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LA VIE PATRIMONIALE
VÉGÉTALISER BELLECOUR ?
UN NON-SENS PATRIMONIAL
La place Bellecour recouverte d’arbres et de végétation, voici le nouveau fantasme des élus verts venus de Paris. Une fausse bonne idée issue des cerveaux surchauffés des climatodolatres, en pleine canicule. Pour Lyon People, l’historien Jean Etevenaux démonte, pièce par pièce, le projet démagogique de l’éphé(maire) de Lyon pour transformer cette iconique place d’armes.
Texte : Jean Étèvenaux, historien - Photos © Philippe Gourdain – StudioFly, Archives et BML
D’après le petit Doucet qui gouverne la ville depuis plus de deux ans et demi, les Lyonnais n’attendaient que cela : « Vous en avez rêvé : la place Bellecour sera végétalisée ! », a-t-il tweeté le 13 décembre 2022. Et de jouer la carte lyrique avec « un îlot de fraîcheur en plein cœur de Lyon qui offrira — au sens propre comme au figuré — un souffle nouveau à la ville ». Il convient d’y regarder de plus près, même si la mairie écologiste communique très peu sur le projet, estimé à 1,5 million d’euros.
MONUMENT
HISTORIQUE
Les Lyonnais sont généralement très fiers de leur place centrale et en exagèrent même les proportions alors qu’elle ne tient le premier rang ni en Europe ni même en France, où elle se trouve en cinquième position. Ils adorent la montrer aux visiteurs depuis l’esplanade de Fourvière et ils sont familiers de ce lieu chargé d’Histoire qui se traverse aisément. Ses belles façades, bien plus régulières et proportionnées que celles de la place des Terreaux, lui confèrent un caractère majestueux renforcé par la statue équestre de Louis XIV en empereur romain. Alors, pourquoi vouloir désacraliser cette place en la réduisant à un rôle de jardin ou de parc public ? Là, on ne se trouve plus dans le cas d’une aire de jeux aménagée pour les enfants à côté de l’office du tourisme, à l’instar, d’ailleurs, de ce qui existe un peu partout dans les parcs de la ville. Il s’agit d’un lieu historique, comparable à la place parisienne de la Concorde, l’une et l’autre ayant, de surcroît, abrité la guillotine révolutionnaire. Les arbres n’y sont certes pas aussi nombreux que sur la place bordelaise des Quinconces mais elle présente une antériorité d’un bon siècle par rapport à celle tracée en l’honneur des girondins victimes des jacobins.
On ne peut, en effet, pas faire n’importe quoi avec un tel monument historique, témoin et acteur des grandes heures de la capitale des Gaules.
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G 212g CO2/km
Le simple ancien pré où était implantée la vigne médiévale de Belle-Cour (Bella Curtis) devient une place d’armes lorsque, en 1562, le baron des Adrets (1513-1587) gouverne la ville au nom des protestants puis lorsque, en 1600, Henri IV (1589-1610) demande à la municipalité de l’utiliser à cette fin. La fonction militaire se trouve vite supplantée par le rôle politique qu’elle doit tenir, symbole du pouvoir royal qui a définitivement supplanté tous les autres. Dénommée Bellecour en 1658 par ordonnance de Louis XIV (1643-1715), la place Royale sert d’écrin à la statue du RoiSoleil en 1713 ; mais elle aurait dû aussi accueillir une véritable cité administrative afin que soient regroupés tous les organes locaux de la monarchie. Une végétalisation partielle est établie en sa partie méridionale afin de cacher des irrégularités de terrain. Le percement des rues adjacentes témoigne en tout cas d’une nouvelle étape de l’urbanisation lyonnaise qui voit le quartier d’Ainay perdre son caractère marécageux.
GRÂCE À NAPOLÉON
La place Louis-le-Grand est transformée par la Révolution en place de la Fédération puis de l’Égalité. La statue de Louis XIV est fondue alors que, à ses pieds, les deux fleuves magnifiés de façon très genrée par Nicolas (1658-1733) et Guillaume Coustou (16771746) sont prudemment transférés dans l’hôtel de ville ; cela prélude à leur exil au Musée des Beaux-Arts en mars 2021 pour les « protéger ». Quant aux trois rangées de tilleuls du côté sud, elles sont témoins, dès 1792, du massacre de huit militaires du Royal-Pologne et de trois prêtres réfractaires — la tête, la langue et les mains de l’un d’entre eux furent accrochés à un des arbres —, avant d’être remplacés par des marronniers qui seront abattus en 2010 pour des tilleuls et des merisiers ; les autres marronniers, qui ont donné leur nom à la petite rue parallèle au Rhône, avaient été abattus dès le XVIIIe siècle lors de la construction des immeubles de la façade orientale.
Enfin, les bâtiments des trois autres côtés, considérés par les ancêtres des wokes déconstructeurs d’aujourd’hui comme des manifestations de « tout ce que le vice et le crime avaient élevé », sont promis en 1793 à la disparition — « tout ce fut habité par le riche sera démoli » — au cours d’une cérémonie où les « orgueilleuses façades », « ces habitations du crime », sont frappées d’un petit maillet en argent ; heureusement, le chantier de démolition coûta trop cher pour être effectivement mené à son terme.
Il faudra néanmoins des années pour que les destructions du siège de la ville et la répression qui entraîna la condamnation à mort de quelque 1 800 personnes soient oubliées grâce à la reprise économique lancée par le Consulat et à la bienveillance personnelle de Napoléon : il vint lui-même lancer la reconstruction au lendemain de la victoire de Marengo en 1800, ainsi que le rappelle toujours une plaque sur l’immeuble du 2 de la rue du Colonel Chambonnet, à l’angle de la rue du Plat ; on comprend que la place prenne alors le nom de Bonaparte. En fait, Bellecour avait tenu, sous l’Ancien Régime, le rôle d’un forum romain, ou d’une agora grecque, mais pas au sens politique. On s’y rencontrait pour papoter, discuter affaires ou simplement se montrer. L’aspect culturel n’était pas négligé comme en témoignent ces vers ironiques du savant jésuite ClaudeFrançois Ménestrier (1631-1705) :
« On y voit abonder mille faiseurs de vers, De sonnets, de rondeaux et d’ouvrages divers Que toute la place en est pleine. Après eux, faiseurs de romans, Assez sujets à la migraine, Viennent, accompagnés d’une troupe d’amants. »
On y rencontrait aussi toutes sortes d’activités inattendues, tel ce Théâtre lugdunensien des puces savantes qui aurait sûrement suscité l’ire des animalistes d’aujourd’hui soucieux de préserver le bien-être des animaux « liminaires »...
DES PLACES EN MOINS
On ne peut non plus oublier que la mémoire de cette place inclut sur sa face nord le souvenir des cinq résistants fusillés en 1944 et à l’angle sud-est l’évocation d’Antoine de Saint-Exupéry. On pourrait aussi détailler les bâtiments en bordure qui rattachent ce coin d’entre Saône et Rhône aux siècles du passé lyonnais. Rappelons aussi que sa taille a permis de réunir plus de 20 000 personnes lors de la retransmission du match de la coupe du monde de football France-Croatie en 2018 et en 1998. Parfois trop colonisée lors de manifestations diverses, elle n’en offre pas moins un vaste déambulatoire dont les contours ont déjà accueilli, depuis une dizaine d’années, le renouvellement des aires de jeux, des bassins, des kiosques et des végétaux. Tout au long de sa vie, la place Bellecour a hésité entre plusieurs vocations. Celle de jardin d’agrément n’apparaît certainement pas la plus assurée. Certes, on a prétendu que, depuis plusieurs années, des voix s’élèvent nombreuses pour réclamer plus d’arbres et de verdure dans la cité, plus particulièrement, paraît-il, sur les places Bellecour et des Terreaux, vite qualifiées d’« immenses étendues de béton et de gore ». Mais on disait que la présence d’un parking et du métro sous Bellecour et des colonnes de Buren sur les Terreaux empêcherait toute plantation. Heureusement, nos écologistes ont toujours la même solution : supprimer des places pour les voitures afin d’y installer au moins des caissons dans lesquels seraient enracinés les nouveaux arbres. S’y ajouteraient des fontaines à eau, des aires de repos ombragées, des strates d’arbustes et de basse végétation aptes, paraît-il, à rafraîchir la place. Cela évoque l’ambitieux programme de David Kimelfeld aux dernières élections.
Commémoration du 8 mai 1945 sur la place Bellecour, le 7 mai 1991, avec les hommes du régiment des Spahis de Valence ayant pris part à la guerre du Golfe.
Il apparaît pourtant nécessaire de ne pas mélanger les genres.
Une place n’est ni un jardin ni un parc, surtout quand elle est définie comme monumentale. Ce n’est parce que le quart des personnes consultées, soit 1 500 sur 6 000, promeut la végétalisation que celle-ci doit être imposée. On n’oubliera pas que, en ce qui concerne les Terreaux, il y a le très agréable cloître du palais Saint-Pierre juste à côté ; pour Bellecour, la place Antonin-Poncet, contiguë, offre arbres, pelouses et jets d’eau. L’urbanisme du XXIe siècle et le bien-être des citoyens n’exigent pas de tout bouleverser.
L’histoire de la place Bellecour et de ses 45 immeubles est à retrouver dans le numéro spécial de Lyon People (10€ port compris) À commander auprès de Marie au 04 72 82 97 78