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ment l’opera t’emporte dans les etoiles
V V
Hérald’ Hic!
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Les armes de Richard Wagner, ou comment l’opéra t’emporte dans les étoiles
Une petite bouffée d’air -aldique- pour ce Gala 2021 - Opéra ? Laissez-vous porter aux nues en étudiant les célestes armoiries d’un illustre compositeur : Richard Wagner. Il ne s’agit
Fici que d’une petite bulle, le reste du gala (ou au moins de ce petit hors-série) vous attend, cependant ces armoiries m’ont donné un peu de fil à retordre et illustrent une part peu connue de la vie du père de Der Ring des Nibelungen. Penchons-nous tout d’abord sur les occurrences de ces armes. Je n’ai pu en trouver que deux : une lettre à Friedrich Nietzsche datée du 16 janvier 1870 et les vitraux de la porte d’entrée de la villa Wahnfried à Bayreuth, une des demeures de l’artiste. La lettre en question est à propos du frontispice de son autobiographie Mein Leben, dont le philosophe est chargé de relire le premier jet. Wagner y parle d’un écu héraldique représentant un vautour, qui ne doit d’après lui absolument pas être confondu avec un aigle (une aigle en héraldique) et être immédiatement reconnaissable. C’est pourquoi il préconise de demander au graveur de rajouter une collerette au cou de l’oiseau, caractéristique du vautour moine (Aegypius monachus).
Les vitraux quant à eux représentent non pas V V une mais deux armoiries. Le premier semble
D’or à une aigle (un vautour ?) de sable, un tourteau d’azur chargé de sept étoiles d’argent formant la constellation de la Grande Ours brochant en cœur. Il s’agit à n’en pas douter des armoiries de Richard Wagner, les mêmes sans doute que ces armes au Armoiries de Richard Wagner,vautour dont il parle à Nietzsche dans sa lettre. villa Wahnfried à Bareyth
FLe second est De gueules à la cuillère d’or posée en pal, à une bordure d’argent. Il s’agit ici des armoiries de Tribschen, un manoir près de Lucerne qu’il loue entre 1866 et 1872 et dont il obtient par brevet le droit de porter les armes (appartenant à la famille déjà éteinte de Herren zu Tripschen).1 Mais pourquoi ces armoiries au vautour et aux étoiles ? Elles ont sans aucun doute été inventées par Richard Wagner lui-même et utilisent le principe bien connu des armes parlantes. Penchons-nous sur l’étymologie du nom de famille Wagner. Ce patronyme provient de l’allemand Wagen, signifiant « chariot », et désigne sans doute une famille de charretiers à l’origine. Mais là où n’importe qui aurait porté un chariot ou au moins une roue, Wagner se dresse en homme de lettre et en artiste. Il choisit en effet de représenter cette étymologie par une constellation d’étoiles, der Großer Wagen (« le Grand Chariot »), ou
Grande Ourse en français. J’avoue être touché par le côté poétique de ces armes. parlantes. Laissez-moi vous compter la prime jeunesse de Richard Wagner. Il est né le 22 mai 1813 de l’union de Friedrich Wagner, greffier de Leipzig, et Johanna Rosine. Cependant, son père décède seulement six mois après sa naissance et il est élen
Vvé par Ludwig Geyer, un ami de son père avec quiV Johanna se marie en 1815. Richard Wagner aurait longtemps considéré Geyer comme son véritable père, malgré sa disparition en 1821, comme semble d’ailleurs le prouver les armes qu’il choisit. Et bien oui : Geyer… Geier … cela ne vous dit pas quelque chose ? Il ne s’agit que d’une interprétation, mais le vautour des armoiries de ces vitraux semble presque soutenir ou protéger la constellation représentant les Wagner, comme Geyer a protégé Armes de Tribschen,
villa Wahnfried à Bareyth F sa famille d’après le compositeur. À réfléchir … mais de nombreux psychanalystes (Freud le premier) se sont penchés sur le cas Wagner et il semble que le bonhomme n’était pas tout à fait au clair avec la question. Ce n’est cependant pas le sujet de cet article. Pour en finir tout compte fait, que signifient les armoiries de Tribschen accolées à celles de Richard Wagner ? Une petite cuillère est en effet un meuble bien peu courant en héraldique, pourquoi cette utilisation ? La famille Herren zu Tripschen est apparemment très peu connue et je n’ai pu trouver aucune information sur cette famille ou ses armoiries. Cependant, l’origine de ce meuble étrange est peut-être à chercher de nouveau dans les armoiries parlantes. Le dictionnaire des frères Grimm ou Deutsches Wörterbuch, publié entre 1854 et 1961 et s’attachant à l’étymologie de nombreux mots allemands, donne au verbe le sens de traîner, d’emporter quelqu’un ou quelque chose dans une affaire, de faire des affaires … un sens d’aller-retour aussi. Pour ma part, la cuillère associée à l’aller-retour me rappelle ces vers d’Armand Raynal de Maupertuis, héros de la bande-dessinée De Cape et de Crocs :
« La recette barbare aux denrées improbables, Née de la sombre sylve ou des torrides sables, Intrigue le gourmet qui brûle de savoir En quoi varie ce plat de ceux de son terroir !
Aux marches du palais hésite sa cuillère. Mais cet émoi passé, l’instrument réitère De bol en bouche bée son aller, ses retours, Car le mets était bon sous ses louches atours !
On peut à ce gourmet comparer l’honnête homme Qui, face à l’étranger, agit en gastronome !
Allant vers son prochain pour goûter la saveur Du sel d’un bel esprit, du sucre d’un bon coeur, Il fait fi du faciès, du comment-on-s’habille Et franchit le limes dont se rient les papilles ! »
La cuillère serait-elle un meuble parlant traduisant l’idée d’aller-retours ? Impossible de savoir, mais l’idée est alléchante (sans mauvais jeu de mots). Sur cette note poétique, je vous laisse. Que ce Gala - Opéra, telles les armes de Richard Wagner, vous emmène dans les étoiles !
Raphaël Vaubourdolle
1 Je tiens à remercier profondément le Musée Richard Wagner de Bayreuth, qui a réalisé un grand nombre de vidéos sur le musée et la villa Wahnfried lors de sa fermeture pendant la crise du Covid-19. Une d’entre elles est centrée sur ces deux vitraux, desquels je n’étais pas parvenu à trouver de photos précises. Toutes les vidéos de cettesérie Coronamuseum sont accessibles sur leur compte Facebook (Richard Wagner Museum Bayreuth). J’en profite pour remercier Laureen Gressé-Denois qui a trouvé pour moi cette mine d’or.