, mais de notre propre époque, et de la manière dont celle-ci s’imagine rejoindre ce temps du passé. «L’Amérique, entravée par la superstition de la démocratie, ne se décide pas à être un empire », écrivait encore Borges dans sa nouvelle L’Autre. Un empire dans les formes, cela va de soi. La vieille fascination de l’Amérique pour l’antiquité, qui a connu ces dernières années un revival rarement heureux, n’est que le reflet de la vieille angoisse de la chute, puisque, comme nous l’apprend l’Histoire (celle, froide et sans prétention, des faits), à la gloire succède toujours l’infamie. Dans le sort tragique de l’empire Romain, les Etats-Unis guettent la clé, le chiffre de leur propre disparition. Nul hasard au fait qu’un film aussi crépusculaire que La Chute de l’Empire Romain soit sorti à la fois au moment où l’Amérique doutait de sa puissance et où le genre même du péplum touchait à son épuisement. Rome, malgré son luxe de détails, ne nous apprend pas grand-chose de plus sur son homonyme historique ; en revanche, elle nous en dit beaucoup sur le fantasme omniprésent de la violence dans la société américaine, et sur sa vision shakespearo-télévisuelle des jeux de pouvoir. L’a-

nachronisme s’oppose aux puissances trop signifiantes de la représentation archéologique ; il vient souligner la séparation entre la vie rêvée et un art qui n’existe que dans un degré maîtrisé d’exagération, et donc de trahison de la vie réelle. Ces pièges de l’anachronisme valent aussi pour les visions du futur, qui prennent bien plus de risques à paraître très rapidement périmées. Mais là aussi, cette péremption nous en dit plus long sur les visions contemporaines du futur (confiantes, puis angoissées) que sur les extrapolations historiques à proprement parler. Il faut toutes les qualités d’un chef-d’œuvre absolu pour nous éviter de sourire, dans 2001 Odyssée de l’Espace, durant les scènes de la station orbitale, avec ses fauteuils Paulin, ses tables en plastique blanc et ses appareils photo astamatic. Dans Orange Mécanique, le sentiment est différent : esthétiquement, le film dans certaines de ses parties touche à une telle monstruosité kitschissime, que l’on en vient à déconnecter totalement le film de tout contexte historique précis : on se laisse simplement, dans cette représentation de toutes les formes de violence (physique, sexuelle, policière, étatique, médicale, sociétale…), prendre à l’idée d’une uchronie indéterminée qui n’importe plus beaucoup en elle-même. Un dernier exemple frappant. Dans sa trilogie Star Wars des années 2000, George Lucas, fort des progrès de la technologie et de moyens financiers conséquents, n’a pas lésiné sur les vaisseaux immenses et brillants, les costumes élaborés, la diversification ad nauseam des créatures, etc. Le plan de fin où Dark Vador contemple l’espace sur la passerelle d’un des vaisseaux du tout nouvel Empire, plan confiné dans des teintes de noir et de gris terriblement rétros, se veut comme un raccord avec la trilogie des années 70-80 ; au lieu de cela, ce plan souligne l’énorme hiatus esthétique qui sépare les deux trilogies, deux visions bien distinctes du futur qui, paradoxe, sont pourtants censées se suivre dans un même univers cohérent, l’une sobre, humaine et mythique, l’autre prolixe, bruyante, et globalement inutile. Comme le disait Richard Fariña en version française : « l’avenir n’est plus ce qu’il était ».

Perles— Spécial Michel Colardelle Fraichement remercié du Mucem auquel il avait consacré toute son énergie, il laisse s’exprimer son amertume en cours de Muséologie… « Je vous ai fait une bibliographie. Jetez là. » « Je vais être viré, pas grave j'ai l'habitude. » « Un cours magistral, il n'y a de magistral que la taille de l'estrade . » « Le Moyen Age ça n'intéresse personne, la preuve on en fait pas à l'école. »

Pedro Babel


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ils viennent aussi de là Quand le Mistral souffle sur la Sainte-Victoire... Bonjorn braves gents !* Mon pays est connu par beaucoup d'entre vous. Soleil, plage, cigales, palmiers, olives et lavande. Je suis née et j'ai grandi en Provence, une région qui fait rêver plus d'un parisien. Pour moi, ces choses font partie de mon quotidien. Et comme tout bon provençal exilé à Paris, je ne cesse de me plaindre du mauvais temps (cela dit en passant, il a neigé à Marseille l'hiver dernier). Et oui, je l'aime ma région ! J'aimerais vous la faire découvrir à ma manière.

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a Provence qu'est-ce que ça vous évoque ? Le soleil ? Le bonheur des sens ? Les vacances ? La douceur de vivre ? Il y a un peu de tout ça, et plus encore. Il y a un patrimoine, un tourisme ultradéveloppé, un multiculturalisme ouvert sur la Méditerranée, un arrièrepays boisé et vallonné, des traditions qui comme dans toutes les régions se perdent, une culture populaire commune derrière laquelle on se sent unis (je pense à Pagnol, Raimu, Daudet, Mistral et tant d'autres). Suivez les instructions. Petit à petit, elles vous mèneront au cœur de cette région. Fermez les yeux et écoutez. Vous entendez un bourdonnement continu assourdissant dont le bruit vous rappelle vos vacances. Les cigales vous disent « bonjour ! ». Approchez-vous du bruit. Il vous mène vers Cogolin, un village perché en haut d'une colline. Sur les murs orangés des maisons, de petites niches creusées contiennent des statues de la Vierge ou du Christ. En haut de la rue principale, la cloche de l'église romane couvre le bruit des cigales. Sur la place devant l'église, bordée de restaurants et de cafés, vous entendez le son d'une musique entraînante. L'air du galoubet (flûte à trois trous) et du tambourin vous enchante. Votre pied bat la bourrée, vous êtes entraîné(e) par la foule des danseurs. Vous ouvrez un œil. A côté de vous, une danseuse arbore une longue jupe jaune à fleurs et olives bleues, tandis qu'un jeune homme en pantalon rouge et chemise blanche lui tient la main. On dirait des santons*! Cela vous rappelle le musée du costume et du bijou de Grasse, la ville du parfum. Vous y re-

tourneriez bien. Guidé(e) par une odeur alléchante, vous quittez la place et vous dirigez vers un restaurant. Le serveur vous propose ses spécialités provençales : bouillabaisse, aïoli, anchoïade, tomates garnies à la macédoine, assiette de moules ou autres fruits de mer, olives farcies, œufs durs garnis à la tapenade, salade niçoise, soufflé de courgettes et poivrons rouges, le tout saupoudré de basilic, thym, romarin et autres herbes de Provence ou de citronnelle..mmm ! Mais il est temps de partir. Votre train imaginaire vous attend pour vous mener vers la « civilisation ». Il se dirige vers Marseille, partant de Gap, passant par Digne, Draguignan, Nîmes (ville d'Alphonse Daudet), faisant un détour par les Alpes, à la frontière de l'Italie, allant jusqu'à Nice (ville de Mado), traversant la côte d'Azur de Cannes (Croisette et paillettes pour la montée des marches !) à Toulon (berceau de la marine nationale, sœur de Brest) sans oublier Saint-Tropez (qui pleure son gendarme) et La Ciotat (ville des frères Lumière). Derrière votre vitre, vous admirez le paysage. Quelle lumière ! Quelles couleurs ! D'autres ont déjà eu ces pensées avant vous. Ils s'appellent Cézanne, Van Gogh, Gauguin, Signac, Matisse, Seyssaud, Braque, Derain, Dufy, Monicelli… Au croisement des XIXe et XXe siècles, la Provence est le creuset d'innovations picturales. Les naturalistes côtoient les impressionnistes, les fauves, les cubistes. Comme l'a dit Van Gogh, « sous le ciel bleu, les taches orangées, jaunes, rouges des fleurs prennent un éclat étonnant, et dans l'air limpide il y a je ne sais quoi de plus heureux et de plus amoureux que dans le nord ». Dernière escale à Aix-enProvence (ville de Cézanne) avant d'arriver à bon port. Vous y êtes, dans la deuxième ville de France. A peine sorti(e) de la gare Saint-Charles, ayant survécu aux escaliers interminables (et encore, vous ne les avez que


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descendus !), vos sens se perdent au milieu de la cohue. Affolé(e), vous montez dans le premier tramway. Sur votre route, vous apercevez le port, l'opéra, le théâtre de l'Odéon, l'école des Beaux-Arts, la Cité des Arts de la Rue, le quartier de la Belle de Mai* etc… Un véritable choc des cultures. Des immeubles délabrés cohabitent avec des bâtiments modernes couverts de tags et d'autres appartenant au patrimoine historique. Tout est bouillant, plein de vie. Les rues sont bruyantes et animées. Les voitures s'entrechoquent, les piétons se faufilent. Notre-Dame de La Garde regarde fièrement la fourmilière du haut de sa colline. Elle grelotte sous le souffle du mistral. Mais vous aussi vous grelottez. Pour vous réchauffer, vous entrez dans un cinéma. Pur hasard ou providence, ils diffusent un classique de Marcel Pagnol avec Fernandel et Raimu (« La fille du puisatier »). Quelle mélodie des mots ! Et avé l'assent je vous prie ! Un musée à Cogolin retrace sa vie et son œuvre. Vous sautez à nouveau dans le train et continuez votre route jusqu'à Orange (et son arène), en passant d'abord par le Verdon (et ses gorges grandioses où l'on peut faire du canoë), Montpellier (et son musée Fabre), Arles (son théâtre romain), la Camargue (ses marais salants et ses flamands roses) et Avignon. Avignon ? Le Palais des Papes, l'époque florissante du gothique international (1380-1420) porté par Simone Martini, le festival de théâtre en juillet où les rues débordent de comédiens vociférant. Face à la grandeur du palais pontifical, vous vous souvenez des abbayes cisterciennes que vous avez rencontrées sur votre route (le Thoronet, Silvacane). Rien à voir ! Mais il est temps de rentrer chez vous. Votre petite chambre grise de Paris vous attend. Ne soyez pas trop triste, et allez regarder un bon Pagnol, histoire de replonger dans l'ambiance ! Pour finir, délectez-vous de ce poème de jeunesse de Pagnol qui montre bien toute la nostalgie qu'un provençal exilé à Paris peut ressentir...

*Bonjorn barves gents : Bonjour braves gens ! En provençal *santons : santoun=petit saint en provençal. On place les santons dans la crèche de Noël. Ces petits bonshommes faits à la main (ou presque) sont très prisés par les provençaux (et les touristes). *Belle de Mai : ancien quartier ouvrier, creuset des manifestations populaires aux XIXe et XXe, le quartier est maintenant en pleine mutation culturelle, comme en témoigne l'ancienne manufacture de tabac abritant depuis peu les centres de Conservation (CPM), Restauration (CICRP), les Archives, l'INA Méditerranée, des studios de cinéma, des entreprises liées au multimédia, des salles d'expositions et de concerts. *pour les intéressés, un téléfilm réalisé en 2004 par Philippe Carrese, dont le titre est Malaterra raconte l'histoire d'une famille provençale pendant la Première Guerre mondiale. Les dialogues sont quasiment tous en dialecte provençal. *si vous aimez l'accent marseillais et le provençal, écoutez le groupe Massilia Sound System. Ils déchirent !

Claire Ballini

LA CIGALE Le soleil fendille la terre, Aucun bruit ne trouble les champs ; On n'entend plus les joyeux chants Des oiseaux qui chantaient naguère. Tous par la chaleur assoupis Sous les buissons se sont tapis. Seule une cigale est sur l'aire. Son ventre sonore se meut ; Sur une gerbe elle est posée ; Seule elle n'est point épuisée Par l'astre à l'haleine de feu. Et la chanteuse infatigable Jette dans l'air brûlant et bleu Sa ritournelle interminable.


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pratique Bons plans !

A

toi le petit provincial venu de ta Bretagne brumeuse, de ton sud nostalgique des journées ensoleillées, de ta Savoie enneigée, de ta Picardie pleine de pluie et de tes Landes sableuses ! A toi l’étudiant perdu dans les vastes arrondissements parisiens, les couloirs suant de la ligne 4 et le labyrinthe de Châtelet ! A toi le petit geek aux lunettes rondes cerclées de rouge et au pantalon de velours qui ne sort plus sa tête de son manuel de Proche-Orient ! A toi l’étudiant Erasmus suédois, anglais, allemand ou chinois qui ne comprend pas les subtilités de l’administration boursière du CROUS, les horaires du RER B changeant toutes les dix minutes ou les tracas des abonnements Vélib’ ! Si tu te reconnais (ou pas) dans ces appels, cette nouvelle rubrique est faite pour TOI. Tu trouveras ici quelques astuces et bons plans de la vie parisienne et les nouvelles tendances de la capitale à petits prix (et pas toujours car il en faut pour toutes les bourses également). Tu pourras faire ton shopping ici, chez nous, entre culture, ciné, resto, bars et mode. Viens, franchis les portes de notre rubrique, et découvre notre collection de petits lieux discrets et branchouilles.

Bars & restaurants Le Loir dans la théière, 3 rue des Rosiers (Saint Paul), 4e Si tu aimes Lewis Carroll et son Alice au Pays des Merveilles, si tu rêves de voir des théières géantes en argent remplies de thé et des tartes aux poires meringuées de la hauteur d’une chaussure de Louboutin, et si tu souhaites retrouver l’atmosphère d’un vide-grenier sans poussière, courre dans le Marais, et viens t’assoir dans un canapé en cuir craquelé, un vieux siège de cinéma en bois ou un confortable fauteuil Directoire en velours rouge usé par le poids du temps et des fesses posées dessus. Rendez-vous préféré des jeunes mères bobo du Marais avec leurs enfants, des jeunes trentenaires et des artistes du quartier (il se pourrait que Zazie y vienne assez souvent, mais je ne vous ai rien dit), le « Loir dans la théière » vous offre un petit moment de détente et de rêverie avec toutes ses variétés de thés et ses gâteaux improbables, dans ce quartier du Marais. Je vous conseille d’y aller en milieu d’après-midi et en semaine car le week-end l’endroit est infréquentable dû sans doute à son succès. Les Pipalottes gourmandes, 49 rue Rochechouart (Anvers), 9e Dans une atmosphère de vieille épicerie parisienne, ce petit restaurant vous plongera dans le Paris populaire des années 1920 – 1930. Installés autour d’une table en fer forgé jaune et rouillée, vous passerez votre temps à contempler les étagères, faisant le tour de la toute petite salle intimiste du restaurant épicerie, surchargées de bouteilles de vin, de boîtes de conserves de canard confit faites maison, de savons à l’ancienne, de boîtes Banania et de pots de confiture de toutes les sortes. Sans que vous vous

en rendriez compte, vous serez en train de baver devant la vitrine de l’épicerie, les yeux pleins de larmes et embués devant les plats et pâtisseries que vous pouvez déguster sur place ou emporter chez vous. Les prix, assez abordables, vous feront craquer pour le Super Mémé, petite pâtisserie maison, dont je me tairai de vous dire ce qu’il y a dedans afin d’attiser votre curiosité… Le Castelblangeois, 168 rue Faubourg Saint-Honoré (Palais Royal – Musée du Louvre), 1er Avis aux nouveaux edliens en quête d’un déjeuner économique et de qualité. On sait tous que les bourses des étudiants ne sont pas forcément les plus pleines, et qu’elles peuvent souvent sonner vide en les secouant. Voici donc un bon plan pas cher près de l’école où vous trouverez des sandwichs de toutes sortes (je vous conseille le Nordique), des salades, des petits plats faits maison, des pizza ou des croque-monsieur… Le tout est fait maison avec des ingrédients frais. Pour vous donner une idée, un sandwich ne vous coûtera pas plus de 3 euros. Une mention spéciale est donnée à leurs petits pains à 80 centimes au curry, pesto, saumon au jambon. Bonne dégustation. Le Galway, 13 quai des Grands Augustins (Saint Michel), 6e Bienvenue dans l’antre de l’Ecole du Louvre. Ceux qui le connaissent savent déjà que c’est un pub assez atypique. C’est un des lieux favoris des Irlandais de Paris. Situé sur les quais de Seine en face de l’Ile de la Cité, au cœur de Saint Michel, entrez dans ce lieu où se réunissent le Déb’Art ou encore le Ciné-Club. Dans une atmosphère originale, typique d’un pub parisien bien vieillot, dont le papier peint me rappelle celui des chambres des saloons dans les


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western, prenez une petite bière, et surtout écoutez le samedi soir des jeunes groupes reprenant les grands standards du rock, du jazz et de la soul de Otis Redding, Miles Davis, Martha Reeves ou encore Joe Cocker.

Librairie, cinéma et théâtre Librairie Shakespeare and Company, 37 rue de la Bûcherie (Saint Michel), 5e Un beau dimanche de décembre, où le froid venait faire tomber mes doigts engourdis, voilà que je me retrouve après une ballade au marché aux fleurs de Notre-Dame, nez-à-nez avec un bâtiment étrange. Une sorte de vieille masure pleine de lézardes. Les livres ont envahis les vitrines et s’étalent sur des tables devant la devanture. J’entre et je trouve une foule de jeunes anglophones et des familles bobo de Saint-Germain. Que ma surprise fut grande en découvrant des livres, des manuscrits, des romans, des cartes d’école de géographie, des vieilles affiches, des encyclopédies, des films VHS (et oui cela existe encore dans ce genre d’endroit) ou encore des vieilles cartes postales, qui dégoulinent, dévalent, s’affalent et s’amoncèlent sur des étagères poussiéreuses. Cet endroit, selon moi, est le temple de la littérature anglaise à Paris à prix mini. Mais voici que des escaliers mènent à quatre étages entièrement dédiés à la grande littérature de la perfide Albion. Mais le plus étonnant est qu’entre les rayonnages, vous trouvez des banquettes, des lits, des canapés et même des lavabos, car non seulement c’est un lieu de culture, mais aussi un lieu d’accueil d’une ou deux nuits pour les jeunes étudiants étrangers en quête d’un toit dans la capitale. Je vous conseille, pour ce lieu magique, de venir lorsque la nuit est tombée, et alors vous aurez peut-être la chance de rencontrer Oscar Wilde, Jane Austen, Lewis Carroll, Mary Shelley ou pourquoi pas William Shakespeare… La Pagode, 57 bis rue de Babylone (Saint FrançoisXavier), 7e Je sais, j’entends déjà les élèves de la spécialité Cinéma, me dire que c’est du déjà vu et de la redite, mais quand moi, pauvre petit lyonnais j’ai débarqué à Paris, je suis tombé sous le charme de cette salle de cinéma. Alors je vous laisse imaginer : cadeau du directeur du Bon Marché à son épouse, cette pagode d’inspiration chinoise, bâtie en plein VIIe arrondissement, fut le lieu de réceptions mondaines jusqu’en 1931. Rachetée par un certain Monsieur Sucre, qui décida de la transformer en salle de cinéma, elle devint un lieu prestigieux de la cinéphilie grâce à sa programmation avant-gardiste, projetant les œuvres de Bunuel, Renoir et Epstein. Installez-vous dans les confortables sièges et laissez vagabonder votre œil au-dessus de votre tête admirant les lampes en bronze en forme de dragons chinois ou les laques sur les murs. Après une bonne séance, détendez-vous dans le jardin chinois en dégustant un thé. Avis aux cinéphiles, courez-y !!

Musique Et voici une petite rubrique que certains attendent depuis un petit moment. La musique du moment. Je m’adresse à tous ceux dont les seuls goûts musicaux se limitent à Fun

Radio, Skyrock ou encore Nostalgie. Bannissez le rap de banlieue, les chanteuses à capuches et les vieux chanteurs des Années bonheurs, surtout si vous avez moins de 25 ans. Il est temps de virer Didier Barbelivien, Diam’s et Tokyo Hôtel de vos i’pod les enfants ! Je vous propose trois playlists musicales pour ce numéro : une pour votre culture personnelle, une pour vous détendre et une autre pour le plaisir du moment. Ce ne sont que des suggestions, mais écoutez-les, savourez-les et…c’est tout. Old generation Al Greene, Let’s stay together The Isley brothers, This old heart of mine The Kinks, All day and all of the night The Miracles, Going to a go-go Janis Joplin, Move over Frank Wilson, Do I love you The Temptations, Get ready Mary Wells, My Guy The Supremes, You can’t hurry love Edwin Starr, Twenty five miles Marvin Gaye, I heard it through the grapevine Martha Reeves, Nowhere to run Diana Ross, Ain’t no mountain high enough The Rolling Stones, Satisfaction Otis Redding, Try a little tenderness Automn calms you down Mathieu Boogaerts, Come to me Eddie, Pode me chamar Victor Davies, Brother (San Paolo Mix) Tahiti 80, Big day Benjamin Biolay, Qu’est-ce que ça peut faire Benny Sings, Get there Various, Bibio/Jealous of roses Son of Dave and Martina Topley Bird, Devil take my soul Au revoir Simone, Anywhere you looked Mary Hawthorne and the County, Just ain’t gonna work out Kanye West, Street Lights Kings of Convenience (feat. Feist), Know how Will I Am, Money Move Santigold, You’ll find a way La Roux, I’m not your toy CSS, Let’s make love and listen to death from above Mike Gateright, Taboo Asher Roth, She don’t wanna man Miss Kittin/The Hacker, Stock Exchange Digitalism, Pogo (Shinichi Osawa Dub) James Murphy (feat. Munk), Kick out the chairs (Whomadewho RMX) Just Jack, Goth in the disco Foals, Hummer The Virgins, Private affair The Gossip, 2012

Bonus : Concept-stores L’île enchantée, 65 boulevard de la Vilette (Colonel Fabien), 10e Ceci est un petit bonus pour les nouveaux arrivants. Quoi de plus branché que de boire un verre, dîner, lire ses mails, regarder un dvd tout en lavant son linge comme à la maison ? Conçu comme un duplex, il propose un bar et un restaurant au rez-de-chaussée, et à l’étage un appartement laverie comme si vous étiez chez vous. Je ne vous en dis pas plus si ce n’est foncez ! Jean-Baptiste Corne, Noémie Gil


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mode Tendance moumoute Qu’on se le dise, depuis deux ans l’histoire de la mode a officiellement intégré le rang prestigieux des spécialités de l’Ecole (après seulement quelques décennies de retard…). Il semblait donc logique qu’une nouvelle rubrique lui soit consacré dans ce journal, dont l’ambition est de supplanter très bientôt Glamour. Avertissement, Warning, Achtung : l’article qui suit est politiquement incorrect.

ou tout du moins synthétique (si vous n’avez vraiment pas le choix !).

Vous l’avez forcément remarqué autour de vous, dans la rue, dans les magasins, et même dans les couloirs de l’école : les bêtes à poils sont tendance.

C’est tout bête ! Portez la fourrure par petites touches au col ou sur la capuche de vos manteaux, en petites touches sur vos gants, ou même dans votre coiffe mesdemoiselles où un serre tête en fake-léopard vous hissera au top de la branchitude.

Un vent pour le moins animal est venu souffler sur la capitale : déjà l’an dernier, les ouaich ouaich banlieusards, plus communément appelés la plèbe, s’étaient emparés du premier élan taxidermiste en se parant, l’hiver venu, de vestes chatounées sans manche et autres chapkas sorties tout droit de la profonde Russie. Sauvage : « c’est trop ghetto ». Cette année le must pour vous réchauffer branché s’exprime de deux façon : D’abord, distinguons le « fauvisme » pur. Mais bien sûr! Faites donc comme dans la nouvelle campagne Naf Naf. Adoptez une meute de loups pour vous faire respecter par vos congénères !! Ou plus pratique, délaissez le métro pour venir à l’école en traîneau tiré par des huskies, comme dans la nouvelle publicité d’Hermès. Cela ne vous rendra que plus désirable. Le mouvement a d’ailleurs déjà fait son entrée à l’EDL puisque j’ai ouï dire qu’un étudiant traînait aux abord de l’école avec un chien errant qui l’aurait suivi depuis Saint -Jacques-de-Compostelle….JA-DORE. Pour preuve que la tendance est au plus haut point, vous n’avez pas pu ignorer le fait que même les « franges » les plus basses de la société se sont mises au « fauvisme », histoire d’avoir du chien. Impossible de trouver un seul sans-le-sou qui ne fasse pas équipe avec un animal à 4 pattes, ou tout du moins un lapinou dans une boite en carton. Sans doute se sont-ils inspirés de la Dame à l’hermine de Léonard de Vinci, qui caresse élégamment son espèce de raton laveur improbable . La bête doit sans doute aujourd’hui pendouiller au cou d’un des élèves de l’école (nous pensons d’ailleurs qu’un dénommé Virgile Septembre est en possession de la relique). Si malgré tout vous rechignez encore a venir en cours accompagné d’un animal vivant, Louvr’boîte vous suggère d’adopter la second way-to-wear-fur : morte cette fois

Prenez exemple sur le Castiglione de Raphaël qui avait déjà tout compris au XVIe siècle : portée avec une classe aristocratique, la chatoune enroulée autour du cou vous apportera la reconnaissance que vous méritez. J’ai moi-même repéré la semaine dernière une élégante toque en vison sur le crâne d’une auditrice octogénaire. Donc si vous apercevez une fille courir dans les couloirs de l’école, un truc poilu à la main, soyez gentil, faites comme si vous n’aviez rien vu…. Jeu concours : si vous parvenez a subtiliser à l’individu surnommé Virgile Septembre sa dépouille de la Dame à l’hermine, Louvr’Boîte vous offre la toute dernière moumoute recommandée par Dany Perrier, grand connoisseur en la matière, Néanderthal oblige. N.


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mode Une spé, une mode ! Une nouvelle rubrique vestimentaire décortiquant toutes les tendances mode de l'histoire de l'art, pour mieux vous intégrer dans les différentes spés de l'école. Archéologie de la Gaule : laissez tomber la fourrure de mammouth et les mocassins en peau de loutre, bannissez les braies sur les pantalons comme Obélix, tout en rasant la moustache à la Vercingétorix. Archéologie égyptienne : étendez votre eyeliner jusqu’aux tempes à la Elizabeth Taylor. Evitez l’uraeus sauf en soirée bien sûr. Archéologie orientale : désolé mais le kaunakès n’est plus de saison, préférez un beau pectoral du Liban. Archéologie de la Grèce : non le drapé mouillé ne va pas à tout le monde, priez les déesses Aphrodite et ses copines les Muses (et non Athéna devenue ringarde en tenue de guerrière) et elles vous viendront en aide. Archéologie étrusque, italique et romaine : bannissez les couleurs bucchero, et messieurs rallongez vos toges par pitié. Archéologie chrétienne : on adore les laticlaves de pourpre, osez les cabochons ! Patrimoine et archéologie militaire : l’imprimé camouflage c’est over, sortez vos galons façon hussard, Coldplay ne vous a pas attendu pour le faire. Histoire des arts de l’Extrême Orient : non au tattoo de dragon impérial à cinq griffes sur l’épaule c’est so vulgaire… par contre l’éventail reste une arme de séduction intemporelle. Kimonez-vous. Art et archéologie de l’Inde : osez le sari bikini des Pussycat Dolls, le sanghati c’est pour la maison. Histoire des arts de l’Islam : le caftan ottoman fait son grand retour sur les podiums! Histoire des arts d’Afrique : le pagne banane à la Joséphine Baker c’est out. Un petit grigri (et non un fétiche) en ivoire d’éléphant du Kenya ou en corne de rhinocéros du Zimbabwe reste acceptable du moment qu’il est discret. Histoire des arts de l’Océanie : on dit non au tatouage maori, enough !! Gardez vos soutien-gorge noix de coco, la tendance peut repartir … Arts des Amériques : halte aux coiffes de plumes en imitation Moctezuma, mardi gras c’est en février. Histoire de l’architecture occidentale : les bas résille ne vous donnent pas une «Tour Eiffel touch ». Vous avez juste l’air d’une catin.

Histoire de la sculpture : les drapés over-size aux plis creusés profondément ( effet trépan ) sont la tendance de l’hiver. Grandes demeures : la fleur de lys est proscrite ! Oui à la fourrure portée avec parcimonie, au collier de perles de Grand-Maman, et à la chevalière de papa. Arts décoratifs : les émaux peints en bijoux c’est mal, mais un camée monté en bague c’est différent. Histoire de la mode et du costume : trop c’est trop. Arrêtez le too much façon patchwork. Revenez aux basiques (je vous en prie) : la petite robe noire, le white T-shirt. Halte aux imprimés !!! Histoire de la peinture, école française : préférez un petit négligé à la François Boucher et une robe à la Watteau, aux tabliers sales des paysannes des frères Le Nain. Histoire de la peinture, écoles étrangères : l’Homme aux gants du Titien a la classe, prenez note. Histoire du dessin : évitez à tout prix le fusain comme crayon khôl... Histoire de la gravure : l’eau forte pour se démaquiller laisse des séquelles. Arrêtez le massacre ! Art du XIXe et début XXe siècle : privilégiez un drapé lyrique à la Carpeaux. Eugénie à tout compris avec sa crinoline, osez, osez, osez ! Art du XXe siècle : tentez les couleurs fauves. Art contemporain : les robes déconstruites et futuristes de Pierre Cardin restent in. Photographie : le blush sépia vous ira à merveille cet automne. Cinéma : vous n’êtes pas Marilyn, la jupe qui se relève audessus du métro, c’est d’un cliché! Anthropologie : on s’insurge contre les costumes folkloriques du musée des Arts et Traditions populaires ! Patrimoine et archéologie industriels : non, la tendance bleu de travail et casque de chantier façon Village people n’a jamais existé. Iconographie : promenez-vous en Ménade… qui fera le satyre ? Jean-Baptiste Corne, Noémie Gil


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fiction L’apothéose d’Homère La salle des sept cheminées est évidemment pleine de monde tant l’événement est d’importance : Tous les personnages choisis par Ingres pour L’Apothéose d’Homère vont arriver... L’arrivée d’invités aussi illustres que Socrate ou Platon est l’occasion rêvée pour tous les Nobles de la Restauration de se montrer. Un fatras de courtisans s’entasse à l'entrée des salles Charles X pour assister à l'arrivée des invités. Au moins, je suis arrivé à la bonne époque cette fois-ci et ma défroque prend un ton passepartout… Essayez de passer d'une tenue de ville des années 2000 au frustre d'un Noble des années 1820… Enfin n’essayez pas... En attendant que la cérémonie de pose commence, je m’en vais relire le dossier remis par la rédaction juste avant le départ. Une fois de plus , j’ai été averti au dernier moment de ce nouveau reportage intertemporel ! « Cher Monsieur -blablabla- chargé de couvrir la pose pour l'Apothéose d'Homère... ...Ingres... 1827... -où est ce qu'ils ont pu mettre les infos me concernant!... … ah! voilà - jeune duc, anobli après l'exil de 1815, vous avez obtenu le privilège d'assister à la séance de pose pour le tableau d'Ingres. … -et les types de la résa ont du s'en donner à cœur joie pour me trouver un nom...- … Edgar-Gaston de Scar. … … … … … -je les adore... » Tout à coup, les portes de la salle de pose s’ouvrent pour laisser passer deux valets et un héraut. Et nous voilà parti pour l'annonce des personnages qu’Ingres a prévu dans sa composition. Les invités se présentent un par un, attendant sagement que le héraut hurle leur nom pour entrer là où le peintre les retrouverait, nous retrouverait. - Horace! - Pisistrate! - Lycurgue! - Dante!...... Ne devant pas figurer sur la composition, j'espérais échapper au cri du héraut. Ne voyant plus aucun des invités dans la salle des sept cheminées je me présente à la porte. A peine entré dans le champ de vision du héraut, je le vois prendre une inspiration... immédiatement coupée : un gentilhomme s’approche Shakespeare! Il n’a toujours pas été appelé par le héraut ! - My dear, what's about me ? intervint le dramaturge avec un petit sourire ironique. Le visage du héraut se teignant d'incompréhension, je me transforme instantanément en traducteur. Le fait est que, suite à un caprice d'Ingres, qui n'a jamais été réputé pour son bon caractère, Shakespeare a été « annulé », la veille, sous prétexte qu'il aurait été trop romantique pour le peintre le plus classique de l'époque, d’autant plus que Delacroix présente en même temps sa Mort de Sardanapale ; et que Shakespeare serait trop… enfin voilà !

Imaginez la réaction de cet Anglais qui n'avait pas été informé de son « annulation ». Le dramaturge se décide à se lancer dans une tirade à base d'indignation et d'incompréhension. Ce noble British pensait arriver en territoire conquis après la destitution de 1815. On finit par obtenir d’Ingres -par valets interposés- la réintégration de Shakespeare au sein de la composition. Nous sommes donc les derniers à entrer dans la salle de pose, évitant pour le coup l'annonce tonitruante du héraut, fort perturbé par les évènements ! La salle ou nous pénétrons est pleine des grandes figures du passé occidental, disputant bruyamment. Contre le mur opposé aux fenêtres sont installés plusieurs degrés au sommet desquels un trône disposé complète le cadre choisi par le peintre pour sa composition. Un valet nommé Philippe se présente, et annonce à l'assemblée qu'il va procéder à l'installation de chacun afin que tout soit près lorsque le peintre arrivera. Dès son petit discours achevé, les conversations reprennent comme si de rien n’était. Toutefois, je vois Raphaël, à côté de Philippe, agité de tremblements… Suffisamment près, je peux capter ce qu'il dit : - L'éc... L'éco-co… - Oui Monsieur? s'enquiert Philippe… - L'Ecole d'Athènes ! parvient à crier Raphaël en italique. Malgré l'incompréhension du valet, le peintre poursuit, une lueur dans les yeux évoquant la folie furieuse: - Eloignez Platon d'Aristote ! Ne les laissez surtout pas s'approcher et commencer un dialogue ! Soyez prudents ! La dernière fois, il a fallu deux jours pour les séparer, tout ça par ce que l'un revendiquait la pensée comme moteur de connaissance dans le temps tandis que l'autre prônait l'observation de la Nature. Prenez garde, continuait-il me faisant penser à un mendiant annonçant la fin du monde,


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ne les laissez pas commencer une nouvelle dialectique!

que :

Philippe le fait assoir et demande qu'on lui apporte un verre d'eau pour le calmer. Revoir ces deux philosophes semble avoir réveillé un souvenir douloureux...

- Dîtes moi jeune homme, quelle forme possède la Terre ? me demande Aristarque. - Ronde, évidemment, réponds-je instinctivement, sans envisager que mon interlocuteur pouvait n’avoir jamais connu Galilée. - Je le savais, je le savais se mit à crier l'Astronomemathématicien. Je vous l'avais dit, poursuit-il en se déplaçant dans toute la salle. Elle est ronde ! Ronde ! Ronde ! reprend-il en montant dans les aigus. C'est formidable, notre planète est ronde ! Ronde ! Vous rendez vous compte ? Mes calculs sur la distance au soleil appliqués à l'angle... c'est formidable! Je vous l'avais bien dit! Ronde ! Ronde ! Ronde !

Aveugle et solitaire, Homère se laisse facilement assoir sur le trône. Toutefois, dès qu'Orphée est installé derrière lui, chantant à tue-tête des chants lyriques, qui nous vrillent à tous les oreilles, il perd toute trace de calme. Envoyant un crochet du gauche au poète, ce dernier est contraint à une pose de trois quarts, pose désormais silencieuse! Une jeune servante entre alors, dotée de deux ailes majestueuses. M'interrogeant sur l'absence d'une véritable Niké je m'en inquiète auprès du valet. - Vous savez, les dieux grecs sont beaucoup demandés, du coup, pour avoir la paix, ils sous-traitent une plate-forme installée dans Dieu seul sait quel pays. J'ai passé un mois à essayer de les joindre. La seule personne qui ne m'ai jamais répondu parlait un dialecte dérivé de l'élamite ancien avec peut-être même quelques apport d'akkadien... … J'ai fait commander une paire d'ailes et voici Julie qui remplira ce rôle à merveille. Philippe reprend son va-et-vient dans la salle. Il s'interrompt de nouveau. Un groupe semble lui résister... Il revient vers moi, désespéré : - Vous connaissez la bande à Socrate? Face à mon incompréhension, il continue : - La bande, là, je les appelle comme ça. J'étais sûr que ça finirait ainsi avec eux ! Ils sont tout simplement infernaux. Ils se comportent comme des adolescents à la sortie d'un lycée napoléonien ! « Je veux pas être à côté d’lui ! », « Non c’est moi qui me met à côté d’Socrate ! », « Pourquoi qu’il a le droit d’être en face de Socrate »… Leurs biographes n'ont pas tord de commencer par l'épithète « Ami de Socrate », au moins on à une idée de ce à quoi s'attendre... Il repart à l'assaut de la fameuse « Bande à Socrate » dont il réussit à extraire Euripide et Alcibiade. Ce dernier, une fois installé, prend la poudre d'escampette pour s'approcher de l'Iliade. Il engage vivement la conversation au sujet d'une certaine bataille de Délion. Philippe passant à proximité me jette un grand sourire avant de s'approcher du duo. - Alors Alcibiade, toujours pas remis de cette défaite à Délion?. On vous a déjà dit que ce n'était pas votre faute, les Thébains étaient trop nombreux et vous avez pris les évènements en route, vous ne pouviez plus rien faire. Ce n’est pas parce que vous avez essuyé une défaite en plein milieu de la guerre qu’il faut vous laisser abattre… Le militaire grec fond instantanément en larmes sur l'épaule du valet qui le reconduit sur l'estrade. Il le confie alors à Sapho qui aurait, au vu de ses regards discrets, préféré que ce soit Julie qui se mette à pleurer. - Celui-là n'a de cesse de trouver une solution à une vieille chimère en questionnant l'Iliade, m’explique Philippe lors-

Cet Ancien, que l’on imagine grave et sérieux, affiche en cet instant une expression de joie pure que l'on ne rencontre que chez l'enfant. Philippe finit par l'emmener tant bien que mal vers l'estrade où il lui fait prendre place à côté d'Aristote. - Ronde ! Ronde ! continue de crier Aristarque. - Tu comptes beugler comme cela encore longtemps ou ça va cesser à la fin ? s'impatiente Aristote. On aura compris que tu as raison. - Oui, parlons d'autre chose. Comment va Phyllis? fit mouche Aristarque. - Je me demandais, esquiva Aristote, plutôt comme... un œuf ou... une pomme? Philippe revenant de l'estrade dans ma direction m'interroge sur cette histoire de Phyllis. Je lui explique cette passion à l'opposé du platonicisme entre le philosophe et Phyllis qui avait sans doute réjoui la presse people de l'époque quand un objet projeté à toute vitesse frôla le haut de mon crâne. - Tu vas bien? s'enquiert Philippe.. - Oui ne t'inquiète pas lui réponds-je sans relever le passage au tutoiement, mais que se passe-t-il? - Alexandre le Grand vient de viser Apelle, qu'il a manqué, répond Dante. - Campaspe, tu connais Philippe ? m'enquis-je auprès du valet. - Oui, l’Amante d’Alexandre qui file avec Apelle le pein-


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tre…Mais Alexandre, une fois découvert la trahison, n'est pas censé avoir cédé son amante au peintre sans éclats? - Eh bien je te laisse aller lui expliquer ton point de vue, il sera sûrement d’accord avec toi, fis-je comme encouragements à Philippe qui tentait de ramener de l'ordre dans la salle. La scène prend un peu plus de consistance. Avec la remise en place d'Alexandre, Philippe vient de terminer l'installation des personnages antiques. Il peut commencer la prise en charge des modernes de l'assemblée. Raphaël, Dante, Shakespeare, Corneille puis Poussin. Le sourire légendaire de ce peintre n'est en rien fabulé d'ailleurs... Philippe installe en vis à vis de ce premier groupe Gluck, Camoens, Fénelon, Longin. Il ne reste plus que Racine, Molière et Boileau. Avant que je ne puisse l'avertir du danger qu'il encoure : - Monsieur Molière, vous ici ? s'étonne Racine en prenant soin de laisser un temps là où l'usage accorde à son rival une particule. Le génie est peut être contagieux, si vous ne prenez garde, Dieu seul sait ce qui pourrait vous arriver ! - Votre sollicitude, riposte Molière animé d'une courbette, ne saurait me toucher davantage. Laissez- moi en votre compagnie rester et cet accès de l'âme nommé génie ne saurait me trouver ! - Il est vrai qu'un esprit gâté de tant de modernité ne saurait être par le talent touché, se fend Racine. - « Les Anciens, Monsieur, sont les Anciens et nous sommes les gens de maintenant »1 alors ne me pompez pas de modernité Monsieur DE Racine en me rebattant les oreilles que la modernité trop si, ou pas assez ça dit Molière avant de laisser tomber sans transition apparente, de toute façon, votre Alexandre est une fadaise! - « Mon Alexandre, tonne Racine, avec en arrière plan un macédonien qui ne comprenait bribe, MON Alexandre est fort bon. Preuve en est que notre bon roi l'a retiré à votre troupe d'amateurs, afin qu'il soit représenté par de véritables acteurs. Avec cette dernière réplique, je me rappelle les circonstances rendant la proximité de ces deux là fort risquée. Ils se sont définitivement fâchés après qu'Alexandre le Grand de Racine ait été retiré à la troupe de Molière pour être joué par l'Hôtel de Bourgogne... - « L'hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertus 2. Je n'use pas mon front sur le parquet devant roi, médecin ou seigneur pour quelques faveurs accordés au fleuron de la foutaise que vous êtes » envoie Molière à un Racine ébahi. Il ajoute après un temps: - Je vous le déclare net, votre Alexandre, « il est bon à mettre au cabinet »3.

- Et je vous dit au contraire qu'il est très bon ; parvient à articuler Racine dans sa colère. - « Pour le trouver ainsi vous avez vos raisons ; mais vous trouverez bon que j'en puisse avoir d'autres qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres. » récite Molière dont le visage conserve un calme contrastant avec le teint pourpre de son adversaire. - Vous-là! m'apostrophe Racine, vous aurez surement lu mon Alexandre! Et c'est aisément que vous saurez, en ma faveur, faire pencher la balance de cette querelle! Conscient du danger d'une réponse trop hâtive, je m’accorde un instant avant de répondre, prétextant de devoir rassurer et calmer Alexandre le Grand puisque le Macédonien était définitivement perdu par ce dialogue à base d’Alexandre ceci, Alexandre celà. Je finis par dire: - « Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur, émouvoir, étonner, ravir un spectateur ! Jamais Iphigénie en Aulide immolée, n'a couté tant de pleurs à la Grèce assemblée »4 mais, continuaisje en prenant chacun des dramaturges par une épaule, « fuyez surtout ces basses jalousies, des vulgaires esprits malignes frénésies. Un sublime écrivain n'en peut être infecté ; c'est un vice qui suit la médiocrité. » A mon grand soulagement, ainsi qu'à celui de Philippe, les deux têtus s’apaisent par ces mots et acceptent la place qu'on leur indique sur l'estrade, prenant toutefois garde à se tourner effrontément le dos. - Ouf! me permis-je de laisser échapper. - Habilement mené dit une voix dans mon dos. - Pardonnez moi pour ces emprunts M. Boileau mais, face à vos contemporains, je n'ai rien trouvé par moi-même qui soit à même de les calmer. - Vous pourriez trouver par vous même, donnez en vous les moyens jeune homme! « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Polissez-le et repolissez-le sans cesse... »5 Et c'est ainsi qu'il part en de longues déblatérations à base de citations de son Art Poétique qui entre-nous ne vaudra jamais à mes yeux les Lettres à un Jeune Poète de Rilke concernant les conseils d'écriture ! Lorsque Philippe finit par venir le chercher afin d'achever la composition. Boileau ne cesse pas pour autant et vous le verrez pour le reste des temps, tête tournée et bouche ouverte, continuant à parler dans le vide… Corentin Dury 1 Molière, Le Malade Imaginaire 2 Molière, Don Juan 3 Molière, Le Misanthrope 4 Nicolas Boileau, Epître à Racine 5 Nicolas Boileau, Art Poétique


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fiction Sel

X

: Je t’aime, pouvez-vous me passer le sel s’il vous plait ? Y : Pardon ? X : Le sel, s’il vous plait. Y : Non non... juste avant. X : Pardon ? Y : Juste avant le sel ! X : Quoi ? Y : Eh bien, juste avant... juste avant que vous me demandiez de vous passer le sel ! X : Juste avant ? Y : Juste avant. X : Eh bien... juste avant je venais de remarquer qu’il n’y avait pas assez de sel dans mon assiette, enfin je veux dire dans ce que j’étais en train de manger... que je suis encore en train de manger. Voilà, j’ai remarqué que je manquais de sel, je veux dire que ce que je mangeais manquait de sel... c’est qu’il manque du sel, qu’il n’y en a pas assez, que... qu’il me faut du sel ! ...juste un peu de sel ! c’est tout !... Y : Excusez-moi, je ne voulais pas vous énerver... je suis vraiment navré, croyez-moi, je... je n’avais aucune intention de vous mettre dans ces états, je... j’avais juste mal compris ce que vous aviez dit à propos du sel, enfin pas spécialement du sel mais de ce... qui venait juste avant... X : Juste avant ?! Y : Oui. Non ! Je veux dire, oui, mais pas ce à quoi vous avez pensé juste avant de me demander de vous passer le sel, mais au moment juste où vous l’avez fait. X : J’ai fait quoi ? Y : Vous m’avez demandé de vous passer le sel. X : Et vous ne l’avez pas fait ! Y : Je n’ai pas fait quoi ? X : Vous ne me l’avez toujours pas passé. Y : C’est vrai, excusez-moi. Mais juste avant, je veux dire juste avant de vous le passer permettez-moi de conclure mon raisonnement : donc, juste avant... là je veux dire avant que vous me le demandiez, lui, le sel... X : Ecoutez, je ne vous comprends pas, c’est quoi ce juste avant ? Il n’y a pas eu d’avant !

Y : Si, si !!! (...) excusez-moi mais... si. X : Mais enfin, où voulez-vous en venir ? C’est quoi tout ce plat ? Avant, avant, y a pas d’avant, je l’ai avoué, c’est tout ! Y : Pardon ?! X : Enfin... je l’ai dit... Y : Oui, bien entendu, mais en le disant vous avez aussi dit quelque chose avant. Vous n’avez pas tout simplement dit « pouvez-vous me passer le sel s’il vous plait ?». Vous avez dit « humhumhum, pouvez-vous me passer le sel, s’il vous plait ? » X : Humhumhum ? Y : Humhumhum ! X : Ça ne veux rien dire, ça. Y : Si, enfin non ! humhumhum, ça veut dire que je n’ai pas compris ce que vous avez dit... mais je sais que vous avez dit quelque chose, j’ai bien entendu ! X : Si vous avez bien entendu, pourquoi vous me le demandez ? Y : Eh bien, c’est ça ! J’ai juste entendu, je n’ai pas compris. Autrement je n’aurais pas dit humhumhum ! X : Bon vous allez finalement me passer l’amour ou pas ? Y : Pardon ?! X : Le sel ! Le sel ! Y : Excusez-moi, je suis vraiment confus là... je ne vous comprends pas... X : DU SEL, S’IL VOUS PLAIT !!! Du sel pour l’amour de Dieu ! Du sel !... J’en ai tellement besoin !... Vous ne pouvez pas savoir au combien... juste un peu de sel... Y : moi aussi !... X : Pardon ? Y : Le voici. X : Quoi ? Y : L’amour !... Le sel ! Le sel ! X : Vous vous foutez de moi ? Y : Moi ??? Pas du tout, je voulais juste vous passez le... X : Le quoi ??? Y : ...le. sel... X : Ce n’est pas ce que vous avez dit ! Y : Qu’est-ce que j’ai dit ? X : Vous avez dit humhumhum !... Le sel ! Le sel ! Y : humhumhum ? X : humhumhum !

Y : Non non ! humhumhum c’est vous qui avez dit juste avant ! X : Moi ??? Y : Oui oui, juste avant de me demander le sel ! X : Et vous l`avez dit juste avant de me le passer ! Y : Je ne vous l’ai pas passé! X : Mais si ! Y : Mais non ! Je m’apprêtais à vous le passer, j’étais prêt à le faire, mais vous m’avez coupé l’élan ! X : ...Vous m’avez dit quand-même « le voici » ! Y : Quoi ? X : Le sel !!! Ou, plutôt: humhumhum ! Le sel ! Y : C’est absurde ! Ça ne veut rien dire ça ! X : Ah si ! Ça veut bien dire quelque chose. Quelque chose que vous n’avez pas le courage de répéter ! Y : Humhumhum ! X : Mais non!!! Ce que vous avez dit juste avant le sel et que je n’ai pas pu comprendre. Y : Si vous n’avez pas compris, comment pouvez-vous m’accuser de m’être foutu de vous ? X : (...) je ne sais pas... Y : moi non plus... X : Vous non plus quoi ? Y : rien... rien. X : Ah... Y : ...je vous passe le sel ? X : Je n’en veux plus, merci. Y : Comment ? X : Je n’en veux plus ! Voyez, il n’y a plus rien dans l’assiette. J’ai tout mangé sans sel, voilà. Y : Oh... dommage... X : Oui, dommage… Marcus Borja

Notre chef de chœur et prof de théâtre se produira dans Manhattan Medea de Dea Loher en tant qu’acteur et musicien du 21 janvier au 20 février au Théâtre National de la Colline. Une invitation valable pour 2 personnes sera tirée au sort au BDE.


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pause-café Mots croisés A

B

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Louvr’boîte n°4

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I

J Horizontalement 1.Rend invisible chez Potter / Editeur 2.Institut national de rêve 3.Ile de Platon 4.Miaou / Mieux qu’argenté 5.Tergiversas / fait la liaison 6.Annus Domini / Interrogatif / Transpire 7.Motifs prophylactiques 8.Rapportée / Attrapé 9.Inventaire / Champion 10.Les miens / certain 11.Rivière / Prieuré ésotérique 12.Dernier Bergman Verticalement A.Dignitaire Ottoman / station B.Chères à Viollet-le-Duc C.Géant / oubliées D.Utiles / divinité E.Un germanique / zigouillant / Urgences en V.O F.Abréviation de montagne / Comme les sandales d’Hermès G.Mesuré en Newton / Article / Clé H.Ile de Venise / Réfléchi / Air d’Opéra I. Coûteuse / Indéfini J. Négation / Saison / Danse à Pantin

Annonce

ISBN 1969-9611 Directrice de publication : Anaïs Raynaud Rédactrice en chef : Margot Boutges Rédacteurs : Pedro Babel Claire Ballini Marcus Borja Jean-Baptiste Corne Corentin Dury Perrine Fuchs Noémie Gil Pauline Joffard Tim Le Berre Marie-Anne Léourier Sophie Paulet Annabelle Pegeon Illustrateurs : Aurélie Deladeuille Valentine Gay Silvère Tricaud Maquettistes : Alexis Comnène Sébastien Passot

Vous venez seulement de découvrir Louvr’Boîte et vous êtes déjà fan? Vous n’aviez pas acheté les éditions précédentes et vous vous en mordez les doigts? Il vous manque un seul exemplaire (introuvable cela va de soi) pour compléter votre collection? Pas de panique, les premiers numéros de Louvr’Boîte ont été réédités et sont tous disponibles au BDE. Profitez-en!

Ce numéro étant le dernier de 2009, toute l’équipe de Louvr’Boîte profite de cette occasion pour vous souhaiter de très bonnes fêtes de fin d’année. Une bonne SaintSaint-Nicolas, une belle fête de Hanouka et un joyeux Noël à tous! Bonnes vacances et à l’année prochaine!


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