Vivre l'Art Magazine n°1

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VIVRE L’ART MAGAZINE


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Vivre l’Art – Magazine est un blog d’art actuel que nous avons créé il y a plus de deux ans. Nous y avons régulièrement posté des textes et des images, des portraits d’artistes passionnés et talentueux que nous avons rencontrés pour la plupart à Puls’Art Le Mans, la manifestation d’art contemporain que j’anime depuis maintenant vingt et un ans. Notre envie était là de promouvoir l’art que nous aimons. Artistes et critiques se sont mobilisés pour nourrir ce blog. Yannick Lefeuvre, conteur et essayiste, a arpenté les allées du salon et a écrit sur ses coups de cœur. Thierry Gaudin, poète, s’est laissé guider par son inspiration, composant des poèmes à partir de l’œuvre de certains artistes. Nicole Anquetil, géopeintre, a donné libre cours à son enthousiasme. Stéphane Arrondeau a choisi de nous parler de son domaine, le vitrail. D’autres, comme Christian Noorbergen, Ludovic Duhamel ou Éric Meyer, nous ont également envoyé quelques articles. Le livre que nous réalisons aujourd’hui reprend une partie du contenu de notre blog ; il sera la trace pérenne de ce qui a été mis en ligne depuis des mois. Ce sera probablement le premier volume d’une série.

Lucien Ruimy

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ABRAHAM HADAD, C’EST UN STYLE par Lucien Ruimy Crédit photos : Gérard Dufresne

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braham Hadad vient du pays des Mille et Une Nuit, c’est un conteur. Il raconte des histoires qui sont toutes des leçons de vie. Sa peinture raconte les univers intimistes du peintre : son atelier, le peintre et son modèle, la famille… qu’il évoque avec des personnages tout en rondeur. Ils sont en contraste avec la dureté de la vie, du monde qui nous entoure. Ils sont la douceur que nous raconte Abraham Hadad. Mais l’on aurait tort d’y voir une simple description d’un monde idyllique. La force des regards de ses personnages, indique les tourments de la vie, le questionnement sur le monde, l’incompréhension de ceux qui ne pensent qu’à aimer les autres. Il aime aussi dans ses représentations de l’atelier retrouver le souvenir du peintre abstrait qu’il a été en y insérant des tableaux de cette veine, mais aussi des paysages, donnant une idée des autres voies qu’il aurait pu emprunter. Il nous indique ainsi que la voie qu’il a choisie n’est pas le fruit du hasard, mais celle d’un choix conscient fait dans les années soixante alors que l’abstraction dominait. À contre-courant, il a choisi, à l’époque, de raconter l’humain. La grande force des mondes proposés par Abraham Hadad vient aussi de la qualité, de la texture même de sa peinture. Les chairs des personnages portent en elles toute leur histoire : les strates des couches et des couches de peinture leur donnent vie, les font palpiter. Sa peinture n’est pas faite d’immédiateté, elle est le fruit d’une longue construction. Il est de ces rares peintres dont on reconnaît les tableaux au premier coup d’œil. Abraham Hadad, c’est un style.

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ABRAHAM HADAD, C’EST UN STYLE 8


KUU by Meyer & Sigg, LES LIENS EN TRAIN DE... par Yannick Lefeuvre www.ku-u.org

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es liens d’amour, invisibles vibrations… aux liens de haine, profondeurs crispées Ils disent et révèlent les liens de l’âme et de l’esprit et du corps aussi… Ils le disent à deux, ces deux fous, ces deux feux, deux filous, deux amoureux de la vie, ils touchent au cœur, ça bat la chamade. Leurs élucubrations coloristiques du jet simple au refus de se frontiériser nous arrachent à nos matins certains. De la vie en arrondis, en couleurs ébréchées, en rythmiques soupapes, en entités joyeuses. Ils inscrivent les entre-deux, les symboles et les entités au creux de ce qui palpite, de la vie et de l’amour aussi… Mille fois subjugués, ils virent et voltent, les jambages et des meilleures se risquent aux jeux de mots les plus scribouilleurs, cri… boue… ouille… heure… heurts… Peu importe car ce ne sont pas des prouesses de cérébrés mais des explorateurs de réalités, des pionniers de la matière grise, des bidouilleurs de la relation humaine, animale et charnelle, des utopistes articulables pour éveiller, coupdepiedsauxculstiser et transformationistes. D’envies de métamorphoses partout car toutes sont métasphores, cliconymises, clacotristeurs, calembouraleurs, cauchemarafriandises, couleuravocalises et de la Tour de Pise aussi… Pour nos petits bonheurs la chance de les avoir et de les voir en transe, avec eux, on être, on danse et ça se voit qu’ils sont ravis, ces ravis.

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TOF VANMARQUE : RACONTE-NOUS UNE HISTOIRE par Lucien Ruimy www.tofvanmarque.com

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l y a du Jérôme Bosch chez Tof Vanmarque, mais un Bosch du quotidien. Son ambition n’est ni l’enfer, ni le paradis. Il est là à nous décrire son quotidien qu’il sublime par sa gamme chromatique, où la narration reste toujours présente. Des couleurs vives, lumineuses, jamais de couleurs sourdes car il y a chez Tof une joie de vivre, une exubérance qui est celle de l’artiste : « Il faut peindre dans le plaisir ». Derrière le foisonnement des scènes, il y a le spectacle de la vie, une étrangeté poétique qui attire le regard à tel point que l’on a du mal à s’en détacher. Les personnages ont l’air de marionnettes suspendues dans le ciel, comme dans un cirque, le cirque de la vie, le cirque du monde tel qu’il le voit. Ce sont des clowns grimés comme pour masquer leur réelle personnalité. Mais aussi des pantins manipulés par des forces qui les dépassent. En effet, si l’humour est toujours présent, la critique sociale n’est jamais absente, même si l’artiste s’est retiré sur l’île de Molène au milieu des moutons. Les titres des tableaux en font foi : La politique, un jeu d’enfants gâtés ; Je t’aime Monsanto. Même s’il nous la joue très détaché du monde, même s’il joue à l’artiste qui ne fait pas le moindre effort, c’est un bosseur, un créateur d’univers mental qu’il nous retranscrit sur la toile. Et là, ce n’est pas du vide, au contraire, on peut passer des heures à cheminer à travers ses univers et y trouver à chaque fois quelque chose de nouveau. Tel un éléphant dans un magasin de porcelaine, Tof Vanmarque déboule dans le monde de l’art, attention, cela va décoiffer.

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TOF VANMARQUE : RACONTE-NOUS UNE HISTOIRE 14


L’ART ET LA FIN DES TRANSGRESSIONS par Christian Noorbergen chrisbergen@orange.fr

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’art interroge tout ce qui manque à l’homme pour combler les distances qui le séparent de la nature, et de sa nature… L’homme de la préhistoire souffre de la perte de l’insondable animalité. Séparation éveillant la terreur de l’implacable mortalité, et la tentative inouïe d’imaginer par l’art une sublime immortalité fantasmée. Conscience aiguë de la mortalité du corps. La différence sexuée, et l’abîme de l’individualité fouillent encore la perte des origines, fondatrice de l’humanité. Mais l’écart entre l’homme et sa nature se creuse, et ne cesse de se creuser. Les systèmes se fatiguent avant de se savoir fatigués, il faut les transformer contre leurs propres certitudes. Les transgresser du dedans. L’art, dans les moments de crise où la culture enfin se dénoue, assèche les sources des concepts trop installés, effondre les bases de la représentation, et au lieu de privilégier le sens, en montre les limites et s’ouvre au non-sens. Transgressions vitales. Ainsi, sans faire mourir l’humanité, l’art bouscule l’inertie des cultures. La plénitude épuisée, saccagée, puis restaurée, fait vibrer à jamais les cordes de l’existence profonde.

professionnels de la transgression… Jeux d’apparence, d’appareil, et d’apparat… Cartes brouillées de l’authenticité, de l’acquis, de l’éthique, du culturel, des lieux d’art, ou des lieux sans art… Transgressions destinées à la reconnaissance, sans enjeu vital, comme la répétition mortifère des « infos ». Les transgressions futiles sont en quête éperdue de bienheureuses, attractives et putrides censures, et les pauvres éclats de ces transgressions à petits pas sont autant de miroirs de pauvre singularité. Elles éprouvent à bon compte le grand jeu des libertés acquises, le tropplein de tous les possibles, et les boursouflures de la vacuité.

LES TRANSGRESSIONS VITALES Notre époque ignore les frontières. De rupture en rupture, elle se vit, difficilement, dans une interminable remise en question. Régression possible, jusqu’aux intégrismes pluriels. Contre les surfaces évidées du goût collectif, les transgressions de vérité réveillent l’archaïsme des zones psychiques du dégoût… Elles éveillent… Le primitif LES TRANSGRESSIONS FRIVOLES oublié revient. Le tenu à l’écart des bienséances culturelles Petit saut dans le presque rien, la transgression fabriquée, surgit. éphémère, anecdotique, fait diversion. Puce avide de La transgression installe les stigmates du manque à sensations, dans les bulles de l’ego… être. Elle pose des repères de fête sur les repoussoirs La transgression pour la transgression, et comme de l’interdit. La transgression comme fenêtre d’altérité moyen de communication, est jeu de mode, remarque se fait initiatrice, elle incise le réel, crée un seuil où ludique hors du champ du remarquable. Petit attentat l’humanité s’installe au vrai, fait de la place au non-être confortable, forme esthétisante de l’arrivisme. Les pour construire hors des bases fatiguées. courants d’art installés servent de repoussoir, et la La transgression vitale, ou la fin cruelle des sacrifices… transgression devenue système installe pour un temps les

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LES SÉQUENCES DE KRISTIAN DESAILLY par Georges Richar-Rivier kristian.desailly.free.fr

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u fil des jours, au fil des ans, Kristian Desailly approfondit sa vision du monde. Trois décennies après le début de sa quête picturale, il nous donne maintenant à voir, dans ses toiles, son univers esthétique à présent accompli, mais sans qu’il ait tout à fait oublié le temps de l’enfance – si sauvage, si spontané, si inventif – ni perdu l’impétuosité de l’adolescence. La peinture de Kristian Desailly, cependant, ne convient pas aux regardeurs pressés. Il est nécessaire de traverser le miroir des apparences pour entrer dans cette œuvre créative empreinte de poésie, et apprécier comme il se doit une composition plastique peu perceptible au premier regard. Généreusement brossées, les grandes masses colorées peintes à l’acrylique forment un fond plutôt clair, structuré par un réseau de traits noirs au fusain, et rehaussé çà et là de signes au pastel, comme tracés par un chaman qui seul en connaîtrait la signification. Ce qui nous rappelle opportunément que « l’acte d’imagination est un acte magique » (Jean-Paul Sartre). Autre point de vue pouvant retenir l’attention. Il ne me semble pas abusif de mettre en parallèle les peintures actuelles de Kristian Desailly et les couleurs automnales de cette contrée entre Ventoux et Lubéron qu’il fréquente depuis sa prime jeunesse et où il habite désormais. Chez qui se souvient de la lumière du pays de Gordes, à la fin de l’été, peut s’établir un rapport subliminal entre une perception terre à terre de la Nature (teintes des vignes, des cerisiers… allant des jaunes aux rouges en passant par tous les ocres, confrontées aux bleus des ciels, mais équilibrées par les sombres masses des cyprès, des chênes verts…), et la contemplation de la palette éclatante des œuvres abstraites de Kristian Desailly. (À suivre…)

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SYLVIE LOBATO : LES VIBRATIONS DE L’ÂME par Lucien Ruimy www.sylvie-lobato.com

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ylvie Lobato est une artiste discrète, mais sa peinture est forte. Les corps qu’elle peint en élévation ou en chute sont d’une grande intensité, ils expriment toutes les contradictions humaines. Le beau, le laid, les joies et toutes les souffrances qu’une vie peut engendrer. Autant les peintres de la renaissance peignaient la surface lisse de la peau, autant Sylvie rentre à l’intérieur du corps avec une sarabande de coups de pinceaux, elle donne vie à ce qui est à l’intérieur de chacun de nous. Le corps peint devient le siège des émotions fortes, l’objet du désir, celui que l’on envie de recueillir dans ses bras. De lutter par l’esprit, par la force des pigments contre la

gravité qui nous projette vers le sol, le bas. Il n’y a là aucune leçon si ce n’est celle de la vie à consommer sans modération. Cela explique sans doute l’intérêt de Sylvie Lobato pour la danse, les sauts, les tensions du corps sont poussées à l’extrême. Ce qui fait aussi l’intensité visuelle des tableaux c’est tout un travail sur la texture de la peinture, sur les transparences. Les contrastes entre les corps suspendus et l’arrière-plan, très travaillé, de la toile. Et puis, en cherchant bien on trouve aussi des toiles pleines de tendresse. 19


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RUTA JUSIONYTE OU LA TRAVERSÉE DU DÉSASTRE par Christian Noorbergen www.rutajusionyte.com

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es yeux sont un peu plus grands. Les yeux sont des trous. La fragilité est un peu plus grande. Mise à nu de la nudité. Ruta accomplit ce rituel. Ses êtres sont des trous humains. À travers eux, on voit, car il y a des corps autour des trous, par où passe l’infini. Il n’y a plus d’horizon, on leur a enlevé le ciel. L’extérieur n’existe plus : l’extrême intimité, et la plus lointaine qui soit, les a durement sculptés. Peut-être ont-ils la couleur de la boue, et le regard brûlé. Les êtres rugueux de Ruta, autrefois, ont été brisés de l’intérieur. Et ça continue. La boue brûle encore. Ce sont

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des êtres densifiés de peine et de lacunes. On ne peut plus leur prendre quelque chose, car ils n’ont plus rien. Ils ont tout perdu, sauf notre humanité. Ils ne sont pas invincibles, un souffle les bouleverse, un reproche les épouvante, et cependant, ils sont invaincus. Ils ont traversé la destruction de tous les dehors, ils sont indestructibles. Ils sont nos frères d’abîme, ils tiendront jusqu’à la fin des temps. Leurs organes ne font plus qu’un. Tout s’est durci, tout s’est concentré. Leur densité est terrible. On s’y briserait le cœur. Seuls les yeux sont plus grands, et aussi leur fragilité… Peut-être hésitent-ils entre la jeunesse


interdite et la vieillesse oubliée ? La vie les hante, et la mort les touche. Ils sont toujours à portée de la tendresse. Petit homme d’éternité, au sexe doux, offert à l’immensité. Femme au cœur ballant. Enfant accroché. Tous, ils ne font qu’un. Un seul regard. Chaque œuvre de Ruta est une île de vie, une obsession sublime. Une résistance ultime, résistante à tout, et formidable de fragilité, a pris corps. Et pourtant quelque chose ne sait plus prendre corps. Les abandons de l’enfance interdisent l’habit de chair. Les désirs ont quitté la route. Indéfinie, improbable, l’indicible attente sidère les regards. La flamme recueille le sommeil des cendres. Espoir latent et puissant, départ en léthargie… Ruta crée dans l’irrécupérable. Chez elle, il fait grande nuit. Il y a toujours la nuit. Innombrable, interminable. L’univers est sans fond, le jour a fui loin de la peau, et même les yeux sont de nuit… Elle affronte la part d’ombre que l’ordre du jour n’ose affronter, elle dit les trouées de l’être, les corps sacrifiés de nos ombres, et leurs mortelles beautés. Elle sait travailler la terre, sa terre en elle travaille, et

ses repères, et l’ancestrale culture des côtes baltes. Mais la perte des origines a rendu l’air irrespirable. Ces êtres indicibles, poignants et soignants ont la sourde nostalgie des sources vives, des mythes intimes et des légendes secrètes. Ils respirent nos blessures et nos silences. Ils ont des failles, des déchirures, des transparences, des fissures, et des coulées de ciel. Ils incantent nos cicatrices. Ils sont les incarnés et les démunis d’un dialogue sans fin d’elle avec elle-même. Dans elle-même, il y a m’aime, il y a celle qui s’aime, et tous les autres, inséparés. Ils sont la troupe exténuée de nos doubles indéfinis. Le petit peuple de ces humains sans âge, démuni, essentiel, et de taille étrangement réduite, fusionne l’insupportable du trop vécu au dénuement effarant des enfants d’âme. Ces êtres au regard posthume sont nos durs miroirs. Quand tout se tait, infimes, les crocs plantés à l’intérieur, ils parlent sans mot de l’éternelle énigme de l’existence. Ils portent la contemplation jusqu’au bord aigu et tranché d’un horizon toujours noir. Ruta Jusionyte sculpte à vif l’humanité.

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RUTA JUSIONYTE OU LA TRAVERSÉE DU DÉSASTRE 24


DOMINIQUE ROSSIGNOL, CONQUÉRANT À L’ASSAUT DE LA CRÉATION par Nicole Anquetil

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’est un homme élégant, élancé et sobre qui nous ouvre les portes de son atelier par un lundi matin froid de décembre. La rue est glaciale, l’homme est chaleureux d’emblée, à ses côtés on se sent bien. L’atelier est une caverne d’Ali Baba, succession de pièces reliées par des escaliers pentus où sont méticuleusement rangées des dizaines de toiles, toiles appuyées sagement contre les murs en attente d’être dévoilées par la main du maître. Tout est prêt pour une matinée extraordinaire dont je sortirai éblouie, étourdie, épatée dans l’ordinaire et la froideur de la rue SainteCroix. La jubilation avec laquelle Dominique Rossignol montre ses œuvres est communicative et contagieuse. On veut tout voir, on lui fait tout montrer, tout sortir ! On passe de pièce en pièce pour ne rien rater ! La matinée est magique, le personnage est enchanteur. Oui j’ai bien envie de l’appeler Merlin l’enchanteur ! C’est un grand seigneur, un bouillonnant passionné qui parle et qui parle avec une telle chaleur et une telle modestie de son œuvre. Il vit son art comme il en parle, à fond et sans retenue. On sent vibrer la liberté de sa création, l’authenticité de l’homme dans sa démarche, on est touché par l’humilité de la présentation des toiles, comme si tout était banal ou normal. Plus j’avance plus je suis fascinée, plus je suis émerveillée. Le voyage dans l’atelier s’annonce bien, on est emporté. Mes yeux ne sont pas assez grands. Le contraste entre la découverte des dernières toiles du Maître et le rangement méticuleux et maniaque de l’atelier ajoute au mystère du personnage. L’imagination débordante inscrite au cœur des toiles face 25


Dominique Rossignol est un chevalier, un conquérant de l’art qui avance sans peur, un grand guerrier qui ne cache pas ses bagarres avec la toile, ses doutes sur la validité du résultat, ses allers et retours et valses hésitations. Son énergie à soulever de terre les lourds châssis, comme autant de butins de son long et profond travail est remarquable. C’est un grand diable qui ouvre ses bras pour embrasser des toiles anciennes et les révéler à la lumière. Ses toiles sont à sa taille, taille humaine, l’homme et les châssis se retrouvent, le moment est émouvant. Il les déploie comme autant de moment de vie, révisions d’un travail acharné. Il les enlève comme des trophées trop heureux que je m’exclame à chaque découverte d’un « Oh c’est beau ! » ou d’un « oh et celle-là » ou « oh et la bleu à côté ! » Il s’amuse de ma naïveté et de mon excitation sans rien laisser paraître dans cette tourbillonnante chasse au trésor qui me comble et m’émerveille. Avec Rossignol, je suis aux anges ! Oui car il y a du merveilleux dans cette œuvre picaresque. Combat de titans, débauche de mouvements et coups de pinceaux ravageurs, la toile est battue, retravaillée, cousue, découpée, recadrée, tronçonnée. La série récente des Cavaliers rappelle la Tapisserie de la reine Mathilde, épopée de la conquête de l’Angleterre, épopée qui ne peut que me parler étant normande et parente bien éloignée d’un conquérant Guillaume ! Les à l’ordonnancement quasi maniaque des outils de travail chevaux ailés sortent de la toile, les cavaliers chevauchent intrigue. Je jubile parce que c’est la peinture que j’aime, celle du cœur et de l’âme voyageuse, celle des rêves enfantins et des horizons nouveaux, peinture sans cesse en mouvement, sans cesse recréée, peinture sans chichis ni effets de mode loin des clichés et de la tendance. Le travail de Dominique Rossignol est l’expression de la création en marche, les compositions de ces toiles sont multiples, hétérogènes mais dégagent une telle unité, une telle logique de composition. C’est une œuvre de longue haleine que l’on sent cent fois remise sur le métier, un tricotage méticuleux de toiles anciennes et nouvelles, une recherche constante et probablement douloureuse ou difficile d’avancer dans l’art. Quelle imagination ! Quel soin dans le recollage des morceaux ! C’est le puzzle de toute une vie qui s’étale devant nous, cohérence extraordinaire de rafistolages épars. Rossignol est le champion du marouflage ! Le roi de la récup ! Son œuvre est l’expression libre d’un homme qui visiblement a fait ce qu’il a voulu. Liberté des gestes, gestes déliés, pas élancés de l’homme comme ses coups de pinceaux qui débordent largement de la toile, comme ses coups de ciseaux dans la toile, comme ses collages fantaisistes. Je ressens la profondeur de la création et l’authenticité du personnage. Aucune entrave dans sa création, il est inventif et généreux, audacieux et adroit. 26


vaillamment, la fresque est vivante. C’est une approche picturale de la bande dessinée, l’histoire est racontée et se poursuit. Le spectateur est porté et veut voir la suite. La jeunesse et la hardiesse de cette peinture sont superbes et entraînantes. Ici tout est surprise, on retient son souffle. Il y a du Cervantès et du Dali dans Rossignol. On plonge dans toutes ses toiles comme on entre dans une histoire. Des épopées lyriques, on passe à l’imagination débridée et à l’audace des collages. Les toiles plus anciennes sont composites et révèlent l’acharnement jubilatoire à créer, inventer. Chaque toile est une page du livre ouvert de sa vie, collection de moments intimes livrés au regard. J’aime me perdre dans les beaux bleus osés, effleurer les morceaux de dentelles récupérées, les tissus incrustés, les lambeaux de toiles marouflées. La surprise est totale, l’imagination débridée et fantasque. on n’ose pas les toucher. Le rangement obstiné de l’atelier n’est-il pas l’antidote à cette fantaisie insoupçonnée, à cette jolie folie, à ces actes de désobéissance par rapport à un art convenu et bien défendu par les institutions ? Ici la toile n’est pas sacralisée, elle est matière première à faire du nouveau. On sent que dans l’avancée de l’œuvre, la conceptualisation disparaît, la retenue s’efface. Les œuvres sortent plus des entrailles que de l’intellect. Toutes les normes et tous les brouillages qui entravent la création sont balayés, la création est libérée, l’artiste s’ouvre et s’empresse à rendre limpide son travail. C’est enfin l’expression des rêves et de la sensualité qui me porte dans cette œuvre. L’artiste prend dans ses bras ses toiles comme il le ferait d’une femme, il a une relation charnelle avec ces morceaux de vie étalés au grand jour. L’émotion est palpable, la reconnaissance est grande de nous faire partager cette intimité. Les corps sont partout, inscrits dodus et pleins dans le lin, griffés énergiquement avec la plume de l’encre, ronds et avenants dans les sculptures gardiennes des toiles. Les femmes sont en chair et leur beauté crue exposée. Les courbes des écritures et des dessins esquissés à tous les coins de toile soulignent à l’envi tout le sens caché du message : la sensualité, le féminin et la jouissance dans et de la vie. Dominique Rossignol dégage une très grande énergie, celle que j’avais ressentie dès l’entrée. Il a cette capacité à entraîner dans son sillage et dans son monde, et à faire rêver. Son œuvre est vraie, enthousiaste, puissante. Sa force d’imagination et de travail donne du courage à continuer, la liberté de son geste et l’audace d’une peinture non conventionnelle sont autant de cadeaux donnés à partager.

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CHARLOTTE DE MAUPEOU : LES VERTUS DE L’ONDE par Lucien Ruimy www.charlottedemaupeou.fr

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harlotte de Maupeou est une jeune femme déterminée. Elle n’hésite pas, pour donner une texture, des transparences, des couleurs particulières, à mélanger de la colle de peau de poisson à ses pigments. Il faut donc un certain courage pour affronter les odeurs que cela peut dégager. Après un séjour à la Casa Vélasquez en 2003, Charlotte a revisité la peinture de Vélasquez, Vermeer ou Hals. Comment ces maîtres de la peinture auraient-ils peint s’ils étaient de notre temps ? Charlotte nous en donne une idée, sa version. Car si l’on reconnaît au premier coup d’œil ces tableaux célèbres, la matière, la texture de la peinture en sont totalement différentes. La fluidité de la peinture, le geste non effacé leur donnent un aspect des plus contemporains. Elle tente même de recréer les Ménines de Vélaquez, Le Déjeuner sur l’herbe de Manet ou La Liberté guidant le

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peuple de Delacroix en trois dimensions : des cartons découpés, des silhouettes à peine surlignées, des collages recréent l’image connue tout en lui donnant une profondeur, une perspective différente. Il y a toujours, chez Charlotte de Maupeou, cette volonté de demander au spectateur un effort sur ce qu’il regarde, ce qu’il voit. C’est l’objet de ses derniers travaux sur le reflet. De grands tableaux figurent le reflet de personnages dans l’eau, cela doit se regarder à une certaine distance. Là encore, le geste est nerveux, le tremblement de l’onde d’une eau qui avance, vient perturber l’image. Mais ce qui caractérise l’ensemble des travaux de Charlotte de Maupeou, c’est un geste fort, une détermination à entrer dans la peinture et l’un de ses éléments fondamentaux, l’eau. La dilution de la peinture, la dilution des corps.


LA LUMINEUSE, L’AUDACIEUSE ET LA TÉMÉRAIRE par Nicole Anquetil

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lle arrive comme une reine, bottée et coiffée d’une d’œil à l’art. Charlotte jongle sans peur ni scrupule belle toque en renard. Dehors il gèle, Charlotte avec les grands noms de la peinture. C’est magique et rayonne. profondément humain, l’art magnifié, muséifié est à nos pieds. C’est osé et réconfortant, Charlotte désacralise et La présentation des toiles commence rapidement, elle cela fait du bien. Elle remet l’œuvre d’art à sa place et dévoile les toiles comme on tourne les pages d’un met l’artiste au cœur du temps présent et du vivant. livre, son compagnon soulève les grands châssis, toiles À l’étage, au sommet d’un escalier périlleux, découverte immenses effeuillées une à une. C’est un émerveillement, des toiles plus anciennes rangées sous les toits. C’est là tous ces reflets des corps dans l’eau, dernières œuvres que Charlotte peint, le lieu est chaleureux. La femme réalisées. L’envers est aussi beau que l’endroit, Charlotte au chapeau rouge m’impressionne, la force du portrait s’en amuse et s’en étonne, les surprises sont totales. Les de Vermeer éclate sur le vieux mur de ce hangar de corps sont déliés, le geste est fulgurant, tout va vers la Courdemanche, l’œil est vif comme le rouge du chapeau, simplicité, la fugacité, l’artiste est pressée. Les bleus et les la beauté des traits du visage accroche la lumière. La roses se marient, les verts profonds structurent le tableau, femme sort du mur du hangar. La couleur porte le les touches sont rapides et spontanées, grands traits personnage qui s’impose, rien n’est retenu, tout sort du rageurs, toiles caressées par les larges coups de pinceaux, cadre. grandes cicatrices balafrant les chevrons de la toile brute. Un moment en dehors du temps et pourtant bien dans le Puis les petits carrés défilent, gros plans sur des personnages présent, l’envie de courir dans son atelier pour peindre, bien abrités derrière le cadre de verre, personnages au Charlotte nous pousse à continuer sans états d’âme, son fond qui ne demandent qu’à sortir. Charlotte est joueuse, audace est contagieuse, Charlotte a les pieds bien plantés curieuse et inventive lorsqu’elle fait ses scènes en carton, sur terre et la tête près des étoiles, elle rayonne de cette art de la récup’ au thème évocateur de la Liberté, du énergie impalpable et réconfortante, elle est émouvante Déjeuner sur l’herbe ou des Ménines, autant de clins et puissante.

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CHARLOTTE DE MAUPEOU : LES VERTUS DE L’ONDE 30


GENE BARBE : RÉEL DE L’OUTRE-SENS par Yannick Lefeuvre www.genebarbe.com

Très au fait.......................des textes des origines................................... Treize aux faits........................de l’arbre de la vie.................................. Traits au faîte..................................de sa peinture.................................

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Des toiles, telles des instantanés de vie figés à l’exacte seconde de leur réalité. Pour en dire les substances, il ne néglige aucune piste, il prend tous les risques. Il nous donne sa vision des plus sincères. C’est aussi déroutant qu’enivrant ! Il nous mène sur le seuil de l’humilité, à nous de le franchir ou non, de faire le pas ou non. Ce sera un vrai pas de côté mais vous ne serez pas déçu. Au-delà de la gratuité actuelle des productions picturales, il creuse au bord de l’abîme où la chute est possible. Chacune de ses peintures demande silence, présence et attente. Elles se livrent d’emblée ou pas du tout. L’humain oublie l’étonnement, il lui faut pour retrouver le plaisir

d’être de l’enfance s’arrêter, prendre le temps et suivre une piste. Ses toiles travaillées dans la fulgurance et le réel nous donnent les possibles d’être et d’aller vers... J’en saisis une, la toile nommée Bliss pour tenter sans verbiage d’exprimer ce qui m’émeut dans ce qu’il nous donne à voir et peut être à penser. Il y a un homme qui dort, son chien contre lui . La tête du chien s’inscrit dans le corps de l’homme assoupi. L’un apaise l’autre. Ils se confondent en une secrète alchimie de ce qu’il en est de l’animal et de l’homme. Travail de peintre surtout, les subtiles connivences traduites par des glissements de couleurs, ses lignes fracassées nous ouvrent les chemins. Chaque toile est un seuil à franchir, prenez le temps et vous serez là où il est nécessaire d’être pour simplement se savoir présent au monde. L’artiste est à ce degré d’amitié pour nous autres, c’est à saisir ! 32


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THOMAS DUSSAIX : ENTRÉE EN MATIÈRE ! par Yannick Lefeuvre thomasdussaix.com

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ous soupçonnons qu’il y a d’autres mondes. Pour y entrer, il est riche de sens de se demander quel seuil franchir. Depuis l’aube des temps, les hommes ont cherché les portes. L’artiste, avec les gestes précis d’un archéologue amoureux creuse la matière noire. Ainsi, il libère visuellement le possible. Il reste à tracer la juste forme, le bon cadre, les lignes de force afin de franchir les seuils avec confiance. Nul besoin d’exercices compliqués, la complexité est à portée de regard. Il va au gré des balades fructueuses reconnaître les arches que les hommes ont conçues. Une fois celles-ci trouvées, il en retrace l’itinéraire, le processus. Il en reprend la démarche pas à pas tranquillement. Durant ce lent travail, les pensées libérées seront le véhicule sur lequel il s’envolera vers les rivages inconnus. Mais tout à coup, les perspectives s’inversent, tout ce qui fut appris se démantèle et les certitudes s’estompent. Une nouvelle liberté prend son envol. L’artiste comprend qu’une porte vient d’être franchie. Il est utile d’aller en confiance. L’intuition, les signes fugaces, le souffle deviennent des alliés fidèles. Le jeu mesuré et sensuel de la joute entre le blanc et le noir commence. Intérieur, extérieur et entre-deux, les repères simples suffisent pour entendre la peau de la toile sur laquelle les doigts s’agitent, vibrent. S’il y a lumière qui dévoile, elle sera intérieure. S’il y a obscurité qui cache, elle sera extérieure. C’est simple comme bonjour. La tension créée par les pôles ainsi déterminés libère le souffle de la vie. Ce sera la quête attentive des équilibres où l’information est à l’exact lieu du temps qui s’installe. Le temps se situe aussi à ce point précis où la ligne surgit. De la rencontre entre blancheur et noirceur naîtra le trouble. Il est possible que le public attentif soit à l’heure et au lieu du rendez-vous.

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NICOLAS CLUZEL : PRESSE-CITRON... par Yannick Lefeuvre www.nicolascluzel.com

Voir dans l’étrangeté d’un bouquet, le cru animal ! Voir dans sa monstrueuse fourrure, les os et les dents ! Voir dans leurs entre-chocs, les déflagrations cosmiques ! Et voir dans le burlesque du sang des couleurs, la pupille effarée de Narcisse au bord de l’effroi !

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L’ART CONTEMPORAIN ET LE VITRAIL : UN EXEMPLE SARTHOIS par Stéphane Arrondeau steph.vitrail@orange.fr

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ui sont, réellement, les auteurs de ces vitraux médiévaux qui forcent l’admiration de tous, et qui ornent encore églises et cathédrales ? Des artistes de talent ? De simples artisans ? Les garants d’un véritable savoir-faire, ou les créateurs d’une toute nouvelle iconographie ? Aux dires des spécialistes, la question, ainsi formulée, serait anachronique. Impossible de comparer les époques… Des problèmes de terminologie viennent, également, entraver toutes ces inutiles spéculations. En effet, quelle réalité recouvrait alors l’utilisation d’un panel riche et varié de termes censés les dénommer ? Qui étaient ces verriers : verrour, vitriarius, glazier, glazenwrigt, vitrarius pictor ou bien encore glass-painter ? En fait il s’agit, surtout, d’illustres anonymes. L’histoire n’a pas, pour ainsi dire, retenu leurs noms. L’un d’eux, cependant, pour des raisons qui nous demeurent inconnues, est passé à la postérité, en intégrant son portrait dans l’une de ses verrières. Le geste est fort et audacieux. Il s’agit, en réalité, de l’un des premiers autoportraits d’artistes, signé Gerlachus et datant de 1160 ! Cette question, ce distinguo entre artiste et artisan, prend tout son sens dans la seconde moitié du XXe siècle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et à l’initiative de personnalités telles qu’André Malraux et le Père Couturier, tous les plus grands artistes vont contribuer à la réalisation d’œuvres majeures. Les maîtres verriers redeviennent de simples artisans et leurs noms s’effacent, une nouvelle fois, des livres d’histoire de l’art. Tout le

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monde connaît les vitraux de Chagall de la cathédrale de Metz, ou d’ailleurs, ceux de Matisse à la chapelle de Vence, mais le nom de ceux qui les ont réalisés ? Dans le département de la Sarthe, un chantier important de création de vitraux vient d’être inauguré. Lorsque nous pénétrons, désormais, dans la petite église rurale de la commune de Crannes-en-Champagne, nous sommes saisis par l’effet produit par les vitraux conçus par Thibault de Reimpré, réalisés par Eric Boucher et son équipe. Beauté et puissance semblent caractériser ces œuvres ! Certes, cet effet est inhérent à la production artistique de Thibault de Reimpré, peintre talentueux, installé à Crannes-en-Champagne : « Reimpré, en revanche, n’en passe pas par le relais d’une conceptualisation explicite, son « lyrisme », s’il faut garder ce mot, est bien réel, son expression est directe. Et très intense. D’où une certaine difficulté à commenter cette peinture qui semble court-circuiter le discours par l’investissement maximal dont elle est le lieu, la force de son propre « langage », l’impérieux effet de présence qu’elle impose. » (Manuel Jover « Reimpré : église de Crannes-en-Champagne 2011 »). Mais la transposition sur verre de ses maquettes amplifie le phénomène, qui gagne encore en profondeur et subtilités chromatiques. Le maître verrier a surmonté les difficultés d’un tel projet en réalisant de véritables prouesses techniques : pas le moindre réseau de plomb pour sous-tendre ces compositions. En réalité, il fallait l’association heureuse du talent des deux, de Thibault de Reimpré et d’Eric Boucher, de « l’artiste » et de « l’artisan » pour réaliser un tel projet…


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AGNÈS DESPLACES : ÉNIGMES DES ENVERS... par Yannick Lefeuvre www.agnesdesplaces.com

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es nuques de dos, résolument avec des oreilles, telles des parenthèses esquissées… Arrêt sur image et point d’interrogation. Dans cet envers qu’elle donne à voir sur grand format, le temps s’arrête, notre pensée est décontenancée, tourneboulée. Nous sommes tout à coup, l’araignée, le sujet de la toile, au centre, en apnée, sur un seuil, dans une possibilité mystérieuse et vivifiante. Émotion. De prime abord, une immense présence cernée, l’évidence d’une nuque, toute en subtilité d’éclairage de substances, de crânes nus aux nuances de craies, de variations blanchâtres, grisées et mouvantes, permettent une intrusion en toute liberté dans les pensées de la figure retournée. Retour aux origines du perceptible par les nécessaires projections, par l’élaboration qui tente la reconstitution impossible d’un visage. Ce point de vue, rare et courageux nous permet d’ouvrir des potentialités inconnues de notre univers intérieur. Par le truchement d’un jeu figuratif, elle nous fait franchir les seuils de notre abstraction intérieure. Par ailleurs, aucune concession dans un vouloir dire mais une absence de signes, juste la substance et les traces d’un travail patient sur la matière colorée où l’ocre, le blanc, l’épaisseur d’une chair ou d’une ossature s’éploient. Ce compte rendu strict de cet envers nous remet bizarrement à l’endroit. Peut-être que dans la vie maintenant les nuques se mettront à nous parler comme jamais et chaque visage sera une surprise. L’art se doit d’être à mon sens un étonnement de toutes les secondes et nous y sommes. De fait nous aurons cheminé ensemble, échangé sur la face obscure de ce qui se silhouette en nous, de ce qui s’opère dans la plongée vers l’esprit. D’ailleurs, un chef d’orchestre sans hésiter acquiert une toile. Il a tout de suite compris qu’elle lui était destinée. Une gamine soulève la toile pour voir de l’autre coté ! En voilà deux qui savent ! Oui, elle a eu raison d’oser. Alors, ne lui tournez pas le dos, tentez d’y être. Sinon, il est possible qu’en vous regardant vous éloigner le dos tourné, elle risque d’en faire pour notre plus grand plaisir une nouvelle toile.

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FRANÇOIS BRESSON : UNE PATTE par Lucien Ruimy

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e qui marque au premier regard, c’est la sensualité de la peinture. On sent le plaisir de peindre. D’étaler dans des gestes fluides ou nerveux. Ses personnages, même s’ils sont clairement identifiés sont en mouvement, grâce gestuelle de l’artiste, il leur a ainsi donné une singularité qui trouble le regard. Les couleurs sourdes contribuent à l’aspect énigmatique des scènes. Son but est clair, troubler le spectateur, l’obliger à aller au-delà de la scène qu’il croit entrevoir, reconnaître. L’objet de ce que l’on voit ce n’est pas la scène décrite, l’objet, c’est la peinture. François veut nous faire perdre les codes, il déstructure, il floute, il veut que nous rentrions dans la texture même de la peinture, la gestuelle n’est là que pour en montrer la force pigmentaire, la suavité huileuse et la lumière intérieure qui en ressort. Il nous faut ensuite reconstruire la scène, retrouver les références à la peinture ancienne à laquelle il fait allusion dans ses toiles, à laquelle il rend hommage tout en lui donnant avec force une nouvelle jeunesse. Il ne s’agit pas de plagiat, de manque d’imagination, mais au contraire l’affirmation d’une grande confiance de l’artiste à se confronter aux maîtres du passé. À la croisée des chemins vers une peinture sortie des ténèbres et de la confusion, la peinture de François Bresson promet beaucoup.

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FRANÇOIS BRESSON : UNE PATTE 48


NATHALIE FLORES : BLANCA ET NEGRA par Yannick Lefeuvre www.nathalie-flores-peintures.net

Osons regarder une de ses toiles. Elle, la fille, la femme assise jambes ouvertes, une corde à chaque « patte » exposée, vue, attrapée, chosifiée, écartelée. Prise au piège. Il y a pourtant des lois pour contrer l’innommable. Mais l’artiste en mesure l’insuffisance, elle nous saisit par son langage pictural, c’est au plus profond du langage et de l’image que ça coince. En amont, plus abyssal encore, il est question de substances enfouies d’où surgissent des écritures. Ce n’est pas de l’abstrait pour faire posture. Le mot « non » est tracé de lettres percées. Les perforations d’une violence inouïes qu’elle concrétise sur la toile sont en écho avec le réel des femmes percées, excisées, violées. Elle soupçonne qu’il y a au-delà des mots, voire mêmes des lois applicables, en amont, des images à travailler pour que le réel de l’insulte faite aux femmes advienne à l’esprit et engage les possibles transformations. Pas de tricherie, ses toiles, ça nous parle de ça. Vouloir distinguer et non séparer, rendre visuel un savoir de la souffrance, engager le processus vers un pouvoir à transformer l’objet en sujet, voilà son cri. Son talent, son intuition et son creuset se transfigurent par la puissance du double. Double d’elle mais aussi double de toutes les femmes qui se savent ainsi flouées, violentées, martyrisées. De ce que le langage ne désigne pas, de ce qui est insu, de ce qui indiffère, là, se trouvent les crocs de la bête immonde. Elle en donne traces peintes, charnelles et vibratoires, nécessité pour elle mais pas seulement. Il faut que ça déborde. Elle montre les crocs mortels sans rien imposer. Elle donne les éléments et nous, devenus sujet, nous établissons du sens, une ré-flexion mais sur le substrat d’une réelle stupeur révélée. Ce n’est plus discours sur, paroles bienveillantes ou compassions vaines. Une fois, la cruauté présentifiée, il s’agit à chacun de « voir » ce qu’il en résulte pour continuer à avancer. Ses toiles marquent une ligne de partage, une frontière identifiable et réactualisent l’interdit fondamental. Une femme et son reflet sombre, unique, mais pour elle cela ouvre à toutes les autres (multiplication des silhouettes). Elles sont de fait par milliers, les statistiques sont formelles dans leur atrocité. L’artiste nous les rend « visibles », c’est-à-dire capables d’être ressenties donc transformables (croisement vertical-horizontal). Par la loi, par la règle, par le cadre d’un tableau, les mouvements des lignes internes qui deviennent « Tables » de ces lois. Elle sait que ce qui ne surgira pas de là restera lettres mortes. Ce qui ne vient pas de ce substrat-là à l’esprit ne peut être modifiable. Sinon sans ce faire, sans ce travail, la femme violentée reste définitivement exclue de l’humain car située hors du langage et de ces mots, de l’image vraie et de l’émotion ressentie. L’artiste se situe là à la croisée de ce qui est à dire, à montrer, à ressentir, à être. Blanches Neiges de noir de blanc, Blanches Charbons de blanches et noires, de quelques traces parfois, rouges 49


de vrai sang mais rarement, elles s’imposent. Pas de pathos ni de pathologie, c’est à l’intime qu’elle s’attaque. C’est là le creuset et ça creuse, ça craque, ça crie pour de vrai. La difficulté d’apprendre que cette vérité, révoltante, scandaleuse ne peut prendre racine que de ce qui fait trouble, émotion, reconnaissance partagée de l’autre qui subit. L’artiste sait cela et le peint sans concession et sans violence inutile. Elle ne redouble pas le cri, elle le partage en deux couleurs fondamentales, fondement mental à toutes avancées pensées vers l’humain et de ce qu’il en reste. Elle ouvre au choix intime de chacun, homme et femme de dire oui ou non à la cruauté animale, à la barbarie instituée et à l’espérance d’autres amours possibles. La tension entre le noir et le blanc rend la pensée possible dans un entre-deux où le tiers n’est pas exclu. Ces passages obligés, ces seuils à franchir et ces nécessaires cadrages nous apprennent que parfois le chemin artistique pose en amont une nécessaire prise de conscience humaine.

Créer pour qui et pour quoi ? L’artiste peint ces résolutions dans la chair même de la toile, dans les couleurs absorbées de lumières, dans les matières brutales, dans les perspectives frontales, dans les violences sculptées, sur une toile griffée, fendue, cousue (elle aussi maltraitée). Qu’on adhère ou non à cette crispation visuelle originale n’exclut pas le fait qu’il y a là une véritable présence à l’autre féminin où les justes éléments, repères et énergies peuvent effectuer pour notre humanité leurs transmutations. L’art une fois de plus en équilibre avec les lois éthiques intimes de la création, les lois instituées de la société et le réel, cheminent subtilement ensemble.

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DIDIER HAMEY : TRAVERSÉES FANTASQUES par Yannick Lefeuvre didier.hamey.free.fr

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’artiste dit qu’il grave des choses pas graves. Je me permets ici de n’être pas d’accord avec lui. Je vais écrire là-dessus car le monde étant sens dessus dessous, il est important que les artistes mesurent combien leurs cheminements nous sont plus qu’utiles. Ils nous donnent capacité à respirer ailleurs. Pour preuve, moi qui regarde tes gravures à toile, je me sens tout à coup frappé. Frappé en toute amitié car ce n’est pas ton genre de faire du mal, petit choc pour un éveil à moi-même. Et ce faisant, il a bien fallu que tu imagines ce qu’il en est de l’autre, une écoute et une entente possible. Je suis alors, reconnu. Alors, Didier… Arrête de dire : « petit, minuscule, presque rien, etc. Pas grave ! ». C’est vrai, iI y eut un temps où il fallait entrer dans tes œuvres. On s’y perdait, on était ravi et ça ne menait nulle part (quoique… qu’est ce que j’en sais ?). Peut-être que les chemins de traverse sur lesquels tu te baladais et où tu puisais tes aventures picturales ne te suffisent plus. Le défi est tout autre… Aujourd’hui, si je prends une de tes « images », une au hasard, tiens, celle du fly « pain d’épice » qui t’annonce. La masse noire, l’entité dans laquelle s’allume la bille de clown qui nous fixe… C’est quoi ça ? Surgie des ténèbres, j’affirme voir une déité nouvelle. Une présence noire mais sans effroi. Un seuil vient d’être franchi. Il ne s’agit plus de « chercher dans » mais d’être tout à coup « là », devant tes gravures. Je suis redonné à moi-même et c’est ça, l’essentiel. Et là, où ça me convient, c’est qu’il n’y a aucun pathos. À bien regarder la gueule de la petiote chouette animalhumaine, c’est toi. Inutile de te cacher, on t’a reconnu. C’est grand ! De là, je peux affronter le monde car tous les éléments sont là. Et pourquoi, j’écris «affronter» moi ? C’est à mon tour de minimiser la porte franchie. Il s’agit plus simplement, plus bêtement de voir, d’y être dans la nature par ton truchement. Végétaux, animaux, minéraux, nous racontent de quoi nous sommes faits. D’ailleurs à ce propos et sans te vexer, il y en a un qui comme toi l’a dit, il y a longtemps. Il a dit en voyant la lumière : « C’est bien ! ». Et nous devant ton travail, le même plaisir, la même émotion.

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LAGRIFFOUL ! par Yannick Lefeuvre www.veroniquelagriffoul.com

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ouvent un nom est un vecteur formidable. Ici, c’est le cas. Son nom propre est le titre même de ce qui va s’éployer. De ce nom magique à ses sculptures, ce sera la même source, le même torrent, la même vivacité qui s’écoulent. Ses visages agrippés à pleine main à la jointure de leurs cris nous empoignent. Les caractères passés au crible des émotions, les bouches extirpées à la racine des yeux, les regards, comètes éclatées à la source des joues, les cous vrillés aux épaules nouées nous transfigurent. Alignement de visages effarés, reflets en écho des nôtres. Les fulgurances sculptées dues à l’énergie éruptive où chaque naissance est une nécessité, un désir impérieux et une épreuve aboutie s’imposent à notre regard. Jaillissantes à l’orée des drapés « serpentesques », boyaux turgescents, gouffres asphyxiés, laves fusionnelles, ces figures torturées s’avancent pour des danses primitives qui nous arrachent à nos torpeurs. Traversés par ces forces libérées, nous sommes irrésistiblement entraînés dans la houle profonde de l’érotique du geste. Hors d’elle, l’œuvre vibrante, tourmentée, exaltée se déploie. Issue du feu des bras, de la pleine poussée, de la chair du ventre et des hanches, corps de terre conjoint au corps de chair, elle chante ! Griffures, déchirures argileuses, tempêtes intimes en montées vers les joies de la spirale signent la présence, la vitalité et l’émergence des visages. Avec ces plissures charnelles, ces drapés grecs, les tissus fondants, les giboulées des torrents, les ruisseaux furieux, les coulures sexuées, l’artiste affirme la royauté visible de notre monde tellurique. En amont, il y eut un temps où la force ascendante des harmoniques enivrantes, des empoignades vivifiantes et tendres, dans la conjugaison passionnée du vivant traversait son travail. Ces amours d’argile noire extraits de la pulpe des doigts, révélés par des prises vigoureuses et amoureuses dessinaient une verticalité charnelle et harmonieuse. Aujourd’hui, exploratrice de la tension instinctive, elle ouvre la porte à l’esprit sauvage qui surgit en elle. Entre ces deux forces travaillées à pleines paumes, une autre présence s’impose et va surgir. Demain, il sera là « le glébeux » né des mains d’une femme passionnée, être en ascension dans sa circulaire montée. L’humain jaillira à l’aube de son devenir. Et nous, avec lui, nous entrerons dans la danse.

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JUDITH MARIN : FUGUE par Yannick Lefeuvre www.judith-marin.com

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tre artiste aujourd’hui exige de se dégager de tous les clichés, de trouver des cheminements originaux, en articulation autant avec ses propres abysses et en résistance à ce monde qui nous broie. Judith Marin part d’une image d’actualité qui l’interpelle, l’arrête. Une photo noire et blanche, lisse, froide, posée là devant elle, d’une perfection indestructible, l’interroge. Ce qu’elle y voit la regarde et elle décide de faire en sorte que ça nous regarde aussi. Comment agit-elle ? L’image qui l’a arrêtée, elle la dessine au crayon, elle la reprend, la détache de sa matérialité froide, de son espace temps instantané, codé. Elle la prend en main au doigt et à l’œil mais sans la trahir, respectueuse des lignes de forces, des plages blanches et noires sans rien inventer. Pour des raisons qui la concernent et dont nous ne saurons rien, elle la substantialise. Elle soupçonne que par cette démarche, elle apprendra quelque chose, elle « présentifiera » l’invisible d’un réel « inconnaissable ». Cette photo devenue pour elle une image se transforme en peinture. S’approprier une image, ça passe par là. Le processus est lent et nous implique. Prendre ce temps, c’est s’inscrire dans le monde. Nous y sommes enfin. Nous apprenons que nous n’y étions pas. Le fait qu’en regardant sa toile, l’on sache que c’est tiré d’une photo et en même de saisir qu’il s’agit d’une peinture nous trouble. Cela nous emmène sur d’autres territoires, devenus pour elle évidents. Pour la suivre, il faut suivre ce cheminement. La mise à distance envisageable dans le calme de l’atelier devient difficile à gérer face aux flots intempestifs d’images, clichés qui nous envahissent. Elle trouve malgré tout une possibilité et s’y attelle. Comment les tenir à distance, sinon en les dessinant sur des fenêtres (support proche des écrans ?). Elle crée des portes ouvertes sur ces autres terribles visions politiques scénarisées. Humour ? Elle les rend amovibles. Une fenêtre qu’on ouvre peut aussi se refermer. Ces silhouettes sont remises à leur place d’images, de reflets. La fascination tombe. À l’exemple de Persée, elle tranche la tête de Méduse. Nous ne serons plus figés dans la pierre. Notre chair, notre réalité humaine retrouvées prennent le dessus.

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ÉRIC MEYER : IVRESSE DE LA TRANSPARENCE DES MONDES... par Yannick Lefeuvre www.eric-meyer.net

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’emblée, une plénitude joyeuse nous accueille. Qui recherche un petit coin de folie pour héberger son étonnement, en fait un point de départ, un lieu pour y revenir et y déposer tous les trésors rencontrés. Qui demande de multiples échanges de l’un et de l’autre, des trajectoires qui se nouent et se dénouent, une pulsation colorée qui imprime des rythmes multiples, trace la route… Trouve. Ça groove dans les senteurs picturales. Qui veut enfourcher un engin, devenir immédiatement explorateur, chercheur d’or, aventurier, trouve les courroies de transmission, les liens conducteurs, les vibrations éployées en écho qui donnent corps aux visages et figures aux corps et devient un scientifique expert à la recherche du bonheur du là… trouve. La terre est bleue comme une fleur d’orange… Qui prévoit une certitude où la joie se transmet de l’intérieur, où le monde nous transmute les mondes hors de nous, où des boissons citronnées siphonnent des mélodies écervelées. À la fois dans le jeu, avec la règle et le plaisir d’être toujours mistral gagnant ! Qui fait confiance aux mille lignes de partage, toujours en pleine distillation de soi ou de l’autre, aux équilibres des niveaux, aux éléments, sources de l’autre, floraisons, jasmin… trouve. Fleur d’épine, fleur de rose sont des noms qui coûtent cher. Qui aiment les coupes vitales au scalpel de l’élan, les agencements se fécondant de tierce ou de quarte partenaires, les joies des glissements, les aventures en transmutation avec pour compagnon le bien heureux hasard. Qui se donne l’envie d’aimer être, les globules, les ruses, les corps livrés aux creux des champs de lavandes est proche du pays cosmique, fantasmagorique et violemment banal… trouve. Je parcours les intérieurs et je leur fais la nique en les dorlotant. Qui cherche le plaisir du regard trouvera l’inscription de l’artiste dans son œil. Il glissera d’un état à l’autre, dans des débordements contenus, se dépassant et s’articulant sur des radiographies colorées, des intérieurs magiques. Avec lui, je suis toujours en visite, en parcours, en terrain d’aventure, en glissements sensuels, en baisers continuels, cycliques. Nul autre espace que l’essence de l’autre incluse ça s’enroule, tourne et déboule. Je m’offre des thés à la menthe dans une bienveillance totale, une danse esquissée possible dans les plaisirs simples d’être là, d’aller là ou ailleurs mais d’y être toujours au tournant, à la bascule, à la balançoire, à la folie des toboggans. C’est tambour battant avec des sourires, des trompettes, des mélodies des hachures, des surplombs, des traversées, des à-côtés, des en dedans qui ouvrent des portes dans l’en-dehors. C’est l’ivresse finale ! 61


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MURIEL MOREAU : LES CHEMINS DE LA PENSÉE par Lucien Ruimy murielmoreau.blogspot.fr

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n réseau nerveux, une illustration poétique, une allégorie des cheminements de la pensée, une évocation du temps qui passe. Ou bien une carte imaginaire des chemins d’un monde perdu, pur. Muriel trace des paysages mentaux où elle nous demande de la suivre afin d’établir des connexions, des flux de relations humaines. Elle veut nous entraîner là où se situe notre inconscient, notre cortex primitif. Pour elle nous ne sommes qu’un élément d’une nature qui finalement reprendra le dessus. Les gravures Artbol représentant des tranches d’arbre indiquent les traces de leur croissance ; malgré la coupure, la taille brutale, il reste cette mémoire visible, physique du temps qui passe. De la vie, de la mort d’un arbre, entre les deux toute son histoire, toute notre histoire. Mais ce qui domine dans tous ces chemins, cheminements, parcours, les croisements, les allers-retours, c’est la sensualité du trait : très peu de lignes droites, les lignes sont sinueuses, reflet de son univers mental et du nôtre. La patience infinie, la détermination et l’effort qu’il faut pour les tracer sur la plaque, font de Muriel une Pénélope qui tisse sa toile pour un avenir meilleur.

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NOËL PERRIER : BULLETINTAMARABOUT par Yannick Lefeuvre nono.paint.free.fr

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amais sur une toile, ces personnages n’auraient dû se rencontrer. Perrier force les mariages, assemble les impossibles, confronte les univers pour des assemblages pleins de bonne humeur. L’artiste s’engage à contrecourant du tragique actuel vers la respiration joyeuse. De la blague (à Toto) à la transgression (du Greco), il ose. Comme pour toute œuvre vivifiante, le propos peut choquer. Son approche demande un temps où il est nécessaire d’abandonner ses certitudes au porte-mental. Toute avancée novatrice heurte les conventions. Lui, il les bouscule avec appétit sans négliger sa recherche picturale. Les couleurs, les lignes concourent à regarder son travail avec intérêt. En effet, au-delà de l’humour patent, le choix réfléchi du choc visuel indique des chemins de traverses, des pas de côté, des surgissements de sens pleins de poésie, de points de vue décapants et de retournements subversifs. Peindre est un acte de liberté et il les prend toutes. De plus, l’hurluberlu connaît son histoire, il s’y situe avec simplicité. L’humour n’était pas, quoi qu’on en pense, exclu chez les grands peintres (je pense à Manet qui osait glisser quelques clins d’œil dans ses œuvres les plus connues). Il est certain que l’imagerie change au cours des siècles et il affirme que celle d’aujourd’hui a droit de citer sur les toiles actuelles. Sa recherche picturale complexe ouvre des perspectives inattendues où la bande dessinée, le cinéma et la publicité s’articulent. Il n’est pas dupe. À la fois à distance et recul critique, il compose une nouvelle vision de l’art. Son regard décalé ouvre bizarrement à la connaissance d’œuvres trop connues et si bardées de certitudes qu’elles en deviennent invisibles. Mine de rien, il leur restitue leur fraîcheur, il leur redonne leurs puissances décapantes perdues. Il y a dans ses prouesses la dose exacte et subtile qui convient, le respect des autres, une élégance pour que tout un chacun retrouve à son tour en complicité un regard vivifié. Si l’art est ouverture du regard et des esprits, Noël Perrier a toute sa place dans le difficile monde des arts contemporains.

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NICOLE ANQUETIL, PASSEUSE ÉBLOUIE DE LA VIE... par Yannick Lefeuvre www.anquetil-art.com

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ans les souffles mêlés de la grotte obscure, elle tente, le pinceau à la main d’inscrire l’énigme sur le front rugueux du dragon endormi. Le chemin est escarpé, difficile, elle s’y jette. Elle nous emmène et nous la suivons. Le socle minéral des premières épaisseurs impose une mémoire insistante et nécessaire, le sommeil du dragon vibre dans ces enfouissements originels au cœur de la terre mère. Pour son œuvre, il lui faut comme substrat la sombre dureté des parois. Sur les roches de l’antre, elle s’adosse rassurée. Maintenant, elle peut s’élancer vers la couleur transfigurant les meurtrissures secrètes anciennes en jaillissements de taches virulentes. Elle les décline avec vigueur en rougeurs de sang, en chairs violentées d’émotions pudiques et en traces fulgurantes données sans complexe à notre regard. Dans les éternuements de pigments jaunes, d’épices orange aux saveurs enfantines, dans le frottis poisseux des sueurs vertes aux embruns des passions, elle exulte. Son geste cherche l’exacte tension, la fulgurance et le paroxysme de l’animalité présente. Dans ce tapage coloré, elle vérifie que la bête dort toujours. Elle crie l’errance du jeu à pleines paumes, la fougue de la matière retrouvée, les cauchemars pulpeux. Jouisseuse, pétrisseuse et goûtant les plaisirs du bruit des éclaboussures qui cognent l’aplat de la toile où le rire explose, son enfance se réincarne. Tout ce remue-ménage l’a amenée là, dans le bref de la vivacité d’un plaisir enfoui et enfantin. L’artiste éveille avec bonheur en nous les mots de Pétrone : In umbra voluptatis lusi !, « A l’ombre des plaisirs, j’ai joué ! » et tente d’ouvrir cet espace-temps qui concerne chacun. Fougueuse et joueuse, elle grimpe sur le dos de l’entité mythique. Chaque épaisseur de couleur tente de se frayer un chemin. Elles se confrontent, se chevauchent et se bousculent. Dans l’explosion sensuelle des couleurs offertes au regard de l’autre, je m’exalte à mon tour, le jaune du soleil s’invente un dedans (soleil de nuit) et un dehors (soleil du jour), le feu que l’on ignorait de lui, les bleus salivent et se meurtrissent, les roses n’ont pas honte et glissent vers les violets de l’âme, les verts sont l’herbe primitive de la bible, les noirs et les gris surgissent des terres argileuses qui insultent les roches des origines. Le dragon aux métamorphoses subtiles s’est glissé en elle. La force bestiale domptée s’imprime dans son âme, le tableau vibre. Ce n’est pas de tout repos ! Emportés par sa vision ? Nous le sommes, certes, condition minimale pour goûter l’œuvre mais aussi se laisser transporter car elle nous donne l’opportunité de vivre avec elle les fabuleux envols. Comme toutes les recherches abstraites, nous pouvons passer à côté faute de « perdre son temps », Nicole Anquetil nous invite dans cet espace-là qui est ce lieu inscrit en nous, lieu qui nous donnera la chance d’un regard plus ouvert et plus admiratif sur la vie. Elle est la « dame du dragon », maintenant, elle en est certaine. Si une œuvre peinte nous amène à cet endroit-là, nous ne pouvons que nous en réjouir et le partager avec elle. 70


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CHRISTIAN MOUREY : ÇA SE POSE LÀ par Yannick Lefeuvre cmourey.blogspot.fr

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evant une toile de Christian Mourey le regard s’illumine d’une joyeuse évidence. Avec simplicité et dans une rieuse rigueur, il nous emmène dans les méandres de ses échappées d’étagères. Tout est à portée de regard et pourtant le sens des motifs se dérobe. Tout est facile mais la tension de l’incongru nous voyage. Chaque élément nous salue et semble évident mais des chuchotements s’interposent, des vecteurs nous soufflent qu’entre ceux-là, des vœux secrets circulent. Alors, dérouté, détourné, déboussolé, il devient nécessaire de trouver un chemin. Il nous amène à tracer notre route. J’aime quand un artiste nous offre l’espérance d’un ludique déchiffrement ! Il donne envie de parcourir, de suivre un itinéraire insoupçonné et en fin de parcours, nous nous surprenons à prendre rendez-vous… avec nous-mêmes. Fichtre ! Dans l’inventaire immédiat des glyphes iconiques, il glisse des flèches, des vecteurs de désir, des alignements de tares de balance, ça nous interpelle. Nous, attrapés comme ça, on inspire ses spirales, on expire ses magies de fakirs et ressourcés, en un mot, on se balade grave. Des têtes aux allures primitives, des coupés de bagnoles de gosses, des n’importe quoi, des vues de l’esprit, des esprits à propos et de l’esprit en feu se présentent pour des circuits inattendus où l’âme trouve sa place. Mais pas d’empilement hasardeux, de mélange mou et d’abstraites imbécillités, au contraire, un vivifiant équilibre s’affiche dans la joie des lignes. Dans les coups d’œil de clins d’œil, il trace à vif des joies aux couleurs soutenues, il souligne, il entame, il cuisine ses affaires. De plus, avec son côté calumet de la paix, un désir de sacré s’installe et nous relie à ce monde. Par exemple, nul mieux que lui connaît bibliquement le chiffre trois. Il le colle partout, obsession décapante ! L’angle et l’arrondi font la noce. D’un geste, il annonce l’avènement du nombre. Je le soupçonne d’envisager le chiffre 5 pour de nouvelles investigations. Comment fait-il pour que de ce bric à broc s’installe un vent bénéfique ? Lui, par l’écho profond qu’il ressent du monde, il creuse au fond de lui et trouve ses trésors. Il apprivoise des sens à venir, à rêver et à découdre. Actuellement, l’envahissement hystérique d’images, de signaux et de panneaux dans lesquels on tombe faute de sens, de sens des sens, de sens interdits et de bon sens, nous piège. Tranquillement, il desserre les mâchoires de la bête immonde par un retour sensible aux sens à fleur de peau… En expert de l’arrondi des cuillères, il donne sonorité au chant des lignes. Dans les senteurs des courbes, il ouvre ses espaces colorés aux senteurs primitives. Par le chahut des icônes, il laisse les parenthèses cerner les mots et il les chuchote. Dans les allées où l’escargot côtoie l’infini. Il butine au dos des objets et, à leurs silhouettes dévêtues, il jette un sort. Pour parler pierre philosophale il tente le lien subtil entre noèse-pensée et objet-noème, ce lien est un fétiche. L’aventure est phénoménologique et il faut un sacré phénomène pour se lancer dans la danse ! Une liane-tabou pour séparer et accorder des harmonies subtiles et nécessaires à la vie. Une équation aux couleurs intuitives nous chavire. Les énigmes qui s’offrent à nous sont celles que nous n’osons pas nous poser. Alors, comment fait-il ? C’est en se perdant qu’il trouve les signes qui ouvrent les bons chemins. Il nous donne ses lieux de force, ses ancrages intimes et ses capteurs d’ondes affectives. D’un objet à l’autre, on se faufile et on crapahute mais ce sera à nous de lancer les ponts. Il cherche un compagnonnage et nous, à notre tour, à nous perdre ainsi, on se retrouve avec lui. Alors, à ce point de connivence, il nous accueille et nous cueille paumes ouvertes dans une généreuse accolade. Ça se pose là un gars comme ça. 73


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LUCIEN RUIMY : TRAVAUX EN COURS par Étienne Ribaucour www.lucienruimy.com Crédit photos : Cécile Leroy

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n « va-et-vient permanent » : c’est ainsi que Lucien Ruimy regarde son parcours dans l’univers pictural qu’il explore depuis plus de vingt ans. Sans savoir où la matière va le conduire, il reconnaît sur le chemin de la création les destinations qui se présentent, les ambiances qui vont ou non créer « une histoire ». Il peut alors décider de s’y arrêter, en attendant que surgissent les éléments ou les protagonistes de cette histoire, ou bien de bifurquer vers un travail de la matière, dans son épaisseur ou sa transparence, et sa lumière. S’il existe un départ pour ce « va-et-vient permanent », on le trouvera sans doute dans les surfaces d’accumulation. Le peintre désigne par ces mots ses tableaux abstraits « chargés de matière ». Ils ont été le lieu de ses premières recherches. La matière s’est ensuite enrichie d’un mouvement, dans une force et une lenteur qui avaient abouti, voilà quelques années, à une série intitulée La dérive des continents. Aujourd’hui la dérive continue, mais contenue dans une détermination qui la domine, sans pour autant que l’univers se soit restreint. Elle laisse les continents pour mieux travailler l’intérieur des tableaux et l’espace – ou le temps ? – qui va de l’un à l’autre. Elle y construit les fonds, les fondations. Ainsi canalisées, l’énergie et la couleur viennent irriguer l’œuvre où « les coups de pinceau et de spatule » apportent les touches de lumière. Ces deux outils, pourtant, n’écrivent pas seulement le tracé d’une dérive ou d’un frottement à la matière. Affûtés au-dessus d’une toile blanche et utilisés d’emblée pour des touches ultimes, décisives, superficielles pourrait-on dire par rapport aux tableaux « chargés », ils installent un dialogue qui vient résonner sur/dans le blanc d’un univers sans fond. Paroles flâneuses, aérées, captées à la surface du tableau comme une onde qui se propage… Lucien Ruimy peut donc dériver vers une légèreté qui, comme un gué au milieu d’une rivière, permet à l’artiste de replonger vers des fonds inconnus et prometteurs. C’est de ces fonds qu’est issue la série des Sets de table, formule attrapée au détour d’une plaisanterie amicale sur la façon dont étaient présentés les tableaux les uns près des autres. Dans le va-et-vient que nous tentons de suivre (bien sûr dans un ordre arbitrairement rigoureux par rapport à la façon dont les choses se passent en réalité), cette série est celle où apparaissent des figures, des Humanoïdes ainsi nommés par le peintre. Lucien Ruimy dit alors avoir « créé le hasard », parfois en reprenant un tableau abstrait, « un fond » laissé au repos pendant une ou deux années, puis en y « récupérant des zones » où les figures sont susceptibles d’émerger. « Quand ça surgit, c’est un bout de quelque chose. Alors je formalise en même temps qu’une mécanique se met en place ». Entre la matière toujours en mouvement, les écritures déliées, et les zones « un peu carnavalesques » où les histoires se racontent à la simple lumière de silhouettes, un univers, sans cesse, se dilue et se reconstruit. Inépuisable, il se donne à voir dans ces Travaux en cours, comme des instants à partager. Parce que, pour Lucien Ruimy, la peinture est aussi « un échange permanent ». 76


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JULIE FRANCHET : ŒUVRES AU NOIR par Thierry Gaudin www.juliefranchet.com

Va-et-vient des ténèbres soyeuses Espaces de tempérances Forts de bienveillance La peau du regard pointe la vacuité Découpes à peupler de fantômes aimables Des aubes et des nuits des êtres en partance La vitre se teinte des désirs esquissés Écrans tenus du bout des paupières Miroirs migrants des larmes aux baisers

Pluie Angoisses

La météo de l’âme doucement tend De ses mains délicates les strates d’humilité

Bruine Tag

Échanges mesurés des degrés et des plans Les silhouettes en filigranes en contre point Un banc assiste le silence des passants évanouis Dans le noir des mémoires le blanc des amitiés La respiration contrainte des lumières émoussées L’architecture des décors épouse les passages Les gestes les mots / invitations échéances Ratages / préséances ou brutales coupes Les transes la danse les profondeurs intimes

Noirs Profonds Blancs Estompés Fragiles Doux Fervents Dociles

L’escalier l’étage l’étape en angles et points de fuites Les pas du regard n’osent déranger Offrant l’ouverture le possible La croisée / vitre carrefour La chorégraphie retient des souffles Entre les lignes les pauses qui n’osent s’exposer

Monter Descendre Peiner

La pluie de l’angoisse griffe l’absence De l’ailleurs des vides des hommages renversés Ici ou ailleurs la couleur s’effrange recadrée Repoussant la douleur vers le doute Des presciences des attentions sensibles

Vides Bornes Cadences

Espaces désertés qui attendent Présences esquissées passages échanges Si bémol mineur

Constance Adresse

Étoile noire Graff Absent Hommage Retour Paire

Reprendre Attendre

Tact Audace

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LA MODERNE CONTINUITÉ DE GUY BRUNET par Lucien Ruimy Crédit photos : Alain Susczinski

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u fond de la cour, Guy Brunet a installé son atelier, audessus, il a fait construire son appartement. C’est un artiste chaleureux qui nous accueille dans le bazar grouillant de créativité de son atelier. Ses travaux se font par séries : Les masques, les crânes, les personnages statufiés, ses filles… Dans un premier temps on est époustouflé par la maîtrise technique de Guy Brunet. Mais si l’on s’arrête là on passe à côté d’un artiste qui jour après jour construit une œuvre. Il peint et repeint ses modèles afin de leur donner une texture, un velouté faisant palpiter les chairs, vibrer les visages. Ils nous parlent, ils sont vivants. La relation aux peintres anciens est constante : là une tête empruntée à Van Dyck, ici un cheval à Vélasquez, une Gorgone à Caravage… Au-delà du costume, des époques ce sont toujours des êtres humains que l’on pourrait rencontrer au coin de la rue. Par ces emprunts Guy Brunet s’inscrit volontairement dans l’histoire de l’art. De la prétention ? Non, la simple formulation d’une grande exigence artistique. Tous ces personnages sont mélangés à des inconnus ou des célébrités qui, pris dans des ensembles de portraits, participent à créer une foule de personnages statufiés qui constituent une tranche d’humanité. Ils sont là, ils nous regardent, nous prennent à témoin. Parfois leurs pensées intérieures sont plus fortes, mélancoliques, heureuses, tendues… au spectateur d’imaginer l’histoire. La série des crânes : ils sont alignés, posés là ; ils nous rappellent la vanité de la vie, son caractère éphémère. Ils sont la dernière trace de notre humanité. Blancs ou noirs… il ne reste que des os. Le caractère sériel est là pour nous rappeler que si nous sommes des individus, nous sommes aussi une partie d’un ensemble, dans la vie, comme dans la mort. Ses filles sont aussi son sujet, posées dans l’espace, on ne sait pas si elles reposent ou si elles volent. Peintes régulièrement, elles sont là comme des balises du temps qui passe. Un constat immortalisé par l’artiste qui lui donne, leur donne, nous donne, une vie au-delà de la vie La présence de tissus roses est là comme une référence aux tissus peints par les maîtres anciens, mais aussi comme une signature… Sur la série des masques des morceaux de tableaux anciens sont apposés sur les visages de personnages modernes créant ainsi une liaison entre le présent et le passé. Personnages fantasmagoriques qui sont comme des interrogations sur la nature humaine. Les fonds uniformes, gris, noirs, marrons ne sont là que pour souligner les sujets de Guy Brunet : l’humain et la peinture.

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LE MERLE MEREL par Frédéric Jars www.merel-sculptures.fr

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oici l’atelier, la plupart du temps déserté : trop froid par temps de gel, trop brûlant les jours d’été, il n’y a que la glycine qui s’y plaise vraiment. Merel, lui, est au jardin ou devant le poêle, grillant une cigarette ou s’envoyant un verre, c’est selon la saison. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant ; son oisiveté est proprement démiurgique : dans l’espace qui sépare un solstice d’un équinoxe, elle a empli les interstices du temps mort de tout un peuple sorti du vortex. À peine formées ces chimères, et c’est déjà comme les soutes d’une arche de Noé fantôme. Tous les ordres zoomorphiques y ont trouvé refuge, à la manière des abeilles sauvages qui se pressent au printemps dans un fagot de brindilles, d’un lucane dans ce trou pourri qui, les jours de brume, a l’aspect d’une vieille vache sacrée et fourbue. Il n’y manque même pas un Christ à tête de thon, un couple d’amants errant, au profil orthoptère, un bouc sémite qui chique à l’ombre, l’œil vide. Merel est sur la branche. Il siffle comme un merle qui voit mourir l’hiver, tout noir, les plumes encore gonflées ; couvert de plusieurs tricots, il a peur mais il est plein d’allant. Il a la clope au bec et oublie le métal tordu et rabouté, l’acide des patines, les débris de plomb et d’électrodes. Comme un demi-dieu rustique, il regarde passer sa cohorte vivante puis se laisse envelopper par le crépuscule. Personne ne pense à mal. Tout est bien.

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LUCIEN RUIMY : DU CLIC AU CLAC EN PASSANT PAR LE BRUSH* ! par Yannick Lefeuvre www.lucienruimy.com

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aute aux… Utopies qui nous assaillent ! ? Faute à qui ? ! Faute à quoi ? Plongées mythiques au cœur… des pixels. Pour se dire dans les prises, pour se risquer au bord des clichés, il enclenche les rencontres. Elles prennent la pose avec lui qui pose avec elles. Prise de têtes sans prise de tête. Mise en boîte et révélations ! Drôle d’entreprise. Si Narcisse s’oublie dans son image et plonge au gouffre de son néant, Lucien lui, frôle le danger certes, mais il traverse le miroir des eaux et s’il n’est pas seul, l’envers du décor baigne dans les couleurs. Des visages complices l’accompagnent. Quelques-unes « s’Aphrodisent », sorties des eaux des océans, elles replongent dans les gluances colorées de la toile. Les « Alice Marilyn », lunettes de stars en sus révèlent l’amitié. Il y a photo certes, mais la peinture s’impose, fait retour, elle est présence. Même la couleur déborde, elle entame les portraits où il joue contre joue. D’une figure à l’autre, il se transfigure et les couleurs amoureuses ainsi détourées racontent les liens de la vie et de l’instant. Il y tient à ce bonheur de vivre, il jubile, il a raison de sa déraison. De celles-là, nous ne saurons rien, l’intimité ne sera pas dévoilée, il s’agit d’autre chose. Il s’agit d’un rêve qui s’élabore de l’un à l’autre, de l’œuvre à nous… concernés tout à coup. De la passion d’un soi qui se partage et que la couleur dérange, il figure ainsi la question. Il nous donne alors, l’opportunité de passer d’un monde à l’autre. Lucien avec les risques de son talent pose les clés, offre les serrures mais ce sera à nous d’ouvrir les portes. (*Le « Brush », mot inventé pour dire la couleur qui s’écoule)

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LAURENCE LOUISFERT ET MORGAN : UNION MÉTALLIQUE par Lucien Ruimy www.louisfert.ouvaton.org

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ela fait maintenant une quinzaine d’années que je suis le travail de Laurence Louisfert. Elle oppose le concept de la rondeur de ses sculptures aux contours acérés du monde qui nous entoure. Dans son travail, comme dans sa vie elle bataille pour un monde meilleur, plus harmonieux et respectueux de l’environnement. Même si ses œuvres plus récentes évoquent aussi les duretés du monde (séries des Buildings et autres Tectoniques). Morgan, affectionne également les formes arrondies, transformant des barres à béton en œuf protecteur, opposant la dureté du métal aux lignes courbes. Dans ses derniers travaux, il récupère des vieilles pièces de ferronnerie dans lesquelles il insère des «bateaux» qui sont autant d’invitations au voyage. Leur association artistique autant que personnelle pourrait comporter de gros risques, le choc des ego, l’effacement de l’un devant l’autre. Au contraire, les pièces métalliques de Morgan qui portent les bronzes de Laurence leur donnent une autre dimension. Mais ce qui domine, c’est l’invitation au voyage sur cette terre qu’ils aiment tant, au voyage vers la poésie de leur monde intérieur. Quelle est l’influence de l’un sur l’autre ? Difficile à dire, mais, assurément, les deux se nourrissent de leur découverte des quatre coins de la planète. Et tout en gardant leur identité, la confrontation de leurs travaux les pousse vers de nouvelles recherches. 91


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GEORGES FHO MADISON : DE LA TERRE AU CIEL par Yannick Lefeuvre

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ans la salle délabrée, posées par terre, les toiles du peintre… Archéologies verticales, posées en strates. Il faut se pencher, les déplacer une à une pour connaître les fondements d’une identité douloureuse. Et puis, tout à coup des feux colorés mangent les murs. Concoctées dans des marmites joyeuses, les couleurs tranchées s’élèvent vers le ciel du plafond. Certains murmures dans le public saluent la force du soubassement, la violence nécessaire d’un dire émouvant et l’hommage respectueux adressé à un artiste dont nous mesurons l’importance. Une déchirure noire et blanche, des épreuves d’identité crient leurs décalages. Ça nous prend aux tripes, pas de compassion, un état de fait contre les faits établis. Seule la densité du silence, l’intensité des regards et l’arrêt stupéfait semblent à la hauteur du sujet. Le peintre les a posés là et c’était à nous d’y aller voir. Il n’y a pas d’autres formes de solidarité humaine sans cet effort. Mais cela ne le préoccupe peut-être plus ! C’était juste pour dire : « ce fut ! ». Il vise ailleurs. Des espérances plus rieuses empreintes de mouvements où perce l’humour de la vie. Une cuisine de pâtes colorées, des labyrinthes de signes musicaux, une envie de senteurs, de goûts et de dérives naïves. Il semble qu’une fois le « il était une fois » déposé, il se libère de l’emprise des questions pour s’envoler vers la joie des jeux d’enfants. Il jubile dans les découpages, le rire n’est pas loin. « Il s’éclate ! » comme on dit. Quand nos regards suivent le mouvement vertical vers les mosaïques bariolées, nous nous surprenons à sourire avec lui. Le drame est derrière, en bas, en dessous, l’avenir vibre et se déploie sur les murs avec l’exubérance enfantine de celui qui s’échappe du carcan. L’envol est bénéfique pour tout le monde, nous nous surprenons à lui souhaiter : « Bonne route sur ces chemins-là ». Un jour, il nous prendra l’envie de le retrouver plus loin avec la tendre certitude que l’enracinement fut nécessaire, un temps de solitude pour se donner l’opportunité des « allers vers ! ». N’est-ce pas le lot de chacun(e) et prenons-nous vraiment le temps de cette mise en demeure pour que s’ouvrent d’autres espaces ? Merci de nous inviter à l’utopie des couleurs à venir. Un artiste n’est-il pas pour ces élans-là, un bon compagnon de route ? Celui-là, c’est sûr en est un.

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À PIACÉ (SARTHE) : LE CORBUSIER, L’ART CONTEMPORAIN ET LA RURALITÉ par Stéphane Arrondeau

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euls les spécialistes de Le Corbusier connaissent l’existence du projet du célèbre architecte pour Piacé, petite commune du nord Sarthe (361 habitants). Le grand public ignore tout de l’improbable rencontre entre Le Corbusier, au faîte de sa gloire, et un obscur Sarthois, Pierre Bézard. Ce simple boulanger qui fut aussi apiculteur, fossoyeur, postier et céramiste parvint à convaincre le maître de concevoir une déclinaison pour la campagne de sa célèbre Villa Radieuse : ce sera la Ferme Radieuse et son village coopératif ! Depuis la fin de l’année 2008, à l’initiative de Nicolas Hérisson, un ancien des Arts Décoratifs de Paris, originaire de la commune, une association tente de redonner vie à cette folle idée. Première étape : refaire les maquettes de l’ensemble du projet, réalisées à l’époque par l’atelier Le Corbusier. Mais la finalité réelle de l’entreprise est bien de mettre en place un « projet culturel et touristique » qui va se décliner ainsi : La Quinzaine Radieuse festival d’architecture, d’art contemporain et de design (cette année Norbert Bézard céramiste), des Capsules Radieuses expositions temporaires, concerts, lectures, mais aussi et surtout un parcours d’art contemporain en milieu rural. Au total une quinzaine d’œuvres pérennes installées autour et dans le village, et ayant vocation à renouveler le regard que nous portons habituellement sur nos campagnes. Un exemple ? Le parpaing géant de Lilian Bourgeat. Choc de cultures, d’échelle et de rationalité… La Capsule Radieuse de Stéphane Vigny, artiste, sarthois d’origine, propose une quinzaine d’œuvres : « Les objets modifiés », dont Carnac cellulaire un dolmen en béton ou un chalet canadien en PVC ! Justification de l’artiste : « J’essaie toujours de travailler sur des objets du quotidien, en les détournant, en changeant les matériaux, les échelles. » Stéphane Vigny va enrichir le corpus des œuvres d’art visibles en permanence sur la commune de Piacé. Son projet : habiller de lumière un poteau EDF en plaçant dans chaque niche un vitrail en dalle de verre. La taille directe dans des tons purs, renforcée par l’épaisseur des verres (25 millimètres) donne toute sa puissance au projet et fait écho aux vitraux de la charmante petite église de la commune. Cette œuvre devrait participer à la réalisation de l’ambition finale de Nicolas Hérisson : « Je voudrais étonner les gens d’ici, faire circuler les choses.» Bref parler différemment d’art contemporain et de ruralité !

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ERICK LEPRINCE : LAISSER UNE TRACE par Lucien Ruimy www.erick-leprince.com

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’oublie pas, demain c’est l’ouverture de la pêche, m’a dit Erick Leprince avant de nous séparer suite à ma visite à son atelier. Erick est un amoureux de la nature, et un pêcheur invétéré. Il pêche et peint les poissons avant de les manger. L’œil, puis la bouche, le plaisir des sens. Son regard sur la nature est celui d’un spectateur émerveillé. L’artiste cherche à s’en approcher et à nous faire ressentir cet émerveillement. Les poissons donc, mais aussi les oiseaux ; les paysages les plus divers, mais surtout ceux des bords de l’eau. Enfin les plantes, les fruits ; les tournesols et les citrons l’emportent. Mais si son travail est essentiellement figuratif, il y a dans sa façon de peindre des fonds abstraits et la représentation figurative est souvent nerveuse, très gestuelle proche elle aussi de l’abstraction et le contraste avec des dessins extrêmement soignés est saisissant. Erick Leprince remplit des carnets de dessins à la plume qu’il utilise ensuite pour créer des tableaux. Il y a là une base très riche, épurée et forte.Avec un nom comme le sien, on n’est pas loin du trône ; avec humour Erick peint aussi des rois sans royaume, sans peuple à pressurer, ce sont bien sûr des rois pêcheurs. L’autre passion d’Erick, c’est l’art africain ; là il est intarissable, avec un grand plaisir il montre quelques éléments de sa collection, explique la fonction de tel ou tel masque ainsi que les traces du travail des sculpteurs. Cela l’a conduit, à partir d’anciennes photos d’Afrique reproduites sur toile, à lancer de grands coups de pinceaux de couleurs vives. Il est à la recherche d’une cohérence picturale face à l’incohérence du chaos du monde qui détruit cette nature qu’il aime tant. Ses vanités sont bien sûr là pour nous ramener à plus de modestie face au monde qui nous entoure, « une esquisse de réflexion sur notre vie, notre travail », nous dit-il. Laisser une trace de notre monde, de notre passage sur Terre.

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LAURENT VIGNAIS par Thierry Gaudin

Du bronze au fer Déclarations en force des faiblesses Incorporées des contrefaçons Dans le fil et le sillon Le grave en graveleux figure Le contour ou l’innervé se dément Brouillards effacés ou brumes Fumées sols nuages Les errances délétères Conspuent l’illégitime D’oiseuses gesticulations Si humaines trop proches Traces carapaces exo squelettes Triturations fils de fer des volumes indurés Où s’accrochent les mesures de l’être Cirques marionnettes aux fils emmêlés Assimilés dans l’ossature Dans les grimaces ferventes des vanités Grotesques et tragiques Dans le trajet involontaire du regardeur du dedans Aveugle aux apparences Absences d’assises et décodages Un pas de côté ne suffit pas Ailer les lestes lester l’orgueil Recoller l’image à son aspiration Articuler le voulu au désiré Et manger dans la main des oiseaux Museler l’aperçu sans le nommer Le théâtre dans le ventre L’exergue au bout des densités Articulations dans le mou cérébral Désarticulation des vanités chroniques

Objet Sexuel Américain Laval Last Attitude Travail Derechef Impression Énervement Un mec Repasse Son cheval Mari Honnête Objet Dé Construit Silences Embrumés Ecorce Plombée Métal Papier Presse Aller Retour Femmes Affolantes

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LAURENCE LOUISFERT : TEMPO DES TEMPS par Yannick Lefeuvre www.louisfert.ouvaton.org

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n vrai, une artiste nous donne à voir des sculptures révélatrices du temps. L’air du temps, le temps de l’être, le temps de l’arbre, le temps des désirs, tous saisis dans la vérité de leurs mouvements et rendus visibles par la transgression métallique. Le métal scande, hache et découpe les déroulements vivants pour des élans affirmés, solides qui au final, le défient. Une sculpture jaillissante pour dire l’idée du désarroi contemporain mais aussi pour tracer des visions temporelles utopiques et chaleureuses. Elle croit à la vie et porte son rêve comme un fer de lance. Par notre incapacité à nous relier au temps des mythes, aux effluves de la terre, à l’amour charnel et tout simplement à l’autre, nous passons à côté du temps. Nous coulons la barque des rêves de la temporalité et nos espaces s’essoufflent. Sa façon de réagir, c’est la vigoureuse empoignade. Laurence attrape la matière, elle la prend à bras-lecorps, elle l’accouche. Un temps charnel venu de la forme, de la couleur, des métaux utilisés pour le projet s’affirme. Il faut la ténacité d’artiste comme elle pour débusquer de telles vérités. D’un tour de main astucieux, elle lui indique sa place et devant tant de maturité, il acquiesce. Il sera l’âme de la sculpture. Pour donner corps à l’impossible, elle s’accompagne d’ustensiles redoutables. Ils font des étincelles et s’entrechoquent dans son atelier secret. La meuleuse capricieuse, le chalumeau-chameau, les acides citronnés, l’oxycoupage-pas-sage, les soudures vexées tourbillonnent dans un bruit d’enfer… Ils évident, ils grattent, ils meulent, écorchent, gravent, ébarbent, cisèlent et soudent. En fait, ils n’en font qu’à sa tête de fouineuse, chercheuse et amoureuse énergique. La sculpture s’enhardit et rend visible en plus du temps commun, un temps intérieur, un temps plus subtil de soi, le temps mystérieux du mythe et le temps réel de l’œuvre. Tenir ainsi la gageure dans sa main, dans ses muscles, dans sa chair n’est pas une mince affaire. Pour y arriver avec un tel talent, il faut avoir le souci des origines et l’incarner dans une forme durable défiant le vide actuel. La quête sera longue et chaque pas en avant sera ainsi inscrit dans le métal, histoire de ne jamais rien oublier de ses investigations. Voilà comment elle procède. Pour mieux dire, j’ai vu au plus haut des socles, un arbre. En bas gravée, taguée l’image de l’arbre qui fut ou qui sera. Au-delà du construit, l’arbre va renaître, s’enraciner et se déployer, nourri qu’il est du substrat des entités-villes des hommes. Les socles sont alors des seuils car pour elle rien n’est fatal. L’élévation devient une mélodie, un rythme, et sa pulsation, à l’écoute des autres, donne le vertige. Dès lors, chaque regard posé sur ses œuvres devient un regard 106


complice. Le tempo du temps de l’être dans l’infini du temps de l’espace dévoile ses capacités de transcendance. Elle nous révèle la magie possible de l’heure du partage. De plus, il y a toujours autour des sculptures de Laurence des espaces nécessaires à leur déploiement. Le monde autour prend sens grâce aux lignes mêmes jaillissant de la sculpture. Sculpter pour elle n’est pas seulement offrir une œuvre mais transformer le regard sur le monde qui l’entoure. Ses sculptures ont cette efficacité-là. La sculpture déplie l’espace qui l’entoure et redonne au temps la force du désir. Parfois, elle se retire et on la surprend sur des ailleurs plus doux. Elle est aussi chatte, femme, aronde, gironde, oblongue. La suiveuse de pistes originales a plus d’un tour dans son sac et chante la vie à tue-tête ! Des patines palatines vertes, mordorées, marronnées et grisailles dans des couleurs toujours « blues-tenues » la suivent à la trace. Ses investigations colorées prennent des détours nécessaires aux nouvelles impressions qui se présentent. Ainsi, l’arbre-animal, la femme-feuille, la gousse-vulve, le bijou-racine, l’envol-tronc, les branches-dragons, la terremère, les ventres-cercles et la faucille-lune nous emmènent sur d’autres mondes. S’il s’agit du nôtre, il en révèle les richesses profondes, sensuelles et gorgées de vie. Elle devine que la différenciation est source de rencontres. Le métal s’arrondit et ouvre ses paumes. L’élan dessine une ellipse vivifiante. Les petites sculptures possèdent les mêmes richesses harmoniques que les grandes. Mais elles ont parfois de par leur proximité la possibilité d’une senteur. La main a envie de toucher, sentir et porter l’œuvre comme on porte un enfant inattendu et secrètement souhaité. Ses enfantements, au-delà de la prouesse, sont autant de promesses de vie, de rencontres et d’espérances. 107


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JOËL LORAND : VÉRITÉS DU VRAI VENT par Yannick Lefeuvre

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on monde a le visage du multiple, du foisonnement, des mille et un liens. Dans des abondances d’abeilles en ruches, par les fourmillements des animalcules, homoncules et femellicules, avec aussi les os des fleurs, il s’envisage. Les grouillements du minuscule, l’affirmation de la présence des entités, le partage primordial d’un imaginaire structuré du dedans ouvre un espace-temps original. Un visionnaire halluciné tranche et pervertit les lignes. Rien s’emplit du tout, les Janus s’empoignent dans des regards de saints préchrétiens. Il magnifie les fluides, le vice versa contemple sa mort dans le reflet des ondes, il se végétalise de vertige en vertige. L’hypnotiseur horticole pose sa dynamite en arabesque et nous foudroie de ses vérités. Contre la dictature des « peaux lisses », il donne présence aux rides signifiantes. À l’étonnement sidéré et à l’arrachement de la raison, il donne chance au saisissement. Il nous piaffe, nous écartèle et son diapason braille. Du fétiche au totem, les possibilités imaginatives expriment l’être dans ses liens sensoriels avec le monde. Le vide actuel ne demande pas à être comblé mais réinvesti autrement, il s’y lance avec urgence et appétit. L’artiste se fait passeur par nécessité intérieure et il explore. Il rencontre ce qui chahute du dedans les subtiles sensations, les vibrantes émotions et la possibilité d’un répertoire personnel. Chaque catégorie prend langue avec les éléments. C’était connu, c’était l’évidence, c’était l’humilité nécessaire à toute rencontre. Il faut bien des détours pour s’éprendre. Son berceau est un gigantesque tremplin vers des infinis stupéfiants. On s’y plonge et on n’en revient pas. « Oh ! Je vois bien, la reine Mab vous a fait visite. Elle est la fée accoucheuse et elle arrive, pas plus grande qu’une agate, traînée par un attelage de petits atomes. Les rayons des roues de son char sont faits de longues pattes de faucheux ; la capote, d’ailes de sauterelles ; les rênes, de la plus fine toile d’araignée ; les harnais, d’humides rayons de lune. Son fouet, fait d’un os de griffon, a pour corde un fil de la Vierge ». Accompagné par le poète dramaturge, Shakespeare, j’entends mieux les toiles de Joël Lorand. Jamais une répétition, que des découvertes d’un soi multiforme. Très vite dans l’amoncellement, la nécessité géographique s’impose. Les croix si elles ne sont pas des frontières deviennent des lignes de partage, non par souci de classement mais par désir de consteller les richesses. Il en vient à ouvrir ses mandalas secrets, portes gardées des mondes de l’en-dessous, les mandorles capricieuses pour des naissances d’insectes voraces, les rosaces de cathédrales primitives pour des chants anciens oubliés. À force d’aller vers le paradis des friches, il bégaie avec génie et s’enfonce dans les enfers du ciel. La recherche pure est une nécessité urgente et se situe hors des concepts ciblés dont le seul but est l’intérêt lucratif. Tout un vocabulaire mathématique de différenciation devient une démarche obligée pour une approche scientifique du monde. Savoir examiner les différences aussi subtiles soient-elles est une qualité que tout chercheur doit expérimenter. L’artiste me semble prendre ce chemin. Il inventorie tous les possibles et ce faisant, il s’inscrit 109


dans la réalité du monde. Les a priori sur les artistes empêchent le réel de devenir sensible à nos sens. Joël Lorand convoque une armée tout équipée pour une lutte primordiale. La stratégie venue de l’intérieur du dedans du monde est privilégiée dans son travail. Orfèvre, il incite l’œil à se promener mais plus encore à scruter, à approfondir sa recherche jusqu’à trouver sa question. Son interrogation naît du flot des doigts sur la toile. La parole retrouvée des mythes jaillit de ses tableaux. Il y a urgence à dire et ses compositions picturales et narratives lancent le débat. Par lui, nous sommes au cœur du sujet… la question de l’âme. Il a parcouru le chemin, il a senti le vrai vent, il le chevauche. Ce qu’il entend, il le transpose de façon à ce que les harmoniques nous touchent par le truchement vibratoire de ses compositions. À nous de retrouver l’énergie brute de la vie pour l’accompagner, il me semble qu’il ne demande que ça.

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THIERRY SELLEM par Thierry Gaudin thierry.sellem.art.free.fr

Noir et blanc cinéma sur trottoir sans scénar Goudron puisé aux nappes mitoyennes Quotidien dédicacé à contre people Wei wei veille audace / vigilance Moments surpris dans les transhumances Wagons décalés des voies oblitérées La couleur dans les gestes Assister au commun et plaquer le non vu Urbaines rencontres routes sésames Moments sauvés du courant Inconnus recadrés aujourd’hui sans fards Enfermés dans le noir et blanc toutes épaisseurs Noirs organiques blanc incarnés Portraits énervés sur le fil Indépendances chargées des mouvements Instantanés retravaillés à la lueur de la rue L’air pulse ses scories corsetés Mythologies ordinaires à réinventer Le nez dans le charbon du politiquement incorrect Valeurs ajoutées à la vie journalière Solidifications non calculées Érosions attrapées dans les pigments Pinceaux trempés dans le tu évacué Perspicacité volontaire tournée entoilée Vibrations submergées des langages concrets Chaleurs inconsidérées Naufragés des triviales perditions Comédiens du quotidien

Rock and roll

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Clermont-Ferrand Supporters Fumeuse Tête de veau Ai Wei Wei Fumeur n° 2 Au pied des cités Homeless Homme à la tête de cochon The Party Tour n°3 Josh au chien Supporter irlandais Jeune japonaise Banlieusards Jeune fille dans le métro Bank Portrait de Gwendoline Zora la reine des Gitans Le soudeur Portrait de jeune fille Tête de veau n°2 Ruelle des chats Tour n°4 Détour Titres B. O. Et…


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THIERRY SELLEM 114


JEAN-LOUIS VIBERT : LE QUESTIONNEMENT DE LA COULEUR par Lucien Ruimy www.jlpfvibert.fr

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e qui domine dans le travail de Jean-Louis Vibert, c’est d’abord la couleur, c’est un grand coloriste. Mais derrière le foisonnement chromatique, le foisonnement de la gestuelle, il y a une maîtrise totale, rien n’est laissé au hasard, même pas dans ses herbes folles. Il faut le voir peindre avec concentration pour aboutir à une maîtrise totale du geste. Sa démarche faite de rigueur et de recherche picturale, n’en est pas moins sincère. Les touches sont fortes, parfois massives, mais toujours précises.Élève de Goetz (l’inventeur de la gravure au carborundum), Jean-Louis a développé une écriture qui lui est propre laissant parfois le spectateur médusé devant ses taches ou lignes colorées. En effet, c’est un artiste qui ose aller à l’essentiel de la peinture : la couleur. Ainsi il nous donne un plaisir qui pousse à l’optimisme. Ses couleurs ne sont jamais mièvres, elles sont toujours éclatantes, il refuse de transmettre la tristesse et le désespoir : « je veux donner à mes œuvres les couleurs du bonheur », car il y a assez de tristesse et de désespoir dans le monde. Sa palette de couleur est très raffinée, pleine de poésie, elle suit les saisons avec optimisme et donne à rêver d’un avenir heureux.

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PAULEEN K par Thierry Gaudin www.pauleenk.com

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mplacable de l’ombre à la lumière Fines croissances où la latitude Explose l’élégance élaguée Les ailes articulées se détachent Menaçant de plier Entrent la vision et l’intension La volonté s’abreuve Sur le zinc on ressert la nervure perplexe Resserrements et ouvertures Silhouettes partielles en clefs Sur bord de ciels évidés Élévation agile des anges éclaboussés Des vides et des déliés Ouvertures interlignes minutieuses Ébarbures scalpels dans le vif Tranquilles transparences Désertions programmées En sillages énumérés Traits à traits gris sur gris Lignes et ponctuations Des évidences implacables Démesures assumées en sommets Déracinés sur plans exonérés Jusque l’éclatement des corps Enveloppées de leur propre existence Le silence s’entend résonnant Dans la cage compressée Désir de relire l’envol et le contexte Ouvertures aveuglées cernées d’absence Présences évadées de leurs croyances Ancrées aux sillages des oiseaux Encrées sur le zinc des utopies Dans le noir des entropies

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ESSAOUIRA par Eric Meyer emeyer.blogspot.com

appels à la prière lancés par le muezzin et relayés par des haut-parleurs accrochés aux branches des caoutchoutiers de la place Moullay Hassan. Il fait bon ici prendre un thé à la menthe, boire un jus d’oranges fraîchement pressées… Sensibles au monde qui nous entoure sans pour autant se sentir déjà y appartenir nous passons nos premiers jours à errer dans les ruelles, sur les remparts, le long du port et de la plage, tous nos sens en éveil. Nous n’avons rien de particulier à voir, pas de visite prévue, nous avons juste à être là… Essaouira est une ville qui se cerne assez rapidement, mais qui pourtant se révèle pleine de surprises et de découvertes. Impressionnante les premiers instants, l’on s’y sent très rapidement à l’aise. Lorsque l’on commence à faire ses provisions au souk Jdid, à acheter son poisson au port et ses crêpes pour le petit-déjeuner, à presser ses oranges, à échanger quelques mots ou partager un thé à la menthe on se sent ous voilà depuis deux jours en plein cœur progressivement faire partie du lieu. d’Essaouira et de sa médina classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’ancienne Mogador, dressée face à l’océan Atlantique et balayée par des vents On se balade sur l’avenue Mohamed-Zerktouni quasi permanents, nous abrite en son dédale de ruelles, grouillante de monde et de commerces ; carcasses de au riad Dar Zette. On se perd facilement, mais avec plaisir, viande suspendues chez le boucher, poulets en cage, lors de nos premières sorties dans ces rues éventrées où pigeons, lapins, montagnes d’olives et pyramides le désert refait surface, dans ces ruelles encombrées de d’épices, plateaux de figues de Barbarie, dattes, fruits secs passants, commerçants, artisans et porteurs poussant leurs carrioles depuis les portes de la ville. Des parfums et odeurs par dizaines viennent affoler nos sens : fruits secs, épices, poissons grillés, crêpes, cuir, pâtisseries, cuisine, mais aussi urine et égouts… Nos yeux ne sont pas en reste et se délectent des couleurs de la vaisselle et des poteries, des vêtements, des étals de fruits, du bleu des bateaux du port. Sur les terrasses blanches, ocre rouge, pied figé dans le béton comme pour mieux résister aux alizés, de grosses paraboles rouillées tendent leur face au ciel, d’autres plus chétives, de bric et de broc, se dressent comme d’innombrables sculptures de métal. Dans le port scintille le ventre argenté des sardines et des chats par dizaines errent aux alentours. Les mouettes se marrent jusqu’à tard le soir et leurs rires se mêlent aux

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et pâtisseries. Nous passons un peu de temps également croise un bel ensemble de ce que peut être cette peinture à la plage dans l’après-midi. L’eau y est fraîche mais fait qui trempe ses pinceaux dans les cultures berbères et le plaisir des enfants. Depuis trois jours il fait un temps africaines, qui métisse magie et tradition. magnifique, le vent a complètement disparu et il fait chaud jusqu’à tard le soir. Un peu gris aujourd’hui, comme le ciel. Mal dormi la Le soleil se couche assez tôt, vers 19h30, l’heure de nuit dernière, pas fermé l’œil. Crevé. J’essaye une petite la rupture du jeun est alors signalée par une sirène. sieste cette après-midi, mais ça ne veut pas… Je décide Les rues se vident et le silence se fait. Seuls quelques de me mettre en quête d’une bouteille de vin pour commerçants gardent échoppe ouverte, dégustant assis accompagner le couscous du soir. Autant le dire tout de à même le sol une soupe, buvant un thé. Vers 21 heures suite, je cherche une aiguille dans une botte de foin. J’ai les rues se remplissent à nouveau et l’on se promène en bien une carte au trésor laissée par le propriétaire du famille, entre amis, toutes les générations sont dehors. Les riad : quitter la médina par Bab Marrakech, laisser les terrasses de café se remplissent, de la musique s’échappe remparts sur la gauche et poursuivre la route qui longe des restaurants et des maisons, des odeurs de grillades les ateliers de réparation de voitures. La boutique se flottent dans l’air. trouve juste après, sur la droite. Rien. Du vent, du sable, Il y a beaucoup de peintures à Essaouira, plus ou moins une ville qui semble à l’abandon. Je suis bredouille. intéressantes, c’est selon… Je traverse la médina en sens inverse pour rejoindre J’ai croisé dans une ruelle, non loin du port, une petite le port. Je longe la plage déserte. Quelques gouttes galerie coopérative d’artistes autodidactes, pêcheurs ou commencent à tomber. Je traîne du côté du chantier et artisans. On y découvre des œuvres riches, foisonnantes, prends des photos. Un ouvrier m’invite à passer de l’autre colorées, figuratives dans l’ensemble. Un monde peuplé côté de la palissade. Il me donne des tas d’explications de créatures, d’animaux, de signes, de personnages sur la construction des bateaux, les bois utilisés, les outils imbriqués les uns dans les autres. Ce sont de grands et pour finir me demande quelques dirhams… Je lui puzzles ou kaléidoscopes offrant plusieurs niveaux laisse ce que j’ai au fond des poches. Sur le chemin du de lecture. Les constructions sont parfois très précises retour je discute avec quelques chats et tente de rire avec et travaillées en détail, minutieusement, parfois plus les mouettes. amples et libres, comme si Cobra croisait l’art aborigène Nous passons à table, le couscous est délicieux. Un des et Chichorro rencontrait Willem de Kooning. meilleurs. Nous le cherchons dans un petit boui-boui juste Le haut lieu de cette école souiri est la galerie Fredéric à côté de la maison. L’endroit ne paye vraiment pas de Damgaart, située juste derrière la grande horloge. On y mine, mais les tajines et couscous sont royaux. Le patron 122


est un homme charmant à la générosité inversement proportionnelle à la taille de son établissement : la largeur d’un couloir ; d’un côté les fourneaux et de l’autre une tablette de bois qui longe le mur. On casse ici la graine debout. Les enfants y vont en courant, casseroles sous le bras. Ils ont droit à une bonne embrassade à chaque fois et à leur galette de pommes de terre, mets qui surclasse tous les autres !

La soirée se poursuit et je m’attelle à vider la carte de l’appareil photo sur l’ordinateur et à écrire ces quelques mots. Il est maintenant 1 h 30 et tout le monde dort. Je n’ai toujours pas sommeil…

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EDWIGE BLANCHATTE : TRANSPARENCES DES VERRES D’EAU ! par Yannick Lefeuvre www.edwigeblanchatte.odexpo.com

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ar la transparence des verres d’eau de ses yeux, je doute de ma présence à la vie. Trouble rare, peut-être unique face à une toile. Elle est l’araignée qui nous happe pour un festin cruel. Anaphores où elle nous tient tête, où les corps sans leurs têtes sont décors de son visage. Qui est-elle ? Elle est elle, elle est aile, elle est fée ? Elle est fille d’elle-même. Elle est Ève, première de son reflet, Ève, prénom vocable dans l’inceste du double sens. Alors ce trouble ? Une psyché hypnotisée trouée de la pupille de l’œil nous fige. Fulgurance du fond blanc par ce trou de serrure déployé. Pupille, petite fille que j’entends rire derrière la froideur d’eau de son masque. Elle n’est pas innocente. Elle fait la tête, elle fait la gueule. Elle n’en fait qu’à sa tête. La faucheuse en elle a tranché depuis longtemps. C’est pas drôle. Mais elle n’est pas seule, elle est double souvent, Elle est Coré et Déméter, indissociables puis dans les enfers, Hécate et Perséphone inséparables. Cela transparaît dans les sculptures comme une magnifique évidence. Si elle s’expose, ce n’est pas pour rien. La coupure ne s’est pas « fête » au bel endroit. Son « fait » tient tête aux mouvements, elle immobilise l’émotion et ainsi la rend visible. Dans la fixité de la sensation, l’esprit plonge au plus profond de ses abîmes et donne sa chance à la rencontre. Alors là, à ce point de non-retour tous les possibles s’affichent, ce sont les corps d’une vie pas vécue. Et là ! Elle fait mouche. Elle est notre semblable à force de dire les semblables, je m’y reconnais, aucune fuite n’est possible. Nous partageons son effroi. C’est l’origine, c’est là que tout commence, bascule et se métamorphose. Un jour, on s’est vu dans le miroir et c’est parti de là ! Tout. Il y a une toile au sourire de Mona Lisa qui ouvre le chemin de la tendresse. Ce rêve… C’est un geste de l’un vers l’autre. Tout n’est pas perdu même si la ligne de partage est ténue. Merci d’avoir le courage d’être à ce point de fulgurance.

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ARMELLE LE DANTEC : S’APERCEVOIR.... par Yannick Lefeuvre armelleledantec.blogspot.fr

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roussailles, pelages, fourrures des territoires de l’en-dedans, demeures fluides des Yokaïs ou cocons duveteux en écho visuel des émotions originelles de l’artiste… Ces toiles énigmatiques, très personnelles, ouvrent notre regard à l’invisible. Les sensations ineffables puisées à l’écoute d’elle-même prennent forme au gré de ses étonnements. Ces lieux de métamorphoses, presque immobiles si ce n’est des perceptions vaporeuses, des glissements internes et des gestations immatérielles, elle nous les donne en vertige et en partage. Elle enrobe l’espace ainsi ressenti et dessine au creux de ces ventres des vibrisses animales. Elle tapisse ces nids auréolés d’un tégument protecteur. Elle trace des tissus organiques où se muent d’étranges phanères, où se croisent dans les tapisseries d’épidermes renversés des fibroblastes et des histiocytes, où règne sans partage la grande Mésenchymateuse des origines. Que de mots complexes non pas pour jouer au savant mais pour un appel à un lexique réinventé, à une fantasmagorie nouvelle et à un bréviaire emporté par la folie. Pour appuyer les impressions rares qu’elle livre sans concession de sens à nos yeux étonnés, je me risque à de nouvelles appellations. En effet, l’interrogation qui ne manque pas de surgir nous mène à tenter un pont vers ces œuvres difficiles. Ce vocabulaire du réel manque, elle nous y invite. Il nous apprendra combien ce monde si proche reste une belle énigme. Insoluble certes, mais autorisant des chemins inattendus menant vers des ressentis joyeux, jouissifs et rafraîchissants. Seule l’artiste redonne vigueur aux hypothèses. L’en-dedans trouve sa demeure visuelle. S’éloignant de la couleur trop connotée, elle donne sa chance aux noirs et blancs qui créent malgré leur apparente simplicité des espaces inconnus où les complexités s’intensifient. Changer la vie, ce sera pour elle d’abord écouter les tréfonds de son être, ses sensations les plus intimes, ses respirations intérieures où se réinvente à chaque seconde l’appel à l’autre, à la vie et à la transformation continue. Dans ces lieux globulaires, tout paraît silencieux. Pourtant les déplacements que l’on devine bourdonnent, langueurs sourdes, presque opaques. Ils indiquent les profondes mutations de la vie. Pour entendre, le temps exige son dû. La pulsation s’impose sans pathos dans ses enclaves primitives. Les dieux terribles attendraient-ils là dans une léthargie trompeuse l’instant de l’éveil ? Ils nous révéleront alors, dans un geste de délivrance, la force vivifiante qui s’est nourrie de ces substrats cachés, profonds et invisibles ! Il y aurait là, une nouvelle nourriture sensationnelle qui attendrait, silencieuse, l’instant de sa découverte ? Privés que nous sommes, de sens, de sensualité et d’amour, elle deviendrait notre viatique. Le laisser-aller de notre ressenti le plus charnel sera le passeport nécessaire au passage de la frontière. Si elle ouvre une porte, ce sera à nous d’en franchir les seuils. Elle nous invite à cet effort. Une fois, rendus au pays de l’étrangeté, elle ne cessera pas de nous chuchoter combien ce monde est le nôtre. Par le truchement de ses toiles, nous allons enfin nous apercevoir. 127


Petit glossaire prétentieux pour s’amuser… Yokaïs : entités de la culture manga japonaise Vibrisses : organes sensoriels, poils ou plumes Téguments : tissus formant l’enveloppe Phanères : productions épidermiques protectrices Fibroblaste : Cellule du tissu conjonctif Mésenchymateuse : cellule-souche de l’embryon

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CORINNE HÉRAUD par Thierry Gaudin www.corinneheraud.com

Noirs dermes Peau innervée des mémoires encloses Icônes du verbiage versatile Sensibles fantômes à peine perçus Essences en beauté des stars éphémères Implants involontaires où le souvenir Se bat avec ses cécités Pulvérisation des plaisirs évacués Poudre aux yeux incrustés de nostalgies Solitudes repassées au fil des émulsions Des maquillages agglomérés Sous la voûte quotidienne Les âges cathodiques prospèrent Masques des misères et des espoirs vains La beauté vivace estompe sa vigueur Vigiles estimables à l’aune des impensés Les nerfs des enveloppes s’accordent Jusque au relent pugnace des images accumulées Retournements des méninges avides Engrais des fièvres et des somnolences Dans le sommeil des effleurements Engrangés stockés dans les méandres L’obsolescence hante les forêts oubliées L’errance égrappe les raisins du vouloir Le germe s’époumone dans la monoculture La plage s’anime engrossée des épaves Le blister se consume Écrans crevés du dedans Poudre de riz exagérée nourrie Des rimes et des voyages Des formes et des corps

Anaphores au noir des ectoplasmes du quotidien Peaux écumes et ancres de la barque sans nom

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Fragiles Évidences Éviction De la rage Sang d’encre Sel de mémoire Peau Innervée Du dehors Sensibles Turbulences Rives du souvenir Particule Abreuvée Friselis Ondes Excuses Sources Squelettes Exonéré Équilibres Instables Stables Virtuosité Décors Incorporés Acteurs Du hasard Mystères Et ors Blancs


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JEAN-MARIE TORQUE : GRANDS SOUFFLES ET PETITS SOUFFLES par Yannick Lefeuvre torque.fr

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humble prière de l’artiste concentré sur son souffle nous emmène à la fois dans un geste fondateur et vers la vie même. Son « yoga pictural » inscrit l’expir silencieux sur la toile. Chacune de ses inscriptions soufflantes est unique. Chaque souffle semblable à l’autre et imperceptiblement différent marque la marche réelle de la naissance à la mort. Ainsi tragiquement ponctué, scandé, l’humain apprend qu’il respire. Cette prise de conscience est créatrice d’une nouvelle relation avec le monde. L’artiste identifie le lien. Ce qui est aujourd’hui salvateur. Mais rien de morbide dans son approche, il s’adonne au jeu. Il rend hommage aux fleurs-bogues s’approchant d’elles avec respect, l’une après l’autre reconnue, identifiée et impeccablement rangée. À le voir agir ainsi, on se surprend à souffler avec lui. Nous partageons avec l’artiste l’invisible présence de l’air. Il nous harponne dans le vif du sujet, l’impalpable échange présentifié. Vivifiés par ces petites explosions de couleurs, nous nous interrogeons. Un sentiment de bien-être succède au premier temps de stupeur. Quand l’interrogation cesse, on se sent suspendu par les souffles posés avec délicatesse sur la toile. La métaphore visuelle du geste de vivre s’impose à nous. Le souffle, l’eau et la couleur, le feu de son imaginaire nous emmènent dans un processus rare. Inspiré, il est au cœur de l’inspiration et nous inspire. Inspirez ! Expirez ! Soufflez ! Il nous donne l’espace-temps de se sentir présent et vivant. Merci pour ce grand bol d’air inattendu.

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SOPHIE RAMBERT : CORPS DU TEMPS, INSTANTS DU CORPS... par Yannick Lefeuvre sophie-rambert.com

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igueurs des corps, même le chien… Vitesses des muscles, même allongée. Violences des mains, des pieds, du sein… En état de pulsations, du sang dans la couleur, le vide en suspend découpe les peaux jusqu’à l’obscène d’une souffrance cernée de blanc. Le mouvement dans l’arrêt de l’articulation, mains, pieds, doigts, orteils, mollets, seins, cheveux, vulve, pénis… Quand Déméter au désespoir grille tout sur son passage, l’étrange et effrayante Baubô, femme sans tête aux yeux de mamelons, à la bouche de sexe, profère une obscénité. Déméter sourit et retrouve son énergie… Nous « les regards », on regarde et on se tait. Qu’un mot vienne et il nous semble dérisoire. Nous retenons notre souffle et les lignes tracent leurs images de mots dans notre esprit soudain assoiffé. Les corps profanés en exergue rendent gorge aux sentiments convenus. Et soudain, notre vision s’approfondit…

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SOPHIE RAMBERT : CORPS DU TEMPS, INSTANTS DU CORPS... 138


MATHIEU DRIÉ : « C’EST CLAIR » par Yannick Lefeuvre mathieudrie.com

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n l’entend partout et tout le temps. Quand notre regard happé par les portraits de Mathieu Drié constate l’évidence de ce qu’il montre, ça semble « Clair ». Portraits saisis sur le vif des rencontres, figures de jeunes qui exhibent leurs vigueurs colorées, utopies de fringues caractérielles… Expressions d’où transparaît la nécessité d’être : « c’est clair ! » Mais il les entoure, les cadre et enrobe de larges et rageuses couleurs floues. Et le doute s’installe, le monde existe-t-il ? Y a-t-il un extérieur ? Il raconte que là les apparences jouent leur va-tout car il soupçonne que seule la substance donne chemin à son dire. Il sent que la vibration puise dans l’âme cachée encore secrète de ses poseurs et poseuses. Contre ce flou, l’urgence de sa vivacité s’affiche afin de ne pas se faire avoir. Gestes qui le mènent vers la densité de son courageux pari d’oser le figuratif. Voie difficile où le désir d’être s’affirme contre la nécessité actuelle de paraître. La ligne de partage est mince, de l’épaisseur d’un cheveu. Il nous a menés à l’endroit de ses choix car joueur lui-même, il n’oublie pas de se perdre dans le heurté des conciliabules de couleurs. On se perd enfin et nous les regardons autrement ces figures peintes, pleines de vie derrière leurs apparences, pleines de soif de liberté sous les modes, et humaines, très humaines dans leurs désirs d’être aimées. Il nous a emmenés dans la perte car il n’est pas d’autres chemins pour aujourd’hui s’y retrouver !

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Table des matières ABRAHAM HADAD, C’EST UN STYLE KUU by Meyer & Sigg, LES LIENS EN TRAIN DE... TOF VANMARQUE : RACONTE-NOUS UNE HISTOIRE L’ART ET LA FIN DES TRANSGRESSIONS LES SÉQUENCES DE KRISTIAN DESAILLY SYLVIE LOBATO : LES VIBRATIONS DE L’ÂME RUTA JUSIONYTE OU LA TRAVERSÉE DU DÉSASTRE DOMINIQUE ROSSIGNOL, CONQUÉRANT A L’ASSAUT DE LA CRÉATION CHARLOTTE DE MAUPEOU : LES VERTUS DE L’ONDE LA LUMINEUSE, L’AUDACIEUSE ET LA TÉMÉRAIRE GENE BARBE : RÉEL DE L’OUTRE-SENS THOMAS DUSSAIX : ENTRÉE EN MATIERE ! NICOLAS CLUZEL : PRESSE-CITRON... L’ART CONTEMPORAIN ET LE VITRAIL : UN EXEMPLE SARTHOIS AGNÈS DESPLACES : ÉNIGMES DES ENVERS... FRANÇOIS BRESSON : UNE PATTE NATHALIE FLORES : BLANCA ET NEGRA DIDIER HAMEY : TRAVERSÉES FANTASQUES LAGRIFFOUL ! JUDITH MARIN : FUGUE ÉRIC MEYER : IVRESSE DE LA TRANSPARENCE DES MONDES... MURIEL MOREAU : LES CHEMINS DE LA PENSÉE NOËL PERRIER : BULLETINTAMARABOUT NICOLE ANQUETIL, PASSEUSE ÉBLOUIE DE LA VIE... CHRISTIAN MOUREY : ÇA SE POSE LÀ LUCIEN RUIMY : TRAVAUX EN COURS JULIE FRANCHET : ŒUVRES AU NOIR LA MODERNE CONTINUITÉ DE GUY BRUNET LE MERLE MEREL LUCIEN RUIMY : DU CLIC AU CLAC EN PASSANT PAR LE BRUSH* ! LAURENCE LOUISFERT ET MORGAN : UNION MÉTALLIQUE GEORGES FHO MADISON : DE LA TERRE AU CIEL À PIACÉ (SARTHE) : LE CORBUSIER, L’ART CONTEMPORAIN ET LA RURALITÉ ERICK LEPRINCE : LAISSER UNE TRACE LAURENT VIGNAIS LAURENCE LOUISFERT : TEMPO DES TEMPS JOËL LORAND : VÉRITÉS DU VRAI VENT THIERRY SELLEM JEAN-LOUIS VIBERT : LE QUESTIONNEMENT DE LA COULEUR PAULEEN K ESSAOUIRA EDWIGE BLANCHATTE : TRANSPARENCES DES VERRES D’EAU ! ARMELLE LE DANTEC : S’APERCEVOIR.... CORINNE HÉRAUD JEAN-MARIE TORQUE GRANDS SOUFFLES ET PETITS SOUFFLES SOPHIE RAMBERT : CORPS DU TEMPS, INSTANTS DU CORPS... MATHIEU DRIÉ : « C’EST CLAIR »

par Lucien Ruimy par Yannick Lefeuvre par Lucien Ruimy par Christian Noorbergen par Georges Richar-Rivier par Lucien Ruimy par Christian Noorbergen par Nicole Anquetil par Lucien Ruimy par Nicole Anquetil par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Stéphane Arrondeau par Yannick Lefeuvre par Lucien Ruimy par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Lucien Ruimy par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Étienne Ribaucour par Thierry Gaudin par Lucien Ruimy par Frédéric Jars par Yannick Lefeuvre par Lucien Ruimy par Yannick Lefeuvre par Stéphane Arrondeau par Lucien Ruimy par Thierry Gaudin par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Thierry Gaudin par Lucien Ruimy par Thierry Gaudin par Éric Meyer par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Thierry Gaudin par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre par Yannick Lefeuvre

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Conception graphique Éric Meyer - www.eric-meyer.org Achevé d’imprimer en septembre 2013 pour le compte des éditions Lelivredart


L’art qui respire l’inconscient sert de nourriture crue aux faims essentielles qui donnent envie de mordre dans les chairs de l’univers et offrent à chaque être la source de sa propre respiration. Chritian Noorbergen


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