Chroniques du temps qui lasse..

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CHRONIQUES DU TEMPS QUI LASSE..

Ludewic Mac Kwin De Davy -1-


A Esther, mon Absolue..

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Ante-Scriptum Le temps est une drôle de torture, il s’écroule avec les illusions, s’évade avec les espoirs et laisse, comme un amas de cendres sur les bas-côtés des chemins de l’existence, une odeur de souffre désagréable.. Ce temps-là, maussade et grisâtre, de plomb et d’acier, de larmes et de drames, de tragédies et d’injustices, est un appel à l’introspection.. Durant des mois, j’ai souhaité déposer sur mes déserts blancs, ces immenses feuilles vierges, un peu de ce temps fugace et sempiternel, comprendre le sens de sa marche, des enjeux qui naissent avec lui, des actualités qui embrasent le quotidien et s’effacent aussitôt.. J’ai griffonné le pire, raturé les colères et calligraphié les espérances croisées dans quelques exultations mondiales comme l’élection improbable du messie Obama.. Ce sont ces réflexions volées à une époque en pleine transition, qui se cherche encore, que je vous offre dans ce modeste recueil d’articles publiés..

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Chronique du temps qui lasse.. A force de scruter un quotidien saturé, zappant d’inutilités en futilités, on avait le pénible sentiment à chaque instant d’être spectateur d’une chronique du temps qui lasse..

Les images terribles de corps déchiquetés, ensanglantés, meurtris et à l’agonie, dans les rues de cette Inde autrefois grouillante de vie, passées en boucle, inlassablement sur les chaînes de télévision, charognards contemporains des sanglants non-sens, ont suscité partout le même sentiment de réprobation et de compassion. L’on a pu voir durant des jours entiers, le rouge salissant des vies arrachées, des douleurs indicibles, badigeonner les écrans de télévision, témoins presque oculaires du spectacle macabre que nous offre le monde, jamais satisfait de son lot quotidien d’horreurs, toujours à l’affût du moindre drame pour plomber un peu plus un moral en berne. Face à ce choc, il n’eut sur toutes les lèvres que cette expression toute trouvée qui illustrait judicieusement la sensation d’apocalypse total, le « 11 septembre indien ». Ce fameux chiffre 11 et ce triste mois de septembre supplantant en ce début de siècle le maléfique 666, tombé en ringardise grâce aux irréductibles ayatollahs de l’islamisme de la terreur. -4-


Depuis que les tours jumelles furent réduites en un amas de poussière il y a quelques années par des guerriers en conflit avec la Civilisation et ses « démoniaques » influences, chaque géant de la planète vivait dans la peur d’avoir à compter ses morts par centaines ou par milliers un jour où le soleil ne se lèverait pas au bon endroit et se coucherait plus tard que prévu. Des lois nouvelles avaient à cette fin de protection et d’anticipation été à la sagesse de l’émotion votées, tuant sans le dire les libertés et stigmatisant en passant une minorité de citoyens aux convictions religieuses soit disant à risque. Dans l’opinion l’on fit volontairement l’almagame entre islam et islamisme, entre modérés et radicaux, et l’on vit d’un œil plus suspect toute personne portant un nom aux consonances étrangement orientales et aux couleurs moins pâles que la majorité qui s’empressa de rappeler que le vieux continent selon la formule d’un illustre personnage était avant tout celui d’une société chrétienne et d’une civilisation gréco-romaine. Le même personnage hésita ce jour-là un instant sur le terme « blanc », le ravalant par précaution, mais l’assistance en furie contre ces étrangers ingrats le pensa tellement fort que l’on eut des frissons dans ces banlieues abandonnées où s’étaient entassés les infâmes barbares. Malgré donc des lois, des politiques sécuritaires répressives, le renforcement des contrôles aux frontières, les chevaliers ombrageux de l’islamisme moyenâgeux réussissaient à semer la zizanie là où ils le souhaitaient, créant une sorte d’anarchie momentanée qui favorisait la radicalisation des consciences et préparait tout en les poussant les peuples « impies » à l’affrontement final prochain. Cette stratégie du chaos n’avait pour seul but que le choc tant attendu des civilisations. L’Inde, petite puissance qui montait, ayant l’ambition de par l’importance de sa population, son arme nucléaire offert par -5-


l’ami américain, son économie florissante et ses discriminations persistantes, semblait devenue aux yeux de nombreux islamistes l’épine satanique de la sous-region. Elle, qui laissait sa jeunesse se corrompre à l’impureté de la modernité, s’offusquant contre des morales tombées en désuétude, devait être impérativement châtiée de sa témérité. Quelques bombes, quelques jeunes endoctrinés et armés, quelques hôtels luxueux regorgeant de touristes fortunés et d’hommes d’affaire richissimes, tout était réuni pour que le carnage soit mémorable à la hauteur de l’insolence d’un gouvernement sourd et aveugle à une menace pourtant sérieuse quand l’on sait que le Pakistan voisin est désormais le nid préféré de tous les monstres à la Ben Laden, et que les services de renseignement du monde civilisé n’ont cessé de mettre en garde les autorités indiennes contre une probable vague d’attentats. Incompétence ou insouciance, ce qui devait arriver arriva, et pendant des heures on fit le décompte quasiment en direct des dépouilles retrouvées et des cervelles explosant dans les suites présidentielles. Et comme cela était le cas pour tout évènement sensationnel, rassasié et repu, les mêmes charognards attirés par l’odeur du sang, s’envolèrent vers d’autres drames, laissant le peuple indien enterrer ses morts et faire le ménage. Depuis l’élection de Barack Obama à la tête de la future ancienne première puissance mondiale, la planète n’avait d’yeux que pour ce bel homme, charismatique, singulier, et messianique qui allait changer on ne sait par quel miracle le quotidien de chacun si ce n’est l’avenir de tous. Son élection opportune faisait ressurgir ça et là les sempiternels débats sur les minorités non visibles, de leur place dans les sociétés occidentales, du plafond de verre qui bloquait les plus ambitieux à un niveau que l’on jugeait raisonnable, de l’hypocrisie formidable des personnes qui louaient le phénomène Obama tout en estimant dans un sondage paru dans -6-


le Parisien que près de 81 pour cent des français estimaient qu’un Obama national était un rêve absolu. Devait-on y voir du racisme sincère et décomplexé ? Certainement pas. La question était en soi prématurée, il fallait procéder par étape, préparer les populations, mieux assimiler les prétendants aux fonctions suprêmes, leur faire confiance et s’assurer qu’ils articulaient convenablement les mots. D’ailleurs, dans son volontarisme débordant, l’impérial président français n’avait pas attendu Obama pour nommer à un poste ministériel fantoche une femme issue de cette minorité très colorée qui devait dire aux hordes fainéantes des quartiers difficiles que désormais tout était possible. Mais dans le 93 où l’on regardait amusé ce drôle d’oiseau qui se soupoudrait odieusement le visage avec du teint blanc, ressemblant aux masques des personnages des commedia del arte, la sousministre aux droits de l’homme n’était presque personne et aucun de ces jeunes banlieusards ne pouvait affirmer connaître son rôle dans l’amélioration d’une existence condamnée au pire. C’est vrai qu’entre des soupçons de tricherie sur un plateau de télévision et un livre ô combien utile sur les droits de l’enfant, un de plus, faute d’actions précises sur le terrain, elle n’avait pas chômé contrairement aux milliers de diplômés issus des ZEP qui poussaient les portes de l’Agence Nationale Pour l’Emploi chaque jour. L’effet Obama pouvait donc attendre quelques siècles encore, le temps de faire comprendre à la société que ce qui est différent n’est pas forcement dangereux, méprisable et incontrôlable. En outre, il ne fallait pas trop demander à la société. Le peuple n’avait-il pas choisi un fils d’immigré pour présider aux destinés de la nation ? Ne l’avait-il pas couronné roi, ce hongrois d’origine qui s’était donné tant de mal pour se faire accepter par les milieux conservateurs et dont l’énergie -7-


rassurait ? Lui qui osa pour la première fois de l’histoire nommer le premier préfet noir et qu’il veilla personnellement quelques années auparavant à s’assurer de son ascension avec le paternalisme qui sied aux hommes généreux. Non, la France n’était pas raciste. Elle avait déjà fait beaucoup d’effort, des efforts titanesques, gargantuesques. Elle avait créé un organisme pour lutter contre les discriminations, ce qui n’empêchait pas les minorités de pâtir de leur différence, elle avait toléré la création d’un conseil de représentants des noirs qui ne représentaient que les beaux discours dénonciateurs de ses dirigeants incapables de transformer cet appareil en véritable groupe de pression. Un cuisant échec alors ? La preuve, jamais reçu par la plus haute autorité du pays, lui qui recevait tout le monde, renvoyait ce machin communautariste à ses délégués et autres collaborateurs de seconde zone. La France n’avait rien à se reprocher, c’est elle qui inventa l’effet Obama. Cela se voyait sur le fronton de chaque bâtiment administratif inscrit comme un appel à l’universel : liberté, égalité, fraternité. Cela se voyait dans la composition du gouvernement où les Rachida Dati côtoyaient les Brice Hortefeux dans un ensemble homogène voire fusionnel. Cela se voyait tous les jours dans les entreprises, les partis politiques, les administrations publiques. C’est dire que Obama lui-même était sûrement français. Il y eut la liesse de la victoire historique, la ferveur du changement annoncé, les larmes d’un bonheur incommensurable. Le 4 novembre dernier fut le jour où tout bascula. L’on commença à croire en l’américain qui ne semblait plus si sot que l’on l’eut cru. L’américain qui avait envoyé par deux fois s’asseoir un sombre ignorant dans le prestigieux fauteuil de patron du monde, dont l’héritage était à l’image du célèbre tableau de Picasso, Guernica, d’une beauté morbide. Des milliards de dollars perdus dans des conflits -8-


armés sans fin, des doctrines idéologiques nauséeuses coupant le monde entre les forces du Bien, incarnées par les anges de la libération yankee, et les spectres de l’Axe du Mal, ces intransigeants tyrans des ténèbres qui menaçaient le sommeil paisible de l’occidental moyen. A l’intérieur, les dégâts causés par l’administration Bush furent aussi impressionnants que ceux de l’ouragan Katrina et des attentats du 11 septembre réunis. Aide sociale charcutée, économie branlante, désespoir galopant et pauvreté devenue plus populaire que lui, le cow-boy texan aura définitivement été à la hauteur de son intelligence, et de la naïveté d’un peuple qui a cru trop longtemps en sa puissance éternelle. Barack Obama hérite d’une Amérique en perte de vitesse et sur le déclin. Il lui faudra plus qu’un « Yes we can » pour que ce pays aux pieds devenus d’argile puisse continuer à assumer ses responsabilités politiques internationales tout en donnant l’apparence d’être solide économiquement. Un vrai challenge dont il semble avoir conscience, lui qui promettait la rupture avec l’establishment de Washington, voudrait dorénavant compter sur l’insubmersible Hillary Clinton qui s’accapare des affaires étrangères, le pragmatique Robert Gates qui rempile à la défense, et de nombreux autres briscards qui constitueront l’ossature d’une administration « All Stars ». Ce qui est clair c’est que le nouveau président américain a déjà gagné avant même d’avoir commencé dans la mesure où avec autant de désespoir il lui suffira de faire dans l’agitation et le sensationnel comme son « ami » de l’autre coté de l’Atlantique pour donner l’impression que les choses bougent alors qu’elles stagnent et s’enracinent dans le statu quo. D’ailleurs en parlant d’agitation, l’on ne compte plus le nombre de conférences internationales et de réunions au sommet, organisées et à venir, pour montrer l’activisme de certains leaders face à une crise financière qui les dépassent et dont les -9-


solutions ne sont nullement à leur portée. On crée l’évènement, on multiplie les déplacements pour qu’au final les places monétaires continuent leur chute vertigineuse, que les bourses se vident et que le taux de chômage ne cesse d’augmenter. La tactique du tonneau vide est semble-t-il plus efficace que de vraies stratégies à long terme. On va visiter des usines en difficulté avec des légions de journalistes courtisans promettant de tenir ferme, engueuler ceux qui se lèvent tôt pour un salaire de misère, pour que le lendemain à la Une des gazetiers l’on découvre que les mêmes usines fermeront les portes et licencieront en masse des personnes qui auront consacré toute leur existence à se sacrifier pour les dividendes des actionnaires. Ce mois de décembre verra de nombreuses familles dans la rue, faisant la queue dans les centres de charité, ravalant leur fierté devant les tentes des restos du cœur. Et des sans domiciles fixes abandonnés dans le froid hivernal, s’éteignant au même moment que l’on dressera sur les places des communes de somptueux arbres de Noël. On apprendrait par des indiscrétions bien tenues que le budget du Château serait revu à la hausse pour répondre au rôle désormais de sauveur de l’humanité qu’à endosser l’homme trop excité qui donne tellement de fierté à la nation affamée. La décence n’étant qu’un sentiment commun aux personnes frustrées, la course à l’exhibition, des anneaux en diamant étalés à la première page des magazines dits sérieux, aux augmentations salariales exorbitantes des collaborateurs du Prince, continuera tant que le peuple ne comprendra pas qu’il n’existe que pour être la vache à lait de ses gouvernants. On célébra presque dans l’anonymat il y a quelques jours les luttes contre cette pandémie mondiale qui touche de plein fouet les plus miséreux de la planète, le Sida, en détaillant comme chaque année les réalisations toujours insuffisantes, et les attentes toujours nombreuses des organismes chargés de mettre - 10 -


fin à ce drame sanitaire. Comme à l’accoutumée on entendit les promesses succéder aux promesses, de grandes personnalités appeler à la compassion internationale, à la pitié généreuse des riches, pour que ces cimetières ouverts que sont l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du Sud, puissent survivre dans la dignité. Il suffisait d’une dizaine de milliards pour éradiquer ce fléau mais c’était trop demander à ceux qui dans l’urgence de la crise financière parvenait à trouver des milliers de milliards pour se sauver des eaux. Quoi de plus légitime. Le Tiers-monde était « une source de grosses emmerdes » comme le chuchotait bas un diplomate occidental. Les populations passaient leur temps à quémander et à faire l’aumône aux portes de l’occident au lieu d’arrêter de se multiplier comme des virus et de commencer à se prendre en main. Décidément, avec le Sida et la famine, la « bite des noirs » selon la formulation d’un légendaire intellectuel des shows télévisés, est le vrai drame de l’Afrique. Il suffisait donc de la couper pour mettre fin à ce supplice insupportable qu’était le spectacle effroyable de peuples affamés obligés de se manger entre eux. C’était là près d’un siècle après Lévi Strauss, la panacée de la Civilisation aux indigènes encore trop primitifs. Alors exit la coopération qui ruinait les économies locales, l’aide humanitaire qui servait de levier politique, les réseaux mafieux politico-financiers qui empêchaient toute forme d’indépendance, la rupture devait se transformer en coupure. Cisailler le sexe des africains, c’était le nouveau mot d’ordre. Le Vatican quant à lui martela que l’abstinence était l’unique solution face au Sida et exigea des jeunes un meilleur contrôle de leur sexualité c’est-à-dire aucune sexualité avant le mariage, et dans le mariage seulement la fidélité des conjoints comme rempart. Et en cas de contamination autre que sexuelle de l’un des conjoints ? La réponse se trouvait dans les cieux impénétrables du Seigneur. - 11 -


La même impénétrabilité s’opposait à tout observateur du quotidien d’un monde qui valsait entre le délire de l’évènementiel et l’empressement à passer sur l’essentiel. Tandis que les inondations ensevelissaient des milliers de personnes au Bengladesh, que l’on assistait à un génocide dans le Congo que l’on disait riche et maudit, que des milliers d’individus chaque jour mourait de paludisme, que les injustices atroces étaient des conséquences des politiques cannibales, de l’autre coté on orientait l’attention vers la démesure, vers l’étincelant qu’il soit écarlate ou grisant, et vers cet étrange comportement qualifié de « bling bling » ou de « gore » afin de mieux démontrer de la drôlerie d’une époque en pleine mutation. A force de scruter un quotidien saturé, zappant d’inutilités en futilités, on avait le pénible sentiment à chaque instant d’être spectateur d’une chronique du temps qui lasse..

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Les kamikazes sociaux du XXIe siècle et les chemins de l’espoir.. A l’heure où une nouvelle directive européenne sera présentée au Parlement européen visant à mettre en place une politique commune sur l’immigration, et où l’on préfère le plombier polonais au malien, il est nécessaire de revenir sur cette immigration venue des pays africains et incarnée par une jeunesse qui se cherche..

Ils sont des milliers chaque année à s’échouer sur les plages blanches de l’autre côté de la Mer Rouge, à défier les murs de fer barbelé couvrant les frontières occidentales. Ils sont des centaines chaque jour à tenter l’aventure de leur vie en quittant leur misère pour aller se faire esclave d’une réalité plus cruelle, violemment impitoyable. Ils sont jeunes et désespérés, venant de tous les coins du continent noir, qui n’a jamais aussi bien porté son nom. De Soweto à Lagos passant par Bamako, ils ont décidé d’aller à la poursuite du bonheur. Qui sont-ils donc ces nomades de la souffrance humaine ? Des jeunes gens, pleins de - 13 -


vie et le regard endurci, souvent ravagés par la violence, la destruction, et le désespoir. Ils traversent comme des caravanes fantômes les déserts les plus rudes, jouant au jeu du cachecache avec les gardes frontaliers des pays. En 2006, l’organisation internationale pour la migration (OIM) a dénombré plus de 27 000 migrants irréguliers quittant les côtes de l’Afrique de l’Ouest pour l’Occident et ses illusions. Un chiffre en augmentation en 2007 qui reflète l’ampleur du phénomène, et dont le constat interpelle les gouvernements africains, incapables jusqu’ici d’y apporter des solutions concrètes. L’Afrique se vide de ses enfants, de sa force et son avenir semble lui échapper comme si elle n’avait toujours été qu’une mère indigne, cocufiée et abusée par ses nombreux amants. Les jeunes Africains ont des désirs de partir, à tout prix, qu’importent les risques. Quels risques ? Les 500 morts repêchés par les autorités espagnoles en 2006 au large des Canaries, ces candidats à l’immigration dérivant sur des navires de fortune, tués par le froid, la déshydratation, l’appât du gain des passeurs ou par les requins. Des risques négligeables pour ces amis qui prennent tous les jours la route du non-retour, car comme ils le disent si bien, « le pire, c’est rester ici ». Une expression en wolof illustre froidement cet état d’esprit : « Barça mba Barzakh » ou « Barcelone ou mourir ». C’est dire leur détermination à fuir l’enfer dans lequel ils ont essayé, en vain, de survivre. Quand on habite le même ghetto depuis sa naissance, que l’on n’a pas les moyens de poursuivre une scolarité de base normale, qu’il faut marcher des kilomètres pour trouver un peu d’eau potable, et que le moindre bourdonnement démocratique appelle une répression sanglante, les existences que l’on promet à chaque conférence internationale et à chaque plan national, sont trop étroites pour les rêves de réussite sociale. - 14 -


Tout le monde le sait, mais on s’efforce de l’ignorer, l’ascenseur social en Afrique est resté bloqué, pour la plupart des cas, dans les hautes sphères. Et pour la jeunesse minée par le sous-emploi et ses vices, les guerres, le salut vient d’ailleurs. Comment ne pas comprendre ceux qui s’en vont chercher une meilleure vie dans ces contrées où tout peut être possible à force de travail et d’acharnement ? Peut-on leur reprocher de vouloir connaître le rêve yankee, de goûter à la liberté française, de jouir de la méritocratie anglaise et d’incarner le dynamisme allemand ? Tandis qu’à Ndjamena résonnent les coups de fusil, qu’à Mogadiscio les bidasses font régner la terreur et qu’à Abidjan tout est dévasté. La jeunesse africaine est en quête de repères. Elle s’identifie aux modèles importés de réussite et exige de pouvoir faire de même. Obnubilés pour certains par le clinquant cliché de l’Occident-or, conscients des réalités pour d’autres, les jeunes Africains migrant clandestinement sont porteurs des espoirs et des espérances de leurs familles. Ce sont les kamikazes sociaux de ce siècle qui vont, au prix de leur propre vie, accrocher une promesse d’avenir. Au Sénégal, d’après des analyses du Fond monétaire international, les transferts de fonds réalisés par les émigrés clandestins au bénéfice de leurs familles, restées sur place, représentent près de 15 % du PIB - produit intérieur brut - du pays. C’est fort de ce constat que Laurent de Boeck, représentant régional de l’OIM a déclaré que : « très peu de mesures sont prises pour arrêter l’immigration irrégulière parce qu’elle génère bien plus de fonds que l’aide au développement ». En outre, à l’instar de Yaoundé, l’influence culturelle et artistique de cette « diaspora » est considérable au point de faire oublier et taire les critiques les plus acerbes des ONG locales de lutte contre l’immigration clandestine. C’est ainsi qu’immigré clandestin hier, un frère ou une sœur s’érige aujourd’hui en idole des jeunes. Toutes les voies menant finalement à Rome. - 15 -


La gestion calamiteuse de la crise économique de 1973 par la majorité des pays africains, a eu un impact désastreux sur l’ensemble du tissu économique, social et politique du continent. Déchirée par des conflits armés fratricides et obligée de se plier aux plans d’austérité des institutions de Bretton Woods, l’Afrique a plongé dans la misère et la pauvreté faisant ressurgir des maux jusque-là sous contrôle tels que la corruption, le clientélisme, le conservatisme politique et le réflexe ethnique. Du même coup, le niveau de vie est devenu moins important, les zones urbaines se sont ghettoïsées littéralement, le chômage a dépassé tout entendement, et l’insécurité sociale s’est imposée comme étant la préoccupation majeure des jeunes Africains. Plus qu’une hantise, cette insécurité s’est heurtée au sentiment d’inertie et de marginalisation de la part des gouvernants et de la société civile. D’où la forte tendance à l’expatriation par de voies tortueuses et illégales. Mais le plus inquiétant dans ce phénomène, c’est sans nul doute le cas des filles qui évitant les déserts du Sahara, tombent dans les réseaux de prostitution et de l’esclavagisme sexuel. Elles font le plein des « cybercentres », connus sous le vocable de « cybercafés », à la recherche du providentiel « blanc » qui viendrait les tirer de leur misère. Et malgré le durcissement des législations occidentales en matière de lutte contre l’immigration clandestine, le nombre de mariages « blancs » en Afrique subsaharienne n’a de cesse d’augmenter. On garde encore à l’esprit les images épouvantables de ces jeunes filles africaines forcées de copuler avec des animaux pour essayer d’envoyer quelques centaines de milliers de francs à leurs familles endettées. Un sacrifice acceptable. Récemment, environ 220 immigrants illégaux ont été interceptés au large de l’île italienne de Lampedusa, un chiffre - 16 -


qui autorise et legitimise les politiques xénophobes, mais qui masque en fait la réalité d’un flux migratoire tout aussi préjudiciable pour l’Afrique, celle de la fuite des cerveaux. Ces centaines de jeunes Africains allant chaque année enrichir les pôles académiques et économiques des capitales occidentales au détriment de leur continent en manque de cadres qualifiés et payant au prix fort les coopérants étrangers. Des jeunes qui reviennent difficilement s’installer sur le continent, préférant à tort ou à raison les trompettes de la considération et de la reconnaissance de leur pays d’accueil. Un mouvement d’autant plus pervers qu’il semble encouragé par les nouvelles politiques de l’immigration que les Occidentaux veulent « choisie ». Entre le pillage intellectuel et la possibilité d’aider l’Afrique à s’en sortir en formant ces jeunes diplômés, le débat qui secoue le microcosme politique détourne l’attention mais ne fait pas oublier que la grande majorité des initiatives nationales pour empêcher la migration des jeunes Africains comme le plan REVA – Retour vers l’agriculture – au Sénégal, est un échec. Un de plus qui jette sur les chemins de l’espoir des milliers de kamikazes sociaux, cette jeunesse africaine que rien ni personne n’arrêtera.

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Racisme arc-en-ciel.. Si pour Descartes la raison est la chose la mieux partagée, la négation d’autrui est le sentiment le plus commun à cet ensemble que l’on appelle, un peu pour masquer la réalité, humanité. (Que l’on soit clair, mon propos n’est pas de victimiser une catégorie de personnes au lieu d’une autre, ou de diaboliser qui que ce soit, mais de montrer que le racisme n’est pas l’apanage d’une civilisation, mais qu’il réside ailleurs, dans d’autres cultures et que chacun trouve une justification et une légitimité au racisme, au lieu de le combattre fermement.)

« Schwarze sind hier unerwünscht ! » Ces paroles sont celles d’un videur allemand à l’endroit de trois jeunes personnes de couleur qui souhaitaient entrer dans un club la semaine dernière à Berlin. Une scène qui aurait pu se dérouler en Asie, en Amérique et même en Afrique. Car le racisme n’a pas de frontière et il n’est pas propre à une culture. Le racisme porte la haine du monde[1]. Et la haine, malheureusement, est - 18 -


universelle. Si pour Descartes la raison est la chose la mieux partagée, la négation d’autrui est le sentiment le plus commun à cet ensemble que l’on appelle, un peu pour masquer la réalité, humanité. Pourtant, les blessures causées par les excès nationalistes du siècle dernier ne sont pas totalement cicatrisées, et dans les mémoires reviennent encore les images de ces camps où l’animosité humaine a atteint son paroxysme. Auschwitz, Treblinka, Birkenau, Dachau ou Buchenwald. Personne n’a oublié que le racisme a laissé dans l’Histoire des pages entière écarlate souillées par le sang de millions d’innocents. Mais l’on continue à penser que les « chambres à gaz » avec leurs morts en millions ne furent pas « particulièrement atroces », que la colonisation a eu des « effets positifs » (la construction de routes par la mise en indigénat des « autochtones », l’extermination culturelle au nom de la chrétienté etc.) de façon à faire de « la repentance une haine de soi ». L’oubli, la volonté de relativiser les souffrances passées et le révisionnisme viennent conforter les intolérances actuelles, contribuant à l’éclosion de comportements « légitimes ». Comme si l’on pouvait justifier l’inacceptable. Entre cimetières musulmans et juifs profanés, entre jeunes étudiants africains assassinés dans le froid russe et les expatriés occidentaux brutalisés par la police zimbabwéenne, entre la montée de l’extrémisme de droite, des stades de football se transformant en arène pour skinheads et autres néofascistes, entre les discours xénophobes et le réflexe communautaire, entre les regards condescendants, le plafond de verre et les injures dans la rue, le racisme revêt toutes les formes de notre perversité au point d’être intellectualisé, idéalisé et même idolâtré. On en est fier, on l’exhibe en revendiquant sa haine pour autrui. Cet autrui responsable de tous les maux sociaux (pauvreté, précarité, chômage, insécurité), de la perte - 19 -


identitaire, du cannibalisme économique et de l’autoritarisme politique. La colère et les frustrations sont les fertilisants qui font grandir le racisme, les préjugés et l’ignorance des excuses qui encouragent les actes les plus honteux. Malgré les effets d’annonce, les collectifs et les multiples associations, des législations courageuses et des condamnations heureuses, le racisme est une tare qui se transmet de génération en génération d’une manière plus ou moins assumée. En pensée, en parole, par omission ou par action, un jour ou l’autre nous avons tous été racistes. Et la jeunesse africaine n’échappe pas à cette « tradition ». La jeunesse africaine[2], pourtant ouverte à une mondialisation inéquitable et principalement fondée sur le marketing de l’illusion, n’est pas exempte de tout reproche. Au contraire. On retrouve en son sein deux formes de racisme. Le racisme antiblanc[3], le plus répandu. Le racisme africain anti-noir[4], présent en Afrique du Nord. Et la xénophobie, qui est un phénomène omniprésent[5]. Le tribalisme[6] quant à lui, touche toutes les couches des sociétés africaines, expression des pires conflits armés et motif des plus grandes boucheries. En marchant dans les rues des capitales africaines, il n’est pas rare de croiser des Occidentaux pris à parti par des groupes de jeunes, ou traqués, violentés lors de crises sociales, au nom d’une colère totalement injustifiée, illégitime et trop facile. Il n’y a pas si longtemps à Abidjan, au plus fort de la guerre civile, la chasse au « Frenchy » était devenu un sport national. Aujourd’hui, c’est à Harare où il n’est pas bon d’être « Britannique ». Entre insultes dans la rue, regards méprisants, et rancœurs historiques tenaces, quelquefois dans les capitales africaines, les Occidentaux subissent l’antipathie de ces jeunes Africains qui semblent y trouver un moyen de dire leurs frustrations. A tort. - 20 -


Pour rappel, dans l’Egypte antique, hautement glorifiée par un bon nombre d’Africains, la mise en esclavage des populations étrangères était monnaie courante, et les Egyptiens n’hésitaient pas à sous-humaniser toute personne qui ne parlait pas leur langue. Une pratique que l’on retrouvait chez les Romains mais aussi dans la Grèce antique, berceau de la pensée occidentale. Il est connu le mépris des Asiatiques pour les navigateurs étrangers qui foulaient leur sol, et le dédain des Espagnols pour les peuplades d’Amérique latine. Les autochtones n’étaient que des animaux, dépourvus de toute dignité et utilisés pour remplir des objectifs dits civilisationels. En 1865, les Etats-Unis mettent fin à l’esclavage sans proscrire le racisme, et leur belle déclaration d’indépendance deviendra, pour paraphraser quelqu’une, un paillasson sur lequel durant des siècles, les Blancs, mais aussi les Noirs viendront, tour à tour, essuyer la souillure du plus sombre racisme. Il y eut le Ku Klux Klan, les abus des Black Panthers, le nazisme, le colonialisme et l’apartheid, avec le nombre astronomique de victimes que l’on sait, le même sang rouge et noir abreuvant une terre repue. Au XXIe siècle, le racisme est devenu plus subtil, mais n’en est pas moins efficace. Il se retrouve dans des formules du style « les étrangers, moi je les aime, du moment qu’ils restent chez eux ! », « les Blancs sentent tous mauvais ! », « les Chinois, ce sont tous des mangeurs de chiens ! », etc. Il aura suffi, il y a cinq mois, d’un scandale sur l’exclusion d’un immigré clandestin gabonais et un reportage sur les conditions « musclées » de retournement de sans-papiers pour mettre le feu dans le cœur de jeunes Gabonais et exiger le rapatriement illico presto de tous les « Blancs » sans carte de séjour qui vivent depuis des années dans ce pays. Un discours repris par le gouvernement qui exigea le droit de « réciprocité ». On pourrait croire que le racisme anti-Blanc en Afrique se nourrit exclusivement des dérives racistes occidentales, qu’il est une - 21 -


réponse spontanée aux attitudes paternalistes, mais le mal est plus enraciné qu’il ne paraît. En fait, le racisme anti-Blanc est comme tous les racismes du monde, il est historique, générationnel et contextuel. Comme partout ailleurs, il suffit de peu de chose pour radicaliser les esprits et les pousser à l’extrémisme. A l’heure où se fait l’Occident forteresse, où les attitudes subtilement hypocrites et clairement moralisatrices s’imposent face aux « invasions » venues des contrées « perdues », les tensions semblent ne pas s’apaiser, et les propos de certains politiciens occidentaux ne font qu’attiser un feu qui risque de devenir, avec le temps, incendiaire. Dès lors, il est important de ne pas encourager l’arrogance afin de calmer les frustrations. Les injustices et les incompréhensions nourrissent les intolérances. Ainsi plus que jamais le dialogue des cultures, l’ouverture aux autres, les politiques économiques équitables, le poids des mots et le respect des différences doivent être des piliers dans la lutte contre le racisme[7]. Le racisme est un phénomène arc-en-ciel qui n’est pas spécifique à une culture particulière ou à une civilisation. C’est simplement le reflet de la bêtise humaine, universelle et presque inscrite dans les gènes de l’homme. L’Histoire peut en témoigner. Des jeunes Maghrébins traitant de sous-hommes leurs frères parce qu’un peu plus colorés qu’eux[8], aux hordes de néofascistes élevées à la soupe hitlérienne, en passant pour les communautaristes qui revendiquent le piteux « For Us By Us », le racisme est partout, surtout quand ça va mal, économiquement ou politiquement. Du Chinois qui vit sous les tropiques à l’Africain qui étudie à Pékin, souvent la soif d’acceptation et de reconnaissance se heurte à l’hermétisme culturel, individuel et social. Lentement - 22 -


sans s’en rendre compte le monde va vers un « clash » des civilisations qui risque d’être encore plus sanglant que toutes les autres guerres réunies. Un scénario catastrophe que l’on ne souhaite pas, mais que l’on ne devrait pas trop minimiser. La jeunesse africaine doit donc jouer un rôle majeur dans le rapprochement des peuples, en commençant par se reconstruire elle-même, en essayant de comprendre les peurs des autres, en mettant fin aux déchirements fraternels, et en s’ouvrant encore plus aux autres cultures (non pas à leur matérialisme ou modernisme, mais à l’essence – la profondeur - de chaque culture). C’est là-dessus que réside tout espoir.

[1] Des dizaines d’Africains tués en Russie, et récemment en Ukraine. [2] Croire que tous les jeunes Africains sont racistes, c’est croire que tous les jeunes du monde sont racistes, à l’instar de l’Occident, de l’Asie ou de l’Amérique. [3] « Blanc » ici regroupe tout ce qui n’est pas Africain (Occidentaux, Asiatiques etc.) [4] Les récents événements en Afrique du Sud, une vingtaine d’Africains tués par leurs frères noirs par xénophobie, mai 2008. [5] Les récents événements en Afrique du sud, avec une vingtaine d’africains tués dans les violences xénophobes. [6] Le génocide rwandais est une parfaite illustration de cette dérive, environ 1 million de morts. [7] Sommet Panafricain de la Jeunesse organisé sous le thème, “LES JEUNES EN LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION RACIALE, LA

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XENOPHOBIE ET L’INTOLERANCE EN AFRIQUE : AFRICAINS UNISSONS-NOUS !’’ [8] L’esclavage en Afrique du Nord est culturellement toléré, le racisme africain anti-Noir y est parfaitement illustré.

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Présidentielles au Zimbabwe : vers une continuité dans la terreur.. Avec plus de 100 000 % d’inflation, des millions de personnes souffrant de la faim dans cet ancien grenier d’Afrique australe, le Zimbabwe s’apprête à livrer le 27 juin 2008 l’ultime combat pour sa survie.

Un second tour de l’élection présidentielle opposant d’un côté Robert Mugabe, 84 ans, l’indéboulonnable président et de l’autre côté Morgan Tsangiraï, âgé d’une cinquantaine d’années, challenger qui a, à la surprise générale, remporté le premier tour tenu le 29 mars dernier. Après une décennie de descente aux enfers, d’autoritarisme et de démagogie, le Zimbabwe aura-t-il le courage de tourner la page sombre du règne sans partage de Mugabe aux affaires depuis 1980 ? Les - 25 -


dernières déclarations du leader de la ZANU-PF, parti au pouvoir, laissent planer le scepticisme et envisager le pire dans un pays qui a soif de changement. Aux origines du mal Héros de l’indépendance, Robert Mugabe devient en 1980 le premier président de l’ancienne Rodhesie du Sud, après avoir mené une lutte acharnée contre l’occupation britannique dans les années 70. De 1980 en 1987, dans l’euphorie de la souveraineté acquise, il instaure un régime fort en promettant une expropriation progressive des fermes dont la grande majorité appartenait encore aux Blancs, et leur rétribution équitable aux Zimbabwéens noirs. Mais il faudra attendre l’année 2000 pour voir ce processus véritablement mis en place et les premières expropriations devenir effectives. Soutenu par l’ancien colon britannique, « Old Bob » modifie la Constitution en 1987 et accentue l’autoritarisme du régime dans les années 90. A cette époque, le Zimbabwe est un pays stable dont la productivité agricole en fait le grenier d’Afrique australe. Encensée par la communauté internationale, le régime de Mugabe est montré en exemple dans une région traumatisée par les attentats de Nairobi et la crise en Somalie, mais également dans une Afrique secouée par le génocide rwandais, par les guerres civiles au Zaïre (République démocratique du Congo aujourd’hui), en Sierra Leone, au Liberia. Mugabe apparaît alors à ce moment comme le garant de la stabilité, un partenaire incontournable et stratégique pour les puissances occidentales, au détriment des exactions graves contre les droits de l’homme pointées dans les rapports d’Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l’homme. - 26 -


Le tournant décisif Essuyant l’échec du référendum sur la révision constitutionnelle en 2000, Mugabe remporte le scrutin présidentiel en 2002 malgré les dénonciations de fraudes et d’irrégularités constatées par les observateurs présents. La communauté internationale, comme pour d’autres élections « pourries » organisées sur le continent, prend acte et avale la couleuvre. Mais en 2003, la situation politique se dégrade avec une opposition menée par le Mouvement pour le changement démocratique (MDC). Une opposition bien que fragile, tente de s’organiser et de se présenter comme une alternative aux abus du régime. Le soutien jusque-là indéfectible du gouvernement britannique commence à fléchir. La réaction de Mugabe est brutale : l’expropriation express sur fond de violences raciales des fermes détenues par les Blancs. Des milices d’anciens combattants investissent les fermes et malmènent les fermiers blancs. Pillages et destructions. Le processus d’expropriation devient une mise à sac honteuse et chaotique. On parle désormais de réquisition des terres à la tête desquelles le pouvoir désigne des proches. Inexpérimentés et incompétents, les nouveaux propriétaires n’ont pas les connaissances ni le matériel nécessaire pour maintenir la productivité agricole, ainsi de nombreux lopins de terre restent en friche. On commence à parler de « crise agraire ». Le réveil de la communauté internationale Le durcissement de la crise politique au Zimbabwe, arrestations des partisans de l’opposition, homicides, campagnes d’intimidation, et la violence de la crise agraire dont les conséquences commencent à se faire durement ressentir au sein des populations, poussent les Britanniques et le Commonwealth à adopter des mesures de rétorsions contre les principaux - 27 -


dirigeants du régime de Robert Mugabe. Rompant avec une passivité complice, les puissances occidentales, face à l’activisme des mouvements des droits de l’homme, deviennent plus exigeantes envers le pouvoir zimbabwéen. Mais certains pays africains dénoncent le « complot » néocolonialiste des « Blancs » au Zimbabwe et apportent leur soutien à Mugabe. C’est fort de ce soutien de ces pairs que Mugabe, en 2004, réprime plus violemment l’opposition. La crise agraire met le Zimbabwe à genoux, près de 70 % de sa population ne peut plus subvenir à ses besoins et se retrouve sans emploi. Répondant aux pressions internationales, Mugabe se retire du Commonwealth. C’est le début de l’autarcie diplomatique. En 2005, après avoir expulsé près d’1,5 million d’habitants des bidonvilles de Harare, bastions de l’opposition, la ZANU-PF remporte les élections législatives avec un système de fraudes massives et contre une opposition inexistante. Grand vainqueur, le gouvernement zimbabwéen en profite pour faire passer des réformes constitutionnelles liberticides, restrictions du droit de propriété, privation de passeport pour raison d’intérêt national, etc. Persécutant la minorité Ndébélé, Mugabe tente d’obtenir le soutien de son peuple en interdisant le recours en appel de l’expropriation des propriétaires terriens. L’exode massif s’accélère vers les pays voisins à l’instar de l’Afrique du Sud. Et l’inflation qui était située en 2006 à 1 000 % passe en 2007 à 100 000 %. Famine, violence et pauvreté laminent la population qui, en mars 2008, vote lors de l’élection législative pour le MDC (109 sièges au Parlement contre 97 pour la ZANU-PF) et propulse le jeune opposant Morgan Tsangiraï, chef du MDC en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Un revers historique qui n’est que l’expression d’un ras-le-bol général au sein d’un peuple qui espère des jours meilleurs. Le tout-sauf- 28 -


Mugabe claironné par les partisans de l’opposition a eu un énorme effet dans les zones rurales, anciens fiefs de Mugabe, qui subissent de plein fouet la dramatique situation que traverse le pays. Un second tour de tous les dangers Après avoir tardivement reconnu sa défaite lors du premier tour de la présidentielle, Mugabe semble décidé à ne rien lâcher[1]. Assassinats, intimidations[2], arrestations[3], le pouvoir use de tous les stratèges pour démoraliser et décourager[4] les partisans de l’opposition. Il y a quelques jours Morgan Tsangiraï a été longuement interrogé par la police, son secrétaire général inculpé pour trahison, tandis que les sympathisants de Mugabe sèment la terreur dans les villages et autres localités retirées. L’Union africaine se cherche une position officielle pendant que les tensions accrues ces derniers jours présagent une échéance électorale de tous les dangers. La communauté internationale a proposé la création d’un gouvernement d’union nationale à la kenyane, une proposition rejetée dans les deux camps. La médiation de Thabo Mbeki, président sud-africain, a été un fiasco complet, trop partial il n’a réussi qu’à se décrédibiliser un peu plus aux yeux des Sud-Africains. Le président de l’African National Congress (ANC), Jacob Zuma, probable futur président de l’Afrique du Sud, a déclaré aux côtés de Gordon Brown, Premier ministre britannique, que « Old Bob » n’était plus l’homme de la situation et qu’il devrait quitter le pouvoir. Une attitude courageuse qui est loin d’être adoptée par les dirigeants africains dont la plupart se maintiennent au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle déjà. Condamner ce qui se passe au Zimbabwe reviendrait presque à se tirer une balle dans le pied. D’où le mutisme des - 29 -


gouvernements africains et la timidité de l’Union africaine, qui manque ainsi une occasion de se défaire de l’image de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA), caractérisée par une mollesse politique légendaire. Avec une commission électorale nationale aux ordres du pouvoir et une volonté de Mugabe d’empêcher toute alternance, le second tour de l’élection présidentielle au Zimbabwe s’annonce comme une tragédie dont l’acte final est en train de se jouer sous le regard impuissant d’une communauté internationale qui se prépare désormais au pire[5].

[1] ."Nous sommes prêts à mourir pour ce pays, (...) prêts à nous battre (pour le pouvoir) si nous le perdons de la même façon que nos ancêtres l’avaient perdu", face au pouvoir colonial britannique, a assuré celui qui est arrivé au pouvoir à l’indépendance, en 1980. [2] Robert Mugabe a accusé les pays occidentaux d’ingérence."Nous sommes devenus la cible des Britanniques et des Américains. Les Etats-Unis ont fourni 70 millions de dollars au MDC pour que le régime change (...) et le Premier ministre britannique Gordon Brown s’immisce dans nos affaires intérieures, a martelé le président. Le régime britannique est tombé pour toujours. Jamais, jamais, ce pays ne sera gouverné à nouveau par un Blanc !" [3] Le secrétaire général du MDC, Tendai Biti, arrêté à son retour au Zimbabwe, a comparu devant la justice. Lors d’une séance à huis clos, des procureurs ont déclaré qu’ils comptaient l’inculper de trahison et d’avoir porté atteinte aux intérêts de la nation en faisant certaines déclarations. S’il est reconnu coupable de tels chefs d’inculpation, il risque la peine de mort, a déclaré son avocat, Me Lewis Uriri.

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[4] Une association de médecins a indiqué avoir soigné plus de 3 000 victimes d’agressions à caractère politique. Selon l’ONU, la plupart des attaques peuvent être attribuées aux partisans du régime. [5] L’on a intercepté, il a quelques semaines, au large, un navire chinois se dirigeant vers le Zimbabwé et avec dans sa cargaison des armes.

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Prostitution : Welcome to Africa ! Le tourisme sexuel en Afrique est un phénomène dont la recrudescence inquiète les associations de défense des droits de l’homme alors que les gouvernements tardent à le reconnaître et préfèrent comme pour atténuer la réalité parler de prostitution.

Quand s’éteignent les lumières du jour, loin du tumulte des plages, la vie s’anime dans les rues de Kribi. Rapidement, les touristes prennent d’assaut les buvettes et les restaurants en bordure de mer. Kribi, situé à quelques kilomètres de la capitale économique Douala, est le lieu privilégié de détente et de relaxation pour les touristes visitant le Cameroun, mais aussi pour la catégorie d’hommes d’affaires expatriés et de diplomates. Le soir venu, ils sont des centaines à déambuler dans les ruelles, en couple ou solitaire, allant à la découverte de sensations exotiques dans ces endroits où le bonheur se trouve sous un réverbère mal éclairé et ne coûte qu’une misère. Kribi est devenu depuis quelques années l’une des destinations privilégiées du tourisme sexuel en Afrique. Ils sont ainsi des - 32 -


centaines à quitter l’Occident pour venir sous les tropiques assouvir leur désir brûlant d’interdits. Le marché n’existant que grâce à l’offre, de jeunes prostituées la nuit tombée envahissent tous les coins de la ville et proposent leur service à des expatriés enchantés par l’abondance de la « chair fraîche ». Et la réalisation des fantasmes[1] ne dépendant que de l’épaisseur du portefeuille, les « clients » n’hésitent pas à débourser de fortes sommes d’argent pour s’offrir une nuit avec des fillettes[2] sous le regard complice de familles vivant dans les sombres taudis désertés par l’espoir. Le tourisme sexuel nourrit tout un système, des parents qui livrent en pâture leurs enfants, aux jeunes garçons et filles qui vivent dans le « copinage » avec les expatriés, en passant par des autorités corrompus qui en profitent pour s’arrondir les fins du mois[3]. C’est un cercle vicieux qui trouve ses complicités partout, y compris dans les chancelleries occidentales dont les employés sont souvent les premiers acteurs. Le tourisme sexuel[4] en Afrique est un phénomène dont la recrudescence inquiète les associations de défense des droits de l’homme alors que les gouvernements tardent à le reconnaître et préfèrent comme pour atténuer la réalité parler de prostitution. Une bataille sémantique indécente et irresponsable quand l’on sait les ravages de ce type de tourisme sur des jeunes obligés de se noyer dans l’immondice sexuelle et la plus abjecte immoralité. Fuyant la répression de plus en plus accrue en Asie, les touristes sexuels se rabattent sur le continent noir désarmé juridiquement contre un tel fléau[5]. Les conditions de vie déplorables, les guerres et la pauvreté ambiante aidant, le tourisme sexuel tend à se normaliser en augmentant les risques de pédophilie[6], d’abus sexuels, de maladies (VIH/sida, etc.), de grossesses indésirées et leur conséquence (avortements à outrance). Sur le terrain, des ONG locales tentent péniblement - 33 -


de sensibiliser les jeunes personnes, les victimes potentielles et leurs familles contre les dangers de ce nouveau cancer. Mais, faute de subventions gouvernementales, l’impact de leur travail reste limité. Et lorsqu’elles parviennent à mettre la main sur des touristes sexuels, la justice se tait face à la manne financière[7]. Il est devenu courant de rencontrer dans les quartiers résidentiels huppés de Kribi où s’entassent les expatriés, des couples dont la mixité raciale efface difficilement l’écart abyssal en âge, des jeunes filles embrassant goulûment des vieillards, ou bien encore des jeunes hommes avec des femmes la cinquantaine révolue. La prostitution maquillée en copinage, sur les plages l’on assiste à un triste spectacle. Il n’est pas rare de retrouver sur le web, les méfaits de ces touristes, photos et vidéos circulant, alimentant les sites pornographiques et pédophiles. Hommes et femmes issues de toutes les couches sociales, les touristes sexuels ont l’apparence de « Monsieurtout-le-monde » et cèdent à la tentation de l’expérience « erotico-exotique ». Il y a huit ans, Scotland Yard indiquait dans un rapport accablant que la « clientèle » de ce type de tourisme se composait à « 96 % d’hommes » et à « 73 % de race blanche ». Près de « 71 % » étaient mariés et « 91 % » s’affirmaient croyants. Le rapport ne dit pas si, de retour chez eux, ces prédateurs allaient confesser leurs crimes. Si la responsabilité des expatriés occidentaux est clairement établie, il ne faudrait pas croire qu’elle leur soit entièrement exclusive. En effet, derrière les hypocrisies des hôtels en Afrique, se cachent un véritable trafic et des réseaux parfaitement organisés. Il suffit souvent de décrocher son téléphone dans sa chambre d’hôtel pour se voir présenter l’objet de son désir dans l’heure qui suit. La complicité du personnel hôtelier est un secret de polichinelle et tout est fait pour répondre aux attentes du « patron ». Les enjeux économiques - 34 -


étant énormes, l’on tolère ce « business » et même on l’encourage sournoisement. Après la drogue et les armes, c’est le troisième commerce illégal. L’esclavagisme sexuel est désormais exotique, les enfants de la rue, délaissés à leur propre sort par les autorités, sont désormais un véritable trésor que l’on offre aux pervers venus des autres bouts du monde. Les jeunes filles, déscolarisées, croupissant péniblement dans les bidonvilles et, sous la pression des familles, se livrent à des « étrangers » qui leur offriront de quoi survivre, en attendant le prochain arrivage d’expatriés. Il y a quelques mois, sur l’insistance d’organisations internationales (l’Unicef), les pays africains ont accepté de réagir[8]. Réunis au Sénégal, ils ont conclu à l’insuffisance de la Convention des Nations unies pour les droits de l’enfant, et adopté dans la foulée un « code de conduite demandant le durcissement de la répression ». Certains gouvernements sont allés jusqu’à se doter de « lois pénales d’extraterritorialité permettant de poursuivre hors de leurs frontières des abus sexuels commis chez eux par des étrangers sur des mineurs ». Un pas significatif dans la bonne direction, mais qui reste tout de même limité au regard de l’influence de ces réseaux sur les appareils étatiques, favorisant ainsi l’impunité. La meilleure manière[9] de lutter efficacement contre ce fléau est de favoriser le développement de l’Afrique et le partage équitable des richesses. Tant que les détournements de deniers publics iront gonfler les comptes bancaires des dirigeants africains en Occident, que les infrastructures demeureront à l’agonie, le chômage grandissant et l’insécurité sociale pesante, le tourisme sexuel en Afrique continuera au-delà des grands discours et des intentions nobles à sévir dans les rues de Kribi ou de Saly (au Sénégal).

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En attendant donc une prompte réaction et des solutions à la hauteur du problème[10], pour les touristes sexuels qui auront choisi le continent noir comme destination cet été, l’on ne peut qu’avoir ce mot prononcé douloureusement : Welcome to Africa !

[1] "La demande des touristes pour satisfaire leur fantasme de déflorer une vierge fait augmenter le nombre de jeunes enfants entrant dans la prostitution", accuse Frédéric Sorge, pédiatre et membre de l’association AidéTous, engagée dans la lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants. [2] « Près de trois millions d’enfants sont victimes chaque année d’exploitation sexuelle dans le monde, et sur 842 millions de touristes, 10 % choisissent leur destination en fonction de l’"offre" en matière de sexe, selon un bilan publié à l’occasion de la première Journée mondiale pour un tourisme responsable. » [3] Il est évidemment difficile de compter sur les autorités locales en cas de flagrant délit car la manne financière apportée par les touristes est bien supérieure aux enjeux individuels et aux droits humains. [4] « Sous le terme générique de "tourisme sexuel", on peut distinguer 3 types de commerce du corps : la prostitution, les voyages sexuels, qui proposent sur catalogue des services peu communs, et un système de copinage aux dangereux effets secondaires. Un point commun à ces pratiques, dont la seule différence réside sans doute dans le nom ou la classification qu’on leur donne : les femmes et les enfants représentent l’immense majorité des victimes. » [5] « A part quelques condamnations au Sénégal, les touristes sexuels ne se font que rarement piéger en Afrique ou pour des peines légères. Seuls cinq Etats ont adopté un plan national contre ce fléau (Sénégal, Afrique du Sud, Angola, Maurice et Togo). » [6] « À Madagascar, où il se développe en ce moment à une vitesse vertigineuse, et en Zambie, la majorité des enfants qui traînent dans les rues - 36 -


se prostituent. En Afrique du Nord, dans des villes telles que Le Caire, Casablanca, Marrakech, Tunis, la plupart des enfants qui passent leurs journées dans les rues sont aussi des proies vulnérables à ce trafic. Au Maghreb, la prostitution passe souvent par le travail domestique et par le biais du mariage d’enfants, légitimation de leur utilisation sexuelle. » [7] Quelquefois, en acceptant des compensations matérielles et monétaires, les familles finissent par étouffer l’affaire. [8] A Yaoundé, plusieurs acteurs de la filière du tourisme ont paraphé une « Charte contre le tourisme sexuel ». [9] Pour l’instant, on pourrait sanctionner les hôtels qui entretiennent ce type de commerce, les agences de voyage qui organisent ce tourisme-là, l’emprisonnement pour les expatriés coupables de tels abus, etc. [10] Mahamodo, le chef d’un village de l’île Nosy Be au large du Madagascar a su imposer ses valeurs pour faire condamner un skipper suisse qui venait régulièrement « s’approvisionner ». Ce pédophile suisse était convaincu que personne, ici, ne viendrait lui chercher noise. Et qu’il lui suffirait d’offrir quelques boîtes de médicaments aux villageois pour pouvoir abuser, en toute impunité, des petites filles aux pieds nus invitées à monter à bord de son voilier, ancré à quelques mètres de la plage. Après une longue bataille, il a fini par être condamné, au mois d’octobre 2007, par une Cour d’appel malgache à cinq ans de prison ferme pour viol et pédophilie.

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De Manhattan à Gaza A quelques semaines de la commémoration des attentats du 11-Septembre 2001 et près de sept années après ce choc humain, l’Amérique cherche encore à venger ses morts et à trouver une réponse à cette interrogation que l’administration actuelle ne s’est pas suffisamment posée : « why » ?

De Ground Zero à Bali en passant par Madrid, depuis une décennie le monde vit avec la hantise d’une boucherie prochaine qui peut arriver n’importe quand et n’importe où. L’internationalisation de la violence, la recherche du spectacle médiatico-macabre, c’est en quelques mots toute l’idée qui se cache derrière ce concept de « terrorisme international », hydre de toutes les frustrations. Dans les années 60, on parlait de « collaboration internationale des mouvements terroristes » qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, le but étant de rassembler tous les mécontents de la planète autour d’un nouvel ordre révolutionnaire. Le changement par l’anarchie, tel était à l’époque le credo de toutes ces organisations réunies lors de conférences internationales à La Havane en 1966 et à Porto en 1981. De nos jours, on imagine mal la tenue de sommets - 38 -


mondiaux du terrorisme international, de grandes messes de la Terreur dans les capitales du monde, il faut dire qu’entre-temps il y a eu les attentats de Paris et les autres[1], quelques milliers de litres d’hémoglobine versés au nom d’une liberté prise en otage et d’un Allah manipulé[2]. C’est vrai qu’à la place il y a tout de même Davos où le crépitement des flashs et la lumière des caméras aveuglent le monde qui applaudit à l’élaboration de perverses stratégies. Les mêmes stratégies contribuant à la mise en place des politiques assassines. Cela dans un esprit « Peace and Love » qui frise l’indécence. Il est effectivement révolu le temps où le terrorisme international pouvait déjeuner tranquillement à une terrasse portugaise fumant un cigare cubain. Aujourd’hui, il se fait enfumer par l’« Axe du Bien » en Afghanistan, au Pakistan, en Indonésie, en Irak, en Tchéchénie, en Palestine, justifiant au passage les plus graves régressions des droits de l’homme. Entre luttes de libération et idéologiques, il surfe habilement sur les revendications des plus opprimés, les mots et les discours afin de s’offrir une légitimité et de renforcer le sentiment de solidarité. C’est aussi là où réside la grande fumisterie du terrorisme international, utiliser la détresse des pauvres pour donner un sens à ces attentats qui font du tort à tout le monde. Ce n’est donc pas surprenant de voir que ces « combattants » de la liberté sont des jeunes issus de milieux défavorisés, de ces ghettos où le mot « exister » a perdu tout son sens. Dans ces enfers où la radicalisation des esprits peut aller très loin[3], du moins jusqu’à Manhattan. Nous avons tous été Américains lors de l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center, nous avons pleuré avec l’Amérique, ces morts qui nous renvoyaient toute la brutalité de l’esprit des hommes. Nous avons tous été moins « Rwandais » lors du génocide quand près d’un million de personnes furent - 39 -


massacrées sous le regard de cette communauté internationale qui savait et qui n’a rien voulu faire. Nous avons tous été moins « Chiliens » quand des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été volés à la vie par une oppression tyrannique avec la complicité silencieuse de ces « Grandes Nations » subitement atteintes de surdité. Nous avons tous été moins « Cambodgiens » lorsque la furie des Khmers rouges ensanglantait le pays entier loin du grand brouhaha que provoque Wall Street, le Cac 40, le Dow Jones, etc. Mais, pour l’Amérique, nous avons tous versé une larme par humanité et par fraternité. Ainsi, la douleur qui s’élève de Ground Zero est la même qui déchire le cœur de cet enfant au Darfour pleurant le massacre de toute sa famille, de cette mère qui assiste impuissante à l’assassinat de son enfant fauché par une balle israélienne et de ce père qui succombe à son tour en voyant le corps déchiqueté et inerte de sa fille, victime d’un attentat palestinien. La douleur est un langage qui a un vocabulaire venant du cœur et qui n’est compris que par ceux qui l’ont déjà parlé. Et comme la majorité de la planète maîtrise plus ou moins cet esperanto, il conviendrait de trouver d’autres moyens de lutte contre le terrorisme international dans un monde ayant subi le traumatisme de la haine. Il est temps aujourd’hui que le monde réponde efficacement à ce diktat de la terreur en favorisant la réduction de l’écart immense entre les richissimes obèses et les squelettiques affamés au travers de la mise en place des politiques de développement ciblées afin de soustraire les couches populaires de l’influence des extrémismes. Le sous-développement et le sentiment d’injustice nourrissent le terrorisme. Seule la réalisation d’une justice sociale appropriée pourra durablement permettre l’éradication du terrorisme international. Mais également il est important de garantir le respect des libertés fondamentales en assurant la pluralité au sein des sociétés. Sans - 40 -


oublier, la recherche et l’établissement d’un équilibre dans les rapports de force entre les différentes puissances, une coopération juste et équitable entre Etats et partenaires économiques. En privant les extrémismes de leur base populaire, on les rendrait illégitimes. Et sans cette forte légitimité dont ils jouissent aujourd’hui, ils ne survivraient pas longtemps. Encore faudra-t-il qu’il y ait cette volonté inébranlable de combattre différemment le terrorisme international qu’à coup de réarmement massif, et d’y associer les moyens nécessaires. La lutte contre la pauvreté contribue donc à empêcher les hordes de jeunes démunis, laissés au ban de nos sociétés, de se transformer en bombes humaines. Il serait vain d’élaborer des campagnes contre le terrorisme international sans y inclure une véritable action sociale et politique vers ces zones de misères accrues où la frustration nourrit la haine. Et où le sentiment d’injustice et d’oppression pousse à une radicalisation destructrice[4]. Lorsque l’on voit que la priorité, de nos jours, est le toutsécuritaire avec ses dérives et ses gâchis, nombreux sont ceux qui voient en ce choix risqué toute la démagogie des responsables politiques. Le tout-sécuritaire doit être enterré au profit de l’anti-précaire. Bien sûr, il ne s’agit pas de désarmer du jour au lendemain les forces de défense et d’être laxiste face aux exigences de protection, mais aussi de sûreté des populations. Les gouvernements doivent être prêts et forts à affronter les dangers qui menacent les sociétés, sans pour autant prendre cela comme prétexte pour justifier une course aux conflits armés au détriment de l’essentiel, le plus important, le développement humain (le dialogue interculturel, l’économie équitable, le respect de la diversité et la sauvegarde des

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libertés). C’est là le prix, l’unique, à payer pour éradiquer autrement le terrorisme international. D’un autre côté, il faut concéder que la perversité des radicaux et autres extrémistes de tout bord, oblige presque le monde à réagir aussi brutalement que l’inhumanité des attentats. Autant il faut rester ferme contre ces atteintes à la vie, autant pareille fermeté doit être exigée contre les politiques coupables des déserts de précarité et d’insécurité sociale[5]. Fermeté contre les humiliations, les arrogances et le délitement de valeurs. Fermeté dans la lutte contre les pandémies qui ravagent des populations entières. Fermeté dans l’ambition de résoudre pacifiquement les conflits armés et de permettre la paix dans des endroits où l’on n’y croit vraiment plus. Fermeté et responsabilité, ce sont là les axes qui devraient guider la lutte actuelle contre le terrorisme international. Un changement d’attitude qui passe principalement par la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement, de Bagdad à Nairobi, de Manhattan à Gaza.

[1] « Attentats de la Cagoule en septembre 1937 à Paris ; attentats et assassinats de la Fraction armée rouge en Allemagne... Attentats et assassinats de l’ETA en Espagne ; attentats d’Action directe en France ; attentats des Brigades rouges en Italie ; attentats des Cellules communistes combattantes en Belgique ; mitraillage à l’aéroport de Lod en Israël par trois terroristes de l’Armée rouge japonaise, le 30 mai 1972, faisant 26 morts et 76 blessés » - source Wikipedia.

[2] « Attentat de Jamaa Islamiya à Louxor en 1997, 62 morts ; attentats à Madrid du 11 mars 2004 ; attentats du 23 juillet 2005 à Charm elCheikh ; attentat de Bali en octobre 2002, on dénombre un peu plus de 200 morts ; attentats à Casablanca du 16 mai 2003 ; les attentats du 7 juillet 2005 - 42 -


à Londres ; attentats du 1er octobre 2005 à Bali, 26 morts » - source Wikipedia.

[3] « La prise d’otages à l’opéra de Moscou puis à l’école de Beslan par des terroristes tchétchènes ; les attentats-suicides palestiniens en Israël depuis les accords d’Oslo jusqu’à nos jours. La série d’attentats contre La Dernière Tentation du Christ, culminant avec l’incendie de l’Espace SaintMichel en 1988 ; l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tōkyō par la secte bouddhiste Aum Shinrikyo en 1995 ; les attentats dans le métro parisien en 1995 par les membres du Groupe islamique armé (GIA) ; l’attentat contre la synagogue de Jerba en Tunisie en 2002 » - source Wikipedia.

[4] « Mettre durablement hors d’état de nuire les auteurs d’actes terroristes et prévenir la multiplication de ceux-ci ne sauraient se borner à une action militaire ou policière. Cela passe nécessairement par une réponse effective aux multiples violations des droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels qui constituent le terreau du désespoir et, partant, du fanatisme. Cela passe aussi par l’établissement de régimes démocratiques se substituant aux régimes dictatoriaux. » - source FIDH. [5] « Aucune lutte contre le terrorisme ne sera efficace sans recherche d’une mondialisation plus équitable, qui deviendrait synonyme non plus d’exclusion, mais d’inclusion non discriminatoire. » - source FIDH

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La repentance : une justice historique.. Refuser cette repentance dans laquelle on est grandi, c’est refuser de rendre à l’autre ce que l’on lui doit, c’est-à-dire la vérité mais plus important la dignité.

« Nous nous excusons pour les lois et décisions des parlements et gouvernements successifs qui ont causé de grandes peines, des souffrances et des pertes à nos compatriotes australiens ». Ce 13 février 2008 devant la nation australienne, le Premier Ministre australien Kevin Budd prononçait ces paroles historiques qui visaient à réconcilier l’Australie avec son histoire mais surtout à faire la paix avec sa mémoire. Les - 44 -


« compatriotes australiens », ici, sont ces centaines de milliers d’aborigènes qui ont été les victimes durant de longs et pénibles siècles de la brutalité de la politique d’assimilation, l’inégalité et l’injustice. En s’excusant pour cette « grande faute », le Premier Ministre australien a ainsi voulu assumer le lourd passé et la responsabilité de son pays dans l’asservissement d’un peuple qui aurait mérité plus de considération de la part des « colons ». Il aura fallu attendre près de onze ans entre la reconnaissance des faits et les excuses du gouvernement, et l’éviction du parti conservateur des affaires du pays, pour voir un Premier Ministre travailliste suivre les recommandations du rapport parlementaire sur la politique d’assimilation, c’est-àdire se repentir des torts qui ont été commis à l’endroit de cette minorité australienne. Mais au-delà de ce geste fort, c’est une leçon d’humilité et d’humanisme que l’Australie a donné au monde entier, une morale qui balaie tous les discours politiques et philosophiques. La reconnaissance des faits oblige à la repentance. Une obligation morale et une exigence humaine de dire « pardon » pour les crimes et les abus commis par ces « pères » qui ont été aveuglés par leur préjugé, leur haine et leur ignorance. Une nation sait, en reconnaissant ses fautes et en s’excusant, se souder avec elle-même mais aussi avec les autres peuples qui ont longtemps souffert du mépris et de l’arrogance de la part des « anciens maîtres ». C’est sans doute dans ce sens que le 12 juin 2008, un autre Premier Ministre, Stephen Harper, conservateur, a présenté les excuses du Canada pour les atteintes graves à la dignité humaine envers les « Premières Nations », peuple autochtone victime lui aussi durant des siècles de l’inhumanité de la politique d’assimilation. Les « pensionnats indiens » sont de tristes et sombres pages dans l’histoire du pays, une réalité qui a poussé le gouvernement canadien à débourser en guise de réparation environ un milliard - 45 -


d’euros. Une maigre consolation qui n’équivaut pas la souffrance de ces générations bafouées, mais qui permettra de construire des ponts mémoriels entre le présent et le passé afin de pacifier l’avenir. La repentance n’a donc rien de masochiste comme l’on pourrait le prétendre, encore moins de haineux. C’est simplement la « reconnaissance d’une tristesse constructive » qui favorise le renforcement de cette identité nationale chère à de nombreux pays. Loin du « détester soimême » inlassablement claironné, elle permet de lutter contre l’amnésie politique en s’appuyant sur un travail historique salutaire pour les générations actuelles. La repentance contribue à la compréhension des différentes cultures qui structurent une nation et des peuples qui a un moment de l’histoire ont partagé le même destin. Refuser cette repentance dans laquelle on est grandi, c’est refuser de rendre à l’autre ce que l’on lui doit, c’est-à-dire la vérité mais plus important la dignité. L’Eglise a su sous l’impulsion du pape Jean Paul II faire de cette repentance un argument de rapprochement entre les religions et entre les hommes. Rowan Williams, Chef spirituel des anglicans, n’est-il pas allé dans cette quête du « vivre ensemble » jusqu’à demander le pardon à ces peuples qui ont durant une éternité souffert de la traite nègriere avec la complicité des religieux, en affirmant que « l’Eglise a le devoir de partager la honte et les péchés de ses prédécesseurs » ? Et que dire de la Reine Elizabeth II qui lors de la commémoration du bicentenaire de l’abolition de l’esclavage en 2007 s’est dite « peinée » par la responsabilité de son peuple lors de cet épisode ô combien dramatique et moins glorieux de l’histoire. Alors penser que la repentance est une négation de soi, c’est d’abord croire que ce que l’on a fait était légitime et que d’une façon comme d’une autre cela a eu des effets positifs non seulement pour soi-même mais pour les victimes, qui cessent dès lors de l’être. Loin du - 46 -


reniement des valeurs qui font une nation, ce retour sur les heures sombres d’un pays contribuerait au renforcement la cohésion communautaire en intégrant mieux les minorités dans son développement. Il n’y a aucun grand pays au monde, ni aucune grande civilisation qui puisse se targuer de n’avoir pas perpétrer de génocide. Du massacre des incas à l’holocauste en passant par la répression de Guelma ou de Sétif, les grandes nations ont les mains sales et leur mémoire est rempli de ces cimetières où est enterrée leur glorieuse noblesse. Il n’y a pas de pays qui n’ait pas à rougir de son histoire, ni un continent qui n’ait pas à se réconcilier avec ses propres drames. Du code Noir aux réserves indiennes en passant par les « filles de réconfort » au service de la puissante armée nippone, certaines nations ont été quelques fois moins grandes qu’elles ne le prétendent aujourd’hui et ce n’est pas en occultant cette réalité qu’elles parviendront à maintenir l’illusion d’une candeur presque indécente. Mais il faut du courage pour se remettre en cause, faire son mea culpa et avancer dans ce vivre ensemble qui devient alors le « construire ensemble ». Certains en ont et d’autres pas. Certains font face et d’autres se dérobent. Menace sur la cohésion républicaine face au communautarisme de tout bord, autoflagellation insupportable et indigne, la repentance est pour beaucoup l’effort de trop et reste une forme d’antipathie pour soi-même. Pourtant, de nombreux pays se sont repentis des crimes du passé sans que cela ne porte atteinte à leur « superbe », au contraire. Cela a donné plus de sens aux commémorations, plus de significations aux évènements pendant lesquels l’on tente de faire revivre la mémoire. Ainsi, la repentance, concept polémique, n’est qu’une prise de conscience des fautes du passé, une justice historique rendue aux oublis de l’histoire.. - 47 -


Vers l’émergence du dragon africain La Chine est devenue un partenaire économique d’une importance mondiale. Il est désormais difficile de la contourner et de faire sans. Au point où en Afrique l’on parle désormais de « Chinafrique ».

La Chine est en ce début de siècle la puissance économique qui force le respect et tend à s’ériger en modèle pour un bon nombre de pays en voie de développement. Forte de près d’1,2 milliard d’habitants, elle étonne en même temps qu’elle surprend le monde de l’économie par son dynamisme constant au point de susciter crainte et suspicion de la part des Occidentaux qui s’empressent depuis une décennie déjà de l’embrasser après l’avoir si longtemps méprisé. Le dragon chinois tient sa revanche sur le monde. Grâce à son influence économique majeure, il parvient aujourd’hui à dicter sa loi à ces grandes moralisatrices qui ne cessent de se renier. Elles qui n’hésitent plus à troquer les exigences de démocratie et de liberté contre des contrats juteux. La politique des - 48 -


milliards ou la realpolitik a triomphé même là où il y a encore quelques mois, lors de grandes messes électorales, on avait signé son acte de décès. C’est vrai qu’avec une économie au ralenti, une recherche ironiquement vidée de cerveaux, des structures en désuétudes et des délocalisations en masse, certaines nations n’ont guère le choix que de mettre en berne leurs valeurs démocratiques en avalant douloureusement la couleuvre chinoise. Le passage de la flamme olympique dans les capitales occidentales a été un exemple de cette influence de la Chine. Le monde entier se souvient de ces hommes bleus, gardiens d’une flamme olympique souillée par le sang tibétain, qui imposaient la conduite à suivre aux organisateurs nationaux. Tout le folklore triste et insupportable qui a suivi le parcours de cette flamme demeurera dans l’esprit des millions de personnes comme l’un des plus grands fiascos de la démocratie de ce début de siècle. Certes les manifestations ont eu lieu, des milliers de personnes rassemblées pour décrier ce que leurs gouvernements ne pouvaient que murmurer et encore. Timides dénonciations, déclarations en trompe-l’œil, silence complice assumé et décomplexé, les gouvernements occidentaux, pourtant si friands de leçons sur les libertés et les droits de l’homme, ont accueilli la flamme olympique les bras ouverts avec le sourire en prime. Le Dalaï-Lama peut toujours faire le globe-trotter, les Tibétains souffrir de massacres et être les victimes d’un véritable génocide culturel, le plus important c’est de préserver l’essentiel : les centaines de milliards de billets de banque offert par le marché chinois et les bénéfices qui vont avec. D’énormes enjeux économiques qui justifient l’envoi d’émissaires de haute volée pour demander « pardon » au régime chinois pour les inconvénients liés aux manifestations pro-tibétaines. Le ridicule ne tuant pas, on le pousse jusqu’au bout. Et tous les arguments sont bons à prendre pour légitimer - 49 -


ce ridicule. « Si d’autres le font pourquoi pas nous ? », « alors on n’a pas à rougir de cela », entendons-nous souvent. Le problème c’est que les autres ne se prétendent pas « patrie des droits de l’homme », le problème c’est que les autres, qu’on diabolise trop souvent en indexant d’une manière condescendante les agissements indignes d’une grande nation démocratique et dont la flamme de la liberté devrait éclairer le monde, ont tout perdu dans la course au profit, y compris leur âme. Le problème c’est que lorsqu’on veut porter haut les « Lumières » on ne les éteint pas à l’approche des intérêts économiques et stratégiques. Le problème c’est qu’on copie un peu trop le pire faisant semblant d’ignorer qu’on peut aussi passer des contrats en affirmant ses principes de liberté et de démocratie. L’Allemagne n’est-elle pas la parfaite illustration que le plus important c’est de savoir être à la hauteur de son rang ? La Chine est devenue un partenaire économique d’une importance mondiale. Il est désormais difficile de la contourner et de faire sans. Au point où en Afrique on parle désormais de « Chinafrique ». Les échanges entre le continent africain et la Chine ne sont pas nouveaux. Déjà, il y a quarante années, les régimes du continent avaient passé de nombreux partenariats avec la République populaire de Chine. Avec la chute du rideau de fer, ces échanges se sont accélérés d’une manière spectaculaire allant jusqu’à rivaliser et mettre à mal les Occidentaux installés en Afrique. Au début, cette implantation de la Chine suscita beaucoup d’ironie et de scepticisme, forts de leurs entrées dans les palais présidentiels africains, les Occidentaux ne s’imaginaient pas une telle fulgurance. Le pré carré et autres reliques du passé colonial étaient des acquis qui ne pouvaient garantir que la pérennité d’un système à bout de souffle et qui a montré toutes ses limites. A l’heure actuelle, c’est pratiquement une razzia à laquelle on assiste dans les - 50 -


villes africaines qui se modernisent peu à peu sous la houlette des Chinois. D’Abidjan à Yaoundé en passant par Bamako, les villes africaines se transforment et se renouvellent au travers de chantiers entre les mains d’ouvriers chinois. C’est vrai, la difficulté rencontrée dans ce partenariat « gagnant-gagnant » est sans doute le communautarisme. Les Chinois vivent entre eux, presque coupés du monde, ils importent tout leur matériel y compris leur main-d’œuvre ne participant pas alors à la lutte contre le chômage des nationaux. Mais est-ce leur rôle ? Les gouvernements locaux ont la responsabilité de penser les moyens de lutter efficacement contre le chômage des jeunes sans forcément compter sur les Chinois. D’ailleurs si l’on compare les pertes des gouvernements africains qui recevaient et prenaient en charge les coopérants occidentaux, extrêmement coûteux et pas souvent compétents, on peut conclure que les Chinois présentent cet avantage du travail fait aussi bien que les Occidentaux sans solliciter les fonds des Etats. On entend des fois la critique dire que les produits chinois ont submergé les marchés africains. C’est aussi vrai pour ce qui est des produits importés occidentaux entassés dans les rayons de supermarchés de Douala, Libreville ou Dakar, à la différence près que les prix des Chinois sont imbattables. Conséquence directe : un nombre important de ménages africains peut joindre les deux bouts avec un pouvoir d’achat presque dérisoire. Si le tissu économique interne des pays africains tend à être encore plus fragilisé par cette compétitivité virulente, c’est parce que longtemps les politiques économiques (privatisations en masse afin de satisfaire les programmes d’ajustement structurels de la Banque mondiale) ont été inadaptées, dictées pour la plupart par les institutions de Bretton Woods et par les aléas indicibles de l’aide, voire de la coopération. Les économies nationales sont donc victimes de leur impréparation face au phénomène - 51 -


chinois. Et comme partout ailleurs cette situation provoque et attise les attitudes xénophobes, un peu comme les Africains dans les pays occidentaux qui viennent « voler » la place des nationaux. Une situation qui fait le bonheur électoraliste de la droite et de son extrême. Depuis que les marchés publics au Cameroun sont gagnés par les Chinois, on assiste à une profonde transformation du paysage urbain. Les constructions et les bâtisses poussent comme des champignons et la modernisation des structures connaît une certaine accélération. Avant la réalisation de ces marchés publics était bâclée, les entrepreneurs occidentaux faisaient un travail largement insuffisant, loin des normes internationales. Aujourd’hui, en faisant un tour du côté de Cotonou, de Gahni à Fidjrossé, on peut admirer le travail nettement meilleur des entrepreneurs chinois. En outre, des centaines de jeunes Africains vont de plus en plus en Chine se former et grâce aux accords bilatéraux ils reviennent dans leurs pays d’origine monter avec l’aide de la coopération chinoise des entreprises qui embauchent les nationaux. Un processus qui contribue à détourner lentement, mais durablement la jeunesse africaine de l’Occident. D’ailleurs, à part les pays nordiques (Suède, Norvège) et anglo-saxons (Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada), l’Occident pour les jeunes étudiants africains ne fait plus rêver car certaines destinations européennes, naguère favorites, sont désormais désuètes, sans valeur académique, ni professionnelle, mais engluées dans une arrogance débridée qui vient flatter un nationalisme à peine avoué. Lorsque d’un côté on ne cesse de décrier les malheurs de l’Afrique, à appeler à la prise de conscience de la jeunesse africaine, comme si les milliers de jeunes morts à Conakry, à Douala, à Pointe-noire ou au Caire protestant contre les abus - 52 -


des régimes dictatoriaux et les injustices sociales, ne comptent que pour du beurre, les mêmes vertueux signent des contrats dans les antichambres où le sort des millions de vies humaines est scellé. Vente d’armes, interventions armées, amitiés fraternelles et autres sordidités d’usage pour encenser les pires crapules politiques africaines, c’est là la triste réalité d’une politique occidentale qui perdure bien au-delà des hommes. Ce qui est intéressant avec la Chine dans tout ce concert d’hypocrisie, c’est qu’elle est consciente de ses propres faiblesses, une république manifestement démocraticide où le pouvoir central contrôle tout. Et donc elle n’a pas la prétention de dicter une conduite politique ou morale aux Africains, son attitude ambiguë au Darfour en est une illustration. On la critique sur ce dossier et c’est une bonne chose. Mais une question mérite d’être posée : si les Etats-Unis, l’Angleterre ou la France avaient détenu des droits d’exploitation pétrolière importants de la Chine au Soudan, auraient-ils trouvé ce régime infréquentable ? Les exemples du passé sont des réponses fortes. Panama, Irak, Ouganda, etc. Il y a quelques années, Mugabe était fréquentable quand il faisait le bonheur des multinationales occidentales. Kadhafi n’a-t-il pas été réhabilité grâce à son pétrole qui attise toutes les convoitises ? Idriss Deby, Omar Bongo, Paul Biya, Sassou Nguesso, Faure Nyassimbé, pour ne citer que ceux-là, ne sontils pas des nababs qui arrosent les entreprises occidentales et les hommes politiques ? Qui ignore encore que l’argent de ces tyrans va souvent financer les campagnes électorales des leaders occidentaux ? Il y a une sagesse africaine qui conviendrait mieux pour expliquer cette attitude : « la bouche qui mange ne parle pas ». Lorsqu’on pille les ressources d’un pays, qu’on vampirise littéralement sa matière grise, on évite de froisser en même temps le républicain monarque africain qui veille scrupuleusement à ce que le pillage se fasse dans les - 53 -


normes. Les droits de l’homme et la démocratie sont des notions à géométrie variable, la Chine l’a comprise et s’en sert pleinement. Mettant de côté cet aspect peu glorieux de la Chine, les gouvernements africains devraient songer à adapter les recettes de l’économie chinoise aux réalités locales. Ce modèle économique asiatique pourrait servir d’exemple à un continent qui a de nombreux atouts et lui inspirer de nouvelles politiques de développement. Il faudrait à cet effet redéfinir les « secteurs à cibler en priorité » et la « stratégie de réforme à poursuivre ». Il est vrai que la Chine n’a pas commencé sa transition économique avec un « programme de stabilisation macroéconomique ». En Afrique, le point de départ devrait être la garantie de la stabilité politique afin de s’assurer d’une relative stabilité économique. Les guerres, les conflits armés sont autant de facteurs qui mettent à mal le continent. Après cette stabilisation politique, l’accent sera mis sur le secteur qui offre les plus fortes chances de réussite. Pour les pays comme la Côte-d’Ivoire ou le Cameroun, le secteur agricole représente un « secteur-clé en termes d’emploi ». Celui-ci peut éventuellement servir de « tremplin » pour la mise en œuvre de réformes à venir ou ultérieures. Une revalorisation qui passe par une modernisation du secteur, mais aussi une réorientation des politiques agricoles. De tels efforts augmenteraient « la productivité à travers la réallocation des ressources », la « croissance de la production et l’augmentation du revenu des paysans ». Tout ceci devrait favoriser la création et le renforcement d’une « épargne rurale » importante et des « fonds pour l’investissement des communes et des villages ». Ces derniers devraient donc être la dynamique majeure en dehors de l’Etat (une main-d’œuvre nombreuse préalablement formée, qualifiée, flexible, mais surtout bon marché, est un - 54 -


atout fondamental). Dans le domaine industriel, comme les Chinois dans les années 1980, la priorité sera mise sur « une plus grande autonomie des entreprises ». L’éclosion des entreprises implantées dans les zones rurales devraient être encouragée en s’appuyant sur la « libéralisation des marchés et de la concurrence » avec la soumission des entreprises à « la sanction de la contrainte financière », également favoriser une émulation des collectivités locales. Cette transition économique des pays africains devraient accélérer leur intégration dans l’économie mondiale à travers l’ouverture plus importante au commerce extérieur et de l’investissement direct étranger en leur « faveur ». Le renforcement de l’intégration sous-régionale (liens économiques et culturels particulièrement) deviendrait une nécessité pour les Etats africains. A cet effet, la Chine est un exemple intéressant mais aussi celui de ses dynamiques voisins, les fameux « dragons » d’Asie (Singapour, Malaisie). Une ouverture qui favorisera l’acquisition de technologies et l’appropriation d’idées novatrices. Ainsi on le voit, l’Afrique gagnerait à se tourner vers le modèle chinois, du moins à tirer avantage de cette proximité « diplomatique et économique » qu’elle a su construire avec ce grand pays. Un choix qui se ferait dans un cadre de développement plus sain. L’accueil de la jeunesse africaine et sa formation par la puissance chinoise est une manière de pérenniser cette relation et de la renouveler sans cesse avec les générations. Une façon plus respectueuse et intelligente de contribuer à l’émergence du dragon africain.

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Le suicide : le dernier tabou africain « Une personne met fin à ses jours toutes les 40 secondes et l’on enregistre une tentative de suicide toutes les trois secondes. Aucun pays n’est épargné ». L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait ce constat froid et inquiétant des ravages silencieux du suicide.

Il y a quelques jours, Myriam a été retrouvée morte dans sa chambre. A côté de son corps inerte, se trouvait un flacon de comprimés entièrement vidé. C’était une adolescente qui allait encore au collège à Yaoundé. Personne n’a rien vu venir. En guise d’adieu, elle a laissé une lettre à ses parents dans laquelle elle tentait d’expliquer son geste. D’expliquer l’inexplicable. Du Royaume-Uni aux Etats-Unis d’Amérique en passant par l’Algérie[1], le suicide est une urgence qui est loin d’être exclusivement occidentale. Touchant la quasi-totalité des zones géographiques, des couches sociales, des jeunes aux adultes[2], - 56 -


le suicide interpelle aussi les sociétés africaines et exige qu’on lui consacre de véritables moyens de lutte. Le suicide est le cheminement qui va de l’intention d’en finir avec l’existence au passage à l’acte. Il est un processus personnel qui n’est pas aisé de détecter et pour de nombreuses familles l’étonnement vient souvent se mêler au désarroi après une tentative de suicide. Il est difficile de trouver l’élément déclencheur ou le « facteur déterminant » – celui qui a finalement poussé à franchir le point de non-retour. Ainsi, le suicide pousse à la remise en question et au questionnement du fonctionnement même des sociétés, des modèles de développement avec les modes de vie, les conditions de travail, l’individualisme qui se construisent et se structurent. C’est un appel à remettre l’individu au cœur des préoccupations et au centre des intérêts. Des millions de personnes chaque année se donnent la mort pour des raisons aussi multiples que diverses et l’augmentation des comportements suicidaires laissent prévoir que cette statistique macabre n’est qu’un avant-goût du désastre qui guette le monde (on estime que, dans moins de dix ans, le monde comptera plus d’1,5 million de suicidés). Malgré l’activisme de l’OMS – qui a par ailleurs instauré une Journée mondiale de prévention du suicide le 10 septembre – et de nombreuses ONG locales ou internationales, les politiques d’anticipation et de prévention comme élaborées en France ou en Suède, force est de constater que faute de lutter efficacement contre les raisons, les origines du malaise, on tente comme on peut de colmater les brèches. Plus meurtrier que tous les conflits armés qui sévissent à l’heure actuelle dans le monde, le suicide est une silencieuse violence qui fait moins de bruit qu’une kalachnikov, mais autant de victimes qu’un 11Septembre.

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En Afrique, la question du suicide est très vite éclipsée par la brutalité et la profusion des conflits fratricides, sans doute parce que le suicide tue loin des caméras et du sensationnel, à l’abri des regards qui n’osent voir et des voix qui préfèrent se taire, par pudeur ou par honte. C’est donc un sujet tabou dans son essence et dans sa manifestation. De nombreuses coutumes considèrent que le suicide est une malédiction ou un acte de sorcellerie[3]. Ainsi il est plus facile de parler d’« accident » pour dire « suicide ». Le mot étant banni, voire proscrit dans de nombreuses familles africaines, il est plus compliqué d’estampiller un suicide comme tel, d’où sans doute l’extrême difficulté à obtenir des statistiques officielles et régulières. En dehors de rares exemples médiatisés, retrouvés dans la rubrique « fait-divers » des journaux africains, le suicide est passé sous silence, et n’intéresse guère les responsables politiques qui semblent avoir d’autres priorités, comme leur enrichissement personnel par le détournement des deniers publics et les luttes de pouvoir. A l’heure où l’Occident, confronté à une série de suicides collectifs chez les adolescents, à des initiatives plus individuelles chez des personnes broyées par la pression du travail, s’active et met en place des structures capables d’anticiper, de prévenir et de répondre à ces détresses humaines, l’Afrique, quant à elle, se réfugie derrière une lourde opacité indicible et un refus clair de communiquer sur un problème majeur. Pourtant, le suicide affecte les familles africaines, en particulier des adolescents qui quelquefois semblent perdus dans la quête de leur identité[4]. Si après les indépendances, la plupart « des anthropologues convenaient que le suicide était presque absent en Afrique », de même que dans les « sociétés islamiques traditionnelles », l’on peut penser qu’il soit lié au progrès économique et social des années 70 et 80[5]. Ainsi, il serait la résultante de l’émergence des « facteurs - 58 -


économiques » (le chômage[6], la pauvreté[7]) et « sociodémographiques » (chez les jeunes : la carence parentale, les abus de drogues et d’alcool, maladies graves, la solitude). Le milieu culturel reste un facteur déterminant, au travers de bouleversements et de pressions psychologiques[8], dans l’adoption de comportements suicidaires. En effet, l’infertilité ou la fornication (la perte de virginité avant le mariage chez les jeunes filles) dans des sociétés africaines à la fois imprégnées de valeurs traditionnelles et religieuses, n’est pas simple à assumer. Afin d’éviter la honte (le déshonneur familiale par exemple), la mort – le suicide – est souvent une alternative. D’un autre côté, il est à souligner que depuis qu’elle court après le modernisme néolibéral, l’Afrique a sacrifié sur l’autel de l’individualisme, son esprit de solidarité et de fraternité. Alors, l’affaiblissement du « soutien social » naguère l’une des caractéristiques du continent, ne permet plus la protection contre « l’éventualité du suicide ». Les hommes sont désormais des îlots, et les jeunes Africains en détresse se retrouvent trop souvent seuls et face à eux-mêmes. Le suicide demeure un acte considéré comme une souillure, quelque chose d’impropre et de malsain. En Afrique, chaque décès par suicide a des conséquences dévastatrices du point de vue affectif, social et économique pour d’innombrables familles. Il s’agit d’un problème de santé publique majeur. Certaines ONG locales ont récemment constaté un accroissement alarmant[9] des comportements suicidaires chez les jeunes Africains. Cette recrudescence a pour origine la virulence de la « pauvreté et de la précarité, la perte d’un être cher, les disputes, une rupture amoureuse ou des ennuis personnels ». Quelquefois, pour les jeunes actifs, « les difficultés professionnelles, la discrimination, incluant l’exclusion, le rejet par autrui et le sentiment d’injustice sociale ». Dans certains cas, l’on trouve « l’isolement social, - 59 -


l’échec académique ou scolaire, les sévices sexuels (surtout en milieu carcéral) ». Les moyens les plus couramment utilisés pour « en finir » avec la vie sont variés, des pesticides aux armes blanches (couteaux, lames, ciseaux, etc.), en passant par la pendaison et les médicaments comme les analgésiques, toxiques en doses excessives. Le malaise tend à prendre de l’ampleur. Se manifestant souvent très tôt dans la vie et dans la plupart de cas à l’adolescence[10], le comportement suicidaire, chez le jeune Africain comme partout ailleurs, est un cheminement long qui va de l’intention de se détruire à la tentative. Surtout, il est primordial de voir dans la « crise suicidaire »[11] un besoin presque viscéral « d’exprimer un mal-être », d’attirer subtilement l’attention sur son malaise, et de faire « disparaître la cause de la tristesse ou la douleur (souffrance) »[12]. Dans une Afrique où la jeunesse cherche à s’émanciper du poids des traditions en allant s’enfermer dans l’occidentalisation à outrance des comportements, sans repères, elle est aussi victime[13] d’une overdose de l’internationalisation et la sublimation du « spleen »[14]. Il est important qu’elle comprenne qu’être moderne et vivre la contemporanéité ne signifie nullement qu’elle devrait vendre au marché inéquitable et cannibale de la mondialisation, son âme. « Back to basics » sans pour autant s’engluer dans un africanisme débridé, risible et contreproductif qui consiste à troquer la chemise contre le cache-sexe, comme pourrait le souhaiter certains « has been » qui font de la résistance. Mais ce « Back to basics » devrait permettre une réappropriation de la solidarité africaine, de ces valeurs qui portent le « culte de la vie », c’est sans doute là une voie qui mérite d’être explorée. Le suicide ne devrait plus être le dernier grand tabou africain. Lever l’omerta sur ce fléau qui constitue un frein, un autre, au - 60 -


développement de l’Afrique. Libérer la parole est le premier moyen de lutte contre le suicide, une réévaluation franche de son impact de la part des responsables politiques est nécessaire d’autant plus qu’elle permettrait de réfléchir sur la mise en place de programmes de prévention et d’anticipation[15]. Une telle reconnaissance favoriserait la formation d’« agents de santé » à « l’identification et au traitement » des personnes potentiellement fragiles ou à « risque ». Mais surtout, elle permettrait de créer une cellule du type « SOS suicide » comme dans la plupart des pays occidentaux, ce qui contribuerait à instaurer une relation de confiance entre la personne « à bout » et des agents compétents. Par ailleurs, élever la lutte pour la prévention du suicide au rang de priorité nationale dans les pays africains pousseraient à mettre sur pied des « campagnes de prévention en milieu scolaire », d’attirer « l’attention des éducateurs, le personnel pénitentiaire, les rescapés des tentatives de suicide ou les familles endeuillées par le suicide et la responsabilité des médias »[16] sur cette problématique puisqu’ils arrivent qu’ils y soient directement confrontés. Il faut d’urgence intensifier et coordonner l’action au niveau du continent pour éviter ces morts inutiles. Et le départ prématuré de jeunes dont l’Afrique a le plus grand besoin.

[1] L’Algérie enregistre annuellement une moyenne de 500 tentatives de suicide, selon les statistiques des services de la Protection civile. En 2007, 244 cas et 324 tentatives de suicide ont été dénombrés, alors qu’en 2006, il a été signalé 210 cas et 449 tentatives. [2] « Depuis les chocs pétroliers, le suicide des jeunes augmente et celui de leurs aînés se maintient ou diminue. C’est sans doute le constat le plus grave » - Christian Baudelot and Roger Establet in Suicide, l’envers de notre monde, Le Seuil, Janvier 2006.

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[3] Tout dépend du niveau de religiosité des familles, dans celles qui sont chrétiennes on parle de malédiction et, pour celles qui sont plus animistes, on parle de sorcellerie. [4] De nombreux cas de suicides ont été signalés en 2007 au Cameroun concernant de jeunes homosexuels. [5] « Le suicide accompagne les mouvements de la société. Il est en hausse lors des crises économiques, en baisse pendant les guerres. Il a crû avec le développement industriel du XIXe siècle, mais diminué avec l’expansion économique du XXe. » - Christian Baudelot and Roger Establet in Suicide, l’envers de notre monde, Le Seuil, Janvier 2006. [6] « Le chômage tue : D’après les services de la sûreté nationale, l’esprit suicidaire est constaté plus parmi les personnes défavorisées. 63 % des suicidés sont sans profession, 8 % exercent une activité libérale et 6 % sont des étudiants algériens. » - Samia Kaci (Midi Libre). [7] « Il est judicieux de lever le voile sur deux nouvelles formes de suicide en Algérie auxquelles recourent les kamikazes et les harragas (ces candidats à l’émigration clandestine mettent leur vie en péril en quête de cieux cléments. En 2007, 1 644 harragas ont été arrêtés par les gardes-côtes. Comparativement aux années précédentes, ce phénomène est en progression. En 2006, 750 jeunes ont été interceptés contre 327 en 2005.) – Samia Kaci (Midi Libre). [8] Le mariage forcé chez les jeunes filles africaines est également une parfaite illustration de cette pression psychologique. [9] Comparé à d’autres régions du monde, on considère cet accroissement encore très bas, mais inquiétant dans le long terme. [10] Comme l’ont fait remarqué certains spécialistes, c’est au cours de l’adolescence que les jeunes, qui subissent de nombreuses transformations physiques et psychologiques, expérimentent le doute et dans le même temps un sentiment de toute puissance. [11] Certes, si l’on admet dans la crise suicidaire la présence d’un événement déclenchant (traumatisme, viol, rupture, deuil, déception amoureuse), celui-ci vient réveiller un mal-être antérieur plus profond qui - 62 -


s’est déjà exprimé dans un faisceau de manifestations préalables, comme autant de signes d’appel non repérés. [12] Ainsi chez l’adolescent, la mort est rarement souhaitée. [13] Au même titre que les causes évoquées précédemment. [14] La Nausée de vivre, Baudelaire. [15] Il existe de nombreux moyens de protection et de prévention du suicide. On peut mentionner « l’éducation, l’estime de soi et les liens sociaux, surtout avec la famille et les amis, l’existence d’un appui social, une relation stable et un engagement religieux ou spirituel ». [16] Comme l’a ajouté le Dr Saraceno, « Il apparaît aussi que les comptesrendus dans les médias peuvent encourager le suicide par imitation et nous demandons instamment aux médias de faire preuve de la sensibilité voulue dans leur façon de traiter ces décès tragiques et souvent évitables. Les médias peuvent aussi jouer un rôle majeur pour réduire l’exclusion et la discrimination associées aux comportements suicidaires et aux troubles mentaux. »

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L’esclavage conjugué au présent Plus de 250 millions d’esclaves dans le monde. Enfants exploités, travail au noir, conditions de travail précaires ou à la limite de la légalité, les esclaves modernes sont souvent derrière les bénéfices records des multinationales, derrière la luxure des villas, derrière les coutumes et traditions, prisonniers d’un système qui a su au fil des siècles s’adapter aux époques et aux milieux.

Malgré les instruments juridiques internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme[1] ou les règles de l’Organisation international du Travail[2], l’exploitation forcée de l’être humain au mépris de toute dignité est l’une des particularités de la société contemporaine. Même si tout le monde convient à dire, du moins en public, que c’est une pratique répugnante, il n’en demeure pas moins que les chiffres officiels[3] montrent que le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et qu’il semble échapper à tout contrôle. Au-delà des sentiments humanistes exprimés, quelques fois la main sur le - 64 -


cœur, et rapidement passées au broyeur des intérêts inavouables, c’est l’ensemble des valeurs acquises durant des siècles de lutte et des décennies d’évolution presque « acharnée » qui semble remis en question par la profusion des pratiques esclavagistes et honteuses. Les sweatshop des années 1930 aux Etats-Unis portés par le vent "mondialisationiste" se sont exportés en Inde, en Chine, au Pakistan etc. Et la pauvreté, hydre aux multiples voracités, continue à pousser chaque jour des millions de personnes vers un cruel destin. Après les travaux forcés[4] et le code de l’indigénat du colonialisme qui ont accouché des routes et autres « effets positifs », il aura fallu attendre jusqu’en 1980 pour voir la Mauritanie[5] adopter une loi qui mit fin « officiellement » à l’esclavage, véritable « tradition » locale. Une décision tardive qui reflète en fait tout le malaise des pays africains face à l’exploitation des êtres humains. Sujet tabou, sujet délicat, la condition servile est dans de nombreuses sociétés africaines, une culture, une tradition, une attitude de droit ou de fait. Ainsi, l’esclavage n’est plus simplement le « commerce de l’homme par l’homme » mais un vestige des mœurs ancestrales qui résistent toujours au temps[6]. Trop souvent la tradition a justifié et légitimé cette pratique, excusant le laxisme voire le laisser-faire des responsables politiques qui sont restés longtemps sans réaction face à cette violation des principes humains (liberté et dignité). Durant des décennies, l’esclavage a continué à sévir dans certaines régions africaines à l’instar du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. Le Soudan déchiré par un conflit génocidaire est devenu un carrefour du commerce d’êtres humains où les esclaves sont majoritairement des femmes et des enfants. Une activité lucrative qui nourrit d’obscurs réseaux avec la complicité plus ou moins directe des Etats. Prostituées, ces esclaves vont nourrir le marché du sexe qui se délecte de ces produits de consommation d’un type bien - 65 -


particulier. A la tombée de la nuit, les ruelles africaines vomissent de jeunes machines qui, jusqu’au petit matin, donneront du plaisir aux notables, aux touristes, aux diplomates, à tous ceux qui pour quelques pièces voudront assouvir leur envie d’interdit. Cela sous l’œil vigilant du proxénète qui ira verser sa commission au commissaire de police. On les retrouvent aussi dans les domiciles de monsieurtout-le-monde, employées de maisons au service de familles ayant sur ces esclaves un droit de quasi propriété. Sévices corporels, viols réguliers, le quotidien de ces êtres est un enfer où chaque instant est un supplice. Quittant Lagos ou Cotonou pour les agglomérations urbaines de la sous-region, des milliers d’enfants vont finir dans les plantations en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou au Ghana. Arrachés à l’enfance, ils grandissent dans les mines d’or au Burkina Faso, leur production va enrichir les collections des marques de luxe, et brille autour du cou des plus grandes personnalités défilant sur les tapis rouges au crépitement des flashs. Que dire de ces adultes qui pour un salaire de misère risquent leur vie tous les jours dans ces mines de chrome du Zimbabwe, dans des conditions insoutenables. Et ces adolescents qui sans renumérotation aucune, sont forcés de s’éteindre lentement dans l’obscurité des gisements de diamant en République Démocratique du Congo. Ou de ceux-là à El Moqatam[7] en Egypte vivant du ramassage et du triage d’ordures. Quelques fois, ils se retrouvent enroulés de force dans des conflits armés à la solde des chefs de guerre, conflits dont ils ignorent les enjeux réels. Le plus important étant d’en faire de véritables monstres et de sadiques meurtriers[8]. C’est ainsi qu’en première ligne, ils se rendent souvent coupables des pires atrocités, ou tombent finalement sous le feu adversaire.

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Le travail des enfants est un sujet problématique et complexe. Il n’est considéré comme « intolérable » que lorsqu’il se fait dans « situations dangereuses » ou « impliquant l’exploitation » selon la formulation du Bureau International du Travail[9]. Ainsi des enfants travaillant plus de 10 heures par jour dans des plantations en Tanzanie ou dans des « usines » à tapis en Inde, tous les jours de la semaine, sans salaires et maltraités, sont des enfants exploités qui devraient être protégés. Mais alors que penser d’un enfant qui vend en cette période de vacances scolaires ses bananes dans les rues de Douala pour pouvoir aider ses parents « miséreux » à lui payer l’école en septembre prochain ? Ce travail là serait-il condamnable ? La question demeure au cœur du débat entre abolitionnistes et non abolitionnistes. Pour les premiers, il faudrait abolir « complètement » le travail des enfants[10] au profit d’une plus grande scolarisation, comme cela a été le cas à la fin du XIXème siècle en occident. Pour les seconds, c’est une vision « utopique » qui ne tient pas compte des réalités du terrain, une sorte de dogme occidental décalé du vrai. C’est aussi la position des Ong locales et internationales comme Oxfam. Car il est vrai qu’empêcher un enfant de participer à la « survie » de sa « famille » donc à la sienne, serait absolument « contreproductif ». La meilleure manière de lutter efficacement contre ce travail des enfants, c’est de mettre fin à la pauvreté et de permettre par ricochet aux familles d’avoir le temps, l’argent d’envoyer leurs enfants à l’école. Même si l’on adopte des milliers de conventions pour la protection de l’enfant et que l’essentiel c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté n’est pas réellement engagée, l’effet sera nul. Du coup, permettre aux enfants par des activités « supportables » et moins « dangereuses » d’aider leurs parents à leur garantir une scolarisation, est un moyen raisonnable de leur assurer le minimum.

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L’esclavage ne se définit pas uniquement par l’asservissement presque animal de l’homme, il peut recouvrir une barbarie plus subtile, comme celle de la déshumanisation de l’être dans les entreprises où la politique du chiffre et le diktat du bénéfice autorisent tout, surtout l’indécent. Alors les sévices corporels deviennent psychologiques, la torture des esprits finit par provoquer des tentatives de suicide. Dans les sociétés occidentales, le monde du travail est cannibale. Il connaît des dérives dangereuses. Le stress permanent et la compétitivité à outrance ne sont que les expressions d’une certaine forme d’oppression de l’entreprise. Les employés ne sont que des moyens de production comme d’autres, de sorte de zombies qui mécaniquement sont programmés pour des taches bien précises. Avec la pauvreté des fins de mois et des budgets de plus en plus difficiles à tenir, les employés n’ont d’autre choix que d’adhérer massivement à ce « travailler plus pour gagner plus », cette invitation à plus de servitude pour un résultat discutable. Sous la menace des délocalisations massives, les employés sont obligés d’accepter des conditions esclavagistes, de renoncer au minimum social, leurs droits, pour tenter de sauver leur emploi et éloigner le spectre du chômage. Il y va de la survie de leurs familles et de l’avenir de leurs enfants. En Asie, le commerce de l’être humain passe par les filières de prostitution dont l’un des buts reste de satisfaire les besoins du tourisme, comme c’est le cas en Thaïlande où l’on estime à près de 2 millions d’esclaves prostitués. Mais ce « business » de l’homme sert également à alimenter les ateliers de production et à servir les intérêts économiques. A l’instar de l’Afrique, les enfants et les femmes sont les premières victimes de ce système qui couvre l’ensemble de la région du Sud-Est asiatique. Les ateliers clandestins chinois et vietnamiens sont fournis en esclaves ramenés des îles du Pacifique pour fabriquer à moindre coût des produits destinés au marché occidental (nord - 68 -


américain et européen). Tandis qu’au Mexique, les réseaux mafieux contrôlent le commerce des êtres humains, utilisés dans le commerce de la drogue ou transférés aux Etats-Unis pour faire le bonheur des fermes agricoles. D’après Interpol, tous les continents seraient touchés par cet esclavage moderne, des Amériques à l’Europe, du monde arabe à l’Afrique sans oublier l’Asie, la traite des êtres humains affecterait la totalité des régions du monde. En Inde et au Pakistan, cet esclavage se traduit par une sorte de « servitude pour dettes » qui consiste à rembourser un prêt par un travail astreignant à la limite de la légalité. Quelques fois, il arrive que des personnes soient obligées de rembourser une dette exorbitante contractée auprès de passeurs pour entrer dans un pays illégalement, en travaillant dans des ateliers clandestins, comme c’est le cas en France et au Royaume Uni. De cette servitude pour dettes découle le travail forcé, assez répandu en occident, qui lui représente l’une des formes les plus violentes de l’esclavage moderne. Recrutés illégalement, ces travailleurs sont soumis à la menace de sévices ou de punitions. On y retrouve des « Etats », des « partis politiques », des « particuliers » qui par le recrutement illégal comme il a été dit précédemment, par exemple de « domestiques », encourageraient leur asservissement. Entre confiscations des papiers d’identité et les horaires de travail, normalement jugées inacceptables, sans congés et autres renumérotations, le travail forcé est l’un des cancers qui rongent les sociétés occidentales. Il n’y a pas si longtemps, l’Allemagne nazie bâtissait sa puissance sur le travail forcé de plus de 10 millions de personnes dont la majorité était des étrangers, prisonniers de guerre ou juifs. De même le Japon mit en esclavage près de 20 millions d’êtres humains, et l’Union soviétique élabora le vicieux système des Goulag. De nos jours, c’est la fameuse « reforme par le travail »[11] chinoise qui incarne le mieux cette dérive.

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Alors comment mener le combat contre l’esclavage moderne ? Avec des millions de victimes chaque jour, sur tous les continents, la réponse est compliquée. D’abord, il faudrait que les Etats africains et arabes se décident, sans attendre la pression des Ong internationales, à mettre fin définitivement à cet esclavage qui se pratique sournoisement. Il serait judicieux que les législations s’arment contre ces formes d’exploitation et que les services sociaux puissent avoir les moyens de réinsérer dans la société les victimes. Aussi, que ce soit en Occident, aux Amériques ou en Asie, le démantèlement des circuits mafieux et la fin de l’impunité puissent être les priorités des Etats[12]. Pour ce qui est du travail des enfants, la consommation dite « citoyenne » alliant le boycott à l’exigence de « produits propres »[13] appuyé par des campagnes de sensibilisation, peut constituer une réponse intéressante. Même comme le boycott peut se révéler à double tranchant en ce sens que par crainte de voir chuter leurs bénéfices les entreprises responsables de ce trafic se débarrassent rapidement des enfants qui se tourneront faute de moyens de subsistances vers l’informel (des métiers plus difficiles donc plus dangereux) et la prostitution. Ainsi le boycott n’est efficace que s’il est associé à l’aide à la scolarisation et à la protection[14]. Le développement du commerce équitable est également un moyen de s’assurer de la « propreté » des produits, la garantie que les travailleurs sont suffisamment rémunérés et que l’on ne se perd par dans les méandres de la sous-traitance. D’une part, l’action d’Interpol dans la lutte contre la pornographie infantile démontre que, en tant qu’organisation internationale de répression de crimes, elle peut contribuer à mettre hors-jeu les pires prédateurs sexuels (Vico etc.). Elle fait le pari qu’en « tapant » sur la « demande » forcement cela fera diminuer l’ « offre ». Une stratégie intelligente qui avec des actions d’éclat porte un coup à ce commerce.

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En somme, des solutions existent mais tout dépend de la volonté politique. Lorsque les dépenses militaires ou les conquêtes de l’espace engloutissent des centaines de milliards d’euro chaque année et que le dixième de ces dépenses pourrait mettre fin à certaines situations plus urgentes, l’on se dit que l’on vit sûrement sur la même planète mais pas dans le même monde. En attendant donc le « miraculeux réveil » de la communauté internationale, l’esclavage continue à se conjuguer au présent.

[1] "Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes" [2] "Supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n’y recourir sous aucune forme" [3] Selon Maurice Lengellé-Tardy dans "L’esclavage moderne", il y aurait « aujourd’hui 200 à 250 millions d’esclaves adultes à travers le monde auxquels s’ajouteraient 250 à 300 millions d’enfants de 5 à 14 ans au travail ». [4] « Le travail forcé constituait exactement les mêmes conditions pour les africains que dans les plantations : surexploitation, punitions corporelles, statut d’infériorité, répressions violentes, massacres. » - Source Wikipedia. [5] L’on estimait qu’en 1994, 11 millions d’habitants, soit 45 % de la population, sont esclaves – selon AntiSlavery International. [6] Ce n’est qu’en 1962 que l’Arabie Saoudite interdit l’esclavage. [7] « Ainsi, ce sont près de 350 000 personnes, coptes pour la plupart, qui vivent du ramassage et du tri des ordures. Parmi eux, on compte 180 000 - 71 -


enfants. Le quartier croule sous les ordures. Les "Zabaleen du Caire ” vivent de la collecte et du recyclage des poubelles de la cité. Partout dans les ruelles sombres de la colline, une odeur lourde et âcre prend à la gorge et persiste. Les rues sont noires. Les toits ploient sous les tonnes d’ordures rapportées de la mégapole. Les rez-de-chaussée de chaque immeuble sont transformés en dépotoirs qui débordent de détritus que trient à mains nues les femmes et les enfants. » - Source Unicef. [8] « Actuellement, il y aurait environ 300 000 enfants soldats dans le monde, impliqués dans une trentaine de conflits ; un tiers d’entre eux se trouvent en Afrique subsaharienne et dans les conflits réguliers en République démocratique du Congo, en Colombie (où entre 11 et 14 000 enfants feraient partie des forces paramilitaires) et au Myanmar (où 20 % de l’armée serait composée de mineurs » - Source Human Rights Watch. [9] Selon le Bureau international du travail (BIT), 250 millions d’enfants de 5 à 14 ans travailleraient actuellement dans le monde, dont 50 à 60 millions dans des conditions dangereuses. [10] Sur les 250 millions d’enfants qui travaillent – pour la moitié d’entre eux à temps plein –, 61 % vivent en Asie (dont un million dans le commerce du sexe), 32 % en Afrique et près de 7 % en Amérique latine. Deux millions de jeunes sont aussi concernés en Europe, notamment en Italie, en Allemagne, au Portugal et au Royaume-Uni. D’après le Sunday Telegraph, des centaines d’enfants arrivent chaque année en Grande-Bretagne pour travailler dans les restaurants, les ateliers textiles ou pour se prostituer. [11] Le système des Laogai en Chine. [12] « En France, où plusieurs milliers d’enfants vivent en dehors de toute scolarisation, bon nombre d’entre eux sont exploités, auxquels s’ajoutent ceux qui, sous couvert d’apprentissage, sont en fait déjà dans le monde du travail et de la production. Mais l’opacité la plus totale règne sur ces réalités. » - Source Unicef [13] En Inde, l’industrie du diamant emploie 20 % d’enfants, qui sont payés six fois moins que les adultes ; au Pakistan, dans la ville de Sialkot, 14 000 enfants sont employés dans l’industrie du ballon de football aux côtés de 42 000 adultes, mais ils gagnent 2 à 4 fois moins. - Source : M. Bonnet,

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« Regards sur les enfants travailleurs. La mise au travail des enfants dans le monde contemporain. Analyse et études de cas ». [14] « Dans le but de rassembler ces efforts, l’OIT a mis sur pied en 1992 le programme IPEC (International Programme on the Elimination of Child Labour, « Programme international pour l’abolition du travail des enfants »), visant en priorité les pires formes de travail, celui des filles et des moins de 12 ans. En plus des évaluations globales citées plus haut, le programme coordonne les acteurs autour de plans d’action et tente de trouver des solutions économiques avec les employeurs. Dans son rapport de 2006, l’IPEC estime que « les efforts engagés un peu partout dans le monde pour combattre ce fléau ont donné d’importants résultats », mais qu’une importante mobilisation reste nécessaire » - Source Wikipedia.

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Famine en Afrique : des idées contre la fatalité La famine n’a pas attendu l’euphorie médiatique autour de la crise alimentaire, ni le débat sur les agrocarburants pour toucher violemment les pays africains. Des milliers de familles sont en proie à ce fléau qui a des conséquences tsunamiques sur l’avenir de tout un continent.

Le sommet du FAO tenu dans la capitale romaine, il y a quelques semaines, s’est efforcé, ou du moins a donné cette impression, à trouver des remèdes à cette maladie terrible qu’est la faim dans le monde. Malgré les prêches de prédicateurs présents, les dirigeants les plus puissants et des séances presque d’exorcisme, le miracle n’a pas eu lieu. Quelques milliards offerts gracieusement à ces millions de personnes qui chaque jour se meurent aux autres bouts de la planète, la communauté internationale s’est acheté une conscience et rapidement les émeutes de la faim ont été - 74 -


catégorisées comme des « incidents » contre lesquels on ne veut pouvoir rien faire. Les raisons de la recrudescence de la famine sont multiples : la déforestation anarchique, la mauvaise modernisation du secteur agricole permettant l’usage de produits dangereux, le climat accentuant une désertification des terres et l’aridité des sols, etc. Si le manque d’eau demeure un problème majeur dans la lutte contre la famine en Afrique et qu’il contribue à l’affaiblissement substantiel de l’activité agro-pastorale (champs et bétail), il ne saurait expliquer à lui seul la virulence de ce mal comme l’on tend à le faire croire. Le problème est plus profond qu’il n’y paraît. Des pays comme le Cameroun ou la République centrafricaine sont affectés par la faim au même titre que le Kenya ou l’Ethiopie, ainsi malgré une pluviosité plus importante ils ne sont pas à même de parvenir à une situation de sécurité alimentaire satisfaisante. D’un autre côté, les pays semidésertiques ou désertiques de l’Afrique du Nord, dans le monde arabe, en Asie du Sud-Est arrivent au détriment d’un climat agressif et d’une quasi-absence d’eau à atteindre un seuil d’autosuffisance alimentaire enviable en Afrique subsaharienne. Alors la question ici est de savoir comment font-ils eux pour remplir, envers et contre la nature moins clémente, les conditions nécessaires pour développer leurs activités agro-pastorales ? Simplement en se réappropriant les « technologies traditionnelles » selon le mot de Vincent Kitio[1]. En effet, c’est grâce aux connaissances traditionnelles et aux techniques « de soulèvement d’eau des rivières et des eaux souterraines à des fins d’irrigation » que ces pays ont pu en partie « augmenter la production alimentaire ». Dans ce type de technologie nul besoin d’organisme génétiquement modifié, d’une utilisation excessive de pesticides et autres produits - 75 -


chimiques, c’est dans l’exploitation naturelle des éléments de l’environnement (l’effort humain, l’apport des animaux, la maîtrise du vent et du potentiel hydraulique même insignifiant) que les populations de ces pays parviennent à produire suffisamment pour se maintenir à l’abri des désastres que l’on a pu observé un peu partout en Afrique subsaharienne. Certes cela peut paraître irréaliste et totalement hors de propos, mais il convient de rappeler que ces technologies traditionnelles ont fait leur preuve durant des siècles en Europe[2], en Asie et en Méditerranée bien avant l’arrivée de techniques révolutionnaires, coûteuses en énergie et extrêmement polluantes. Pour un continent qui n’a pas encore les moyens de sa politique agricole et face aux subventions des productivités agricoles occidentales, cette vulgarisation des technologies traditionnelles en Afrique subsaharienne pourrait constituer une réaction, a minima peut-être, des gouvernements en vue d’assurer au moins une autosuffisance décente sans toujours tendre la main à l’aide alimentaire avec ses aléas. C’est là une « solution durable » à la sécheresse et aux grandes et virulentes famines qui interpellent en même temps qu’elles stigmatisent douloureusement un continent qui n’en a que faire de la pitié du monde. La famine en Afrique est un sujet qui reste au cœur de tous les débats et avec les émeutes de la faim de ces derniers mois, tout a été dit sans que jamais rien de concret ne puisse se faire. Pourtant c’est une situation qui aurait pu être évitée et les effets plus maîtrisés, mais face à la corruption, la mauvaise gouvernance, le changement climatique et le réflexe d’assistance alimentaire, l’Afrique subsaharienne s’est renfermée dans une dépendance terrible qui influe sur les initiatives individuelles et collectives empêchant toute « liberté »[3]. Les technologies traditionnelles à l’instar de la - 76 -


roue perse[4], de la noria[5], du sakia[6] ou de la pompe à vent pourraient contribuer à résoudre partiellement, mais durablement ce « handicap » africain. Cette réappropriation des techniques ancestrales et universelles donnerait ainsi l’occasion aux intellectuels et autres scientifiques africains de faire preuve d’audace et d’originalité quant à la manière la plus efficace de lutter contre la famine et à favoriser la vulgarisation de pareilles technologies à toutes les couches sociales à des prix abordables. Ce qui n’est pas souvent le cas des technologies modernes occidentales. Il va de soi que cette solution (qui n’est en fait qu’un moyen) ne saurait constituer la finalité des politiques africaines de lutte contre la famine, car il faudrait une réforme structurelle et institutionnelle profonde pour parvenir à une véritable sécurité alimentaire, c’est-à-dire l’accessibilité pour chaque individu et à n’importe quel moment, à une nourriture quantitativement et qualitativement suffisante pour mener une vie saine et active, selon la formulation de Pierre-Jean Rocca de l’IFAID – Aquitaine. Et cette ambition nécessite la disponibilité de fonds financiers pour faciliter la distribution de la production alimentaire, de la stabilité politique pour créer et maintenir ces circuits de distribution, mais plus fondamentalement la capacité économique des populations à accéder convenablement et aisément à cette nourriture. Quand l’on voit les massacres et les tueries des conflits armés qui ravagent l’Afrique subsaharienne, la complexité de ces situations de guerre permanentes sur fond de disputes géostratégiques et énergétiques, sans oublier l’opacité dans la gestion des économies nationales, il est difficile d’être optimiste. Mais, si, à un niveau plus individuel, chaque Africain pouvait s’interroger sur l’efficacité des techniques traditionnelles liées aux activités agro-pastorales, et adopter ces technologies, propres et abordables, qui ont permis à d’autres peuples de palier le déficit des conditions naturelles - 77 -


favorables, la famine peut être vaincue avec l’irrigation des terres inexploitées, l’approvisionnement des marchés locaux en légumes, tubercules et autres produits agricoles. De la noria[7] au sakia en passant par la roue perse[8] ou la pompe à vent[9], toutes ces méthodes devraient permettre au paysan africain de soulager la rudesse de la sécheresse ou d’exploiter intelligemment les « ruisseaux » et les « rivières » qui existent en zone tropicale. Ce qui équivaudrait à une autonomisation du fermier africain face aux « pénuries alimentaires » actuelles. En attendant que se concrétisent des volontés politiques louables, mais encore loin d’être réalisables, il suffit désormais que les Africains pensent utilement et aient des idées contre la fatalité.

[1] Vincent Kitio est architecte camerounais et expert en énergie renouvelable et en technologies appropriées pour le développement durable. Il travaille au siège de l’organisation onusienne sur l’habitat, UNHABITAT, à Nairobi, en qualité de conseiller en énergie. [2] « Les Romains comptaient sur les systèmes d’irrigation pour assurer la sécurité alimentaire dans l’empire. Des architectes et ingénieurs romains ont élaboré différentes techniques, tel que le décrit Vitruvius en 01 avant J.-C. dans ses Dix Livres sur l’architecture, afin d’appuyer leur agriculture. Certains de ces systèmes d’irrigation ont survécu jusqu’à ce jour. » - source Vincent Kitio [3] « Il y a plusieurs années, une agriculture dépendant de la pluviométrie ne constituait pas un handicap en Afrique, puisque des communautés entières pouvaient migrer des zones frappées par la sécheresse vers des pâtures plus vertes. Tel n’est plus le cas faute de terres disponibles. » - source Vincent Kitio. [4] « On estime qu’une roue perse peut irriguer jusqu’à un hectare de terres. » - source Vincent Kitio. - 78 -


[5] « Les norias trouvées en Espagne furent introduites pendant la domination musulmane, avec deux ensembles de seaux de chaque côté de leurs jantes. D’autres ont deux roues sur le même arbre, permettant au système d’augmenter la quantité d’eau puisée. Des prêtres espagnols introduisirent les norias en Mexique au cours de la période coloniale. Certains d’entre eux sont toujours en activité dans les fermes situées dans la partie Nord du pays. » - source Vincent Kitio. [6] « Selon la Station égyptienne de recherche et d’expérimentation hydraulique, plus de 300 000 sakias sont en utilisation dans la vallée et le delta du Nil, surtout conduits par des animaux. Un sakia de 5 m de diamètre peut puiser 36 m3 d’eau par heure. » - Vincent Kitio. [7] « Certains fermiers à Hama utilisent la noria dans l’agriculture urbaine. Et occasionnellement, lorsque la circulation de l’eau ne suffit pas pour faire tourner la roue hydraulique, on a besoin jusqu’à cinq pompes à moteur pour soulever l’eau vers l’aqueduc. Cette technologie aussi vieille que le monde convient bien au mode de vie rural en Afrique, surtout avec la montée du prix du carburant qui est déjà en train d’avoir un impact négatif sur la croissance économique. » - Vincent Kitio. [8] « Dans la région entre l’Inde et le Pakistan, les roues perses, connues comme des Rahat à Urdu, sont des instruments traditionnels utilisés pour l’irrigation. Avant leur introduction dans la région, l’irrigation était une activité très ennuyeuse et inefficace, comme elle le reste aujourd’hui dans les zones rurales africaines où les gens doivent marcher sur de longues distances pour chercher de l’eau. L’introduction de cette technologie a amélioré la productivité agricole de façon sensible en Inde au Moyen Âge. » - source Vincent Kitio. [9] « De simples pompes à vent, par opposition à celles qui sont sophistiquées et coûteuses que l’on voit occasionnellement dans certaines zones rurales africaines, constituent une autre solution appropriée pour l’irrigation. Sur le plateau de la montagne de Lassithi à Crète, en Grèce, de simples pompes à vent ont été utilisées pendant plus de 400 ans pour irriguer la terre et produire des légumes, des fruits et du blé. Les zones côtières de l’Afrique et les régions montagneuses ayant des vents en permanence sont des endroits idéaux pour l’application de cette technologie. » - Vincent Kitio.

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L’Obamavalanche La barackie s’est emparée de l’Amérique. Il n’y a plus un seul coin de ce géant, qui n’a scandé comme un tube des années Kennedy, ce « Yes, we can » porteur d’espoir. Une partition jouée avec brio par un homme au carrefour des cultures, un maestro qui a su à coup d’audace et de charisme rassembler, autour de lui, les désabusés de l’ère W[1]. Son nom a lui seul incarne ce changement qu’il veut apporter à l’Amérique tout entière. Barack Hussein Obama, l’homme qui venait d’ailleurs. Né à Hawaii d’un père africain et d’une mère blanche, le jeune sénateur de l’Illinois a grandi au contact du monde, s’imprégnant de la diversité des autres civilisations. Il y a quatre années seulement, cet esprit brillant impressionnait les observateurs lors de la Convention démocrate avec son « Audacity of Hope » peignant sa vision d’une société libérée de ses propres démons et osant croire en elle-même. Un discours qui fit sortir de l’ombre le diplômé de Harvard, en même temps qu’il traça son destin jusqu’au seuil de la MaisonBlanche. Après une décennie d’administration Bush, plusieurs guerres et des milliards de dollars sur le carreau, l’Amérique est à bout de souffle et épuisée par cet énorme gâchis. Elle a besoin d’entrer véritablement dans le XXIe siècle, de se repenser et d’envisager un rôle certes prépondérant dans les affaires du monde, mais fondamentalement différent. C’est pourquoi, le « Change, we believe in » de Barack Obama a séduit le cœur des Américains, de cette jeunesse qui, dégoûtée par les mensonges de l’establishment, veut redonner de la fierté à un pays de plus en plus mondialement contesté. Le phénomène Obama a dévalé sur la scène politique américaine, emportant sur son passage telle une avalanche tous les prétendants à l’investiture - 81 -


démocrate, y compris Hillary Rotham Clinton, grandissime favorite. Drainant des foules entières dans ses meetings, adulé à l’instar des « stars » hollywoodiennes, Barack Obama électrifie ce qu’il touche et laisse en transe des milliers de personnes. Quelque chose de profond est en train de se passer du côté de l’oncle Sam, quelque chose qui va au-delà de la nouveauté et de la personnalité. Inexpérimenté, dit-on, Barack Obama aura prouvé qu’il est un redoutable stratège qui sait prendre des coups et en donner si nécessaire. L’homme marche vers sa destinée, qui pourrait l’arrêter ? Peut-être lui-même. Car s’il n’a fait que d’une bouchée de ses adversaires démocrates, il a montré des signes de fébrilité au cours de cette course à l’investiture, qui, dans un futur proche, pourront lui coûter plus cher qu’il ne le croit. La profonde Amérique blanche n’oubliera pas ses propos élitistes, encore moins le racisme anti-blanc de son pasteur, lui qui s’est donné tant de mal à être le premier politique de couleur à transcender la question raciale. Pour d’autres, son angélisme politique pourra poser un problème pour la sécurité américaine et la préservation de ses intérêts stratégiques. Il ne serait pas prêt pour diriger un pays de la stature de l’Amérique. Mais Bush l’était-il ? On ne devrait juger un arbre qu’à ses fruits. Pour l’instant, rien de concret n’indique que Barack Obama n’assumera pas efficacement la direction de ce pays. Au contraire, sa jeunesse et sa fougue, son insatiable boulimie sont autant de qualités qui font croire qu’avec lui l’Amérique ne sera plus jamais la même. Il y aura dans l’histoire des Etats-Unis, un avant et un après Obama. Car l’obamavalanche a déjà commencé à bouleverser tous les repères, toutes les idéologies, pour réconcilier l’Amérique avec elle-même, mais aussi avec le monde. C’est aussi là un signe que le changement n’est qu’à son début.

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[1] W comme Walker George Bush, prĂŠsident actuel des EtatsUnis.

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Yaoundé by night Un regard sur les enfants de la rue à Yaoundé, capitale du Cameroun, pays situé au coeur de l’Afrique. Ils sont des centaines à hanter les rues dans la quasi indifférence des autorités locales.

Quand s’éteignent les lumières de la nuit, sous les réverbères mal éclairés dorment les oubliés des soirées folles de Yaoundé. Couverts par de vieux cartons, ils se protègent contre un froid devenu sibérien au cours des années. Que sont-elles, ces choses que l’on évite au détour d’une rue comme si elles portaient les plaies les plus sombres de cette ville ? Que sont-elles, ces épaves qui se sont échouées au coin de l’insouciance de cet univers magnifique où brillent de pleins feux les guirlandes de cette fin d’année ? Ce sont des enfants[1], de jeunes adolescents qui se sont réfugiés dans la rue à l’abri d’un passé qui n’est jamais très loin[2]. Anciens enfants prodiges, futurs gangsters - 84 -


et déjà délinquants en puissance, nul ne sait exactement ce que leur réserve cette vie étrange dont le sens semble leur échapper. Ils sont désormais livrés aux féroces spectres de la nuit, ils ne manqueront à personne car au fond que sont-ils ? Rien d’intéressant, tout de déplaisant. Les passants qui s’en vont quelque part, à force de les voir tous les jours, se lassent de compatir et finissent par glacer leur sensibilité. A force de voir des corps couverts de papier journal sur les bancs publics, on finit par les effacer de ce champ qu’est le monde. Et à ne penser qu’à la magie de Noël et à se dire, un peu honteux, que la misère du monde on en est vraiment saturée. Le rond point central, carrefour de toutes les âmes solitaires, oasis nocturne de toutes les escapades amoureuses, étincelle la ville en lui donnant des allures féeriques. Surmontée par une tige l’étoile du berger éclaire le centre-ville comme pour indiquer aux passants qui se hâtent, le chemin du bonheur. C’est noël, l’on respire à chaque pas la vie. Les sourires sont accrochés à des visages joyeux, tandis que les centres commerciaux ne cessent d’accueillir l’enthousiasme monétaire des clients. Tels des spectres, ils hantent les lieux où l’argent coule à flot, ils s’agrippent aux bras des hommes et, avec leur français boiteux, réclament la charité, on leur offre de la pitié[3]. L’unique vraie réaction des autorités c’est d’envoyer des policiers pour qu’ils nettoient la ville de ces indésirables. Les services sociaux ont depuis renoncé à faire leur travail, faute de moyens. Seules les associations et les ONG locales essaient encore d’y croire[4]. Elles leur viennent en aide par une prise en charge afin de leur assurer une formation professionnelle concrète qui puisse leur permettre de sortir de la rue et de les arracher aux griffes de mafieux. Mais la tâche n’est pas aisée,

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surtout qu’un retour à cet enfer de la rue pour ces enfants, ces jeunes, ces frères n’est pas exclu. Il fait noir et froid en cette nuit de décembre, Yaoundé est en fête, des milliers de personnes viennent s’amuser et vivre de fabuleux moments. Il y en a qui traversent le Boulevard du 20 mai en trombe partagé entre les délires des festivals organisés ça et là, et les chants des sirènes de la rue de la joie. Arpentant les allées du Boulevard Kennedy, l’on retrouve en petites bandes ces adolescents de la rue, fumant du chanvre et buvant de la bière. A leur vue il faut être courageux pour rester sur le même trottoir, on dirait des pitbulls prêts à mordre. C’est la violence qui est leur langage, la seule politesse qu’ils connaissent, elle est l’expression de leur manière de vivre, d’être présent et accepté par un univers impitoyable. Doit-on pour autant les stigmatiser et les craindre ? Ce serait la pire attitude et de loin la plus irresponsable. Entre prostitution et esclavagisme moderne, la difficile existence des enfants de la rue dépasse tout entendement, il n’y a qu’à les entendre parler de leur quotidien pour mesurer l’ampleur du drame humain qui se joue dans les rues de cette capitale magnifique. Il ne faut pas être un expert en la matière ou un sociologue averti pour comprendre la souffrance de ces jeunes adolescents qui auraient pu avoir un parcours différent si seulement la vie ne leur avait pas réservé l’une de ses tragédies dont elle a le secret. Quand on regarde dans leurs yeux, on peut y entrevoir une envie de sortir de cette spirale infernale dans laquelle ils sont pris, en tenaillés entre les griffes des hommes décidemment plus prédateurs que loups. Il y a quelques mois, un journal local faisait sa une sur une histoire terrible d’un enfant retrouvé décapité et les organes génitaux volés, le corps fut retrouvé près d’une décharge municipale. Personne ne sait vraiment d’où il venait, on savait juste qu’il dormait dans la rue - 86 -


en compagnie d’autres adolescents de son age. Une nouvelle qui fit un grand émoi, et beaucoup de bruit. Malheureusement la mobilisation qu’avait suscitée cette affaire retomba en même temps que l’émotion qui l’avait porté. Nul ne sait encore combien d’enfants ont été victimes de ces réseaux depuis cette affaire, mais au fond qui se sent concerné ? Yaoundé ressemble à une princesse endormie aux premières heures de la matinée, quittant le cinéma Théâtre Abbia et en déambulant jusqu’à la Poste, elle offre à l’insomnieux une fraîcheur particulière, comme une sorte de caresse matinale. Mais pour ces enfants perdus qui grelottent sous le froid, les matinées sont rudes et moins imprégnées de romantisme. Une nouvelle journée a deja débuté, il faudra gagner quelques sous en multipliant les petits métiers, faire la manche ou s’adonner au larcin. Comme quoi la vie n’est pas toujours et pour tout le monde plein d’espoir.

[1] Des milliers d’enfants vivant dans la rue sans surveillance, sans éducation, sans amour ni attention, habitués à la violence et aux brutalités quotidiennes. Quel avenir y a-t-il pour ces enfants et pour notre pays ? –– Educateur d’enfants de la rue à Lubumbashi (recueillis par Human Rights Watch). [2] Après la mort de mes parents, je suis parti habiter chez mon oncle. Mais les choses allaient mal chez lui. Il était souvent ivre et alors il me battait. Il a pris des choses à mes parents mais il ne voulait pas s’occuper de moi. J’ai commencé à passer de plus en plus de temps dans la rue. –– Garçon de la rue à Kinshasa (recueillis par Human Rights Watch). [3] La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine est proclamée dans la Charte des Nations Unies. [4] La Déclaration universelle des droits de l’homme, les Nations Unies ont proclamé que l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales. - 87 -


Hillary Diane Rodham Clinton : l’insubmersible Malmenée par les médias et incomprise par une partie de l’opinion, elle n’a eu d’autre choix que de voir son principal rival lui ravir l’investiture avec une étonnante virtuosité.

De nombreuses personnes ne le savent pas, mais Hillary Clinton et Barack Obama à part le même appétit pour la Maison-Blanche ont un point en commun réel : Chicago. En effet, la sénatrice de New York est née dans cette ville phare de l’Illinois. Même si Chicago lui a préféré Barack Obama, Hillary sait ce qu’elle doit à cette agglomération urbaine où elle a affûté ses premières armes et forgé une de ces redoutables personnalités qui fait dire à la plupart des spécialistes de la politique américaine, qu’elle reste l’une des femmes politiques les plus brillantes de l’histoire des Etats-Unis. Pourtant cette inaltérable ambition n’a pas suffit à résister à l’« Obamavalanche », super favorite dès le début des primaires démocrates, la sénatrice a vu son rêve, d’être la première - 88 -


femme à occuper le bureau ovale, pulvérisé par le phénomène métis venu de nulle part. Malmenée par les médias et incomprise par une partie de l’opinion, elle n’a eu d’autre choix que de voir son principal rival lui ravir l’investiture avec une étonnante virtuosité. A l’heure où l’on spécule sur son avenir et que l’on prononce les oraisons funèbres, l’ex-first lady laisse courir et se prépare déjà pour un après qui ne se fera sans doute pas sans elle. Toutes les voies menant à Hillary. Issue de l’establishment, Hillary Clinton incarne le dynamisme à toute épreuve, celui qui marche sur les échecs pour avancer droit vers le but fixé. Une force de caractère qui lui a permis de survivre à d’importants échecs tels que celui de la réforme du système fédéral de santé abandonnée en 1994 sans qu’elle puisse être présentée au Congrès, ou la déferlante médiatique autour de l’affaire Whitewater en 1996 qui a manqué de briser totalement sa carrière. Rescapée des humiliations liées aux infidélités universellement connues de son mari Bill, l’autre Clinton, Hillary est l’insubmersible qui provoque à la fois de la fascination et de la détestation. Raillée par les uns pour son côté libéral et progressiste inavoué, étiquetée gauchiste par les autres, elle ne laisse pas les gens indifférents. Il aura fallu attendre le surprenant revers dans l’Iowa pour la voir au bord des larmes et offrir au monde entier le spectacle d’une femme comme une autre, digne, fragile et humaine. Une sensibilité qui l’a poussée à s’engager pleinement pour la protection des enfants et la promotion des femmes au travers des projets comme un programme d’assurance maladie et des campagnes de vaccination pour les enfants, une extension du régime d’assurance santé pour les Américains les plus démunis et le financement des campagnes pour la lutte contre le cancer du sein. Une vision moins naïve de l’avenir, une approche du présent moins romantique et une volonté claire de changer par

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l’action, Hillary symbolise à merveille cette énergie inépuisable qui caractérise les emblématiques leaders. Coupable d’avoir votée pour l’entrée en guerre en Irak après avoir reçue la garantie formelle que celle-ci ne se ferait que dans le cadre des Nations unies, Hillary Clinton assume cette faute, mais ne regrette rien. La brillante diplômée de la Yale Law School est une téméraire qui tient à ses convictions et ne concède, sur le moment, que lorsque la conjoncture lui est fortement défavorable. C’est cette ténacité qui lui a permis de faire partie des juristes qui ont conseillé la commission judiciaire lors de la procédure de mise en accusation du président Nixon mouillé dans le Watergate. Et qui lui a donné les moyens de soutenir contre vents et marées les ambitions de son mari Bill Clinton, du poste de gouverneur de l’Arkansas au fauteuil de président des Etats-Unis. Un parcours riche en tout, chaotique quelques fois, mais jamais ennuyeux, loin de la success story presque hollywoodienne de son désormais candidat démocrate, Hillary demeure le porte-voix de cette Amérique profonde, blanche et ouvrière trop souvent méprisée et qu’elle a su convaincre avec des mots vrais venus du cœur. Egérie de l’électorat féminin et hispanique, d’ailleurs première minorité raciale, elle sera la pierre angulaire de la campagne démocrate dans les prochaines semaines, au risque de se transformer en faiseuse de roi. Un positionnement encore plus stratégique car en ralliant Obama, Hillary Clinton ramène dans ses valises, son expérience en politique intérieure et internationale afin de rassurer cet électorat inquiet par le jeunisme d’Obama dont les rares sorties sur les questions internationales et sécuritaires, surtout la plus récente sur le Proche-Orient, ont laissé plus d’un sceptique quant à la réalité de ce changement si longuement claironné qui commence à sonner creux. Hillary Clinton est donc une caution « crédibilité » indispensable au sénateur de l’Illinois. - 90 -


Alors loin du fameux « Game is over » martelé par de nombreux analystes, Hillary appose un « Not yet ! » couperet qui marque le début d’une nouvelle partie où elle jouera sa partition jusqu’à la réalisation d’une ambition indomptable et extraordinaire. Enervante, agaçante, vexante, travailleuse, pertinente ou combative, qu’on l’aime ou la déteste, ce qui est sûr c’est qu’Hillary est une pionnière en politique américaine, un exemple qui a déjà suscité des vocations chez des filles de toutes les générations, à commencer par… sa fille Chelsea. « I will survive » fredonne t-elle peut-être, un brin amusé par toute l’agitation autour de sa personnalité. Elle survivra à Barack Obama, à ce cirque médiatico-politique, elle en a l’habitude. N’a-t-elle pas survécu à une certaine Monica Lewinsky ?

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Journée Mondiale de l’Environnement : sur fond de crise alimentaire mondiale En célébrant la journée mondiale de l’environnement, la communauté internationale confrontée à de multiples attentes de la part des populations de plus en plus alertes sur les questions environnementales, doit s’interroger aujourd’hui sur les moyens à apporter pour le renforcement des dispositions et des politiques de protection de l’environnement.

Or après le cinglant échec de la Conférence de Bali sur le changement climatique tenue en décembre 2007 et visant à élaborer une suite au Protocole de Kyoto qui prendra fin en 2012, l’on voit mal comment elle pourra dans les prochains mois donner un nouveau souffle à ce processus quasiment au point mort. Pendant près d’une semaine, toutes les attentions ont été emprisonnées à Rome où s’est tenu le sommet du FAO, les dirigeants du monde ont tenté de trouver des solutions à la - 92 -


crise alimentaire mondiale qui menace de déstabiliser des régions entières et de provoquer l’une des plus grandes famines de ce début de siècle. Ils ont tenté. Sans plus, sans moins. Cette journée mondiale aura été l’occasion de rappeler aux principaux acteurs – pollueurs - de la planète, leur responsabilité quant à la nécessité de parvenir à des accords sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la préservation des ressources naturelles et leur gestion rationnelle. Il faut se souvenir que les changements climatiques sont l’un des facteurs déterminants dans la désertification, l’affaiblissement des agricultures dans les pays pauvres, la régularité des cyclones et la virulence des ouragans touchant principalement les régions d’Asie, d’Océanie et d’Amérique comme le récent cyclone Nargis en Birmanie dont le bilan ne cesse de s’alourdir. En effet, en gérant l’urgence à Rome les leaders mondiaux ont choisi de soigner les effets et non les causes. Le changement climatique est un problème de fond qui devrait constituer l’une des priorités de la communauté internationale. D’après le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), on estime que le changement climatique pourrait être à l’origine des bouleversements environnementaux, économiques et politiques majeurs au 21e siècle. Des inondations de plus en plus importantes, une sécheresse accrue et des incendies extrêmes, qui pousseront les populations à la migration. Ce qui aura un effet désastreux sur l’agriculture et la gestion des forets. Avec le « petit » incident « nucléaire » survenu en Slovénie, l’Europe a montré que les craintes d’un accident nucléaire grave à la Tchernobyl ne sont pas totalement disproportionnées. Quand l’on sait les conséquences dramatiques dans le court comme dans le long terme, d’un tel accident sur les hommes et - 93 -


sur les écosystèmes, trouver une alternative au nucléaire est une question de survie pour l’ensemble de l’humanité. On pourrait en dire de même pour le pétrole qui atteint des sommets, encore inimaginables il y a peu de temps. Provoquant les angoisses que l’on connaît sur un avenir définitivement pris en otage par la préservation d’intérêts inavoués. La grogne des pêcheurs européens se joignant aux cris de détresse des paysans kenyans, thaïlandais et mexicains illustre le ras-le-bol général qui règne au sein de cette catégorie de personnes qui ne demande qu’à vivre décemment de leur travail. La mode actuelle c’est de parler et de revendiquer « bio » et chacun de faire son « grenelle de l’environnement ». Si l’on peut se réjouir des progrès constatés dans l’éducation des masses aux questions environnementales : la nécessité d’appliquer au quotidien les règles de base pour réduire par exemple la consommation d’énergie et de l’eau, ou bien encore la pratique régulière du recyclage, l’utilisation des transports en commun pour les déplacements etc. Il convient de souligner que ces efforts aussi louables qu’ils puissent être, sans une révision des politiques énergétiques et une vulgarisation de nouvelles sources d’énergie dites propres, le monde ne vit que les débuts du pire. Et comme toute mode, la conscience verte vit son temps et finira un jour ou l’autre par lasser les populations qui en auront assez d’être les seules à payer l’ardoise lourde de l’immobilisme de la communauté internationale. Ainsi, la journée mondiale de l’environnement montre que même si l’environnement hante l’actualité au point de faire croire aux gens que cette journée se fête tous les jours, il n’est pas encore pleinement incorporé dans l’élaboration des politiques nationales et régionales. Seule l’Union Européenne a lancé il y a quelques mois un plan historique sur la réduction - 94 -


des émissions de Co2. Un signe encourageant et significatif mais pour le moment incroyablement isolé. Gérer la crise alimentaire en distribuant, honteusement, plus de 6 milliard de dollar, c’est faire semblant de croire que le problème se règlera aussi facilement. L’urgence ne devrait être qu’un prétexte pour pouvoir mettre sur la table les vraies questions et discuter des problématiques fondamentales pour notre planète. La célébration de cette journée mondiale de l’environnement est intervenue à un moment crucial dans la prise de responsabilité des leaders mondiaux. D’un coté le baril de pétrole s’envole avec le pouvoir d’achat des populations et de l’autre on rend responsable les biocarburants de l’envolée des prix des matières premières agricoles, de plus en plus de personnes s’interrogent sur la place que l’on devrait accorder à la protection de l’environnement, devrait-elle se faire au détriment de l’autosuffisance alimentaire ? Une belle bataille qui a commencé à Rome et qui risque de durer longtemps. En attendant, des millions de personnes et des générations entières risquent d’être les prochaines victimes de l’inaction et des tergiversations de nos leaders.

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L’angoisse de l’avenir.. La jeunesse camerounaise, comme toute la jeunesse africaine, face à la peur d’affronter un avenir sombre, entre chômage et délinquance, malgré des diplômes intéressants, s’interroge sur ces lendemains qui font déchanter. Pourtant, elle croit au changement même si le système tend à encourager le clientélisme, le tribalisme et la corruption.

Près d’un millier d’étudiants en ce jour de rentrée académique dans cet amphi de l’université de Yaoundé qui semble trop étroit pour contenir toute leur ambition et tout leur enthousiasme. Il fait près de quarante degré à l’ombre et ils sont entassés les uns sur les autres, jouant des coudes pour se faire de la place, comme si ici le véritable luxe c’est l’espace. Le professeur a du mal à se faire entendre, le microphone étant hors service depuis des lustres, sa voix fatiguée n’arrive plus à capter l’attention de cette petite chine qui lui fait face. Trublion, le public l’observe et lui envoie des paroles assassines qui, - 96 -


habitué, n’ont pas l’air de l’affecter. C’est de cette manière incongrue que l’on dispense les cours dans la plupart des écoles supérieures publiques au Cameroun. De nombreux jeunes étudiants entament ce parcours du combattant sachant déjà qu’ils auront tous peu de chance de faire carrière dans leur pays. En quête d’un meilleur avenir, ils donnent tout dans l’espoir de faire partie un jour à leur tour de l’élite impeccable qui se bronze au soleil monétaire. Mais ils le savent, la réalité est implacable, plus de 34 % des jeunes en Afrique subsaharienne sont des chômeurs selon un rapport du Bureau international du travail (BIT) de 2006 sur l’emploi des jeunes dans le monde, ce qui signifie qu’il y a peu de chance qu’ils puissent après l’obtention de leur diplôme trouver un travail décent. Le sous-emploi des jeunes est une préoccupation majeure dans l’élaboration des politiques de développement. Le Cameroun comme la plupart des pays de l’Afrique noire connaît une crise profonde de l’emploi des jeunes. Avec les programmes d’ajustement structurel menés dans les années 90 sous le contrôle des institutions de Bretton Woods, le Cameroun a connu une terrible descente aux enfers qui a plombé le niveau de vie de ses habitants, surtout celui des classes les plus populaires. La baisse des salaires des agents de l’Etat, la revalorisation de la monnaie nationale et de la diminution significative de la productivité des secteurs industriels, miniers, forestiers et agricoles a accru la pauvreté des ménages ainsi que la misère des foyers modestes. Des entreprises publiques ont dû fermer ou ont été privatisées provoquant du coup un choc terrible dans le domaine de l’emploi et celui-ci s’est traduit par des licenciements massifs, mais aussi par le renforcement d’un climat d’insécurité sociale. Les moyens alloués à l’enseignement et au Fonds national pour l’emploi (FNE), une sorte d’Agence nationale pour l’emploi - 97 -


(ANPE) à la camerounaise, ont été considérablement révisés, laissant dès lors sur le carreau la qualité de la politique d’éducation nationale et de l’emploi. Le système éducatif entier a presque été anéanti et la formation professionnelle s’est sensiblement appauvrie. Une situation qui a conduit à plus de corruption et d’opacité, décrédibilisant au passage les diplômes nationaux. Tous les observateurs sont unanimes sur le fait que le climat à l’heure actuelle est morose et cela se voit en partie à travers le taux d’échec record aux examens officiels, qui depuis ces dernières années plonge littéralement dans les abysses. C’est dans ces conditions particulières que les étudiants camerounais, à l’instar de ceux de l’université de Yaoundé, sont confrontés dès le début de leur parcours au problème du sous-emploi et à l’inexistence de débouchés. L’on peut facilement déceler dans les conversations et les débats, qu’ils ont aux heures de pause, une réelle angoisse de l’avenir. Quelle formation pour quelle vie ? Voilà en résumé la question qui taraude ces jeunes gens. Certains avouent que le choix de leur filière est motivé non pas par une certaine vocation, mais par le souci d’entrer dans les exigences du marché du travail. Alors, on constate que les filières professionnelles (économie, comptabilité, management, etc.) sont saturées tandis que les filières plus classiques comme les lettres sont désertées. Fait nouveau, le droit et la science politique ont depuis cinq ans le vent en poupe, sans doute à cause de l’amélioration de la fonction libérale et de l’impression que la politique enrichit. Et lorsque ces efforts ne suffisent pas, les jeunes Camerounais n’hésitent pas à tenter leur chance par la voie de l’immigration, clandestine ou pas. Tous les réseaux menant à Paris.

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Ils se donnent à fond, c’est indéniable les jeunes Camerounais sont de grands bosseurs. Et malgré la faiblesse de perspectives, ils cherchent à s’en sortir dans le secteur informel. C’est ici ce que l’on appelle la « débrouillardise ». C’est ainsi que l’on retrouvera dans les rues de Yaoundé de jeunes vendeurs à la sauvette, de « bensikinneurs », de laveurs de voiture, pourtant diplômés des plus sérieuses écoles. Souvent, en marge de cet informel dans lequel ils essaient tant bien que mal de survivre, il est courant que les jeunes Camerounais se réfugient dans les buveries, la prostitution et la délinquance, faisant des zones urbaines et industrialisées des lieux d’une forte dangerosité. Les agressions sur les personnes, les braquages et les délits de tout ordre sont le lot quotidien des habitants de Yaoundé dont les responsables sont dans la majorité des cas de jeunes, victimes des célèbres maux de Voltaire : l’ennui, le vice et le besoin. A ce stade, un constat s’impose froidement, l’éducation, contrairement aux idées reçues, n’est pas toujours la clé du problème. « La formation ne constitue en rien une garantie pour trouver un emploi décent » comme le soutient Dorothea Schmidt, économiste au BIT et co-auteur du rapport sur l’emploi des jeunes en Afrique subsaharienne. Beaucoup de jeunes diplômés ne se retrouvent-ils pas, par exemple, chauffeurs de taxi ou agents de sécurité ? Et quand bien même ils travaillent, ils sont très faiblement rénumérés ce qui en fait des personnes extrêmement pauvres comme le souligne ledit rapport : « un seul jeune sur dix gagne assez pour s’élever audessus du seuil de 2 dollars par jour ». Au Cameroun, le sous-emploi des jeunes n’est en fait que la partie émergée de l’iceberg qui cache d’autres réalités encore plus dramatiques comme l’incompétence et le clientélisme de l’administration publique. Ce qui a pour effet d’annuler toute volonté de réformer le système et de proposer des solutions - 99 -


rapides au sous-emploi des jeunes Camerounais. Les colloques et autres séminaires viennent et se succèdent sans que l’on puisse entrevoir une sortie de crise. L’atteinte du point d’achèvement, ultime étape du processus PPTE (Pays pauvres et très endettés), n’a pas jusqu’à ce jour apporté aux Camerounais la bouffée d’air frais qu’on leur avait promis. Il a fallu malheureusement qu’il y ait de fortes grèves estudiantines, "répressées" dans le sang et le silence, pour que le budget de l’enseignement supérieur soit revalorisé et que de nouvelles infrastructures soient construites. Un accord avec les partenaires sociaux et économiques visant à créer et à favoriser l’initiative individuelle au travers des petites et moyennes entreprises a été trouvé. Mais comme le remarquait judicieusement l’ancien ambassadeur américain à Yaoundé, Niels Marquadt, le problème du sous-emploi des jeunes réside plus dans la corruption, le manque de communication sur les différentes aides au développement allouées par les pays occidentaux, les ONG internationales et les organes onusiens et la lourdeur administrative que par l’absence de créativité et de qualification des jeunes Camerounais. Pourtant, le Cameroun gagnerait à s’inspirer de l’exemple des autres pays africains subsahariens qui ont mis en place des projets qui permettent aux jeunes de rester dans leur pays et de sortir de l’informel, à l’instar du Sénégal. Avec le projet Reva (Retour vers l’Agriculture) à destination de ces jeunes émigrés rapatriés des Canaries, le Sénégal offre une alternative à sa jeunesse, inquiète de son avenir. Un pari allant dans le sens du BIT pour qui le secteur agricole « doit continuer de jouer un rôle important dans les stratégies d’emploi des jeunes et dans les stratégies globales d’éradication de la pauvreté » en dépit « d’un exode rural croissant ». Ce qui conviendrait à un pays comme le Cameroun dont le secteur agricole représente la majorité des revenus de l’Etat. Il faudrait impérativement - 100 -


entamer des réformes qui auront pour but de le moderniser et de la rendre plus apte au commerce international. Ce secteur agricole est pourvoyeur de 40 % des emplois dans le monde. Et en Afrique subsaharienne, c’est l’un des principaux employeurs, avec le secteur informel, des jeunes. Mais il n’en demeure pas moins que l’Etat doit se diversifier en favorisant un climat propice à la création des entreprises par, d’abord, le renforcement de la formation professionnelle avec plus d’infrastructures et d’éthique, ensuite par l’allègement administratif et fiscal sur toute initiative de création d’entreprise en exigeant des quotas d’embauche de jeunes nationaux. Enfin, permettre l’innovation scientifique et technique par de pôles ou de centres de recherche, tout en adaptant les principes sociaux à la compétitivité, tributaire de la mondialisation. En attendant que les mesures énoncées soient prises en considération, les jeunes Camerounais, comme en cette journée de rentrée académique, ressentent une drôle d’impression que tout est joué à l’avance et que la méritocratie est un mot rassurant qui sonne creux, mais surtout qui ne parvient par leur ôter cette angoisse de l’avenir.

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L’iPhone et la fracture numérique Il y a quelques jours, les génies d’Apple ont présenté la nouvelle version de l’iPhone. Mais pour le reste de l’humanité les prouesses technologiques de ce nouveau bijou de modernité sont l’expression du terrible fossé entre les pays riches et les autres plus pauvres.

Il y a quelques mois le monde découvrait l’iPhone, le nouvel appareil multifonctionnel fascinant et révolutionnaire d’Apple. Il a donné au monde un avant-goût de ce que sera ce siècle naissant : innovant et impressionnant. Et il y a quelques jours, les génies d’Apple ont présenté la nouvelle version de l’iPhone. Mais pour le reste de l’humanité qui n’a pas les moyens de - 102 -


s’offrir un iPhone et qui se contente de suivre péniblement la marche du siècle, les prouesses technologiques de ce nouveau bijou de modernité sont l’expression du terrible fossé entre les pays riches et les autres plus pauvres. Même si aujourd’hui les efforts pour permettre aux populations les moins nanties d’avoir un accès facile aux nouvelles technologies de l’information et de la communication sont considérables, force est de constater qu’ils sont loin de permettre la réduction significative de cet écart abyssal. Car comme le constate chaque année les principales organisations internationales (Unesco, Onu, Commonwealth), le fossé numérique entre l’Occident et les restes du monde est toujours important. Et la principale victime de cette situation est sans nul doute la jeunesse. Surtout celle de l’Afrique subsaharienne qui a du mal à comprendre le sens de l’expression « nouvelles technologies de l’information et de la communication » (NTIC) et de saisir du coup toutes les implications de ce concept. Il n’est pas étonnant, ni guère surprenant, de rencontrer des jeunes en Afrique noire ne sachant pas comment se servir d’un ordinateur, encore moins d’un téléphone mobile. Ils sont souvent les acteurs des conflits armés qui embrasent le continent, comme en République Démocratique du Congo ou au Tchad, enrôlés souvent dans des milices et victimes des plus graves violations du droit international des droits de l’homme et humanitaire. Ou les victimes d’un système qui du mal à se construire sur de véritables piliers. Pour eux, survivre au quotidien de plus en plus difficile est un exploit. Ainsi la survie devient l’unique but de leur existence. Des régions entières plongées dans une sorte de black-out et coupée en partie du monde moderne, où la pauvreté et la misère humaine se sont durablement installées. Car il est vrai que parler de NTIC, c’est supposer un minimum d’infrastructures et de développement, - 103 -


donc plus de stabilité institutionnelle, des avancées dans le processus de démocratisation et de bonne gouvernance. C’est seulement dans ces conditions que la vulgarisation des NTIC, dont le plus célèbre composant est l’Internet, peut atteindre tous ses objectifs, c’est-à-dire une véritable ouverture culturelle, sociale et économique sur le monde, mais aussi un support dans le développement individuel et collectif. Quelquefois il contribue au triomphe de la vérité. L’iPhone constitue un phénomène important en Occident, l’on parle déjà d’objet culte, tellement il est vrai l’intelligence humaine n’avait pas, depuis des années, atteint une pareille dimension, au point de faire dire à certains spécialistes que la seule limite de l’intelligence humaine à présent, c’est sa propre imagination. Loin de ce tumulte, le petit Berbère du Sahel, conduisant son troupeau à la recherche de verts pâturages et sans GPS, pourrait presque se moquer de cet « événement » en montrant ses pieds nus brûlés par le sable chaud du désert. Seulement avec près d’1 % de taux d’alphabétisation en Afrique subsaharienne en 2007, la majorité des enfants africains est maintenue dans une insupportable ignorance. Pourtant, les NTIC peuvent être un moyen d’apprentissage nouveau alliant l’interactivité et la créativité afin de proposer à ces jeunes esprits un éventail d’options pour leur avenir. Nombreux sont les gouvernements appuyés par les instances internationales, tels le Pnud ou l’Unicef, qui ont mis en place des programmes nationaux qui peuvent renforcer les systèmes de formation et d’éducation de leur jeunesse mais également favoriser l’éclosion de l’initiative individuelle économique et ainsi de lutte contre le sous-emploi des jeunes. De cette volonté de vulgarisation, est née un tout autre phénomène en Afrique noire, celui des cybercentres plus connus sous le nom de « cybercafés », une sorte d’Internet de proximité qui a permis

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de combattre les discriminations numériques et d’atténuer, du moins en apparence, le sentiment d’injustice sociale. Mais cet impact des NTIC demeure limité aux zones urbaines ou aux grandes métropoles, faisant de ces espaces abandonnés des territoires où l’on continue à s’accrocher à l’archaïsme et au rudimentaire. C’est dans cette perspective de désenclaver numériquement les zones rurales qu’une équipe de jeunes étudiants de l’université catholique de Yaoundé au Cameroun a proposé, au cours des universiades réunissant la crème du talent académique, la réalisation d’un projet qui pourrait permettre, par un système de connection en ligne, à certaines localités et bourgades retirées de pouvoir vendre directement à d’éventuels acheteurs occidentaux leurs produits agricoles. Un projet qui exige la familiarisation à l’outil informatique entre autres, un moyen judicieux d’inciter les autorités à soutenir l’appropriation par les milieux populaires des nouvelles technologies de la communication et de l’information. L’on peut alors s’étonner de voir l’immense succès de l’iPhone ébranler la vie des gens quand en face une certaine catégorie de la jeunesse mondiale n’a jamais vu un ordinateur et ignore tout de ce que c’est qu’un téléphone mobile. Une étude belge menée par le Centre de recherche et d’information des organisations des consommateurs (CRIOC) en 2006 a montré que plus de 80% des jeunes belges âgés de 9 à 18 ans possède un GSM. En Afrique, le GSM est encore un luxe que ne peut s’offrir la plupart des jeunes, et même quand ils y arrivent c’est plus dans un certain conformisme étranger, un besoin de s’assimiler quelquefois au-delà de leurs moyens financiers que dans un esprit d’enrichissement personnel. Ceci pour dire que la jeunesse africaine a du mal à s’approprier les NTIC et à participer par ricochet à la construction du - 105 -


« village global ». Il en va de même pour le « web 2.0 », une expression à la mode que l’on accroche à chaque propos pour faire chic, intelligent et branché. Cette jeunesse africaine est aujourd’hui spectatrice d’un monde qui est en train de bouger, et elle ne parvient pas à s’arrimer au train de la modernité à cause du gaspillage et de l’irresponsabilité des gouvernements. Et malgré la profusion des « blogs » qui montrent la soif des jeunes Africains à plus de démocratie participative, de libéralisation de l’opinion, d’exposition culturelle et de reconnaissance artistique, ils sont très peu à réellement tirer, en Afrique noire, avantage de cette révolution. Les atouts des NTIC ne sont finalement que modestement exploités. Tandis que dans certains pays à l’instar du Congo Brazzaville, du Gabon et du Cameroun, l’on a réduit considérablement la taxe sur les produits en rapport avec les NTIC (matériel informatique), on constate paradoxalement que ceux qui profitent des efforts gouvernementaux ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin. Le business des NTIC est devenu tellement juteux qu’il constitue, dramatiquement, l’une des sources de corruption des pays africains. Dans les années 1990, bien avant l’hystérie que suscite l’iPhone, sous « l’impulsion des ONG internationales, l’Internet a été introduit en Afrique, ce qui concordait avec la concrétisation du processus de démocratisation dans la majeure partie des pays d’Afrique noire ». Il fallait absolument « pallier les difficultés des moyens de communication traditionnels tels que la route, la poste, le téléphone, etc. mais aussi ouvrir les cultures, les civilisations et les économies africaines à la mondialisation en soutenant le développement social ». Près de vingt ans après, le bilan est fortement mitigé, et la jeunesse de ces pays semble être au ban de son temps. Il est vrai que d’une part, il convient de se réjouir de la profusion des cybercentres, de la multiplication des instituts de formation professionnelle - 106 -


liés à l’innovation technologique, de la création des filières techniques, et de la vulgarisation - timide - de l’outil informatique dans les écoles primaires et secondaires. Mais également, d’autre part, l’on peut s’interroger sur les effets pervers de ces NTIC sur l’ensemble des jeunes Africains. Ces derniers ont tendance à l’acculturation au contact de ces nouveaux outils, à la déviance en voulant imposer à leur société des « acceptations » d’ailleurs, à l’usage plus immoral de ces armes, à trouver des moyens - fuyant l’oppression politique ou l’insupportable pauvreté - pour s’évader plus ou moins clandestinement vers l’Occident au travers des réseaux de prostitution. L’une des conséquences majeures de cet abus chez les jeunes est la recrudescence ces dernières années de l’adoption de comportements dangereux et criminels comme l’escroquerie ou l’arnaque sur le web. L’iPhone porte la vision de ce siècle naissant, une vision de renouvellement incessant, de dépassement des limites et de refoulement de toutes les complexités. Un monde sans frontières, plein de créativité et d’audace. Un monde où la jeunesse africaine se doit de trouver sa place en mettant pleinement à profit les opportunités qu’offrent les NTIC. C’est de cette manière aussi qu’elle pourra peut-être atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement et relever le défi du millénaire.

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Les démocraticides africaines Durant des décennies, l’Afrique n’a été que l’ombre d’ellemême, déchirée par les influences occidentales, emprisonnée dans la spirale des luttes fratricides au nom souvent de cette liberté que l’on s’empresse de bâillonner au contact de cet opium qu’est le pouvoir.

Ils s’appellent Wilfried et Ferdinand. Personne ne se souvient d’eux aujourd’hui, pourtant cela fait cinq mois seulement qu’ils sont tombés dans les rues de Douala, fauchés par les balles des forces de l’ordre. Des noms de jeunes qui sont allés mourir dans l’anonymat comme ceux de ces héros nationaux enterrés loin de la splendeur des palais de marbre où se maintiennent les pires tyrans africains. Plus de quarante années après les indépendances fêtées dans l’allégresse des promesses de liberté - 108 -


et de souveraineté, les désillusions ont accompagné l’appauvrissemement du continent, avec et toujours le même goût amer. Le néocolonialisme, couvert par des noms d’emprunt tels que la coopération, la françafrique et l’amitié, a fait et défait les rois africains au gré de nombreux intérêts, piétinant au passage avec mépris les volontés des peuples. Durant des décennies, l’Afrique n’a été que l’ombre d’ellemême, déchirée par les influences occidentales, emprisonnée dans la spirale des luttes fratricides au nom souvent de cette liberté que l’on s’empresse de bâillonner au contact de cet opium qu’est le pouvoir. En marchant du côté de Douala, il est étonnant de remarquer que les rues sont hantées par les « fantômes des autres », de ces personnages venus d’ailleurs et qui furent pour la plupart les fossoyeurs de ce continent. « Avenue Charles-de-Gaulle », « Boulevard Sarvognan-de-Brazza », « Rue Foch », « Avenue Kennedy »[1], tous ces noms prestigieux qui ont mis l’Afrique à feu et à sang avec le résultat que l’on connaît : liberticides et génocides. Le drame africain n’est pas celui dénoncé à Dakar, c’est celui d’avoir continué son assimilation au-delà de la colonisation. D’avoir cru se libérer des chaînes de l’aliénation pour mieux s’engluer dans une mentalité cannibale qui égoïstement a fragmenté la société africaine en strates d’individualisme où l’on ne veut pas voir son frère atteindre le même bonheur que l’on s’offre à soi-même. Quand les balles ont fusé ce mois de février dans les ruelles de Douala, criblant les poitrines de jeunes manifestants contre la pauvreté et criant leur angoisse, c’est l’espoir de toute une nation que l’on a tué. Et ce sang qui a souillé cette terre déjà rougeâtre, est allé nourrir les frustrations des nouvelles générations. Qu’importent les discours de rupture de la bouche de ceux-là qui vont rendre ensuite hommage aux dinausores africains, dans les beignetariats de New-Bell où se réunissent les jeunes des - 109 -


quartiers populaires, autour d’une bouillie infecte qui donne malgré tout plaisir à boire, l’on ne se soucie plus guère de cette macabre comédie dont les meilleures représentations se font dans les conférences internationales. Les années succèdent aux années, tandis que les marchés de Douala deviennent de vraies porcheries à l’image de toute la ville, les mêmes dirigeants se succèdent à eux-mêmes lors de consultations électorales qu’ils organisent à l’africaine[2] selon le bon mot d’un Pascal Lissouba à son firmament à l’époque. Une tradition bien ancrée dans les mœurs et ce depuis les années de guerre froide jusqu’à l’avènement du multipartisme dès 1990. Imposé par le sommet de la Baule, le multipartisme n’est venu multiplier que la misère des peuples, mais aussi le nombre d’affamés, pseudo politiciens, faussement légitimes qui exploitent la faim des populations pour assouvir leurs ambitions. Au travers d’incessants tripatouillages constitutionnels, les pères de la nation et autres démagogues se sont offert l’éternité et la démesure. Une démesure qui défile indécemment dans les avenues de Douala au volant des voitures les plus onéreuses, dévalisant les magasins de luxe et s’offrant des séjours paradisiaques dans ces pays où viennent être brûlés les pensions de retraites de milliers de Camerounais. Douala est une ville magnifique avec sa pollution sauvage et son insalubrité grandissante. Pétillante et vivante, la nuit ici les chats deviennent gris, et elle s’impose comme le carrefour des folies africaines. Rebelle à l’ordre, à l’autorité mais aussi au changement, Douala aspire à un statu quo qui plaît aux plus fortunés, aux oligarques, aux détrousseurs de vies et autres imposteurs. Pour cette écrasante population asphyxiée par le dénuement matériel le plus impressionnant et parquée dans ces quartiers populaires où se conjugue douloureusement le présent, Douala est un vaste cimetière ouvert dont la puanteur - 110 -


incarne parfaitement tout l’état de décomposition des sociétés africaines. Lorsque à Bonanjo on dira que le vie est belle, à Bonamoussadi on répondra « ah bon ? laquelle ? », c’est dire que la fracture sociale est immense et l’injustice monnaie courante. La liberté a un prix, trop souvent élevé pour les troubadours des grands idéaux. Comme partout en Afrique, on y massacre les journalistes sérieux[3], et on laisse pour sauver les apparences quelques serfs qui propagent la parole divine gouvernementale, souvent en distrayant les masses par des exclusivités[4] tirées du caniveau. Ils s’appellent Wilfried et Ferdinand. Ils étaient descendus dans la rue pour exiger la fin de la précarité et la revalorisation de leurs conditions de vie. Ils sont partis définitivement, eux qui se considéraient comme la jeunesse africaine sacrifiée, victimes parmi tant d’autres de la cruelle perversité des démocraticides africaines. Ils sont partis anonymement un jour de février, à Akwa, loin des flashs et de la lumière des caméras. Sans fleurs ni couronnes.

[1] A Yaoundé [2] « On organise pas les élections pour les perdre. » [3] Il y a quelques jours, des journalistes étaient arbitrairement écroués pour s’être mêlés un peu trop à une affaire de corruption, une de plus, aux ramifications multiples : l’affaire Albatros. [4] Les listes des présumés homosexuels du Cameroun (ndlr : l’homosexualité est interdite par la législation sous peine de prison ferme et d’amende).

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Le sommet du G8 : un cirque indécent Crise énergétique, crise alimentaire, crise économique, crise de confiance, le sommet du G8[1] qui s’est ouvert ce lundi 08 juillet 2008 à Toyako intervient dans un contexte extrêmement difficile et particulièrement tendu.

Un climat qui contraste avec la « sérénité » affichée en 2007 où l’économie mondiale était « en bonne condition ». Entre temps il y a eu les subprimes avec une Amérique au bord de la récession, la flambée du prix du baril du pétrole, le réchauffement climatique (sempiternelle urgence) et les émeutes de la faim (près de 2500 personnes meurent toujours de faim chaque jour dans le monde). Le G8, naguère club privé des « Grands » de ce monde, véritable conseil de sécurité bis, a - 112 -


perdu le sens des réalités et n’est plus que l’ombre de luimême, incapable de répondre efficacement aux problèmes auxquels la planète fait face. Boudé par la Chine, pourtant acteur incontournable de la scène politico-économique mondiale, ignoré par l’Inde et l’Arabie Saoudite, regardé avec suspicion par le Brésil, le Groupe des 8 pays les plus industrialisés, du moins dans l’esprit même si dans les faits pour certains de ses membres ce n’est plus le cas, a du mal à s’adapter à son époque. Il est bien loin le sommet de Rambouillet en 1975 où le président français Valérie Giscard d’Estaing proposa à ses collègues des pays riches de se réunir chaque année afin de définir les nouvelles priorités au monde. Aujourd’hui, le G8 est un spectateur comme les autres du jeu économique mondial, dépassé par l’émergence de nouvelles puissances dont la voracité inquiète autant qu’elle suscite l’admiration. Ces nouvelles économies qui commencent à peser de tout leur poids sur l’échiquier mondial faisant plier les anciennes « Glorieuses », forcées comme l’a dit le président français d’en tenir « compte ». Ainsi, malgré les apparences, le sort du monde ne se décide plus lors de cette grande messe de l’inutilité où les déplacements en avion, par exemple, et autres gaspillages contribuent à polluer un peu plus cette planète que l’on voudrait « sauver ». Le pouvoir est désormais ailleurs. La preuve encore ce matin les bourses internationales sont plongées dans le rouge écarlate faisant craindre le retour des heures sombres de l’économie mondiale. C’est vrai on nous annonce une déclaration commune sur le changement climatique et un objectif fixé en 2050, comme d’habitude les déclarations, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, après le fiasco de Bali et l’accord au minima arraché par les Organisations non gouvernementales, cette annonce fait l’effet d’un coup d’épée - 113 -


dans l’eau et donne l’impression désagréable d’une irresponsabilité assumée. Qui se souvient encore de la déclaration du Millénaire de laquelle découle les Objectifs du Millénaire pour le Développement ? Il était question de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015, à mi parcours, le bilan est un cinglant échec. Au-delà du « revirement » américain, il faudrait rappeler que les émissions de gaz à effet de serre au rythme actuel feront de la terre un lieu pratiquement invivable avant 2050. L’on pointe du doigt le « mauvais élève » chinois et sa grosse « usine à pollution », l’on invective l’Inde avec sa volonté affichée de « copier coller » la société de consommation occidentale, mais l’on omet soigneusement de dire que durant des décennies bien avant le boom économique de ces deux pays, l’occident à participer activement à « tuer » la planète et que les considérations industrielles passaient avant la protection de l’environnement. D’ailleurs, les Etats-Unis dont on salue la « sagesse » retrouvée aujourd’hui n’ont pas toujours ratifié le protocole de Kyoto et qu’ils ont à eux seuls fait capoter la dernière conférence des Nations Unies sur le changement climatique en Indonésie. N’oublions pas que même ceux qui ont ratifié ce protocole traînent les pieds pour faire appliquer ses recommandations. Rarement une déclaration commune aura suscitée tant de déceptions et provoquer tant de désespoir pour ces organisations qui se battent tous les jours pour permettre aux générations futures de vivre dans un monde infiniment plus propre. Croissance en berne, malaise financier, délitement politique, alors à quoi sert encore le G8 ? Une question que même les membres de ce groupe se pose depuis quelque temps. L’on sait qu’ils demanderont une augmentation substantielle de la production du pétrole et que celle-ci ne se fera pas, puisque l’OPEP par la voix de son président, le Ministre algérien du pétrole et des énergies, a réaffirmé que la production actuelle - 114 -


était suffisante. Peut-être les yeux doux fait au Nigeria pourront-ils suffire au géant africain pour qu’il produise plus comme il a été le cas pour l’Angola ? Rien n’est moins sûr. Pourtant face à cette envolée du prix du baril, il serait sans doute intelligent de se dire qu’il est temps de tourner progressivement la page de l’or noir et d’encourager des politiques plus respectueuses de l’environnement en allouant aux départements de recherches les budgets nécessaires au développement de nouvelles sources d’énergies renouvelables. La hausse du prix du baril est donc une opportunité en surfant sur la vague d’adhésion populaire au « bio » d’impulser ce changement profond et de rompre avec l’addiction forte des économies au pétrole. Mais face au lobbying important et le manque de volonté politique illustré une fois encore par ce G8 transparent, il est bon d’être athée et de ne croire en rien, au risque de tomber violement des nues[2]. Il se murmure qu’à Toyako il viendra une autre déclaration dite « spécifique » sur la crise alimentaire. Quoi de nouveau par rapport à la pathétique conférence du FAO tenue à Rome il y a quelques semaines ? Sûrement l’originalité viendra des mots utilisés, on devrait s’attendre à « urgence » en lieu et place d’ « impératif », une sorte de jeu de synonymes pour exprimer à la perfection la nécessité de ne rien faire. Nicolas Sarkozy voudrait plaider en faveur d’un « partenariat mondial sur la sécurité alimentaire », humaniste invertébré du libéralisme fringant et clinquant, le président de l’Union Européenne oublie toutefois que vouloir la sécurité alimentaire c’est permettre aux paysans des pays du Sud de pouvoir faire face au rouleau compresseur des subventions agricoles occidentales. Car ce dont il est question ici c’est l’inéquité dans les rapports de force entre le Nord et le Sud, l’avenir alimentaire des pays pauvres se jouant principalement en occident. L’on aura beau offrir aux paysans kenyans[3] ou malgaches 1 milliard d’euro issus des 40 - 115 -


milliards de fonds d’aides agricoles (PAC) non utilisés de l’Union Européenne comme le fait si « gentiment » José Manuel Barroso, si l’ensemble du système n’est pas repensé, c’est toute une partie de l’humanité qui risque d’en payer le prix fort. L’une des grosses réussites de ce sommet du G8 s’est d’avoir pu trouver en un temps record près de 1000 milliards de dollars pour « sauver de l’effondrement les banques engluées dans les subprimes »[4], mais d’être incapable de tenir ses engagements envers les pays les plus pauvres. C’est tout dire. Au cours de ce sommet du G8, les « Grands » vont exigés des nations émergentes et nouvelles donatrices de l’aide au développement[5] de « conditionner » leur aide au respect des droits de l’homme[6]. On voit d’ici le tableau. La Chine[7], democraticide décomplexée, menaçant de retirer son aide au Soudan pour non respect de la dignité humaine. Un tableau surréaliste. Durant des années les mêmes donneurs de leçons[8] ont utilisé l’aide au développement pour mieux aliéner les pays du Sud. Les dégâts causés par les aléas de cette aide sont importants. Renforcement des dictatures[9], répressions des populations, pillages des ressources au travers de l’exploitation sauvage des matières premières, importations massives des produits occidentaux fragilisant ainsi le tissu économique local, etc. L’aide au développement a enrichi les comptes bancaires occidentaux des leaders du Sud et participé à l’éclosion du pire dans des zones qui étaient deja économiquement sinistrées. S’ils souhaitent réellement aider les pays pauvres dans leur développement, les pays riches devraient reformer structurellement leur conception de l’aide et considérer que leurs politiques économiques sont dans de nombreux cas extrêmement dévastatrices, à l’instar de véritables bombes nucléaires. La volonté manifestée ce lundi du Japon de « partager l’expérience de la forte croissance asiatique avec l’Afrique » constitue une avancée louable dans l’élaboration - 116 -


d’une redéfinition de la coopération entre les nations riches et celles plus démunies. Inutile et inefficace, le sommet du G8 qui se déroule sur la grande île d’Hokkaïdo, réfugié dans les montagnes japonaises, loin des affrontements altermondialistes de Sapporo et du contre-sommet des pauvres au Mali, accouchera d’un satisfecit général au sein d’un groupe désormais illégitime. Le G8 ne fera pas mieux que la très décevante Union Africaine sur le dossier zimbabwéen, bloqué par une Russie égale à elle-même. Pas de sanctions donc, mais de fortes remontrances[10] qui ne perturberont pas le sommeil du sanguinaire Mugabe, et une porte ouverte aux négociations autour d’une improbable réconciliation nationale, le scénario kenyan étant inadaptable au contexte zimbabwéen. Souvent considéré comme un conseil de sécurité moins bureaucratique, le G8 ne tenant en compte que ses propres intérêts, s’est pris à son propre jeu et a été incapable de s’adapter aux évolutions actuelles. En voyant les images de ces « puissants » en tenue décontractée, presque sympathiques, on ne peut s’empêcher de penser que le monde mérite sans doute mieux que ce cirque indécent et coûteux qui n’amuse que ceux qui ont le ventre plein. [1] « Le Groupe des huit (G8) est un groupe de discussion et de partenariat économique de huit pays parmi les plus puissants économiquement du monde : les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Canada, et la Russie. Ensemble, les pays du G8 représentent 61% de l’économie mondiale. » - Source Wikipedia. [2]« "A échéance de vingt ans, l’Afrique pourrait être un continent autosuffisant en matière énergétique, compte tenu de ses immenses réserves en énergies renouvelables" : comme l’indique M. Camdessus, le document met en exergue le potentiel "vert" d’un continent doté de vastes ressources d’hydroélectricité, de géothermie, d’énergie solaire et éolienne. » - Source Le Figaro.

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[3] "L’Afrique a accompli des progrès importants au cours de ces dernières années. Toutefois, la crise alimentaire actuelle menace d’anéantir une bonne partie de ces progrès durement acquis. Avec 100 millions de personnes sur le point de tomber dans une pauvreté abjecte, le coût des denrées alimentaires ne se calculera pas en prix du blé ou du riz, mais en nombre croissant de décès de nourrissons et d’enfants dans toute l’Afrique" –Koffi Annan, Source Le Figaro. [4] Takumo Yamada, d’Oxfam Japon [5] « Réunis en sommet au Japon, les pays riches pourraient porter l’aide au continent à 50 milliards de dollars par an d’ici 2010. Un engagement déjà pris... en 2005. » - Source RFI [6] « Les pays du G8 vont aussi demander "davantage de transparence dans les politiques d’aide de la part des nouveaux donateurs", notamment la Chine. » Source BBC

[7] « Selon Shinichi Takeuchi, un spécialiste de l’Afrique à l’Institut des économies en développement de Chiba (région de Tokyo), la Chine est dans le collimateur car "elle a généreusement distribué son aide à des gouvernements africains corrompus, sans se soucier" des règles internationales en la matière. » Source Euronews

[8] « Officiellement, Etats-Unis, Union européenne et Japon demandent aux pays bénéficiaires de leur aide d’améliorer la situation des droits de l’homme et de lancer des réformes de structure. » - Source RFI [9] Il y a dans le monde deux sortes de dictateurs : les gentils ou les fréquentables, qui collaborent et font profité de leurs ressources aux « Grands », et les méchants ou les infréquentables qui n’en font qu’à leur tête, finalement ont de gros ennuis. [10] «Je suis extrêmement déçu par l’élection, que j’ai qualifiée d’élection truquée», a estimé le président américain George W. Bush » - Source AFP

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Du puritanisme illusoire.. La vie politique est un spectacle fort distrayant, quelquefois l’on n’a guère besoin d’aller au cinéma pour être spectateur des plus grandes comédies, elles nous sont servies par ces acteurs, souvent plus amateurs que professionnels, qui nous racontent chaque jour de drôles d’histoires.

Elle enfle de plus en plus la rumeur, au point désormais de captiver l’attention des medias américains friands en cette période de campagne présidentielle de petits ragots qui viennent pimenter l’affrontement entre le républicain Mc Cain et son rival démocrate Barack Obama. A côté des gros dossiers que sont l’économie, la sécurité intérieure, la guerre en Irak ou la menace iranienne, l’idylle supposée du sénateur de l’Illinois Barack Obama avec l’actrice Scarlett Johannson est devenue un sujet d’actualité alimenté quotidiennement par de nombreuses spéculations. Embarrassante affaire, l’état-major du candidat - 119 -


Barack Obama tente de désamorcer une polémique dont il aurait pu se passer, surtout à un moment où le sénateur métis est sous le feu des (néo)conservateurs et subit le tir groupé de l’aile évangéliste du Parti républicain. Tout a commencé par une déclaration de la jeune « star » hollywoodienne à Politico dans laquelle elle affirmait avoir entretenu pendant un certain temps une relation « intéressante » avec Barack Obama. Maladroite ou naïve, cette sortie de la jeune actrice n’a pas manqué de susciter un intérêt particulier chez les journalistes américains. Pendant que les commentateurs de la Fox y voient les prémices d’un nouveau scandale dont les démocrates ont décidément le secret[1], d’autres par contre tempèrent et estiment qu’il ne s’agit-là que du « fantasme » d’une « petite bimbo » qui peine à exister après avoir assistée au « massacre » presque à la tronçonneuse de son premier album (sans doute le dernier) par une critique impitoyable. Quoi qu’il en soit, Scarlett Johannson a lâché une véritable bombe dont les conséquences sur le vote de novembre prochain sont difficiles à estimer, d’autant plus que l’élection devrait être plus serrée que l’on ne le pense. L’histoire tourne autour d’un échange d’emails entre le sénateur et l’actrice dont le contenu n’a pas encore été rendu publique. Naturellement, les versions divergent que l’on soit pro-Obama ou non. Du côté du candidat démocrate, il y aurait dans cette affaire plus de fumée que de feu, Barack Obama luimême est monté au filet en livrant sa propre interprétation de l’histoire. Il s’agirait uniquement d’un email envoyé par Scarlett Johannson dans lequel elle exprime son engagement personnel dans la campagne démocrate. Sans plus ni moins. Et le sénateur affirme lui avoir répondu par un autre email en soulignant qu’il « appréciait » son geste et ses efforts. Une tentative d’explication qui, loin de calmer l’euphorie - 120 -


médiatique, a été vite balayée par la nouvelle « blague » de Scarlett sur le fait que Barack Obama et elle, c’était du « sérieux »[2], pour paraphraser un illustre metteur en scène politique. Provocation ou vraie déclaration ? Après le républicain Mc Cain soupçonné d’entretenir une relation extraconjugale avec une journaliste, l’affaire « Scarlett Johannson » montre une fois de plus que le monde de la politique reste profondément régit par une règle immuable, celle de la double vie et des liaisons dangereuses. Le magazine Vanity Fair publiait dernièrement un article intéressant sur la liaison présumée de Bill Clinton - encore lui avec la comédienne Gina Gershon. Evidemment les concernés ont vigoureusement démenti, surtout qu’à cette époque Hillary Clinton était encore dans la course aux primaires démocrates. Que les hommes politiques aient des « maîtresses » ce n’est pas un fait nouveau, au contraire. Ce qui semble déranger bon nombre de personnes, c’est que les politiciens se sentent obligés d’en faire « trop » en martelant inlassablement des discours de parfaits époux et pères de familles idéaux, alors qu’ils mènent pour la plupart des vies parallèles. Un parallélisme qui contraste avec la sincérité et la foi en des valeurs que l’on défend fermement et hypocritement. L’exemple de ce sénateur républicain qui fut contraint à la démission en 2007 pour avoir eu une attitude « indécente » dans les toilettes d’un aéroport américain. Lui qui était un féroce pourfendeur de la cause homosexuelle et grand défendeur des principes familiaux et chrétiens[3], se trouvait accusé d’avoir sollicité les services d’un prostitué « gay »[4]. Plus grave encore, ces escapades peuvent compromettre la sécurité nationale, comme la relation tumultueuse de l’ancien ministre des Affaires étrangères canadien avec une ancienne prostituée liée à un gang douteux. Il avait oublié chez sa maîtresse des documents confidentiels sur la stratégie militaire - 121 -


et diplomatique de la présence canadienne en Afghanistan. Acculé par l’opposition, le Premier ministre canadien, Stephen Harper, fut obligé de se séparer de ce collaborateur devenu encombrant. La vie politique est un spectacle fort distrayant, quelquefois l’on n’a guère besoin d’aller au cinéma pour être spectateur des plus grandes comédies, elles nous sont servies par ces acteurs, souvent plus amateurs que professionnels, qui nous racontent chaque jour de drôles d’histoires. Comme celle par exemple de John Kerry, transparent candidat démocrate, qui lors de la campagne présidentielle en 2004 martelait à tous qu’il incarnerait un nouveau leadership face au « bushisme » de l’administration américaine sortante, qu’il serait l’homme du renouveau américain, en même temps son directeur de campagne reconnaissait timidement que le candidat avait un « girlfriend problem »[5]. De Morgan Fairchild à Jane Fonda, les aventures féminines de John Kerry, révélées au grand public en 2004, l’ont rendu méprisable aux yeux de nombreux Américains, pourtant considéré comme l’un des héros de la guerre du Vietnam. Ce désaveu populaire est sans doute l’une des raisons qui lui ont fait perdre la présidentielle américaine. En 2008, l’histoire est-elle entrain de se répéter ? La question reste posée. Barack Obama souhaite aussi incarner le « changement », en finir avec les pratiques de l’establishment et permettre l’éclosion d’une nouvelle conscience politique. Il faudrait d’abord qu’il se mette en accord avec ses propres convictions. Car, au-delà des discours, c’est l’image qui compte. Et comme dans tout régime qui se respecte, l’image du politique est systématiquement liée à un comportement exemplaire, à une attitude traditionnellement morale que ce soit dans l’espace public ou dans la sphère privée. D’où l’exigence du « double standard » selon la formule de Marcia Lynn

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Whicker[6]. Une exigence qu’aucun politique sérieux ne peut ignorer. Les affaires extraconjugales parviennent donc à mettre à mal ce « double standard » et participe de l’érosion de la crédibilité[7] du politique face à une opinion biaisée. Face à de tels scandales il est plus compliqué de faire passer des réformes, de gouverner sereinement et d’exécuter le programme pour lequel on a été élu. Les présidents français en général, faute d’être de parfaits époux - l’homme n’étant qu’homme après tout -, se sont toujours arrangés pour que leurs « errances » ne puissent souffrir d’aucune publicité, surtout venant des médias, afin de gouverner plus sereinement. Comme l’ont souvent claironné les journalistes français, interrogés sur le déballage public de l’intimité du président Sarkozy, avec Mitterrand[8] et Chirac affirment-ils « tout le monde savait mais personne ne disait rien ». L’actuel président français lui-même n’a-t-il pas justifié cette « transparence » dans la gestion de sa vie privée en invectivant plusieurs fois lors d’interviews la mauvaise foi et l’opacité de ses prédécesseurs[9]. Mais, face à la présidence décomplexée française et newlookée qui assume pleinement ce revirement, le conservatisme voire le puritanisme américain est plus que jamais prononcé. Malgré les accusations d’infidélité répétées, le président américain George W. Bush s’est efforcé depuis des années de démentir autant que possible des révélations sur ses liaisons extraconjugales supposées dont l’une avec la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice[10]. Si son penchant pour les femmes, la drogue et la bière avant sa carrière d’homme politique est établi, le personnage affirme avoir changé grâce à sa « rencontre » avec « Dieu ». La morale puritaine est devenue « la » mesure de tous les politiciens américains depuis la montée des responsables politiques convertis au christianisme évangélique dans les années 1800[11]. Combien de candidats se sont-ils déclarés en faveur - 123 -


d’une loi autorisant l’avortement ? Le mariage homosexuel ? Lorsqu’on observe comment John Mc Cain et Barack Obama courtisent les gourous télévangélistes, cette envie de grainer le moindre soutien, il est indiscutable que l’élection présidentielle se joue essentiellement là. La culture politique américaine est caractérisée par un mouvement conservateur fort qui s’est imposé dans les années 1980 avec le président républicain Ronald Reagan, mais aussi par le télévangéliste Jerry Falwell[12]. On a assisté à une éclosion des valeurs chrétiennes et à un retour au rigorisme moral, qui se sont traduits paradoxalement par une duplicité de la classe politique américaine. D’ailleurs, le cas de Gingrich illustre à merveille cette schizophrénie des hommes politiques américains. Il a commencé sa carrière politique en 1978 avec le slogan « Let our family represent your family » reflétant son attachement aux valeurs familiales, à la même période il trompait sa femme avec Anne Manning[13], comme cette dernière l’a affirmé plus tard, en 1995. Bien avant lui, il y eut Thomas Jefferson, considéré comme l’un des plus grands présidents américains, qui entretenait une liaison passionnée avec Sally Hemings, une esclave rencontrée à Paris avec laquelle il eut cinq enfants dont un seul, Madison, put atteindre l’âge adulte. Woodrow Wilson, autre président américain avec une maîtresse avant de devenir président en 1912 ainsi que Warren G. Harding, eut un enfant avec une fille d’à peine 18 ans, Elizabeth Ann qui écrivit un livre en 1927. Warren Harding restera dans l’histoire politique américaine comme celui qui, à cause de sa relation avec une autre femme, Carrie Fulton Phillips, mit le Parti républicain dans une position délicate en l’obligeant à céder à un vraie rétorsion de fonds. En effet quand Warren Harding fut désigné pour être le candidat républicain à la présidentielle, Phillips réclama que le Comité national républicain lui payât une pension de cinquante mille - 124 -


dollar (à l’époque c’était une modique somme d’argent) en échange de son silence. Franklin D. Roosevelt aima tellement sa maîtresse, Lucy Mercer, qu’elle fut présente à ses côtés dans ses derniers instants, leur histoire dura approximativement trente ans. Dwight D. Eisenhower[14], John F. Kennedy[15], Lyndon B. Johnson[16], Bill Clinton, tous ces présidents américains, tous essayant de coller à l’image de ce puritanisme politique américain, qu’ils soient démocrates ou républicains, ont été dans la sphère privée souvent très distant de cet idéal revendiqué. La polémique autour de Barack Obama et sur sa prétendue liaison avec Scarlett Johannson paraît donc conforme à cette duplicité. Marié à Michelle Obama à qui il doit « tout », jusqu’ici père de famille idéal, il avoue volontiers ces errements de jeune étudiant, consommation de drogue entre autres, dans un livre autobiographique, mais jamais de « dérapage » depuis sa rencontre avec la probable future first lady. Peut-on croire en cet angélisme presque papal ? Ou comme le présentateur du Daily Show, Jon Steward, parler d’une affaire « rocambolesque » et « artificielle » ? Surtout lorsqu’on remarque que d’autres candidats à l’élection présidentielle de cette année ne sont pas exempts de tout reproche. Le cas Giuliani, maintes fois remarié, prétendant à la vice-présidence aux côtés de Mc Cain, se passe de commentaires. Qui peut oublier qu’il annonça son intention de divorcer à sa femme Donna Hanover au cours d’une conférence de presse improvisée, sans que celle-ci n’ait été informée auparavant ? En 1979, Mc Cain, marié, faisait assidûment la cour à une jeune fille « aussi belle que riche »[17]. Il divorça de sa première femme qui s’occupa de ses enfants durant toute sa captivité au Vietnam pour convoler avec cette nouvelle fille richissime âgée de 25 ans. En 2000, George W. Bush mena une attaque d’une violence inouïe orchestrée par Karl Rove contre John Mc Cain, - 125 -


alors grandissime favori à la nomination républicaine, sur l’existence d’un enfant illégitime que le sénateur aurait eu avec une femme africaine-américaine. Une stratégie payante[18] qui fit gagner la Caroline du Sud à Bush, une victoire-clé lui permettant de revendiquer plus tard la nomination de son parti pour l’élection présidentielle de 2000. Avec cette nouvelle affaire, Barack Obama, lancé dans la conquête du centre et de ses indécis, se trouve pris dans une tourmente politico-médiatique inopportune qui l’oblige à courtiser un peu plus cette Amérique profonde, blanche et fortement chrétienne envers laquelle il a récemment tenu des propos maladroits. Titillé par les médias conservateurs qui cherchent la faille dans son dispositif, après les attaques contre sa femme Michelle, les remarques sur son nom Hussein, il est à prévoir que la machine républicaine fera sortir des placards des cadavres que Barack Obama avait cru enterrés. Le « scandale » Scarlett Johannson n’étant au fond qu’une sorte de répétition générale. Et ce ne sont pas les caricatures parues dans The New Yorker qui lui faciliteront la tâche.

[1] Après le « Spitzer Gate » du nom de cet ancien gouverneur démocrate de New York qui fréquentait une call-girl, alors qu’il avait bâti toute sa carrière sur la lutte contre la corruption et les réseaux de prostitution. - Source Times. [2] “Elsewhere, she has joked that they’re "engaged."” - Source The New Republic. [3] Il avait plusieurs fois refusé de soutenir la légalisation de l’avortement dans son Etat. [4] Le prostitué en fait était un agent de la police.

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[5] “After his 1988 divorce, John Kerry dated a number of actresses including Morgan Fairchild and Catherine Oxenberg of Dynasty. For example, the Drudge Report published a false rumor that he spirited one of his female interns to Africa in an effort to keep her quiet during the election.” - Source The New Republic, The Washington Post. [6] “A double standard of more rigorous and traditional behavior is applied to politicians and particularly to presidents, compared to private sector leaders and average citizens.” - Marcie L. Whicker. [7] “Carrie Gordon Earll, a spokesperson for Dobson’s Focus on the Family, recently made it clear that the adultery issue hasn’t lost any of its toxicity among evangelicals. "If you have a politician, an elected official, and they can’t be trusted in their own marriage, how can I trust them with the budget ? How can I trust them with national security ?"” - Source The Newswek. [8] “Mitterrand had two households and two families, and when a journalist dared ask him about his illegitimate daughter, Mitterrand replied : "Et alors ?" - "So what ?"” - Source The Guardian. [9] “In 1899, Félix Faure died during (oral) sex with his mistress at the Elysées. In the 1970s, Giscard d’Estaing was well known for his gallivanting.” - Source The Guardian. [10] “The Wayne Madsen Report can report that a Mayflower Hotel staffer has confirmed that First Lady Laura Bush spent at least one night this past week at the hotel, which is four blocks north of the White House. Mrs. Bush reportedly moved out of the White House after a confrontation with President Bush over his on-going affair with Secretary of State Condoleezza Rice. The Mayflower’s official position on the story is that they can "neither confirm nor deny" the identities of their guests.” - Source The Wayne Madsen Report (June 2006). [11] "What Happened to Sex Scandals ? Politics and Peccadilloes, Jefferson to Kennedy." - Source John Summers. [12] Paul Apostolidis, editor of the 2004 book Public Affairs ; Politics in the Age of Sex Scandals.

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[13] "We had oral sex. He prefers that modus operandi because then he can say, ’I never slept with her.’" - Source Anne Manning in Vanity Fair 1995. [14] Forgetting : My Love Affair with Dwight D. Eisenhower, Kay Summersby, 1977. [15] “ In February, 2008, newspaper reports came forward about an illegitimate son of JFK found living in Canada. Allegedly the outcome of an affair he had had with a Texas woman. Supposedly, the child was conceived in February 1961, about one month after Kennedy’s innaguration as President. The mother was introduced to the President by Vice-President Lyndon Johnson.” - Source The New York Times. [16] “Johnson’s former press secretary commented in a Johnson Biography "LBJ had the instincts of a Turkish sultan in Instanbul." Basically meaning that he had his own little harem of women. Although, he was much better at keeping his extramartial affairs more discreet then his predecessor JFK. One of his many sexual partners became pregnant in 1950, prior to him being in the White House. Her name was Madeline Brown and she gave birth to LBJ’s son who was named Steven.” - Source The Esquire. [17] Nicholas Kristof – The New York Times. [18] “In 2000 James Dobson also cautioned that McCain’s character was "reminiscent" of Bill Clinton’s—possibly the ultimate insult in conservative circles.” – Source Steve Benen.

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Le miracle n’aura pas lieu.. Dans la bataille pour le centre, Barack Obama est en train de perdre son âme, surtout ses convictions qui ont fortement convaincu des millions d’Américains. Il voulait changer la politique, la transformer, il joue désormais selon les règles traditionnelles. Il ne marche plus sur les eaux, Barack Obama, il commence à boire « la tasse ».

« Où est donc passé Barack Obama ? » s’interrogeait il y a quelques jours The New York Times. Le Barack Obama qui a suscité tant d’espoir pour des catégories d’américains désespérés par les « Busheries » ou les abus de l’administration actuelle, où est-il donc le « Prophète » métis qui faisait la promesse il y a peu, de porter le « changement » - 129 -


faisant scandé un « Yes we can ! » messianique aux foules de partisans en transe ? Où est-il l’homme sans bagage qui semblait vouloir aller en croisade contre l’emprise des « grands financiers » sur Washington, la corruption, faire tomber les clivages et réconcilier l’Amérique avec ellemême ? Des questions que se posent à l’heure actuelle les militants du candidat démocrate, déboussolés par le nouveau Barack Obama. Depuis la fin des primaires démocrates, les milliers de supporters de Barack Obama assistent abasourdis à sa volte-face sur des sujets qui l’ont rendu populaire auprès de l’électorat de gauche et même au-delà. « Serait-il plus conservateur qu’il ne l’a laissé paraître ? Assurément. », enfonce l’une des analystes politiques de CNN, tant la remise en cause de certains de ses engagements étonnent les « légions » de jeunes qui l’ont transformé en véritable phénomène politique. Mais ce revirement de Barack Obama ne semble guère surprendre les stratèges républicains. « Il n’avait pas le choix ». « Barack Obama à l’épreuve du cynisme politique »[1], voilà résumé en une expression le nouveau discours de celui que l’on présentait encore il y a quelques semaines comme le John Kennedy noir. En un rien de temps, le candidat démocrate est passé maître dans l’art du flipflopping.

Le premier choc est intervenu avec l’annonce par le candidat Obama de renoncer finalement à la limitation aux « seuls fonds publics » le financement de campagne des principaux partis américains[2]. Un tollé auprès des supporters séduits justement par le fait que l’interdiction de cet appui financier privé réduirait les risques de corruption et de manipulation des politiques par certains groupes. L’administration Bush a montré à quel point les fonds privés ou de particuliers permettent aux grands financiers de contrôler d’une manière comme d’une - 130 -


autre les orientations de politique générale. Ceci dans le but de préserver leurs intérêts. L’on cite souvent la guerre en Irak comme une manifestation inavouable de cette influence des milieux financiers dans la politique américaine. Mais Barack Obama préfère s’assurer le soutien de « grosses fortunes » qui sont prêtes à tout parier sur lui. D’ailleurs, les organisateurs de l’une de ces soirées de fundraising exigeaient de payer plus de trente mille dollars pour avoir la chance de serrer la main du candidat.

En revenant sur sa décision d’empêcher le sénat d’adopter une loi controversée sur la surveillance électronique dans laquelle est garantie l’immunité pour les compagnies téléphoniques, le Sénateur de l’Illinois s’est attiré les foudres des organisations de protection et de défense des droits civiques et d’une partie importante de la gauche du parti démocrate. Car ne pas s’opposer à cette loi, qualifiée de « liberticide » par de nombreux juristes, donne l’impression que Barack Obama cautionne le recours aux écoutes illégales mises en place par l’administration Bush quelques temps après les attentats terroristes du 11 septembre. Après avoir dénoncé les atteintes aux droits et aux libertés du citoyen américain par une telle législation en Janvier dernier dans l’un de ses brillants discours, le démocrate a littéralement « retourné sa veste » et justifié ce choix par la recherche d’un consensus, d’un compromis, entre les différents acteurs de la sécurité nationale. Comme si sans une constante restriction des droits, les Etats-Unis ne seraient plus à même d’assurer la sécurité de ses populations. Comme si il était devenu impossible de traquer les ennemis de l’Amérique sans toucher au respect et à la préservation des libertés individuelles. Deux notions devenues parfaitement contradictoires aux yeux d’Obama. Un nombre d’intellectuels va jusqu’à se demander s’il n’aurait pas pu voter le très - 131 -


liberticide Patriot Act, passé sous le coup de l’émotion après l’écroulement des Twin Towers, tellement il est vrai que l’homme surprend et semble devenu imprévisible.

Aussi, sa virulence contre les lobbies et autres groupes de pression à qui il jurait de leur dire ses quatre vérités, n’est plus d’actualité. Aujourd’hui, le sénateur démocrate assure aux chrétiens évangéliques qu’il ira encore plus loin que George W. Bush dans sa volonté de leur redistribuer une « partie des fonds de l’Etat ». Alors que des millions d’américains ne souffriraient pas de recevoir plus d’allocations de l’Etat. Alors simple tactique politicienne ? Il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas certain qu’il gagne des points chez les chrétiens évangéliques, largement acquis à la cause républicaine, qui le regarde toujours avec méfiance, voyant en lui un « islamiste » sournois et dangereux. Ce qui est sûr c’est qu’il en perd, des points, dans son propre camp car de plus en plus de démocrates considèrent cet engagement de Barack Obama comme une violation grave du « principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat » en transformant un « devoir de l’Etat » en une « œuvre caritative ». Il est clair que Barack Obama est sur une pente très glissante et qu’il joue avec le feu.

Ses commentaires émis sur la récente décision de la Cour Suprême de « casser l’interdiction des armes à feu en vigueur à Washington » ont rassuré et ravi la puissante National Rifle Association (NRA), très influent lobby américain, en même temps qu’ils scandalisaient les associations qui luttent contre la violence et pour la suppression du droit constitutionnel de porter une arme. De nombreux partisans du candidat démocrate ont sans doute été affligés d’entendre leur champion affirmé sans cligner des yeux que « le jugement de la Cour Suprême - 132 -


contenait des mesures raisonnables pour les communautés locales afin de garantir la sécurité de leur quartier »[3]. Barack Obama semble désormais souscrire lui aussi à la mauvaise interprétation de la constitution américaine faite par les sympathisants pro-armes. Le Barack Obama inventeur de « l’audace de l’espoir »[4] n’est plus que l’ombre de son cynisme. Offusqué par la décision de la Cour Suprême « d’interdire la peine de mort pour des crimes sans homicide », déterminé à faire de Jérusalem la capitale « indivisible » d’Israël – même s’il a regretté le choix des « mots » dernièrement, atermoiements sur l’Irak alors que plusieurs sondages montrent clairement que les américains trouvent qu’il n’a pas la carrure d’un Commander in Chief face à un adversaire républicain Mc Cain plus que droit dans ses bottes, Barack Obama exécute la danse du pragmatisme politique[5] avec une virtuosité qui divise son camp et donne du grain à moudre aux républicains. L’on tente de rassurer, il ne s’agit que de nécessaires « ajustements », la course au centre oblige ces nouvelles adaptations justifient les stratèges de Barack Obama[6]. Mais à force de chercher à séduire les indécis, Barack est entrain de perdre les progressistes qui l’ont jusqu’ici porté et en ont fait un phénomène. « Ce n’est qu’un recul pour mieux sauter », entend-on dire du coté des associations de jeunes. Pari risqué dans une Amérique qui se lasse trop rapidement des phénomènes et qui a la « zapette » facile. Ceux qu’obama est entrain de perdre, il n’est pas certain qu’il les récupère à temps. Pour la plupart des ténors démocrates, l’impression terrible d’avoir, une fois de plus, remis en marche la « machine à perdre » est à peine cachée.

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Le camps républicain jubile, mais pas trop. Mc Cain a aussi ses chats à fouetter. L’aile conservatrice du parti n’est toujours pas convaincu de son habilité à incarner les valeurs puritaines et trouve certaines de ses positions encore excessivement libérales. Seul un ticket avec un homme de la trempe de Mike Huckabee, pasteur ancien candidat à la nomination républicaine, et véritable révélation des primaires, pourrait éventuellement apaiser l’incrédulité d’une franche des républicains. Hillary Clinton quant à elle, attend patiemment dans l’ombre que la situation devienne ingérable pour Obama et faire son « come-back ». Surtout que son expérience, son réalisme et le charme qu’elle exerce sur l’électorat blanc, hispanique peuvent contribuer à la victoire finale en novembre prochain. Mais pour l’instant, elle s’occupe d’éponger sa dette colossale contractée lors des primaires, et se réorganise discrètement.

Dans la bataille pour le centre, Barack Obama est entrain de perdre son âme, surtout ses convictions qui ont fortement convaincu des millions d’américains. Il voulait changer la politique, la transformer, il joue désormais selon les règles traditionnelles. Il ne marche plus sur les eaux, Barack Obama, il commence à boire « la tasse ». L’Irak, qui lui a apporté tellement de sympathie, est entrain de devenir son « bourbier ». Les certitudes ont fait place à l’indécision. Après avoir martelé qu’il ramenerait les « boys » d’ici 2010, il a ensuite laissé entendre qu’il consulterait une fois elu les differents responsables militaires sur le terrain et que seulement après ces consultations il etablirait un calendrier de retrait des troupes. Immense deception auprès des familles de soldats et des americains qui souhaitaient en finir avec l’enfer irakien. Avec quelques sondages moins bons et une chute amorcée dans l’opinion nationale, Barack Obama a tenté ce mardi 15 juillet - 134 -


de redéfinir sa « road map » sur l’Irak en essayant de trouver une attitude plus consensuelle. Mais le mal est fait, le scepticisme enfle dans l’opinion. S’il est vrai que les sujets de désaccords profonds demeurent entre Mc Can et lui, par exemple sur les impôts, la sécurité sociale ou la nomination des juges à la Cour Suprême, les derniers « ajustements » du candidat démocrate feront tâche d’huile et resteront longtemps marqués dans l’esprit des américains. Malgré un soutien important des jeunes[7], néanmoins plus tempéré qu’hier, certains d’entre eux ont deja la gueule de bois, et en ont la quasi certitude, en novembre prochain, le miracle n’aura pas lieu.

[1] “Still, others warned that Mr. Obama risked being viewed as someone who parses positions without taking a principled stand.” – Source Associated Press.

[2] « Ses conseillers ont expliqué sa décision de renoncer au financement public de sa campagne en disant qu’il s’appuyait sur un réseau de donateurs individuels venus des quatre coins des Etats-Unis et que, s’il renonçait aux fonds publics, il refusait également les dons des grands argentiers. » Source Nouvel Obs. [3] Source CNN. [4] “Mr. Obama was solid on core Democratic concerns like the environment, social and economic justice and how to balance taxes among economic groups.” – Source The New York Times. [5] “I’m disgusted with him,” said Ms. Shade, an artist. “I can’t even listen to him anymore. He had such an opportunity, but all this ‘audacity of hope’ stuff, it’s blah, blah, blah. For all the independents he’s going to gain, he’s going to lose a lot of progressives.” – Source The New York Times.

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[6] “Mr. Blanchard said of left-wing critics he believes have hurt Democrats in past elections. “My attitude is lighten up on the guy. We want to win. Moving to the center is not a crime in this country.” – Source The New York Times. [7] “We’re frustrated by it, but we understand,” said Mollie Ruskin, 22, who is spending the summer here as a fellow with Politicorps, a program run by the Bus Project, a local nonprofit that trains young people to campaign for progressive candidates. “He’s doing it so he can get into office and do the things he believes in.” – Source The New York Times.

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Noblesse et grandeur américaine.. "Les excuses ne sont pas des gestes vains, mais sont une première étape nécessaire vers toute réconciliation entre les peuples".

Ces paroles sont de Steven Cohen, le parlementaire américain à l’origine du texte voté le 29 juillet 2008 par le « United States Congress » qui reconnaît la « cruauté, la brutalité et l’inhumanité » de 250 années d’esclavage, de ségrégation et de discrimination raciale aux Etats-Unis. A l’heure où l’Amérique s’apprête à envoyer un homme de couleur à la Maison« Blanche », les « excuses au nom du peuple américain » du Parlement mettent brutalement les Américains face aux démons du passé et les obligent presque à s’interroger sur la présente situation raciale dans le pays. Suivant les exemples australiens, canadiens et des anglicans, les Américains ont voulu par cet acte courageux et historique ouvrir « le dialogue sur les questions raciales » et favoriser ainsi l’« égalité pour tous ». - 137 -


Lorsque l’on sait que pour certains peuples « la repentance est une haine de soi » et que l’on ne devrait pas « demander aux fils d’expier les fautes de leurs pères », la Chambre des représentants en adoptant aux deux tiers ce texte des excuses à la minorité « black » pour les lois Jim Crow sur la ségrégation raciale et pour la « fondamentale injustice » de l’esclavage, a voulu démontrer que l’Amérique est capable de reconnaître ses torts et de comprendre toute la douleur des communautés qui ont souffert du racisme le plus violent. C’est aussi là une manière de dire que malgré le « Civil Rights Act » promulgué par John F. Kennedy en 1964, garantissant aux Africains Américains les droits et libertés comme n’importe quel citoyen, les mentalités ont peu évolué et le problème de la discrimination raciale reste une préoccupation majeure. Salués par les républicains et les démocrates, ainsi que par les sénateurs John McCain et Barack Obama, ces excuses interviennent après les « regrets » exprimés par l’ancien président Bill Clinton pour le rôle des Etats-Unis dans la traite des esclaves et de George W. Bush, l’actuel président qui a qualifié, en 2003, l’esclavage de l’« un des plus grands crimes de l’Histoire ». Mais ce n’est pas la première fois que l’Amérique s’illustre dans le repentir, en février 2008, c’est le Sénat qui s’excusait auprès des Indiens d’Amérique pour les exactions commises par les colons. En 1988, le président Ronald Reagan et le Congrès, signait une loi qui présentait les excuses de l’Amérique aux Japonais Américains qui furent détenus arbitrairement dans des camps durant la Seconde Guerre mondiale. Depuis l’abolition de l’esclavage en 1865, certains Etats du Sud des Etats-Unis ayant une forte autorité morale sur cette question ont exprimé des excuses aux Noirs pour les crimes odieux perpétrés, la Virginie a ouvert le bal en 2007, le Maryland, la Caroline du Nord, l’Alabama ont suivi. La déclaration du Congrès américain est une reconnaissance - 138 -


nationale, un geste symbolique qui vient soutenir les efforts des défenseurs des droits civiques et établir un devoir de mémoire plus que légitime. Il y a quelques dizaines d’années les Noirs américains vivaient en « hors-la-loi » dans leur propre pays. Ils étaient dénués de droits et n’avaient presque aucune liberté. C’étaient des « intouchables ». Il ne pouvaient prendre le bus avec les Blancs, encore moins fréquenter les mêmes lieux publics, dans certains Etats les mariages interraciaux étaient interdits et les enfants issus des liaisons secrètes entre Noirs et Blancs, ou simplement du viol, étaient plus stigmatisés. Durant ces années pas si loin de notre présent, le Ku Klux Klan et ses groupuscules « commettaient des violences contre les populations noires sans risquer de peine de justice ». A cette époque, Noir était synonyme d’être lynché, pour un oui ou pour un non. On ne leur reconnaissait aucune dignité, les Noirs n’étaient que des sous-hommes qui ne pouvaient s’épanouir pleinement que dans la brutalité du fouet et le mépris du crachat. Encore de nos jours, les Noirs américains « souffrent de ce passé », de ces injustices qui font leur histoire les renvoyant toujours à cette place immonde que les autres ont décidé qu’elle était la leur. La place des parias. Le texte adopté par la Chambre des représentants n’a pas la prétention de faire table rase du passé comme l’a souligné son principal auteur le démocrate blanc Steve Cohen, mais il veut favoriser un plus grand rapprochement entre les différentes entités raciales qui composent les Etats-Unis et en font un riche melting-pot. Mais il n’en demeure pas moins que ces excuses ouvrent la voie à des poursuites judiciaires, à des demandes de réparations et de compensations. Le vrai argument qui fait que d’autres pays coupables de crimes contre l’humanité comme la colonisation n’exprimeront jamais leurs excuses. Tout n’étant - 139 -


au fond qu’une question d’argent et souvent d’arrogance. Il est clair que les excuses du peuple américain n’effaceront pas l’assassinat de Martin Luther King Jr. et les autres meurtres, mais il a le mérite de permettre aux jeunes générations de se replonger dans l’histoire de leur pays en sachant que tout n’y a pas été blanc. C’est jeter les fondations d’un avenir commun, responsable et juste. Alors contrairement au républicain Tom Tandecredo du Colorado demandant aux démocrates « de commencer à se préoccuper des problèmes du XXe siècle, comme le prix du baril de brut, plutôt que de se concentrer sur un problème du XIXe siècle, déjà résolu par Abraham Lincoln », ces excuses vont contribuer à construire le présent, à penser au futur dans l’optique d’une meilleure intégration des minorités. En marge du sentiment de satisfaction générale qui a accompagné cet acte fort, de nombreuses voix se sont élevées contre cette « mascarade politicienne » du Congrès. Pour Andrew Cline, reporter conservateur, ce geste n’est qu’une aide apportée à un Steve Cohen malmené dans une élection primaire locale, un point de vue partagé par le media Politico. Il affirme ne pas comprendre la nécessité de s’excuser pour un « mal » commis dont les membres du Congrès ne sont en rien aujourd’hui responsables. Les problèmes de l’Amérique actuelle mérite une plus grande implication des parlementaires qu’une « loi » qui ne résoudra pas les milliards de déficit. Peutêtre faudra-t-il qu’un jour le Congrès s’excuse de ne s’être pas occupé des vraies questions quand il le fallait, conclut-il dans un éditorial virulent. Glenn Beck, un animateur populaire du fameux right wing, s’offusque de cette mise-à-mort de la démocratie américaine et va jusqu’à dire que « les excuses du Congrès sont un affront aux principes de la chrétienté ». Certains Américains réagissant sur le vif ont ironisé sur ces « excuses » en affirmant qu’ils attendaient de voir les « Black » - 140 -


s’excuser à leur tour pour « la vente de drogue, le viol, les homicides et autres vicieux actes » commis depuis leur « arrivée » en Amérique. Au-delà de la controverse menée par les conservateurs, les nouvelles « excuses » des Etats-Unis pour une de ses minorités vont dans le bon sens dans le mesure où elles reconnaissent la souffrance qu’a endurée durant des siècles la communauté noire et fait de la réparation de cette injustice une sorte de priorité morale. Déjà cette intention fondamentale dans la réconciliation des peuples en ce XXIe siècle où le choc des civilisations fait craindre le pire, exprime, loin des politiques belliqueuses de ces récentes années, la noblesse et la grandeur américaine.

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La repentance financière italienne.. Au cours de cette épopée en terre africaine, l’Italie se rendra coupable d’exactions graves envers les populations autochtones par une répression brutale et une oppression sanglante.

L’annonce a fait l’effet d’une « bombe » dans les milieux politiques européens, l’Italie du cavaliere Berlusconi s’apprêterait à dédommager la Libye de Kadhafi pour les excès de l’époque coloniale. Un accord est, selon le fils du dirigeant libyen, Saif al Islam, en préparation et porterait sur de « grosses - 142 -


sommes d’argent », des « milliards » bientôt reversés au « peuple » libyen en guise de « réparations ». Une décision « historique » qui ne risque pas de faire tache d’huile dans une « union » tétanisée et abasourdie par l’audace italienne. Les analystes européens sont tous unanimes, Berlusconi est en train d’ouvrir la boîte de pandore et les conséquences d’un tel geste risquent d’être désastreuses. Désastre, le mot est trouvé. Comme la politique colonisatrice et vampirisante de l’Italie, à l’image de toutes les puissances européennes, en Libye et partout ailleurs. Désastre. Comme la situation de pillage généralisé des ressources naturelles et des matières premières. C’est certain les conséquences seront désastreuses, mais cela dépend de quel côté de la Méditerranée on se trouve, parce que, de la rive africaine, l’on continue encore à subir les « conséquences désastreuses » de la colonisation et à vivre l’humiliation de la compassion internationale déguisée en aide. Promis dès 2004 avant d’être balayé par la « gauche » de Romano Prodi, il faudra attendre son retour aux affaires en 2008 pour que Berlusconi envisage, enfin, de donner à l’Italie l’opportunité d’assumer sa responsabilité face à l’Histoire. Il est clair que cet accord marque un nouveau tournant dans les relations entre l’Italie et la Libye, et laisse envisager qu’une évolution dans les esprits s’opère, lentement, mais sûrement. C’est en 1911 avec l’annexion de Tripoli et la signature du traité de Lausanne entre la Turquie et l’Italie en 1912 que commença la colonisation italienne en Libye. Elle se terminera en 1943 avec la prise de Tripoli par le Britannique Montgomery. Au cours de cette épopée en terre africaine, l’Italie se rendra coupable d’exactions graves envers les populations autochtones par une répression brutale et une oppression sanglante. Le tableau commun à toutes les puissances colonisatrices, en somme. Pourtant, malgré cet - 143 -


épisode « difficile », les deux pays ont continué à entretenir des liens privilégiés. C’est Berlusconi qui le premier s’activa pour faire revenir sur la scène internationale, une Libye pestiférée, bien avant Tony Blair ou plus récemment le président français, Nicolas Sarkozy. Acteur incontournable de la région, la Libye dirigée par un dictateur en pleine « rédemption », selon l’intelligentsia européenne, est un pays stratégiquement capital grâce à son influence dans les conflits qui embrasent ses voisins (le Soudan, le Tchad et dans une certaine mesure le Niger). Fort de réserves pétrolières considérables qui attisent la convoitise en ces temps de crise énergétique, le pays de Kadhafi impose aux Européens sa loi et les poussent à l’instar du dragon chinois dans le reniement complet de leurs principes humanistes tels que les droits de l’homme et la dignité humaine. Ce n’est pas la France qui démentira cette constatation amère. Lorsqu’elle reçut en grande pompe le « boucher libyen » en oubliant les milliers de Libyens enfermés dans les prisons du régime totalitariste ou simplement « assassinés », les partisans de la rupture en Afrique n’eurent que leurs larmes pour pleurer. Alors Berlusconi lui aussi peut commettre l’« irréparable » en signant cet accord, il n’oublie pas que la Libye fournit 25 % du pétrole et 33 % du gaz consommés en Italie. Et il peut garantir à l’Italie un accès privilégié aux ressources naturelles de la Libye, à garder un nombre de portes ouvertes en cas de coups durs économiques et politiques, c’est une « belle » affaire. En outre, cet accord permettrait de « motiver » la Libye à mieux lutter contre l’immigration clandestine, par exemple, en acceptant que des équipes mixtes italiennes et libyennes patrouillent régulièrement dans le port de Tripoli, point de départ de ces embarcations qui viennent s’échouer sur les côtes italiennes. Un tel accord n’est au fond qu’une manifestation, une de plus, de ce concept « divinisé » que l’on désigne par « Realpolitik », le réalisme politique l’emporte désormais sur - 144 -


toutes les autres considérations. Surtout qu’il ne fait pas bon de « fâcher » le leader libyen, les Italiens se souviennent encore de la brutalité de la confiscation des biens des ressortissants italiens en 1970 par le jeune Kadhafi installé au pouvoir un an plus tôt. Les Européens ont en mémoire l’attentat de Lockerbie, des « otages » bulgares et cette crise diplomatique entre la Suisse et la Libye d’il y a quelques jours où Berne s’est vu couper les « vivres » par Tripoli. Kadhafi n’est pas homme à se laisser faire, comme la plupart des despotes, il est aussi démagogue et imprévisible que dangereux. Fâcheux précédent donc, le prochain dédommagement italien à la Libye fera comme on le dit en droit « jurisprudence » et l’on peut déjà anticiper sur la déferlante médiatico-politique que cet accord suscitera. L’Italie ne présente pas des « excuses », elle fait mieux, elle paie en « milliards » pour les « sanglants nonsens » dont elle s’est rendue coupable. En Europe, les réactions ne se sont pas fait attendre. De nombreuses voix se sont élevées pour parler de « racket » à l’ex-colonisateur, et d’autres de poser la « grande » question : qui dédommagera pour la « colonisation multiculturelle » venue d’ailleurs que subit l’Europe aujourd’hui ? Un jeune Espagnol s’offusque et s’interroge sur cette nouvelle « folie » berlusconienne, l’Espagne devra aussi exiger des Arabes une compensation financière pour avoir occupé le pays durant 300 ans. Et que dire de la colonisation des Romains qui, avant et après Jésus-Christ, ont régné sur l’Europe, avec un petit bonus pour Alésia, à quand la compensation ? Concernant l’Espagne, des esprits plus retors diront qu’elle devrait peut-être remercier Tarik Ibn Ziyad de l’avoir sorti de l’« ignorance » et du « chaos » en y important l’art et la science (pensée conceptuelle, cartographie, mathématiques). Ainsi suivant une pareille logique, on pourrait se dire qu’il faudrait que tous les - 145 -


« colonisés » arrêtent de se plaindre, de demander pardon et d’attendre des dédommagements parce qu’ils ne seraient pas grand-chose sans cette « salvatrice » colonisation. La Gaule serait sans Jules César et ses routes, ses villes, ses aqueducs, son code civil, etc. un sombre village perdu dans l’immensité de sa « sauvagerie ». Merci donc les Romains (encore eux) d’avoir apporté la « civilisation » aux Gaulois. La Libye devrait dès lors remercier les Italiens anciens et nouveaux, les Grecs, les Phéniciens, les Vénitiens pour les siècles de servitude. Les Noirs remercier les Occidentaux pour la traite négrière et la colonisation, mais aussi les Arabes et les Orientaux pour l’esclavage. Les Tutsi saluer les Hutu pour le génocide. Les Noirs d’Afrique du Sud louer les bienfaits de l’apartheid. Les Grecs et le Proche-Orient devraient rendre hommage à l’Empire ottoman. Les Palestiniens devraient à leur tour demander réparation, mais à qui ? Aux Romains qui ont envahi la Palestine ? Aux Arabes qui s’y sont installés ? Aux Turcs ? Aux Anglais ? Et aux « Israéliens » qui sont revenus ? Ces derniers revenant sur la « terre promise » après des siècles de diaspora et d’errance, devraient-ils exiger une rémunération aux Palestiniens qui ont colonisé pendant 2000 ans leur « terre » avant d’être forcés de la restituer en 1948 ? Les Palestiniens doivent-ils payer pendant 1 500 ans le prix de cette « location », sans oublier les intérêts ? C’est donc évident pour une grande partie de l’opinion européenne, la « culpabilité » occidentale est minable. Si l’Italie veut vraiment dédommager ces anciennes colonies, elle devrait selon un diplomate luxembourgeois commencer par l’Europe. Pour un observateur français, l’Italie devrait sans doute se pencher sur ses propres problèmes et nettoyer ses « écuries » d’Augias à l’instar de la Calabre et la mafia. A l’heure où l’Europe, confrontée à une inflation vertigineuse, à un pouvoir d’achat préoccupant, crie que les « caisses sont vides », et qu’il est impossible d’augmenter les salaires et le Smic, offrir « du pognon à des roitelets » sous - 146 -


couvert de « compensations malvenues » est une escroquerie qui fera gonfler les listes d’adhérents aux partis de l’extrême droite. On oublierait presque que l’Allemagne au lendemain des guerres mondiales fut littéralement « rackettée » par les Alliés. Encore aujourd’hui cela paraît « normal ». Mais le dédommagement de la Libye par l’Italie est proprement « scandaleux », peut-être parce que les crimes sous Vichy sont plus « horribles » que ceux de Benghazi ou de Sebha, peut-être parce que la douleur n’est pas universelle et la souffrance parfaitement hiérarchisable, qu’Auschwitz n’est pas Koufra et quelque 130 années de colonisation en Algérie ne sont pratiquement rien comparées aux quatre ans de nazisme en Europe. Les compensations que se sont octroyées les puissances du « monde libre » après les boucheries mondiales, afin de pouvoir combler le retard économique causé par ces conflits armés, sont « légitimes » et « naturelles », alors que les indemnisations accordées à la Libye par l’Italie, occupée près de dix fois plus longtemps, sont définitivement « minables ». Peut-être est-ce une question de sensibilité ? Envers et contre tous, Berlusconi semble décidé à aller au bout de cette idée, contraire à la mouvance bien-pensante qui prévaut dans la Communauté, au risque d’être fustigé par ses pairs. Ils sont nombreux les dirigeants africains qui ont ironisé sur cet élan d’humanisme et de générosité de l’Italie. Certains d’entre eux sont allés jusqu’à déclarer que si l’Italie cherchent à acheter des « frontières solides » pour empêcher coûte-quecoûte les « affamés » africains d’aller manger les « miettes » en Europe, it’s too late (c’est deja trop tard). La situation actuelle étant une résultante d’une coopération ratée dont il faudra payer le prix. Quant aux Africains, cette nouvelle a reçu un accueil mitigé. Tandis que quelques-uns y trouvaient l’espoir d’une - 147 -


reconnaissance véritable des « fautes » occidentales, d’autres plus sceptiques soulignaient que cet argent ne bénéficiera pas aux populations malgré les promesses faites. En effet, il est pratiquement clair qu’avec l’opacité du régime libyen, la compensation italienne n’ira pas là où elle est la plus attendue. Et les trois quarts de celle-ci retourneront en Italie dans des « valises diplomatiques ». C’est là le drame de l’Afrique. Barack Obama l’a si bien formulé, la meilleure compensation que l’on puisse donner à un peuple qui a souffert des plus grandes injustices, ce n’est pas de lui verser des milliards (de dollars), mais de favoriser la construction des structures vitales à son développement et à l’épanouissement des populations, à l’instar des routes, des écoles, des hôpitaux, etc. De cette façon plus intelligente l’on parvient à résoudre de nombreux problèmes tout en évitant que l’argent offert ne serve à des intérêts contraire aux urgences locales. En attendant que l’Italie dans sa démarche historique tienne compte de ce point crucial, la Libye ne boude pas son plaisir de recevoir la repentance « financière » italienne.

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A l’ombre des Jeux.. A Pékin, tandis que des millions de personnes vibrent au rythme des exploits de leurs champions, des Michael Phelps et autres Ursain Bolt, quelque part loin de l’euphorie des légendes célébrées, des gloires éternelles que les foules adulent, dans l’ombre des milliers de condamnés à mort nourrissent l’odieux « trafic » d’organes humains.

Mais il ne faudrait pas trop le crier, rien ne doit venir troubler le déroulement de cette frénésie mondiale où sont brassés, sous le regard de Mao outré, des milliards de dollars. « On ne boycotte pas un quart de l’humanité », nous dit-on, surtout lorsque ce quart de l’humanité est un immense marché commercial, et qu’en ces temps d’incertitudes économiques, il serait plus intelligent, que dire, plus « realpolitik », de ne pas se mettre à dos le dragon de l’Empire du Milieu. Pourtant la Chine est aujourd’hui considérée comme le plus grand carrefour du trafic - 149 -


d’organes humains. Face à une demande de plus en plus forte[1], les autorités locales n’hésitent plus à faire appel à un autre type de « ressource naturelle et humaine », les condamnés à mort, parias en fin de parcours, viennent alimenter en « dons » d’organes « frais » un marché en plein « essor ». Le trafic d’organes humains en Chine n’est pas un scoop. Au contraire, depuis le scandale des camps de prisonniers politiques[2], où de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les « prélèvements d’organes sur les condamnés à mort » et se sont interrogées sur le nombre croissant de « transplantations d’organes », certaines organisations internationales ont décidé de mettre une pression supplémentaire sur le gouvernement central chinois. Avec une population vieillissante, les pays riches ont du mal à gérer la pénurie d’organes humains et la course souvent contre la vie, que se livrent des milliers de patients dans l’attente d’une transplantation, peut prendre des allures de véritables quêtes sans foi ni loi où l’éthique ainsi que les autres principes sont piétinés. Dans certains pays du Sud, le commerce des organes humains a fleuri sur la misère et la pauvreté. Les plus miséreux n’hésitent plus à vendre un de leurs organes contre quelques euros. Quelquefois, il arrive même que ces prélèvements se fassent dans la force sans consentement préalable des « donneurs » avec l’accord tacite ou implicite des gouvernements qui trouvent dans ces opérations hautement lucratives leur compte. Ce commerce honteux prend en Chine des proportions particulièrement inquiétantes, et avec l’opacité légendaire du régime chinois, il est à prévoir que le pire passe sous silence. Selon David Matas et David Kilgour[3], deux éminents défenseurs et spécialistes des droits de l’homme qui ont enquêté sur ce phénomène en Chine, de « fortes présomptions poussent - 150 -


à croire que les prisonniers politiques du Falun Gong[4] sont utilisés comme donneurs volontaires »[5]. Tout dépend évidemment du sens que l’on attribuerait à l’expression « donneurs volontaires »[6]. Car derrière cette hypocrisie infâme se cache un commerce « pour le moins non-équitable » ne laissant vraiment pas le choix à ces condamnés à mort, dont les organes sont offerts à prix d’or aux nantis locaux et étrangers qui, contrairement à ces hommes achevés dans les goulags chinois, méritent de jouir de la vie coûte que coûte. Entre-temps, le nombre de transplantations d’organes en Chine, clandestinement ou officiellement, ne cesse d’augmenter avec le nombre de « donneurs volontaires ». L’on ne peut que deviner la douleur des familles à qui les corps mutilés[7] des proches exécutés sont rendus sans une « explication logique ». La peine de mort en Chine est devenue une source de profits. Les condamnés, d’après les propres confirmations du gouvernement, subissent avec leur « autorisation » des prélèvements d’organes qui sont ensuite transplantés après « forte rémunération » au plus offrant. Ainsi la peine capitale n’est plus seulement un moyen d’éradiquer définitivement des « ennemis » du « socialisme », les « démocrates chevronnés », mais elle sert aussi à renflouer les caisses de l’Etat, et surtout les comptes bancaires de fonctionnaires corrompus. Une manière de joindre l’utile à l’agréable. Ce n’est pas demain que l’on arrêtera d’exécuter les prisonniers en Chine, le commerce des organes humains justifie désormais l’application de la peine de mort. C’est le seul pays au monde où exécuter des hommes fait gagner de l’argent. Scandaleux. On suppose qu’il existe environ 41 500 greffons de source inconnue en Chine pour près de 9 400 donateurs enregistrés dans l’ensemble du pays. Selon la China International Organ Transplant, les greffes de reins représentent à elles seules à peu - 151 -


près 5 000 opérations par an. Par comparaison, en France l’on a estimé à près de 4 250 le nombre total de transplantation en 2005 avec, grosso modo, 1 375 donneurs « en état de mort cérébrale ». En Chine, on n’hésite plus à vanter sur le web la « flexibilité » du système comme l’a brillamment montré Bruno Philip dans son article paru dans Le Monde en avril 2006[8], et à prodiguer de précieux conseils aux potentiels clients. D’ailleurs qui sont-ils ces nababs ? De richissimes émirs qui s’offrent la « vie » à coût de pétrodollars, de fortunés industriels chinois qui profitent du laxisme et de la cupidité des fonctionnaires pour parvenir à s’acheter un rallongement de leur séjour sur Terre, des hommes venus de tous les coins du monde qui ont tout essayé ailleurs avant d’atterrir dans les hôpitaux chinois. La Chine devenant alors pour eux une sorte d’Eldorado[9]. Au lieu de plus de trente mois d’attente en moyenne pour une greffe au Canada, en Chine il suffit selon plusieurs observateurs d’une à deux semaines pour recevoir sa transplantation[10]. Avec cet argument imbattable, les clients se bousculent aux portes des hôpitaux locaux. Même avec la législation qui interdit la vente d’organes humains en Chine adoptée en mars 2006, le commerce des organes humains demeure une vive préoccupation pour les associations de défense des droits de l’homme plus qu’inquiètes de l’afflux toujours important d’étrangers dans l’attente de transplantations dans les centres de santé chinois. Un récent reportage diffusé en août 2008 sur la chaîne d’information France 24, la « CNN » francophone, montrait que la pratique devenue officiellement illégale pour les étrangers reste encore fortement pratiquée. Et la disposition légale qui veut que les « donateurs volontaires » formalisent « par écrit leur consentement à la transplantation de leurs organes » est un pas certes significatif dans la bonne direction, mais demeure, face à un manque de volonté réelle de la part des autorités, largement - 152 -


inefficace. On pourrait penser qu’il s’agit de simples fumigènes pour noyer dans des déclarations et prises de positions pompeuses toute la responsabilité directe des autorités chinoises devant ce drame qui constitue pour un bon nombre de personnalités juridiques un crime contre l’humanité à l’instar de la Shoah, des génocides rwandais, cambodgiens, arméniens, etc. La nouvelle législation chinoise, passée pour calmer l’opinion publique mondiale, mettre à mal les « détracteurs irascibles » de la Chine et lutter contre la mauvaise publicité faite à ce « grand » pays, limite désormais à « certains hôpitaux agréés » les greffes, tout en exigeant de ceux-ci une vérification que les « organes proviennent de sources légales ». Depuis quelques semaines, le discours officiel est celui de l’éthique et du savoir-faire. Les hôpitaux chinois, quant à eux, ne cessent de recevoir en catimini les espérances des patients étrangers[11]. Le tourisme médical semble donc bien parti pour concurrencer le tourisme sexuel. Plus juteux et plus morbide, il tend à se développer avec une impunité quasi étatique. La valeur de l’homme, la dignité humaine, cette notion extraordinaire qui sied aux grandes nations semble avoir perdu son sens originel depuis que l’économique a pris le pas sur tout. La Chine n’est pas en reste. Dans ces centres de détention où l’être humain attend son abattage[12], il ne vaut désormais plus que par ce que « valent ses organes »[13]. La réalité chinoise a dépassé toutes les fictions hollywoodiennes, « un gouvernement massacrant ses opposants pour vendre leurs organes à des clients privés nationaux et internationaux ». Le commerce des organes humains est un marché juteux qui est implanté dans presque toutes les régions du monde. Des Balkans en Asie en passant par l’Amérique latine, des réseaux contrôlent ce trafic et profitent de la misère des populations les plus pauvres. A travers le rapt, les crimes, les trafiquants ne - 153 -


lésinent sur les moyens pour répondre à la demande de riches clients pressés de « vivre ». Pourtant, il convient de souligner que la gratuité des dons et l’intégrité physique sont des exigences fondamentales qui permettent d’assurer que les transplantations des organes soient conformes à l’éthique et répondent donc aux normes internationales[14]. Des dispositions qu’aucun Etat ne peut ignorer, aussi puissant soitil. Il est connu que lorsque le peuple est grisé par les maux sociaux, qu’il rumine des envies de « révolution », il est judicieux de lui offrir du pain… et des Jeux ! Avec ces Jeux controversés, l’attention du monde est détournée vers l’éclat des médailles de ces « héros » modernes, et les cris de détresse des âmes bafouées sont couverts par les « viva » des foules en délire. Les grandes messes sportives sont aussi celles qui contribuent à enterrer les valeurs fondamentales telles que la liberté et la dignité. Tandis que les yeux sont rivés sur l’or des récompenses et que les esprits tremblent d’émotion, les véritables combats se perdent dans le silence et l’indifférence. Il semble que certains soient de plus en plus en colère contre ces « bien-pensants » de « droits-de-l’hommistes » qui font de la souffrance des peuples marginalisés et oppressés une indécente campagne « marketing ». Ces « faux » sauveurs qui n’ont rien d’autre à faire que de donner des leçons à ceux qui travaillent réellement pour le bien commun c’est-à-dire la préservation des intérêts stratégiques et financiers. Ces « gauchistes » qui n’ont pas encore compris qu’il fallait vivre son temps sans complexe et sans conscience, parler de la dignité humaine en gardant un œil ouvert sur les partenariats économiques. Nul été le travail formidable de ces « petits prétentieux » qui diffusent contre vents et marrées des « vérités qui dérangent », les mots liberté, dignité et égalité résonneraient creux à l’oreille des générations d’aujourd’hui. Dans les - 154 -


ténèbres de la flamme olympique qui brûle dans ce « nid d’oiseaux », des hommes et des femmes qui ne goûteront pas à l’or des médailles se battent pour que cessent enfin cet horrible « business » des organes humains, au détriment des humiliations, et trop souvent de leur vie.

[1] « Aux États-Unis, près de 80 000 personnes attendent désespérément une greffe d’organes. » - Source Amnesty International. [2] « Enquête sur un crime d’État économiquement rentable » par JeanPhilippe Bonan. [3] Le 6 juillet 2006 David Matas et David Kilgour rendaient public le rapport concernant « les allégations de prélèvement d’organes de pratiquants de Falun Gong en Chine ». [4] « Le mouvement spirituel Fa Lun Gong a de nouveau été la cible de mesures de répression au mois d’avril. Un représentant des autorités de Pékin a précisé que toute activité liée au Fa Lun Gong était illégale, ce groupe ayant été déclaré « hérétique » et interdit. Selon les informations reçues, un grand nombre de pratiquants restaient en détention et, de ce fait, risquaient fortement d’être torturés ou soumis à des mauvais traitements. » Rapport 2006 d’Amnesty international. [5] « Si ce rapport n’apporte pas la preuve irréfutable de l’utilisation de prisonniers « politiques » comme fournisseurs d’organes il pose suffisamment de questions sur la probabilité des faits. » - Matas et Kilgour. [6] « Comment croire à la capacité de prisonniers de s’opposer aux prélèvements, quand on connaît l’absence de leurs droits dans ce pays. » Bonan. [7] « Leur mutilation est conforme à un prélèvement d’organes. » - Matas et Kilgour.

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[8] L’article de Bruno Philip « Au cœur du trafic d’organes en Chine » publié dans Le Monde du 25 avril 2006 en fait état : « La publicité en ligne sur le site du Centre international d’assistance à la transplantation de la ville de Shenyang, dans le Nord-Est chinois, affiche sans complexe la couleur : "Donneurs d’organes disponibles immédiatement ! Contacteznous avant de tomber très malade ! Un conseil : sachez qu’en décembre et en janvier, c’est la bonne saison, quand le nombre de donneurs est le plus élevé ; cela vous permettra d’attendre le minimum de temps avant de vous faire greffer un organe" ». [9] « Shi Bingyi, vice-président de l’Association médicale de greffes d’organes en Chine, affirme qu’il y a eu en Chine environ 60 000 transplantations entre 2000 et 2005 » - Bonan. [10] « Le site internet de l’hôpital de Changzheng, à Shanghai, indique : « ... Le temps d’attente moyen pour une offre de foie est d’une semaine parmi tous les patients » - Bonan. [11] « Shanghai, première destination des Israéliens pour les greffes », par Delphine Matthieussent, Le Monde, avril 2006. [12] Pour rappel, le nombre officiel d’exécutions capitales en Chine est de 1 600 par an, soit 9 600 pour six ans, selon Amnesty International il faudrait compter au moins 6 000 exécutions par an en Chine. [13] « Pour Huang Peng, un ancien membre du personnel pénitentiaire chinois, « les organes des prisonniers exécutés constituent pratiquement la seule source de greffes » du pays. » - Source The New York Times, 2001. [14] « Lors de son assemblée du 13 mai 1991, l’OMS a approuvé les principes directeurs en matière de transplantation, dont les points 5 à 9 inclus traitent spécialement de l’interdiction de commercialisation. "5. Le corps humain et les parties du corps humain ne peuvent faire l’objet de transactions commerciales. En conséquence, il devrait être interdit d’allouer ou de recevoir un paiement (y compris les autres formes de compensation ou récompense) pour des organes. 6. Il devrait être interdit de faire de la publicité autour du besoin ou de la disponibilité d’organes dans le but de demander ou proposer un paiement. 7. Il devrait être interdit à des médecins ou autres professionnels de la santé de s’engager dans des procédures de transplantations d’organes s’ils ont une bonne raison de - 156 -


croire que les organes en question ont fait l’objet de transactions commerciales. 8. Tout paiement excédant une rémunération équitable des services prestés devrait être interdit pour toute personne qualifiée participant à des procédures de transplantation d’organes. 9. A la lumière des principes de justice distributive et d’équité, les organes donnés devraient être attribués aux patients sur base de la nécessité médicale et non sur la base de considérations d’ordre financier ou autre". » - Source OMS.

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Le cobaye africain Terre d’éternels conflits armés, vaste cimetière à ciel ouvert où sont enterrées chaque année des millions de personnes, désert des économies flouées et des rêves spoliées, l’Afrique est aussi l’eldorado des firmes pharmaceutiques internationales qui viennent y tester leurs nouveaux produits dans l’absolu mépris des règles éthiques de la recherche biomédicale.

C’est ainsi que malgré elle et au détriment des vies humaines sacrifiées sans scrupules sur l’autel du « progrès » médical, l’Afrique contribue à faire avancer la science. Surfant sur le climat de corruption généralisée des autorités et gouvernements locaux, de l’impunité cancérigène, les laboratoires - 158 -


pharmaceutiques ont investi le continent nègre pour le « sauver » du marasme sanitaire dans lequel il s’enfonce un peu plus chaque jour. Personne n’ignore que le berceau de l’humanité est aussi celui de la plupart des pandémies, du sida au paludisme en passant par la tuberculose. Des pandémies qui exterminent à elles seules plus d’Africains que la totalité des déchirements fratricides réunis. C’est donc en « sauveurs » et « humanitaires » que les laboratoires occidentaux s’implantent sur le continent afin de mener en toute discrétion des expérimentations qu’ils ne mèneraient assurément pas de cette manière dans leurs propres pays. L’ignorance des patients et l’exécrable pauvreté aidant, les travaux sont menés dans l’opacité la plus grande. S’il est vrai que dans les attitudes et discours officiels, l’Afrique est un continent relégué à l’échelon « intouchable » à l’instar de la fameuse caste indienne, et que, depuis quelques années, elle est devenue particulièrement « indésirable », restant la cible du durcissement des politiques d’immigrations concertées, le « territoire des sombres misères » est utilisé par les « industriels du médicaments » selon l’expression de Jean-Philippe Chippaux, pour résoudre les problèmes sanitaires du Nord.

Entre 2004 et 2005, l’association Family Health International (FHI) appuyée par le laboratoire américain Gilead Sciences dont les principaux donateurs sont le gouvernement américain et la Fondation Bill et Melinda Gates, a mené dans plusieurs pays africains, le Nigeria, le Cameroun, le Ghana, des essais cliniques du Tenofovir ®, un antiviral utilisé contre le sida sur des hordes de prostituées[1], encouragées à avoir des rapports sexuels non protégés. Dénoncés par des ONG locales comme celle du Réseau Etudes Droit et Sida (REDS)[2] et face à l’émoi des populations, ces essais ont été « officiellement » suspendus. L’Afrique représente par la « faiblesse des coûts et - 159 -


des contrôles », une véritable aubaine pour les groupes pharmaceutiques. Les dérives liées à l’absence d’une observation stricte des règles éthiques, qui prévalent pourtant en Occident, ont poussé ces groupes à voir en ce continent, plongé dans une sorte d’apocalypse, un paradis des expérimentations interdites. En 2005, révélé par la chaîne de télévision française France 2 dans l’émission Complément d’enquête, le scandale des prostituées de Douala éclatait au Cameroun[3]. Une sordide affaire de pots de vin et de contrats mal négociés qui autorisaient, sur fond de confusion et de démission, la branche locale de la FHI, Care and Health Program, à pousser ces « filles de joie » à multiplier les rapports sexuels sans protection afin de « tester » l’efficacité d’un produit maison de prévention contre le sida. Obnubilées par les avantages financiers (payées environ quatre euros par mois) et matériels de la proposition, bernées par l’accord du ministère de la Santé, les filles ne doutant pas de la « bienveillance » de ces « médecins » ont joué le morbide jeu. Les prostituées n’étant pas prise en charge en cas d’infection VIH par le groupe pharmaceutique[4], mais par les pouvoirs publics dont on connaît le zèle, se sont retrouvées rapidement malades et abandonnées à leur sort. Urbain Olanguena, le toutpuissant ministre camerounais de la Santé publique, fut limogée pour calmer la colère des populations. Arrêté puis écroué pour détournement de fonds publics et corruption, il attend toujours l’ouverture de son procès. Les essais de la FHI menés dans d’autres pays comme le Malawi ou le Botswana, furent face au tollé camerounais momentanément « suspendus ». Mais personne n’est dupe, ces expérimentations continuent sous une forme ou une autre, sans le vacarme des chantres de la « bonne conscience » et des prophètes « casse-pieds » du respect des droits de l’homme.

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Alors « Loin des yeux, loin de l’éthique ? » comme se le demandait Lise-Marie Gervais à la veille de l’ouverture de la Conférence mondiale sur le sida tenue récemment à Mexico, la réponse est clairement affirmative au vu des pratiques répertoriées sur le continent africain. Loin de la rigueur des législations occidentales, dans les zones en souffrance et de détresses humaines, les « anges exterminateurs à la blouse blanche » profitent des faiblesses du système pour se permettre le meilleur de l’immoralité scientifique. Une situation préoccupante qui appellerait presque une autre interrogation, quelle éthique pour la recherche pressée d’arriver rapidement à des « traitements » miracles ? Le non-respect des conventions internationales[5], l’urgence épidémique, la nécessité sanitaire, tous ces arguments justifient-ils que l’on « tolère » l’inacceptable ? Pour les « Big Pharma » la question ne se pose même pas. Le choix est tout fait. Les Africains, ainsi que leurs amis asiatiques, sont les nouveaux « rats de laboratoire » sur lesquels sont bâties les perspectives de profits gigantesques. Les ressources naturelles ne suffisent plus, il faut aussi que la vie « misérable » de l’homme africain puisse servir à quelque chose.

On assiste désormais à la délocalisation de la recherche biomédicale, toujours pour les mêmes raisons : coûts sensiblement moins élevés, « main-d’œuvre » abondante et agonisante. En 2006, selon Sonia Sha[6], journaliste américaine, « plus de la moitié des tests thérapeutiques de Glaxo SmiyhKline ont eu lieu hors de l’Occident ». C’est dire que la préférence pour les pays du Sud semble définitivement inscrite dans les mœurs des capitalistes du médicament. L’Occident ne peut pas supporter ou encore moins recevoir la misère de l’Afrique, entendons-nous dans les discours des hommes politiques « décomplexés », mais l’Occident peut - 161 -


« légitimement » s’autoriser à faire tester ses médicaments par les miséreux africains. Quitte à mourir, mieux vaut le faire en rendant service aux plus riches. La recherche biomédicale est régie par des principes pourtant reconnus et « acceptés » par tous. Que ce soit de la Déclaration internationale des droits de l’homme au Code d’éthique pour les entreprises ou Global Compact, en passant par une série de règles[7] qui encadrent les essais cliniques[8], il est rappelé que « l’intérêt du patient doit primer sur l’intérêt général, celui de la science et encore plus sur celui des entreprises pharmaceutiques ». Le Code de Nuremberg[9] lui stipule que le consentement du « cobaye » doit être « libre » et « éclairé ». Quelle valeur peut-on accorder à un consentement lorsque le patient est mal informé des risques encourus et écrasé par le poids d’une existence difficile ? Quelle liberté a-t-on quand il faut patienter des heures voire des jours, sous un soleil de plomb ou sous un déluge, pour être reçu par un médecin et que l’on a pas les moyens de se soigner ? Dans cette jungle de nondits et d’hypocrisie où il est courant de tirer sur l’élasticité des termes juridiques, le patient est une proie qui s’ignore[10]. Au Cameroun, certaines associations d’étudiants en droit proposent, bénévolement, désormais aux patients de pouvoir se tourner vers elles afin de recevoir un avis neutre sur l’objet et les finalités de la recherche pour laquelle ils sont sollicités. Un effort qui n’est malheureusement pas encouragé par le gouvernement sectaire et corrompu. Les agissements criminels des firmes pharmaceutiques en Afrique sont de honteuses infractions qui laissent de marbre les grandes institutions internationales. Elles, comme à l’accoutumée, détournent les yeux et se bouchent les narines. Une politique de l’autruche dans laquelle il convient de le dire, l’Occident est largement gagnant. Or l’Occident, c’est la Cour - 162 -


internationale de justice, l’Organisation des Nations unies, la moralité candide, l’Histoire, l’unique source de sagesse et d’intelligence, qui sait ce qui est bien et ce qui est mal. Depuis les années 1990 avec la controverse sur les essais cliniques concernant l’utilisation du placebo, les placards de la recherche biomédicale n’ont cessé de se remplir de cadavres dont la pétulance embaume les brevets et autres prix honorifiques. En 1996, le géant Pfizer utilisait dans l’État de Kano au Nigeria[11], des enfants comme cobayes, de manière illégale, dans sa recherche d’un médicament contre la méningite. Sur les 200 enfants atteints de méningite, 99 d’entre eux ont reçu le Trovan Floraxine, le produit au cœur de l’essai clinique, tandis que 101 autres prenaient du Ceftriaxone, normalement prescrit dans le traitement de la méningite. À la fin de cet essai clinique, on dénombrait 11 enfants morts et on a pu diagnostiquer chez les autres de nombreux séquelles : surdité, paralysie, lésions cérébrales, cécité. Un exemple patent de l’« exploitation par l’ignorance » comme le qualifiait en 2007 le Washington Post[12] . Mais pour Pfizer, cet essai a contribué à sauver des vies, sans préciser lesquelles[13]. En 2004, le magazine allemand Zeit dénonçait dans une enquête les activités de la Syrie au Darfour qui consistaient essentiellement à tester sur les populations noires des armes chimiques. Que dire du Project Coast développé durant l’apartheid en Afrique du Sud qui a vu la collaboration des États-Unis, de la Suisse, d’Israël, de l’Angleterre, de la France et de certains pays arabo-musulmans (Irak, Libye), et dont le but était de créer une « molécule mortelle sensible à la mélanine qui pigmente des Noirs »[14]. Une sorte d’arme de destruction raciale qui aurait permis de « limiter » le poids démographique de cette catégorie d’individus constituant une menace permanente. Les programmes de stérilisation des

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femmes « de couleur » mis en place viendront appuyés cette folie. L’Afrique, trop souvent méprisée et moquée, petit bout du monde « noir » qui n’a pas su « entrer dans l’Histoire », dit-on dans ces cercles fermés et salons cossus où son sort est par ailleurs décidé, cette Afrique disais-je, est aujourd’hui le terrain privilégié pour toutes les « expérimentations industrielles les plus amorales, les plus productivistes et les moins coûteuses ». Au Burkina Faso, le puissant Mosanto, après d’énormes pressions sur le gouvernement et quelques virements bancaires, a pu convaincre le gouvernement d’ouvrir ses frontières aux OGM malgré les appels à l’observation du principe de précaution formulés par le Pr Didier Zongo, célèbre généticien. L’État ne « protégeant que les intérêts d’une classe parasite » oligarque et du « capital étranger dont elle est plus ou moins issue par cooptation et influence », néglige superbement le droit des peuples à savoir et à choisir. Et ceux qui tentent de mobiliser les masses populaires en les informant des dangers de l’allégeance des autorités à la « bourse » occidentale, ils sont rapidement réduits au silence, emprisonnés ou assassinés. En Côte-d’Ivoire, l’État ayant donné son consentement pour des essais cliniques, s’est rétracté en exigeant de grosses compensations financières pour les victimes. Cherchant à éviter le scandale, la firme pharmaceutique décida de remettre un chèque de 100 milliard de francs à l’État qui s’empressa d’encaisser le magot en refilant des miettes, soit une centaine de million de francs, à ceux qui en avaient le plus besoin, les victimes. Le marchandage de la vie des patients est une infamie qui témoigne de la perfidie de certains groupes capitalistes et de leurs vassaux de dirigeants africains. L’un des effets pervers d’une telle situation, c’est le refus désormais des populations locales[15] de se faire vacciner - 164 -


craignant une manipulation cynique des centres sanitaires, comme au nord du Nigeria où les campagnes de vaccination sont un dangereux échec. De tout temps abusés, les Africains se tournent de plus en plus vers la médecine traditionnelle[16] qui a le mérite de puiser dans la nature les richesses longtemps ignorées par l’homme. Nombreux sont les gouvernements sur le continent qui donnent aux « tradi-praticiens » une reconnaissance claire, des licences, leur permettant d’exercer dans la légalité. Le retour aux sources, c’est là sans doute l’unique conséquence positive de cette mafia proprement scandaleuse. Les guerres et autres conflits armés alimentés par l’extérieur ne suffisent plus pour satisfaire l’Occident, il faut désormais que les trafics d’ossements, d’organes humains, la vente de médicaments périmés, les déversements de déchets industriels et nucléaires, l’importation de la viande infectée, du poulet à la dioxine et des découpes impropres à la consommation loin de répondre aux normales « minimales » internationales, puissent achever le petit nombre d’êtres humains qui parviennent encore à survivre en Afrique. Une Afrique devenue au fil du temps le dépotoir du monde « civilisé ». Il ne faudrait pas croire que l’on soit radicalement opposé aux essais cliniques, si cela est fait dans la transparence, dans la connaissance, respectant les normes internationales et la dignité des patients, ce serait intéressant compte tenu de la nature propre des pathologies en Afrique. Mais quand l’on sait que sur « 1 450 nouveaux médicaments commercialisés entre 1972 et 1997, seuls 13 concernent les maladies tropicales », la pertinence même des essais cliniques pratiqués en Afrique est balayée d’un revers de la main. Car, au fond, le seul maître du jeu demeure l’industrie pharmaceutique[17]. L’intérêt scientifique s’opposant trop souvent à l’ambition commerciale. Les enjeux industriels du médicament se trouvent confortés par la pauvreté des pays du - 165 -


Sud, une relation verticale qui fausse les rapports de force et accentue les clivages. Au cours de la précédente décennie, on estimait à près de 400 milliards d’euros le chiffre d’affaires mondial de l’industrie pharmaceutiques alors que celui des pays d’Afrique subsaharienne atteignait à peine les 300 milliards d’euros. La vie de l’Africain est une matière première comme une autre, exploitable. La situation particulière du continent autorise les grands groupes prédateurs à se livrer à toutes les inhumanités. Une vie si banale et sans avenir peut servir des intérêts infiniment plus intéressants. Le Nord étant vieillissant et malade, le Sud pauvre, mendiant et « politiquement irresponsable », le lien est vite établi. Et ils sont nombreux à le penser aujourd’hui, que la panacée occidentale passe impérativement par la déshumanisation du cobaye africain.

[1] « Un groupe de 400 prostituées séronégatives officiellement volontaires afin qu’elles aient des rapports non protégés afin de tester un vaccin préventifs de leur cru nommé VIREAD. »

[2]

Soutenue

par

l’association

Act

Up

Paris.

[3] « Sida, Cobayes et polémiques au Cameroun » - article de Siewe Alex. [4] « Interrogé le 7 mai 2004, le professeur camerounais Anderson Sama Doh, coresponsable scientifique du projet, répond qu’en cas d’infection les patients seraient orientés vers les programmes publics de traitements existants et à leurs frais. Ce que confirment les documents publiés par le FHI. » Source Siewe Alex.

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[5] « La Déclaration d’Helsinki de 1964 qui énonce les principes élémentaires pour la tenue de recherches médicales sur des sujets humains ».

[6] « Cobayes humains » - Livre de Sonia Sha. [7] « Les Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de la personne ».

[8] « Les Codes d’Helsinki en 1964 et de Manille en 1981 : la première définit les principes éthiques de la recherche médicale ; la seconde a plus spécialement été conçue pour les études cliniques menées dans les pays en voie de développement. »

[9] Le Code de Nuremberg, adopté à la suite du procès de médecins nazis en 1947.

[10] « Il y a quelques années, des anthropologues ont voulu vérifier si le consentement était bel et bien "libre et éclairé". Ils ont remis des questionnaires à des participants à des essais cliniques. Dans certains cas, jusqu’à 80 % des personnes interrogées ignoraient qu’elles étaient libres d’abandonner un essai clinique » - Source The New England Journal of Medecine.

[11] « Pfizer était intervenue alors que le Nigeria connaissait la plus terrible épidémie de méningite de son histoire, qui avait fait près de 16 000 morts. » - Source Saïd Aït-Hatrit [12] « Après que le Washington Post a révélé fin 2000 les circonstances troubles dans lesquelles les essais auraient été effectués, les parents des victimes ont attaqué la firme en justice à Kano et à New York. Ils l’accusaient de ne pas les avoir clairement informés de la nature de l’expérimentation démarrée avec leurs enfants et des risques qui y étaient liés, ni de leur droit de la refuser pour un autre traitement déjà usité. Mais les procédures n’ont jamais abouti. »

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[13] « Pfizer insiste sur le fait que l’opération a sauvé des vies - le communiqué en anglais est intitulé Study saved lives... - et que le rapport était favorable au nouveau produit : 94,4 % des enfants qui l’ont reçu ont survécu, contre 93,8 % de ceux qui ont été traités avec le produit de référence. »

[14] Source Afrikara.com [15] « En outre, les conditions épidémiologiques en Afrique se révèlent souvent plus propices à la réalisation d’essais : fréquence élevée de maladies, notamment infectieuses, et existence de symptômes non atténués par des traitements itératifs et intensifs. Enfin, la docilité des patients, en grande détresse compte tenu de la faiblesse des structures sanitaires locales, facilite les opérations. » - Source Alex Siewe. [16] « Des plantes africaines, réputées anti-infectieuses, anti-inflammatoires ou diurétiques pourraient être employées contre les infections, rhumatismes, hypertension ou insuffisance cardiaque et suivre les exemples désormais fameux de la quinine extraite du quinquina, l’aspirine provenant du saule, la réserpine isolée d’un Rauwolfia africain et les anticancéreux issus de la pervenche de Madagascar. » - Source Lise-Marie Gervais. [17] « C’est l’industrie pharmaceutique elle-même qui choisit, finance et organise ces études. La sélection des médicaments faisant l’objet d’étude et leur évaluation sont ainsi systématiquement biaisées : d’un côté, les laboratoires se préoccupent surtout de rentabiliser leurs investissements, de l’autre les autorités locales peinent à définir une politique du médicament claire et cohérente leur permettant de contrôler vraiment l’activité des laboratoires. » - Source Alex Siewe.

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Le berceau de mes ancêtres L’enfer des prisons camerounaises est celui décrit par Dante, où les âmes damnées par la société et le pouvoir politique sont tourmentées par les démons de l’oppression. Personne ne peut y survivre.

Un feu incendiaire détruisait, il y a quelques jours, une partie de la prison de New-Bell à Douala, poumon de l’économie camerounaise. Des dizaines de prisonniers, coincés dans les cellules délabrées, périssaient sous le regard indifférent de leurs gardiens. Il y eut beaucoup d’encre versée pour, encore et toujours, dénoncer la vétusté des zones pénitentiaires, la surpopulation carcérale, le laxisme dans la gestion de ces milieux où cohabitent les mineurs, les femmes et les hommes dans une promiscuité effroyable. Et comme à l’accoutumée, les - 170 -


autorités servirent à la meute de journalistes, d’ONGistes, d’acteurs de la société civile faussement scandalisés, le même discours martelé depuis plus de vingt-cinq ans : « circulez, il n’y a rien à voir ! » Les prisons camerounaises sont à l’image des dirigeants locaux, préhistoriques. Elles s’écroulent de fatigue, bouffées par le temps impitoyable, même badigeonnées de chaux, elles donnent l’éclat de la vieillesse. Contrairement aux (ir)responsables politiques, elles ne peuvent s’accorder le luxe de mourir dans l’opulence. C’est en prenant des vies comme lors de cet incendie qu’elles peuvent dire aux hommes qu’elles sont au bout du rouleau. Vestiges du passé colonial, elles ont vu lyncher les héros nationaux, les combattants pour la liberté que le colon nommait « terroristes » et « anarchistes », les peuplades récalcitrantes aux « valeurs de la civilisation », les prisons camerounaises ont traversé les époques et incarnent douloureusement la mémoire nationale. Si seulement elles pouvaient parler, elles livreraient aux historiens d’aujourd’hui les secrets inavouables des régimes politiques qui ont tyrannisé le pays. Des meurtres, des esprits torturés dont le sang séché recouvre désormais les murs définitivement souillés. L’enfer des prisons camerounaises est celui décrit par Dante, où les âmes damnées par la société et le pouvoir politique sont tourmentées par les démons de l’oppression. Personne ne peut y survivre. Personne ne peut survivre à la crasse, mélange délicieux de pisse et de matière fécale, qui s’étale à perte de vue dans ces cellules de la mort où sont entassés des centaines d’animaux appelés hommes. Personne ne peut survivre aux bastonnades régulières rythmées par de véritables abus corporels pratiqués par ceux qui sont censés faire respecter la loi ou, plus dramatique encore, par les plus vicieux des délinquants, insatiables fauves jetés dans l’arène. Nietzsche cherchait le surhomme, les prisons camerounaises l’ont trouvé. Oui parce qu’il faut être surhumain pour pouvoir vivre ce qui se - 171 -


passe dans ces lieux de désolation, ou alors sous-humain pour pouvoir avoir conscience de ce qui s’y fait et décider de maintenir le statu quo. Elles sont une honte à la dignité humaine, une honte à la considération de la vie, une honte aux valeurs humanistes qui fleurissent sur les grandes déclarations signées et ratifiées. Tandis que les budgets ministériels ne cessent d’augmenter dont la quasi-totalité est gaspillée en frais de mission à l’étranger ou dans l’achat de somptueuses berlines toutes options, les prisonniers doivent se contenter d’une nourriture infecte dans laquelle gisent trop souvent les cadavres de rats et autres cafards. Encadrés par des matons incompétents, ne devant leur admission à ce métier bouche-misère qu’à l’intervention d’un « parent », les pensionnaires des centres de l’horreur apprennent à devenir plus pervers qu’ils ne le sont avant leur admission. Il n’est pas étonnant qu’avec les trafics de tout genre (drogue, chanvre, cigarette), certains caïds ne souhaitent plus retrouver le monde extérieur, car la liberté ils l’acquièrent facilement en rémunérant fortement les gardiens. Le business est plus doux en taule, loin de la flicaille zélée qui n’est jamais contente de l’énorme enveloppe qu’elle reçoit. Alors qu’importe que des criminels crèvent, calcinés par des flammes en colère, qu’importe qu’ils soient réduits en cendres, cela ne peut que soulager un peu plus la bourse du contribuable déjà vampirisée par les innombrables taxes et autres prélèvements fiscaux qui ne vont pas construire la nation, mais grossir la fortune du roitelet et de ses courtisans. Depuis qu’il s’est remarié à une petite arriviste tirée du ruisseau, notre clinquant coq ne cesse de trouver à la vie de château des goûts exquis. Balades en avion, séjours prolongés en Occident, le « Boss », comme le surnomment ses proches, est un grand seigneur qui croit en l’immortalité politique et au « libéralisme communautaire », une sorte d’ineptie idéologique soufflée par les précieux conseillers occidentaux afin de mieux subjuguer - 172 -


les masses illettrées. C’est dans l’ignorance du peuple que se pérennise le pouvoir. Le « Vieux Lion » a su faire de cette sagesse machiavélienne son credo. Jamais comme aujourd’hui, le peuple n’a autant dansé plus qu’il n’a pensé, pris dans la spirale de l’espoir artificiellement maintenu, perdu dans les brumes des réformes avortées et des succès rafistolés, il préfère se saouler à l’ivresse du mensonge d’Etat et se contenter des miettes que l’on lui refile les jours de grandes disettes, au lieu d’entamer une réflexion profonde sur ce « demain » qui ne se construira pas tout seul. En voyant les images des corps calcinés à New-Bell, certains préfèrent « zapper » sur Secret Story et s’extasier devant les imbécillités d’une télévision devenue poubelle. « On va faire comment ? Le Cameroun c’est le Cameroun » peut-on suivre sur les ondes radiophoniques, un constat d’échec permanent et une résignation épouvantable, à croire que « penser » l’avenir est chose impossible. Malgré les promesses de changement et de modernité, le Renouveau inlassablement claironné est un vaisseau fantôme qui navigue dans les eaux obscures du délire démagogique. « Tous pourris ! » s’écriait-on dans les années 1990, lors de la braise sociale qui faillit coûter au monarque actuel sa couronne d’épines. Le ver n’est pas seulement dans la pomme, il a contaminé tout le verger. Plusieurs fois nommé au hit des pays les plus corrompus, le Cameroun est l’un des rares pays au monde où la corruption est le grand sport national. On y naît corrupteur et on devient corrompu. Toutes les strates sociales y passent. C’est la malédiction locale. On ne compte plus le nombre de personnes ayant trouvé la mort dans les hôpitaux publics faute de ne pas avoir « graissé la patte » au médecin. On pourrait prendre des siècles pour dénombrer les cas de magouilles dans les secteurs privés et publics. Le plus drôle dans l’affaire, c’est que les hommes en charge de lutter contre ce cancer social sont notoirement connus pour être eux-mêmes - 173 -


de puissants corrompus. Les récentes actions judiciaires contre de hauts responsables ne sont que des fumigènes pour calmer la colère d’une partie du peuple excédé par tant d’abus, et de petites vengeances qui reflètent la virulence des combats que se mènent les courtisans du prince. Certains de ceux qui sont accusés aujourd’hui, loin d’être des anges, subissent la fureur de leur « Boss », coupables selon lui d’avoir ruminé des prétentions présidentielles. Ainsi, le premier d’entre nous envoie un message assez subliminal aux ambitieux qui pensent dans l’ombre que l’heure de sa retraite a sonné. Que nenni. « Nous pas bouger ! » a-t-il voulu dire en modifiant pour une énième fois la loi suprême du pays. Ceux qui encensaient hier la limitation du mandat présidentiel sont les mêmes actuellement à la trouver anti-constitutionnelle. On fait appel aux plus grands esprits de la République pour expliquer au peuple affamé que le bonheur est dans la nouvelle constitution. Comme si le peuple était complètement dupe, mais il laisse faire parce qu’il en a marre de descendre dans la rue et se faire tirer dessus sans que cela n’émeuve les caméras des médias internationaux. Désabusé par le soutien constant des chancelleries occidentales aux démagogues locaux, fatigué de s’entendre dire qu’il est fainéant et incapable de vouloir le changement, épuisé de donner ses fils à la mort et achevé par les bidasses, dégoûté de voir la couronne du roi sauvé par l’intervention manu militari des légions étrangères, promptes à veiller sur les intérêts, le peuple laisse faire et se met à son tour comme ses dirigeants à danser, à se saouler. D’énormes colonnes de fumée s’élèvent dans le ciel de Douala, la prison de New-Bell livre son ultime combat. Des cris se font entendre ; à l’extérieur, des gendarmes lourdement armés éloignent les curieux. La plupart des membres du gouvernement sont en congés en Europe, les lords et comtes de la République vont, en ce mois d’août, profiter de leurs - 174 -


résidences secondaires en Occident. On dépêche sur place un « représentant spécial » pour faire l’état des lieux, c’est-à-dire compter les morts et évaluer les dégâts matériels. Il rigole, serre des mains et papote avec ses collègues. Il fera une déclaration pompeuse devant les scribes gouvernementaux entassés comme des insectes autour d’un feu incandescent. « Sur les Très Hautes Recommandations de son Excellence le Chef de l’Etat » lancera-t-il dans un air solennel, le verbiage habituel, étranglé par l’émotion toute palpable de faire l’ouverture de tous les JT du soir. C’est sa « petite copine » qui sera contente de voir la tronche de ce ventripotent meugler des sottises, elle pourra sortir désormais la tête bien haute et le nez dans les cimes, en signifiant au quartier entier que son « sponsor » est passé à la « télé », dorénavant il est aussi un « grand ». La presse sous perfusion gouvernementale reprendra le lendemain à la une le communiqué envoyé directement de Paris, le lieu de villégiature privilégié de la caste politique nationale. On louera les sages instructions du « chef de l’Etat », la grandeur de son âme, et la générosité de son excentrique de femme qui, puisant dans les coffres publics, offrira gracieusement des pacotilles aux familles des sinistrés. Il ne faudra pas compter sur l’opposition laminée par la faim et les petites ambitions pour s’élever contre cette mascarade. Elle est sans leader et coupée de la réalité. Pathétiques charismatiques, les opposants ont perdu leur légitimité et leur crédibilité depuis que la majorité est allée s’asseoir à la table du monarque pour participer aussi à la « mangeoire ». Pourtant, nombreux sont ceux qui ont cru en eux, quittant souvent tout pour soutenir leurs programmes électoraux. Une fois les élections terminées, les faveurs accordées et les postes ministériels distribués, les opposants troquent leurs habits d’hommes du peuple contre des vestes sur mesure, de superbes villas et de magnifiques voitures.

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Dans les rues de Yaoundé, il se chuchote que les meilleurs opposants à ce gâchis monumental qu’est le règne du « maître » d’Etoudi sont à l’intérieur de son propre clan. Ils attendent, diton, le moment opportun pour mettre fin, enfin, à ce non-sens étatique qui prévaut depuis trop longtemps. Mais peut-on faire confiance à ces courtisans qui ne le sont que de façade ? Ceuxlà mêmes qui ne doivent leur ascension qu’à leur proximité avec le parti et à leur allégeance au prince ? Initiés de cercles occultes qui enchaînent leur indépendance et les exposent à de sombres manipulations, quel poids accorder à ces intentions de « révolution » ? Surtout lorsque certains de ces acteurs n’ont obtenu leur promotion sociale qu’après avoir « baissé leur froc » au propre comme au figuré ? En attendant que le miracle ait lieu, avec la permission des influents parrains occidentaux, les prisons, à l’instar de l’existence quotidienne de millions de Camerounais, continueront à cramer sous un ciel livide. Ce n’est pas demain que l’on verra surgir de nulle part un Barack Obama national, s’il n’est pas crucifié, pour faire naître l’espoir à un changement réel dans le « berceau de mes ancêtres ».

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Un jour comme un autre.. Le 11-Septembre est un jour « exceptionnel », un peu comme tous les jours de l’année. Tellement exceptionnel qu’il en devient même ordinaire. Préoccupée par une crise économique qui se fait de plus en plus pesante, par des craintes d’instabilité politique et les velléités guerrières affichées, l’humanité regarde passer sans sourciller, comme si de rien était.

Le Vent nous portera, cultissime single, joyau inestimable du groupe Noir Désir, a soulevé les masses et fait chavirer l’âme des mélomanes du monde entier, séduits par la pureté d’une composition originale qui marqua sensiblement les esprits désabusés par la tyrannie du n’importe quoi artistique. Rangeant dans les placards de l’histoire ancienne, leur colère et leur rage, les membres du groupe mythique offrirent presque - 177 -


cinq ans après leur dernier opus, un excellent album de musique qui contrastait avec la médiocrité confortablement installée dans les charts et autres hits par les majors. Le 11 septembre 2001 fut pour des milliers de fanatiques, un moment particulier gravé par la mélodie pudique et réservée, comme un murmure, d’un disque sans prétention qui pourtant allait faire basculer des existences entières dans quelque chose d’indicible. Le Vent nous portera magnifié par le talent de Manu Chao a ouvert des univers nouveaux à des artistes perdus et désespérés de voir briller, dans les cieux de la renommée, des usurpateurs incompétents encensés par une sorte d’aveuglement collectif. Les accords de L’Enfant roi, Des armes, poème fascinant de Léo Ferré, sont d’étranges sonorités qui agrémentent ce séjour sur terre malgré un monde A l’endroit à l’envers qui semble totalement Lost dans une spirale de violence inouïe. A regarder les flammes dévorées le béton et la chair humaine, spectacle morbide retransmis quasiment en direct, le présent est désormais Le Grand Incendie qui s’écoute régulièrement dans les médias. Et l’on a beau écrire les plus belles allocutions pour la paix et répéter à qui veut bien nous écouter, « never again », mais à chaque regard échangé l’on s’offre un Bouquet de nerfs. Il y a sept ans, le 11 septembre 2001, sept ans que Noir Désir marquait de Son Style la scène musicale internationale, peignant dans des textes riches et intenses, Des visages des figures d’une époque déjà mal dans sa peau. Un hymne à l’espoir pour être joué dans L’Appartement des angoisses humaines, un chuchotement en forme d’aveu d’impuissance face à la démesure des émotions et de la fragilité des rêves tués dans l’œuf. Le nouvel ordre musical de Noir Désir brisé dans son élan par les terribles événements de Vilnius en 2003 reste, en ce 11 septembre 2008, un vibrant appel à ceux qui refusent de se laisser emporter par le vent de ce qui convient de nommer respectueusement, la connerie.

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Ce 11 septembre, la mort ne vint pas du ciel, elle prit l’apparence des hommes en tenue, des bidasses ensanglantés qui marchèrent sur la démocratie et mirent à sac tout un pays. Qualifiant son action de « réaction nécessaire et urgente contre le désordre étatique », dans le but de « rétablir l’ordre et l’unité », la Grande Muette instaura la Terreur. La mort prit les traits de l’un des plus grands bouchers du XXe siècle, Augusto Pinochet. Ce 11 septembre 1973, le président Salvador Allende, démocratiquement élu et légitime, fut brutalement renversé par l’armée chilienne avec la bénédiction du parrain américain[1]. A une période de guerre idéologique enragée entre les deux super puissances, les Etats-Unis et l’URSS, la désignation « populaire » d’Allende « le rouge » à la tête d’un pays à quelques encablures de l’Oncle Sam, ne pouvait pas être tolérée[2]. Nixon abaissa le pouce[3], et sa tête tomba. La junte militaire prenant la peine de museler soigneusement toute opposition, dirigée par Pinochet s’offre l’éternité du pouvoir. Ainsi, en 1974, le général Augusto Pinochet devient le chef suprême du Chili[4]. Il s’ensuivra une oppression radicale de toutes les attitudes hostiles dans le cadre de l’opération Condor avec près de 3 300 morts et disparus, 150 000 personnes emprisonnées et 27 500 torturées, sans compter les 160 000 exilés politiques. Ce 11 septembre là fut également dramatique car s’écrivait en lettres de sang une page douloureuse de l’histoire des hommes, aujourd’hui jaunie par le temps impitoyable qui semble avoir raison de tout, même de la mémoire se perdant au fur à mesure que les cicatrices disparaissent. Les caravanes de la mort semant tristesses et douleurs se sont couchées dans le lit douillet de l’armistice et autres décisions « courageuses » allant dans le sens de la réconciliation nationale. Augusto Pinochet, timidement menacé par la justice internationale universellement reconnue comme étant à géométrie variable, brièvement inculpé pour génocide, terrorisme et tortures, est finalement mort paisiblement à l’âge - 179 -


de 91 ans en décembre 2006. Auréolé par les nostalgiques des 17 années de violence soutenue, Pinochet reste, ironie de l’Histoire, pour une partie non négligeable du peuple chilien, le « héros »[5] chilien. Il donna au pays un certain rayonnement économique grâce aux politiques de réformes néolibérales. Le peuple connut les atrocités de l’autoritarisme, mais avec du pain et de l’eau, le ventre plein et l’illusion du confort, certains ont transformé cette hémorragie libertaire permanente en âge d’or. C’est vrai que, comparée au voisin argentin, la sanglante « rigueur » apparaît comme une « caresse », qui emporta tout de même dans l’autre monde des milliers d’hommes et de femmes. De petits groupes de jeunes gens, ivres, déambulent en chantant des ballades à la mémoire de William Wallace. Ils hurlent des hymnes à la gloire de ce braveheart qui fit trembler les cousins anglais. En ce 11 septembre, Glasgow semble en effervescence, dans les « pub » se fête, non pas la victoire des Rangers, mais celle des guerriers écossais sur l’envahisseur anglais lors de la célèbre bataille du pont de Stirling. Les Ecossais se souviennent qu’un 11 septembre 1297, ils mirent en déroute l’armée du Comte de Surrey en lui infligeant une défaite mémorable lors de l’une des batailles historiques pour l’indépendance de l’Ecosse. Mais l’humiliation de Stirling ne suffit pas à faire plier les Anglais. La preuve. L’Ecosse malgré un statut particulier et une relative autonomie reste toujours membre de cet ensemble connu sous le nom de Royaume-Uni, les ambitions indépendantistes demeurent dans les cœurs et de nombreux Ecossais n’ont toujours pas renoncé à vivre un jour totalement libéré de cette soumission à l’Angleterre. Le très fragilisé Gordon Brown, conscient de la montée du sentiment indépendantiste a soumis récemment à la Chambre des Communes un projet de loi visant à élargir et à renforcer les pouvoirs du parlement écossais, une manière de couper l’herbe - 180 -


sous les pieds aux virulents prophètes du divorce à l’anglaise. A croire que plus de 700 ans après la bataille du pont de Stirling, la guerre n’est jamais terminée, elle a continué sous d’autres formes avec le même but, vivre libre. Ce 11 septembre là le mot Liberté résonna dans le ciel écossais pour ne plus jamais se taire.

« Il y a de nombreuses choses que nous ne souhaitons pas au monde. Ne faisons pas que les regretter. Changeons-les. » En lisant ces paroles pleines de sagesse, l’on pourrait se dire qu’elles sont l’œuvre d’un Prix Nobel de la Paix tellement on y trouverait du bon sens et une lucidité étonnante. Pourtant, l’auteur de cette belle pensée n’est pas un de ces « anges » que l’académie suédoise aime à « couronner », bien que la citation mériterait d’être gravée sur le fronton des institutions internationales, des conférences et autres sommets mondiaux, sur les palais de marbre où sont enterrées les richesses du petit peuple. L’auteur, disais-je, de cette « illumination » est Ferdinand Marcos, un de ces « Néron » contemporains que l’Histoire sait nous fabriquer. Le « Commandant » Marcos dirigea la République des Philippines d’une main de fer durant une vingtaine d’années (1965 – 1986). Né un 11 septembre 1917, Ferdinand Marcos devint un brillant homme politique élu démocratiquement et porté par l’espoir de tout un peuple. Mais rapidement l’enfant prodige se transforma en vilain démagogue qui sous le prétexte d’instaurer la « Nouvelle Société » imposa aux Philippines une loi martiale pendant neuf années interminables caractérisées principalement par les exactions de l’armée et les excentricités du clan présidentiel. Parti avec de nobles intentions, Ferdinand Marcos va peu à peu dévier de sa trajectoire pour s’enfoncer dans la débauche, l’autoritarisme, la corruption généralisée, et l’instauration d’une sorte d’oligarchie locale. Foncièrement liberticide, le régime de Marcos fut celui - 181 -


de la relance économique[6] commencée dans les années 1970 pour s’essouffler dans les premières années de la décennie 1980. Malgré un retour timide à la démocratie durant lequel il se fait réélire président avec un score stalinien (91,4 %) en 1981, Ferdinand Marcos, affaibli par une maladie qui le force à lâcher du lest, ne peut rien contre le mécontentement populaire aggravé par l’assassinat du leader de l’opposition, Benigno Aquino, en 1983. Trois années plus tard, tentant d’organiser des élections, face à la grogne grandissante, pour se maintenir au pouvoir, il est renversé par un mouvement populaire soutenu par l’armée et fuit avec ses proches à Hawaii où il meurt en 1989. Pour une majorité de Philippins, la célébration de la naissance ce 11 septembre de Ferdinand Marcos est un souvenir douloureux à l’instar de celui de Suharto en Indonésie, un « Messie » qui termina « Judas » du peuple, manquant l’occasion de faire de son pays une « grande nation » asiatique et s’érigeant en « modèle » de détournement de fonds[7], de népotisme et de "clannisation" du pouvoir. Un énième ratage vite rangé dans les archives de l’Histoire.

Souvent l’Amérique fascine et intrigue, révulse et attire en même temps, une nation qui a su partir de pas grand-chose et profiter des boucheries mondiales pour s’affirmer comme LA puissance incontournable du XXe siècle. Pris en tenaille par une haine de plus en plus forte causée par les ravages d’un unilatéralisme violent, les Etats-Unis semblent ne pas vouloir comprendre le sentiment de lassitude qui gagne ces zones de déshumanisation où naissent les pires rancœurs. Conscients d’être des titans dans un monde de nains, ils s’amusent à souffler le show grâce à la formidable machine hollywoodienne qui encore une fois durant cet été a embarqué la planète entière dans un alter-monde d’où surgissaient les sauveurs du monde, les « Hancock » et autres « Batman », drapés de la bannière - 182 -


étoilée. Que serait donc le monde sans l’Amérique ? Voilà le message subliminal porté par le cinéma yankee. Une manière de parler au reste de l’humanité, mais de très haut. Indispensable Amérique, se dirigeant droit vers la sortie, elle a offert le show et soufflé le froid en ce début de siècle, douchant ainsi les ambitions des talibans et autres Saddam Hussein, boucs émissaires parfaits. Avec la crise géorgienne, on apprend de la bouche du candidat républicain Mc Cain qu’au XXIe siècle un pays ne saurait envahir un autre sous quelque prétexte que ce soit (on aura une petite pensée pour l’Irak). C’est Brian De Palma, ce réalisateur de génie et considéré comme le « digne » héritier d’Alfred Hitchcock, qui m’inspire le plus ce 11-Septembre. L’homme, qui déclara que « le cinéma ment 24 fois par seconde », est l’une de ces personnes qui vous ôtent le souffle par la densité et l’intensité d’un cinéma plongeant dans les vicissitudes sociétales. De Scarface aux Incorruptibles en passant par Blow out, cet Italo-Americain né, comme par hasard, un 11 septembre 1940 a su démontrer tout son talent rappelant au passage le style de Dario Argento. Le regard que porte Brian De Palma sur l’Amérique est celui du questionnement, comprendre le « pourquoi du comment » afin d’extirper à cette société complexe des vérités enfouies. Les Américains ont quelquefois du mal à se regarder en face, quand cela arrive c’est sous le prisme du gigantisme et de la démesure. Il faut que tout soit amplifié à l’infini, les joies comme les peines. La retenue est une faiblesse. Il faut soit cogner plus fort que les autres, soit s’effondrer plus bas que le reste. La guerre en Irak et la crise des « subprimes » sont autant d’exemples qui prouvent que l’Amérique n’a pas le sens de la mesure. En revoyant le Phantom of the Paradise de Brian De Palma et Independence Day avec Harry Connick Jr (un autre acteur américain né un 11 septembre 1967), l’on peut entrevoir le double aspect de l’originalité américaine tanguant toujours

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dangereusement

entre

« the

best

and

the

beast ».

Le 11 septembre est un jour « exceptionnel », un peu comme tous les jours de l’année. Tellement exceptionnel qu’il en devient même ordinaire. Préoccupée par une crise économique qui se fait de plus en plus pesante, par des craintes d’instabilité politique et les velléités guerrières affichées, l’humanité regarde passer sans sourciller, comme si de rien était. A quoi bon se souvenir que, ce jour-là, l’explorateur Henry Hudson découvre l’île de Manhattan ? C’était en 1609. Rappeler aux hommes d’aujourd’hui que le monde engendra, ce fameux 11Septembre, le pire, mais crut en l’espoir. L’espoir incarné par Gandhi quand il lança le 11 septembre 1906 sa campagne de désobéissance civile et non-violente en Afrique du Sud, ce qui allait être servir par la suite pour botter le colon britannique hors de l’Inde. L’espoir né de la libération de la ville de Dijon, le 11 septembre 1944 et de la marche vers une Europe libérée de l’occupation allemande avec ses millions de morts. Un jour qui vit la naissance d’un groupe légendaire considéré comme le plus grand de tous les temps, les Beatles enregistrant les chansons Love Me Do et P.S. I Love You de leur premier album Please Please Me, le 11 septembre 1962. Déjà le 11 septembre 1994, un signe annonciateur vint du ciel, Franck Eugène Corder vola un avion et tenta de l’écraser contre la Maison-Blanche. Tandis que quelques années auparavant, le même jour, le président américain George Herbert W. Bush déclarait en 1990 lors d’un discours historique, prononcé dans un contexte de guerre en Irak et soutenue par la « communauté internationale », que le monde était désormais régit par un « nouvel ordre mondial », juste au moment où le bloc soviétique effrité commençait à maudire ses Pères de la nation comme Nikita Khrouchtchev, mort le 11 septembre 1971. Pour les misérables des tiers-mondes, les sinistrés indiens et haïtiens - 184 -


luttant péniblement contre le déchaînement de la nature, le 11Septembre c’est chaque jour, une souffrance quotidienne, en quelque sorte un jour comme un autre…

[1]

[2]

William

Henry

Colby,

Kissinger,

À

30

la

ans

Maison-Blanche

de

CIA,

1968-1973,

1978

Fayard

[3] D’après une note interne de la CIA : « Le président [Nixon] a demandé à l’agence [la CIA] d’empêcher Allende d’accéder au pouvoir ou de le destituer et a débloqué à cette fin un budget allant jusqu’à 10 millions de dollars. » - Source John Dinges, Les Années Condor, comment Pinochet et ses alliés ont propagé le terrorisme sur trois continents, La Découverte, 2005

[4] Fernandez et Jean-Christophe Rampal, Pinochet : un dictateur modèle, Hachette, 2003 [5] « Sondage réalisé du 14 au 15 décembre 2006 et paru dans le journal la Tercera selon lequel 63 % des Chiliens considéraient que les gouvernements du général Pinochet étaient les initiateurs du développement économique actuel du pays. Selon le même sondage, 33 % le considéraient comme le principal responsable des violations des droits de l’homme durant le régime militaire, 36 % le considéraient comme en partie responsable, 28 % le considéraient comme vaguement impliqué et 3 % le considéraient comme totalement innocent ». – Source Wikipedia.

[6]« Un des programmes économiques les plus importants des années 1980 fut le Kilusang Kabuhayan at Kaunlaran (Mouvement pour le Livelihood et le progrès) qui fut lancé en septembre 1981. Son but était de promouvoir le développement économique local en encourageant les gens à créer leur propre gagne-pain. Les efforts du gouvernement permirent au pays - 185 -


d’atteindre une croissance de 6 % (la croissance était demeurée inférieure à 5 % au cours de la décennie précédente). Le PNB du pays passa de P55 milliards en 1972 à P193 milliards en 1980. Le tourisme augmenta aussi pendant cette période et contribua à la croissance. Un million de personnes visitèrent les Philippines en 1980 comparé à 200 000 en 1972. » - Source Wikipedia. [7] Ferdinand Marcos et sa famille ont détourné des milliards au Tresor philippin.

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La crise au Caucase : vers la fin du droit international ? La crise diplomatique, politique et armée dans laquelle est plongé le Caucase a suscité pendant des semaines entières de nombreuses analyses et commentaires, des examens divers et des prises de position variées, tantôt pour incriminer la Russie, tantôt pour mettre les Occidentaux devant leurs propres contradictions. Ainsi durant plus d’un mois, l’on a présenté les « dessous des cartes » afin de mieux percevoir les intérêts inavoués des parties impliquées dans ce conflit, tandis que le droit international qui n’a jamais en ce début de siècle été autant malmené, s’est encore retrouvé au cœur des ambitions politiciennes, affaibli par les interprétations souvent à la limite de la mauvaise foi.

L’intervention militaire ordonnée par le président Mikheïl Saakachvili dans la région « géorgienne » d’Ossétie du Sud, le 7 août 2008, a été une tentative légitime d’établir sur cette partie du pays, rebelle et séparatiste, sa souveraineté et - 187 -


d’affirmer son intégrité territoriale. Etat indépendant de jure et de facto depuis la dislocation de l’URSS et la Communauté des Etats indépendants (CEI) dans les années 1990, la Georgie a le droit, comme tout autre membre de la communauté internationale, de prendre toutes les mesures qui lui semblent appropriées pour préserver ces acquis. Elle se doit d’assurer sa compétence pleine, exclusive et entière dans ses limites territoriales. Ainsi, cette intervention militaire géorgienne dans le but de rétablir l’ordre et l’autorité dans une région sécessionniste est légitime et responsable, même si elle a été plus ou moins encouragée par le parrain américain et qu’elle s’est avérée complètement, dans sa préparation et dans sa réalisation, mal conduite. Cette réaction géorgienne ne constitue guère un précédent dans l’Histoire. La Russie n’a jamais hésité à nettoyer au plomb et au feu les rebelles tchétchènes qui osèrent réclamer l’indépendance, ou l’Angleterre a massacré des milliers d’Irlandais et d’Ecossais pour sauver l’unité du Royaume. Les exemples nombreux hantent les mémoires et démontrent que, face à certaines situations de division et d’ébranlement national, les Etats ne tergiversent pas souvent sur les moyens pour renforcer leur autorité quitte à fouler au pied tous les principes d’humanité. La Georgie avait donc avec elle le droit et l’Histoire.

Evidemment, l’on ne saurait ignorer le poids des enjeux stratégiques qui a largement contribué au déclenchement des hostilités. Il n’en demeure pas moins que l’attitude du gouvernement géorgien, après des mois de négociations infructueuses avec les séparatistes ossètes et abkhazes, a été une tentative désespérée de réinstaurer son autorité. Au mépris du respect du territoire des Etats tiers[1] qui prohibe le recours à la force armée et au nom du mandat des forces d’interposition reconnues par l’ONU, qui en passant n’a pas jugé utile de - 188 -


redéfinir et de recadrer la mission de ces forces depuis 1990, la Russie en envahissant le territoire géorgien sous prétexte de protéger les minorités russophones, a fait preuve d’un impérialisme brutal et sauvage à l’instar de celui de l’Amérique. Elle montre donc en ce début de siècle, qu’elle est désormais de retour sur l’échiquier mondial contrôlant du même coup les chemins de l’énergie, en outre qu’elle possède les moyens de défendre ses ambitions de géant mondial, un message limpide envoyé à ceux qui en doutaient encore. Pourtant, malgré cet argument russe visant à justifier grossièrement cette invasion somme toute scandaleuse, la Georgie est un Etat indépendant et par conséquent souverain. Sur un plan juridique cela implique l’inviolabilité de son territoire et la non-ingérence dans ses affaires internes[2]. Il est connu depuis Hobbes qu’un Etat souverain ne saurait se voir imposer à un droit supérieur, de ce fait la souveraineté est la garantie de l’équité entre les Etats dans le respect des règles du droit international. Ce principe de souveraineté admet quelques exceptions. La première lorsque l’intervention est sollicitée par l’Etat concerné. La seconde dans le cadre d’une intervention humanitaire[3] dans le sillage de la doctrine controversée du droit d’ingérence. Mais cette exception reste tout de même fortement encadrée et nécessite presque toujours l’assentiment des Nations unies, comme il a été le cas en 1991 avec le Kurdistan irakien[4] et en 1992 avec la Somalie[5]. Il est à souligner que « l’aide humanitaire n’est pas obligatoire », il est du droit d’un Etat de la refuser ou de refuser d’en apporter à un autre, mais le Conseil de sécurité peut imposer à un Etat tiers de « faciliter l’acheminement des aides humanitaires ». C’est dire que l’application de cette exception demande une concertation multilatérale et une prise de décision collective de la communauté internationale. La troisième exception est la capacité du Conseil de sécurité à venir en aide à un pays dans le cadre d’une rupture de la paix ou de menace grave par tous les - 189 -


moyens, y compris l’usage de la force qui dès lors est une intervention armée « admise et conforme au droit international ». C’est toute l’importance du chapitre 7. La réaction russe prétextant porter secours aux populations russophones d’Ossétie du Sud et appuyée par le mandat de « gendarme » que lui octroya jadis les Nations unies[6], dans un premier temps pouvant être justifiée et vite apparue comme étant totalement disproportionnée. Elle est allée trop loin jusqu’à fragiliser les fondations étatiques de la Géorgie.

Si la Russie est à blâmer, il faudrait aussi faire remarquer que les Américains n’ont jamais tremblé quand il s’agissait de protéger leurs intérêts ou de renforcer leur influence dans de nombreuses régions du monde sans se soucier du droit international. L’invasion de l’Irak, Etat souverain, sous des prétextes bidons, est l’exemple le plus récent de ce mépris des règles internationales par les « grandes » puissances, des règles que l’on se soucie pourtant de faire observer à d’autres pays. Que ce soit devant la justice internationale ou la nonprolifération du nucléaire militaire (que tous les Etats démocratiques ou non se désarment, le monde se porterait mieux ainsi), l’on note une hypocrisie formidable[7], une arrogance institutionnelle qui met certains au-dessus des lois qu’ils jugent bon pour le reste de l’humanité. Faisant alors du droit international un droit à géométrie variable, au point où l’on ne comprend plus à quoi servent les multiples conventions et traités internationaux quand il est courant qu’ils soient impunément bafoués. Lorsque d’un côté les Ossètes et les Abkhazes comme les Kosovars avant eux arguent qu’ils ont le droit à disposer d’eux-mêmes[8], principe hérité de la Révolution française, et de l’autre la Géorgie et la Serbie n’ont de cesse de crier au respect de sa souveraineté, les spécialistes se déchirent pour distribuer les cartes du Bien et du Mal à des - 190 -


gouvernements qui s’empressent de regarder naturellement où vont leurs intérêts. Le droit international lui reste l’otage de l’appétit vorace des « Maîtres » du monde. A y regarder de plus près, le fameux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit qui a eu son heure de gloire pendant les décolonisations, permettant l’émergence des nationalités et offrant aux peuples colonisés la possibilité de rêver d’indépendance[9]. Aujourd’hui, il n’est pas applicable en l’espèce aux minorités nationales, seuls les peuples colonisés y ont droit. Encore faut-il définir ce qui est colonisé et ce qui ne l’est pas, là réside toute la problématique.

Pour la Géorgie ou la Serbie, les régions d’Ossétie du Sud, d’Abkhazie et du Kosovo ne sont que des territoires sécessionnistes[10] qui devraient être isolés et ignorés par la communauté internationale. Le terme « sécession » n’est pas utilisé au hasard. Car la sécession inclut la séparation, la rupture d’une partie d’un Etat dans le but de constituer un nouvel Etat. C’est d’abord un problème interne qui implique le respect de l’intégrité territoriale. Dans le passé, de nombreuses provinces se sont émancipées des Etats auxquels elles étaient rattachées à l’instar du Bangladesh, fondé en 1971 à la suite de la partition du Pakistan, ou de la Belgique, détachée des PaysBas en 1830 ou des Etats des Balkans issus de l’effritement de l’Empire ottoman. De nos jours, les régions sécessionnistes en général ne rencontrent pas un écho favorable[11] auprès des Nations unies[12], pour la simple raison qu’aucun pays n’accepterait de reconnaître un « droit général de sécession » de crainte de voir menacer le respect de la souveraineté étatique. Les cas de sécession négociée[13] sont rares, mais ne constitueraient pas de problème en droit international.

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Après quelques semaines de violences entre les belligérants, un soupçon de génocide et de nettoyage ethnique, des efforts diplomatiques plus ou moins couronnés de succès, la Géorgie a finalement perdu non seulement sa région d’Ossétie du Sud, mais aussi celle de l’Abkhazie. Malgré un accord obtenu aux forceps et soumis au bon vouloir de la Russie, l’Occident est resté globalement inefficace et a perdu dans ce conflit le peu de crédit que lui accordait encore le reste du monde. L’indépendance du Kosovo a donné des idées aux sécessionnistes ossètes et abkhazes soutenus par Moscou qui y voit le moyen d’asseoir son influence dans une zone devenue hautement stratégique. A force d’appliquer une politique du deux poids deux mesures, l’Occident se retrouve confronté à ses contradictions, obligé de pratiquer un contorsionnisme juridique international afin de se soustraire à ses propres responsabilités. La crise au Caucase a réussi à tuer le droit international, qui n’est désormais plus qu’une norme dont le respect dépend du degré de puissance que l’on a au sein de la communauté internationale. C’est ainsi que les « indépendances » des deux régions séparatistes géorgiennes interviennent dans un contexte particulièrement tendu où l’on a l’impression que le monde vit une sorte de renouvellement du leadership. Le problème que posent ces indépendances est celui de la reconnaissance. Cette dernière selon le droit international est « l’expression unilatérale de la volonté d’un Etat de reconnaître comme valide et opposable à son égard un fait ou une situation juridique donnée ». Ainsi, la reconnaissance[14] marque la normalisation des rapports d’un Etat nouveau avec les Etats qui le reconnaissent. C’est un acte purement discrétionnaire et lié fortement aux considérations politiques[15]. Dans le contexte caucasien, les interprétations se veulent argumentées et vraies, entre ceux qui trouvent que la - 192 -


« reconnaissance ne crée pas un Etat »[16] pour l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, mais qui trouvent que le droit international autorise « une reconnaissance immédiate de l’indépendance du Kosovo » et ceux qui par contre soulignent qu’il n’existe pas de « droit de sécession pour les minorités vivant sur le territoire d’un Etat » et que le Kosovo comme l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ne sont pas soumis au « droit à l’autodétermination »[17]. Pour qu’un Etat existe, il faut qu’il soit constitué d’un territoire, d’une population (l’existence d’une nationalité, d’une identité propre), un gouvernement « souverain », c’est-à-dire formellement indépendant par rapport aux autres Etats, avec des organes effectifs et une autorité publique manifeste, des frontières plus ou moins délimitées car l’exigence d’une frontière terrestre incontestée et démarquée n’a jamais été une condition nécessaire de l’existence d’un Etat et par conséquent de sa reconnaissance[18]. Sans l’intervention de l’Otan, les autorités kosovares « autoproclamées » n’avaient aucune chance de tenir face à la fermeté de la Serbie et, sans le soutien de la Russie, les Ossètes et autres Abkhazes n’auraient pas pu parvenir à ces « indépendances ». Quand on compare donc les différentes situations, les différentes « indépendances », l’on peut affirmer que rien apparemment ne différencie le Kosovo et les anciennes régions géorgiennes. On note que les populations qui vivent dans ces régions éprouvent le sentiment d’appartenir à une identité nationale propre, un attachement évident. Alors comment comprendre un tel imbroglio ? Simplement par les opportunités politiques. Ces considérations d’un autre ordre précèdent le droit international et le force à s’adapter au risque d’en être complètement décrédibilisé. On crée une jurisprudence des faits qui porte un coup fatal au normatif.

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Le droit international demande, face à de telles situations, une attitude plus réservée et une discussion dans le cadre des Nations unies afin de parvenir lorsque cela s’impose à un règlement négocié du problème, comme en 1991 avec les Républiques soviétiques, en 1992 avec les anciennes Républiques yougoslaves admises à l’ONU après avoir observé un nombre de conditions telles que le respect des disposition de l’ONU sur l’État de droit, la démocratie, les droits de l’homme, etc., la garantie du respect des droits des groupes ethniques et le respect des frontières. Sans ce processus consensuel, multilatéral et global, un respect absolu des normes juridiques internationales, l’on pourrait s’acheminer brutalement vers le chaos suprême, la fin du droit international.

[1] Article 2 aliéna 4 de la Charte des Nations unies, obligation de respecter l’intégrité territoriale d’un Etat tiers. [2] Les États tiers ne peuvent pas s’immiscer dans les affaires d’un État souverain - “Affaire île de Palmas”. [3] La résolution de l’Assemblée générale des Nations unies 43/131 du 8 décembre 1988 pose le « droit d’assistance humanitaire ». [4] Résolution 688 de 1991. [5] Résolution 794 de 1992. [6] « L’intervention est dite humanitaire si un Etat ou un groupe d’Etats utilise sa force contre un autre Etat pour protéger les nationaux de ce dernier contre des actes de leur gouvernement qui sont de nature à "choquer la conscience internationale". » - Source G. Salamé. [7] « D’une part, il apparaît qu’à difficultés ou menaces équivalentes, les organisations internationales n’interviennent pas de façon identique. Les Américains sont intervenus en Irak au nom de la « démocratie », mais - 194 -


n’interviennent pas dans le conflit en Tchétchénie. De la même façon, la Somalie avait fait l’objet d’une intervention militaire onusienne lourde alors que le conflit du Soudan semble être délaissé. » - Source S. Tadjbakhsh. [8] Charte de l’ONU art.1 [9] Résolution 2625 sur le principe d’égalité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : les peuples ont le droit de choisir librement un statut politique et un mode de développement en dehors de toute pression extérieure. [10] « Le Kosovo n’est pas l’Ossétie répète-t-on à l’envi, dans une logique de double standards » - Source Le Nouvel Obs. [11] « U Thant, troisième secrétaire général de l’ONU de 1961 à 1971, a déclaré à l’occasion de l’affaire Biafra en 1970 : « L’ONU n’a jamais accepté et n’acceptera jamais, je pense, le principe de séparation d’une partie d’un État ». – Source Wikipedia.

[12] Comme la région sécessionniste du Biafra au Nigeria indépendant de 1967 à 1970. [13] « Actuellement sur le plan du droit international, le seul moyen reconnu de faire sécession est en vertu du droit à l’autodétermination des peuples. La Cour suprême du Canada écrit à cet effet « [qu’]un droit de sécession ne prend naissance en vertu du principe de l’autodétermination des peuples en droit international que dans le cas d’"un peuple" gouverné en tant que partie d’un empire colonial, dans le cas d’"un peuple" soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères, et aussi, peut-être, dans le cas d’"un peuple" empêché d’exercer utilement son droit à l’autodétermination à l’intérieur de l’État dont il fait partie ». Une sécession négociée aurait donc le potentiel d’être reconnue comme un autre moyen valide de faire sécession. » - Source Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217.

[14] Il y a une différence entre la reconnaissance d’un Etat et celle d’un gouvernement.

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[15] « Lors d’une conférence de presse le 31 janvier, Sergei Bagapsh a fait cette remarque qui peut avoir une grande répercussion : « Si quelqu’un pense que l’on doit accorder au Kosovo le statut d’État indépendant, alors pourquoi le refuser aux Abkhazes ou aux Ossètes du Sud ? Je ne parle pas de la réaction de la Russie. Toutefois, nous savons que la Turquie, par exemple, a reconnu la République de Chypre. » - Source AFP

[16] David Ruzié, professeur émérite des universités et spécialiste du droit public international.

[17] Olivier Corten, professeur ordinaire à l’ULB, Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international.

[18] « Le Tribunal arbitral mixte germano-polonais a, dans une décision du 1er août 1929, Deutsche Continental Gas-Gesellschaft c./État polonais, considéré que « pour qu’un État existe et puisse être reconnu, il suffit que ce territoire ait une consistance suffisamment certaine (alors même que les frontières n’en seraient pas encore exactement délimitées) et que, sur ce territoire, il exerce en réalité la puissance publique nationale de façon indépendante ».

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Elections américaines : l’ivresse du désespoir... L’excitation autour de cette campagne surtout venant des zones géographiques où la misère a atteint des proportions inhumaines est réellement indécente.

A quelques jours de l’élection présidentielle américaine, la fièvre politique s’est emparée de l’Amérique faisant dire à de nombreux analystes que le pays de l’Oncle Sam vit l’un des moments historiques et cruciaux de son histoire. L’enjeu est effectivement à la hauteur de cette mobilisation sans précédent, car jamais auparavant un candidat aux couleurs mélangées et au carrefour des cultures n’aurait été aussi proche d’occuper le bureau ovale et de détenir entre ses mains le pouvoir de l’homme le plus puissant du monde. Sur fond de crise financière et économique, les Américains sont appelés à se rendre aux urnes pour choisir un successeur à la - 197 -


calamité Bush et en ayant en esprit que leur choix aura certainement un impact majeur sur un avenir qui s’annonce brumeux. Ils ont ainsi le choix entre un messie qui leur promet le miracle du changement sans qu’il ait fait preuve dans sa courte carrière politique d’un sens affirmé de la responsabilité et de la décision. Un candidat démocrate tombé du ciel avec le magnétisme d’un gourou, l’on dira le charisme d’une « rock star » - pour parler comme les millions de groupies - de jeunes partisans aux journalistes aveuglés ou séduits - maniant parfaitement le verbe et surfant à n’en plus finir sur le sentiment de déception profond de ses concitoyens après presque une décennie de règne désastreux du sieur Bush. Barack Obama a décidément de la baraka, surgir de l’anonymat au moment où le peuple américain serait prêt à s’accrocher à un boa pour ne pas se noyer dans le marasme gigantesque actuel, et promettre des lendemains qui chantent les mélodies de l’utopie et du rêve. Et voilà que le monde entier reprend en chœur ce refrain invraisemblable du « believe in your dreams » comme si les expériences du passé étaient définitivement effacées de la mémoire collective. C’est avec consternation et une colère maladroitement contrôlée que l’on peut assister ces derniers temps à une vraie folie mondiale autour d’un homme qui a derrière lui les mêmes lobbies qui ont contribué à mettre la majorité de l’humanité à genoux. Le véritable changement à noter depuis le début de cette campagne, c’est celui dans la manière d’arnaquer mentalement les hommes, leur vendre un produit sur lequel ils renvoient inconsciemment leur fantasme, une société multiculturelle où tout devient possible. D’un autre coté, ils ont ce vieux briscard de la politique politicienne américain, le Maverick qui a toujours suivi son instinct de survie allant jusqu’à se mettre au ban du Parti républicain. John McCain incarne le délire de l’héroïsme surjoué et sanctifié par un peuple qui a besoin de croire en ses - 198 -


symboles pour ne pas sombrer dans sa propre démesure. L’homme a de l’expérience à revendre, mais un solide manque de jugement, il parle à l’Américain moyen avec un vocabulaire sorti tout droit de la NRA, et il le lui rend bien. Maîtrisant les arcanes du pouvoir, le républicain a semblé un temps perdre du terrain face à son rival plus à l’aise devant les lumières des caméras, mais quand l’on entend un électeur démocrate dire que jamais il ne voterait pour un Noir et qui en outre se prénomme Hussein, il paraît évident que McCain sait qu’il a des chances de créer la surprise. Durant des mois, on a entendu des spécialistes, repris en écho par les milliers de blogueurs, affirmer que sauf « énorme bourde » le républicain était cuit, dans certains éditoriaux de journaux européens on va jusqu’à écrire l’oraison funèbre de McCain amplifiant ainsi chacun de ses dérapages supposés et passer sous silence les insuffisances de son adversaire. On entretient de cette façon la fièvre électorale mondiale et on fait monter la température pour que peut-être, au lendemain de ce 4 novembre, l’humanité se réveille avec la gueule de bois. L’excitation autour de cette campagne surtout venant des zones géographiques où la misère a atteint des proportions inhumaines est réellement indécente. Comment peut-on comprendre qu’un maire d’une ville française dépense près de quinze mille euros pour déployer une banderole à l’effigie de Barack Obama alors qu’il existe dans cette même ville une catégorie de citoyens vivant dans des bâtiments d’une insalubrité inacceptable ? Comment peut-on comprendre que au cœur de la ville de Cotonou l’on puisse acheter à des prix effrayants des espaces publicitaires pour idolâtrer le Jésus noir de ce siècle où le culte de la niaiserie semble désormais entrer dans les mœurs, tandis que la ville est plongée dans les ténèbres et privée d’eau depuis des jours ? Comment comprendre l’enthousiasme de ces chanteurs antillais qui entonnent l’hymne - 199 -


à l’obamania rappelant avec le sourire de la naïveté que leur « frère » sera dans quelques jours le roi du monde alors qu’ils ont un mal fou à définir et à établir le lien avec l’Afrique ? Comment comprendre l’empressement des dirigeants occidentaux à afficher leur proximité avec le candidat démocrate portant fièrement des tee-shirts Obama tandis qu’au sein de leur société le modèle tant magnifié d’intégration et de non-discrimination est un échec retentissant ? Le pire dans ce cirque dans lequel l’on rencontre les plus grands numéros et les plus talentueux des illusionnistes c’est qu’à force d’en faire toujours autant, c’est-à-dire trop, l’on fait passer les problèmes les plus sérieux au troisième plan. L’élection de Barack Obama ne changera pas la face du monde, elle ne changera pas la souffrance des enfants qui se font exploiter dans les ateliers de la honte en Asie ; elle ne changera pas l’existence des sans-domicile fixe qui se meurent dans les rues de Paris en ces temps de froid ; elle ne changera pas la violence du puissant et son arrogance ; rien empêchera les anges noirs du complexe militaro-industriel de continuer à provoquer des conflits armés et à pousser le monde un peu plus dans le précipice du chaos absolu. Le business continuera qu’importe l’identité du nouvel occupant de la MaisonBlanche. Et le folklore autour de cette élection montre à quel point le citoyen ordinaire se laisse détourner des vraies questions. Avec une couverture médiatique totalement surdimensionnée frisant le voyeurisme, l’aveuglement collectif mondial a atteint un degré absolument impensable il y a peu donnant là matière à réfléchir sur la responsabilité de ce quatrième pouvoir qui décide sans l’avouer de l’actualité et écarte l’essentiel pour toujours plus de superflu. Encore quelques jours d’hystérie américaine retransmise quasi spontanément et quotidiennement, les injustices que subissent les anonymes, les tragédies que vivent les plus démunis, les - 200 -


urgences humanitaires et écologiques, les drames sanitaires et les extrémismes politiques et idéologiques, tout ce qui aujourd’hui fait de la terre un vaste cimetière à ciel ouvert, est réduit au silence par les trompettes du sensationnel. On trouve plus réjouissant de payer des fortunes pour avoir sur son plateau un expert en élection présidentielle américaine afin qu’il explique au téléspectateur endetté et angoissé par l’avenir et résidant à des milliers de kilomètres de cette chère Amérique, que le sort du monde ou presque est désormais entre les mains d’un peuple fébrile. Quand l’on commente les sondages arrivant toutes les heures au rythme haletant d’une série yankee et que l’on assiste outré au spectacle inédit du président élu d’un des plus grands pays européens, heureux comme un adolescent, recevant en grande pompe un sénateur américain, on se dit que notre époque est décidément drôle. Le monde vote Obama ! déclarait il y a quelques semaines un grand quotidien international. Le même monde qui dans sa majorité est analphabète, illettré et perdu dans les fouillis du zapping politique. Ce monde-là, sans s’en rendre compte, se cherche des héros, des idoles pour croire en quelque chose et fuir la misère de son quotidien. Le brouhaha autour de cette élection est affligeant surtout qu’à côté les souffrances des marginaux sociaux sont toujours sévères, mais restent inaudibles. On parle trois secondes du tremblement de terre au Pakistan avec ses centaines de morts, on passe furtivement sur les atrocités au Congo, l’euphorie atteint des sommets vertigineux, ainsi que les donations massives en direction de deux candidats, qui seront élus pour renforcer l’impérialisme américain, sont de plus en plus importantes. Le changement a un prix, il faut donc se serrer la ceinture et vider son épargne pour envoyer son champion s’asseoir dans un siège appartenant à l’establishment. Le plus dramatique dans cette histoire c’est

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que tout ce carnaval traduit au fond l’état de ce monde définitivement atteint d’une sorte d’ivresse du désespoir.

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Au nom du Père et du Saint-Espoir.. Dieu n’a pas quitté l’Afrique. Malgré la pandémie du Sida, les ravages du paludisme, les braises de l’ethnicisme, la pauvreté féroce, non malgré tout, Dieu n’ouvre plus seulement ses bras divins pour accueillir les milliers de morts du continent, Il est désormais la Voie qui mène vers l’illumination monétaire.

Le Dieu des pauvres et marginaux ne symbolise plus le renoncement à la volupté et au confort, le reniement des plaisirs du corps, c’est devenu le prétexte à la gloutonnerie matérielle et aux dérives insensés incarnés par ces nouveaux bergers qui mènent des foules de plus en plus nombreuses vers la « renaissance de l’âme ». Les Born Again ont pris d’assaut un continent déserté par l’influente Eglise qui après avoir ouvert les chemins du colonialisme sauvage, a contribué à maintenir les populations dans une sorte de laxisme révérencieux et à en faire de véritables zombis d’une foi falsifiée. A l’époque, - 203 -


l’ambition était un crime biblique car seuls les pauvres pouvaient se targuer de crever de faim dans des taudis et payer par cet ultime dénuement matériel, un sacrifice nécessaire, une place pour un paradis hypothétique. Durant des années on a fait comprendre aux nègres qu’ils ne devaient pas se préoccuper de leurs richesses naturelles pillées par les pionniers de la civilisation, mais se concentrer sur la survie de cette âme damnée par tant de naïveté que même le diable au fond ne voudrait même pas dans son brûlant empire. Les soutanes sont venues avec d’énormes crucifix et des fouets pour donner un peu d’espoir à ces peuplades, heureuses de se perdre dans l’archaïsme de leurs croyances ancestrales, et les libérer de toute la barbarie de leur condition. De nos jours, l’Eglise a sombré en même temps que les économies locales, les sermons des serviteurs du Saint-Siège sonnent désormais creux dans les oreilles de fidèles assoiffés de richesses et souhaitant vivre pleinement le paradis de l’argent que l’enfer réel et atroce de la misère. Les chapelles se vident, et les lieux de culte où naguère se manifestaient la puissance du Vatican, ressemblent aujourd’hui à des cimetières péniblement entretenus par des espérances d’un autre temps. Face à cette hémorragie de la foi, les serviteurs de Dieu, forcés à l’ennui et à une sorte de léthargie morale, s’adonnent aux pratiques de la chair, cédant aux tentations du plaisir et se mettant aux centres de honteux scandales. Ainsi, les armées du Salut se sont transformées en réserve de pédophiles, de vicieux en puissance et de dangereux pervers. A Douala, il se murmure qu’il serait judicieux de « ne plus laisser traîner son fils dans une église, et encore moins sa femme ! ». La méfiance et le désamour conduisent naturellement les populations à prêter une plus grande attention aux sirènes des nouvelles églises, revanchardes à souhait. Elle qui furent obligées à l’exil par l’Inquisition, condamnées par l’intolérance violente d’un - 204 -


catholicisme conquérant et tyrannique. Animées par un appétit vorace, elles se sont lancées dans un impérialisme religieux impitoyable, attaquant tous azimuts les pré carrés jadis inaccessibles et se retrouvant jusqu’aux sommets des Etats africains. On compte un nombre non négligeable de Chefs d’Etat africains partisans de la mouvance évangéliste. Du couple présidentiel ivoirien au putchiste centrafricain, illustre pilier sous-régional de l’Eglise Céleste, en pensant par ceux qui sans en être membres favorisent pour des raisons politiques inavouées cette vague d’évangélisation de la société africaine. Il n’existe plus une partie du continent qui échappe à l’assaut des pasteurs du renouveau messianique. Tandis que les armes dialoguent férocement dans le Nord Kivu et que les seigneurs de guerre apportent à la table de négociation les têtes ensanglantées du peuple que l’on assassine, dans les rues de Kinshasa fleurissent d’énormes affiches appellant les âmes pécheresses à se repentir et à « renaître » de nouveau. La paix ne venant pas des hommes, trop égoïstes, mais de Dieu, unique source de lumière dans ce monde de ténèbres. Une de ses sublimes sottises qui se vérifiaient d’ailleurs au Proche-Orient, en Irak, en Afghanistan ou récemment en Inde. Pourtant, jamais la ferveur chrétienne n’avait atteint une telle ampleur qu’à l’heure actuelle. L’engouement pour le spirituel est égal à l’absurdité de la situation apocalyptique de certaines régions. La parole de Dieu, revisitée et dépoussiérée par des prophètes modernes, propriétaires entre autres de villas d’un luxe insolent, fait renaître la flamme des lendemains merveilleux. On s’entasse par milliers dans des salles immenses, comme à Cotonou où il y a quelques mois on perquisitionna presque un hôtel, pour célébrer la rédemption des âmes, partager gloire et réussite à tous. Un succès spirituel suivi de près par de gros bénéfices financiers. Le prix de la délivrance dépendant du poids de la bourse de chaque fidèle.

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Le phénomène évangéliste en Afrique est le nouveau business lucratif qui permet aux apôtres auto-proclamés et autres guides messianiques de détrousser des bourses déjà vides pour enrichir leur ego, leur soif insatiable de mégalomanie. Partout sur le continent, les églises du Christ surgissent des hécatombes sociales des villes africaines, s’imposent grâce à un nombre impressionnant de campagnes d’évangélisation et de croisades pour sauver des êtres dépouillés survivant dans les faubourgs de l’inhumanité. Lorsque l’Eglise régnait par la terreur, humiliant les sauvages africains, les Born Again décomplexés, virulents et brillants se démarquent par le charisme irréfutable de leurs orateurs, la jeunesse et la fougue de leurs prêches, le respect de façade et une illusion bien tenue d’une modernité qui puise ses enracinements dans l’intransigeance du conservatisme. Certes les pasteurs ne sont pas condamnés au célibat, certes ils peuvent troquer les vieilles reliques vestimentaires catholiques contre des costumes taillés sur mesure par de grands noms de la haute couture, certes ils peuvent échanger les sandales usées par des chaussures en peau d’alligator ou rouler dans les dernières berlines toutes options, il n’en demeure pas moins qu’ils incarnent le retour à de dangereux idéaux dont l’Afrique se serait bien passée. Homophobie revendiquée, égalité des sexes bafouée, avortement, fornication et préservatifs etc., pratiques exclusivement diaboliques, voilà la véritable face cachée de ces missions évangélistes qui apportent de l’espoir tout en ôtant subtilement les libertés, ramenant la société à un idéal fondamentaliste pas très éloigné de celui des ayatollahs musulmans. Dans chaque rue, de Dakar à Johannesburg, un écriteau vient rappeler à la mémoire un peu trop évasive des hommes que seul « Jésus sauve ! » et aux jeunes de plus en plus libertins que « forniquer, c’est Mal ! ». La société puritaine nettoyée de toutes ses déviances semble ne plus être une mauvaise blague, en sillonnant les sentiers des - 206 -


bidonvilles de Douala, on navigue en plein cauchemar. Les filles en tenue jugée provocatrice et indécente sont insultées voire malmenées, la police veille à la pudeur, l’administration publique interdit de cité les femmes vêtues de pantalons, la chasse aux pédés est devenu un sport journalistique et citoyen national. Chacun y va de sa liste d’homosexuels présumés. Dans les écoles et universités se forment des clubs du Christ, accueillant des jeunes en quête de réponses et hantés par l’angoisse d’un avenir incertain. On formate au travers d’activités ludiques, de forums de réflexions chrétiens, de solidarité collective et d’écoute, les mentalités de ceux qui demain feront les lois et décideront des orientations de tout un continent. L’intelligence de cette stratégie est d’assainir à la base les consciences et de pouvoir miser sur une jeunesse convertie et convaincue de la noblesse de la cause. En lançant les fameuses Journées Mondiales de la Jeunesse, l’Eglise a voulu montrer qu’elle aussi pouvait se rajeunir et compter sur une véritable force juvénile catholique. Malgré l’enthousiasme des débuts, aujourd’hui elles connaissent un succès mitigé causé par la volonté d’un retour aux sources du nouveau pape et les scandales de mœurs à répétition allègrement repris par les medias. L’Eglise est à l’agonie. Seul un miracle pourra la sauver de sa disparition programmée. Pendant ce temps, sans s’en apercevoir on assiste à un passage de témoin dans la quasi indifférence des populations. L’on est plus choqué de voir que les salles de spectacle qui voyaient se produire les artistes locaux aient cédés la place aux orateurs du nouveau christianisme. Les stades se remplir dans une ambiance euphorique. Le show chrétien dans une intensité incroyable secoue le curieux en le transportant vers quelque chose d’inouïe et de particulier, pour le sceptique cette débauche de moyens et cette adhésion populaire en masse n’est qu’une illustration de plus de la fumisterie de la foi ou de la folie presque satanique des hommes désespérés. Et ce ne sont pas les transes - 207 -


épileptiques et autres miracles retransmis instantanément sur God Tv qui finiront par convaincre les puristes du rite catholique ou les athées du Providentiel. Dieu n’a pas quitté l’Afrique. Même s’il fuit les sommets régionaux consacrés aux résolutions des conflits, déserte les forums sur le développement ainsi que le cœur des dinosaures qui gouvernent des pays à l’agonie, et boude les palais présidentiels bâtis sur la détresse des affamés, Dieu est présent dans la verve du pasteur et dans la hargne du croyant qui dans une ferveur impressionnante reçoit en s’écroulant la grâce divine. Le Dieu tout neuf et beau vient de l’autre coté de l’Atlantique, drapé de la bannière étoilée, pour apporter le nouvel évangile et donner un sacré coup de vieux aux vieilleries du christianisme papale. Ce Dieu là, c’est Celui qui dit « heureux le pauvre qui veut devenir riche, car il est béni ! ». Le phénomène évangéliste est devenu au fil des années extrêmement vivace en Afrique au point de mettre à mal la présence que l’on croyait indéboulonnable des religions dite traditionnelles. Les Eglises se sont vidées de fidèles attirés par un dogme en adéquation avec leur espérance. Les nouvelles Armées Célestes apportent aux plus démunis une assistance matérielle conséquente, offrent à manger aux familles, construisent des écoles gratuitement, soignent sans frais dans des hôpitaux modernes des miséreux qui n’en demandaient pas autant, partagent des bourses d’étude aux jeunes pour l’Occident, et encouragent par un soutien financier majeur la création d’entreprises par de chômeurs diplômés. Qu’importe alors la rudesse de l’idéologie conservatrice prônée par ces nouvelles religions que de nombreux observateurs s’empressent de qualifier de « sectes » comme si les religions actuelles officielles ne sont pas quelque part des résidus de sectes, le plus important sur un continent ravagé par la - 208 -


désolation économique, la fracture profonde entre les nantis et les pauvres, l’instabilité politique et le despotisme, et un manque de vision et d’ambition pour demain, les populations africaines ne cesseront pas d’aussitôt de jurer au nom du Père et du Saint-Espoir..

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Call me negro ! Comment expliquer qu’en pleine période de célébration de la déclaration universelle des droits de l’homme, de cet engagement fort pour le respect des différences, que l’on puisse encore être victime d’insultes horribles ? Comment expliquer que le même individu qui traite l’autre de primitif et d’animal à cause de sa couleur de peau soit le même qui arborait il y a encore quelques jours un soutien clair à Obama ? Il n’y a pas de logique à la bêtise humaine, encore moins à la barbarie de l’esprit.

L’une des lois fondatrices de la société contemporaine est établie en une belle phrase : tous les hommes sont libres et égaux. Mais confronté à la rude réalité de l’existence, cet idéal de liberté et d’égalité ne parvient pas à tenir toutes ses promesses, celles du respect, de justice et de tolérance. Jamais l’humanité n’a su se conformer à ses propres règles édictées trop souvent après les carnages, les sombres hécatombes et les - 210 -


folies désastreuses. Comme si la sagesse ne pouvait naître uniquement qu’au travers des ténèbres de la haine. C’est donc de la violence que la civilisation grandit, que la communauté des hommes est prête à évoluer. Ainsi le mépris de la valeur d’autrui et la négation de sa dignité sont des sentiments qui semblent s’être incustrés dans la génétique de l’espèce humaine. L’histoire des hommes témoigne de cette propension au mal, de la traite négrière à la shoah en passant par la discrimination quelle soit raciale, ethnique ou sociale. Le quotidien nous offre son lot d’attitudes étranges, confortant l’observateur dans cette logique que l’être humain est foncièrement mauvais. Et que les moments de bonté, aussi rares qu’accidentels, sont de parfaites illustrations de l’impossibilité d’un humanisme durable, piégé entre la facilité du rejet et la réalisation d’un idéal à la prétention trop grande. Il aura suffit d’un « sale nègre ! » balancé comme un crachat dans un des RER qui dessert les principales stations parisiennes pour que l’hypocrisie des grands discours sur la dignité de l’homme comme un voile immaculé soit souillé par des comportements sauvages et dégradants. Comment expliquer qu’en pleine période de célébration de la déclaration universelle des droits de l’homme, de cet engagement fort pour le respect des différences, que l’on puisse encore être victime d’insultes horribles ? Comment expliquer que le même individu qui traite l’autre de primitif et d’animal à cause de sa couleur de peau soit le même qui arborait il y a encore quelques jours un soutien clair à Obama ? Il n’y a pas de logique à la bêtise humaine, encore moins à la barbarie de l’esprit. Je suis nègre. Je suis noir. Je suis humain. Que l’on trouve qu’il y ait quelque chose d’impropre et de sale dans cette identité, - 211 -


que l’on puisse la mépriser ou la condamner, cela ne changera pas grand-chose au fait que le nègre appartient aussi à cette grande famille que l’on nomme « humanité ». Et donc par conséquent mérite le respect et la considération que l’on doit à tous. Il est tout de même formidable qu’après des siècles de lutte et de libération, de batailles gagnées, de combats menés et remportés, que le terme « nègre » soit encore utilisé comme une balle de fusil pour transpercer le cœur des mélanodermes. Une expression guillotine, puissante, odieuse tranchant les politesses forcées pour mieux laisser gicler le sang de la négation de cet autrui dont la puanteur nous paraît insupportable. Jamais face à la violence de certains individus qui n’ont encore rien compris ou qui refusent de comprendre, le sentiment de colère et d’impuissance n’aura été aussi intense, aussi désespérant. La différence semble être à la fois le talon d’Achille et la richesse de la Civilisation. Une sorte de schizophrénie sociale règne partout où les diversités se côtoient, se rencontrent, se mélangent même si des fois elles ont du mal à se toucher. On se regarde en s’ignorant, on dresse des barrières mentales et physiques en se félicitant des îlots de communautarisme qui permettent à chacun de retrouver sa place et malheureusement d’y rester. Un « bonjour » entraîne un réflexe de suspicion, un « puis-je vous aider Monsieur ? » ouvre la porte à de malheureux malentendus. La différence raciale puisqu’il faut la nommer reste problématique, on ne l’avoue pas souvent, non par crainte mais par sournoiserie. Quand on la loue et la revendique c’est souvent pour répondre autrement à la stupidité de ces attitudes qui font si peu d’honneur au genre humain ou alors pour enfumer les consciences en leur permettant de s’endormir dans la quiétude paisible d’une société responsable. Pourtant, au-delà des vigilances étatiques, juridiques et associatives, cette différence là reste la source principale des déchirements qui ont - 212 -


autrefois conduit le monde au bord du précipice. Aujourd’hui l’on nous dit que les races n’existent pas pour tenter de faire barrage à cette idée qui veut qu’il y ait sur terre des races supérieures à d’autres, des catégories d’hommes purs et parfaitement humains, et d’autres qui descendraient d’animaux comme le singe et donc moins intelligents. Malgré les études scientifiques démontrant par ailleurs que nous ne sommes qu’un, le « Mein Kampf » continue à être après la Bible l’un des livres les plus lus au monde, inspirant de jeunes skinheads, hordes de barbares lancées dans le rues pour signifier aux beurs, aux nègres, aux juifs que la société ne tolérera pas plus longtemps leur souillure. Et l’intolérance raciale maquillée en politique de responsabilité, à l’instar de la chasse à l’étranger dans cette Italie qui n’a pas perdu ses élans fascistes, dans cette France abreuvée par des discours indignes revendiquant que l’on lui apporte sur le plateau de la faillite économique et sociale la tête ensanglantée de l’immigré clandestin, s’enracine dans les esprits. « Ah si j’étais un blanc ! » me souffla un ami, fatigué d’être contrôlé systématiquement par des policiers courant derrière les primes des quotas atteints. Le contrôle au faciès, voilà une manière de faire ressentir à autrui qu’il est vraiment différent, pire qu’il est un danger potentiel, un problème à surveiller, un fugitif perpétuel. La langue et le vocabulaire n’ont pas arrangé les choses. Tout ce qui est immonde, répugnant, poisseux, l’horreur même, est « noir ». Le « Black is beautiful » n’est ironiquement qu’une tentative bien faible de montrer que ce qualificatif inapproprié, appliqué à une catégorie d’humains est presque une condamnation à mort. Quant à « nègre » qui a longtemps subsisté dans les discussions intellectuelles de ces Lumières qui n’ont pas pu éclairer suffisamment leur propre ignorance, il porte les cicatrices de l’inhumanité des souffrances, des injustices, des tristesses d’un peuple mis au ban du monde. Et - 213 -


lorsqu’il arrive d’offrir la gloire à un nègre c’est souvent pour demander au reste de la peuplade d’arrêter de se plaindre. Un Mandela par siècle, un Soyinka par millénaire, il n’y a pas de quoi réciter de longues litanies, la reconnaissance sait sourire à qui sait attendre. Vivre avec le sceau de l’infériorité marquée sur le front, c’est là le poids quotidien que doivent subir ceux qui ont eu la malchance de naître du mauvais coté du soleil. L’on aura beau se conformer aux règles, être meilleur et talentueux, il y a toujours quelqu’un pour rappeler au « p’tit noir » qu’il ferait mieux de retourner dans la forêt d’où il ne vient pas. Tous les hommes sont libres et égaux. La belle promesse dont est constituée le socle de notre société. Une vraie escroquerie intellectuelle qui se révèle chaque fois que nous posons nos regards sur autrui, chaque fois qu’il faut se taire par peur, chaque fois que l’on se voit pointer du doigt parce que l’on est différent, une sorte de bête de foire, ou l’on se retrouve être le bouc émissaire idéal au service du spectacle épatant de la bêtise humaine. Call me negro !

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Au royaume de Bob le Sanglant.. Le cholera prend des vies. Des populations sans eau, sans assainissement, sans infrastructures, livrées à elles-mêmes, sont prises au piège et se retrouvent souvent seules face à un destin deja scellé. Près de 600 morts en quelques semaines.

En septembre de cette année qui s’achève, une épidémie de cholera emportait dans la quasi indifférence des centaines de personnes dans l’une des régions les plus liberticides de la planète, la Guinée Bissau. Quelques mois après, la même situation sanitaire se répète au Zimbabwe attirant cette fois-ci toute l’attention du monde. C’est vrai que depuis que le nom Zimbabwe est devenu synonyme de chaos politique et d’apocalypse social, la communauté internationale, ce formidable machin, prête aux litanies du peuple zimbabwéen une oreille toute particulière. Plongé dans un marasme économique sans précédent, ancien grenier d’Afrique australe, se targuant naguère de nourrir la sous-région entière à lui seul, - 215 -


le royaume de Robert Mugabe s’est enfoncé doucement dans les abysses du népotisme et se laisse désormais dévorer par ses monstres ténébreux que sont la corruption institutionnalisée, la divine impunité, la terreur appuyée par une oppression mécanique et impitoyablement efficace. Les récentes élections tenues au cours de cette année 2008, malgré des législatives remportées à la surprise générale par l’opposition, furent l’occasion de montrer l’affligeante bouffonnerie d’un régime qui non seulement est inapte et usé mais continue à s’accrocher coûte-que-coûte au pouvoir avec la bénédiction d’une Union Africaine honteuse et irresponsable. Pourtant, il ne faut pas être un spécialiste des droits de l’homme ou un politologue averti pour voir que ce qui se passe au Zimbabwe relève de l’absurdité de la démagogie. Pendant que le peuple vit chaque jour dans les horreurs de la pauvreté et semble épuisé par les batailles vaines du changement qui prend son temps, l’opulent prince et son impératrice s’offrent dans une capitale fantôme, Harare, une vie de pacha. Et les nombreux courtisans dansant au son des cantiques à la gloire du dieu vivant Mugabe et autour du veau d’or recouvert pour l’occasion de dollar américain, s’assurent avec minutie de la pérennité d’une monarchie à l’africaine. Mugabe n’étant pas le seul monarque du continent à s’enrichir allégrement sur les souffrances de son peuple en le tyrannisant sous le regard bienveillant des nouveaux parrains asiatiques qui ont rapidement remplacé ceux d’hier, les moralistes occidentaux. Il n’est qu’un nom sur une liste trop longue d’empereurs présidentiels africains qui font dans le silence sanglant de la répression ce que lui ose faire à la lumière des caméras des médias internationaux. Si l’on prend en pitié le peuple zimbabwéen, l’on devrait ouvrir des centres de compassion en Tunisie, en Egypte, en Angola, en Guinée Equatoriale, au

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Gabon, au Congo, au Cameroun etc., dans tous ces pays africains où le mot liberté est un crime de lèse majesté. Avec ces dizaines de milliers de malades souffrant de cholera et près de 600 morts pour l’instant, le Zimbabwe, pays de toutes les malédictions africaines réunies, attise toujours autant la fougue dénonciatrice des dirigeants mondiaux, le courroux des vertueux. Les populations dans l’attente d’une vraie mobilisation planétaire s’entendent dire qu’il leur faudrait d’abord chasser leur prince, soutenu durant des décennies par les Premier Ministres de sa Majesté, avant d’espérer voir débarquer les médecins et les médicaments dont ils ont urgemment besoin. A la place de réponse claire et appropriée face à la situation sanitaire catastrophique du pays, l’énergie est focalisée sur un individu que la raison a quitté depuis des lustres, et dont l’humanité semble avoir déserté un cœur en poussière. Cela fait des mois que Bob Mugabe méprise toutes les initiatives politiques et diplomatiques visant à l’écarter d’une manière comme d’une autre de son trône, et fait échouer régulièrement les négociations pour un partage du pouvoir avec celui que le peuple et les leaders de la communauté internationale ont deja choisi comme unique interlocuteur valable et légitime, Morgan, Tsvangirai. « Mugabe must go ! » lançait il y a encore quelques jours Condoleeza Rice devant les images d’enfants et de femmes en train de s’éteindre dévorés par une cholera sans pitié, une exigence tout aussi irresponsable que le gouvernement que la Secrétaire d’Etat dit représenter. Le temps n’est plus aux pressions et autres sanctions qui laissent de marbre un peuple dont les préoccupations sont de survivre à chaque heure qui passe. Et qu’importe donc les milliards de dollar confisqués que les fonds vautours s’empresseront à leur tour de détourner par le biais de procédures opaques voire criminelles, des - 217 -


interdictions de voyager pour l’entourage du prince qui d’ailleurs préfère le luxe déroutant de Dubaï et de Singapour à la froideur des rues de New York ou de Paris, des ultimatums et autres singeries dont la communauté internationale sait offrir quand le moment s’y prête le moins. Le malade zimbabwéen couché dans un grabat n’espère rien d’autre que des soins médicaux rapide. L’on se garda bien de questionner certains pays asiatiques touchés par le tsunami sur la crédibilité démocratique de leur régime politique, alors au nom de quelle doctrine devrait-on laisser mourir des populations simplement parce que leurs gouvernants sont des « gangsters » ? Au nom de quelle logique, de quel raisonnement, de quelle idéal devrait-on considérer que les malheurs de certains peuples valent mieux que ceux des autres et donc méritent un traitement différent ? C’est un tsunami silencieux qui touche actuellement le peuple zimbabwéen. Même si les pleurs de ces familles là ne pèsent pas autant que les cris des « traders » de Wall Street, et que leur désespoir n’affole pas les pôles financiers mondiaux poussant les « Grands » à débourser des milliers de milliards de dollar, ce sont des larmes d’êtres humains qui n’attendent pas beaucoup, ni visas pour l’occident, ni paternalisme arrogant, seulement un peu d’humanité et de responsabilité. Tandis que des villages entiers sont décimés par un mal que l’on croyait vaincu depuis des siècles, le cholera, les rois et empereurs des Grandes Nations semblent décider à transformer cette urgence sanitaire en une strangulation politique. Le « Bob » Mugabe, Tout-Sanglant, se moquant bien de ces agitations de « blancs » et de « traîtres » africains vendus à la cause occidentale, arrive par une insolence qui le caractérise à faire un bras d’honneur aux nouvelles sanctions internationales décidées contre son régime à l’agonie certes mais ayant encore intacte toute sa capacité de nuisance. Malgré les appels à la démission relayés par les médias, comme si au fond le départ - 218 -


de Mugabe pourrait dans l’immédiat stopper l’inadmissible carnage, le vétéran des luttes de libération nationale fait le sourd et continue à régner sur un cimetière de plus en plus immense. Obligeant presque l’Afrique du sud qui connait son lot de xénophobie à recevoir les caravanes d’hommes squelettiques, vidés et au seuil de la mort. Il est bien loin le fameux « We are the World ! », slogan fédérateur, universel pour dire « Non ! » à la famine en Ethiopie. Aujourd’hui à chacun sa misère. Et l’Union Africaine moribonde et mort-né regarde comme toujours les cadavres s’empiler et les fosses se remplir en espérant que d’autres viennent faire son travail. Sa seule réussite depuis sa création étant sa folle tendance au gaspillage et à l’entretien de ses bureaucrates ventripotents roulant dans de superbes berlines et logeant aux frais du contribuable dans de confortables châteaux. Avec la désignation du Très Transparent Ping, nouveau président de la Commission, qui fut épinglé par une enquête journalistique française sur des biens immobiliers étrangement acquis, cette Union, qui n’unit de fait que les intérêts des rois africains et ignore les aspirations des populations, a déjà écrit sans le savoir son épitaphe et qu’il appartient désormais aux nouvelles générations de repenser les fondations d’une autre organisation panafricaniste, active et exigeante. Parce qu’il est inadmissible qu’en ce siècle de toutes les ambitions, l’on accepte la régression permanente imposée par de vieux dinosaures dont l’horloge mentale, économique, sociale et politique est restée figée à l’heure des années 1960. Le cholera prend des vies. Des populations sans eau, sans assainissement, sans infrastructures, livrées à elles-mêmes, sont prises au piège et se retrouvent souvent seules face à un destin deja scellé. Près de 600 morts en quelques semaines. Un bilan loin de correspondre à l’ampleur réel du désastre. Nul été les - 219 -


efforts titanesques entrepris dans un contexte difficile des organisations onusiennes telles que l’Unicef qui distribue par jour environ 360 000 litres d’eau potable à ceux qui ne peuvent y avoir accès, c’est-à-dire à une large majorité de la population, le nombre de décès serait plus important. Un effort louable mais dérisoire. La Grande Bretagne dans sa générosité si « british » va débloquer plus de 10 millions de livres sterling, la France avance une première aide de « 200 000 » euros pendant que les américains réfléchissent encore et que l’Union Européenne discutaille. Entre temps, les charognards prennent d’assaut les cieux d’Harare et laissent présager que la magie des fêtes de fin d’année aura un arrière-goût de pompes funèbres au royaume de « Bob le Sanglant »..

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Paris by night

La plus belle avenue du monde est une princesse qui porte si somptueusement ses plus belles parures, de précieuses scintillantes, de petits flambeaux en or, des diamants clinquants déposés le long de ce chemin onirique où les peuplades avides de luxure et de rêve viennent se retrouver. La beauté des Champs Elysées dépasse de loin toute la littérature qu’elle a pu engendrer. Il n’y a pas de mots, les mots ne pouvant pas toujours dire l’indicible, qui puisse suffisamment, convenablement traduire l’émerveillement de l’esprit devant cette sorte de caverne d’ali baba où brillance rime avec opulence. La plus belle avenue du monde est une princesse qui porte si somptueusement ses plus belles parures, de précieuses scintillantes, de petits flambeaux en or, des - 221 -


diamants clinquants déposés le long de ce chemin onirique où les peuplades avides de luxure et de rêve viennent se retrouver. L’odeur de la transgression matérielle caresse les portefeuilles égarés dans les temples de la consommation. Dans ces églises de l’épicurisme décomplexé, l’unique foi est celle de l’apparence, chacun se réfugiant derrière un personnage savamment étudié pour mystifier autrui et jouir de l’illusion formidable d’être aussi une étoile dans un univers enchanté. La poursuite du bonheur passe par cette avenue mythique qui a vu défiler les plus grands comme les plus anonymes, une exigence presque rituelle pour des adeptes rigoureusement attachés à la magie de ces lieux. L’effervescence populaire à coté de la froideur humaine, un paradoxe parisien qui illustre la schizophrénie sociale française. Ce double standard du vouloir vivre-ensemble et du renfermement individualiste voire egocentrique, la méfiance primant sur la convivialité, la défiance sur l’hospitalité, et le sentiment d’être une partie d’une société tout en appartenant à des communautés différentes, radicalement opposées. Aux Champs-Elysées, on se côtoie sans jamais se toucher, et lorsque au détour d’un hasard les mains parviennent à se rencontrer c’est souvent caché dans des gants de velours. Ainsi l’ivresse parisienne est contagieuse mais elle reste terriblement solitaire, à l’Arc de Triomphe, point de ralliement des noctambules fortunés, les beaux quartiers se retrouvent dans leur élément tandis que les autres regardent admiratifs la magnificence d’un pays qui semble arrogamment leur tourner le dos, juste à quelques pas de cette Place de la Concorde où il y a plus d’une année, dans leur majorité, ils célébraient le sacre de celui qui leur promettait, enfin, en vain, la rupture. Marchant vers cette Tour Eiffel vêtue d’une robe bleue et d’un collier d’étoiles, phare lumineux guidant les pas perdus du - 222 -


passant dans les couloirs en pavés d’une ville prise d’assaut par les hordes de touristes excités, il arrive que l’on tombe sur des sacs de couchages rembourrés par la misère humaine, souvent près de grandes enseignes dont la splendeur aspire et noie ces débris sociaux qui crient « humanité » et « dignité ». C’est face à cette autre réalité dissimulée derrière l’éclat du merveilleux que la féerie parisienne montre toute sa fébrilité. De la rue de la Bourse à la rue de la Banque, des centaines de personnes s’éteignent consommées par le désespoir, l’abandon des hommes qui les traversent en se bouchant le nez, l’indifférence de ceux qui savent qu’en bas de chez eux il y a une âme qui se meurt, le mépris du reste se moquant bien des malheurs qui ne les regardent pas. Pourtant ce ne sont que des hommes que l’on estampille par la marque « SDF », sans domicile fixe, eux les nomades des zones urbaines à l’instar des peuples migrants du monde, à la recherche de leur havre de paix. Il n’y a plus grand monde qui prête attention à la colère désormais légendaire de Coluche, « on n’a plus le droit d’avoir faim ni d’avoir soif, un toit pour toi et pour moi », les cadavres que l’on découvre chaque heure sont devenus aussi éloquents que les grands discours sur la détresse des familles entières jetées dans les rues en ces périodes de froid hivernal. L’esprit de Noel court les Galeries Lafayette, déserte les foyers sociaux où les bénévoles, derniers mohicans, continuent péniblement et quelques fois démotivés à assurer à ces âmes à la dérive d’ephèmeres instants de convivialité. Sous les ponts, juste en dessous des couples qui se jurent l’amour à vie, de petits corps gisent sous les cartons pourris et les bouts de presse jaunis, la rue est devenue un cimetière ouvert que se réapproprie désormais le peuple d’en bas, celui qui a battu le pavé pour dire « Assez ! », il y a de cela une éternité deja, et qui semble lassé depuis par les révolutions, car au fond ce sont toujours les mêmes qui finissent par payer l’addition. Il y a - 223 -


dans les avenues de cette ville cosmopolite, de ce centre mondial du chic, une odeur d’abandon, de déshumanisation avancée, des couleurs vives du dehors qui cachent à peine la beauté terne de ces milliers de spectres déambulant dans les couloirs urbains. A Harare on meurt de cholera, ici c’est du froid, celui du cœur. Le cholera se soigne, l’indifférence pas, et c’est bien là toute la malédiction parisienne. Dans les stations de metro, fuyant la rudesse d’un climat impitoyable, les clochards et autres badauds envahissent les quais avec des accordéons d’où sortent des airs terribles d’un désespoir affligeant. Quittant Saint Remy Les Chevreuils pour la Gare du Nord, des femmes et des enfants se promènent dans le RER avec des cartes de la « pitié », un voisin chuchote à un autre que ce sont des personnes venues de l’Europe de l’Est, un peu pour se donner bonne conscience et sous-entendre que de « vrais » français ne pourraient certainement pas se rabaisser à une telle honte. Comme si tenter de survivre dans une société de plus en plus inégalitaire, prompte à sauver ses bourgeois et à exiger des efforts de la part de ceux qui en font deja assez, n’est pas suffisamment exécrable pour que l’on incrimine cette mendicité qui nourrit tant de familles. Dans les yeux de ces femmes interpellant les passagers accrochés à leurs bouquins ou à leurs journaux, faisant semblant de lire, il y a la perte de toute dignité, un vide effroyable creusé par les blessures d’une existence compliquée. Elles prennent le risque de se faire emprisonner parce que dans ce pays encore fortement influencé par la chretienneté, la mendicité est un crime. Comme d’habitude on préfère réprimer, se concentrer sur les effets au lieu de soigner les causes. D’un coté, il n’y a pas de travail, le chômage grimpe, de l’autre coté on voudrait mettre fin à l’assistanat étatique, réduire les allocations à un moment où des millions de personnes en ont réellement besoin, et enfin on s’offusque de voir des gens dans la détresse quémander un peu - 224 -


d’humanité. Les mains tremblantes de la petite fille, jointes en forme de calice, implorent plus de générosité, pour elle comme pour de nombreux autres enfants le réveillon est un jour presque ordinaire, et le Père Noël, une sacrée belle ordure. On dit souvent que l’identité d’une ville apparaît lorsque la voûte céleste s’assombrit, et lorsque les lumières des réverbères deviennent les seuls soleils dans chaque ruelle, alors il arrive que l’on ressente battre son pouls, suivre ses battements, deviner son état réel. Malgré les feux de l’illusion citadine, la voracité financière des centres commerciaux qui broient avec une rapidité déconcertante les cartes bancaires des hommes pressés par la gloutonnerie matérielle, le sentiment d’être spectateur d’une sorte de représentation théâtrale où les rôles sont convenues et où il n’y a pas de place ni à l’improvisation ni à l’émancipation, chacun devant rester à sa place, s’impose de lui-même sans que l’on comprenne le sens de cette comédie surréaliste. Molière n’a pas eu à aller bien loin pour trouver l’inspiration, il n’a eu qu’à ouvrir les yeux et regarder autour de lui. À chaque carrefour on pourrait écrire un best-seller, tellement l’absurdité de certaines attitudes contrastent avec la réalité, la cruauté de l’injustice que vivent une partie des hommes. Doucement, les premiers rayons du soleil, cachés par des nuages rebelles, pointent à l’aube, une pluie fine arrose les excès de la nuit, des couples s’en vont, titubant, s’amourachant vers un avenir incertain, tout près des cadavres frigorifiés gisant dans des tentes de fortune.

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Le règne du Sur-Je De la virilité et de l’excitation souvent amalgamée au dynamisme, au-delà d’un véritablement changement institutionnel et social, voilà l’essentiel de l’action de cet Empereur dont la brutalité témoignait plus de son incapacité à négocier, à faire évoluer par la concertation que de son impatience infantile et son mépris inné pour les plus faibles, un comportement assez paradoxal quand l’on connaît ses origines modestes.

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La foule en délire acclamant son champion. Des artistes légendaires et ephemeres entassés autour de l’Elu, des mécènes face au peuple triomphant, des oligarques buvant du petit lait dans un de ces restaurants où la France d’en bas n’a pas droit d’entrer faute de moyens, le Messie tant attendu est arrivé pour sauver le pays de son déclin programmé. La place de la Concorde, bondée, prise dans le tourbillon infernal de l’euphorie populaire, jusqu’au bout ils y ont cru, ils l’ont espéré, la rupture est désormais possible, inéluctable.

Fatigué par les excès de plus d’une décennie d’ « immobilisme », de magouilles en tout genre, de népotisme, le peuple venait de choisir un héritier du système pour reformer un univers fortement opaque et conservateur. Par quelques artifices merveilleusement utilisés, on fit croire que le preux chevalier, bien qu’illustre membre du gouvernement sortant, était un homme neuf, digne d’aller en croisade contre les nonsens politiques que lui-même en son temps avait participé à instaurer. De l’unicolore grisâtre du vieux régime chiraquien, on passa rapidement à la brillance maximale pour mieux aveugler les peuplades dans l’attente désespérée du miracle. Il y eut donc à cette fin, la mise en place d’un concept fort ancien, subtilement flou que l’on nomma « ouverture », une sorte de débauchage des frustrés, cupides et avides qui se terraient chez les adversaires, ils reçurent des postes plus ou moins prestigieux sans réel pouvoir, car comme durant toute sa carrière politique l’Elu jouait avec virtuosité sur l’apparence et l’illusion. L’ouverture ne consistant pas uniquement à mettre dans sa gibecière gouvernementale les hommes d’en face mais de s’ouvrir également idéologiquement aux idées d’autrui et d’incorporer ses différences dans l’élaboration d’un programme commun et élargie. C’est peut-être dans cette perspective qu’il fallait comprendre le slogan « Ensemble tout devient possible » - 227 -


qui fut son leitmotiv dans sa marche vers le trône présidentiel.

Mais tout le monde le savait le nouveau Prince ne comptait pas négocier sur le fond, la foule délirante qui l’avait consacrée Roi pour qu’il redore le blason d’un pays qu’il avait contribué à ternir, attendait de lui autre chose que les sempiternels tergiversations politiques de l’ancien régime. De la virilité et de l’excitation souvent amalgamée au dynamisme, au-delà d’un véritablement changement institutionnel et social, voilà l’essentiel de l’action de cet Empereur dont la brutalité témoignait plus de son incapacité à négocier, à faire évoluer par la concertation que de son impatience infantile et son mépris inné pour les plus faibles, un comportement assez paradoxal quand l’on connaît ses origines modestes. Peut-être a-t’il toujours cru que discuter sans humilier était l’apanage des hommes médiocres, alors qu’il l’aurait valu mieux écouter les autres que de s’écouter soi-même en longueur de temps. Il est vrai comme le souligne souvent Alain Minc, l’homme qui murmure à l’oreille du Prince, que Zeus n’est pas idiot. Peut-on être idiot et rendre publique son divorce le même jour où le pays entier est paralysé par un mouvement social d’une grande ampleur afin de détourner cyniquement l’attention sur ce qui se passe dans le lit impérial ? L’intelligence du Prince égale celle de Dieu lui-même. Qui pourrait faire croire au monde que seule l’intervention de l’Impératrice, l’arme au poing, a permis de sauver de la barbarie du berbère libyen les pauvres innocentes bulgares, en faisant passer en silence les efforts titanesques des diplomates européens et internationaux qui durant des mois ont mené avec un certain succès des négociations discrètes ? Qui pourrait laisser entendre que la libération d’Ingrid Betancourt est due uniquement à la mobilisation permanente d’un Président à peine installer dans le fauteuil présidentiel ?

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L’intelligence du Prince est comme sa mission, divine.

Et comme toute vocation divine, toute forme de contestation ou de protestation est systématiquement taxée de blapsheme haineux, le « sarkozysme primaire », injure suprême aussi puissante que celle de se taire face à un certain extrémisme israélien de peur d’être « antisémite ». Dans le nouveau royaume, la critique est un luxe qu’un nombre restreint de privilégiés peut encore se payer, mais pour combien de temps ? Même les dinosaures disait-on indéboulonnables et inaltérables, ont finalement été réduit au silence. Dans les conférences de rédaction de cette presse au garde- à-vous, l’angoisse est présente dans les esprits et la hantise d’être le prochain sur la liste est palpable. Les medias, naguère contre-pouvoir, se soumettent à l’autocensure et évite trop souvent d’aborder les questions de fond, préférant se concentrer sur les faits divers moins risqués. Depuis son accession, le Prince a fait de la communication un véritable acteur de l’action politique. De plus en plus, l’égocentricité du surjeu portée par l’invasion du « Je » à la place du « nous » collectif, et sublimée par les « spotlights », a transformé le sens du politique en une personnalisation étouffante. Grâce à cette nouvelle gouvernance basée sur sa propre personne, sur l’omniprésence et l’omnipotence, on centralise le débat sur soi en dictant l’actualité à ceux dont le rôle premier consiste à s’arrêter un moment pour dégager le vrai de l’ivraie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette personnalisation de la politique n’entraîne pas forcement une responsabilité directe et accrue, lorsque les nuages s’amorcellent à l’horizon, on trouve rapidement d’autres coupables, la crise financière, les caisses vidées par les prédécesseurs, la conjoncture internationale défavorable etc. Un exemple de cette escroquerie intellectuelle, il y a quelques mois, Nadine Morano, ce pitbull avec un rouge à - 229 -


lèvre, mettait la réduction du chômage sur le compte de l’activisme présidentiel, alors que ce résultat était la conséquence des efforts constants des gouvernements précédents que l’on accusait aujourd’hui de paresse et de laxisme. Des semaines plus tard, la hausse du chômage était par un tour de passe-passe le signe de la profondeur de la crise économique mondiale.

Il arrive parfois que le Prince s’amuse à faire du « stand up » avec des blagues pas très inspirées provoquant le fou rire mécanique des courtisans qui ont tout intérêt à rigoler et à le trouver drôle. C’est avec un étonnement terrible que l’on apprend au détour d’une de ces interventions que « lorsqu’il y a grève en France, personne désormais ne s’en aperçoit », et quelques mois après les lycéens en colère font plier le gouvernement.

Le dictat de l’image à entraîner la classe politique française vers une sorte de damnation idéologique. Des grandes messes d’évangélisation où l’on appelle à la FRA-TER-NI-TE aux ministres devenus des égéries des marques du chic, la mutation est inquiétante. Il ne faut pas attendre de l’opposition émiettée en clans qui se détestent farouchement, qu’elle puisse être une force de proposition, une alternative intéressante. Les intérêts personnels priment sur les urgences sociales et les préoccupations citoyennes. Et le rare qui parvient à se faire entendre, à cristalliser une certaine espérance, appelle à la mort du capitalisme cannibale, un remake moderne de la lutte des classes. Le reste se fond dans le paysage ou presque. Le démocrate chrétien de droite devenu par opportunisme centriste, c’est-à-dire assis politiquement le « cul entre deux chaises », dont le programme électoral ressemble à la virgule - 230 -


près à celui du parti impérial comme l’a justement souligné le très ambitieux et brillant François Copé au cours d’un échange télévisé mémorable qui a mis à nu l’absurdité d’un mouvement sans âme mais surtout sans capitaine. De l’autre coté on assiste volontiers à l’agonie de l’extrême droite qui espère que l’aggravation de la situation économique finira par provoquer un apocalypse social dont les boucs émissaires idéaux seront ces « sauvages » d’étrangers, voleurs d’emploi et ingrats. Avec une politique d’immigration dite choisie puisque la France ne peut « accueillir tout la misère du monde », misère dont elle est la cause en pillant sans scrupule les ressources naturelles des pays du Tiers-monde et en maintenant par tous les moyens leurs tyrans au pouvoir, le parti impérial a su siphonner un flanc de la doctrine frontiste remettant du coup en cause l’existence de l’extrême droite sur l’échiquier politique nationale. Quand au parti à la rose, c’est l’excellence du ridicule qui a prévalu depuis des mois. Entre tripatouillages électoraux digne des républiques bananières et déchirements viscéraux, le problème fondamental pouvait se résumer à une folle opposition frontale et concentrée sur le prince et moins sur son action, son agitation excessive, superficielle. En désignant une représentante de la « gauche de la Gauche », le parti socialiste veut désormais se donner les moyens de ne pas être une simple force d’obstruction parlementaire mais d’incarner une autre « idée » de la France. Mais avec une Ségolène, royale Diva, en embuscade, un Bill Clinton français au Fond Monétaire International qui patiemment attend son heure, les questions de leadership risquent de plomber durablement une renaissance mal préparée. Tant que les mammouths de ce parti ne permettront pas l’éclosion d’une nouvelle génération de jeunes dirigeants incarnant la diversité de la société, qui permettent sa reforme, l’on peut considérer cette formation politique comme morte et enterrée.

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La nomination populaire du Prince a suscité bien des espoirs. Nombreux sont ceux qui ont été déçus, nombreux sont ceux qui ont été satisfaits, à commencer par les heureux bénéficiaires du paquet fiscal. Jamais en cette fin d’année la détresse n’aura été si puissante et la colère si intense. Malgré le satisfecit général sur le volontarisme du Prince dans le Caucase comme lors des tribulations financières, le constat froid et implacable s’impose, trop de bruit pour pas grand-chose. Il aura fallu l’intervention américaine pour arrêter le géant russe dont la Tsar Medvedev ironisera sur le manque de sereinité du leader français. De même, l’organisation dans la précipitation d’une conférence sur la crise financière n’a pas résolu les problèmes de fond, et les engagements pris n’ont eu aucune portée à court mais aussi à long terme sur la restructuration d’un système malsain. Si tout le monde convient avec la catastrophe actuelle que reformer le capitalisme, le moraliser est une exigence impossible à ignorer, il faudrait du temps et de la concertation pour y parvenir tant les enjeux sont énormes et les intérêts divergents. Ce qui est frappant dans cette histoire très étrange, c’est que depuis l’éclatement de ce scandale financier mondial aucun de ces fossoyeurs économiques n’a été poursuivis ni incriminés pour avoir plonger le monde dans le chaos et faire perdre à des millions de personnes leur sous. Comment moraliser le capitalisme si l’on n’a même pas le courage de mettre en prison ces gangsters à col blanc ? Il est plus aisé de traiter de racailles de petits banlieusards et de se faire petit en profitant des largesses des nantis, de la générosité de ses amis richissimes, on attend aussi que l’on nettoie au karcher la finance internationale.

L’essentiel n’a plus aucun sens dans ce royaume où la saturation qu’elle soit médiatique ou politique a imposé de nouvelles considérations. Chaque fait divers appelle une - 232 -


nouvelle loi répressive. On se soucie très peu de comprendre le pourquoi du comment, trop lent, trop compliqué, il faut aller vite et provoquer la polémique pour mieux écraser et stigmatiser autrui. Sans le savoir, en quelques mois il s’est instauré dans la monarchie républicaine française une gouvernance parasite et toxique, le règne du Sur-Je.

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Le Renouveau écarlate.. Pendant que le Cameroun d’en bas vit des périodes terribles, celui d’en haut organise des festivités pour rendre gloire au Vieux Lion édenté et malade, responsable des tragédies que vivent des milliers de foyers au quotidien.

La paix n’est pas l’absence de conflits. La stabilité ne se construit pas sur un tas de ruines, encore moins sur des hécatombes. Alternance et stabilité ne sont pas foncièrement antinomiques, au contraire ce sont là deux idées complémentaires que les vraies démocraticides ont su appliquer pour le grand intérêt de l’ensemble de la communauté. Depuis une trentaine d’années, les mêmes choses se répètent inlassablement, dramatiquement. On redonne au peuple qui ne cesse de déchanter les mêmes recettes usées, lui qui, désabusé, se regarde couler dans les eaux profondes et obscures de la - 234 -


pauvreté

généralisée.

Pendant que le Cameroun d’en bas vit des périodes terribles, celui d’en haut organise des festivités pour rendre gloire au Vieux Lion édenté et malade, responsable des tragédies que vivent des milliers de foyers au quotidien. Des personnalités se succèdent devant les cameras pour expliquer en cette année nouvelle, le pourquoi du comment d’un règne à l’agonie et dont les diverses absurdités s’étalent dans la presse. Les hommes forts du régime viennent témoigner de leur incapacité à faire face aux enjeux actuels en ressortant des placards de l’histoire de vieilles tirades politiques. On explique au citoyen qui croule sous les dettes qu’il ne devrait pas trop être exigeant, le plus important étant que son Souverain ait pu durant toutes ses longues années préserver la « paix » et l’ « unité nationale » alors que les pays voisins s’entredéchirent dans des conflits fratricides. Voilà l’argument infaillible qui semble balayer le catastrophisme toujours exagéré de ces petits donneurs de leçons, de ces droitdelhommistes jamais satisfaits, de ces journalistes un brin insolents qui osent dénoncer les abus répétés du système et qui ne reconnaissent pas assez les efforts du gouvernement pour garantir la « sereinité » sociale c’est-àdire l’oppression implacable de toute forme d’opposition, l’instauration à coup de matraque du silence sanglant des agneaux. La paix sur une montagne de cadavres empilés les uns sur les autres, la stabilité maintenue dans la brutalité intransigeante, sur le sang versé dans les rues de Douala, de Bamenda, de Buea, et de ces lieux où trop de souffrance a tué l’espérance. Mais il ne faut pas le dire, l’essentiel c’est préserver la sereinité, nécessaire pour donner l’image d’un pays civilisé, fréquentable, et couvrir l’odeur nauséabonde des familles qui se meurent à l’ombre des massacres économiques

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et

sociaux.

Tout va bien au Cameroun. Normal, rien n’a changé. Les mêmes fossoyeurs se succèdent à des postes gouvernementaux vendus aux plus offrants. Tandis que des ambassadeurs meurent de vieillesse dans des représentations oubliées, de jeunes diplômés formés pour les remplacer sont affectés aux archives du ministère des affaires étrangères, c’est là toute la place que l’on accorde aux nouvelles générations, les archives de la république. Et les rares qui parviennent à tirer leur épingle du jeu, ont eu l’intelligence de retirer leur carte du parti. Survivre dans cette jungle où le faible n’a aucun droit, c’est pouvoir être capable de se renier, de se ridiculiser suffisamment pour plaire au monarque. Plus on est zélé plus on a des chances de recevoir une miette tombant de l’assiette de l’oligarque. C’est pourquoi il y a tant de personnes promptes à danser au son du balafon et des tam-tams pour attirer l’attention de sa Seigneurie installée bien haut sur son trône doré. A faire des courbettes au point d’en avoir le dos brisée par cet excès d’hypocrisie et de, disonsle, « léchage de bottes ». Rien n’a changé. Le Cameroun reste le Cameroun. Le Président gouverne de l’occident – quand il lui arrive de gouverner-, le Premier Ministre de son village et les autres soldats de plomb, fidèles serviteurs d’une république qu’ils veulent la leur, de ces lieux de villégiatures où en de bonnes compagnies l’existence prend un sens plus paradisiaque.

Il y a quelques temps le Prince affirmait que le pays était arriver dans une phase cruciale de son développement, que cette lumière tout au fond du tunnel était celle de la délivrance et de l’avènement d’une nouvelle société, plus juste et moins engluée dans la misère. Mais il est apparu que la lumière au - 236 -


bout du tunnel était celle du train de l’incompétence qui est arrivé tel un tsunami pour briser les vrais faux projets sociaux et économiques. Depuis l’atteinte du point d’achèvement marquant la fin du processus de désendettement extérieur, les miracles attendus n’ont pas eu lieu. Au contraire, jamais comme aujourd’hui la cherté de la vie n’aura atteint de tels sommets et l’angoisse de telles proportions. De plus en plus de gens dans la rue, de clochards et de mendiants hantant les carrefours des grandes agglomérations, le désespoir dans le regard vide de ces enfants qui se vendent à la sauvette. Pendant ce temps, les antennes télévisuelles de la république sont réquisitionnées pour transmettre du palais présidentiel, en direct, la cérémonie très officielle dans une solennité froidement indécente, la remise des carnets scolaires des rejetons princiers. Le budget de l’Etat explose lorsque celui du citoyen fait une cure drastique d’amincissement. Les berlines dans les parkings administratifs témoignent des priorités réelles des gouvernants qui voient dans le service public « la » vache à lait par excellence pour nourrir leur démagogie, soigner leur ego et entretenir leurs multiples maîtresses. Le drame du Cameroun, c’est que ce sont des personnes brillantes, bardées de diplômes, conscientes des réalités, qui se livrent au plus inhumain des pillages avec la complicité de ces chancelleries occidentales toutes heureuses de favoriser l’installation anarchique de leurs multinationales dans un paysage politique apocalyptique. Personne n’est vraiment regardant sur les déchets toxiques déversés dans le golfe de Guinée et dans les rivières à l’intérieur du pays, des forets que l’on abat pour récupérer le bois précieux, des pollutions atmosphériques de certaines industries, avec des milliards placés dans les comptes bancaires étrangers même le plus virulent des politicards prend la peine de se taire et de regarder ailleurs. En ces temps de grandes incertitudes, des chômeurs en masse squattant le moindre espace pour quelques sous, des jeunes désocialisés et - 237 -


s’accrochant au pire, quel fonctionnaire refuserait la possibilité d’envoyer ses enfants fréquenter en occident sous le couvert de « bourses d’étude de la coopération » en échange de petites magouilles où tout le monde trouve son profit sauf bien évidemment le peuple ?

Le microcosme politique local est une fumisterie commune à toutes les républiques bananières. La quête du pouvoir supplante les actions sur le terrain, la mobilisation pour le développement des microprojets est inexistante, tous les politiciens attendent l’heure des élections pour offrir à boire et à manger au peuple lassé de se soucier d’un avenir qui ne sera en fait que le prolongement du présent. La culture démocratique est faite pour les « longs crayons », le Cameroun d’en bas n’attend pas que l’on lui offre de beaux discours, ni de révolution en carton, mais de quoi répondre dans l’immédiat aux urgences sociales. Les jeunes peuvent dans une certaine mesure répondre à ces urgences et être des acteurs du développement, mais en même temps il faut souligner que l’administration sème sur le chemin de cette jeunesse d’énormes embûches administratives, financières, fiscales de telle sorte que rien ne puisse se faire. L’université, au premier plan de cette volonté de changement, manque d’ambition et de moyens. Elle diffuse encore un enseignement sclérosé où le besoin d’idées nouvelles et l’appétit de savoir sont étroitement étouffés par un système archaïque et abrutissant. On encombre la mémoire sans développer l’intelligence, le talent, des étudiants. Corruption, arbritaire, notes sexuellement transmissibles, promotion canapé, les boulets de l’université au Cameroun sont importants et imposants. Il aura fallu que des étudiants descendent dans la rue, battent le pavé, pour que certaines situations surréalistes puissent être remédiées. Mais nul n’est dupe, l’inacceptable n’est jamais très loin, il revient - 238 -


toujours s’installer là où il avait été chassé grâce au laxisme terrible qui autorise toutes les fatalités. Le Cameroun restant le Cameroun.

La démocratie c’est aussi savoir encourager l’alternance et le passage de témoins à de nouvelles générations de responsables politiques. C’est accepter la contradiction, la désobéissance civile et la revendication. Il est facile de trouver que la paix règne au Cameroun, lorsque le moindre murmure est écrasé avec une violence inouïe. Doit-on rappeler le nombre de journalistes, d’intellectuels, de gens ordinaires enfermés dans les geôles étatiques pour avoir dénoncer la pourriture d’un régime liberticide et irresponsable ? Doit-on parler de ces camerounais récemment battus pour avoir exigés plus de transparence dans la gestion des affaires publiques par des forces de l’ordre enragées ? Avec un énième tripatouillage constitutionnel le Vieux Lion voudrait s’assurer l’immortalité au pouvoir, s’appuyant sur une armée balkanisée et tenue par la cupidité. Mais il devrait être attentif au fait que l’immortalité en politique est une chimère et qu’il faut savoir tourner sa page avant que l’on ne la tourne pour soi. Car la majorité silencieuse, à tort et d’une certaine manière complice, supporte de plus en plus mal ce gâchis monstrueux qui s’est érigé en sport national.

Avec des routes inexistantes alors que les péages et autres taxes sont mis en place pour entretenir, construire, fluidifier les déplacements des hommes ainsi que des marchandises, avec des hôpitaux publics où l’on meurt sans être soigner faute de compétence et d’argent, avec des écoles d’un autre âge dans lesquelles les élèves sont entassés par centaines, avec une agriculture en friche et une industrie embryonnaire alors que les projets de remise à niveau et d’exploitation jaunissent dans les - 239 -


tiroirs des bureaucrates, avec de jeunes ingénieurs transformés en chauffeurs de taxi ou vendeurs de la friperie, avec des libertés bafouées par des flibustiers aux ordres du Prince et de la mise à sac du trésor public, il est temps que cette tragédie qui a vu s’éteindre tellement d’espoirs s’arrête définitivement. Il est temps de mettre fin à ce « Renouveau » écarlate.

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A new birth of Freedom Naître différent ne devait plus être une fatalité mais un atout pour l’ensemble de la communauté, le révérend pasteur avait à l’ombre d’Abraham Lincoln, pèlerin en son temps de cet idéal de fraternité et de liberté, donné un sens différent au terme « diversité ».

Le rêve de Martin Luther King Jr. était celui d’une Amérique multiraciale égalitaire et digne. Il n’était pas noir, ni blanc, ni rouge, ni jaune. C’était celui d’une nation plurielle fondée sur la méritocratie et les compétences de toutes les composantes de la société américaine. Naître différent ne devait plus être une fatalité mais un atout pour l’ensemble de la communauté, le révérend pasteur avait à l’ombre d’Abraham Lincoln, pèlerin en son temps de cet idéal de fraternité et de liberté, donné un sens - 241 -


différent au terme « diversité ». Les paroles du révérend King ont traversé les époques et se sont transmises aux générations comme un héritage commun, historique et vivant, la concrétisation d’une promesse américaine, mais aussi d’un espoir universel pour une meilleure acceptation d’autrui et une considération plus humaine de la dignité de chacun.

Au-delà de cette vision arc-en-ciel, de cet appel à la tolérance venant d’un homme qui avait toutes les raisons de porter la haine, c’est le droit inaliénable à la différence que durant de longs siècles la méchanceté des cœurs à assassiner, lyncher, nier, qui s’est vu consacré dans ces mots ordinaires. Le « I have a dream » marque la sacralisation du droit à la différence, l’exigence d’une ouverture courageuse sur l’inconnu et ses particularités si éloignées de nos propres représentations. Il interpelle les esprits prisonniers de leurs carcans idéologiques, sociaux, raciaux à ne pas craindre ce qui paraît étranger et à oser le choix de croire en la bonté des âmes. Une sorte d’audace de l’espoir. L’espoir en l’humanité des hommes, en l’avenir quelques fois ombrageux et souvent capricieux mais dont les clés demeurent toujours entre les mains de ceux qui y croient suffisamment, fermement. En ces temps de pessimisme contagieux, la violence des crises économiques et identitaires provoquant de profonds bouleversements dans les existences de millions de personnes à la fois appauvries et en colère, laisse présager que le monde se dirige vers des affrontements inéluctables de plusieurs ordres où les questions sur la différence ne manqueront pas d’être subtilement exploitées à des fins honteuses. Le cri intemporel du révérend King est plus que jamais d’actualité. Les discriminations restent vivaces au sein des civilisations qui se sont peu à peu déshumanisées, le progrès a englouti l’infime chaleur qui subsistait dans le cœur des hommes, les communautarismes exacerbés par le sentiment - 242 -


d’insécurité généralisé ont érigé des barrières entre les individus. Sans parler des guerres à répétition que l’on se livre de tout temps, contre soi d’abord et contre les autres ensuite, ces autres qui ont toujours quelque chose de pas « très claire ».

L’apartheid mondial qui régit la gouvernance internationale, entre la majorité misérable que l’on cantonne dans les Tiersmondes et la minorité opulente se réfugiant derrière ses murs barbelés, s’est accru affreusement. C’est désormais deux univers diamétralement opposés qui squattent la même planète. L’inégalité économique et l’inéquité sociale sont devenues les normes qui justifient l’irresponsabilité des puissances conquérantes. Il n’y a plus grand monde à la poursuite du bonheur, énormement de personnes sont restées au bord du chemin de l’espérance, la plupart des gens n’ont plus foi en quoi que ce soit à cause des déceptions accumulées, des tristesses permanentes, des humiliations persistantes, car à chaque fois on leur a fait comprendre qu’ils étaient des soushommes, juste parce qu’ils étaient nés du mauvais coté du soleil. La force du message du révérend King est celle d’une égalité véritable entre les hommes, les mêmes chances de réussite qu’importent ses origines et de ses attributs physiologiques ou mentaux qui trop souvent deviennent des critères d’exclusion. La puissance de ce rêve est celle d’une Amérique mais aussi d’un monde capable de s’émanciper de ses tares pour grandir en humanité, soudée autour d’une solidarité plus forte. Vivre ensemble dans le but de favoriser la réalisation d’ « une union plus parfaite », c’est là la quintessence de l’existence du monde. Il n’est pas acceptable en ce siècle que les déchirements entre les peuples, du ProcheOrient au Tibet en passant par le cœur de l’Afrique, soient tolérés et vécus comme des fatalités. Il n’y a pas de fatalité de

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la

bêtise

humaine.

M. Barack Obama s’est fait l’écho de cette promesse luthérienne. Il apporte avec lui le miracle d’une époque qui refuse de croire en la fatalité et en l’immuabilité de la nature humaine. Il incarne le changement dans toute sa magnificence, sa sincérité, sa sérénité et son audace. Réussisant à transcender la question raciale, ainsi à élever le débat politique à un niveau jamais atteint, il a montré que le plus important n’était pas d’où l’on vient ni ce que l’on est mais ce qui nous habite et nous motive. L’identité est secondaire, elle n’a pas de sens dans un monde où l’on est appelé à se mélanger ou alors à disparaître. Seule la vision, l’idée que l’on se fait de la société importe, le reste ne devrait plus avoir de sens. Voilà personnifié le rêve du révérend King, une Amérique, un monde au carrefour des cultures et des influences, qui sachent puiser dans cette richesse et se renouveler sans se renier. De la « Race en Amérique »[1], le plus grand discours de ce siècle, marque cette maturation de l’universalisme, fondamental dans l’acceptation d’autrui et la compréhension de ses souffrances et de ses douleurs qu’elles soient d’hier comme d’aujourd’hui. M. Obama a redéfinit le rêve du révérend King en le sublimant et en ouvrant la voie à des générations qui sont désormais convaincues qu’à force d’acharnement, qu’à force d’y croire, effectivement « Yes we can ! ». Certains ont dit, sans vraiment le penser, qu’ « ensemble tout devient possible » mais par la suite ils ont adopté la marche solitaire et égocentrique vers la gloire, leur gloire propre. L’on ne devient pas une légende en commandant aux éloges, en tentant de ridiculiser les plus récalcitrants, ou en s’exposant impudiquement, ce n’est pas dans l’agitation non plus que toute chose s’accomplit mais dans l’évolution et la sérénité de l’action. Comme le soulignait cette illustre plume, Ernest Hemingway, « ne jamais confondre le mouvement et - 244 -


l’action », car il est aisé de bouger sans réellement agir, pendant ce temps les problèmes s’entassent avec la grogne qui enfle dans les classes populaires déçues d’avoir cru que pour eux on irait chercher avec « les dents » des jours meilleurs. Contrairement à cette attitude de parvenus ou du sentiment d’opportunisme mal contrôlé, d’ignorance qui s’ignore, l’Amérique nous offre l’image d’une générosité exceptionnelle, d’une humilité des grands hommes qui savent s’effacer et mettre au premier plan les challenges à relever tout en soulignant que chacun avec son histoire est une partie du changement, donc de la solution.

Pendant une décennie, le rêve du révérend King a été malmené. Les idéaux des Pères Fondateurs ont dû céder face aux abus terribles de l’administration Bush. Les scandales se sont succédés, du mensonge irakien avec son lot d’horreurs au cauchemar de Guantanamo en passant par le gangstérisme de Wall Street sans parler de l’enfer Katrina, l’Amérique a offert au monde interloqué et sidéré une image pathétique d’un maître au bord du gouffre. Le terrorisme est venu dire que l’on ne pouvait prétendre à la sécurité sans sacrifier une partie de nos libertés, qu’au nom de nos vies si précieuses, l’on avait torturé des présumés coupables. L’on a assisté à la mort de la liberté et à l’uniformisation de la pensée. La pérennisation de nos sociétés doit-elle passer par la damnation de nos valeurs et des principes qui constituent l’ossature même de ce qu’il convient encore de nommer « démocratie » ? Le prix de cette survie que l’on nous propose, de ce confort républicain et libéral, est-il l’éradication de toute opposition ? Le patriotisme est désormais le synonyme parfait de nihilisme de la critique, les guerres se sont multipliées avec les axes diaboliques, sur fond de croisades politico-religieuses entre les anges exterminateurs du monde chrétien et les ayatollahs vengeurs islamiques. - 245 -


L’Amérique s’est tellement éloignée de ses fondements. Elle s’est souillée dans des batailles inutiles à l’extérieur alors que les vrais combats étaient perdus à l’intérieur. Moins de liberté et moins de sécurité. Un échec total d’une politique de l’autruche. Les inégalités ont littéralement explosées au cours de ces derniers mois, les tensions intercommunautaires sont réelles et la situation préoccupante. L’espoir que suscite M. Obama est celui d’une réhabilitation du rêve américain. Déjà à l’extérieur, il parle d’associer les anciens pestiférés d’hier, Syrie, Iran, dans la recherche d’un solution durable au Proche et Moyen Orient. A l’intérieur, il parie sur le développement durable et la diversification des énergies. Il croit aux potentialités des jeunes qui doivent être des acteurs et moteurs du progrès, il leur demande « what will be your place in history ? »[2]. L’audace de M. Obama c’est de parier sur l’homme, de ne pas croire qu’il est seulement un moyen mais d’en faire la véritable finalité. C’est de penser que l’on devrait accorder aux femmes une place majeure dans la mise en place des politiques publiques, de leur donner plus de moyens et de responsabilités. C’est aussi de vouloir associer toutes les couches de la société dans la transformation des fondamentaux de l’Amérique à savoir la justice et la liberté.

Quelque chose d’extraordinaire s’est passée en Amérique. Quelque chose d’extraordinaire a commencé dans le monde. De nouveaux paragraphes entiers ont été rajoutés au rêve du révérend King, un nouveau souffle a été insufflé à l’ambition d’Abraham Lincoln, inspirée des souffrances quotidiennes, des angoisses du peuple, une rupture s’est opérée et le retour au statu quo n’est plus désormais possible. Certes l’Amérique envoie toujours à l’abattoir des innocents comme d’autres en emprisonnent à perpétuité, la discrimination est toujours aussi présente comme dans tous les grands pays occidentaux, mais - 246 -


elle a réussi là où tous ont échoué, elle a prouvé que l’hypocrisie n’était pas une solution, et la différence un obstacle. On a beau s’en moquer, relativiser ce qui se passe, ce changement dans les mentalités marque une évolution profonde dans la reconnaissance de la diversité, plus historique encore « une nouvelle naissance de la liberté »[3].

[1] « A more perfect Union » - Race Speech – Philadelphia, 2008 - USA [2] Discours prononcé au Knox College en 2005. [3] A new birth of Freedom – Discours inaugural du President Barack Obama, 20 Janvier 2009.

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Guerres et Paix Cette Terre aussi Sainte soit-elle mérite-t-elle tous ces crimes, toutes ces souffrances ? Manifestement, malheureusement, oui, le combat en vaut la chandelle.

Le nationalisme est l’une des tares idéologiques dont le monde gagnerait à se prévenir plutôt qu’à, comme il en a pris l’habitude, circonscrire les effets avec un cynisme effarant et monstrueux. Trop de non-sens ont germé sur ces terres fertiles où les désespoirs humains exploités par la perversité des intelligences ont conduit à de grandes et sombres folies. L’humanité a décidément la mémoire courte. Pendant que la souillure en Terre Sainte est d’un rouge morbide, que les chars entonnent des symphonies de la mort, que des roquettes produisent des concertos faisant valser les cadavres de l’autre coté du mur, la puanteur naguère des camps de concentration s’est transformée au fil du temps, qui décidément lasse, en un parfum nauséeux des amas de chair déchiquetées et exposées à des charognards exigeant toujours plus de boucherie. Beaucoup - 248 -


de sang versé, séché, renouvelé, tellement de haine, vociférée, crachée sous toutes les formules, sous toutes les coutures, et ce depuis 1920, c’est-à-dire près de quatre vingt dix années de déchirures passionnées quasiment sans interruption. Le conflit au Proche Orient a montré que la négation d’autrui n’a pas de limite[1], elle peut être intemporelle en même temps fortement ancrée dans les mentalités au point de se transmettre aux générations nouvelles comme un héritage culturel ordinaire.

Pourquoi donc une telle violence, si intense, si constante, si permanente ? Pour une terre désertique que les sentiments religieux et historiques ont transformé en brûlant enfer. Cette Terre aussi Sainte soit-elle mérite – t – elle tous ces crimes, toutes ces souffrances ? Manifestement, malheureusement, oui, le combat en vaut la chandelle. Lorsque M. Theodor Herzl écrit son Etat juif, s’etait-il imaginé un moment que cette idée, somme toute légitime au vu de rejet presque universel que les juifs ont inspiré à bien des nations, causerait de telles sanglantes agitations ? Et qu’aujourd’hui des millions de victimes se retrouveraient prisonnières de cette spirale infernale ? Deux peuples unis autour de la même intolérance, ne vivant que pour voir l’extermination de l’autre. Les palestiniens et les israéliens sont responsables du spectacle macabre qu’ils livrent au monde, dans ce conflit inutile et détestable, personne n’est innocent. Encore combien de guerres faudrait-il pour que ces peuples qui semblent avoir une allergie commune à la paix[2] puissent se tendre la main et tenter de vivre véritablement ensemble dans le respect de l’identité de chacun, de son droit à exister et du respect de sa dignité ? Jusqu’où iront-ils dans la surenchère haineuse pour qu’enfin ces illustres personnages qui ont vécu dans des temps éloignés sur ce territoire sacré puissent enfin reposer en toute quiétude ? A force d’appliquer stricto sensu la politique du Talion, « œil - 249 -


pour œil, dent pour dent », en tenaillé par des nationalismes immuables, le Proche Orient deja obscurcit par tant de violences stupides et incompréhensibles, va engendrer des générations d’aveugles et d’édentés.

Avec la nouvelle énième offensive de Tsahal dans la Bande de Gaza en réponse aux provocations insensées du Hamas, le dialogue des peuples a une fois de plus montré ses limites. Les beaux et formidables discours humanistes, les intentions aussi nobles que l’angélisme des accords de paix signés la main sur le cœur et l’autre sur la kalachnikov, n’ont pas résisté à la tentation trop forte d’en finir définitivement avec le voisin d’en face. Plus d’un milliers de morts et d’innombrables horreurs, une Cour pénale internationale qui regarde ailleurs, vers cette Afrique misérable dont les tortionnaires ne sont pas suffisamment puissants pour échapper comme d’autres à leurs responsabilités criminelles. Ce n’est pas demain la veille que l’on verra des généraux israéliens dans le box des accusés à la CPI ou les chefs du Hamas subir les foudres de la justice internationale qui sait être universelle quand l’intérêt l’exige. La communauté internationale, impuissante ou de mauvaise foi, se force en gesticulations interminables à sauver des apparences fragiles en enfumant toujours médiatiquement une opinion mondiale pendue aux espoirs que l’on lui sert. La cacophonie régnant dans cette opinion scindée entre les pro et anti israéliens - car de nos jours il faut bien être pro et anti quelque chose pour avoir le sentiment de vivre son époque, de donner un sens à son existence et aux luttes que l’on se choisit souvent pour fuir son propre ennui - montre à quel point il est difficile de se parler sans que la passion ne l’emporte sur toute réflexion objective, sur tout échange intelligible visant à déconstruire les mythes et les idées reçues, donc à faire évoluer les divergences vers un consensus général. Il suffit de voir des images d’enfants - 250 -


assassinés, des corps gisant sous les décombres, pour que la sereinité prenne à son tour feu, s’embrase et se réduise en cendres autant que les processus de paix et les multiples efforts diplomatiques. Il n’y a plus désormais de place pour une certaine neutralité, pour une abstention sacrée. On se sent presque contraint, pressé de choisir entre l’arabophobie, cachée sournoisement sous l’islamophobie, et l’antisémitisme. Entre une extrême et une autre. Marcher aux cotés des victimes autoproclamées palestiniennes ou sous la bannière des bourreaux désignés israéliens.

En écoutant ce qui se dit ici et là, en lisant les nombreux articles, en suivant les commentaires des uns et des autres, le sentiment qui s’impose est que la popularité s’acquiert de plus en plus en blâmant Israël, en diabolisant les juifs. Il ne faut plus essayer de comprendre mais s’empresser de condamner ou d’approuver, de choisir son camp et s’y tenir. L’émotion suscitée par l’anéantissement de familles palestiniennes, dont les medias dans leur impartialité légendaire diffusent les vidéographies en longueur de journée pour montrer l’inhumanité de Tsahal, ce monstre froid et implacable, mangeur des innocences, efface efficacement le deuil des hommes et des femmes tués par des pluies de roquettes. Le sionisme barbare, nouveau bouc-emissaire idéal de la bienpensance, face à la virginité du fondamentalisme islamique, c’est ainsi que l’on pourrait résumer l’absurdité du débat actuel agitant le microcosme de l’intelligentsia mondiale. Une rethorique reprise et amplifiée au sein des masses populaires qui se jettent dans les rues, proclamant les « Viva Hamas ! » et rêvant d’une révolution internationale contre l’emprise juive sur la planète. Les misères et les ignorances permettent de légitimer les détestations, les frustrations et les radicalisations.

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L’unique mobilisation qui devrait cristalliser l’attention mondiale est celle pour la paix, de la recherche d’une solution durable. Au lieu de se déchirer sur des questions mille fois insignifiantes sur l’appartenance ou non de telle ou telle partie de ce territoire immense pour que tous les peuples qui le souhaitent puissent y vivre sans heurts, de se dresser les uns contre les autres sur le sens donné aux termes « colonisation » et « terrorisme », de s’enfermer dans une logique d’affrontements jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un, l’on devrait concentrer les efforts, les énergies à pacifier la région en faisant table rase des rancoeurs du passé, en transcendant les résistances nationalistes, en acceptant de consentir à d’inévitables sacrifices idéologiques et historiques pour que les rescapés d’aujourd’hui, s’il en reste, vivent demain dans des Etats viables et souverains. Que l’on se le dise, le royaume de David et de Salomon dans ses proportions bibliques ne reviendra pas, la grande Palestine arabe est morte, de nouvelles donnes s’imposent à tous, il faut tourner la page et essayer de bâtir l’avenir autrement.

Il est regrettable que la jeunesse israélienne et palestinienne soit prise en otage par une histoire lourde d’injustices, par des doctrines extrémistes et par la culture de l’intolérance vengeresse. Pourtant, cet avenir que l’on souhaite autrement ne saurait se faire sans eux. Il leur faudra faire preuve d’un immense courage pour s’émanciper des logiques sanglantes qui veulent que la discussion se fasse exclusivement au travers des massacres perpétrés. Ils devront s’affranchir des murs et barrières dressés autour d’eux, construits pour les protéger et les enfermer dans la méfiance, la crainte et la peur d’autrui. En attendant, ce miracle comme on attendrait Godot, les enfers sont déchaînés en Terre Sainte, ponctués par des accalmies

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pendant lesquelles on se réarme massivement, le même rituel pathétique des guerres et paix.

[1] La Grande révolte arabe en Palestine (guerre civile), la Guerre civile de 1947-1948 en Palestine mandataire, la Guerre israélo-arabe de 1948-1949, la Crise de Suez, la Guerre des six jours, la Guerre du Kippour, l’intervention militaire israélienne au Liban de 1982, la Première Intifada, la Seconde Intifada et la Conflit israélo-libanais de 2006 [2] Accords de Camp David, Accords d’Oslo, Sommet de Camp David II, Sommet de Taba, Feuille de route pour la paix, Plan de désengagement de la Bande de Gaza - 2005

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Au firmament du talent.. Irma, une émotion intense incarnée en une jeune artiste capable de transporter n’importe quelle âme vers les contrées si inaccessibles du beau, est la comète qui annonce l’entrée du monde musical dans le 21e siècle.

La pureté de sa voix est comme celle du diamant qui a longtemps été préservé des impostures glorieuses installées aux sommets de la renommée. Elle a la brillance naturelle des précieuses cachées dans l’humilité anonyme et la puissance de l’authenticité qui subjugue, fragilise, traumatise. Irma, une émotion intense incarnée en une jeune artiste capable de transporter n’importe quelle âme vers les contrées si inaccessibles du beau, est la comète qui annonce l’entrée du monde musical dans le 21e siècle. Grattant sa guitare ou domptant les notes de son piano, elle produit avec une simplicité déconcertante des mélodies - 254 -


exceptionnelles, s’appropriant merveilleusement des succès que l’on pensait inimitables, renvoie du coup leurs interprètes d’origine dans les placards de l’oublie. Irma semble avoir toujours été « sur la route » du génie, née pour « être une rockstar », mieux une légende dans le panthéon de ces illustres prédécesseurs, Eric Clapton, Tracy Chapman, Django Reinhardt, Michael Jackson, ces géants qui ont donné un autre sens à la musique en repoussant les limites de la magnificence auditive. Le potentiel de cette jeune fille venue de ce carrefour humain qu’est Douala, melting pot des influences culturelles de la sous-région, s’exprime avec une intelligence toute empreignée de subtilité et de douceur. Que ce soit en rêvant d’un monde meilleur dans sa « Letter to the Lord » ou en s’offrant timidement dans « Love you », elle parvient à faire prendre conscience que trop longtemps les esprits enchaînés à la nullité ambiante, des spectres hantant les charts désormais royaumes des détritus vocaux, ont perdu le goût des choses vraies. Arrivée en France à l’age où l’on rêve d’histoires à l’eau de rose, Irma du haut de ses quinze ans composait déjà dans l’ombre de ses idoles ses premières mélodies. Défiant sa timidité, elle met en ligne ses vidéos sur Youtube, et doucement le phénomène devient incontournable. La comète Irma lancée, portée par l’euphorie populaire des internautes, va traverser les cieux de MyMajorCompagny, battant au passage un record en réunissant en quarante huit heures seulement les soixante dix mille euros nécessaires à la production de son disque. Elle est sans conteste la révélation de cette année, car au-delà de la singularité de son talent, il se dégage de cet artiste une sincérité rare, touchante et bouleversante. Un désir d’aller à l’écoute de soi-même, un besoin de s’étonner et de se trouver, une envie de l’agréable s’installe durablement en écoutant ses doigts fins valser avec les cordes de sa guitare ou caresser les touches - 255 -


délicates d’un piano dont on devine la satisfaction d’être dompté par un tel talent. Il y a des rencontres dans la vie qui transforment, Irma est de celles là qui remplissent de bonheur, laissant au bas coté du train-train quotidien les lourdeurs musicales qui prennent souvent en otage un monde de moins en moins exigeant. Il ne faut pas un matraquage, un harcèlement sonore pour succomber au charme de cette voix exceptionnelle, les premières secondes suffisent pour y être condamner à perpétuité. Dans un système de plus en plus mafieux où la cupidité et l’artificiel se sont érigés en règle d’or, Irma apparaît comme une révolution du bon sens, à même de construire autour d’elle un ordre musical plus ambitieux. En cela, elle porte le souhait dissimulé d’un changement profond et nécessaire à une industrie qui n’a plus grand-chose d’artistique. Du folk pop à la soul music, elle écume les univers comme pour fuir une certaine catégorisation, une sorte de fer rouge planté sur le front comme une condamnation à rester à la même place. Et à reproduire à l’infini les mêmes schémas. Irma croit en l’universalité du rythme et du texte, à la portée individuelle et plurielle des mots. Les barrières sont faites pour être franchies, les chaînes pour être brisées. C’est toute la force de son interprétation. De « New Soul » de Yael Naim à « Heal the world » de Michael Jackson, cette capacité à donner une dimension à la fois intimiste et ouverte aux « covers » est palpable. On devine la maturité précoce de ce talent en s’accrochant au lyrisme de « Somehow », œuvre personnelle pleine de générosité, en même temps que l’on espère pour elle un somptueux « Happy ending ». Le monde est d’une brutalité indicible. Le sang, breuvage des puissants, coule à flot dans chaque injustice. Beaucoup ont attrapé « l’ivresse du désespoir », certains ont préféré rentrer - 256 -


dans le moule et se laisser formater, mais les plus téméraires tentent de croire encore en la réversibilité de la situation. Un forme d’audace mais aussi de folie. Quelque part dans ce tumulte où se manifeste les sentiments les plus primaires, c’està-dire les plus primitifs, la musique, du moins ce qu’il en reste, tient une place marginale. Elle tente tant bien que mal d’adoucir les mœurs barbares et d’humaniser la bête humaine. Irma incarne pleinement cet espoir d’humanité. Sa musique a une telle personnalité qu’elle transcende les fatalités existentielles pour ajouter de salutaires couleurs à ce tableau grisâtre. Charismatique, elle s’empare des tristesses enfouies afin qu’elles deviennent des symphonies du cœur et de l’espérance. Il faudrait un millier d’Irma et une foi plus grande qu’un océan pour arriver à sauver le monde. Personne n’est dupe, mais l’utopie est ce qui permet de survivre quand tout finit par avoir la même consonance. Mais déjà dans la voûte céleste de la renommée où s’étiolent une multitude d’étoiles, une lumière éclaire cette mer obscure, filant avec une aisance édifiante d’un bout à l’autre de l’univers artistique, elle va à la conquête des hommes. Irma est cette comète d’un genre nouveau, présageant le meilleur face à la déchéance totale d’une musique souillée par le profit et la vulgarité. Elle est le soleil dans le firmament du talent.

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Une audacieuse insolence... Depuis le tribunal de Nuremberg où les bourreaux, c’est-àdire les vaincus, furent contraints de faire face aux conséquences de leur folie, des millions de morts et énormément de gâchis, le droit international n’a cessé d’évoluer avec la perversité des crimes commis de plus en plus contre l’humanité, au point de laisser penser que jamais l’impunité ne serait tolérée et acceptée comme une règle universelle. Mais la réalité du politique est toujours venue briser cette naïveté juridique, à de nombreuses occasions la justice internationale a su détourner le regard pour satisfaire les intérêts « supérieurs » de certains pays dits « civilisés ».

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Il y a bien longtemps que la duperie qui se cache derrière ce vocable de justice internationale n’échappe plus à personne, sauf à ceux qui ont encore des idéaux, bien que salement amochés mais debout, et qui ont la foi en une morale sanctifiée. Pour le reste du monde, ce droit international à géométrie variable, excellent pour les plus faibles et optionnel pour les puissants, est une superbe fumisterie avec laquelle on « enfume » l’opinion afin qu’elle puisse s’endormir paisiblement sur des « vérités » dressées pour elle. L’émission du mandat d’arrêt par la Cour pénale internationale contre le président soudanais Omar El Bechir vient renforcer l’idée que toute justice internationale, aussi légitime soit elle, est la manifestation d’une vengeance politique menée dans un cadre - 259 -


bien établie,donc forcement contestable. Qui oserait critiquer cette décision alors même que le « génocide » au Darfour paraît comme une évidence ? Qui pourrait s’opposer à celle-ci en sachant que des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ont été massacrés par des forces gouvernementales et par des groupes rebelles ? Qui s’offusquerait de voir traduire en justice un tyran sanguinaire qui n’a su que terroriser son peuple, un peuple dont il avait le devoir de protection ? Le problème est ailleurs. Le problème de cette Cour pénale internationale qui se veut indépendante que ce soit dans sa manière de mener les enquêtes, d’engager des poursuites à l’encontre des personnes accusées des crimes les plus graves ayant une portée « internationale », de les juger, le problème de cette Cour, disais-je, se situe justement dans son incapacité à rester « entièrement » indépendante. Même aux yeux du « gendarme » américain, pourtant si prompt à incarner la droiture vertueuse, la CPI est un « danger » parce qu’elle est susceptible d’être manipulée à des fins loin d’être acceptables et satisfaisantes. Elle a été depuis l’entrée en vigueur du statut de Rome en 2002 et la nomination des premiers juges en 2003, un instrument parmi d’autres aux mains d’une pseudo Communauté internationale jouant les sapeurs pompiers dans des régions où elle a été la principale incendiaire. Dans ce remous juridico-politique, le pire c’est que les véritables responsables finissent loin du tumulte des audiences où le sort de l’accusé-condamné est su de chacun bien avant qu’il ne comparaisse. On laisse à l’histoire les miettes d’une vérité falsifiée et d’une justice illusoire, incomplète et bafouée. Il est évident qu’il faut juger les responsables des graves violations du droit international, de ceux qui perpétuent des nettoyages ethniques à ceux qui méprisent la souveraineté des - 260 -


Etats et se permettent d’envahir des pays qu’ils jugent comme appartenant à l’ « axe du Mal ». Autant que les crimes contre l’humanité ne peuvent restés impunis, autant les crimes d’agression ne sauraient être tolérés. Il ne devrait pas y avoir de « sous-crimes », mais l’action de la justice internationale semble nous indiquer le contraire. Il existe des « violations » inacceptables et les « autres », celles qui ne plairaient pas aux « amis », au « commerce » et aux « stabilités » maintenues par la répression sanglante. La Communauté internationale a le pouvoir presque « divin » d’absoudre les fautes d’un dictateur, ancien « terroriste », lorsqu’il ouvre les vannes de ces canaux d’où jaillissent l’or noir. Le responsable de l’attentat de Lockerbie ne trône-t-il pas au sommet de cette Union Africaine moribonde, ne s’est-il pas vu ouvrir les portes des capitales occidentales ? A quand une comparution des dirigeants nordcoréens et birmans qui affament leur peuple, et dont les Etats sont devenus des prisons à ciel ouvert ? En même temps que l’on accorde l’exil doré aux frais du contribuable à d’anciens guérilleros des FARC, de l’autre coté on s’émeuve devant les enfants soldats, les viols, les litres d’hémoglobine avec lesquels on ne cesse de badigeonner les consciences, jurant que les « fauteurs de trouble » seraient châtiés convenablement. A quand des poursuites contre les responsables des FARC ? Des certains groupes gouvernementaux nettoyant de fond en comble la Tchétchénie sous le nez d’une Europe qui se bouche les narines ? Ou des chefs de guerre qui ont participé aux pillages, aux destructions, aux massacres en Georgie, en Palestine, aux attentats en Israël ? Il est là le problème de la justice internationale. Elle manque à la fois de consistance et de crédibilité. Avec le précèdent du 25 novembre 1998 dans l’affaire Pinochet, qui marque un tournant dans la responsabilité pénale des « Chefs d’Etat » vis-à-vis du droit international, la justice - 261 -


internationale a cru pouvoir s’affranchir de l’influence politique. La suite de l’histoire est connue. Les pressions exercées de toutes parts font trop souvent craquer le navire. Malgré les inculpations de Slobodan Milosevic, de Charles Taylor, la justice internationale est une profonde déception. Dans les régions où elle devrait être célébrée, elle ne suscite que méfiance et défiance. Le triomphe de cette justice là ne se trouve que dans le satisfecit général des décideurs soulagés de mettre hors d’état de nuire les empêcheurs de leur monde de tourner en rond. Lorsqu’il est clairement établi que les actes publics accomplis, directement ou indirectement, par un Chef d’Etat ne relèvent pas de la compétence étatique, à l’instar de la torture, mais demeurent impunis, c’est un scandale. Et que des responsables politiques prennent une retraite paisible en laissant des familles entières plongées dans la tristesse, le chaos et le désenchantement après avoir déchaîné dans leurs cieux les enfers au nom de raisons fallacieuses, simplement parce que leur pays a un siège au Conseil de sécurité, on reste dubitatif quant à la valeur apportée aux actions de justice internationale. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé les tribunaux pénaux internationaux dans le but de « maintenir la paix et la sécurité internationales » tel que stipulé dans l’article 1 de la Chartre des Nations Unies. Loin d’égaler cet objectif fondamental, ils ont contribué à accroître le sentiment d’impunité, d’une justice à deux vitesses, amorphe, incapable de dynamisme et d’impartialité. D’un autre coté, avec quatre « situations » toutes venant d’un seul continent, un procès en dix années d’existence, la Cour pénale internationale ne semble pas être à la hauteur de ses ambitions, si tentées qu’elle en ait encore. L’acharnement africain du Procureur de la CPI est à la fois l’aveu d’impuissance d’un Bureau limité, obligé de se concentrer sur les drames terribles d’un continent mis en terre quotidiennement par les fossoyeurs occidentaux, et l’expression - 262 -


d’une subtile influence de certains réseaux décidés à garder la main sur l’essentiel des appareils politiques régionaux. L’émission d’un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Omar El Bechir tombe dans un contexte particulièrement délicat, le processus de réconciliation piétine, la sécurité des populations n’est guère assurée, le message subliminal envoyé au régime soudanais, comme à tous les autres récalcitrants, qui rechignent à rentrer dans le « système », est limpide. La question actuelle que se pose désormais les dirigeants africains, sur lesquels la CPI semble s’être focalisés, est de savoir : à qui le tour ? On imagine bien que dans l’obscurité des couloirs des palais présidentiels, chacun s’empresse de s’assurer le soutien de ces « pairs » occidentaux en leur offrant forêts et pétrole pour que jamais il n’aille comme Jean Pierre Bemba, comme Thomas Lubanga, comme Hissène Habré, goûter la froideur du bac des accusés de la justice internationale. Au fond, cette décision ouvre la boite de pandore et lève un tabou. Le plus intéressant sera de voir jusqu’où pourra aller cette audacieuse insolence.

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Tourisme exotique papal.. Le souverain pontife arrive au chevet d’un pays à l’agonie pour lui administrer les derniers sacrements.

Avec un chômage national généralisé, la recrudescence d’une pauvreté jamais suffisamment et durablement maîtrisée, le sentiment d’injustice sociale qui rend encore plus insupportable le fossé deja abyssal entre les riches gouvernants et un peuple dépouillé de tout jusqu’à sa dignité, l’anxiété du présent appuyée par l’incertitude terrifiante des lendemains que nombreux voudraient de plomb et de sang, car ici la saturation des excès étatiques et l’accumulation des frustrations poussent les plus optimistes à la révolte et les autres au suicide, le Cameroun est depuis plus d’une vingtaine d’années un navire sans capitaine naviguant à vue.

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Le voyage du Pape Benoît XVI en terre camerounaise, une primeur africaine, tombe à un moment où la crise économique mondiale pousse les entreprises à licencier massivement la minorité de jeunes qu’elles employaient. Faute d’une relance à la hauteur de la morosité ambiante, le rôle de l’Etat se limitant à l’événementiel politique et à l’entretien de ses barons, les rêves de réussite sociale, bouées de sauvetage auxquelles s’accrochent des générations entières abandonnées à leur piètre sort, pour ceux qui ont encore le courage d’y croire, sont chaque jour assassinés à coup de mesures arbitraires, de clientélisme, de tribalisme et de népotisme. Lorsque le Pape sillonnera les rues de Yaoundé dans sa papamobile, accompagnés par le vacarme des poncifs du gouvernement et leurs hordes de désespérés qui y verront l’occasion de se remplir la panse, qu’il écoute bien la souffrance de ce peuple qui gémit dans les banlieues oubliés, de ces cris muselés dans les geôles étatiques où l’on tente de discipliner la protestation contre le gâchis monumental du règne du Prince. Qu’au-delà de la pathétique comédie d’un régime à bout de souffle, des louanges convenues, qu’il regarde le peuple dans les yeux pour voir la sombre réalité de sa condition, de ces familles qui ont la hantise de l’avenir et d’un devenir que l’on leur a volé. L’espoir a cédé du terrain depuis un certain nombre d’années à la fatalité, et l’Eglise a cautionné cette apocalypse en bénissant un pouvoir incapable de mettre le bien-être général devant les intérêts de clans antagonistes. Aujourd’hui les temples de la souveraineté apostolique romaine sont aussi vides que les bourses de fidèles qui du coup ont immigré vers les « apôtres » de l’évangélisme triomphant. La pauvreté n’étant plus une condition requise pour accéder au paradis, le peuple court désormais à la poursuite du bonheur en regardant les soutanes impériales avec beaucoup plus de scepticisme. Dieu n’est pas mort, mais l’Eglise si. La visite du Pape s’inscrit donc dans - 265 -


cette logique de reconquête d’un age d’or où ses officiers pouvaient commander au peuple l’absolue soumission à des préceptes d’un autre temps que seuls les démunis se devaient de respecter scrupuleusement. Mais en fin de compte, les crises succédant à l’incompétence, la souffrance et la misère s’accentuant et tuant aussi implacablement, le peuple est arrivé à se dire que cette foi, dont se moquent les hommes forts du régime, ne suffit guère à rassasier les ventres creux. Il est clair pour la majorité des camerounais que sauver le corps qui subit les assauts terribles du quotidien est une urgence immédiate, chacun veut survivre à ce présent angoissant, quelques fois au détriment de tout, même de la survie de son âme, c’est la manifestation basique de la nature humaine. On aura attendu que le Pape vienne au Cameroun pour que le gouvernement songe à refaire les routes, à restaurer les bâtiments insalubres, à nettoyer les caniveaux, bref à se faire un lifting visuel. Du jour au lendemain, d’immenses chantiers ont été lancés, l’argent que l’on croyait avoir disparu des caisses de l’Etat est réapparu comme par miracle. Et les petits badauds qui étaient installés aux bordures des artères de la capitale, ont été chassés comme de vulgaires mendiants, il ne fallait pas que sa Sainteté croise cette désespérance alors que les autorités souhaitaient donner à cette visite presque christique un éclat aussi démesuré qu’indécent. Pour le citoyen ordinaire qui patauge tous les jours dans la boue rougeâtre des quartiers populaires, cette mascarade est à la fois indigne et conforme à la démagogie du Prince. On aimerait bien recevoir chaque jour le Pape, si seulement les efforts déployés ces derniers temps par les gouvernants pour moderniser un pays atteint de vétusté aiguë pouvaient continuer et permettre ainsi au peuple de se sentir compris et respecté. Malheureusement, à la fin de ce spectacle artificiellement enthousiasmant, le rideau écarlate tombera avec le poids de la facture que le contribuable - 266 -


camerounais devra payer de sa poche trouée par les dettes et l’usure. La jeunesse réclame de la considération, une meilleure prise en compte de ses aspirations, quelques semaines après la commémoration des émeutes sociales de l’an dernier, le gouvernement lui offre le crucifix et de l’eau bénite. Comme si ce Pape qui voudrait que la messe soit dite en latin dans un monde où les langues mortes sont belles et bien enterrées, et que cela pourrait s’apparenter à une autre forme de néocolonialisme, comprenait vraiment les attentes d’une jeunesse désemparée face aux enjeux actuels. Ce n’est pas qu’il soit ringard ou « à coté de la plaque », le Pape vit dans une bulle idéologique hors de son temps, une sorte d’ovni spirituel dans les cieux d’un monde en pleine mutation, méprisant ce rigorisme clos et stérile qui a tant fait de mal à l’humanité. Les combats de la jeunesse camerounaise ne sont pas dans la lutte contre l’avortement, à la haine des homosexuels, à l’incrimination d’une sexualité « précoce », mais dans l’adoption d’une éthique véritable dans laquelle les attitudes irresponsables telles que la corruption et l’exclusion ne constitueraient plus un obstacle au développement de l’ensemble de la communauté. Elle n’attend pas de leçons de morale de la part d’un dirigeant qui s’est empressé de mettre à mal le dialogue inter-religieux, de protéger autant que possible ses nombreux pervers. Elle regarde ce Pape en qui elle ne se reconnaît pas, poser près de ses fossoyeurs avec une candeur terrifiante. Depuis Jean Paul II, le Cameroun est passé du pire au cauchemar. Et du cauchemar à l’enfer. Benoît XVI n’est pas accueilli en messie. Si le Prince et ses collaborateurs s’empressent de l’embrasser et de faire croire à l’euphorie populaire, le peuple lui, celui qui trime pour presque rien, ne - 267 -


voit en lui qu’une espèce en voie de disparition, à des années lumières de ses préoccupations réelles. Il y a près de trente pour cent de catholiques au Cameroun, plus des deux tiers ne sont pas pratiquants et ne semblent pas tellement affectés par cette désertion non pas de leur foi mais de leur appartenance à cette sorte de conglomérat de vieillards épuisés par une époque qui manifestement les dépasse. Une visite papale de plus, bruyante et drôlement tapageuse, qui ne changera pas grand-chose à l’avenir d’un peuple désabusé, résigné à être la vache à lait des caprices princiers, et obligé de supporter avec ses maigres moyens le tourisme exotique papal sous les tropiques.

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A la périphérie de la Civilisation.. Quel sentiment étrange que de vivre en banlieue, de quitter l’univers onirique des quartiers cousus du centre-ville où l’existence prend tout son sens, pour finalement se crasher sur les rivages austères et salissant de la « cité »..

Il y a quelque chose de pourri dans les cités difficiles.. L’uniformité de la même désespérance plantée dans les rues dévastées, délaissées aux hordes de barbares que l’abandon des pouvoirs publics n’a fait qu’attiser le sentiment de victimisation.. La racaille, terme générique dans lequel l’on empile trop souvent à tort l’ensemble de cette population misérable, est le fruit d’une politique volontairement irresponsable qui achève dans l’envers des grands discours les valeurs d’égalité et de fraternité.. La périphérie appartient à la peuplade dont l’attitude médiatiquement hostile, primaire, empreinte de violence et d’ignorance contribue à alimenter les commérages faciles dans les chaumières des beaux - 269 -


quartiers.. Elle reste une zone hors de la société, en dehors de tout progrès social, économique, humain.. Un vaste cimetière de jeunes talents prodigieux à qui l’on refuse la chance de leur vie et qui sont obligés de se contenter des miettes distribuées par le Léviathan étatique..

Il y a réellement quelque chose de pourri dans les faubourgs obscurs.. La colère du désespoir qui embrase et réduit en cendres le minimum de modernité survivant péniblement aux assauts répétés du temps, et narguant doucement les passants dans leurs véhicules superbes.. Une modernité en trompe l’œil, derrière laquelle repose la vétusté agressive des infrastructures étalées à perte de vue dans un épais brouillard grisâtre.. Ce désespoir là légitimise toute la violence des émeutes urbaines, car au fond le plus révoltant n’est-il pas de laisser croupir dans des oubliettes ouvertes des masses entières d’hommes, de feindre d’agir tout en maintenant coûte-que-coûte le statu quo désolant... La véritable insécurité est celle qui vient du sentiment d’injustice, de l’avenir branlant, inexistant et angoissant.. L’on peut bien vouloir pacifier ces zones de détresses humaines en multipliant sur le terrain les forces de l’ordre qui paradoxalement exciteront la meute, mais en fin de compte l’on ne parviendra qu’à renforcer cette frustration déjà profonde que ces grabataires planqués en dehors du « vrai » monde ne valent définitivement pas grand-chose..

Quelle émotion que cette peur de s’avancer découvert dans ce monde bâti sur le bas-côté de la civilisation, de trembler à l’idée de croiser sous des réverbères mal éclairés les roitelets à moitié cagoulés de cet empire torturé par ses propres démons, instable, toujours au bord du chaos.. La vie de quartier est rythmée par un ennui permanent, la désertion de la plupart des - 270 -


services publics et privés laisse un peu plus chaque jour champs libre à toutes les perverses imaginations, les jeunes s’inventent des jeux dangereux, des loisirs dont le gros lot est la réclusion pénale à perpétuité.. Il y a aussi les sempiternelles disputes de voisinage, sordides et lassantes, qui sont comme les épices nécessaires pour agrémenter la fadeur du quotidien..

Lorsque certains dans une arrogante ignorance qualifient le rap de sous-culture d’analphabètes, d’autres s’activent à le faire sortir de cette condamnation péremptoire en essayant difficilement de produire ces symphonies underground qui n’ont pas à rougir de nullité.. Le rap dans la cité est un moyen d’expier le trop plein de colère, de parler au monde autiste avec des mots en souffrance, de brandir un nouvel étendard audessus des immondices héritées de la « générosité » de ceux qui gouvernent, là-bas de l’autre coté du miroir.. Comme les romantiques de la littérature, de Lamartine à Hugo, qui laissaient éclater leur déception sentimentale ou leur jouissance de l’existence, ces artistes du ghetto font une poésie de la rue émancipée de l’élégance du style et de l’exigence de la forme, une écriture sans compromis à des années lumières de la lexique académique mais si riche en émotion, intense et authentique... Dans ces quartiers à l’abandon, ce rap tant décrié, reste pour de nombreux jeunes le meilleur moyen d’entrer en sympathie avec la langue, de se l’approprier et d’établir enfin une connexion réelle avec la société.. Bien évidemment comme dans tout art, il y a des impostures inévitables, celles qui concentrent l’attention de la bien-pensance, médiatique et politique, toujours tapis dans l’ombre.. Des abus de langage malheureux, une violence excessive, un sexisme navrant, le rap s’encombre souvent des égarements tapageurs d’un certain nombre minoritaire qui lui font tellement de tort, mais où n’y at-il pas de dérives ? Le problème du rap est qu’il est porté par la - 271 -


populace des bas-fonds, qu’aux yeux de l’aristocratie intellectuelle et culturelle il n’a pas suffisamment de noblesse pour entrer dans le panthéon des arts majeurs, MC Solaar n’est pas Alfred de Musset, qu’importe la force du vers et la puissance de la rime, une poésie urbaine ne sera jamais de la poésie.. C’est bien là toute la perversité du système, une ségrégation sociale transformée en apartheid culturel et ne laissant aucune chance à ceux qui ont le malheur d’y naître..

En même temps, il est aisé de rejeter tous les malheurs de la cité sur les autres alors que la réflexion principale devrait se faire sur le comportement général des populations locales caractérisé par un manque patent de civisme... Bâtiments vandalisés, voitures caillassées, la liste est longue et donne le vertige... Ce n’est pas au gouvernement de dire aux résidents qu’il n’est pas dans leur intérêt de détruire les infrastructures publiques, d’éviter de dégrader les structures sociales, de ne pas uriner dans les ascenseurs ou de ne pas couvrir de tags les rues de la cité, de ne pas respecter les règles fondamentales de salubrité... Le gouvernement ne peut pas refaire l’éducation des personnes, il est de la responsabilité de chacun de faire un effort pour préserver les acquis et améliorer la vie en communauté.. L’éducation ne se résume pas à la simple instruction, le rôle de la famille est crucial dans l’imprégnation des principes du vivre-ensemble, par extension du savoir-vivre, aux enfants afin qu’ils ne soient pas d’absolus errants.. Avec l’éclatement de la cellule familiale, la sacralisation de l’enfantroi, la faiblesse de l’encadrement scolaire qui se traduit par la fragilisation de l’enseignant, ce sont les fondations de la société que l’on sacrifie un peu plus tous les jours, et on semble étonné de voir jaillir de l’ombre d’une certaine irresponsabilité, des monstres abominables...

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Il faut sillonner les quartiers abandonnés, s’attarder dans les cités pour s’éloigner des clichés et plonger dans la complexité des problèmes que vivent les communautés de ces zones dites « à risque »... Le fort des hommes politiques est de laisser croire que les solutions sont simples : soit une doctrine sécuritaire maximale, soit une approche compassionnelle inappropriée.. Dans les faits, ce manichéisme est obsolète... Il serait sans doute préférable d’associer le besoin de sécurité à une démarche pédagogique, d’offrir une éducation de qualité, d’encourager la mixité sociale et culturelle, bref de valoriser l’humain afin qu’il puisse s’épanouir sereinement.. On a beaucoup parlé de relancer l’économie par l’investissement industriel, financier mais l’on a fait semblant d’ignorer que seul l’investissement dans l’homme est susceptible de pérenniser l’évolution, le changement, c’est aussi là une manière de contribuer au développement durable de la société... Les résidents de ces lieux ont juste envie de vivre dans un environnement sain où ils n’auront pas le sentiment d’être des marginaux, c’est-à-dire de survivre à la périphérie de la civilisation..

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Le Protocole de Maputo : Du scandale de l’hypocrisie.. Il y a quelques semaines, le Cameroun des gens pieux, de la jeunesse immaculée, celle qui porte le voile de la candeur et revête le manteau de la morale est descendu dans les rues pour crier leur colère contre la ratification du Protocole à la Chartre Africaine aux droits de l’Homme et des Peuples relatif aux droits de la Femme, encore connu sous le vocable « Protocole de Maputo »..

Ils étaient des milliers sous le soleil de plomb amassés derrière les soutanes vertueuses, ces prêtres et autres représentants du clergé revigorés par ce parfum de vrai faux scandale et sortis de leur longue hibernation, qui conduisaient cette immense troupeau assurée d’incarner la rectitude spirituelle face à ce Protocole hautement « satanique ».. Lesbianisme, avortement libre, éclatement de la notion de famille africaine traditionnelle, etc. les griefs ne manquent pas contre cette « dépravation - 274 -


juridique » portée secrètement comme à l’accoutumé par les « blancs » qui veulent imposer au pauvre africain leur « perversité », un peu comme si malgré la masse intellectuelle importante qui s’ennuie dans nos « elobis » nous n’étions pas capable de réfléchir par nous-même sur notre propre évolution, de rectifier nos dérives et de reformer notre système de pensée.. Il est impossible que les « longs crayons » soient capable de mettre leur matière grise au service du bien-être général et contribuer au développement des consciences, après les mêmes s’étoufferont d’entendre dire que « l’homme africain n’es pas assez entré dans l’histoire », au bord de l’immobilité intellectuelle..

Mais passons, ils étaient versés dans les rues de Douala sous les pancartes dénonçant la pédérastie du régime, l’établissement de Sodome et Gomorrhe et toutes les inspirations qui se ramassent dans les caniveaux du ridicule, près de 15 000 personnes ce 11 juillet 2009 réunis pour crucifier un Protocole génocidaire de la vertu et de l’identité africaine, une mobilisation inscrite en droite ligne sur la politique de vigilance chrétienne universelle et qualifiée de citoyenne par les organisateurs.. Plusieurs personnes interrogées ont estimé ne pas vraiment connaître les dispositions de ce Protocole mais être particulièrement offensés par la promotion de l’avortement et de l’homosexualité qui constituent de graves régressions pour l’Afrique.. D’autres ont souligné n’être d’aucune confession religieuse mais préoccupés par l’avenir moral d’un pays selon eux peu enclin à éradiquer les pratiques déviantes.. Pour certains des leaders de ce mouvement protestataire, il faut rejeter en bloc les dispositions de ce Protocole du « Diable » influencées par l’extrême gauche occidentale principalement européenne.. Chacun dans ce défilé de « citoyens en colère » avait son idée du Protocole de Maputo, subjectivement déformée et calquée sur ses propres - 275 -


peurs..

Alors quel est le problème avec ce Protocole qui réussit l’exploit de reléguer à l’arrière-plan les urgences sociales et économiques à l’instar du chômage « des gars ici dehors » ? C’est à la fois risible et inquiétant.. La protestation s’est concentrée sur le très contesté article 14 du Protocole, donnant d’après ses principaux détracteurs, « la permission de tuer non seulement les enfants à naître conçu par un viol ou l’inceste, mais ceux qui peuvent mettre en danger la santé mentale de la mère », et même qu’il « menace la destruction de la prochaine génération d’enfants africains », pour faire dans le catastrophisme on n’y est pas allé de main morte.. Sans parler du fait qu’il permettrait « l’éradication des cultures africaines », celles qui autorisent de vieux pervers à épouser des enfants, à mutiler les parties génitales de jeunes filles, de frapper et de maltraiter impunément les femmes ? Ou celles qui obligeraient une femme à mettre au monde un enfant même si elle n’en veut pas, sous la contrainte « sociétale » et « familiale » ? Ou celles qui ignorent la notion d’espacement des naissances, la femme devenant une machine à pondre des enfants ? Ou celles qui considèrent les femmes comme de faibles femelles, dont le domaine de compétence se limite aux besognes domestiques, ne devant pas s’instruire et restées des objets dociles, soumises ? Mais de quelles cultures africaines parle-t-on ? De plus en plus de jeunes camerounaises sortent diplômées des universités, aussi percutantes académiquement que les garçons, ayant l’ambition d’assumer les mêmes responsabilités que leurs amis, elles ne souhaitent qu’une seule chose : devenir des acteurs à part entière d’une société en pleine reconstruction et tenir un rôle prépondérant dans le processus de développement.. Alors demander la fin de la discrimination comme l’exige le Protocole de Maputo, le libre développement de la personnalité - 276 -


de la femme, vassale ancestrale de l’homme, le respect de sa dignité et la prise en compte de sa parole, est-il vraiment une régression morale ? Voici l’article 14 en entier : 1. Les États assurent le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. Ces droits comprennent : a) le droit d’exercer un contrôle sur leur fécondité ; b) le droit de décider de leur maternité, du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances ; c) le libre choix des méthodes de contraception ; d) le droit de se protéger et d’être protégées contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA ; e) le droit d’être informées de leur état de santé et de l’état de santé de leur partenaire, en particulier en cas d’infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA, conformément aux normes et aux pratiques internationalement reconnues ; f) le droit à l’éducation sur la planification familiale. 2. Les États prennent toutes les mesures appropriées pour : a) assurer l’accès des femmes aux services de santé adéquats, à des coûts abordables et à des distances raisonnables, y compris les programmes d’information, d’éducation et de - 277 -


communication pour les femmes, en particulier celles vivant en milieu rural ; b) fournir aux femmes des services pré et postnatals et nutritionnels pendant la grossesse et la période d’allaitement et améliorer les services existants ; c) protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.

Soulignons par ailleurs que le dernier dispositif de cet article est en vigueur au Cameroun depuis les années 1970, ainsi que dans la plupart des Etats africains, en manifestant massivement pour une pseudo aberration juridique, les moralisateurs de Douala ont réussi la démonstration parfaite de leur ignorance des lois nationales sous lesquelles ils sont gouvernés et du manque de consistance d’une lutte qui semble, au-delà du brouhaha anti sodomique, se situer sur le champs politique... Il faut être naïf pour ne pas voir dans cette excitation populaire une volonté inavouée, peu courageuse, de mettre à mal un régime politique à bout de souffle, végétatif, maintenu coûteque-coûte par une sorte d’assistance respiratoire occidentale... Briser le Protocole de Maputo, ratifié par le Parlement au deux tiers aux couleurs du parti au pouvoir, c’est tenter de mettre à mal l’autorité d’un Président énigmatique et distant des attentes du peuple... Mais dans cette tentative maladroite et mesquine, les pourfendeurs du Protocole de Maputo prennent le risque de fragiliser l’effectivité de cette révolution juridique dans un pays où la violence faite aux femmes ne s’est pas aussi bien portée, et l’inégalité des femmes face à la justice des hommes, - 278 -


profonde...

Les prélats sont les gardiens de la morale et non les propriétaires exclusifs.. Entrer en croisade contre un Protocole qui va donner à la femme africaine, urbaine et rurale, une place majeure dans les sociétés locales, modifiant au passage les « modèles de comportements socioculturels de la femme et de l’homme » par une éducation publique sur le mythe de la supériorité du Mâle tout-puissant, est simplement irresponsable et passible comme sur le cas du VIH/SIDA d’une condamnation pour non assistance en personne en danger..

Une femme qui veut avorter le fera, qu’importe que l’avortement soit légal ou pas.. L’avortement se pratique clandestinement au Cameroun, dans les cabinets de médecins, derrière les vitres feutrées des hôpitaux publics, dans les « sousquartiers » avec des moyens rudimentaires et particulièrement dangereux.. Mais à quel prix ? Celui d’une stérilité probable faute de prise en charge conséquente, celui d’une mort malheureuse due à l’amateurisme et le bricolage, celui d’une véritable mafia instaurée extorquant aux jeunes filles désemparées de fortes sommes d’argent.. Ceux qui dans les rues de Douala ont battu le pavé pour réclamer l’anéantissement du Protocole de Maputo, les mêmes on retrouvera dans l’obscurité des couloirs des cliniques spécialisées, attendant dans l’angoisse que l’on délivre leur « fille » ou leur « petite amie » de ce « fardeau ».. C’est bien là la beauté de l’hypocrisie..

Le combat pour la vie est un combat que chaque être humain se doit de mener avec toute l’énergie possible.. Mais le combat - 279 -


pour la survie d’une femme menacée par une grossesse difficile ne l’est pas moins.. Il n’est pas humain que d’exiger d’une jeune fille qu’elle puisse accoucher du fruit de son viol, il n’est pas concevable de forcer une femme à préserver dans ses entrailles le résultat d’un inceste, il n’est non plus imaginable de retirer le choix à une enfant de garder ou non un fœtus issu d’une erreur de jeunesse ou d’un accident.. Sur le plan éthique, nul n’a le droit de supprimer une vie, certes, mais une vie n’en vaut-elle pas une autre ? Ne devrions-nous pas avoir le droit de choisir notre destin, d’accepter ou non certaines situations, l’avortement ne relève t-il pas au fond de la vie privée de chacun, de son intimité ?

Et que dire de l’homosexualité soupçonnée d’être le serpent de mer de ce Protocole caillassé.. A entendre certains manifestants dans les rues de Douala et de Yaoundé, des chefs religieux, le Protocole de Maputo c’est l’institutionnalisation africaine de la sodomie et du lesbianisme.. Il est donc du devoir de chaque chrétien d’interdire « l’introduction de ces bestialités » au nom de la pérennisation de l’espèce, comment pourrait-on « multipliez l’humanité » si ce mode de vie « honteux » devenait la norme ? Et de conclure dans une véhémence époustouflante : « nous n’accepterons jamais l’homosexualité au Cameroun ! ».. Si le Protocole dans son article 3 appelle au respect du « libre développement de la personnalité » de la femme africaine et que le préambule interpelle les Etats partis à éradiquer les « discriminations et de violence fondée sur le sexe », explicitement l’homosexualité n’y est pas abordée.. Certains continuent à voir dans cette formulation de l’article 3, une savante manière de faire passer en douce une pilule amère auprès des ténors des mœurs conservatrices.. Seule l’interprétation d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pourraient y apporter de la clarté ; en attendant, - 280 -


cette petite phrase déchaîne les passions, et une homophobie hystérique..

Les homosexuels sont-ils des sous-hommes ? Moins intelligents que les hétérosexuels ? Plus criminels ? Incapables d’accomplir les mêmes taches que les êtres « normaux » ? Foncièrement incompétents ? Aucun Etat n’a le droit de s’octroyer le droit de regard sur ce qui se fait dans l’intimité des individus, il n’est pas dans son rôle de dilapider l’argent du contribuable dans la condamnation pénale de pratiques sexuels entre adultes consentants effectués dans un cadre privé, non qualifiables de tares ou non universellement reconnus comme des déviances.. Cet argent et ce temps peuvent servir à l’amélioration des conditions de vie de millions de citoyens au lieu de l’instauration d’une sorte de voyeurisme d’Etat, car c’est bien là de ce dont il s’agit..

Pour les débrouillards de l’underground – des ghettos, ceux qui triment chaque jour contre la misère, les tracasseries de l’administration publique, des agents étatiques corrompus, avec des clients de plus en plus rares et difficiles, l’euphorie autour de ce Protocole est presque indécente.. Où étaient-ils ces fameux gardiens de la morale lorsqu’en février 2008, les camerounais revendiquaient contre la cherté de la vie ? Où étaient-ils pour dénoncer dans les rues ensanglantées de Douala, de Bamenda et de Yaoundé l’immoralité du gaspillage, de la corruption et du vandalisme économique ? Les mêmes soutanes qui se terraient à l’ombre du crucifix, préférant brûlés des cierges pour les innocents abattus comme des moins-querien, se targuent aujourd’hui d’être le fer de lance d’un combat pour la vertu alors que les vraies batailles que des milliers de jeunes mènent quotidiennement sont perdues en laissant sur le - 281 -


carreau social des espoirs brisés.. Si la mobilisation populaire pouvait être de la même intensité quand des lois liberticides, insupportables sont votées par le parlement, le Cameroun ne serait pas un royaume gouverné par des zombies, mais hélas !

En fin de compte, en écoutant encore cette semaine des soit disant spécialistes verser dans le populisme ; décrier la « malédiction homosexuelle » qui s’est abattue sur le Cameroun, du « libertinage sexuel » qu’accompagne le Protocole de Maputo, du « génocide des fœtus » qu’il porte, l’on a envi de leur dire « grandissez un petit peu ! ».. Chacun a le droit de vivre sa vie comme il l’entend.. Ceux qui n’ont rien à se reprocher, qu’ils résolvent leurs problèmes sans regarder ceux des autres.. Ce Protocole vise à donner la liberté de choisir, la possibilité de vivre son existence pleinement, homme et femme.. A entendre les opposants à ce Protocole, on dirait qu’ils sont des anges et les autres des démons.. En s’appuyant sur la Bible, le Coran et tout le reste, ils omettent le plus fondamental : le « Aimez-vous les uns les autres », clé de la tolérance universelle et preuve d’une certaine sagesse.. La priorité pour de nombreux camerounais ainsi que pour la jeunesse africaine, c’est de trouver un boulot décent, posséder une maison moderne, assurer le bien-être de la famille et de décider conjointement avec leurs épouses de leur planning familial, bref se mettre à la poursuite du bonheur.. Autant d’aspirations auxquelles répond fortement le Protocole de Maputo..

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Au coeur du Protocole de Maputo Jamais une convention africaine n’avait suscitée une telle levée de bouclier, un courroux virulent de la part d’une partie des peuples africains bruyamment attachée à ce qu’ils nomment « les traditions et cultures locales ».. Tout a été dit sur le Protocole de Maputo mais il semble qu’au-delà de la critique massive d’une franche conservatrice de la soi-disant identité africaine, nul n’ait vraiment pris le temps de ressortir les avancées historiques de ce Protocole en matière des droits de la femme.. Il s’agit dans ce billet d’expliquer à quel point le débat a été réduit à une simple bataille de valeurs chrétiennes dépassées, loin des enjeux réels qui se posent au sein de nos sociétés..

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Rappelons d’abord le contexte dans lequel le Protocole de Maputo fut élaboré : l’Afrique est l’un des continents qui offre le moins de protection juridique à la femme, proie favorite des génocidaires, victimes de coutumes barbares telles que l’excision et autres mutilations génitales, exutoire humain de la colère des hommes, elle est reléguée au rang d’objet à la disponibilité exclusive des mâles.. Ancestralement, l’Afrique a construit tout un système de discrimination dans lequel la femme occupe l’échelle la plus basse, rien ne lui est épargné, de l’esclavage domestique à l’asservissement sexuel, et tout cela paraissait aussi normal que la traite negrière à une époque peu glorieuse de l’histoire.. Portées par des organisations non - 284 -


gouvernementales africaines dont la mission est de dénoncer ses abus et signifier aux hommes que la femme africaine est comme toutes les autres femmes c’est-à-dire revendiquant son droit inaliénable à la dignité, le Protocole de Maputo fut adopté par les différents Chefs d’Etat et de gouvernements africains..

L’objectif principal de ce Protocole n’est nullement l’acculturation ou l’occidentalisation de l’Afrique, mais si par acculturation on entend la mise à mort des cultures primitives où l’humiliante soumission de la femme est une vertu, c’est sans doute le terme approprié.. Ce Protocole vise avant tout à lutter contre les discriminations à l’égard des femmes, la protection contre les attitudes ou pratiques affectant négativement ses droits fondamentaux à l’instar du droit à l’intégrité physique..

Il instaure le droit à la dignité, au respect de la femme en tant que personne et au libre développement de sa personnalité qui peut se comprendre par le droit de se construire, d’avoir ses propres choix, ses horizons personnels et des ambitions indépendamment de la tutelle masculine.. Il interdit toute forme d’exploitation des femmes ou traitement dégradant, ce qui signifie une protection absolue contre toute forme de violence, notamment la violence sexuelle et verbale.. Quand l’on sait qu’il suffit souvent qu’une femme ose objecter contre une décision de son mari pour recevoir la raclée de sa vie, ou qu’il suffit qu’une jeune fille rejette des propositions indécentes pour être insultée et tabassée dans la plus grande impunité, il va s’en dire que ce Protocole est un grand pas fait dans le renforcement juridique des droits de la femme..

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Le Protocole de Maputo oblige les Etats membres à interdire les expériences médicales ou scientifiques sur les femmes sans leur consentement en toute connaissance de cause.. Le scandale camerounais sur des prostituées cobayes d’une firme pharmaceutique américaine, il y a quelques années, dénoncé par des Organisations non gouvernementales internationales telles que Act Up montre la nécessité de réprimer ce genre d’activités inhumaines.. Cette sombre affaire de VIH/SIDA et de placebo a finalement conduit l’ancien ministre camerounais de la santé derrière les barreaux, un juste châtiment pour les vies gâchées et les rêves brisés.. Ce Protocole ne se contente pas uniquement de reprouver un certain nombre de comportements mais il prévoit des dispositifs pour l’indemnisation effective des femmes victimes de ces abus..

Allant dans le sens du slogan adopté pour la promotion de l’éducation de la jeune fille africaine dans les années 90, « éduquer une fille, c’est éduquer une nation », le Protocole de Maputo encourage le droit à l’éducation des femmes mais également le devoir d’instruire le public pour une modification des « modèles de comportements socioculturels », une manière de lutter contre l’idée reçue et transmise de générations en générations que la femme est le « sexe faible », donc inférieure au mâle.. Il rejette avec la dernière ferveur cette discrimination coutumière à l’égard des femmes dans l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi ; et exige la fin des stéréotypes dans les manuels scolaires et les medias.. Les femmes ne devraient pas être cantonnées aux filières purement littéraires sur l’argument terrible qu’elles n’auraient pas assez de cervelle pour tenir le coup..

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Comme au Rwanda dont le parlement est composé à majorité par des femmes, le Protocole de Maputo soutient une prise en considération de la « parole » de la femme dans l’élaboration des politiques nationales et sous-régionales, un rôle paritaire et prépondérant dans le processus décisionnel public comme privé.. Il demande aux Etats africains de favoriser la participation significative de la femme africaine dans la construction des programmes de développement, à la promotion et maintien de la paix sur le continent.. Les échecs répétés des hommes d’Etat africains dans la résolution des conflits du continent devraient être une source de sagesse, la paix et sa sauvegarde n’est pas une affaire de testostérone.. Il est urgent de confier aux femmes un pouvoir de négociation plus important, au lieu de les laisser dans la pièce à coté lors des sommets diplomatiques, à préparer le buffet et passer la serpillière.. Il est clair si les femmes avaient contribué à l’élaboration des traités de paix de Versailles et de 1945, il n’y aurait sans doute pas eu les boucheries immenses qui s’en sont toujours suivies.. Du moins, le sentiment que l’homme est un animal belliqueux aurait été mutuellement partagé et non demeuré comme une caractéristique naturelle du seul mâle..

Le Protocole de Maputo s’attaque non seulement aux pratiques ancestrales et traditionnelles africaines mais aussi à celles que l’on considèrent comme étant plus récentes surtout dans le cadre professionnel, il condamne ainsi toute forme de harcèlement sexuel, illégitimise le droit de cuissage et rend illégal les promotions canapé répandues dans les entreprises et les administrations locales.. Il met également un doigt sur le harcèlement sexuel en milieu scolaire et académique, s’offusque des agissements des professeurs transformés en prédateurs sexuels au lieu de rester dans leur rôle de promotion

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de

l’alphabétisation

de

la

jeune

fille..

L’autre principale avancée de ce Protocole est dans le domaine du mariage qui devrait être conclu désormais avec le plein consentement des deux partenaires, et l’âge minimum de la fille pour s’engager dans le mariage est revu à 18 ans.. Une manière de lutter contre les unions forcées où des gamines étaient offertes à de pédophiles vieillards.. En meme temps, il encourage la monogamie et renforce pour les irréductibles gaulois du régime polygamique les droits de la femme.. En cas de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage, seule la voie judiciaire est reconnue ; la répudiation, pratique si commune en Afrique, devient indigne des valeurs républicaines.. Il reconnaît le même droit aux femmes à demander le divorce, l’annulation du mariage ou la séparation de corps, de même que le même droit au partage équitable des biens communs acquis durant le mariage.. Des droits que le législateur dans la majorité des pays africain avait omis d’octroyer aux femmes qui ne pouvaient prétendre à une égalité juridique devant les instances judiciaires nationales..

En Afrique, une femme qui a perdu son mari et se retrouve dans le veuvage, est soumise au bon vouloir de la famille de son défunt mari qui peut lui retirer la totalité du patrimoine acquis au cours de son mariage.. On a deja vu de vieilles femmes malmenées et jetées à la rue par une belle-famille avide et sans scrupules, des enfants sombrant dans la fainéantise et qui se réapproprient brutalement le domicile conjugal en poussant la « vieille » dans une hutte pourrie.. Le Protocole de Maputo s’insurge contre cette normalité scandaleuse et exige dorénavant que la veuve ne soit plus traitée d’une manière inhumaine, humiliante ou dégradante, il réitère son droit à une - 288 -


part équitable dans l’héritage des biens de son conjoint, de continuer d’habiter dans le domicile conjugal.. Il étend la protection spéciale aux femmes âgées et celles en précarité sociale en milieu carcéral, une interdiction de la discrimination fondée sur l’infirmité et l’exigence d’un traitement avec dignité..

En fin de compte, le tort de ce Protocole est d’avoir offert la possibilité aux femmes de devenir des êtres humains à part entière dans des sociétés traditionnellement peu enclines à leur reconnaître la moindre dignité.. Le grand malaise que provoque ce Protocole c’est de pointer du doigt les comportements d’un autre temps d’une Afrique malade réfugiée derrière des justifications obseletes.. On a crié sur ce droit presque inhérent à la nature de la femme d’exercer un contrôle sur sa fécondité, de décider de sa maternité, du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances.. On a vociféré contre ses droits reproductifs qui l’autorise à un avortement médicalisé dans certains circonstances particulières telles que le viol, la mise en danger de la santé mentale, physique, de sa vie ou celle du fœtus, et l’inceste.. On s’est alarmé contre le lesbianisme et la légalisation de l’homosexualité dans des sociétés faussement hétérosexuelles.. Mais l’on a oublié que le rejet du Protocole constituerait une régression inacceptable et un coup mortel porté à la prise de conscience générale, surtout générationnelle, de l’importance fondamentale de la femme africaine dans le devenir de ce continent en mal de tous ses atouts.. L’Afrique ne pourra prétendre à jouer son rôle capital dans ce siècle et vital dans le développement du monde qui se construit si elle n’apprend pas à s’émanciper véritablement de ses tares culturelles, et à évoluer objectivement vers une amélioration profonde, irréversible, des conditions d’existence de ses peuples.. - 289 -


Quantum of Africanism Quel est le problème de l’Afrique ? Elle est le continent le plus riche avec des ressources naturelles gigantesques.. Depuis le soleil écarlate des indépendances dans les années 1960, elle a offert le matériel nécessaire aux autres continents pour la construction de leur confort, du luxe de leur société, de l’aisance de leur civilisation.. Elle a travaillé d’arrache-pied, comme le soulignait brillamment Anver Versi, pour « réaliser les rêves des autres », en négligeant de prendre soin de ses propres aspirations.. Il est vrai que plus que jamais quelque chose ne tourne pas rond en Afrique..

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Il y a eu un temps où l’on a voulu se convaincre que la colonisation fut la cause de tous les maux dont souffrent ce continent, qu’elle a continué au-delà de la célébration des pseudo indépendances.. Il y a eu un temps où cet argument marchait et galvanisait les masses populaires à des fins électoralistes, politiques et idéologiques, on voulait bien croire au grand complot, au racisme économique et à la doctrine ségrégationniste de la communauté internationale, mais aujourd’hui il en faut plus à la nouvelle génération d’africains pour justifier l’immobilisme, la trahison des élites actuelles vendues aux intérêts étrangers.. Le continent possède des richesses inestimables, une population de près d’un milliard d’individus, mais il ignore encore après tant de décennies comment se transformer et traduire tout son potentiel naturel en richesse.. Personne ne viendra faire de la boue africaine une terre d’or si les africains eux-mêmes ne se décident pas à s’émanciper de la tutelle occidentale, à se reformer profondément, et à s’aider d’abord entre eux avant de tendre une main inutilement mendiante à la bourse des institutions de Bretton Woods..

Pourquoi les Etats-Unis d’Amérique sont la plus vaste économie du monde ? Pourquoi la Chine domine-t-elle l’économie internationale ? Parce qu’ils ont compris que les ressources humaines constituent leur atout le plus précieux, et qu’ils doivent investir massivement, sans compter, dans la formation ; car en fin de compte les ressources naturelles ne servent pas à grand-chose si l’homme ne met pas son intelligence et son énergie à produire de la valeur.. Ce n’est pas bien sorcier.. Il suffit d’arrêter de négliger la formation de sa jeunesse, de dilapider à l’extérieur les ressources naturelles que d’autres s’empresseront de transformer et de revendre au prix fort.. L’Europe est un continent ayant peu de ressources mais - 291 -


véritablement plus riche que l’Afrique, pourtant son grenier énergétique.. Elle a su utiliser toutes ses ressources pour construire de belles nations que la plupart des dirigeants africains ont plaisir à visiter, tout émerveillés par la beauté de la modernité occidentale.. Même ceux qui y élisent domicile fuyant la puanteur des rues de Lagos ou la vétusté des infrastructures de Douala, font semblant de ne pas comprendre les causes d’un tel développement..

Ces pays, dans lesquels ils ressentent les joies de l’existence et où ils brûlent leurs caisses nationales publiques, ont compris que le commerce par exemple est la distribution de la richesse, et qu’il faut le renforcer plutôt que l’exportation systématique des matières premières.. C’est en créant un vaste empire commercial dans le monde que le Japon dénué de ressources naturelles a importé les richesses et a su les distribuer à l’intérieur.. Le volume du commerce à l’intérieur des EtatsUnis et des pays européens est largement supérieur aux exportations.. La Chine bien qu’ayant en ces temps de crise économique perdue des marchés étrangers, a pu compter sur son marché intérieur, ce qui lui a permis de tirer son épingle du jeu.. Même l’Inde qui avait le plus grand mépris pour sa population, a compris que le meilleur moyen de créer de la richesse est de former cette population et de satisfaire ses besoins.. Aujourd’hui, elle peut se targuer de subvenir aux besoins nationaux de certains pays africains et compte désormais parmi les puissances émergentes, c’est-à-dire celles de demain..

L’Afrique possède tout ce qu’il lui faut pour se développer, tout sauf la mentalité qui va avec.. Les petites rivalités entre les Etats, entre les peuples, les ego démesurés des Chefs de - 292 -


gouvernement, le fatalisme ambiant avec son lot de résignations, les jalousies et l’arrivisme, l’inefficacité bureaucratique de l’Union Africaine asphyxiée par des luttes intestines, la liste des maux qui rongent ce continent est exhaustive.. On a souvent parlé de panafricanisme, d’une fédération des Etats africains formant un bloc uni comme de la panacée, mais l’on a oublié que tant que les africains ne feront pas preuve d’ « africanisme », c’est-à-dire d’un attachement manifeste à une destinée commune, d’une exploitation ingénieuse des diversités plurielles, d’un développement solidaire réel, et d’une politique commune fondée sur l’intérêt primordial du continent ; ils auront beau invoquer les fétiches et faire des incantations dérisoires, croiser les bras et attendre l’arrivée du Christ, l’Afrique vivra ce siècle comme tous les précédents, dans une sorte d’esclavage..

L’Afrique regorge de richesses multiples et variées : le cuivre, le pétrole, le gaz, le diamant, l’or, le platine, le charbon, le phosphate, le bois, le sable, le carbonate de sodium, le café, le cacao, le coton, le thé, absolument tout ce qu’il faut pour s’imposer au sein de la communauté internationale.. Elle a plus de terres érables que n’importe quel autre continent et un climat plus varié pour une plus grande diversité de produits, avec les plus vastes lieux de pêche du monde et des pâturages énormes.. Mais déjà les africains n’en profitent pas, la preuve : le commerce intra-africain représente faiblement 4% de l’ensemble du commerce africain, aucun pays ne veut réellement commercer avec les autres, ils s’échangent ni les ressources, ni les idées, encore moins les procédés.. Et les vraies fausses tentatives d’intégration sous-régionale ont finalement avorté, on a fait semblant d’ouvrir les frontières, sans plus..

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Le salut de ce continent ne viendra pas du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale ou de l’Organisation Mondiale du Commerce, ce sont des organisations mercenaires des oligarchies financières occidentales dont les politiques loin de profiter au plus grand nombre, parviennent à creuser les écarts déjà abyssaux entre l’Afrique et l’Occident, le Sud et le Nord.. D’un coté, ces institutions imposent au continent un libéralisme économique anarchique, cannibale, de l’autre elles autorisent les plus puissants à pratiquer le dumping économique.. Les Etats-Unis versent par an 5 milliards de dollars à leurs producteurs de coton, ce qui fait que le coton américain se vend à un prix inférieur de 30 à 40% à celui venant d’Afrique.. Les conséquences d’une telle situation sont faciles à imaginer sur le quotidien des populations locales.. Lorsque le Sénégal, pays à 57% rural et qui consacre seulement 7% de son budget à la paysannerie, demande une aide à la France, puis à l’Union Européenne, pour l’obtention de 10 000 tracteurs afin d’augmenter la productivité paysanne et lutter directement contre la pauvreté, le refus est presque cinglant, pourquoi ? Parce que ne rentrant pas dans les choix français et européens de politique de l’aide au développement.. C’est l’Inde au final qui dès réception de la requête débloque les tracteurs nécessaires.. Depuis le temps que l’Afrique est sous perfusion occidentale, son sort ne s’en est pas amélioré, au contraire.. Que faut-il de plus pour que les africains comprennent que les autres ne sont là que pour leurs propres intérêts ?

A quoi sert la masse intellectuelle africaine formée dans les pôles d’excellence du monde entier ? Une masse intellectuelle qui intellectualise un peu trop sans agir concrètement, elle se regarde le nombril, s’admire mutuellement, se rouille dans des conférences ronflantes et dans des discours à des milliers - 294 -


d’années lumière des attentes populaires.. Lorsque l’on sait qu’ailleurs, les intellectuels oeuvrent pour la transformation de leur société en matérialisant leurs recherches ; en Afrique, on noircit des millions de feuilles blanches pour recevoir les palmes académiques occidentales, en espérant assurer sa retraite en occupant le jour venu un poste ministériel dans un gouvernement fantoche.. L’Afrique forme des bureaucrates, qu’ils soient des ingénieurs ou des diplomates, ils préfèrent la fraîcheur des bureaux climatisés à la chaleur infernale des conflits et des difficultés qui assassinent la populace..

Et ceux qui ne cessent d’exiger la libération de l’Afrique, mais qui ont la frousse de se retirer de l’asservissement monétaire d’une partie du continent, que font-ils pour que le changement soit au diapason avec les litanies des bas-fonds ? Ce Franc CFA, instrument par excellence du néocolonialisme, propriétaire de la France qui l’utilise pour mieux piller sa françafrique.. Quoi de plus légitime.. Avant 1973, les pays de la zone franc devaient stocker 100% de leurs recettes d’exportation, aujourd’hui ils sont obligés d’en y déposer « que » 65%, pour n’en récupérer que « 35% » après conversion en F CFA par la France.. Au final, près de 1000 milliards de F CFA alimentent présentement les comptes d’opération à la Banque de France.. Une somme d’argent utilisée par la France dans sa grande générosité sous le couvert de sa politique africaine d’ « aide au développement ».. Et d’après le rapport Jeanneney, la France se sert largement de l’argent africain, à l’exemple du Trésor public qui puise dans les capitaux africains, pour combler son propre déficit.. Il y a décidément une forte odeur d’Afrique dans les caisses et si l’on trouve que ce continent là n’est pas suffisamment entré dans l’Histoire, il faut tout de même lui reconnaître sa contribution financière aux triomphes historiques des sociétés dites de - 295 -


civilisées

et

de

l’intelligence..

Seule une monnaie africaine est le gage d’une réelle souveraineté nationale car aucun pays ne s’est développé en utilisant une monnaie étrangère.. Il faut donc pour les africains francophones abandonnés le F CFA, fabriqué en France – près de Clermont-Ferrand.. Les pays du Maghreb ont quitté la zone CFA dans les années1960, ne s’en sortent-ils pas mieux que ceux d’Afrique noire francophone ? L’échec de la Guinée Conakry qui fit une sortie tonitruante de la Communauté Française d’Afrique ne devrait pas être un motif de résignation, le problème avec Sékou Touré et de Lansana Conté, c’était une question de gestion politique plus que médiocre..

Le problème africain n’est pas la France qui assume sa survie en faisant de la Realpolitik comme n’importe quelle nation essayant de tenir fébrilement son rang, même si en passant elle se permet honteusement de servir sa soupe paternaliste foncièrement moralisatrice aux sempiternels grands enfants africains..

Le problème c’est l’africain qui accepte cet état de chose et qui va jusqu’à le justifier..

Le problème de l’Afrique est à la fois simple et profond.. Elle refuse d’évoluer vers une société responsable.. Après des siècles d’aliénation, elle continue à se plaire dans cette infériorité suscitant le mépris affligeant des autres continents..

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La responsabilité individuelle est esquivée systématiquement par les acteurs de la société africaine, pourtant la responsabilité est une valeur structurante des sociétés modernes.. La communauté permet aux africains d’échapper à leurs responsabilités individuelles.. L’irresponsabilité est érigée en dogme, d’où une faible inventivité des sociétés africaines et la persistance du sous-développement.. En fin de compte, les africains ne sont responsables de rien, ni de la détérioration des termes d’échange, ni de la profondeur de la corruption, de la faillite économique.. De rien.. Encore moins d’eux-mêmes..

Pour se développer, il est nécessaire de se responsabiliser et de s’assumer pleinement.. A commencer par l’éducation de la jeunesse africaine et la création de débouchés pour qu’elle n’aille pas faire la fierté des autres.. Car les jeunes africains qui quittent le continent, c’est moins pour l’Occident étincelant, que l’abandon d’une Afrique qui « désespère sa jeunesse » selon la formulation géniale de Daniel Etounga.. L’Afrique a les moyens de s’en sortir, en aura-t-elle le courage, fera t-elle face à ses responsabilités ? Pourra-t-elle acquérir et enrichir ce « quantum of africanism » vital à sa survie, à son évolution, à sa transformation ? C’est là tout l’enjeu actuel..

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Du même auteur : Jocy, recueil de poèmes, 2008.. Marie, recueil de textes, 2008.. Esther, recueil de nouvelles, Premier Prix Francophonie de Nouvelles APPEL 2007..

A paraître prochainement : Symphonie Porcine, Récit.. Love, Recueil de poèmes.. Mystère Astral, Roman.. Oser / Agir pour l’Avenir, Essai..

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..FIN..

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