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des petits objets de l’opera
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Lorgnette, éventail, porte-bouquet : la grande histoire des petits objets de l’opéra
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Si le musée d’Orsay n’a plus de secrets pour vous, vous y avez très certainement déjà croisé la demoiselle peinte par Eva Gonzalès dans sa toile Une loge aux Italiens. L’air un peu absent, la sœur de l’artiste paraît concentrée sur le spectacle se jouant sous ses yeux, théâtre ou opéra. Mais avez-vous remarqué sa paire de lorgnettes et son bouquet de fleurs ? Couplés à l’éventail, vous obtenez le trio gagnant des indispensables pour se rendre à l’opéra au XIXe siècle !
“La lorgnette est au spectacle ce que la conversation est à la ville” affirme en 1848 le Moniteur des Théâtres. C’est dire si Jeanne Gonzalès connaît les usages de son temps ! La lorgnette d’opéra se distingue véritablement des autres appareils optiques au XVIIIe siècle, jusqu’à devenir un indispensable des Incroyables et des Merveilleuses de la Révolution (vive la cannelorgnette). Elle connaît dès lors un succès jamais démenti, la boutique en ligne de la Comédie-Française le prouve encore. Simples ou doubles, avec ou sans manches, les lorgnettes ou jumelles permettent autant de voir que d’être remarqué. Le musée du Louvre, riche de dons de collectionneurs, et celui de Méru, ancien centre industriel de la tabletterie, présentent des modèles dans leurs collections. À décor peint d’étoiles, de lyres ou de paysages panoramiques, couvertes de nacre, de porcelaine ou d’écailles, rétractables ou pliantes, couplées à une tabatière ou à un manche pour plus de praticité, il y en a pour tous les goûts. Année Napoléon
Figure 1 : Jumelles d’opéra, v. 1840, France ((C) MET)
Figure 2 : Noël-Jean Lerebours, Lorgnette de Joséphine, Malmaison ((C) RMN-Grand Palais)
oblige, il faut aussi mentionner la petite lorgnette de la Malmaison, conservée dans son étui doré au fer au chiffre de Joséphine (Fig. 2). La rédaction a même repéré pour vous un modèle à système du Palais Galliera, couplé à un éventail !
Si la jeune inconnue d’Eva Gonzales n’arbore pas d’éventail, l’élégante dépeinte par Mary Cassatt sur sa toile A l’opéra ne commet pas cet impair. Captivée par le spectacle, elle le garde fermé, mais les spectatrices en arrière-plan, qui arborent elles aussi cet indispensable, ouvrent largement les leurs, laissant apparaître leurs feuilles ouvragées. L’usage de l’éventail plissé en France, déjà introduit par Catherine de Médicis, s’impose sous Henri IV, jusqu’à donner naissance à la corporation des éventaillistes en 1678. La production s’industrialise dès 1760 avec l’invention du moule à plisser. Les maisons françaises deviennent au XIXe siècle de véritables références, et exportent dans l’Europe entière, telles Kees, ou Duvelleroy, cette dernière étant toujours active aujourd’hui. Les exemplaires conservés du XVIIIe siècle arborent fréquemment des décors peints mythologiques ou bibliques exécutés anonymement, la peinture sur éventail étant considérée comme un genre mineur. Pour être à la pointe de la tendance, le palais Galliera conserve même des modèles fin XVIIIe siècle représentant le vol des frères Montgolfier, ou la prise de la Bastille ! Les matériaux sont bien sûr parmi les plus précieux : soie, satin ou même peau de cygne (si si) sont enrichis de montures en écaille, ivoire ou nacre réalisées par des tabletiers de l’Oise. Les élégantes du début du XIXe siècle préfèrent des modèles plus légers, en mousseline ou tarlatane brodée de paillettes, avant un retour vers 1830 aux feuilles historiées, parfois signées par des artistes de renom, jusqu’à Maurice Denis (Fig. 3) ou Paul Iribe au début du XXe siècle.
Chic et praticité doivent cependant toujours se conjuguer, comme en témoigne un exemplaire en corne du musée Carnavalet (Fig. 4), muni à son extrémité d’une petite lorgnette, ou une pièce du Palais Galliera qui se transforme, une fois fermée, en porte-bouquet !
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Figure 3 : Eventail des fiancailles, Mauice Denis, 1891, Musée Maurice Denis de St-Germain-en-Laye ((C) RMN-Grand Palais : Benoit Touchard)
Et le porte-bouquet, justement ? Si l’objet n’a eu le droit à sa première monographie qu’en 2005 et est assez méprisé par l’iconographie, il n’en est pas moins largement utilisé dans les bals et opéras du XIXe siècle ! Comme son nom l’indique, il s’agit d’un vase conique servant à retenir un bouquet de fleurs, au moyen d’une aiguille qui se fiche dans les jours du vase, ou d’un anneau coulant enserrant les fleurs. Un autre anneau relié à une chaîne
complète souvent l’ensemble, afin de pouvoir tenir le bouquet d’un doigt. L’engouement pour le porte-bouquet naît sous Louis XIV et se développe jusque vers 1830, époque à laquelle les bijoutiers romantiques et victoriens en industrialisent la production. La plupart sont alors réalisés en argent ou alliage cuivreux, mais des modèles en corne, nacre, ivoire, écaille ou même vannerie sont aussi attestés. Les manches peuvent se parer de porcelaine, d’opaline ou d’agate, et les formes, symboliques, évoquent tour à tour une corne d’abondance, un poisson ou une corolle de tulipe. Bien marquée par le goût romantique, une pièce du palais Galliera arbore même une coupe “à la cathédrale” ! La maison Chaumet prend elle-même part à la production de porte-bouquets, et l’on en retrouve jusque dans les collections de l’Ermitage ou de la reine Victoria. La collection particulière Kenber présente sans doute parmi les plus beaux exemplaires : le droit d’auteur m’interdit de vous les montrer, mais nul doute que les interprétations du pôle illustration vont piquer votre curiosité... (Ci-contre) Elle compte ainsi un porte-bouquet anglais réalisé vers 1850, avec carnet de bal intégré et décor de micro-mosaïque, un exemplaire de Froment-Meurice, ou encore un modèle français tout à fait romantique en forme de main taillé dans l’os, rappelant les bagues de promesse. Enfin, impossible de ne pas évoquer un exemplaire néerlandais en or émaillé, avec vinaigrette et boîte à mouches intégrées : le summum de la praticité et de l’élégance mêlées !
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Figure 4 : Eventail brisé à lorgnette, Carnavalet ((C) Paris Musées Collections)
Marie Vuillemin