« La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie condamnée à être enfermée dans sa typographie n’est pas finie. Elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archer qui le touche. » Léo Ferré « Préface » - 1956
Ce livre est édité par LaSauceAuxArts (LSAA), association de type loi 1901 regroupant illustrateurs, photographes, musiciens, écrivains, slameurs et autres énergumènes créatifs investis dans des projets artistiques et culturels, pour l’éducation populaire.
Licence Creative Commons by-nc-sa Paternité Pas d’Utilisation Commerciale Partage des Conditions Initiales à l’Identique
Version intégrale du contrat disponible à cette adresse http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/legalcode
La plume dans la plaie textes - Yo du Milieu illustrations - K & HubbubHum
En 2004, avec le guitariste HubbubHum, nous formions le duo slam et musiques LE MILIEU. Depuis, le duo s'est fait collectif protéiforme. Nous continuons de déslamer par monts et par vaux, avec ou sans musique, dans tous les lieux où l'on nous tend le micro. Le son change, mais l'amitié reste intacte. À mon compagnon de route HubbubHum.
À Basile et Mathilde. À tous les militants, aux artistes, aux êtres humains qui luttent quotidiennement pour rendre ce monde plus vivable. À K & HubbubHum pour les illustrations et l’accouchement de ce bébé. À Spleen l’Ancien et toute la tribu LSAA [LaSauceAuxArts] pour leur aide précieuse.
Je vous propose un voyage dans ma vie et mon intimité, dans mes périples et mes combats. À travers ces textes, depuis l’Europe, je vous emmène d’Afriques en Amériques pour des aventures qui m’ont marqué, pour des voyages que je n’ai pas encore faits. Bonne lecture, à haute voix ! Yo
Préfarce Il y a des dates qu’on coche. Elles supposent souvent un avant et un après. Pour ma poire, je sauvegarde le 16 mars 2006. Je découvre Yo "du Milieu" ! Rencontre, extra-balle, goût de foudre ! « Putain, un frère d’âme ! » Folle fougue, gouaille gaie, flamme fière, voix vive, il déglace les sexus polaires, il asticote les maxillaires, il fait grincer les badigoinces. Et moi je reçois ça dans le buffet. Ça m’interloque, ce mec qui parle de l’humain, de l’état de la Terre, ça m’épate cette sensibilité à l’autre ! Pour ma pomme, cerise sur le gâteau, il m’invite venir à débagouler "a cap’" sur une place républicaine ou sous l’ampoule nue d’un squat vaguement anar. Tous les coups sont bons à prendre. Aller voir, aller dire, mouiller la chemise, s’y frotter, et siffloter de bonheur ensuite… Il y en a qui portent leur croix, pas drôle. Lui porte sa foi avec parfois porte-voix. Il rit, il dit ou crie qu’ici, il y a un espace à conquérir, un esprit à défendre. À nous de prendre ce pouvoir ! Pour lui, la Démocratie est hors de prix, c’est à dire parfaitement gratuite ! Y’a qu’à prendre, y’a qu’à cueillir, c’est tout, y’a pas à chipoter, y’a pas à finasser ! Nous ne sommes pas sur terre pour faire de la dentelle d’Alençon ! « Et basta ! », aurait claqué Léo en écho. Et moi, c’est pompeux, mais ça me vient comme ça, j’ajoute in petto, tout de go : « ce genre de type fait honneur à la vie ».
10
Homme frais beau gars, le jus du mot, le verbe haut dans le gueuloir, toujours à l’affût, l’affreux jojo ! Et toujours en coin, la pointe ironique au clin de l’œil, le bleu regard du sale gamin, content de son coup, content de semer des pétards partout où il passe ! Tel esprit court sur pattes le jugerait "grande gueule". C’est un peu bref, jeune homme ! Je préfère voir en lui un insoumis, un battant, balançant l’énergie, proposant le partage, ouvrant la voix à d’autres et revendiquant haut et fort l’absolue nécessité de l’insolence. Allez, Yo, juste un message pour la route : ne te laisse pas embrumer par les imposteurs de tous poils, les embusqués, les renégats quinquas qui mènent le monde à sa perte. Ne lâche pas l’affaire, continue le taf, roule ta bille, roule ta bosse, bons vents, garçon ! On se donne rendez-vous pour dans trente ans, histoire de voir où on en est ? À ce moment-là, j’ai bien peur que tu sois "du pareil au soi-même" ! Idem. À tout à l’heure. Spleen l’Ancien
11
MENU Je suis
14
Équateur Rues et rumeurs Oaxaca Fromager S.I.D.A. 2 euros par jour Nous sommes Enfermé Gaza Des yeux
18
Mondes... 22 24 28 30 32 34 38 42 46
Chroniques urbaines Écoute mon tssst Écoute ce monde muet Écoute les murs parler !
50 52 56
Travail ! 60 64 68 70 74
Mes mains enchaînées Tromé-chant Tapi dans l’ombre Le travailleur se lève L’illuminé de la place Bolivar
Chroniques sociales 80 82 84 87
Gueule de bois La violence Et après Épitaphe
Comptoirs et confessions 90 92 96 102 106 110 114 118
Bébert La bouteille à la mer et des vagues à l'âme Popeye Que couic ! Ras la casquette ! Inivaginable Duo du O Oublier
Je suis
Je suis le sans. Le sans logis, sans papier, le sans nom, le sans droit, le sans nationalité. Je suis le sans terre, sans pognon, sans pays, je suis le sans frère, sans parents, amis sur qui compter. Je suis sans amour et sans haine, incandescent, je suis peut-être même aussi le sang qui coule dans vos veines. Je suis le punk qu’a pas oublié d’être moche, qui te taxe deux euros quand tu promènes tes mioches. Je suis le rastaquouère qui déjeune à la bière, qui, depuis dix ans, n’a pas vu son coiffeur… pour quoi faire ? Je suis l’alcoolo envinassé, la tronche violacée, marié à miss Andouillette du trou du cul du monde, qui vont nous pondre un immonde avorton, car je suis aussi la mascotte du Téléthon ! Je suis la prostipute qui traîne trottoir le soir, venue de Roumanie ou bien d’Afrique noire. Je viens refiler le sida à tous les honnêtes gens pendant que mon mac dîne avec les cols blancs… Je suis le teufeur qui cartonne le mix, qui cachetonne aux X, qui préfère la chaleur des usines désaffectées à la mercantile froideur des discothèques branchées. Je suis le toxicomane filiforme, à la mine diaphane, j’ai choisi l’héroïne du film de ma vie… Je rejette la bonne norme de mon bonhomme de père, j’affine ma ligne, j’alourdis ma bonne âme, jusqu’à l’impasse et… perds ! 14
Je suis le popeur qu’a la coupe à Du Guesclin, qui dit que le rock n’est pas mort, pas même en déclin ! J’ai payé cher ma coupe et mon look d’occase, pour faire un tube aux Carpates, une tournée dans le Caucase ! Je suis le mutant, l’homo-capitalus, l’homo-libéralus : je crois en la croissance mordicus, j’achète de l’argent, du pognon je revends, je suis celui qui pousse le monde à l’agonie. Je suis le Gavroche, qui danse la gavotte la crotte au cul, qui chipote pour un glaviot sur ses godasses en poil de carotte, ce mec, que tu brocardes sans cesse dans tes histoires de cocufiages et de fesses, qui porte ses cojones, son épiglotte en épinglette, aussi toqué que la cocarde sur la calotte du sans-culotte ! Je suis la faucheuse qui a coupé l’herbe sous le pied de cette toute jeune pousse qui venait juste d’éclore, mon pote Michaël Lemarcando, le fort, stoppé en crescendo par le grand maestro de la symphonie de la mort… Ni ange, ni démon, ni bouddha, je suis juste différent de toi, de toi, de toi, toi, … et toi. 15
Mondes...
J’ai fait l’Équateur, en Equateur j’ai tout fait, j’ai fait l’Équateur en long, en large, en traveller, j’ai fait l’Équateur aux quatre coins, à toute heure, j’ai fait l’Équateur en 4x4, en quad, en tracteur. L’Équateur et ses sierras peuplées de Quechuas empullés dans du typique lama, l’Équateur et ses côtes pas si fiques que ça, puisqu’y poussent cactus qui piquent ! L’Équateur et ses zones où sommeille Vulcain en personne, son Amazone, amputée de sa touffe multiséculaire et bientôt de ses eaux vives et si chères. Oui, j’ai fait l’Équateur, Quito, sa capitale, ses quartiers High-tech, Quito, ses discothèques aux cocktails Pisco-Teq’, aux disques décotés, aux banquettes crottées, aux catins décaties dégottées chez Cathy (merci Boby), ou bien chez Tati, voire même chez Mamie ! Avec elles, c’est Piscine/Hôtel, Hôtel/Piscine et pire, si hautaines… Mais ainsi pissent-elles !
18
Sperme et cyprine, en été comme en automne ! Avec les autochtones, je relève les compteurs et chantonne quand je fais l’Équateur, ça vous étonne ? Pas d’exploit, cette fois, dans le sexe à sept ou à trois, point d’Exocet, mais strict slip-chaussettes aux chiottes, et aux oubliettes mes vœux non exaucés… Que faire d’autre que squatter les waters exécrément quand t’es sans capotes en l’Équateur ? … Pas de piment… Donc, j’ai fait l’Équateur, comme un porc, obscène, mais j’ai fait l’Équateur et ses sports extrêmes : l’autocar, sur routes de montagnes hards, conduit par un tocard, un excité du manche, un frustré du falzar, un peu zarb’, fan de gymkhana, qu’a n’a ranafoutre de s’prendre un arbre… puisqu’y’en n’a pas ! Y’a que du vide en bas, et le vide ça fait quoi ? Ça me fait réfléchir sur son permis d’conduire pour une poignée d’dollars... J’ai fait l’Équateur, fort de mon euro-compte, et j’ai honte de ma condition de gringo ! Honte de ma combinaison Décathlon, oh, j’ai honte, mais à quoi bon ? Tout compte fait, je ne leur dois rien, rien d’autre que ces bananes que je dévore par milliers, ou que cette autre banane que j’arbore d’un air nié ! Tu ne leur dois rien non plus, rien de plus que ce cacao qui t’abreuve chaque matin, ce café chaud qui te donne cet entrain… 19
Nous ne leur devons rien, rien d’autre que cet or qui pare nos figures blêmes, des oreilles jusqu’aux dents et même jusqu’au blasphème ! L’Occident ne leur doit rien ! Rien de foutre-plus que ces hydrocarbures, qui donnent à nos villes impures vive et belle allure… Ah, le pétrole, parlons-en du pétrole ! La populace s’est bien levée pour le pétrole, mais si peu à Guayaquil, combien à Guacamole ? Toutes deux balayées, évacuées par une vulgaire chasse de bidasses ! Combien de révoltes ainsi écrasées Et combien d’indigènes encore traités comme des étrons ? Combien de murs ne pourra-t-on plus crader, souiller ? Combien de serrures trop rouillées, verrouillées, qu’on ne peut ouvrir avant de faire sauter pour de bon ? J’ai fait l’Équateur, en long, en large, en traveller, j’ai fait l’Équateur, aux quatre coins, à toute heure j’ai fait l’Équateur, en 4x4, en quad, en tracteur, j’ai fait l’Équateur mais, cette fois-ci, fini ! Finies les photos volées à l’arrachée au coin d’une ruelle cachée ! Finie aussi cette charité chrétienne, très chienne, au point d’une cruelle poignée de main évitée ou trop hâtée, pour que ne morde le mendiant ! Mais la pitié, ma pitié, ne serait-elle que la seule grandeur d’âme de mon petit cœur face à ces petites gens ?... J’ai fait l’Équateur, en Équateur j’ai tout fait, tout, sauf un tout petit rien… La seule chose que je n’ai visitée, c’est le peuple équatorien. 20
21
Rue et rumeurs -Caracas 2002-
La rue vit, la rue parle, la rue meurt, la rue écrit sur les murs ses humeurs, la rue crie ou murmure cette rumeur. Parfois, la rue prie, la rue se perd, la rue a peur, quand le peuple se rue sur les idées mortes de médias menteurs. Alors, les murs se heurtent aux bulldozers de la pensée et la rue se fracasse le crâne contre ces portes fermées. Elle se fait bélier pour avancer tête haute, ventre à terre ! Elle est Belzébuth pour ces autres, endimanchés cerbères, dandys dédaignant cette plèbe qui plaide non-coupable, dans d’endiablées farandoles, carmagnoles caraquègnes ! Saignent ces veines gonflées d’espoir ! Jusque dans les caniveaux, oubliettes de l’Histoire, elles arrosent d’une dignité vaine l’aube du Grand Soir, avec, pour unique soleil, un réverbère au zénith qui éclaire le chemin de ces libertophiles fanatiques ! Penseurs ou illuminés, ces éternels marcheurs se font allumer, dans un noir total, une nuit totalitaire. Ils périssent alors en leurs demeures, châteaux de carton, palais d’asphalte et de béton érigés à la sueur de leur sang, de leur front, à la puanteur rance de ceux de leur rang, partageant la même couche, le même suaire !
22
La rue a parlé, la rue a vécu, la rue a fait front. Aujourd’hui, vaincue, foudroyée, Demain, triomphante, relevant les affronts. La rue était prise mais la rue a péri, éprise de liberté ! La rue vit, la rue parle, la rue meurt, La rue crie ou murmure… cette rumeur. « La calle vive, la calle habla aquí calle muerte, aquá calle amor, la calle escribe en la pared su humor la calle siempre murmurarà este rumor : Puente llaguno, teatro del horror cuando llegó el rostro del odio el olor del azufre y del sufrimiento de un pueblo petrificado en estatua de plomo. La mano del imperio golpeando al pueblo en el puente Llaguno deviene cementerio este jueves muy negro Negro negrito este escenario suscio de un guion gringo muy conocido. Pero la vida no es un espectáculo y no necesitamos tal escenográfo ! Ahora, basta el temor ! En los ojos del pueblo desapareció el terror, Ahora, basta el terror ! En los ojos del pueblo desapareció el temor. Ahora calle vive, calle habla, calle muerte, calle amor, la calle siempre murmurarà este rumor ! » 23
Et pendant ce temps-là, à Oaxaca, Mexico, ça se révolte ! Ça s’organise, ça crée, ça résiste, ça sème et ça récolte, ça aime, ça collectivise, ça coercitive, ça lime les barreaux de la loi et ça insiste ! Ça nie le pouvoir corrompu, fraudeur, ça destitue le foutu gouverneur, ça se rassemble, se réunit en assemblées populaires à toute heure, car ça commande pour obéir… Ça occupe les casernes et, pire, ça émet des souhaits, utopies en ligne de mire ! Ça investit les radios privées qui n’émettent plus, ça change des radios qui n’émettaient plus... que de la réclame ! Ça réclame la justice sociale, ça y met les hommes, les femmes, ça boycotte les idées capitales, mais ça subit les exactions des cow-boys miliciens, alors, ça barricade le secteur, ça sécurise et ça tient ! Ça mémorise aussi, ça fait face à la crise, ça travaille dans l’état d’urgence, ça met certains anars en transe, ça fait aussi caqueter le Canard, ça maîtrise l’art du sans-gène, ça bout dans le sang, ça bouscule les gènes, ça se fait traîner dans la boue ! 24
O A X A C A
O A X A C A
Ça s’inspire des indigènes, ça inspire les indigents, ça respire la liberté, ça transpire la fraternité, ça transmet l’insoumission, ça s’oblige au partage et à la sage transmission de savoirs. À Oaxaca, Mexico, ça ne prétend pas être le centre de la Terre, mais ça n’est plus, non plus, le trou du cul du monde ! Ça mérite qu’on en parle, même dans le Monde… Ça n’est pas encore récupéré par les déchets de la politique, ça refuse les vieux partis illégitimes, les caciques, ça noue des relations intimes, c’est pas classique, ça vit, ça rote et ça pète, c’est pas classe non plus, c’est plutôt popu ! Ça se révolte, j’vous dis, et ça n’a pas fini de péter ! À Oaxaca, Mexico, ça se rencontre, ça n’est pas toujours que « contre », ça s’affirme aussi « pour », pour ça et pour ça, mais surtout pour tout et partout, pour toi, pour moi, pour nous, pour tous et toutes et en tout lieu, au lieu de rien ! Et, si ça peut, ça demandera même encore mieux ! Mieux, ça demande pas : ça prend ! Qu’est ce que c’est mal élevé ! 25
Ça prend dans la gueule et pis dans les flancs, ça m’prend aux tripes, ça m’pique aux yeux, ça m’rend heureux, ça nique les euro-dieux, les odieux, tous les dieux, ça compte ni jusqu’à deux, ni jusqu’à mille, ça compte pas, j’vous dis, ça multiplie ! C’est pour aujourd’hui et jusqu’à l’an 3000, ça fait pas de pli, juste une grande plaie ! C’est comme un cœur ouvert en plein été, ça s’illumine de soleil, ça inonde de gaieté, ça dégouline d’amour de la vie, ça joue pas les enfants gâtés, ça donne juste son avis, ça va pas s’arrêter demain, c’est promis ! À Oaxaca, Mexico, ça montre un exemple parmi tant d’autres : ça dit que, si ce monde est le leur, c’est aussi le nôtre. Ça suppose qu’il n’y a plus de leurre, ça « dring-dring », ça réveille, ça sonne l’heure… Il est grand temps ! Ça nous attend, moi j’vois qu’ça ! Y’a plus qu’à ! Ça… ça… ça… TOUS À OAXACA !!!
26
27
Hé, toi, monsieur le from’âgé, where do you come from ? Ne t’ai-je pas déjà croisé, au fin fond de la forêt casassaise, dans la savane arborée sénégalaise ? N’es-tu pas toujours le même, ici, au Venezuela ? Est-ce bien toi, qui, d’un continent à l’autre, domine si majestueusement les hôtes de tes bois ? Certains donnent des chiffres, ils t’analysent comme hors norme, là où je ne te vois que sous tes plus belles formes : monstre d’écorce aux pieds de pachyderme, fait de bois, de sève, sous un rugueux épiderme… Tes bras levés et tes multiples mains vertes chatouillent le ciel, portent les gris nuages. Ton puissant corps est une imposante porte ouverte… Invitation au voyage ! Les lianes te draguent, t’enlacent, sans jamais pouvoir atteindre ta cime. Devant toi, les arbustes s’effacent, nul ne s’offusque, les plus perfides te transpercent, sans jamais te blesser, toi ô maxime !
28
Tu portes en ton sein toutes les pirogues indigènes, les remèdes aux fièvres de ces contrées lointaines. Tu abrites plus d’oiseaux que tous les zoos, tu nourris plus d’insectes que tous les humains, tu accueilles plus de plantes que tous les jardins, tu captes plus d’eau que tous les puisards et plus de soleil que ma fragile peau. Tu as plus de grain, de traits, de couleurs, que toutes les œuvres d’art, tu as plus de saveurs, d’odeurs, que toutes les cuisines de la Terre et plus de formes que toutes les mères. Comme elles, tu protèges les tiens sous ton aile de verdure, tu résistes aux vents, aux tempêtes les plus dures. Seules, les tronçonneuses des bûcherons auront raison de toi quand elles te détruiront, en chantant, en dansant, en te regardant t’écrouler, n’attendant plus que le ciel leur tombe dessus la tête. Là, tu pourras pleurer toutes les larmes de ton corps, tu pourras pleurer toute cette eau si longtemps retenue, sans effort… Tu pourras pleurer, il n’y aura personne pour te regarder, il n’y aura plus personne pour t’admirer... fromager.
29
Certains y voient la Solution Idéale à la Débauche Anale, à la Surpopulation Inquiétante Des Africains. Moi, j’y vois ce Spectre Immonde Décimant les Affamés, j’y vois un Serpent Insidieux Décourageant les Amoureux et Sanctionnant l’Individu Dissipé ou Averti. Si l’Immunité Dépendait de l’Amour Serions Imparablement et Dûment Affranchis du S.I.D.A ! Mais le Silence Induit la Détresse des Âmes, Suffisamment Informés, Déjà Affirmons la Scandaleuse Indifférence de Dirigeants Arrogants, la Suffisante Inhumanité de Décideurs Assassins qui Succomberont Incontournablement Devant l’Activisme Salvateur d’Insurgés, Demandant aux Autorités la Sauvegarde Inconditionnelle du Droit d’Asile, la Suppression Immédiate de la Dette Accumulée, ces Satanés et Injustes Dividendes Amassés ! Mais, Seule l’Indifférence Dégomme l’Afrique, Seule l’Indifférence Détruit l’Afrique ! Suivent Illusion, Désespoir, Anomie… Seule l’Indifférence Dégomme l’Afrique, Seule l’Indifférence Détruit l’Afrique ! Sahéliens, Immigrés, Dakarois, Arabes, 30
S I D A
S I D A
Seule l’Indifférence Dégomme l’Afrique, Seule l’Indifférence Détruit l’Afrique ! Seul le fric donne ce goût rance à la santé, à l’espérance. Mais une décade de décadence n’empêchera pas de danser ce continent qui penche du mauvais côté, acculé par ces empaffés de la Banque Mondiale qui s’entêtent à l’endetter ! C’est un crime, mais c’est ainsi : l’État tique à faire bosser les toubibs, bonne tactique pour faire rappliquer les toubabs ! Tant bien que mal, les campagnes se vident, réalité sordide... Le patient se prend un vent et la santé un bide ! Alors, on accuse le mauvais sort et les fausses idées fusent, se figent. Moi, je fustige labos et consorts ! Oui, je crie fort pour que tu piges que t’es pas encore mort ! Alors, lève-toi contre cette hécatombe ! Lève-toi, ton ignorance creuse ta tombe ! La connaissance est une bombe qu’on pose entre tes mains... Elle explosera à la face du virus avant demain, Elle, qui, d’Afrique en Asie, joue avec nos vies comme à la roulette russe. Attends, c’est pas fini ! Je clame les capotes gratos pour tous mes potos, et je réclame l’accès aux médocs pour tous avant qu’on clamse ! 31
Connaissez-vous l’histoire de Jean Négro ? Jean Négro est sombre, Jean Négro se dit ceci : « Mon passé est très triste, mon présent est tout aussi tragique, mais, heureusement, je n’ai pas d’avenir. » Deux euros par jour, c’est le seuil de pauvreté, deux euros par jour, c’est aussi le seuil de dignité que Jean Négro n’atteindra peut-être jamais. Deux euros par jour, c’est le prix de la corde qui le pendra haut et court ! Deux euros par jour, c’est un millième des frais de bouche d’un président et de sa cour… Deux euros par jour, et le Sud crève par manque de petits fours ! Deux euros par jour, et les squats crament de Paname à Strasbourg... Je mets ma plume dans la plaie, des mots à ma haine ! Dégomme-moi si ça te plaît, remercie-moi si ça saigne, quand je mets ma plume dans la plaie, des mots à ma hargne, dégomme-moi si ça te plaît, remercie-moi si ça chagne ! Et ça saigne... Hémorragie humaine ! Et la mort agit jusque dans les veines d’un Sud qui se vide de ses forces vives et actives. 32
Donc, j’en place une pour tous ces passeurs de frontières, oui, une pensée pour mes frères, tombés aujourd’hui, tombés hier sur le champ, sur ce front, frappés en plein cœur d’une quête de liberté sans rivage. Pour eux, l’espoir a fait naufrage à peine débarqués en France, terre d’écueil… « France, Terre d’Écueil » ! Pour ce clandé, clando, ce clandestin du clan des trabendos, tantôt mené en bateau, tantôt malmené en avion : menotté, ligoté, il voit son destin chavirer, sitôt échoué, sitôt écroué ! Ainsi s’écroule l’espérance quand on le renvoie à d’autres errances... Alors, beau voyage pour un peu plus de deux euros par jour ? Deux euros par jour, c’est le prix de la corde qui le pendra haut et court ! Deux euros par jour, c’est un millième des frais de bouche d’un président et de sa cour… Deux euros par jour, et le sud crève par manque de petits fours ! Deux euros par jour, et les squats crament de Paname à Strasbourg... Deux euros par jour, pour bouffer, pour se loger… Et qui nous parle d’amour, avec deux euros par jour ? 33
N
ous
sommes
Nous sommes les fils du soleil et du vent, les enfants de la terre, ces marcheurs aux pieds nus, pauvres, fiers, dignes voyageurs... Pour tout bagage, nous portons nos cœurs emplis de mille souvenirs, mille paysages … Sans visa, sans visages, nous sommes les sans-papiers, les sans-patrie, les sans-parti. Ici-bas, la liberté n’a pas de prix. Nous sommes l’oiseau qui s’envole dans le ciel, ce rossignol qui chante au blair et à la barbe de votre sournoise garde. Nous sommes ces fils de rien que vous traitez comme des chiens. Évadés de vos cages, nous venons gratter au pied du mur de votre monde-prison sous haute surveillance. Nous sommes le feu, la flamme qui crame tous vos papiers d’identité, notre sourire pour seul passeport ! Notre regard illuminé ressuscite les morts tombés à l’assaut de vos citadelles dorées.
34
Vous ! Ôtez ces cadavres de votre bouche avant de l’ouvrir ! Votre parole est mortifère ! Vos villes sont des cimetières climatisés vos crocs sont acérés, vos sourires carnassiers ! Nous sommes une entrave à votre liberté d’exploiter. D’ailleurs, vous n’entravez que dalle à nos actes de désespoir ! Nous sommes ces bêtes blessées qui se bouffent la patte pour s’extraire du piège qui les retient prisonnières. Nous sommes le soleil qui se lève ce soir, nous sommes rouges, nous sommes jaunes, nous sommes noirs ! Nous sommes métèques et mats, ceux que vous ne voulez pas voir, pas connaître, pas regarder en face. Dindons de votre farce, nous sommes aussi l’esclave qui vient libérer le maître. Libres comme l’air, comme le vent, nous soufflons à des milliers de kilomètres un pollen, une mauvaise graine qui sèmera la vie jusque dans les cœurs les plus arides, jusque dans le désert de vos nuits républiqu’haines ! Vivre ! Nous voulons vivre ! Et vous cadenassez nos corps ! Mais nos idées vibrent et sont plus dangereuses encore ! 35
Nous sommes l’eau qui coule, l’eau qui pleut, qui pleure, qui s’évapore. Nous transpirons la liberté pas tous vos ports ! Nous sommes la marée qui monte plus vite que votre ton sécuritaire, l’inondation, la déferlante humaine qui vient métisser votre pureté caucasienne. Nous sommes tous ces arbres qui ont les mêmes racines, la même sève, les mêmes rêves dans la même nuit éternelle… Nous sommes les fils du soleil et du vent, les enfants de la terre, ces marcheurs aux pieds nus, pauvres, fiers, dignes voyageurs... Pour tout bagage, nous portons nos cœurs emplis de mille souvenirs, mille paysages … Sans visa, sans visages, nous sommes les sans-papiers, les sans-patrie, les sans-parti. Ici-bas, la liberté n’a pas de prix.
36
37
Enfermé
Ils m’ont battu et enfermé, ont mis des fers à mes poignets. Aujourd’hui, mon avenir est dans mon dos, mon présent derrière ces barreaux. Neuf mètres carré, c’est pas assez, c’est juste plus grand qu’un tombeau. Neuf mètres carré, c’est juste ce qu’il faut pour péter les plombs dans ce cachot.
On m’a dit : « ici, t’en verras de toutes les couleurs ! » Ici, y’a surtout des hommes noircis par la vie au fond du trou, y’a surtout des hommes cassés par la survie dans un placard, ici, y’a surtout des pauvres, des sans-le-sou, des pas-beaux, des tricards ! Prends place parmi les surineurs de viocs, les violeurs d’enfants, les bastonneurs de phoques, les trucideurs de mioches, les pauvres poches, les braqueurs de banque, les arnaqueurs, les vrais branques ! En taule, y’a aussi des hommes en or, qui ont loupé de peu le podium ou la médaille de bronze. Y’a ceux qui font dans la joaille et la bonne humeur, y’a de la racaille qu’aucun kärcher ne pourra dégager, des tueurs à gage, des fumeurs de hasch, des trafiquants de bagnole, des dealers de gnaule, des qu’ont des couilles sous le capot, des qui se la sont jouée Capone... 38
Y’a des langues de pute comme des hommes d’honneur, des gagne-petit, des hommes de main, des donneurs, ceux qui pensent aujourd’hui et pas demain. Ici, y’a de fichus assassins, des saints auréolés, des curés vérolés, des p’tites frappes, des frappés-dingues, des fous de la gachette, des qu’ont gâché leur vie en vendant de la galette, des qu’ont cracké d’un coup sec en tirant sur d’autres mecs, des cramés de la cervelle, des qu’on débusquera jamais dans cette maudite cachette ! Ici, y a tout un tas de bonshommes qui feraient mieux de pas y être : des voleurs de poule ou de pommes, des qui, pendant que j’vous cause, se pendent à leur fenêtre plutôt qu’à mes paroles… Derrière ces barreaux, y’a pas que des coupables. Y’a surtout des paumés, des perdants, des bien identifiables, des qui font tout à côté, des qui se font qu’attraper, des qui sont passés à côté de la chance ou rattrapés par leur passé... Y’a des mecs qu’ont pas tiré la bonne carte, le bon quartier, la bonne famille, des mecs en chien dans un jeu de quilles. Neuf mètres carré, c’est pas assez, vingt mètres cube, c’est bien trop peu, vingt mètres cube d’humidité, de promiscuité, vingt mètres cube d’intimité salie, vingt mètres cube saturés d’odeurs de bras ou de culs, d’odeurs de sueur, de testostérone, vingt mètres cube saturés de femmes, saturés d’hommes… 39
Malgré cette humidité, les cœurs se dessèchent, se referment. La part d’humanité s’enfouit au fond de chaque être, fermé comme une porte blindée, serré comme l’étau de la justice. Ici, le temps est suspendu à ta peine, bloqué au compteur pénal. Ici, une petite heure fait mal, beaucoup plus mal qu’en liberté. Et chaque soleil qui se couche se fait de plomb, tombe comme un couperet, une lame de guillotine sur les rêves de liberté… Et chaque soleil qui se lève voit naître, puis disparaître l’espoir du cœur de l’Homme… Et chaque soleil qui se lève fait la lumière sur l’impasse de chacune de ces vies amputées… Et chaque quidam enchristé n’est plus qu’un spectre dans la nuit, un spectateur de sa propre vie blanc-noir, le narrateur impuissant de sa propre histoire… Et chaque seconde écoulée est une seconde perdue, et chaque minute écroulée est une minute oubliée, et chaque heure passée, une heure à rattraper…
40
Chaque jour n’est plus qu’un trait sur un mur suintant, chaque instant aussi froid, aussi insaisissable qu’un vent d’hiver, est à mettre au rang des regrets, des souvenirs d’hier en avant-hier… M’accrocher à la vie, à ce qu’il m’en reste, mais m’accrocher absolument, inexorablement... Purger ma peine, sans trêve, purger ma vie d’un sommeil sans rêve. Ils m’ont battu et enfermé, ont mis des fers à mes poignets. Ils m’ont battu, bâillonné, bastonné, mais jamais je ne la fermerai.
41
G aza À Gaza ça canarde, Hamas clashe à la Kalash, Tsahal frappe, massacre, chars à la charge. Hamas ? Fatah ? Ahmadnadjad ? À bas l’amalgame ! À bas l’ sarcasme ! Basta ! … Car à Gaza ça canarde, Hamas clashe à la Kalash, Tsahal frappe, massacre, chars à la charge. Habbas alpague Paname, Naples, Prague : nada ! À Paname, vague alarme : ça parle, ça blablate, ça jacte, ça jacasse. À Paname : marbre, agapes, strass, tralala ! Ça vanne, ça s’ pavane. Ça m’ gave ! À Gaza, ça canarde, Hamas clashe à la Kalash, Tsahal s’acharne, chacals, rapaces à la charge, Tsahal charcle à la barbare, arrache bras, crânes ! À Rabah, à Dar Salaam, à Dakar, ça acclame Allah. À Java, Jakarta, à Bagdad, à Damas, ça acclame Allah. Allah ramassera la casbah ? Là-bas, ça acclame Barack ‘Bama, l’black, « Barack à la barre »... la barbe ! Blague à part, à Gaza, ça canarde, Hamas clashe à la Kalash, Tsahal frappe, massacre, chars à la charge ! 42
À Shabbat, ça s’aggrave : achat d’armes à Matra… Gare à l’abattage : vaste cabale, âpre cavalcade, fatale attaque, face à face pas classe, ball-trap crade, cache-cache trash, « Ramasse ta barbaque, l’arabe ! » Ammar s’calme, avale sa hargne, amasse sa rage… Sa femme, Anna, a mal. L’asthme. Pas d’Atarax ! À Gaza, pas d’bananes, pas d’patates, pas d’salades, pas d’dattes, pas d’calamars, pas d’barbe à papa, nada ! Ammar a la dalle ! Gaza s’affame, ça passe pas, ça cale, là ! À Gaza, pas d’cha-cha-cha, pas d’valse, pas d’salsa, pas d’bal trad’ à la harpe, pas d’La Callas, pas d’Kassav, nada ! Gaza s’trale, ça passe pas ça m’lasse, j’râle ! Blam ! Vacarme ! L’appart’ d’Ammar s’abat ! Ammar s’barre à la hâte, pas d’bagages, s'carapate à quatre pattes, flash ! Passe là… Zag ! 43
Cavale par là ! Ammar s’cache, trac à la rate… Ta-ta-ta-ta-ta-ta !!! (Rafale…) La balle frappe ! Ammar avale la lave, s’affale, canne là, à Gaza… Sa femme a l’ masque, larmes… Drame banal à Gaza. Gaza crame ! Tas d’ gravats, tas d’ cadavres ! Saccage, flammes, ramdam ! Ça passe pas, ça m’ gave grave !
44
Gaza c'est quoi, c'est qui, c'est où déjà ? De quoi Gaza est-il le nom ? Gaza n'existe pas. Gaza n'est qu'un point noir sur la face du monde que l'on tente de gommer, un pointillé, un trou noir. Gaza n'est qu'une cicatrice béante, criante, réclamant justice et liberté. Une cicatrice sur laquelle on crache avec cruauté. Gaza n'est qu'un crime contre l'Humanité, contre ces hommes, ces femmes que l'on tait, que l'on terre, que l'on tue ; ces hommes et ces femmes que l'on enterre, que l'on enferme, que l'on étouffe, que l'on tue.
Gaza n'existe plus ?
45
C’est en levant mon regard que j’aperçus ces yeux que je n’oublierai jamais. Des yeux qu’on n’oublie pas, des yeux qui lèvent un poing serré et déterminé, des yeux pas prêts à baisser les bras, des yeux qui se mouillent en voyant ces hommes et ces femmes qui marchent vers leur dignité, des yeux qui te fixent et te transpercent pour mieux voir l’avenir ensoleillé qu’il y a devant toi…
DES
Des yeux qui te regardent droit dans le cœur, des yeux prêts à tout et surtout au meilleur, des yeux fiers, des yeux forts, à creuser des carrières, à charrier les pierres de Sisyphe, des yeux qui saisissent cet instant décisif pour foncer vers la liberté, des yeux qui y croient dur comme fer, qui plaident coupables de fraternité, pris en flagrant délit de fraternité ! 46
Des yeux fous, des yeux heureux, des yeux qui brûlent de mille feux, de ceux qu’on éteint pas aux lacrymos, ni à coups de matraques, ni aux canons à eau ! Des yeux grands ouverts devant l’oppression et sa violence aveugle, sa répression trop ciblée, des yeux criblés du plomb de l’obstination, des yeux qui n’opinent plus du chef sans répit, qui clignent, qui roulent, qui matent, qui aiment, qui battent le pavé comme un cœur en sursis,
YEUX
les yeux de l’espérance, les yeux du futur, les yeux de la résistance ! Ses yeux...
47
ecoute mon Dans nos villes ternes et gerbogènes, sur leurs murs, fleurissent encore de ces graines de folie germées à la lumière d’une bombe de peinture. Cette vie qui jaillit d’un trait, d’un jet de couleur, craché sur le crépi sans se cacher, comme un sale slam lancé à la face d’un képi, salve salée déclamée à l’arrachée… Tout lâcher ! Comme un dernier souffle avant de canner, donner corps à ses rêves, se vider de sa sève, se battre à coups de pigments en pleine poire, aux chiottes, la gloire ! D’un geste ténu, féru de vérité, avec cette once de fierté de n’avoir rien d’autre à montrer que soi-même, juste faire ce que l’on aime… Rien à vendre ! Rien à foutre ! Rien d’autre dans le froc que ses idées, en outre, naître et renaître, c’est idem… Éternel acte éphémère au vaste effet blast : par cette œuvre, j’existe et j’existerai ! Écoute les murs parler ! Écoute mon tssst, quand mon gaz prend la fuite…
50
tssst
Lueur née de l’obscurité… Je sors nu comme un vers, ivre comme l’air. L’ingénu tombe des nues quand la nuit tombe le voile, ma toile est un nu et ta ville est à poil… Écoute mon tssst, quand mon gaz prend la fuite…
Si tu veux la suite, je ne masque pas les sous titres : on tirera les portraits des tyrans, des sous-fifres, on explosera trait pour trait pour les traîtres et traîtresses, surexposé de noir sur gris, dans ce dégradé de monde crado qui s’affaisse... On rendra les coups, on citera les noms, on nommera les cons, on frappera du sceau des fatcaps et poskas, jusqu’à l’ivresse, jusqu’à l’euphorie, on ira ! On étalera nos blazes sur cette palissade du « pas si sale » jusqu’au « moins maussade »… On arrive en trombe et nos heures s’écoulent comme des secondes. Écoute bien mon tssst, quand mon gaz prend la fuite ! 51
Écoute
ce monde
muet
Tous au pied du mur : clampins paumés comme des lapins en clapiers, lopettes lorgnant sur un lopin d’un demi-mètre carré, "accès à la propriété", promis-juré, promiscuité assurée, désaxés obsédés de la propreté, ils excellent, ils agissent en toute quiétude, en toute sécurité… Bienvenue au paradis des rêves perdus ! Bienvenue à tous les pue-la-sueur, tous les sue-la peur, cœurs en chaos, silhouettes de femmes affalées sur leurs fourneaux, lueurs d’espoir d’un monde partant en fumée, feux-follets, vraies illusions, farfadets fauchés noyés par la finance, amoureux fous fondant sous la mitraille, folles fêlées du fion au bocal, vieux croûtons rassis, racistes, croulant sous les victuailles, publicité omniprésente, offrandes au Dieu Biffeton, l’enfer de nos villes est pavé de bonnes sous tension. Ils marchent en cadence frénétique ! Société décadente, humanité brinquebalante, le cervelet farci de messages, gavé, occis, hourdé.
52
Ils cliquent tous en cadence frénétique ! et la Toile, comme un étau, se resserre sur nos tristes existences… Au rythme des cliquetis sécurit’ ils cliquent, ils cliquent sur My Fesse, look ! … À l’affût, guette Périclès ! Ils cliquent tous en cadence frénétique, et ils rient de se voir si bêtes dans ce miroir aux girouettes ! Narcissique ironie, l’Œil était dans la Toile et regardait, scrutait, étudiait… Il compte les humains qui entrent dans la ronde planétaire de la servitude volontaire… Et qui donc pour la prochaine Fronde ? Et qui donc pour la prochaine Fronde ? Tous ces damnés, tous ces paumés du monde moderne, regarde-les purger leur triste existence ! Regarde-les dormir d’un sommeil sans rêve, sans réveil ni lendemain, et regarde-les reprendre vie sur ces murs, écoute-les, entends-les... Écoute les murs parler. En attendant le jour où nos murs se tairont, avant que l’Homme humain se meure, avant qu’on cesse de penser, de gueuler fort et haut en coulures, de coller, de colorer, de dépeindre, décrier, dénoncer, dessiner... Juste avant qu’on se calte avant qu’on cesse de dépraver l’asphalte, avant que la brique rouge ne brille plus que de sa trop propre honte... 53
Avant que le béton baille d’ennui, avant qu’on s’arrête de brailler nos vérités fécondes, que le crépi cesse de crépiter sous les flammes de cet incendie pict’oral... Avant que la peinture ou le poska sèchent... Avant que les marteleurs-piqueurs nous la bouclent dans leur boucan infernal, que les bétonneurs de chez Bouygues bouinent leurs taules de Babel pour racaille embryonnaire, avant d’être étouffés par les coulées de ciment, dans l’irruption quotidienne et l’hyperactivité du volcan, écoute donc le tsssst de la bombe qui rompt le silence de la nuit ! Ce fend-la-mort, qui redonne vie à la ville endormie, nous tire du cauchemar sous l’œil avide de caméras à peine cachées.
« Liberté surveillée » Juste un p’tit sursaut avant la fin de sursis ! 54
55
'Ecoute les
murs parler Quand les pavés encore fumant se sont tus, écoute les murs parler ! Quand la jeunesse a désespérément déserté la rue, écoute les murs parler ! Quand l’ordre établi m’impose sa violence quotidienne, écoute les murs parler ! Quand tous les ministères en veulent à mon ADN, écoute les murs parler ! Quand les fils de pub me vendent la femme au kilo sans culottes, écoute les murs parler ! Quand les tsars d’Occident me traquent jusque dans mes chiottes, écoute les murs parler ! Sur ces murs, je lis les murmures de la ville, sur ces murs : mon sang, mes larmes, ma bile, sur ces murs : mes couleurs, mes douleurs, mes aigreurs, sur ces murs, meurt notre monde à fleur de peur…
56
Sur ces murs : 10.000 ans d’histoire pict’orale, sur ces murs, l’Indien du Chiapas se masque, sur ces murs : tous les prisonniers politiques, sur ces murs : los piqueteros de Buenos Aires… Sur ces murs : les sans-toit, les sans-voix, les sans-droit, sur ces murs : les sans-face, les sans-faffes, les sans-blaze, sur ces murs, y a toi, y a moi, y a nous, y a tous ceux qui sont pas encore à genoux, sur ces murs, y a toi, y a moi, y a nous, y a tous ceux qui sont pas encore à genoux ! Écoute les murs parler, écoute la terre trembler, écoute le vent gronder, la cité craquer, les murs se fissurer, l’empire s’écrouler, la tête des tyrans rouler jusqu’au pied des prisons qu’ils ont érigées ! Les cages sont ouvertes ! Écoute les murs crier !
57
Mes mains enchainées Mes mains, j’les aime, c’est les miennes, j’en ai fait des trucs avec, des trucs bien, même. Mais maintenant c’est fini, elles sont plus bonnes à rien et j’crois qu’moi aussi j’suis plus bon à rien. J’ai toujours été habile pourtant, toujours aimé bricoler, depuis que je suis tout petit. Ces mains, elles ont fait la fierté de mes parents, passque je savais tout réparer à la maison. Dès qu’y avait un vélo en panne, une mob’, puis une auto, mes mains étaient toujours présentes pour nous dépanner. Un problème électrique ou de plomberie, idem : mes deux pognes étaient là ! J’avais même commencé à travailler un peu le bois et, d’après mon entourage, j’avais un certain talent. J’aurai p’têtre pu taffer dans l’artisanat, mais voilà, on choisit pas toujours son orientation. Mais quand on est fils de prolo, c’est plutôt les voies de garages, les stages parking qui s’offrent à vous. Moi, j’suis devenu ajusteur dans l’industrie automobile. Pendant un temps, ça a fait plaisir à mes vieux, quand ils racontaient à la voisine que j’étais rentré chez Peugeot, à la chaîne. Mais voilà, après cinq ans de chaîne, j’suis plus bon à rien. La chaîne, elle m’a tué, elle me hante encore… La chaîne, c’était ça : pendant 10 heures de la journée, je pense plus, je serre, je tourne, et pis j’recommence. J’existe plus, je serre, je tourne, mon cœur bat plus, il se serre, il tourne.
60
Alors, j’attends désespérément la pause clope pour souffler un peu… mais la clope, j’peux pas la rouler, j’la serre, j’la tourne ! Faut que les copains ils m’aident à m’la foutre au bec. Alors, ils se marrent, ils me chambrent forcément. Y a Lucien qui peut plus plier le coude, y a Ali qu’a le dos en compote et y a Nico qu’a les oreilles explosées… C’est mon équipe de bras cassés. Le temps qu’on échange deux mots, deux sourires, il faut déjà retourner au turbin. C’est déjà la sonnerie, la maudite sonnerie qui retentit, notre glas à tous qui sonne huit fois par jour, cinq jours par semaine et quarante-sept semaines par an pendant cinq ans... Et puis, faut faire fissa, car quand les muscles et les tendons se refroidissent, c’est pire, tu douilles encore plus ! Alors, pour le travail comme pour la douleur, tu penses plus. Tu agis, tu t’agites, tu t’oublies, t’es plus qu’un tas de nerfs et un tas de réflexes, tu serres, tu tournes, tu serres, tu tournes, t’essaies de plus penser à rien, de plus rien ressentir, tu serres, tu tournes... tu serres, tu tournes... Le soir, quand je rentrais chez moi, mes pognes continuaient de bosser seules, elles continuaient, de serrer, de tourner. J’les sentais plus, tellement elles me faisaient mal. Alors, des fois, j’essayais les bains d’eau tiède, c’était toujours mieux que de se shooter aux cachetons qui me trouaient le bidon. Et quand venait le moment de toucher ma p’tite femme, ma Mathilde, eh ben j’pouvais pas, passque j’avais trop mal aux mains. Alors, j’essayais de parler, mais j’pouvais pas non plus, passque quand t’as passé dix heures crispé sur ta machine à ne pas pouvoir causer, quand t’es frustré de tout ce que t’as pas pu dire dans la journée, ben, tu peux plus parler, les mots se bousculent, se confondent, s’entrechoquent avant de sortir et puis, au final, y a rien qui sort, alors tu t’énerves et tu pleures. C’était une chose dont j’étais encore capable ça : pleurer. Et puis, pour ça, j’avais pas besoin de mes paluches, ou juste 61
pour m’essuyer, mais là c’était ma chérie qui s’en chargeait. J’aimais quand elle me séchait mes grosses larmes de gueule cassée par la chaîne. C’est elle qui greffait ses mains douces et agiles au bout de mes bras, qui remplaçait mes mains enchaînées à jamais. C’est elle qui soufflait mes douleurs et qui soulageait mes paluches de travailleur manuel. La chaîne, c’était quéq’ chose tout de même, non ? Tu parles d’une torture ! J’étais même plus capable de caresser ma femme, de changer la couche du petit, de changer une ampoule dans la maison, d’écrire. J’pouvais même plus écrire, moi qu’aimais tant ça, avec ma si belle écriture qu’à l’école, c’était la maîtresse qui me demandait d’écrire au tableau à sa place, parce qu’elle aimait comment je m’appliquais, comment je faisais mes lettres, bien délicatement, surtout les majuscules : les M, les A, les I, les N... Et maintenant, me v’là même plus foutu de signer de mon nom ! Même quand je dors, elles continuent à trimer, mes mains ! Elles serrent, elles tournent… Cinq ans de cette vie, enchaîné, asservi… Cinq ans de cette vie à servir qui au juste, quels intérêts exactement ? La boîte, le patron, les clients ? En tout cas me v’là réduit à peau de zob, inapte, invalide, infirme, même pas capable de rapporter de quoi bouffer à la maison ! Alors, on a commencé à me parler de recyclage, de réorientation, d’adaptation. Croyez-vous qu’ils m’auraient collé une promotion pour bons et loyaux sévices ? Que dalle ! Ou alors, qu’ils m’auraient dit : « Au placard, Forestier ! Inutile ! Rentrez chez vous ! » Si seulement ç’avait été ça, ç’aurait été trop beau. Mais non, on m’a proposé d’aller sur une autre chaîne, avec les vieux, une moins rapide mais tout aussi douloureuse. On me demandait de faire un geste dont j’étais bien incapable, j’avais trop mal, j’pouvais pas, j’vous jure ! J’ai bien vu le médecin du travail, mais il voulait pas plus en savoir que l’autre con-tremaître ! 62
Alors, j’ai commencé à plus trop y aller, à déserter, à déprimer, à boire aussi … Et puis, ça a été l’escalade : ils m’ont viré, et puis c’est ma femme qui m’a viré. Aujourd’hui, me v’là là, seul avec mes pognes, mes deux pognes que j’peux plus voir en peinture, que j’aimerais bien me couper parfois ! Mes grosses et moches pognes qui m’font tant souffrir, et qui peinent même à porter la bouteille à mes lèvres…
63
Trome-chant Paris, 6 octobre 2006 - métro place Clichy - 6 heures du matin
Vas-y ! Va bosser, va bosser ! Et marche moi d’ssus tant que tu y es ! Va bosser, et te retourne pas surtout ! Va bosser, la France t’attend ! Va bosser puisque le bal des mange-boules va commencer ! Va donc sucer la bite du Grand Capital ! À quelle heure tu t’es levé ? Ben moi, j’suis pas couché ! Tiens, toi, viens toucher ma bosse ! Ça porte pas bonheur, c’est la bosse du glandeur, ça môssieur, qui grossit de jour en jour et de nuit en ennui, telle une boule de pus qui enfle, qui prolifère sur le paletot des honnêtes gens, sur votre bon dos, m’ssieurs-dames, à votre bon cœur m’ssieurs-dames ! Cette verrue, cette vérole qui pullule, sur la face pourtant bien maquillée d’une société purulente à souhait et puant la peur, l’hypocrisie, la condescendance, la liquide sénescence ! Si j’te hais ? Mais j’te pisse à la raie, moi et à chaque arrêt ! De Réaumur à République ! Va bosser pour payer tes impôts, renflouer les caisses de l’État, ta mère patrie, ta mère patronne et ton paternel, ton pater national libéral et nationaliste ! Va bosser et creuser encore tes cernes que tu feras renflouer à leur tour de silicone ! Va alourdir tes valoches que tu te feras lipo-sucer en même temps que de te faire tirer les peaux !
64
Quoi, tu fatigues ? Tu plies ? Mais t’en chies pas assez ! Courbe encore l’échine pendant que je te conchie ! Démènetoi pendant qu’on te malmène, et passe ton chemin pendant que moi je me déchire avec tout ce qui passe ! Et alors, tu voudrais que j’y crois, moi, en cette pouffiasse qu’on appelle la vie, en cette traînée qui m’a mis au monde ? Et tu voudrais que j’espère, quand mes congénères sont déjà tous plombés, condamnés six pieds sous terre, à peine sortis de l’entrejambe de leur génitriste ? Et tu voudrais que j’ignore qu’on ne me considère même pas comme un moins que rien, même pas comme de la merde ? Parce que la crotte, elle, on la regarde, on la sent, on l’évite bien habilement, la crotte ! Moi, j’suis tout juste un mégot sous ta godasse, qui colle, tout dégueulasse, là où t’oseras jamais aller foutre ton gros blaire ! Certains de mes potes, de mes semblables n’auront pas eu cette chance. Ils sont partis en fumée, la vie les aura consumés, à petit feu... Ah, ils se sont bien fait baiser ! Moi, fini d’me faire baiser la gueule ! Maintenant, j’me baise tout seul ! J’m’encule, j’me noie dans ma poisse et ma crasse ! J’m’enfonce, j’m’efface, j’me gomme, me désagrège, me désintègre, dans cette société qui prétend vouloir m’intégrer, me réinsérer ! Mon cul ouais, zobi ! Marianne, belle salope ! Idem ses trois frangines : Liberté, Égalité, Fraternité ! Et leur mère maquerelle : la bonne vieille Morale ! C’est dégueulasse ! Allez ! Va bosser... 65
J’veux plus laisser à personne le soin de me détruire. M’anéantir sera mon unique défi, mon hobby, mon plaisir, jusqu’à mes derniers jours, ma dernière heure, mon dernier soupir. De toute façon, j’suis déjà mort. J’suis déjà mort mais je dois encore souffrir jusqu’au moment de la délivrance, comme j’ai souffert toute ma vie de vos appellations fumeuses et puant la bien-pensance administrative : instable, incapable, assisté, surnuméraire, handicapé social, débile mental ! Va bosser pendant que je te crache ma haine à la gueule, va expier tes fautes et les miennes avec... Ah, t’as du boulot mec ! Va bosser, va bosser, va bosser… Ben quoi ? Qu’est-ce que tu crois ? Qu’est-ce tu crois quoi ? Que je voudrais pas avoir une utilité moi aussi, comme toi ? Qu’est-ce tu crois quoi ? Que j’ai jamais rien foutu de mes dix doigts ? Tiens, mate çui-là ! Qu’est-ce tu crois quoi ? Que je suis bon qu’à ramasser le jus des autres, passer la serpillière et récurer les chiottes ? Que je suis pas cap’ de serrer, tourner, fraiser, poncer, murer, maçonner, piler, empiler, empailler, empaqueter, pionner, pilonner, surveiller même ? Qu’est-ce que tu crois quoi ? Que j’sais pas asticoter, m’asticoter, massicoter, emmancher, plancher… et pis calancher ? Qu’est-ce que tu crois quoi ? Pas capable de bosser, bouiner, boulonner, buriner, bricoler, besogner, businesser ? Qu’est-ce tu crois quoi ? Que je suis pas cap’de produire, faire du fric, remplir ma tirelire, rouler et faire pleurer les billets, piller les caisses, encaisser les liasses, placer, faire fructifier, spéculer ? Qu’est-ce tu crois quoi ? Que j’peux pas manœuvrer ? Que j’veux pas œuvrer ? Qu’est-ce tu crois quoi ? Qu’est-ce tu crois quoi ? ! Que j’voudrais pas bosser moi aussi un p’tit peu… rien qu’un p’tit peu... pour faire mine d’exister… 66
Allez, va bosser... 67
La nuit tombe. Le froid s’abat sur moi comme une lame affûtée qui me transperce de part en part ; un de ces froids qui te chope par la nuque et te saisit jusqu’aux os. La ville revêt son manteau de lumière artificielle, étincelante de pacotille, comme une catin travestie par le Marché. Cette grande dame perd son âme de jour en nuit et, avec elle, les zombies, ces êtres de moins en moins humains, accrochés à leurs portables, connectés au monde entier, qui se croisent sans se voir, m’écrasent sans même m’apercevoir. À peine peuvent-ils me sentir dans la promiscuité de nos enclos, dans un tramway, un bus, un métro à l’atmosphère saturée d’odeurs de parfums, dans la chaleur et les vapeurs d’aisselles et d’urines. Cœurs et corps sous pression, travailleurs sous cachetons, citoyens sous perfusion, voici messieurs-dames, la race humaine en voie d’extinction ! Moi je suis là, tapi dans l’ombre. Je suis celui qu’on ne voit pas, qu’on n’entend plus. Je suis ce sans abri, ce mal logé qu’a fait un carton au dernier salon de l’habitat. Je suis ce figurant sans qui il n’y a pas de premier rôle, je suis amputé de parole, et pourtant objet de débat, de tous les débats !
68
On m’a tellement appris à la fermer, à tendre la main, à accepter, à courber l’échine, à subir, que j’suis même plus capable d’agir et penser par moi-même. Je suis confiné dans mon rôle d’assisté, culpabilisé par dessus le marché… Je suis celui qui porte la faute du Péché Capital ! Et cette société qui a fait de moi ce que je suis devenu, c’est à dire, rien, cette société n’a même plus le courage, la franchise de me reconnaître. Elle voudrait me cacher, me repousser aux portes de la Cité, m’excentrer, m’expatrier d’un trop propre centre ville dans lequel je n’ai plus droit de cité ! Alors, on ne m’aborde plus qu’à distance et de façon spectaculaire, à travers les écrans plasma et en plein hiver. Je ne suis plus qu’un titre de journal, au mieux un chapitre. Voilà ce que je suis : un fait d’hiver, rien de plus. Nous sommes pourtant nombreux ici bas, et nous pouvons toujours gueuler, personne ne nous entendra ! Personne ! Nous sommes une masse invisible comme le vent, invisible jusqu’au jour où le vent tournera... Nous sommes cette multitude qui fait partie du décor, planté là au pied de ce mur délavé, cramoisi, morne, mort. Mort… Jusqu’au jour où la couleur nous ramène à la vie.
69
Le travailleur se lève Aujourd’hui, le jour se lève et moi aussi. Aujourd’hui je décide de regarder le soleil en face, mais le vrai soleil… Pas celui qui m’éblouit et qui m’assomme, pas celui qui ne me laisse entrevoir que l’ombre de moi-même, courbé et fourbu comme une bête de somme, l’ombre de la vie, l’ombre du bonheur… Aujourd’hui, je ne veux plus voir la sale gueule du travail. Aujourd’hui, je ne me plongerai pas dans la masse de taf, je ne me noierai pas dans la crasse et la poisse. Aujourd’hui, je ne ferai pas un pas de plus, pas une passe de plus, c’est décidé, je me casse ! Aujourd’hui, je construis un nouveau jour, un nouveau soleil, un nouveau printemps, un nouvel avenir. Aujourd’hui, je construis un autre futur que je conjugue au présent, ici et maintenant. Je le conjugue au présent et au pluriel par dessus le marché, par delà le Marché !
70
Fini de marcher, de ramper ! Fini les « une-deux », les « rompez ! » Aujourd’hui, je me lève pour de bon et je cours ! Aujourd’hui, je ne marche plus seul dans l’obscurité, mais je cours, avec vous, en plein jour, je cours vers la liberté ! Je ne suis plus l’éternel perdant, l’éternel cocu ! Aujourd’hui, je change les règles du jeu, Mieux, je change le jeu lui-même ! Et je joue et je jouis et je ris ! Aujourd’hui, je casse la gueule au travail, je le regarde bien en face et je lui fais la peau. Puis, je l’enterre bien profond avec cette civilisation du profit et de l’abrutissement ! Je les ensevelis avec les spectres de la peur et de la répression… 71
Je les recouvre de la terre fertile de nos idéaux, de nos utopies, et je danse, je danse sur leurs têtes, je danse dans l’euphorie de la liberté retrouvée, je danse jusqu’à la transe, je danse jusqu’à ce qu’apparaisse ce nouveau soleil, ce nouveau jour, ce nouveau printemps, ce nouvel avenir ! Je danse ! Je danse ! Je danse ! Et je ris car aujourd’hui, enfin, je vis !
72
73
. ' . L'illumine de la b . place bolivar Quand la nuit tombe, il refait surface comme un moustique, il sort de l'ombre et de ses brumes éthyliques, après une longue journée passée sur cette place, caché dans les arbustes, couché dans les pareterres, son buste dégueulant sur l'artère maracayère. Il porte pour unique tunique son fichu tissu, feuille de vigne, voici le portrait de cette statue encore vivante, déjà sénile, vouée à la postérité, postérieur à l'air les nuits de pleine lune, ce trophée peu commun à la stature de cette ville peu commune. Son activité principale : boire puis cuver son cocouy à qui mieux mieux, boisson de ses ancêtres, il est aussi son seul lien avec eux. 3000 ans de distillation fine, pour cette racine des dieux et 3 verres de cette décoction suffisent à lui fermer les yeux sur la jungle urbaine dans laquelle il chemine avec peine. Il s'envole alors par dessus les plus hauts monts andins, avant de redescendre s'écraser sur le béton citadin. Une dernière ballade onirique, un dernier ballet, un rêve-réminiscence peuplé d'animaux, de fleurs et de forêts, renaissance d'un être déculturé déraciné à souhait, il est cette plante rempotée dans un jardin étranger. 74
Il guette les flashs avant de quêter les flushs, quelques bolos pour grailler un morceau de pollo. Il est ce pouilleux qu'on ne regarde pas dans les yeux, de peur d'y voir sa propre misère, future ou passée cette extrême pauvreté tant redoutée. Dans ces yeux éteints, pourtant on ne décèle rien, pas la moindre étincelle, même en cherchant bien, on n'y entrevoit rien d'autre que l'absence criante, éblouissante, aveuglante, d'une moindre lueur d'espoir. Alors quand arrive le soir, quand le jour et sa faune s'absentent, il grimpe aux lampadaires couleur absinthe, il s'agrippe aux murs et il se sert, il chourave les ampoules qui brillent dans le désert de la nuit, il cueille ces fruits avant qu'ils ne soient trop mûrs, il dépouille cette grande dame hautaine, cette ville trop mondaine qui tout le jour le nargue, cette grande snobinarde qui tout le jour le dédaigne. Il lui dérobe ses bijoux de lumière, ces précieuses pierres, joyaux de la grande cité, ces cloches rieuses de la fée électricité, il lui décroche ses boules de feu, et à son tour, lui décoche un dernier rictus, avant de filer joyeux Crésus, revendre la camelote à la sauvette. Alors il rit aux éclats de la voir ainsi dénudée, la bourgeoise, de la voir tout à coup dans l'obscurité, la narquoise, car il peut retourner se saoûler, boire jusqu'à rouler par terre, jusqu'à se tordre de rire. Il boit, il tise, il pique des fous-rires, il peut à nouveau s'égarer dans ses vapeurs éthyliques, dans ses errances mystiques, ses délires psychotiques. 75
Mais ça c'était hier, aujourd'hui tout a changé, aujourd'hui il a bien changé, aujourd'hui il est rangé, rasé, rhabillé, racheté par la société sur laquelle il crachait, aujourd'hui la cité s'est vengée. Aujourd'hui il continue de monter aux réverbères, mais pour changer les ampoules usagées, affublé d'une chemise aux couleurs de la ville de Maracay, sa rombière. Aujourd'hui il continue de fouler la pelouse du parc, mais plus pour vomir ses tripes et sa haine de l'a-justice, non. Ce gazon qui était sa couche jadis, il l'entretient désormais, ce champ de réverbères, son ciel étoilé, tout ceci est son territoire et il y tient, l'illuminé de la place Bolivar. Il s'en fout de ce qu'on peut bien dire de lui. Est-ce une honte de vouloir manger à sa faim ? Est-ce une honte de vouloir boire à sa soif ? Est-ce honte de ne plus se saoûler jusqu'à ce que coma s'en suive ? Est-ce une honte que de se décrasser chaque matin, d'ôter le suif et la sueur de son ennui, de ses vices ? De prétendre dormir dans un lit, le même lit chaque nuit ? Sous le même toit chaque soir ? Il s'en fout, l'illuminé de la place Bolivar, l'enlumineur des boulevards, il s'en fout !
76
Aujourd'hui il continue de boire, mais pour le plaisir, plus pour fuir le présent, ni pour s'inventer un passé. Aujourd'hui, comble du comble, il s'y sent bien, dans cette ville qui l'a vu naître un jour, et qui le verra peut être mourir une nuit... ... s'il y a de la lumière.
77
soc
iale
s
Chro
niqu
es
Gueule de bois... Après ces semblants de Grand Soir, fallait-il s’attendre à des lendemains qui chantent ? Peut-être, pourtant, pour moi, le réveil débute avec la gueule de bois. Car ça me dépite, de voir ces mêmes langues de putes, ces bonimenteurs, ces parlementaires, récupérer l’affaire. Et ça m’irrite les esgourdes itou d’entendre ces mêmes sirènes inaudibles du même pompier pyromane aussi crédible qu’une nonne nymphomane ! Ce superman du p’tit écran débarque chez vous, en direct, en plein milieu du plat de pâtes, pour vous servir la même soupe à l’Uoignon en Majorité imPopulaire, infecte ! La bouche pleine de sciure, à trop mâcher sa langue de bois, et la bave aux commissures des lèvres, il tapote le dos de ses braves élèves aux abois, ces petits toutous, ces petits soldats de l’in-formation, qui ne relatent qu’une plate résistance... Et, en dessert, c’est tournée de bromure et somnifères pour tout le monde ! Mais attention, mesdames-messieurs, en attendant l’amnésie, en attendant que fasse effet l’anesthésie, restez tous bien calés dans vos charentaises cloutées... oui, restez-y... 80
Et le voilà qui remet ça ! Ce troufion de l’ordre moral, sitôt passé général, nous dégaine au galop son arme létale d’un petit écrin de velours, pour mieux nous matraquer encore et toujours les mêmes balivernes ! Il s’en vient crucifier la vérité en direct live, et en moins de deux minutes s’il vous plaît, mesdames-messieurs ne zappez pas, tout de suite après, y’a un docu-menteur sur l’homme des casernes ! La violence n’est pas toujours celle qu’on croit, celle qui semble mise en évidence. Quand les mitraillettes ressemblent à des caméras, le peloton d’exécution se situe dans la rue, tout juste en bas de chez toi…
81
La ViOLenCe ? Chacun combat avec ses armes, messieurs les bien-pensants. Quand on est réduit à s’armer de patience, de détermination, on fait feu de tout bois et on saisit chaque occasion de jeter un pavé dans la mare de l’injustice et de l’incompréhension. Ce n’est qu’une pierre de plus à l’édifice d’une certaine idée de la dignité humaine dans ce monde factice. Où est la violence ? Qui sont les casseurs ? Qui vous fait peur ? J’ai vu comme une révolte de gueux criant et hurlant à la nuit des revendications inarticulées qui jaillissaient des lèvres tel un flot bouillonnant, comme le sang jaillit des coupures d’une gorge tranchée. Où est la violence ? Qui sont les casseurs ? Qui vous fait peur ? Ceux qui brûlent leur cage... et l’oiseau dedans ?
82
" En novembre, les banlieusards, que beaucoup ne voulaient pas voir comme français, se sont faits barbus, terroristes, intégristes, pour tout défoncer ! Au printemps, les étudiants remettent le couvert ! Ces glandus, ces glandeurs, et autres futurs chômeurs, seraient manipulés par de dangereux extrêmes gauchistes et autres autonomes anarchistes, la belle affaire ! Tous ces paumés aux idéaux consuméristes voudraient, dixit les statistiques, voudraient tous, sans exception, des baskets, des bagnoles, des baraques et du pognon. "
Où est la violence ? Qui sont les casseurs ? Qui vous fait peur ?
83
Le pire, dans tout ça, c’est de croire qu’on a gagné, qu’on a gagné, quand des milliers de jeunes en majorité basanés croupissent au cachot, embastillés. Embastillés pour avoir osé défiler, osé défier les forces des armées… désormais prisonniers des mailles de filets au moins aussi étroites que la vision du monde étriquée de notre gauche-droite, des mailles de filets, aussi lourds et chargés, que nos futurs casiers judiciaires, aussi lourds et chargés que la conscience de nos bourreaux assermentés, cette fange suppliciée, aux bureaux irradiés de nos paroles justicières, aux barreaux incendiés par nos actes salutaires. Mais qui n’a jamais caillassé me jette la première pierre ! Qui n’a jamais caillassé me jette la première pierre ! Amnistie pour les révoltés de novembre ! Amnistie pour les révoltés de mars ! Amnistie pour les révoltés d’avril ! Amnistie pour tous ces prisonniers politiques ! Amnistions-les, messieurs les politicons, sortons-les des bastions ! Admonestez vos propres flicaillons et administrons à notre République une putain d’Extrême Onction !
84
Et après ? Et après, on va retourner dans la rue faire la fête avec ces jaunes, ces Johnny qui nous ont trahis ? Ceux qui ont préféré stopper net le mouvement alors que la peur venait juste de changer de camp ? … La peur venait juste de changer de camp. La révolution ne sera pas télévisée mais son enterrement, ses funérailles étaient bel et bien orchestrés, accompagnés de la musique festive à souhait d’une sono crachant les watts trop fort, sur un air de « motivés, motivés », trop fort, pour que les boulevards se transforment en dance floor, chloroforme, pour mieux adoucir ou museler la rage de toute notre faune de sauvages ! Et après ? Et après, certains prient pour que les tensions s’apaisent et pour que les vacances refroidissent les braises… Mais, après les vacances, c’est la rentrée, môssieur le Premier Sinistre, c’est la rentrée des crasses pour tous ces enfants de la patrie trop mal élevés, si mal élevés qu’ils ne parviennent plus à être reconnus par leurs parents schizophrènes, ceux-là mêmes qui préfèrent leur taper dessus la tête plutôt que d’admettre qu’ils ont échoué. 85
Mais que dire d’un pays qui frappe sa jeunesse, la réprime, la séquestre ? Que dire de ce pays effrayé par la créature qu’il a lui-même créée ? Que dire de ce pays ? Que dire de ce pays ? C’est un pays perdu.
86
E p i T a p h e
Cette lame de fond j’en fais serment, un jour prochain refera surface, viendra laver l’honneur bafoué, lavera aussi tous ces pavés trop vite recouverts d’une plage d’indifférence... Cette lame de fond, j’en suis certain, un jour prochain refera surface.
87
Comptoirs
& Confessions
Bébert, je suis venu te dire que je m’en vais. J’m’en vais boire ailleurs si t’y es, sur d’autres zincs, d’autres comptoirs, dans d’autres contrées. Bébert, c’est justement sur un comptoir qu’on s’est rencontrés. Entre toi et moi, un seul geste, un seul regard a suffi pour briser la glace, un seul zest, une seule dosette pour se remettre la gamberge en place, se réchauffer le cœur, la tête et le gosier. Bébert, chez toi, y’a toujours de la lumière même si ton rade est peuplé de mecs pas brillants, des échoués de la vie, des en rade ou à quai, des coulés... Mais c’est ici aussi, que j’ai pêché l’amitié. Chez toi, Bébert, dans ton troquet, c’est vite devenu chez moi comme une échappatoire. C’est là que je viens faire baisser la pression avant qu’il soit trop tard, avant d’me faire sauter le caisson. Je viens soigner ma dépression… Chez toi, c’est mieux que l’hosto ou le mitard. Bébert, entre toi et moi, y’a qu’un verre, que je bois allègrement. Je m’y plonge, je m’y noie, assurément. Ce verre est plein de larmes. Ce verre, c’est mon radeau quand ma vie fait naufrage, quand la tempête fait rage, que je quitte les alizés… Les p’tits canons, les anisés et les potos, c’est ma balise, c’est ma bouée de sauvetage, mon bateau ivre qui tangue quand je flippe ; j’emporte ma valise pleine de chagrin.
90
J’suis là à débagouler, gouailleur, braillard, mais désormais, seul à boire. T’as pas eu de bol, Bébert… t’as toujours eu que des verres ! Et pis, des rouges des jaunes, des noirs, tu m’en as fait voir de toutes les couleurs, mais le coup du crabe, Bébert, j’m’en remettrai jamais. … Jamais pu saquer les crustacées ! Bébert, entre toi et moi, il n’y a qu’un verre, celui que jamais plus tu ne boiras, celui qui t’emmène six pieds sous terre. Dans ce verre, y’a ma potion, et mon poison… Je vois rouge, comme le poisson dans son bocal, je tourne en rond dans ma p’tite vie d’con, rouge comme le feu qui te brûle les entrailles, rouge comme ce mal qui te ronge. … Ta vie ? Une idylle avec cette grande dame à la robe ambrée, mousseline… Toi le mystique de l’éthique éthylique, ta devise ? « In vino veritas ». Bébert, je suis venu te dire que je m’en vais, mais en vin... Bébert, j’aurais vraiment aimé une autre mise en bière. Aujourd’hui, tu dois boire l’apéro avec St-Pierre, siffler un pack avec le Diable… Ou peut être as-tu mis de l’eau dans ton… divin ? Bébert, entre toi et moi, il n’y a qu’un verre. Le jette pas, le casse pas : je suis dedans. Bébert, je suis venu te dire que je m’en vais. J’m’en vais boire ailleurs si t’y es, sur d’autres zincs, d’autres comptoirs, dans d’autres contrées. 91
Parfois, je me sens seul, seul dans la vie, seul dans ma tête, seul dans cette ville que j’arpente, au milieu de la foule, cette marée humaine, au milieu de la multitude, cette foultitude de noyés, je divague, j’erre, je digère ma solitude. Tant de vide autour de moi, ça me fout le vertige. Mais j’avance, toujours, et là je pige que j’arrive à un bout de ma vie comme au bout d’un ponton, épuisé, esseulé, comme un con. Alors, je me penche pour y voir plus clair et je feins de tomber, mais je tiens bon, j’avance toujours, j’avance encore, j’avance au pas et puis je cours, j’avance tout droit... ou pas, pour avancer simplement, laissant derrière moi : le néant. Je laisse derrière moi ce grand rien surmatérialisé, je laisse ce fouillis de désirs insatisfaits, je laisse tous mes échecs qui gardent mon bonheur bien à distance, je laisse cet avatar de vie, cet ersatz d’existence, tout ce qui me tient pourtant encore bien en laisse, cette fameuse laisse qui fait de moi un animal social... 92
Mais, ce soir c’est fini, je pars, je coupe le cordon, je largue les amarres, je pars seul face à la mer, face à la mort ! Devant moi, c’est l’Océan, devant moi, c’est l’infini, devant moi, y’a tout, j’vous dis ! Y’a des « ailleurs », y’a des « peut-être », devant moi, y’a des « autrement » meilleurs . Alors, pour moi, c’est fini, ce soir je me lance, je saute... Je lance ma bouteille à la mer ! Lancer une bouteille à la mer, c’est comme lancer un cocktail Molotov, c’est une marque de désespoir, c’est pareil, sauf que ça fait moins de vagues. Ma bouteille à moi, elle est pleine de vide, vidée de son amour, comme ma vie vidée de son sens et vice versa. Bref, elles sont toutes deux pleines de cet amour du désespoir, l’amour du désespoir, mon chant du cygne, et je signe cette missive de ma plume en peine massive : « Ci-gît Yohan le noyé » « Ici, jazzait jadis ma belle âme en yoyo ! » Tantôt plombé, tantôt remplumé, envolé, survolté même, enflammé que j’étais à en brûler mon zèle, tel un Fou de Bassan je replonge dans la tempête, traversant les mers d’huile, je roule, je tangue, je valse. Et puis, je flanche… 93
Je touche le fond. Je refais surface. Je commence à me sentir à l’étroit dans cette boutanche, tout comme dans ma caboche qui fleure bon le renfermé et les vapeurs d’alcool, dans l’alcôve feutré d’un encéphale mal lavé. Et hop ! Me voici à nouveau échoué sur je ne sais quelle terre abandonnée, dénuée de toute humanité, à nouveau seul au milieu de cette mer du désespoir, seul sur l’îlot de ma conscience, seul, avec pour unique navire craquant : mon imagination… Alors, je me prends à rêver pour fuir, je me prends à rêver pour m’enfuir au delà de la raison… Alors, je me prends à imaginer une famille, une maison, un coin de soleil … et pourquoi pas un chiard en prime ?! Qu’est-ce qu’on est con quand on déprime ! Le foyer le plus sûr, c’est encore le cœur d’une femme ou le cœur des copains, bien sûr ! Et ici, y’en a plein ! Y’en a plein, des pépites d’amitié ! Y’en a plein, des illuminés, des allumés du cockpit ! Y’en a plein, des alcolytes ! Et moi, quand je vois ça, quand j’aperçois la joie qui brille dans les yeux des copains, eh bien, je vis, je vibre, je refais surface ! Quand je vois ce phare qui brille et m’aiguille soir et matin, je revis, je revibre, j’vous dis ! 94
Alors, ma bouteille Ă la mer, alors, ma bouteille Ă la main, je ne vais pas la jeter, on va la boire ensemble, les copains !
95
Popeye Moi Popeye, j’ai écumé toutes les mers du globe et tous ses ports, de Saigon à Caracas, de Dakar à Buenos Aires, d’Amsterdam à la Nouvelle Orléans, de Calcutta à Abidjan, j’ai usé mes arpions sur les ponts des plus grands navires marchands… Moi Popeye, j’ai roulé ma bosse jusqu’au fond de toutes les vallées, j’ai souvent aussi roulé sous les tablées, j’ai traîné ma carcasse sur tous les chemins cabossés, j’ai avalé du macadam à en chier du gravier ! Moi Popeye, j’ai soutenu tous les comptoirs, usé tous les zincs de tous les rades de toutes les villes portuaires, de Tanger à Bangkok et jusqu’à Saint-Domingue. J’ai testé et explosé les sommiers, les ressorts, de tous les lupanars, tous les claques de cette putain de Terre ! … Tout ça pour m’échouer comme du guano, comme une fiente de moineau sur les trottoirs caennais, tout ça pour venir canner dans ce bled paumé : « Caen, fin du voyage, tout le monde descend ! » Tout le monde descend sa bouteille de picrate, et en vitesse ! « Fini de jouer les pirates ! » disent les hôtesses. Vous êtes priés d’aller crever bien gentiment dans les caniveaux de môssieur le maire. 96
Vous êtes priés d’aller dégobiller votre haine, votre mauvais jaja, vos aigreurs et votre humeur vénale dans les lieux prévus à cet effet par le code pénal, bien poliment… Aujourd’hui, ma seule aventure me trimbale de la gare au foyer du Cap Horn où je passe la nuitée. Le jour, je retrouve ma Boussole si je suis pas trop aviné… Triste épopée d’un Popeye sur le retour qui marche à côté de ses pompes, funeste, un Popeye réduit à bouffer les épinards en boîte des moins fauchés que lui, s’il y a des restes. Moi le prince, le vieux loup de mer, j’en suis réduit à disputer mon festin aux chats de gouttière et aux clebs ! La faute à qui ? La faute à pas de bol, la faute à la vie, la faute aux méchants, puis aux gentils aussi… Tout ça depuis que ma boîte a coulé, depuis que la flotte de rafiots a été rachetée par un arnaqueur grec, un armateur chinetoque ou un as braqueur ouzbek, je sais plus très bien lequel de ces métèques, entre celui qui paie pas, celui qu’assure pas, celui qu’affrète... Résultat des courses : je suis en train de moisir ici depuis ce fameux jour de juillet où mon raffiot a accosté et n’est jamais reparti. Pourtant, c’était quéq’ chose la vie à bord ! C’était pas tous les jours qu’on se fendait la poire, on gagnait pas bézef d’oseille, juste de quoi faire la foire une fois accosté . Il était duraille, mais on l’aimait notre turbin de marin ! 97
On aimait ça prendre la large ! Le gros temps, le zéph’, la flotte ! La Grande Bleue, qu’on mattait à s’en crever les yeux ! Et puis le gros rouge aussi ! Heureusement qu’elle était là, la boutanche, pour nous refiler la gnaque à l’œuvrage, pour nous consoler de nos peines de cœur, de nos maladies de cul, pour nous faire oublier que la terre était loin, pour nous faire patienter en attendant les femmes… Ah les femmes ! Y avait celles de Rio avec leurs nibards comaco qu’on dirait des obus, celles de Bornéo avec leurs petits culs qui faisaient frétiller la sardine à bibi ! Et pis celles de Valparaiso et pis celles de Paname… Ah les femmes... On voulait toutes les aimer, et on les aimait, toutes ! On y laissait notre solde, on y vidait nos bourses on rentrait chaque coup à sec, à fond de cale, pour les femmes. Quéq’fois, on s’en ramenait quéq’z’unes avec nouzôtres dans les bagots, alors, ça finissait mal sur le rafiot, ça cognait dur, ça se bastonnait, à grands coups de gnons ! Mais toujours on se rabibochait à grands coups de gnaule ! Ouais, c’était ça la vie à bord, c’était pas rien ! On aimait ça prendre la large ! Le gros temps, le zéph’, la flotte ! La Grande Bleue, qu’on mattait à s’en crever les yeux !
98
La Grande Bleue, c’est la seule qu’on n’ait jamais tenue entre nos pognes, ni foutu dans nos plumards, même si on se la tapait tous les jours que Dieu faisait. C’est la seule qui ne s’est jamais laissée dompter. Jamais elle s’est allongée, même en alignant le pognon ! La Grande Bleue, c’était la plus déchaînée, la plus fidèle aussi, la plus honnête… Mais, dans tout ça, la plus redoutable des intempéries, c’est encore le Marché, ce sacré Capital, comme un capitaine de bateau bourru, caractériel même pas foutu de te regarder en face quand il te colle à la porte ! Quand que le vent tourne, faut tout vendre, les rats quittent le navire ! Le lendemain, c’est l’inverse : une vraie averse qui s’abat sur le crâne des boursicoteurs, une pluie d’actions, pass’qu’un simple battement d’ailes de portefeuille de ces moucherons-joueurs ici, ça fait le malheur d’un pacson de travailleurs là bas ! Et ici aussi, d’ailleurs ! Enfin, j’capte plus trop ce qui se trame dans tout ça… Vas-y patron, sers-moi donc un autre gorgeon, sers-moi un songe, à ras bord, que j’m’évade, un qui m’éponge tout mon chagrin qui déborde ! Et pis un autre, que j’vide ma tête, que j’vide mon cœur, que j’vide mon sac, que j’te cause jusqu’à plus d’heure, jusqu’au matin, que j’me répande jusqu’au ressac, jusqu’à en faire allonger mon tarin ! J’crains plus rien, moi : j’ai déjà la gueule de bois d’la vie ! … Mes vieux, ils ont dû trop picoler en leur temps… 99
Sers-m‘en cor’ un autre, que j’oublie d’être triste ! Foutons-nous les sens et la caboche en toupie, faisons valser nos vieux souvenirs, nos utopies ! Buvons nos paroles jusqu’à plus soif, jusqu’à ce qu’amnésie s’en suive !
100
Pis ‘cor’ un autre gorgeon, jusqu’aux panards, jusqu’à ce que toutes ces histoires s’effacent de mon tableau trop noir...
101
Que couic ! Dis-moi, ce serait pas du rap ou du slam, ton machin ? Ma foi, c’est pas mal du tout, ton bastringue. Ça donne, ah ouais ça balance ! D’abord, ça m’fait frétiller les esgourdes, ça m’fait résonner le caisson jusque dans la tripaille, et pis, ça me fait vibrer le palpitant ! Ça me fait comme tout chaud en dedans. Ton histoire, elle me botte, chapeau, mon pote ! Passque, tu veux que j’te dise, mecton, de nos jours, y’a plus bézef de disques qui valent leur coup de trique sur cette satanée planète ! Y’a plus que de la réclame pour de la galette avariée, pour de la soupe à l’oseille et ça, ça m'débecte ! Mais le problème c’est que les lascars, pour se sortir de la mouise, de la mistoufle, ils ont pas trouvé pire que de baisser leur falzar en refourguant leur fion aux plus offrants ! Et maintenant ? Ils sont pas beaux à voir ces rentiers de la musique ! Tous ces tocards, à la téloche font les marioles, pouponnés comme des baigneurs, fagotés comme des folles ! 102
Tous ces homophobes à la mords-moi l’zob, au milieu de leurs frangines qu’ont pas froid au derche non plus, ces coquines qui secouent les nibards jusqu’à plus en pouvoir ! Et ça dandine du croupion ! Ça tournicote du téton, tout comme tournicote le pognon dans leurs petites caboches de fiotes, de pognes en pognes jusqu’au plus véreux ! Non, y’a vraiment plus rien dans le milieu de la musique ! Plus de mastards, plus de boss... Tu veux des greluches ? Que couic ! Tu veux qu’ je lève mes paluches ? Que couic ! Tu veux un refrain ? T’auras rien ! Si tu veux un gimmick repasse demain !
103
Y’a plus qu’une bande de caves qui se prennent pour des gangsters. Mais, moi, j’te parle des vrais, de ceux qu’ont une grosse paire entre les guibolles, des ceusses qui tremblotent pas devant la flicaille, des ceusses aussi qui se chient pas dessus dès le premier coup de pétoire venu ! Des ceusses enfin qu’ont du cœur dans le poitrail et pis de la matière dans le ciboulot, un brin de respec’ pour le zigoto d’en face et qu’ont autre chose à foutre que de dépouiller les viocs pour peau de balle, de dézinguer les soiffards pour trois cents fois que dalle, de zigouiller les toxi-putes, de fracasser de l’occiput et puis de se faire la malle, avec toute la maille ! Non, y’a vraiment plus rien dans le milieu de la cambriole, y’a plus qu’un ramassis de branquignols j’ai en ras la casquette, alors j’me taille ! Tu veux des greluches ? Que couic ! Tu veux que je lève mes paluches ? Que couic ! Un refrain ? T’auras rien ! Si tu veux un gimmick repasse demain !
104
105
Ras la casquette ! Les aminches, il faut que je vous cause d’un truc qui me turlupine sévère, à un point que ça m’en ferait péter les fusibles à énervance. De nos jours, y’a plus guère personne de confiance, sur cette planète Terre. On sommes tous menés pour le bout du pif, dirigés par une bande de marchands de zéph’, ces politicons gâchés par la pécune, ces affameurs de crève la dalle, ces assoiffeurs de déshydratés, cette bande de tanches qu’on appelle parlementeurs ! Si, au moins, ils se contentaient de nous refourguer des leçons de morale… Que dalle ! Ils nous les vendent ! Et ça nous coûte la peau des yeux de la tête au cul, leur truc. Ah, si j’en avais un en face de ma pomme, je le choperai par le colback illico, je le serrerai à pleines pognes, je le serrerai au kiki jusqu’à la trogne, jusqu’à ce qu’il crache tout ce qu’il nous a chouravé, lui et sa bande d’empaffés, tous ces constipés du boyau cérébral, ces impuissants de la pensée phallique, ces entartrés de la carafe, ces bloqués du couac, ces encloqués du cloaque, ces fêlés de la calebasse qu’entravent que couic à ce que je bavasse ! …Parce qu’on est pas nés de la dernière giclée de semence ! On a bien capté ce qu’ils manigancent, bien pigé leur petit jeu, leurs magouilles à ces beaux messieurs… ils te matent d’en dessus, comme des vautours, tous ces corbacs dans leurs costards à trois patates, c’qu’ils voudrassent vraiment 106
c’est qu’on se mette nous-mêmes des bâtons dans les trous, c’est qu’on se canardent les guiboles entre nouzôtres, pendant que ces mêmes guignols se pavanent avec leurs poules ! Ah, ils sont beaux à voir, la tronche pleine de savoir, le choux farci de leurs couenneries à la sauce ENA, ces fistons à papa, suppôts du capital, suppôts de Satan, à coups de satons que j’te les ferai déguerpir de là-dedans ! Ça me débecte, j’en ai ras la casquette ! J’me prénome pas Robin des Bois, mais j’leur promets bien des déboires à tous ces parasites et autres morbacs de la plus haute espèce de fils de klebs, toutes ces familles du Cac40, tous ces zozos qui restent qu’entre euzôtres, c’est le nouveau sang bleu j’vous dis, à en faire des dégénérés et autres congénères pas plus gênés d'faire du fric que d’avoir le cœur en congère ! Qu’on gère ses stock-options ou ses actions, on s’empiffre de flouze à s’en faire péter le bidon ! Mais le pire dans tout ça, c’est qu’ils sont jamais rassasiés ces cons-là, tout confis qu’ils sont par tant de profits indigestes ! Tous les conflits sont bons, toutes les guerres, pour se retaper une bonne tranche de chair fraiche entre deux biftons. Ça m'débecte, j’en ai ras la casquette ! Et pendant ce temps-là, les jeunes, ils glandent. Ah ça oui, ça glande, ça fume la castafouène, bien avachis dans les canapés, bien anesthésiés par l’apathie, par la télé, par la fumée, bref, par la connerie !
107
Ah non c’est vrai j’m’enflamme : ça picole aussi. Ça tise, ça cruchonne, ça tète, ça biberonne chez les jeunes ! Ça picole la binouse dans les troquets ou sous les ponts, ça se pochetronne en loucedé à la gnaule de pépé ou de tonton. Elle est belle la jeunesse : un ramassis de soiffards et de pas-rien ! Une génération de poches à vin ! Mais si qu’ils s’émoustillaient un brin les fusibles à réflectance, ces jeunes, ils mettraient pas deux plombes à capter que c’est ici, tout de suite qu’il faut y aller, maintenant ! Il faut se secouer la paillasse ! Les anciens, ils ont bougé leur derche en leur temps, pour sauver leurs pommes et refourguer les pépins aux fraises ! Et nouzôtres, on reste planté là, à se mater en plein dans les mirettes, à se regarder en chiens de défaillance, à se dire « y a pas d’avenir, on est dans la mouise, elle est pas belle la France...» Mais bordel, c’est à nouzôtres de l’écrire notre putain de bouquin d’histoire ! Ici ! Maintenant ! Tout de suite ! Qu’on se le dise, et qu’on leur dise itou à eux, que nouzôtres, les p’tits gars des bas fonds, les banlieusards, comme les campagnards, on en a assez dans le calebare, et puis aussi dans le citron, pour venir arpenter les boulevards et leur mettre bien profond, à toute cette bande de charognards !
108
Nous, les toqués de la cocarde et pis de la barricade, on vient réclamer notre part du gâteau, réclamer notre départ du ghetto ! On s’en vient leur dire à coups de grèves et d’occupations, on stoppera le turbin dans toute la contrée s’il le faut, et si c’est pas assez, à coup de paveton qu'on ira frapper, à coups de réquisitions ! On s’lèvera tôt nous aussi, pour gagner notre pain qu’ils nous chouravent depuis des décennies, tous ces national-libéraux, tous ces trop fiers d’être français, tous ces colons farcis, tous ces nostalgiques des colonies, tous ces Travail-Famille-Patrie-Autorité-Morale-Identité Nazionale... c’est tout ce qu’il faut détruire, oui ! Nous, on fera exploser toutes les frontières ! A commencer par celles qu’ y a dans nos caboches. Et pour ça on ira dans chaque foyer on jettera par les fenêtres toutes les téloches ! On dira aux chiens de garde du capital, aux journaleux vendus de faire leurs valoches. Et après on ira frapper à coup de pavetons aux portes de l’Assemblée, du Sénat, des préfectures, des commissariats, des prisons, des centres de rétention, on fera notre razzia sur nos droits et sur nos libertés ! Ensuite on ira frapper encore plus haut jusqu’aux portes de l’Elysée réveiller le prési-roi, ce petit nabot frustré, jamais repus de pouvoir, on lui bottera son p’tit cul de nanti ! On va tout nettoyer pour mieux tout faire renaître passque ça nous débecte, y’en a ras la casquette !!!
109
Vénérable plaisir Vénal ou satyre Au final : I-ni-va-gi-nable… Des mégères ? Oui, mais que des majeures Car je crains les congénères Du Code Pinal. Les yeux plus malicieux que vermeil D’une Alice au milieu de deux âges merveilleux… Mieux : au doux visage qui m’émeut Au mignon minois Je m’y noie Minot Maquignon Fourvoie mon champignon Que je vois vermillon Vers minuit Et des millions De poussières…
110
D’hier En demain Bâillantes paupières Dans la rosée du matin Elle me tint à peu près cette langue… Ses flancs, terres exsangues Rutilaient encore, Se ruaient, dès lors, Dès l’aurore Vers d’épiques étreintes D’une époque Années Trente ! À peine remis Des frasques sexuelles de cette nuitée, Des fresques sexuées et ponctuées De cris fantastiques Hennis ou presque hués... Des culs aux cous Mosaïque de couleurs Avec dégoût Avec douleur Sur des rythmes Mozambique Et des rimes alambiques Nous sommes tombés du paddock aussi sec ! Tombés les masques avec !
111
Au-delà de cette chevauchée fantasque Phénoménale J'entre-vis Telles des images sub-libidinales Les trompes de la sus-nommée Barrir leur hymne séminal ! Faisant fi d’aucun trou Je repartis sans froufrou Je me fis maquisard Pour me perdre au hasard D’un chemin, d’un chenal Tel un puisard Jusqu’à la source du plaisir frénétique De cette nappe nymphéatique… Mâle vénérien, Maladies qui l’attirent Je ne vénérai rien De plus que son emprise Son empire. Elle, Fanule insatiable depuis toujours, Elle, Vénéneuse, fanée avant d’éclore, Elle capitula Devant ma pine capitale... Inivaginable...
112
113
114
Bord d’Orne, morne automne monochrome, proche aube, faune, flore… Cosmos,osmose, ozone ! … Ode au Beau. - Cocoroco ! - ... Coq tôt, coq gogol ! Home of Lord John More : blockhaus rococo, loft aux spots jaunes, stores mauves, horloge… commode, comme chrono ! « toc toc toc toc », four o’ clock ! … Ordo, bloc-notes, photos d’ Lomo au Dom-Tom… Côte corse ! Formose ! Soho, Rome ! Roscof, Plogof... … Phono… - Oh, sono !? Faust ? Strauss ? Fox-trot ? - No, sono pop, pop ! - Oh, pop ? Pop... Hop Hop ? Rohff ? Oxmo ? Poo Poo !! Yoooo ! No-York, fock do cops ! Fuck ! Poo Poo !! -Yo cause trop ! Stop, monologue ! - ... Stones ? - No, trop rock ! - Toto ? Nono l’ robot ? Los lobos ? - No, grosse daube ! Pop ! - Bob ? … ! - No, l’autr’ Bob ! Folk ! -…! - Top of pop ! - Tom Jones, Yoko Ono, yo know ? - ... ? No. - Oh... L’hôte, Lord John More : beau gosse, s’offre sports au dojo, moto-cross, snow-board, boxe, golf, crawl… John, bobo snob ! Dodge bordeaux aux chromes hors normes (tof-tof ! ), beau yacht hors-bord (off shore ! ), stock d’or au coffre (of course ! ). - John, mono d’colo, prof aux Comores ? - No ! 115
- Gros lot au loto ? Hold-op au colt, comme Bonnot ? John fraude ? - No, John, comme job, bosse aux hostos d’Oslo : boss proctologue… - Oh… Bonne bonobo, autochtone au Togo ? John proxo ? - No, John propr’, monocle, polo au croco, bob rose Polosport, autocoat d’Oxford… - Oh, John, Sodome ?… phoque ?… homo… ? - Oh, no ! Not ot all ! John loves Aurore, sort of squaw, robe fauve, globes… - Oh ! Globes au top ?! Lolos aux bonnes formes ? Rotoplots jojos !? Motte chaude ?! Aurore, trop bonne, trop hot, trop… ? - No, fausse note : Aurore, sotte, molle ?, coconne, gorgone ?, cocotte fofolle, pauv’ môme pot-d’ colle ?, Aurore, cochonne, cause aux hommes, s’ frotte aux gaules ! -Woh ! Cornes ! Opprobre ! John s’oppose ! John donne tort aux hormones d’Aurore ! So, John, corde au col, botte Aurore au Pôle Nord ! Go ! L’autr’ : Momo ! Fort homme, chauve ogre, troll moche, clone porno colosse comme Rocco. Momo, golgoth, ostrogoth schnoque from Rostock : cors aux pognes, bosse au dos, prolo beauf, Momo loge au bloc « Kosovo Dos ». Bottes, cotte, crotte au short, Momo daube, cocotte fort, popopo ! Los potos au Momo : Fausto, Rodolphe, Otto, Wolf, gauchos aux dogmes cocos, pauv’s comme Job, bossent fort aux docks. - … Au Bosphore ? - Oh, oh, trop drôle ! - Lol… Momo : « bobonne popotte top-top ! bobonne popotte toptop ! ». Tonnes d’ormeaux, porc aux pommes, veau Horloff, Momo chope au vol hot-dogs, chocos, pop-corn, rollmops… Momo rote, comme l’orque ! 116
Pommeau ! Scotch ! Bordeaux ! Bocks ! Beaujol’ ! Gniole ! grog au rhum ! Momo s’torgnole ! Momo s’pochetronne ! Clopes : Gauldos, Pall Mall… Momo smokes ! Gros roco, gros cônes, coke Molotov. Loque, tox, gogo stone… Momo s’ dope ! Or, Momo, zozo claustrophobe, ose… rôde… zone… Momo sort ! Momo, cloporte, cogne aux portes closes : toc-toc-toc sonore… Horde ! Cohorte ! Molosses aux crocs costauds ! Foxs : « wof wof ! » Foths : « wOf wOf ! » Dogs : « WOF WOF ! » Chows-chows sautent, collent au sol Momo, croquent au froc, (aux choses), mordent au zob Momo, comme beau nonosse ! Momo morfle : « oooOOOH GOD ! » John, comme Zorro : « Come on ! » Lord John More, pro soft, autoscope « d’autor’ » popaul au Momo : bobo. Moche. Peaux mortes. Glauque. Cloques . gore ! John ordonne : « Momo au bloc ! » Protocole : formol, baume au chlore, hautes doses… John dorlote Momo. - Oh, Doc, mollo ! Chocottes… - Chochotte ! - … Opopop ! Non troppo ! Trop d’ propos ! Flot d’ mots ! - C’topo, faut l’clore ! - ?… Stop au folklore ? - Bof… - Joke… - Flop ! Oh, drôle d’octobre, horoscope au summum, sauf Taureau. Pauses… sommes… dodo solo. Grosso modo : maux d’hommes… 117
Oublier... (la ciguë) Oublier l’humanité perverse et ses travers, oublier de marcher droit quand j’préfère prendre les chemins de traverse. Oublier de regarder à gauche comme à droite avant de traverser, quand y’a plus personne dans ce champ politique déserté. Oubliées les luttes intestines, du qui divise, qui rassemble, qui subdivise, qui fuit celui qui lui ressemble. Oubliées les devises réductrices de ceux qui savent, qui salivent aux pensées castratrices des Cassandre, Castafiores casserolant devant leur miroir déteint depuis bien longtemps. Oubliés la démocratie, l’anarchie, la dictature, la révolution, Bolivarienne ou non, la république, ses années sombres de torture, mentale ou physique, ses prisonniers politiques. Oubliés les coups de clairons des chefaillons, des despotes, des militaires, les enragés, engagés de toutes les guerres, les bien rangés dans tous les bataillons. Oubliés les sentiers de la gloire de ces vieilles carnes républicaines, empestant la viande morte d’une jeunesse qui incarne la patrie et ses drapeaux de toutes sortes.
118
Oubliée la liberté quand on n’agit bien que pieds et poings liés, oublier de plier l’échine quand on a déjà le dos cassé, oublier de prier Dieu pour aller mieux, oublier que je suis déjà fou à lier. Oublier de becter des desserts lactés contre l’acidité de la vie, mais j’veux plus y être assidu, moi, à la vie. Donnez moi la ciguë pour que j’oublie, j’veux oublier... Oublier mes sacrifices, mes sacrés coups de vices, oublier l’Homme et son fils, la Femme et son clitoris, oublier toutes ces fausses couleurs de peau, ces oripeaux, ces orifices. Oublier l’honneur de Maurice comme les couleurs de Matisse, oublier les voleurs de Pariss, donneurs de coups de canif, oublier les califes à la place du calife, oublier les calibres en lieu et place des manifs, oublier toutes ces rues aux odeurs de pisse, oublier les splifs pour oublier le spleen, oublier la green grass quand les poumons s’encrassent, oublier les passes des frangines jusqu’au dass’… Oublier les masques dans ce grand carnaval, ce carnage ovale quand ça tourne plus rond, oublier coucouche-panier-papatte-en-rond ! J’suis pas né poisson, ni pour bouffer du Ronron ! Oublier de ronronner dans la ronde des cons, oublier de m’abonner, en première, au balcon, pour ne pas manquer une miette de ce piètre spectacle abscons ! Absolu dégoût des couleurs de la vie, quand on rit jusqu’au bout, dents fanées, fleur au fusil, on jaunit jusqu’au dernier lit, on calice jusqu’à la lie, sali comme un slip qui passera pas la nuit, annihilé, anéanti, sur l’îlot de l’ennui… 119
Oublier qu’on crève à huis clos, en plein air, yeux mi-clos ou bien grands ouverts ! Donnez-moi la ciguë, pour que j’oublie, pour que le spectacle continue dans la pièce contiguë ! Pour continuer, je trempe mon stylo dans cette ciguë assidûment, convaincu que mes parentsm’ont trompé sur la cigogne, ou l’inverse… La vie est une poupée russe ou gigogne, dans la mienne, y’a jamais eu assez de place pour gigoter, alors, on m’a ligoté, puis coupé un gigot . Me voilà unijambiste, crucifié sur ces mots de lampiste, cruciverbiste du hasard, je m’en viens croiser le verbe avec Balthazar, roi bâtard ! Croisement de verges, cramoisis braquemarts, la verve en berne, voilà mon étendard ! La guigne en drapeau sans vergogne… Ambigu, ambigu, repassez- moi la ciguë ! Faudrait-il que j’oublie de vous cracher mes dernières volontés, mes dernières vérités ? Vous ! Oubliez de vous coltiner mes rimes de taré et moi j’oublierai peut être que je suis déjà mort et enterré, cul-terreux que je suis, la cafetière entartrée ! À bâbord, la bonbonnière est prête à déborder, à tribord, la coupe est pleine et ma tête prête à exploser ! Alors, je fais une embardée au pays des barbus, des barbies, paumé comme un barde au pays des barbares, voire comme ce cocu coco au paradis, hallucinant devant la parade des capitaux aigris… 120
Malgré les prévisions de ciel gris, l’avenir est radieux, garanti par des taux à 100%, ma chérie ! Juste le temps de s’irradier, de s’endetter pour trente ans, juste le temps d’avoir la tronche dans un étau serré jusqu’au sang et le cœur garni de gras, de couenne à couper au couteau ! La faute à qui ? Pas au commandant Couch’tôt ! Y’a plus de cap’taine à bord du bateau ivre, et pas plus de paix que de havre qui vive… avant que l’Humanité ait terminé son oeuvre. Faut qu’j’oublie… La ciguë, je vous prie...
121
Annexes La plupart des textes sont mis en musique avec le groupe LE MILIEU : HubbubHum (guitares), Simon Deslandes (trompette et bugle), Ulysse33export (basse), Ti'Seb (batterie). Les albums "la corde ou la pavé"(2009), "le monde d’Ézekiel"(2007) sont téléchargeables gratuitement sur notre site : http://lemilieu.free.fr et disponibles à l’achat sur le site de LSAA [LaSauceAuxArts] : http://lasauceauxarts.org Les textes Tapi dans l’ombre, Écoute mon tssst, Écoute les murs parler et Le travailleur se lève ont été écrits à l’occasion de la création du spectacle "Écoute les murs parler", opéra pict’oral électrique, avec les graffeurs Oré et War, le photographe Tonio, les guitaristes HubbubHum et Nico, DJ Bluff, VJ Super, les slameurs Spleen l’Ancien et Ulysse33export. Infos, vidéos, communication : http://elmp.lasauceauxarts.org Le texte Écoute ce monde muet a été écrit à l’occasion du spectacle "J’irai taguer sur vos tombes" avec le graffeur Oré, le guitariste Nico, le trompettiste Simon Deslandes, VJ Super et le slameur Spleen l’Ancien. Les textes Popeye, Ras la casquette sont issus du spectacle "Caen l’amère" avec Auriane Faure et Bastien Lambert. Texte téléchargeable gratuitement et livret disponible sur le site de LSAA [LaSauceAuxArts] http://www.lasauceauxarts.org Le texte Duo du O, écrit à quatre mains, est interprété avec Spleen l’Ancien (tirades en italique). Les textes S.I.D.A., 2 euros par jour et Fromager sont intégrés au spectacle "Le slameur et le griot" avec Amadou Kouyaté. Le texte Mes mains enchainées a été inspiré par le film "Attention danger travail" de Pierre Carle.
124
Supplément disque Certains livres sont agrémentés d’un disque intitulé "Pour vos esgourdes". Je vous propose d’y découvrir 7 textes issus de 7 formations, 7 spectacles différents. 1. Gaza. Yo solo 2. Nous sommes. Yo + Anis 3. Enfermé. Trio acoustique (Yo + Nico + Simon Deslandes) 4. Ras la casquette. Trio Bla-Bla (Yo + Auriane + Bastoune) 5. Gueule de bois. Le Milieu (Yo + HubbubHum + Simon Deslandes + Ulysse33export + Ti'Seb) 6. Écoute les murs parler. Yo + Nico + Spleen l’Ancien + Ulysse33Export + DJBluff 7. Coup de Gueule. Yo + Spleen l’Ancien Ce livre, comme ce disque, sont téléchargeables gratuitement et sous licence Creative Commons by-nc-sa sur nos sites : http://lemilieu.free.fr http://www.lasauceauxarts.org
Contact yonaraout@yahoo.fr 06 71 40 03 85
125
Crédits : Mise en page et visuels : K & HubbubHum 4° de couverture : cliché Jay Shah-B Corrections des textes : Spleen l’Ancien
... déjà parus : Chocó-Ecuador J’irai taguer sur vos tombes Boulange Davaï La révolte de papier le Kinzdé : le jeu, l’encyclopédie Caen l’amère Pourquoi je pleure Série « Un an au potager » * Un hiver au potager * Un printemps au potager * Un été au potager * Un automne au potager ... à paraître : Tondue Petiôte Purge infernale L'aventure ordinaire La Ballade des Monstres
Publié par LSAA-éditions en mars 2010 Dépôt légal à parution ISBN : 978-2-918513-03-2