OU LE SYNDROME D’ATHÉNA Réflexions sur la condition de la femme cheminote dans le Nord-Pas-de-Calais
C O L L E C T I O N
LES enquêtes DU PROFESSEUR ZOULOUCK
6
7
Chapitre
01
ÉLOIGNEZ-VOUS DE LA BORDURE DU QUAI
Zoulouck : Mais vous n’y pensez pas Docteur ! Je vous ai déjà dit mille fois que je ne supportais pas les transports en commun à cause de la promismon contrat de travail. Il est stipulé qu’à cause de handicap, l’employeur, vous en l’occurrence, avez l’obligation de me laisser le choix de mon mode de transport. Et vous savez pour ma part que c’est la
Ce matin-là dans le bureau du Docteur Ronceval, employeur de Zoulouck...
Ronceval : Comme si je pouvais l’oublier une seconde vu le nombre de retards que cela occasionne ! Z : Alors pourquoi me proposer ce projet en sachant que je ne peux que le refuser ?
QUOI !? UNE ENQUÊTE À LA SNCF ?
R : Je ne vous ai pas parlé d’une enquête sur les trains de la SNCF mais d’une enquête à la SNCF. Plus précisément qui porte sur la condition de la femme cheminote dans notre région.
14
15
Chapitre
02
VEUILLEZ PRÉSENTER VOS TITRES DE TRANSPORT Entre novembre 2012 et février 2013, j’ai rencontré 25 femmes et 5 hommes. Plutôt que de parler de chacune de ces rencontres, j’ai choisi de vous présenter les portraits de 5 femmes et 1 homme. Si je les ai choisis, c’est parce qu’ils sont très représentatifs des personnes rencontrées au cours de mon enquête.
16
2 Fraise des bois
17
Une main de fer dans un gant de velours Commençons par Sylvie Gariguette, contrôleuse de son état. Cette jeune femme timide de 32 ans, célibataire au joli minois, est rentrée à la SNCF un peu par hasard en 2001. Après une série de petits boulots, elle a su par une copine que la SNCF recrutait. Elle s’est présentée à l’entretien et a été
L’arrivée en gare Comme pas mal de ses copines, elle a eu à souffrir ses collègues masculins, notamment le dénommé Jeannot, du genre :
« Ça va ma poupée ? Tu veux visiter mon cabanon ? » « Dis, ma jolie, tu préfères les fraises ou les bananes ? » Le tout sous les rires gras de la petite assemblée. Un soir de septembre, de guerre lasse, elle avait collé une bonne paire de claques au Jeannot en question sous le regard médusé de ses autres collègues. Faut dire que le Jeannot, en général, on ne s’y frotte pas trop. C’est ce jour-là qu’ils ont compris que la Sylvie, il ne fallait pas trop la chatouiller et que sous ses dehors fragiles se cachait une redoutable « warrior ». Désormais,
elle accepte qu’on l’appelle « Fraise des bois », elle trouve ça même mimi et bien vu comme surnom, étant donné son nom de famille et sa propension à rougir quand elle s’exprime en public. Depuis cet adoubement, Sylvie est devenue la mascotte de l’équipe et il est hors de question qu’un client se permette de lui manquer de respect sous peine de voir débarquer l’équipe au grand complet. Et le Jeannot en question est devenu son plus ardent défenseur. Comme il dit :
18
19
LA GARIGUETTE QUI S’Y FROTTE, S’Y PIQUE
« Fraise des bois, elle m’impressionne ! Elle reste toujours aimable avec le client récalcitrant mais ne lâche rien. Du coup, celui-ci ne peut pas trouver de prétexte pour piquer une crise. La plupart du temps, il accepte de payer alors qu’avec moi, ça devient très vite un combat de coqs. Le ton monte et ça part en cacahuètes. Comme la plupart des contrôleuses que je connais, Fraise des bois, c’est une main de fer dans un gant de velours. Franchement au départ, les femmes j’étais contre,
comme de la peste des relations amoureuses dans le cadre du travail. Adepte du NO ZOB IN JOB, elle liens particuliers qui unissent les membres des équipes de contrôle. Car dans le boulot, on vit les mêmes galères et le soir, lors des découchés, il arrive qu’on mange ou qu’on boive un coup
entre proximité amicale et amoureuse.
L’enfance Jusqu’à ses 14 ans, Sylvie était un véritable garçon manqué. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, elle était toujours dehors avec Vincent, son frère aîné,
prête à faire les 400 coups avec les garçons de son village. Et puis elle a rencontré Antoine, son premier amoureux et ce jour-là, elle a décidé de laisser exceptionnellement jogging et baskets à la maison pour se rabattre sur une jupette et un petit haut. Mais Antoine a déménagé et Sylvie a remis son jogging. Cependant, comme tout le monde lui avait dit qu’elle était adorable habillée comme ça, elle en temps. Mais ça reste exceptionnel !
par craquer à cause de ces humiliations répétées et qu’elle soit hospitalisée. Qu’elle les abandonne... Alors, pour mettre de la joie dans la petite maisonnée, elle sautillait, battait des ailes à en perdre haleine pour amuser Marie et aidait sa mère tant qu’elle pouvait au niveau des tâches ménagères. Mais un soir, devant une nouvelle humiliation - une femme avait appelé sa mère pour lui dire d’un ton moqueur :
« Hé ton homme, il a laissé son pull à la maison ! » Au niveau familial, Sylvie a 1 frère et 2 sœurs. Elle est la deuxième après Marie sa sœur aînée, handicapée. Après, il y a eu Martial. a dit le père avant de repartir aussitôt sur les routes. De fait, Sylvie a très peu vu son paternel qui bossait comme commercial pour une entreprise de lingerie féminine. Par contre, elle a vu sa mère en baver au quotidien pour tenir la baraque, s’occuper de Marie tout en travaillant comme caissière au supermarché du coin. Tout comme elle l’a vue souffrir en silence et serrer les dents quand il s’agissait de supporter que tous les qu’en-dira-t-on. À force, Sylvie était tout le temps aux aguets, à redouter cette tristesse qui revenait si souvent dans les yeux de sa mère et qu’elle s’empressait de chasser pour épargner sa peine à ses enfants.
un pull qu’elle lui avait offert pour leur 10ème anniversaire de mariage -, ça avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Dès le lendemain, elle avait entamé une procédure de divorce pour arrêter cette comédie. Depuis, Sylvie n’avait plus revu son père. Aux dernières nouvelles, il était toujours sur les routes à vendre de la lingerie féminine mais ses maîtresses se faisaient plus rares et moins affriolantes... Pas besoin donc d’être grand clerc ou psychologue pour comprendre pourquoi elle avait collé au mur Jeannot un soir de septembre. Les mecs volages
Par contre, Fraise des bois n’est pas contre l’idée d’observer ces drôles d’oiseaux d’un peu plus près. Comme elle dit : « Les mecs, j’les connais pas en vérité,
vu que j’ai eu un père en carton, un vrai courant d’air qui fuyait ses responsabilités et humiliait maman !
Au moins, dans ce milieu masculin, je croise d’autres
ça existe ! ».
Hé, Fraise des bois, si tu veux croiser d’autres hommes mûrs pour évoluer, moi, je suis dispo !
40
41
Chapitre
03
ATTENTION À LA MARCHE EN DESCENDANT DU TRAIN Le 20 mars à 9 h tapantes, le Docteur Ronceval me convoqua. Il avait lu mon enquête et souhaitait que je lui en rende compte de vive voix.
J’ai lu votre rapport d’enquête, Zoulouck, je vous propose un petit
42
43
Je peux vous poser une petite devinette pour commencer ? Faites, faites...
CALAMITY JANE
Trouvez-moi 3 points communs entre ces femmes en moins d’une minute, Docteur. Je vous ai mis un sablier pour vous donner un repère. Allez, c’est parti et ne trichez pas hein ! Non mais dites donc ! Je ne triche jamais.
Une minute passe
Vous avez trouvé ? Je crois... Je dirais tout d’abord que ce sont des sortes de... Calamity Jane. Bingo Docteur ! Ce sont des warriors ! Parce que, pour tenir dans ce monde d’hommes à l’ancienne où les hommes pissaient entre les wagons, il fallait du cran ! Remarques sexistes, Oui, les hommes font rarement dans la dentelle quand ils sont entre eux (hihihi)... Heu, qu’avez-vous trouvé comme 2ème point commun ? Qu’il y a une majorité de garçons manqués parmi elles. Remarquez, c’est pas étonnant. Il y a souvent un lien entre l’adulte qu’on est devenu et l’enfant qu’on a été. On ne devient pas une Calamity Jane en un jour !
Par contre, ce qui est beaucoup plus surprenant, c’est la proportion. Vous ne vous êtes pas arrangé avec la réalité j’espère ? Vous savez combien je suis sensible à la question de l’éthique et vous rappelle que vous
Le troisième point commun, lié aux deux autres, c’est que la grande majorité de ces dames a eu un père... heu... comment dirais-je... qui ne tenait pas trop la route. Un père en carton, quoi !
engagez la réputation de sérieux de notre petit cabinet.
Un père en carton ?
Pas du tout Docteur, je vous jure ! Sur les 25 femmes interrogées, plus des 3/4 m’ont dit que s’habiller en jupe et en talons, ça ne le faisait pas. Beaucoup ont ajouté que quand elles étaient petites, elles n’aimaient
Ben oui ! Il faut relire les témoignages ! Soit Monsieur avait fui le domicile conjugal ou n’était jamais là, soit il était et terrorisait sa femme ou ses gosses... Faut reconnaître que l’image du père en prend un sacré coup, en effet !
Et le troisième point commun ? Là j’avoue que je ne vois pas... Pourtant, c’est simple comme bonjour ! Ça m’étonne de vous Docteur ! Dîtes, la modestie et le respect, vous connaissez ? heu ... Alors épargnez-moi vos commentaires mon petit et avançons je vous prie.
Sur les 25 que j’ai interrogées, rares sont celles qui ont eu une image d’homme rassurante à la maison. Un père présent, bienveillant, ni dominé par sa femme ni dominant... Un homme en place quoi ! Un homme un peu comme moi ?! J’allais vous le dire Docteur ! Un homme ferme et doux, sévère mais juste. Quelqu’un qui donne l’exemple
OU LE SYNDROME D’ATHÉNA Métis, une Titanide, échappait constamment aux convoitises de Zeus et la belle tomba enceinte d’Athéna. Apprenant la nouvelle, Zeus se rappela soudain la prédiction que lui avait faite jadis un oracle : viendrait le détrôner de son royaume. Pour déjouer la sinistre prédiction, il avala précipitamment Métis. Quelque temps plus tard, se promenant sur les rives du lac Tritonis, il fut pris d’une violente douleur à la tête...
17,50€
Réalisé en collaboration avec :
C O L L E C T I O N
LES enquêtes DU PROFESSEUR ZOULOUCK