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VIVRE L’ART MAGAZINE



Cela fait maintenant trois ans que nous avons lancé le blog « Vivre l’Art Magazine ». Un blog d’art actuel pour dire nos rencontres, nos coups de cœur. Près de 150 articles qui ont reçu au global près de 55 000 visites et ce simplement du bouche à oreille, sans campagne de communication. En septembre 2013 nous avions publié un premier livre des articles parus. Devant l’accueil plus que chaleureux fait à ce premier livre, nous avons décidé de faire paraître ce deuxième livre. Nous vous proposons dans ce deuxième opus 34 artistes. Des textes de Yannick Lefeuvre, Thierry Gaudin, Sandra Detourbet, Christian Noorbergen, Arthur Haase, Lucien Ruimy, Hugues Bourgeois, Eric Meyer, Stéphane Arrondeau et Michel Foucault. Les artistes que nous vous proposons sont des travailleurs acharnés de leur art, ils sont une partie du tissu artistique de notre société. Ce sont les fleurs sensibles qui captent toutes les émotions de notre monde. Faites leur un bon accueil.

Lucien Ruimy

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NICOLAS GASIOROWSKI : UN PEINTRE HORS GABARIT par Lucien Ruimy www.gazio.fr

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icolas Gasiorowski se déclare le plus grand peintre du monde – 1,95 m, tout le personnage est là. Il cultive la dérision. Tout est dans la distance qu’il met avec les choses, il le fait avec l’élégance d’un séducteur flegmatique. Ce n’est pas un hasard si son musicien préféré est Bashung, il lui ressemble poétiquement. « Il commence le dessin à l’âge de 10 ans et, admis à l’École des beaux-arts de Paris en 1979, il en sort un an après, préférant l’apprentissage solitaire » ; il y a là aussi le refus des sentiers battus, l’envie de trouver son propre chemin, son propre style. Vous le croyez endormi, ailleurs, bercé par l’ennui, non il est là, bien présent, il nous attend avec une vraie détermination. Sa peinture est à son image, déterminée dans le trait, même si celui-ci prend parfois des chemins imprévisibles. Le dessin de ses personnages suggère la profonde tendresse qu’il leur porte. Nicolas parle d’amour. Amour physique, la sexualité est là présente sans détour, assumée ; mais elle s’accompagne de la tendresse pour l’autre. Les aléas de la vie ne sont pas non plus écartés, tragédie peut-on lire au bas d’un tableau accompagnant l’être rejeté ou la description d’un « family circus » dans un grand désordre. La vie quotidienne est très présente, même si un anarchiste traîne par-là, un peu isolé. C’est le spectacle d’une vie décrit avec une grande générosité. La texture de sa peinture est toute en vibration. Si la surface semble être unie, un regard plus attentif en montre les différentes strates liquides, les recouvrements et les transparences. Les couleurs sont sourdes, jamais clinquantes, elles sont contextuelles au dessin, elles le mettent en valeur et lui donnent toute sa force. Si l’on se retrouve dans la peinture de Nicolas Gasiorowski, c’est qu’en nous parlant de lui et de son univers, il nous parle de nous.

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MARIE-CHRISTINE PALOMBIT : LA SENSUALITÉ DU CORPS par Lucien Ruimy www.palombit.com

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arie-Christine Palombit a un thème : le corps nu. Son atelier, elle l’appelle même « artcorpus ». Mais il s’agit d’un corps suggéré, en mouvement, qui prend le spectateur par surprise, lorsqu’au-delà du mouvement de la peinture il découvre, appréhende les éléments du corps. Le dessin s’imbrique dans une gestuelle calligraphique à la peinture à la gamme chromatique limitée : noir, brun, parfois un peu de rouge. Pas de visage, juste des éléments du corps saisis sur l’instant comme s’il attendait que nous l’ayons identifié pour changer très vite de position. La gestuelle du dessin comme celle de la peinture est forte. Marie-Christine veut saisir l’instant et passer très vite à une autre posture. Seule une longue pratique des gestes cent fois, mille fois répétés lui donne cette virtuosité, cet équilibre entre le dessin et les mouvements de la peinture. Jamais le corps n’est pris dans sa totalité, ce qui accentue l’impression de mouvement et donne au corps une grande liberté car, ainsi, il suggère plus qu’il ne montre. Un pied, une main, un sexe, un sein… debout, assis couché… le corps est là dans sous ses états, dans toute sa force, sa sensualité. Il parle, nous parle.

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La philosophie de Marie-Christine en quelques points : • • • • • • • • • • • • •

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Accepter ce qui vient sans me juger Ne pas enfermer mon regard dans des « a priori » formels Développer l’art de discerner l’inhabituel dans d’habituelles apparences Remettre en question mes acquis en respectant mon univers Garder le sens du risque Être un capteur-récepteur comme un « gestionnaire du hasard » Percevoir le tracé que j’appelle « vivant » ou « habité » et éliminer ce qui ne l’est pas Mettre parfois en faux mes propres règles pour accéder à de nouveaux territoires M’abandonner à l’instant Avoir le geste juste comme intention pour une matérialité sereine Orchestrer la dextérité du geste, l’étude du sujet et l’accident pouvant survenir Travailler plutôt sur un temps court mais intensément S’autoriser aux transformations et déformations de la réalité jusqu’au paradoxe


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ROMAIN SAINTONGE : LA PEINTURE COMME ACTE DE MÉMOIRE INTIME par Lucien Ruimy www.rom1.odexpo.com

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es personnages de Romain Saintonge sont ceux de sa vie quotidienne. Ils sont présents, mais les effacements, le floutage de la peinture les posent comme au milieu d’un halo, un brouillard qui donne une atmosphère mystérieuse d’irréalité. L’image est brouillée comme si l’on pénétrait par effraction dans l’intimité de l’artiste et de ses personnages dont nous ne percevons qu’un instant de vie et dont le tableau ne serait que la mémoire, mais une mémoire que le temps efface. C’est l’image d’un instant, mais un instant intemporel, dont la mémoire garde une image floue, comme si l’on regardait de vieilles photos. La peinture devient souvenir d’un instant, d’une scène du passé. Mais si la scène est floue, la texture de la peinture de Romain est, elle, très dense, épaisse, comme si elle était le réceptacle de la masse des souvenirs. Les couches successives font revivre la force des souvenirs enfouis. La création d’une toile est un long cheminement vers les souvenirs lointains qui s’évaporent dans l’image. Dans un premier temps Romain reprenait des images anciennes qu’il reproduisait en noir et blanc – l’atmosphère d’un temps passé. Aujourd’hui il prend des images de sa vie et les reproduit en couleurs… Au-delà de sa thématique, la qualité picturale des œuvres est très forte. Elle est l’expression d’un peintre accompli pour qui la représentation humaine n’a pas de secret. Mais plus que le motif la texture dense de la matière, de la patte pigmentaire est une forme de signature. Couche après couche Romain Saintonge fait revivre un passé proche ou lointain, un instant d’humanité.

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SANDRA DETOURBET : L’ULTRASENSIBLE par Lucien Ruimy sandradetourbet.over-blog.com

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out la touche, elle a la sensibilité à fleur de peau. Sa peinture est le reflet de ses états d’âme, c’est ce qui lui donne cet aspect déconstruit-reconstruit. Sa palette est essentiellement pastel, elle exprime sa douceur naturelle. Mais son geste est vif, nerveux, c’est son élan, sa force vitale, son moi profond qui capte tous les sentiments, les expressions du monde et qui disent sa volonté d’établir le contact. Sa gestuelle picturale exprime cette recherche, ses chemins tortueux, en boucle, ses blocages, ses ouvertures, ses joies et ses peines, elles sont la mémoire de ses émotions, de ses envolées. Les espaces qu’elle laisse souvent expriment ses attentes, ses doutes, ses espoirs de l’autre. Elle est un

réceptacle sensible. Sandra veut aimer ; elle le dit avec force, mais sans jamais agresser ni obliger. Ses mouvements sont ronds, enveloppants. Souvent elle se perd en route, mais toujours elle reprend son chemin. Tout cela n’est pas toujours parfaitement équilibré, elle revendique « la grâce de l’imperfection qui me touche ». Ce qui l’intéresse, c’est l’imprévu, c’est aller au bord du déséquilibre, pour finir par la mise en scène des émotions. Sa peinture est l’expression de ses humeurs, ses désordres émotionnels, c’est sa vérité en mouvement dans laquelle elle nous invite à la suivre dans sa quête du bonheur.

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MICHEL TEMIM : Hors du champ de vision, flottent les passions et les renoncements inavoués par Sandra Detourbet micheltemim.blogspot.com

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es peintures de Michel Temim ne sont pas sans nous rappeler l’esprit de la fable où sous une apparente réalité empreinte d’une grande application, une trame se prolonge bien au-delà du visible. Un décor solidement planté installe le sujet dans une fascinante fatalité à laquelle rien ne peut échapper. La cruauté, la solitude et l’absurdité sont évoquées sans commentaire. La démarche de ce peintre se maintient ailleurs, loin de certaines interrogations et remises en cause du XXe siècle. Pour décrire le caractère particulier de ce peintre, notons un grand attachement à représenter de manière quasi analytique l’atmosphère d’un film muet en couleurs où le temps se serait interrompu dans une rêverie. Le monde auquel il fait référence situe ses sujets au cœur de la ville, sous un angle de vue convergeant en un point invisible, celui du spectateur, voyeur ou conteur. Hors du champ de vision, flottent les passions et les renoncements inavoués. La voix off au cinéma serait ici ce que le public devient devant une peinture de Michel Temim.

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SANDRINE PAUMELLE : LA GERMINATION DE LA TOILE par Lucien Ruimy www.sandrinepaumelle.org

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es paysages crépusculaires, terreux, on ne sait si nous sommes au début de la nuit ou juste avant la levée du jour ; la lumière vient à peine éclairer les éléments de la nature dans les tableaux de Sandrine Paumelle. Ce qui les caractérise, c’est une ambiance. On devine les éléments comme si nous étions invités à un spectacle secret, celui d’une nature qui n’est pas encore souillée, qui va s’éveiller ou s’endormir, qui invite au silence, à la rêverie et que Sandrine nous invite à partager comme autant de moments uniques. L’être humain est absent comme chassé d’une nature qu’il maltraite. Elle nous invite à la regarder, sans bruit, afin de ne rien déranger et d’en capter toute la beauté. La lumière source de la vie est là comme en attente, prête à donner toute sa vitalité si nous sommes à l’aube ou la refuser si nous sommes au crépuscule. Comme les cycles de la vie, de la naissance et de la mort. Les tableaux sont à base de photographies, mais Sandrine rentre dans les explications techniques comme à regret. Peu importe le chemin, ce qui compte c’est le résultat final. Regarder ses toiles, c’est comme partager ces moments uniques, c’est comme partager une intimité : « Dans la terre je puise et m’épuise Les mains avides de racines Fouillant le sol et les feuilles humides J’enfouis et déterre Éclaboussant la toile de ces matières Parfois acides »

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WILLY BIHOREAU : POUR DIRE NON À L’APOCALYPSE par Lucien Ruimy www.willy-bihoreau.com

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u départ il y a une banque d’images, de notre monde. Elles sont ensuite recomposées dans des rapprochements saisissants qui décrivent un autre monde. Un monde en noir et blanc, sans couleur, sans lumière… Un monde pourtant familier ; notre monde, anéanti par le poids de sa propre expansion, trop anarchique pour être salvatrice. C’est l’anticipation d’un futur sans futur. La technologie numérique au service de la dénonciation de la technologie industrielle. Quel avenir pour l’humanité ? Une terre déshumanisée, où il ne resterait que les vestiges d’un monde industriel en décomposition. Les architectures « vestiges d’une époque révolue, dont l’humain ne ferait plus partie ». L’humain est-il trop primaire pour mériter de survivre à ses créations ? Ces machines qui mangent tout l’espace, tous les paysages, sont-elles notre devenir ? On peut interpréter ces visions de fin du monde de deux façons : - La première est qu’il n’y a pas d’avenir pour une humanité industrieuse, n’aboutissant qu’à la destruction de son environnement, car elle aura été incapable de contrôler son développement. Une sorte de refus d’un progrès technique sans sagesse comme la source profonde de la destruction à venir. - La seconde et c’est celle que je veux y voir, c’est un cri d’alarme pour qu’on n’en arrive pas là. Un appel aux humains pour qu’ils créent un monde respectueux de son environnement. Un monde qui satisfasse les besoins de tous sans entrer dans une course productiviste. Car l’être humain fait cruellement défaut à l’univers de Willy Bihoreau, c’est pourtant de lui que peut venir l’espoir, car ce sont les hommes et les femmes d’aujourd’hui qui en détiennent la clé. C’est un appel à la conscience individuelle et collective pour que cela n’arrive pas.

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CORINNE HÉRAUD : LES ÂMES SILENCIEUSES par Thierry Gaudin www.corinneheraud.com

Dans le puits puissant des peaux lisses Des esprits vivants poussent l’huis Perdus entre mémoire et vigilance Ils lancent dans le silence Des évidences sans fond De sels et de sondes De miels et de rondes D’ondes sassées sur missels intimes Entre le réel tout fard épousseté Miroirs d’ivoires des avoirs métamorphisés Où le visage se sait sans savoir Regards retournés Spectacles sacrés sur l’autel de l’évanescent Où Ève ou Lilith ou Marie ou Madeleine scrutent leurs beautés Dénoncent du moment son mensonge latent

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Les nuits du dedans débordent Lucides elles tentent de franchir le seuil Du sensible sans espoir autre que puiser Sans s’épuiser l’être de l’être Les yeux tendus au-delà du cristallin Poncent les à-peu-près Prêts à saisir du bout des mémoires innervées La persistance des voiles jetés après regards À rebrousse-temps dans l’espace des pellicules Entre derme et craquelures Les émulsions affleurent sur les eaux des naissances Frissonnent les poussières des ans La source se sait et persiste à signer De l’apparence l’évidence feutrée Sur les marges des ombres Des instances esquissent Leurs existences insoupçonnées Les nuits du dedans épousent l’aurore Inséminée de souvenances et de résurgences

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GLEN MORIWAKI : Archipels viscéraUX… par Yannick Lefeuvre www.glenmoriwaki.com

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arfois l’histoire déborde l’être. L’artiste doit élaguer pour retrouver une forme d’innocence sensible et créatrice. Glen Moriwaki ne fait pas l’impasse ; il nous en apprend par son travail sur les souffrances subies, transmises et parfois enfouies jusqu’à l’oubli. Il nous donne à voir les éléments de la tragédie. Visions morcelées et ce sera à nous de reconstituer le drame selon nos propres chemins. C’est Japanese Amerika… croix, cibles, ombres, tombes, hachures, tragédies, visions, avions, crash… Puis, la « chose » horrible une fois posée, il se ressource non plus auprès des hommes mais pour d’autres visions picturales. Ces glissements vibratoires de couleurs, arcs et frontières à franchir pour d’autres strates plus charnelles. Avec une honnêteté résolue, il trempe son pinceau dans le bonheur d’être là. C’est Aujourd’hui… une ribambelle d’enfants sous des arches protectrices, une chaise pour s’y poser, une tapisserie d’intérieur à fleurs… il nous donne à voir « un aller vers » des sources picturales originelles, une « soupe » colorée de mille œufs de poissons, de cellules ou de planctons innombrables… Et ce sera demain pour d’autres aventures picturales. Il en est ainsi de certains artistes d’avancer de ruptures radicales en ruptures jusqu’au sang de la vie et du sens.

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LÆtitia Lesaffre : Un certain trouble par Michel Foucault www.laetitialesaffre.com

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la découverte des photographies de Lætitia Lesaffre, le regard est tout de suite pris d’hésitation tant ses travaux combinent étroitement la photographie et la peinture. Normal. Lætitia est à la fois peintre et photographe. Quand elle peint, elle recouvre ses toiles à l’aide de matières mêlant laques traditionnelles et produits industriels. Ses mélanges de matières lui permettent de créer de vastes et complexes surfaces réfléchissantes. Sa toile devient miroir. Elle invite le spectateur à de subtils et multiples jeux de regards avec les images qui surgissent à sa surface. Images mouvantes qui apparaissent ou disparaissent au gré des déplacements. Images incertaines et flottantes au gré de l’ombre et de la lumière. Les photographies de Lætitia Lesaffre sont en totale continuité avec ses préoccupations picturales. Ses captations photographiques donnent à voir de grands fonds noirs somptueux d’où émergent des corps ou

des fragments de corps. Leurs contours sont incertains, leurs images semblent brouillées. Ces corps lumineux souvent dénudés qui surgissent des ténèbres ne sont pas sans évoquer les effets de clair-obscur des grands maîtres du baroque. L’artiste suscite le trouble dans le regard du spectateur. Celui-ci est à la fois attiré par cette nouvelle interprétation du corps, du portrait, de l’essence même du sujet, mais également interpellé par le grain, le flou du tableau qui rend au sujet son intimité. Les corps à peine apparus gardent tous leurs mystères. Entre apparition et disparition, entre rêve et réalité, entre certitude et incertitude, entre ombre et lumière, entre peinture et photographie, Lætitia Lesaffre propose des images énigmatiques. Elle invite le spectateur à effectuer un parcours méditatif qui interroge sur la présence de l’autre et sur le fonctionnement de son propre regard.

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PASCAL LALOY : NE PAS LAISSER INDIFFÉRENT par Lucien Ruimy pascallaloy.free.fr

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es corps taillés à la serpe, avec une peinture quasi abstraite, massifs, les mains souvent croisées. Peints avec de grosses brosses, des éponges, des raclettes de maçon… Ces corps comme soumis à l’apesanteur, en tension, dont on ne sait quoi faire, sont surmontés de têtes qui questionnent le spectateur, lui expriment toute la tristesse, la mélancolie intérieure. Ils nous accrochent le regard, ils nous interpellent, nous questionnent sur la vie, le monde. Pour Pascal Laloy, l’être humain est un être d’abord mental, social. Que fait-on de notre vie ? Car les personnages sont coupés du monde, ils nous posent la question essentielle de l’individu, de sa conscience des autres, ceux qui sont absents de la toile. À l’infini il reproduit ce schéma, sans jamais s’en détourner, une manière obsessionnelle de poser encore et encore les mêmes questions. Un appel à se libérer l’esprit des contraintes matérielles. Les personnages sont entourés d’un halo « monochrome » qui les met en valeur et accentue leurs expressions Pour lui, « le trio peintre-figuration-matière est un ensemble qui doit s’équilibrer parfaitement ». Il est donc primordial de laisser toujours une place à l’expérimentation, à l’accident, pour éviter la mollesse d’une figuration sans surprise. Car il y a un fort contraste entre l’immobilisme des personnages et la force, la gestuelle de la peinture qui les compose. La bataille intérieure rejoint là la bataille extérieure et leur apporte ainsi une vitalité, une grande expressivité. On ne passe pas indifférent devant les personnages de Pascal Laloy, ils vous accrochent, ils sont de ceux que l’on n’oublie pas.

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SylC : SUR LE MIROIR DES FAÏENCES… par Yannick Lefeuvre www.sylc.org

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ne étrange douceur du visage, contredite immédiatement par la fixité d’un regard qui s’adresse à nous, déploie une tension proche du ravissement. Des coulures nacrées et volubiles qui vont de l’abstrait indéchiffrable à l’évidence des figures de madone, vibrent dans un flou diaphane cerné parfois d’un trait blanc net et bref. Avec la constante présence animale qui se tient auprès de l’enfant-fille-femme, telle une enfance à portée de main. La violence chatoyante des couleurs vives et la présence familière de ces mains spectrales, ces géantes inattendues, prêtresses d’un savoir tabou, accueillent avec tendresse le reflet de nos yeux. Ainsi notre vision renaît et se déploie sans complaisance en des lieux de soi où l’amour réciproque a disparu. Avec un refus obsessionnel toujours réitéré, elle tourne le dos à la mièvrerie tout en s’adonnant corps et âme à l’inaltérable beauté féminine. Ce refus du mièvre se déploie encore et encore dans une animalité à la présence parfois menaçante. Les belles… sirènes… chaperons… déesses issues de la respiration des virgules et sous emprise laissent libre cours à la bestialité qui rougit l’enfant. Elle sacrifie l’être tranquille et endormi à une dévoration tragique. Dès l’origine de ses toiles, une déchirure marquée par l’ombre pour des visages tranchés, fruits mûrs ouverts, sensuels à croquer mais séparés résolument par la coupure du sombre et de la lumière. Dans les senteurs inestimables de la petite enfance, dans les courbures parfaites des résurgences de glaces bleuies, d’oranges moisies, de verdâtres humidités, la perfection trahie devient sublime. Elle chuchote à notre oreille qu’il n’est de beauté que rendue à l’humaine réalité. Par le truchement des subtiles et vives teintes coupantes, durcies aux feux intérieurs, elle ouvre les esprits à l’essence de l’art où violences, douceurs et espoirs s’inclinent devant le réel en phase avec un geste pictural juste.

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ylC trône sur notre fond d’écran en écho au tableau accroché dans notre salon. Elle est donc vue et sue au quotidien mais l’énigme perdure, intacte. Je tente une résolution car elle me semble, malgré l’inexplicable de ses toiles, un désir toujours à la tâche d’un possible devenir. À la fleur de l’émotion aux rougeurs violentes pour vouloir, aux nuances glacées coupées au tranchant des couteaux pour distinguer, à la noirceur bestiale des

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présences animales prédatrices pour révéler, elle oppose chaleur et froidure dessinant une évidente frontière. C’est ça le secret, la frontière toujours, lieu de tensions, de cris d’amour et d’élévation. Elle se tient et nous tient sur la bordure, sur le tranchant de la bascule, au seuil de la falaise. Elle peint par nécessité pour nous dire la vie, la véritable selon elle. Pas facile, pas donnée mais puisée, creusée jour après jour dans les éclats neufs de la patience du désir.


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Lucien Ruimy n’est pas peintre par Arthur Haase www.lucienruimy.com

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’est un homme qui veut parler, mais pauvre homme, il n’a pas de mots, il n’a que couleurs et mouvements. Lucien Ruimy ne sait pas peindre, mais il sait s’exprimer. Ce sont ses mains qui déposent des pensés qui sont couleurs, des couches de temps qui sont des couches de vie, des bouts d’émotions qui sont des bouts de lui. Lucien Ruimy n’est pas peintre, il est spectateur de lui-même. C’est son corps qui agit, c’est son souffle qui parle, lui n’intervient que pour stopper l’action, lorsque son œil est satisfait, et ainsi rendre la peinture œuvre. Vous pouvez penser ou théoriser à votre guise, masturber vos neurones complaisants, vous ne tirerez rien. Écoutez plutôt la murmureuse matière qui raconte son chemin, regardez ce cliché qui fige un flux de pensée, et délectez-vous du chant des muses, ces entités inconscientes qui jaillissent des esprits jusqu’aux tableaux, malgré lui, malgré nous, malgré tout, du fond du crâne. Ses peintures sont des danses. Les yeux divaguent dans un espace clos et pourtant infini, suivent les rythmes comme les mains les ont suivis. Mais la danse c’est la vôtre. Lucien Ruimy est interprète, un interprète de plus de cette musique qui habite nos têtes.

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ÉLODIE LEMERLE : IL FERA BEAU DEMAIN par Lucien Ruimy galerielemerle.e-monsite.com

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u départ, il y a une image de presse, un instant dans le déroulement du temps, un fragment d’histoire, d’une réalité. En les peignant ou les reproduisant, Élodie fige cet instant, pour mieux pointer les contradictions de notre temps. L’image peinte est ensuite déchirée afin d’exprimer les déchirements, les fractures du monde. Ensuite les fragments d’images sont recomposés laissant des vides permettant au spectateur de les combler par son imaginaire, sa sensibilité et ainsi de recréer sa propre image. Élodie a de l’empathie pour l’humanité, elle y est sensible et elle veut nous faire partager son refus de l’injustice, la non-reconnaissance de l’autre, ses doutes et ses espoirs en un monde meilleur. Élodie Lemerle choisit des images qui, comme elle, se veulent « non-violentes » ; même si elle les décontextualise, elles restent un reflet du monde extérieur. D’un côté, les richesses, de l’autre la pauvreté. D’un côté ceux qui y ont accès, de l’autre ceux qui tentent de passer la frontière. D’un côté les oisifs, de l’autre ceux qui travaillent. D’un côté ceux qui ont de quoi se loger, de l’autre ceux qui dorment dehors… Le choix du gris dans tous ses états, du noir au blanc en passant par le gris-bleu, est là pour souligner la grisaille ambiante du monde. Il ne s’agit pas comme le faisait Coluche de chanter « Misère, misère », mais d’affirmer avec espoir que l’on peut résorber les fractures, les déchirures. Elle nous invite à créer une réalité meilleure, plus humaine.

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ANNA BARANEK : LA BEAUTÉ DES CHOSES SIMPLES DE LA VIE par Lucien Ruimy anna.baranek@orange.fr

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e ses promenades contemplatives, Anna Baranek rapporte des images. Celles-ci broyées dans la magie pigmentaire de l’atelier reforment sur la toile des paysages mémoires, des empreintes mentales où les reflets effacés des arbres, des cabanes… se confondent dans des mirages abstraits. Cela donne une liberté à l’artiste, lui permet de ne transmettre qu’un éclat particulier, une lumière, un mouvement. L’émerveillement d’Anna devant les choses simples qui lui permet d’outrepasser les limites du réel. Le mot qui vient à l’esprit quand on veut caractériser sa peinture est : lumineuse. Point de stratégie, ni d’effets picturaux. Des fonds très travaillés, comme de vieux murs qui portent les traces de leur passé – les fonds d’Anna

Baranek portent les traces des couches successives. La gestuelle en est comme effacée. Les transparences, les harmonies de la texture donnent une sensation de stabilité, d’apaisement. De manière symbolique elle va y incorporer un arbre, une cabane ou une barque. Chaque sujet est traité de manière allusive, fugace. Ils sont comme des repères, des balises qui conduisent à des moments d’intimité que le spectateur est invité à partager. Partager son émerveillement devant une lumière, un paysage, une couleur… Tout chez Anna Baranek est un appel à la rêverie, au partage de l’émoi des choses simples de la vie : « Une chose échappe à toute stratégie, cet émerveillement, l’éclat de cette beauté qui brille dans nos yeux. »

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XAVIER BLONDEAU : JEUX DE LUMIERES par Yannick Lefeuvre xbphotographe.com

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e loin, on a cru voir quelque chose. De fait du peu d’éléments aperçus, l’esprit s’emporte et dévoile son rêve. Xavier Blondeau cherche ce qui déclenche cet état d’esprit. L’imaginaire qui ouvre aux imaginations s’articule sur trois composantes selon un processus qui peut se décliner ainsi : - Que lorsque le trait est net, la lumière est centrée. Le désir est l’inconnu et le mystère reste entier. Paysages urbains dans la nuit, une maison, un parking, fenêtres éclairées dans un immeuble… des récits possibles… - Que lorsque la lumière éblouit, le trait s’estompe mais dessine encore les contours en une vaporeuse et charnelle composition. Le désir est en présence de l’autre. Nudités chastes et sensuelles d’une femme… des amours envisagées… - Que lorsque la lumière est colorée, le flou du trait l’embaume. Le désir appartient à chacun. Il se déploie et s’envole. Traces des corps féminins dans une ouate fusionnelle… des corps devinés… Ce seront les silhouettes floues, les couleurs au bord de l’effacement, une lumière dans la nuit. Ce qu’il en est de ce déclenchement, de ce doigt qui appuie sur la gâchette restera le mystère de l’artiste. Il se dénude là dans ses choix à fleur de sens. Il y a très peu mais juste l’essentiel pour nous « rêver ». Par exemple, on voit de loin un magnifique oiseau troublant de vérité et qui volette. Las, ce n’était qu’un sac plastique. Le bonheur d’avoir imaginé l’oiseau s’efface, se recroqueville et s’éteint. Mais il y aurait, nous dit l’artiste, un état où tout peut à nouveau advenir. Les éléments qui composent cet élan vers une vérité poétique de soi restent résultants d’un choix… élaguer l’inutile est indispensable. Par là, il pense nous rencontrer pour palabrer avec lui. Ce hasard qui fit l’oiseau devient le subjectif de l’oiseau en soi… une émotion. Cet oiseau-là est plus que tout autre. Les peuples dits « primitifs » savaient qu’au-delà d’un signe s’ouvrent des mondes dans lesquels notre esprit s’élancera. 65


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ALBANE DE SAINT RÉMY : À PORTÉE DE MÉLODIE par Yannick Lefeuvre www.albanedesaintremy.odexpo.com

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’emblée à l’écoute des toiles d’Albane de Saint Rémy, nous ressentons une sensation d’envol, un glissement dans un rêve très doux, une tendresse inattendue pour la vie qui nous transporte. Les toiles d’Albane ont ce pouvoir-là ! Cela devrait suffire à notre plaisir de les regarder une à une et d’éprouver à chaque fois le sentiment d’une métamorphose de soi. Mais cette capacité due aux effluves de ses toiles de nous voir basculer dans le merveilleux ouvre à mon sens à un « dire vertigineux ». Une parole où la passion de la vie et de ses représentations trouvent des chemins. Une amatrice d’art proteste car, dit-elle, les silhouettes figuratives sont inutiles et gênent l’abstraction dans son essor. Parfois l’amour ressenti ne s’évade ni de ses propres clichés ni de l’enfermement d’un connu « moderne ». Alors, sur une toile d’Albane, ce qui ouvre la porte des émotions que l’on voit ici refusées pour cause de désobéissance à la pensée convenue (car il est dit que l’abstraction se doit de refuser tous signes figuratifs), c’est l’écart justement. L’écart entre cette pâte chaotique constituant un substrat puissant et coloré en amont et la finesse sensuelle d’un trait de craie soulignant par exemple une silhouette de jeune fille saisie sur le vif de son être vibrant. Pour un « vrai dire », un pas de côté vis-à-vis des certitudes se révèle nécessaire et c’est là que se situe pour tout un chacun une chance de voir pour soi, d’aller plus loin et de goûter à l’ineffable. Une transmutation du charnel de la couleur vers des éblouissements blancs, des ciels à venir et des horizons subtilement diaphanes nous guide. Ce creuset pictural qu’elle nous donne à voir prouve que ses cheminements abordent une connaissance inouïe. Elle ne peint pas pour ou en osmose avec mais parce que c’est ainsi que cela s’énonce dans son processus pictural.

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nous de nous étonner d’un tel chemin, d’une telle prouesse qui ne cède sur rien que d’aller vers, d’être là et de s’y tenir au plus près d’une fulgurance épanouie. Elle redonne au regard ses capacités visuelles, celles d’une vibration oubliée et tout à coup reconnue. Un sentiment de plénitude reprend vie en soi une fois l’émotion éveillée par les plages aux couleurs soutenues. Par ses substances charnelles ne faisant impasse ni sur la violence (arcs jetés, déchirures noires, gribouillis informes) ni sur les douceurs (lignes tenues, roses pastel, souffles d’or), ni sur les caresses de tendresse (coupes, barques, bulles en suspension...), les conjuguant comme autant d’émotions vécues et lui appartenant. Puis ces quelques signes ou éléments originels par elle convoqués se déploient sur sa table après cuisine odorante comme autant de fruits, d’oiseaux et de feuilles complices. Autant de références personnelles qui, transfigurées, nous emmènent « naturellement » du visible vers l’invisible. Nous, devenus funambules, avançons entre ciel et terre sur ce fil qu’elle institue comme élément reliant d’elle à nous et de nous à « tired’elle ». C’est magnifique !

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De plus, dans les tensions des quatre éléments assortis aux cinq sens, le temple ainsi installé cache des entités studieuses vers lesquelles nous pouvons aller prier et marmonner d’anciennes comptines, des formules magiques et psalmodier des sortilèges encore efficaces. Ce qu’il en est de nous à cet instant où le regard s’approfondit est évanescent et seule la poésie pourrait apporter une variation à sa hauteur. Ainsi j’arrête d’en écrire plus et je me laisse aller au plaisir égoïste (ce qui fut vrai tout au long de l’écriture de ce texte) de puiser au cœur des sources rafraîchissantes de ce qu’elle nous donne dans une volée de rêves, un état de désir.

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STÉPHANE ARRONDEAU : PASSE-MURAILLE ! par Yannick Lefeuvre steph.vitrail@orange.fr

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u commencement, il est dit que le souffle et la parole créent la lumière. Elle, la lumière en vraie… par une trouée dans la masse feuillue d’une forêt sombre… clarté qui, tombant du ciel dans sa présence fulgurante, nous arrête. Elle… la lumière qui, traversant… par les fentes en ogive pratiquées dans les épaisseurs murales des églises, laisse passer à travers leurs transparences colorées la substance luminescente des jours. Une invitation faite à notre esprit de s’ouvrir à l’ineffable beauté. Cette dernière, c’est bien sûr la lumière des vitraux, frontières entre l’en dehors du monde et l’en dedans du lieu de prières ouvrant l’espace clos à la possibilité d’une présence, d’une couleur et du simple ravissement du plaisir des yeux. L’artiste conjugue et tutoie la lumière par le jeu des glissements des couleurs… du bleu au sensuel orange que cadrent les squelettes de plomb… spirales mélodiques… ode aux subtiles nuances… hors des clichés ancestraux… respectueux des origines mais présent dans l’aujourd’hui… avec ténacité ouvre des chemins ! Si nous nous demandons à quoi sert tout ce travail, voilà une histoire. Une fois, j’entendis un dialogue entre une grand-mère et son petit-fils levant leur nez vers un vitrail. Elle lui disait : « Tu vois, nous, on est entrés par la porte (elle montre la porte) et Lui, il passe par la fenêtre (elle montre le vitrail). Quand je serai là-haut avec Lui, si tu reviens ici, tu entreras par la porte et moi je te ferai signe par la fenêtre. » L’enfant sourit et embrasse sa grand-mère aux anges. Forcément arrimé à la lumière vivifiante d’un grand récit, l’artiste écoute. Il sent qu’il ne s’agit plus aujourd’hui d’y croire ou non mais d’y être. Le propos de l’artiste se tient dans cet écart entre un récit qui le situe et un sujet qui s’ouvre à sa présence au monde. Quelle démesure de vouloir représenter ça ! Quelle prouesse !… et au final, le vrai courage du petit homme face à la grande question… L’artiste dans son vouloir être au monde aujourd’hui soumis à l’avoir de se situer résolument à cet endroit où l’être passe dans la lumière ! 73


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FABIENNE STADNICKA : FAIRE ŒUVRE DE MÉMOIRE par Lucien Ruimy fabienne.stadnicka@wanadoo.fr

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e qui attire en premier lieu, dans les travaux de Fabienne Stadnicka, c’est le support qu’elle utilise : de la tôle rouillée. Ces tôles, rebus de notre société industrielle, laissées à l’abandon à l’agression des éléments naturels, ont été mangées par la rouille. Elles sont ensuite découpées ou plus exactement déchiquetées selon l’utilisation qu’elle compte en faire. Lointaine héritière du groupe Support-Surface, Fabienne sort du cadre, le temps a fait son œuvre, il a mangé le métal, lui a donné une découpe aléatoire. Une revanche des éléments naturels sur ce produit industriel qui a connu une si grande diffusion. Il devient ainsi la mémoire du temps qui passe. C’est donc ce rebus qui va lui servir de support, donnant une sensualité aux corps nus qu’elle y peint en leur apportant la tonalité chaude de la rouille. Contrairement au support usé par le temps, les corps sont palpitants de vie, ils figent dans le temps tout ce qui en fait la beauté, les jambes, les fesses, les seins… des corps qui sont destinés à ne pas subir les outrages du temps. Ils ondulent au rythme des ondulations de la tôle. Les effets de la lumière et du mouvement du spectateur finissent de donner vie aux corps fixés dans la rouille. Parfois les corps sont, eux aussi, comme mangés par les effets du temps, comme si nous découvrions des vestiges d’un temps passé. Fabienne Stadnicka met plus en avant son support, c’est le temps qui passe qui le façonne, mais c’est son intervention qui le transforme en œuvre d’art. Beauté éternelle, vie éternelle, c’est très humain, mais le temps nous rattrape toujours, il nous mange comme la rouille mange la tôle. En attendant, laissons-nous emporter par l’émotion que peut susciter un corps, comme d’autres pourront le faire dans les temps à venir. Ça, c’est immuable.

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L’ART DE LA RUE par Eric Meyer emeyer.blogspot.com

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l en va de mes balades urbaines comme de mes promenades au bord de mer quand l’œil attentif fouille les trous d’eau dans la roche lorsque la mer se retire. Toutes ces mares, ces flaques, grouillantes de vie aquatique, végétale, animale, vibrantes de couleurs. J’y observe l’anémone languissante ou recroquevillée, l’algue ondulante, flottante, l’étrille craintive, le coquillage ouvert, le poisson patient, mais agité, qui attend la marée salvatrice ; le sable, les galets, les débris rejetés par la mer. Je me penche sur ce petit monde, je l’observe comme une peinture en cours. J’y vois des formes, des silhouettes, des regards, des personnages, de nouveaux paysages… En ville les choses fonctionnent un peu de la même façon. Ce qui m’intéresse, ce vers quoi porte mon regard, est essentiellement fait d’accidents, de situations, de traces, d’usure. Plus que l’affiche, c’est l’affiche arrachée qui retient mon attention. Ce sont les bribes d’images qui se dévoilent des couches inférieures pour venir dialoguer avec les éléments en surface. Plus que la fresque habilement exécutée (et pour laquelle j’ai beaucoup de respect), c’est la peinture qui s’écaille, coule, c’est le geste rapidement esquissé qui me font vibrer. J’aime le passage du temps et des éléments sur la pierre et le béton, j’aime quand la cité devient sauvage, quand elle se reconstruit, qu’elle est en mouvement, en devenir. J’aime qu’elle ne soit pas figée, j’aime quand ses bâtiments s’emboîtent, ses ombres s’allongent, ses lignes s’étirent, j’aime quand elle s’invente, se met en scène. C’est un peu de nous sur les murs ; de nos mots d’amour, de nos colères, de nos engagements, de nos faiblesses. C’est une histoire à ciel ouvert, à couleurs déployées, dont nous sommes acteurs et témoins. Les murs sont des regards à croiser, la ville est un vaste chantier. Garde les yeux ouverts, il y a matière à voir...

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ÉDITH BASSEVILLE : ESQUISSES DE FER… par Yannick Lefeuvre www.edithbasseville.com

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’il y a discontinuité entre l’humain et la nature, quelques artistes le sachant tentent de nous en révéler une part d’invisibilité. Ce trait d’union symbolique ouvre nos regards sur ce monde qui, devenu indifférent, reste malgré tout pour certains magique et merveilleux. Pour ce faire, Édith Basseville prend le chemin le plus déroutant qui soit. Ce sera par le fer de ses sculptures qu’elle travaille jusqu’à la troublante transparence de ses œuvres. Dans l’étonnement du monde, elle tente de dire l’écho, l’ombre, le vide et le silence… par là, elle sait qu’un lien artistique peut encore dire le mouvement de la vie. Ce lien sera entre ciel et terre. S’il y a socle, il ne tient qu’à un fil. L’élan des plantes, des feuilles, des fruits, des êtres, c’est ça qu’elle cherche. D’abord cerner les rotondités, les tenir d’une tendresse de main de fer pour en goûter la beauté. Puis de fil en aiguille, car elle a quelque chose d’une couturière doublée d’un forgeron, elle gribouille sans autre intention que d’at-

traper une poussée, une flambée de vie au cœur de ce qui nous entoure. Du plus loin de ce qu’il en est d’une fleur, d’un visage, d’une flamme, elle la grillage, l’affine, la rend poreuse. Elle fait mouche d’une dérive où le fer devient fine toile d’araignée. Elle tisse ses fils d’une Ariane qui, amoureuse de la vie, trouve une route devenue lumineuse. L’esquisse est une source encore inexplorée (elle laisse au geste la liberté d’aller vers l’essence des êtres et des choses). Tout en gardant secrets les désirs, elle les structure pour des lisibilités possibles. Nos regards si souvent absents du monde retrouvent devant ses œuvres aériennes une vitalité oubliée. Elle nous fait toucher du regard leurs substances par jeu d’ombres. Ainsi éclairées, révélées, elles nous surprennent et nous émeuvent. Mais son art reste tenu. Il s’affirme avec une présence solide car elle n’oublie pas les règles de la sculpture où les opposés se doivent d’être présents pour vibrer. Ce sera ainsi par cages interposées qu’elle officie.

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FLORENCE BANDRIER par Thierry Gaudin florencebandrier.free.fr

L’écrit des dits de l’écrit Les édits dits de l’écrit L’écrit des dits écrits Les cris du dit écrit Dits écrits de l’écrit Les écrits des dits de l’écrit De la typo réforme Du graphe prend le cally Tout décalé mais certifié La sangle du savoir détissée À la réforme le surligné Celui qui norme l’informé Du dit écrit est-ce le gène Ou l’indigéré du fort moulé Le phylactère bouffe la case Et casse l’accusé de réception Un roi s’offense que ça pense Indifférence et pied de nez Tire la langue Albert au p’tit Robert L’intitulé prend la consigne Et vide la panse du verbe Avérée la geste se disperse Et croque en marge le messager Habillé en pied de moule Le dit d’écrit décrit et puis Écale l’écorce ferme des impensés Cachés planqués dessous la nasse

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Le siège depuis est en réserve Poids noirs posés dessus la verve Il plie et casse la majuscule La casse des doigts coud paraphrase Aux peaux des strophes administrées Ça biffe au singulier Ça single à toute vibure La touche enfourche le véloce Et court sans perdre la laine Des cuirs trempés dans la pléiade La bulle dévore en antiphrase Le silence entier des formulaires Les nerfs des mots bien arrangés S’exfolient en stases exposées Le non-dit des écrits mis à plat La logorrhée des logos gît En extases extrapolées La géométrie du verbe S’expatrie hors du contexte Excoriée la forme a l’air D’une grammaire en émulsion L’écrit de l’écrit dit forme Déforme et réforme du littéraire Les carènes sur des aplats Où les épaves signent Et dévoilent le jusant des écrits Estran polymorphe des non-dits de l’écrit

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Élisabeth SandilloN : l’éruption sensuelle de l’abstraction par Hugues Bourgeois www.elisabethsandillon.com

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éjà, il y a le parfum capiteux de l’huile et, avec lui, le choix d’une certaine difficulté. Et puis, il y a l’extrême abstraction du geste, qui pourrait passer pour une forme d’incohérence non contenue. Mais bien au contraire. C’est justement la maîtrise de la pulsion qui va créer cette œuvre singulière, maîtrise du trait, maîtrise de la couleur. Ainsi, sur une surface atone, va éclater quelque part sur la toile une forme vitale et vivante. L’œil serait-il en face d’un instantané chaotique de la genèse ? On peut y voir le nuage d’une galaxie naissante, la danse de molécules en formation. Cette peinture est éminemment constitutive de ce que nous sommes. Et si elle peut être un banal commun dénominateur, une force du hasard plus qu’une force créatrice, ces toiles sont en étroite relation avec notre intimité. Si j’ai fait, lentement, le choix de celle-ci, je n’en connais pas encore les raisons profondes. Alors, je prends le temps de fixer la toile, de longues minutes, et sans en savoir plus, c’est une conviction qui s’impose. Le tableau m’interroge : « pourquoi m’as-tu choisi ? » Je crois que c’est le bleu qui m’attire. Et rapidement c’est le rose. Et puis c’est à nouveau la confusion, mon regard perdu flotte sur la toile. L’Homme est homme de références, et c’est sans doute une faiblesse. Les nymphéas. J’ai toujours aimé en approcher mon regard, au plus près des fleurs elles-mêmes. De cette proximité naît la forme abstractive de cette peinture. Un siècle sépare ces toiles, les peintres ont des intentions divergentes, mais chacun est en avance sur son temps. Après l’odorat, la vue, le toucher. Mes doigts caressent le magma de la peinture épaisse et lisse, en épousant ces courbes qui nous invitent à un voyage au centre de la terre. Nous y voilà. Élisabeth Sandillon nous donne à voir des veines de pierres précieuses en fusion dans un silence de volcan.

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MICHEL ROTY : IRRIGATIONS INTIMES… par Yannick Lefeuvre michelroty.com

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l y a toujours autour des peintres un ésotérisme lassant, des relents de psychanalyse de bazar ou des flots de logorrhées dégoulinantes. Mais pour une fois, le peintre pose la question « à quoi tient la vie ? » et y répond sans aucune ambiguïté. Il s’agit de lire ce qui est présenté car ses toiles nous parlent directement. Dans le monde actuel, cela devient rare. Dans une composition où les strates de peinture révèlent en leur surface les ondes originelles enfouies, juste éberluées d’une touche pertinente qui relie l’esprit aux références connues (silhouettes, ombres d’un ailleurs). Ces signes de reconnaissance sans complaisance avec l’air du temps nous serrent à la gorge. Ils nous invitent ainsi à penser qu’il s’agit d’histoires de cœurs, de corps et

d’êtres. Une invitation où l’apparence d’un vêtement d’époque se fluidifie dans des coulures émotionnelles. Ces derniers, même s’ils ont disparu, s’avancent en nous comme autant de présences indispensables à notre équilibre. Ce qui me ravit dans son travail, c’est le respect qu’il imprime sur ses toiles, sa délicatesse et le tissage en vrai comme en idées qu’il institue en nous avec un plaisir du jeu évident. Rien de morbide pour une fois dans ces espaces-là mais du désir qui s’articule de mille et un détails. Sa plongée sincère en lui-même et cette précision parfois chirurgicale nous donnent des éléments universels où chacun, comme dans un conte, se reconnaît et déploie avec joie des lambeaux d’histoires qui nous ont constitués.

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n substrat de plusieurs matières subtiles nous fait toucher du doigt les rêves. Jailli d’une sensualité intériorisée, retenue, respectueuse de lui-même et des autres, il fait en sorte que chaque regard trouve matière à voyager dans ses univers secrets. Rien à analyser, par contre, sinon retrouver du coin de l’œil un bonheur d’être qui s’enracine en amont. L’artiste prend le temps infini et méticuleux de nous signifier cela aujourd’hui. Nous apprenons avec lui les douceurs des glissements pastel, les petits canaux, tubulures, vaisseaux par lesquels justement il n’y aurait pas cette vie qu’il interroge. L’humour à l’humeur jazzy en ce sens où, à bien y regarder, c’est la même partition colorée à sa manière, découpée, cousue main qui déploie ses mélodies improvisées. Ses instruments naissent de ficelles aux tissus « tourbichonnés » se balançant au gré des vents du temps. J’ai envie de dire, ils sont tous là ces petits dieux de la mémoire. Parfois une Aphrodite donne corps à nos désirs. Pas de faux-fuyants, il parle d’amour, une fermeture Éclair évidente à zipper. C’est bien le plaisir dont il est question, élans vifs et jetés, coupures sanguinolentes, brisures de dentelles mouillées, sutures, déchirures de rouilles désagrégées. Il donne dans le même élan, la généalogie des envies, les figures mythiques fondatrices, la beauté des femmes, l’acte vivant. Parfois les écorchures sont évoquées si subtilement qu’une fois l’achat effectué, nous nous éloignons discrètement, une toile sous le bras, pour un plus tard devenu intime, un toujours à partager avec les siens, une trouée dans les demeures pour dire encore et encore la présence d’un art radicalement autre. Il est de ceux dont le tempérament chante l’amour toujours, tout le temps, par tous les temps révélés avec une intelligence picturale originale qui nous fait battre le cœur.

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ELISABETH VON WREDE : VOILE ET DÉVOILE… par Yannick Lefeuvre www.evonwrede.com

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ans les mouvements divers de la peinture actuelle, le ressenti, l’émotion, voire la pulsion deviennent le sujet redondant des recherches picturales. Pour Elisabeth von Wrede le propos est tout autre, il vient s’établir selon un processus précis, voire deux… Elle annonce : « Le blanc vient soit après un travail tout en couleurs qui lui est fait avec une gestuelle très dynamique, voire violente, soit après avoir écrit un texte où je vais exprimer mes pensées, mes idées, mon analyse, mon ressenti par rapport à un certain sujet. Réflexion intime que je ne partage qu’avec le futur possesseur de la toile. » Dans le premier cas il s’agit de la série Révélations, dans la deuxième Les Secrets. Il s’agit en premier lieu et temps d’une parole, d’une pensée, d’une réflexion qui à l’origine suscitent un premier recouvrement coloré, une sorte de dérive des mots, une ivresse des sons devenant jets de couleurs. Et en dernier, un enneigement blanc définitif. Étonnamment, l’ensemble offre une écriture colorée où les repères sensoriels disparaissent au profit d’une surprise vivifiante… un soi tout neuf, inattendu, ainsi révélé. L’œil est subjugué par des éclats de matières colorées. Ils surgissent entre les craquelures blanches tels des signes torturés et stridents. L’univers multicolore ainsi composé se lit comme un signe de croix. Horizon et verticalité fondent une loi imprévisible. Lettres sensuelles et faussement lisibles pour une lecture émotionnelle qui, par le geste

généreux de l’artiste, n’appartient qu’à chacun(e). Si le tragique de l’être s’origine de secrets inavouables, elle en donne la preuve. Elle se situe à l’exacte frontière entre la révélation du secret et la nécessaire intimité qu’elle revendique avec une rythmique rassurante, censée calmer ce que le travail en amont a laissé surgir. Elle trace une ligne de partage entre blancheur et colorations vives ainsi ponctuées. Les luminescences aux tendances rouges, vertes ou bleues de chaque toile ouvrent sur des univers multiples et cohérents. Par son travail pictural, elle souligne un processus vers la vérité et s’y soumet avec opiniâtreté. Elle donne à la frustration, à la perte et à l’échec une possibilité de se créer un chemin. Elle affirme qu’il n’y en a pas d’autres sinon de quelques totems, grillageries ou fugaces apparitions abstraites. Et le mode d’emploi accompagne l’œuvre, c’est inouï. L’œuvre devient objet chatoyant de méditation. Aujourd’hui où l’intime tend à s’effacer au nom d’une prétendue nécessaire transparence, elle tourne le dos avec effronterie à ce diktat. Enfin, dans un geste de voilement apaisé pour retrouver les siens, soit nous autres, elle impulse par le rythme devenu visuel le mouvement de la vie, voire de l’amour. À nous devant ses toiles de mesurer l’opportunité d’une telle proposition. Si le dévoilement reste affaire intime, seul le voile nous en dira plus… mais chut ! 101


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DJAN SILVEBERG : À BÂTONS ROMPUS… par Yannick Lefeuvre www.silveberg.com

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l fut un temps où quand il était dit « j’ai laissé mon bâton dans le pré », chacun comprenait et l’entendait à sa façon. En ces temps, cela ne laissait personne indifférent. Ainsi par la parole métaphorique, le lien s’établissait. Aujourd’hui, de ces énigmes, proverbes et dictons, il en va différemment. Mais cet artiste-là se saisit de l’énigme et déroule son tapis rouge. Il nous raconte que quelque chose à l’évidence importante, vitale, inavouée a disparu. Là où ça ne nous dérange plus, lui, ça le démange. Tant mieux, il nous montre la rupture, la déchirure, cela l’obsède. Il en fait des « toiles », des sculptures, des installations. Il trace ainsi des routes, des jeux de piste, des retournements et détournements salutaires. Il nous envoie des signaux comme pour cerner l’espace et arrêter le temps. « Ça déchire », comme disent les jeunes. De la justesse des mots, de la sensation de l’émotion, du sentiment qui en découlent, il nous en parle avec son talent personnel. Sans fioritures, il nous l’expose d’un geste précis, simple, vécu. Un espace de couleur où un trait de lumière barre sa surface et « point barre ! ». Une simplicité à la Judd, le méconnu. À nous de nous emparer du bâton qu’il nous tend ! Mais le voyons-nous ? Il nous invite avec conviction sur cette route-là. Il nous la balise, il nous la scande, il nous la déroule. Alchimiste, il en fait aussi de l’or (c’est culotté !). De cela, la vibration magique fera œuvre. Par son détour d’artiste, il nous invite à l’obsession d’une parole qui n’est plus là. Que va-t-il en résulter ? Que de belles et bonnes choses… avec, et c’est là son talent, un au-delà de la chose, une chose revue et corrigée, étendue jusqu’à ce que cela enfin s’entende.

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ue cela s’entende… et de sa proposition qui est à mon sens d’une folle originalité, il nous tend un miroir au reflet brisé. C’est aujourd’hui tellement utile, pragmatique et concret. Je pèse chacun de mes mots en disant que si nous n’y voyons guère d’intérêt, c’est que la tragédie s’est déjà installée. Les artistes sont d’urgents vigiles. Et comme le Petit Poucet, il va par ses toiles nous indiquer comment rejoindre l’être fondateur, celui d’une parole partagée. Ce Breughel d’aujourd’hui qui prend le temps d’inscrire de la parole sur une représentation picturale comme Breughel en son temps, Ce peintre du passé sentait bien déjà qu’il y avait là une richesse inouïe à ne pas perdre. Il est possible qu’en son temps c’était pour lui chemin moral à suivre mais aujourd’hui, il semble que ce ne soit plus le propos. Il s’agit simplement de renouer avec. Ce miroir qu’il nous tend, paroles colorées sur vibrations d’un champ de somptueuses couleurs où le jeu vibratoire s’allie à des mots qui apparaissent ainsi vivants. Pourquoi donner de son temps à voir une parole ? Ce cheminement, cette rumination et entendement lui appartiennent, mais elles nous concernent aussi. Généreux, il nous tend la main. Il soupçonne que pour lui ce qui est salvateur, c’est d’en passer par là. Regardez bien son travail, cette cohérence qui l’achemine là aujourd’hui. Ce chemin est à portée de notre regard. Parole, lien entre nous tous, nous autres, parole, quotidienne, triviale et anodine (du genre : « Joli temps pour une arrière-saison ! » ou « Un tiens vaut mieux que deux… »), paroles évidentes jusqu’à l’invisibilité de leur vitalité. Il nous invite à nos propres noces sous l’aune de la couleur dans un jeu de sens à fleur de souffles. Il induit et nous conduit à ce savoir intérieur que nous partageons tous. Il a fait la moitié du chemin et nous donne l’opportunité de le rejoindre.

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Alexandra Chauchereau : Attention aux images par Michel Foucault www.achauchereau.odexpo.com

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uand il déambule dans la galerie de personnages proposée par Alexandra Chauchereau, le spectateur décèle au premier regard une aimable série de portraits. Il est littéralement happé par ces hommes et ces femmes de tous âges, il pourrait y reconnaître facilement un membre de sa famille ou un être cher de son entourage. Il serait prêt à accueillir ces nouveaux venus et à établir de nouvelles relations tant leurs regards ou leurs sourires semblent complices. Ce premier regard rempli d’empathie et de compassion est rapidement mis en alerte par la mise en scène des portraits : sur un fond neutre (souvent rouge) chaque personne nous fait face et tient entre ses mains un panneau comme dans les fiches policières permettant l’identification des prévenus. Le dispositif mis en œuvre dans les portraits d’Alexandra Chauchereau tient de la méthode policière. Qui sont ces personnes ? Qu’ont-elles à déclarer ? Afin de mener l’enquête, l’artiste dépose un certain nombre d’indices : des mots, des symboles très vite intrigants. L’enquête s’annonce plus compliquée que prévu. Les traits sereins d’une femme sont contredits par le mot « débordée ». Un septuagénaire à la moustache et aux cheveux blancs déclare sur le panonceau qu’il tient entre ses mains : « J’ai vingt ans. » L’image d’un père bienveillant à l’égard de son fils qu’il tient entre ses bras est confrontée aux injonctions des normes familiales : « Tu seras un homme, mon fils. » Le sourire accueillant d’une sexagénaire se heurte à la rigueur et à la sécheresse d’un code-barres. Qui sont réellement ces personnages dont l’image et les déclarations ne coïncident pas tout à fait ? L’identification de chacune des personnes s’avère plus difficile à saisir que ce que notre œil avait pu déceler au premier regard. Derrière l’apparence des images, on devine des mondes intérieurs : des fatigues, des peurs, des rêveries, des craintes, des drames. Tout ce qui fait la complexité et la richesse de l’individu. L’œuvre d’Alexandra Chauchereau pose un regard généreux sur l’individu et invite à en saisir toute une complexité qui ne peut se réduire à quelques clichés. C’est aussi une interrogation salutaire sur les images qui prennent une place de plus en plus prépondérante dans notre société et qui ne peuvent rendre compte que d’une manière très partielle de la réalité humaine.

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SARAH BOULAY : D’UNE PIÈCE À L’AUTRE… par Stéphane Arrondeau sarah.boulay@sfr.fr

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uand on pénètre chez Sarah Boulay, on traverse en premier l’atelier, fait inhabituel chez les artistes. Une simple verrière le sépare des pièces d’habitation où elle vous accueille autour d’un café. Cette porosité apparente des espaces reflète, en réalité, l’unicité du personnage. Au mur et sur les meubles figurent, en bonne place, certains de ses travaux antérieurs ainsi que ceux d’amis croisés à l’école des beaux-arts du Mans. La figure paternelle n’est pas absente, et les souvenirs de voyages sont aussi des œuvres d’art… Au quotidien Sarah enseigne à des collégiens et à d’audacieux lycéens qui ont choisi l’option artistique dans le cadre austère de leur baccalauréat. Retour à l’atelier. Une nouvelle série est en cours. Sarah passe d’une pièce à l’autre. Des petits aux moyens formats. Elle semble hésitante dans ses commentaires… Cependant il nous tarde de découvrir ce nouvel univers. Un univers végétal, accompagné d’un patient jeu d’écriture graphique en noir et blanc, et tout en rondeur. L’humanité n’a, semble-t-il, laissé aucune trace de son passage… Pour évoquer finalement ces toiles transformées en bas-relief par l’apport de cactus séchés (des « coussins de belle-mère » selon l’expression populaire !), Sarah parle de dualité, de confrontation entre force et douceur, aussi bien dans l’opposition des formes que dans le choix des matériaux, une constante dans son travail. Un doute, toutefois, s’empare du spectateur. Et si, à bien des égards, la vraie « dualité » de cette œuvre se situait ailleurs ? Entre, par exemple, l’infinie pudeur et l’extrême délicatesse de la réalisation, et la puissance des formes de l’anatomie humaine qui surgissent brutalement, dès lors que notre regard épouse la pensée intime de l’artiste !

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NICOLAS FAVRE : PAROLES D’ATELIER par Christian Noorbergen www.nicolasfavre.com

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eu de couleurs suffisent à Nicolas Favre, et sa gamme chromatique est serrée. “Les couleurs s’imposent, ou plutôt leur assemblage s’impose, sur le plan esthétique, mais aussi émotionnel, et sentimental. Etrangement, avec ce travail, je me suis découvert un fantasme nostalgique, disons soviétique, sur la Russie bolchevique, une mélancolie au goût de steppes, qui donnerait naissance à des compositions colorées de gamme slave…“ Dans l’œuvre entière couve l’idée d’un monde transparent qui se met en place, avec ses chocs et ses entrechocs, celle d’un chaos qui s’organise, et d’un idéal à venir. “De grands espaces vierges, où tout est possible – le fantasme de ma géographie secrète - opposés à l’oppression. L’œuvre est l’équilibre entre ces contraires…“ Ces grands espaces seraient les miroirs du vide central d’où surgissent ces formes dures et saisissantes, qui font taches, signes, et corps. “C’est l’espace qui permet la naissance de quelque chose, comme une éructation, ou un accouchement“. La création s’arrache à la création. L’art de Nicolas Favre fouille l’impact dur, voire violent. Dans ses toiles, les corps brûlent l’espace. Si les mains font la gueule aux bienséances, elles étreignent l’humanité. Des taches de mort-vie ensemencent l’étendue. Des coulures verticalisent la toile. On dirait des agressions de surface, des larmes de peinture. Ces corps là exacerbent le chaos porteur d’âme, au centre de l’œuvre. Choc salutaire qui délivre le regard du trop-plein des images fatiguées de la modernité. “Paradoxalement, ma peinture, consciemment, est douce, dans le travail, dans la pose, comme des caresses intérieures alternées avec des moments de chaos violent. C’est cela qui donne naissance ou qui détruit. Cette violence étant mienne, je suis en accord avec elle. Elle ne m’est pas étrangère, elle ne me fait pas peur. Mais, parfois, mon travail me dépasse. Je suis en train de travailler, et quelque chose va plus loin que moi. Et je ne me reconnais pas. Ça arrive comme une météorite. Si je me regarde, je vois un étranger. Je ne suis pas prêt“. 117


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eut-être faut-il le lent travail de la peinture pour porter cet arrachement, et préparer l’acceptation de ce qui surgit. Chaque peinture est une approche... “Je ne veux pas être dépossédé trop vite de ce que j’ai fait. Il faut mourir à quelque chose pour renaître à autre chose. Et dans la peinture, c’est tous les jours, c’est sans fin. On peut même se demander si la peinture, entre naissance et mort, existe vraiment“. Le tragique latent tient à la tache implacable qui nappe le tableau. S’agit-il du tragique de l’existence ou tient-elle de sa vie propre ? “Pour moi c’est la même chose. Toute l’humanité est en nous. D’où l’immortalité de la peinture qui parle à tous les hommes, et qui dit quelque chose de l’inconscient collectif. Peindre une maison, c’est déjà un autoportrait. Ma souffrance est là. La peinture apaise mes angoisses et me régule. J’exorcise symboliquement les tourments de vie, qui résonnent chez les autres humains“.

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Naoko Tsurudome : La parenthèse merveilleuse… par Yannick Lefeuvre tsurudome.blogspot.com

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evant les gravures de Naoko Tsurudome, on s’arrête. Elle nous livre l’évidence d’un soi intime en phase d’être éveillé. Elle est subtile dans son économie. Elle ne retient des animaux, choses ou êtres divers qu’une bribe, un morceau ; un seul mouvement lui suffit. Elle n’en révèle qu’une morsure, un bord, une courbe, un élan. Ainsi, elle nous laisse toute liberté pour imaginer. De plus, elle fait lien d’un pays à l’autre avec une grâce magique. Les adages qu’elle revisite avec humour s’élancent vers une nouvelle vie. Elle tisse donc autant par l’image que par les mots des compositions où l’esprit de chacun devient le poète d’une rencontre. Elle avance dans le souffle, la joie, le plaisir d’être au monde. Inutile d’en écrire plus, écoutons-la se raconter, tout y est… « Normalement, je fais une gravure et puis cherche un titre qui s’accorde bien avec elle. Il y a des exceptions, bien sûr, des cas contraires : des mots d’abord, et puis des images. Cela arrive rarement. Je vous présente une gravure qui est née à partir d’un récit. Un jour,

ma sœur m’a envoyé un mail. Il y était écrit : “... l’autre jour, le docteur de l’ayurveda m’a dit avec une voix sérieuse : ‘Si vous avez des questions, notez les immédiatement sur le papier.’ ‘There is no hope in your memory power’…” Cette phrase m’a incité à créer des images. J’ai évoqué premièrement un coq, qui est censé, au Japon, oublier facilement. On dit « le coq marche à trois pas et oublie ». Cette expression en a entraîné une autre : avoir une mémoire d’éléphant. Le coq et l’éléphant sont-ils contraires ? Oui, c’est possible, bien qu’ils ne soient pas issus de la même culture, le coq japonais et l’éléphant français. D’autres choses me sont venues à l’esprit : pousses de radis, champignons, traces d’animaux et d’oiseaux… Les pousses et les champignons ont la mémoire courte. Les traces ressemblent aux mémoires, ou le contraire. Les mémoires sont des empreintes dans l’esprit comme des traces qui sont laissées sur les chemins. Tous les acteurs ont été réunis. Je les ai fait jouer. Le nez de l’éléphant et la queue du coq se sont allongés, et les traces se sont embrouillées. Quant aux pousses de radis et aux champignons, eux, ils se sont ordonnés. J’ai enfin composé une gravure et voilà Une mémoire de coq (estampe, gravure à l’eau-forte, 1/1039,5 x 39,5 cm). » Elle sait passer à travers les miroirs des civilisations et créer avec tranquillité un nouvel univers qui n’appartient qu’à elle. Pourtant chacun s’y reconnaît et se surprend à ouvrir les fenêtres de ses propres rêveries avec au cœur une joyeuse et soudaine complicité.

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MARIEF : LA FUGACITÉ DE L’HUMAIN par Lucien Ruimy www.marief-art.fr

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out est dans la suggestion de l’espace, des personnages. Des corps à peine esquissés qui se détachent sur des fonds sombres. Fugaces comme la vie, la rencontre, ils laissent une trace de leur présence entre l’ombre et la lumière. Ils ondulent à peine, marquant ainsi leur présence. La peinture est épaisse, les corps sont là en surépaisseur, en couleurs plus claires. Les personnages sont le plus souvent solitaires, même s’ils sont en mouvement ; tout cela dans l’indifférence, dans la solitude. Le corps ainsi à peine dessiné marque son aspect éphémère. Où sont les autres ? Ils se caractérisent par leur absence. Le mouvement imprimé aux corps marque le désir de communication, d’aller vers l’autre, de communiquer son désir, son envie de danser… La gestuelle des corps est rapide, comme s’ils ne faisaient que traverser l’espace. Comme la vie qui traverse le temps de manière fugace. Marief pose ainsi la question : « Quelle trace laissons-nous de notre passage ? »

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CARLOTTA : TRÉSORS DES MINES DE RIEN… par Yannick Lefeuvre carlottapaint.jimdo.com

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omme au bord de la mer, quand on regarde longtemps au loin, le regard s’épuise devant ce large immense, ce ciel intense. Puis tout à coup, l’œil s’accroche à un détail. Nous cherchons à comprendre ce qui nous a happé si soudainement. Devant les toiles de Carlotta, mon esprit pareillement éveillé cherche à entendre quelque chose de la toile. Devant ses œuvres, on s’arrête, on passe puis on revient… Elle déclenche ce à quoi nous n’avions pas pensé car, mine de rien, tout est là pour qui aime s’étonner. Immersions, glissements, infusions et subtils équilibres nous absorbent et nous éveillent. Elle voit au loin ce qu’elle est seule à voir. Elle nous le donne en le dessinant avec un pas de côté subtil, presque invisible. Elle nous chuchote que c’est ainsi, inutile de rêver ailleurs que de là où nous sommes. Et de là où nous nous sommes fourrés, s’il y a quelque chose de raté, il n’y a pas rien non plus. Ses étonnantes figures dansantes et prêtes au dialogue nous interrogent. Mais ce « là » vibratoire se compose en même temps de langueurs possibles, de tendresse et du tranquille constat dont elle nous parle. Elle nous invite à nous arrêter. Elle nous demande de considérer l’innocence de nos comportements comme une tragédie. Elle nous révèle une inconscience à peine palpable, fugace, voire presque naturelle. Aucune revendication tapageuse, aucune agressivité sinon celle de se rendre compte. État des lieux constitués de caresses, de regards, de tentatives d’aller vers l’autre. Il est présent le monde que nous avons construit ou détruit. Il est là à portée de regard, de main, donc pensable. Elle nous dévoile ses chimères éberluées de tant d’inconsistance. Sa mièvrerie feinte ouvre au tragique qui parfois pointe son nez dans les vocalises chuchotées des teintes à demi douces, à demi amères pour ouvrir encore à la possibilité d’un câlin. D’un jeu d’image à un autre, d’un mot à l’autre, une tentative de débusquer le verbe aimer. Est-il encore temps de changer ? Nulle amertume, juste une pointe d’humour, de tendre ironie. Ses toiles ne cherchent pas la compassion, elles disent les rencontres vécues, ce vécu dont nous sommes à notre insu tissés. Une chance peut être encore à saisir, il n’est jamais trop tard. Elle nous aborde par la tranquille assurance que tout cela est à la fois en train de se faire et de se délier. Une fois et de cette façon informé, il s’agit bien d’aller vers, de tendre à… et de se dissoudre au moins dans la beauté du monde (chacune de ses toiles rend hommage). Un jour, ce sera ! C’est dit sans emphase, sans pathos et sans concession. Alors qu’attendons-nous pour être au diapason de ce monde magnifique ?

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Nous sommes le fléau qui penche d’un côté ou de l’autre. Ce mot étonnant détient par ses multiples sens l’essence même de la peinture de Carlotta. Il est étrange ce mot, il désigne à la fois la tige qui équilibre les plateaux de la balance, il est la spatule de bois qui sépare le blé de son enveloppe et le signe tragique d’une calamité. Quand je regarde les douces rêveries de ses toiles, ces trois sens possibles se côtoient et indiquent le lieu même de nos interrogations. Elle choisit la voie du lien, de l’étonnement à l’autre sans oublier les plaisirs sensuels de vivre. C’est là tout près, cela ne peut s’approcher que de cette façon, c’est sa façon à elle de nous dire qu’exister est une chance et qu’il y faut du rêve et qu’elle ne s’en prive pas. Avec des images qui ne refoulent aucune vision, qui redonnent pulsation aux mythes, qui relient, elle décline son monde. Une approche mystique où les êtres vivants mais tout autant l’herbe, les roches, l’eau et les ciels si intenses se cherchent.

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Amaya Eguizabal : Je suis une femme qui peint par Sandra Detourbet www.amayaeguizabal.net

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e recours à la poésie m’est aussi précieux dans l’existence que la rencontre de certains mondes. Je vous indique, pour celles et ceux qui seraient passés un peu trop furtivement devant une toile d’Amaya Eguizabal, une expérience vertigineuse semblable à la lecture de certains auteurs. Je pense tout particulièrement à Julio Cortázar ou Fernando Pesoa. J’en conviens, la première impression n’est pas lisible d’emblée. Mais une fois le temps « ajusté », vous êtes débordé par vous-même, si cela vous va… Cette peintre est arrivée ici… devant vous. Quelqu’un face à cette réserve, cachée tel un trésor, ne put s’empêcher de chuchoter : « L’on peut murmurer fort ! » Et si rien ne semble immédiat, ici presque tout sera. C’est en vous !

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CHRISTOPHE LACHIZE : LA PRÉSÉANCE DANS LE SILENCE par Thierry Gaudin christophelachize.over-blog.com

L’art tisse L’artiste tisse du temps Le temps de l’artiste dit les temps Il erre dans les ères À la recherche du perdu Dans les plissures des cervelles L’artiste érode la matière du temps jusque l’arbre L’arbre de l’horizon talle L’arbre sur l’horizon Annonce et dévoile Azimut à rebrousse toile La toiture des ans coiffe Des blancs sur les gris inondés Dans l’in sondé des dires L’art des arbres attend Là Blancs pausés sur la portée du silence

De l’arbre naît l’horizon De la main abrasive l’arbre survient Advient Se souvient Part Vient Repaire sur l’horizon des temps endogènes Affleurement des ères Qui soutiennent nos ans La caresse des blancs ouvre la voix Des strates entassées dans les en-dedans Des stases agglomérées dans l’océan des ans La phrase en blanc insémine La phase du blanc De l’illisible aveuglant Les heures et les heurts lissés Se dévoilent sous le plan Les doigts des temps tendent le démenti Où se bercent les arbres Où perce la ramure Neurones exfoliés Qui plonge leurs racines Dans l’or glane des organes Qui ne savent rien de leur histoire Le temps blanchit les cheveux Des arbres et des artistes Qui se donnent racines Là dans l’épaisse sueur des blancs Dans la paix sœur des silences Dans le démenti patent De l’érosion du latent Harmonies où le derme des temps Émerge sous les âges limés L’appât rend de l’apparence Sa texture voile lent Point blanc 137


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Table des matières GASIOROWSKI : UN PEINTRE HORS GABARIT MARIE-CHRISTINE PALOMBIT : LA SENSUALITÉ DU CORPS ROMAIN SAINTONGE :LA PEINTURE COMME ACTE DE MÉMOIRE INTIME SANDRA DETOURBET : L’ULTRASENSIBLE MICHEL TEMIM SANDRINE PAUMELLE : LA GERMINATION DE LA TOILE WILLY BIHOREAU : POUR DIRE NON À L’APOCALYPSE CORINNE HÉRAUD : LES ÂMES SILENCIEUSES GLEN MORIWAKI : Archipels viscéraUX… LÆtitia Lesaffre : Un certain trouble PASCAL LALOY : NE PAS LAISSER INDIFFÉRENT SylC : SUR LE MIROIR DES FAÏENCES… Lucien Ruimy n’est pas peintre ÉLODIE LEMERLE : IL FERA BEAU DEMAIN ANNA BARANEK : LA BEAUTÉ DES CHOSES SIMPLES DE LA VIE XAVIER BLONDEAU : JEUX DE LUMIERES ALBANE DE SAINT RÉMY : À PORTÉE DE MÉLODIE STÉPHANE ARRONDEAU : PASSE-MURAILLE ! FABIENNE STADNICKA : FAIRE ŒUVRE DE MÉMOIRE L’ART DE LA RUE ÉDITH BASSEVILLE : ESQUISSES DE FER… FLORENCE BANDRIER Élisabeth SandilloN : l’éruption sensuelle de l’abstraction MICHEL ROTY : IRRIGATIONS INTIMES… ELISABETH VON WREDE : VOILE ET DÉVOILE… DJAN SILVEBERG : À BÂTONS ROMPUS… Alexandra Chauchereau : Attention aux images SARAH BOULAY : D’UNE PIÈCE À L’AUTRE… NICOLAS FAVRE : PAROLES D’ATELIER LNaoko Tsurudome : La parenthèse merveilleuse… MARIEF : LA FUGACITÉ DE L’HUMAIN CARLOTTA : TRÉSORS DES MINES DE RIEN… Amaya Eguizabal : Je suis une femme qui peint CHRISTOPHE LACHIZE : LA PRÉSÉANCE DANS LE SILENCE

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