Une terrible épreuve (EMP4075)

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Sommaire Préface

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Préambule

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1. Rachel

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2. 1995

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3. Retraite : le retour

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4. Une année sombre

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5. Paul

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6. Joseph

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7. Besoin d’une bulle

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8. Thomas chemine aussi

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9. Quand la vie reprend ses droits

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10. Surprise

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11. Adoption

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12. Juillet 2000 : Création de l’association

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13. Communion des saints

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14. Sur la terre, comme au ciel

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15. 4 mai 2013 – 8 h

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16. 4 mai 2013 – 23 h 30

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Je connaissais une petite partie de l’histoire de Sophie mais son livre Une terrible épreuve m’a apporté bien plus que des renseignements biographiques sur sa famille ! Il m’a révélé que la puissance de résurrection du Christ nous rend capables de traverser la mort sans désespérer. Sophie témoigne de la gloire de Dieu, là-même où elle a souffert. La fausse compassion nous fait dire qu’on ne se remet pas de la mort d’un enfant ; mais ce récit passionnant montre, au contraire, que le Christ nous fait remonter des enfers où nous avons accepté de descendre. En espérant contre toute espérance, Sophie a contribué à une véritable découverte anthropologique et législative : la dignité de la mort humaine avant la naissance. Si vous voulez avoir une foi qui résiste à toutes les tristesses et toutes les colères, lisez ce livre. Si vous voulez contribuer à vaincre les tabous et humaniser notre société, lisez ce livre. Si vous voulez vous aventurer avec le Christ ressuscité dans la victoire de la vie sur la mort, lisez ce livre. C’est ce que j’ai fait.

Pasteur Serge Jacquemus Église Protestante Unie de Belleville et Union de prière de Charmes

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« – Bon, Maman, ce n’est pas parce que tu es enceinte que tu vas avoir un bébé. – … (Silence consterné ; je savais qu’il savait de quoi il parlait.) – En tout cas, quoi qu’il arrive, ce bébé, mort ou vivant, je veux le voir ! » Nous venions d’annoncer ma quatrième grossesse à notre petit bonhomme de six ans, resté fils unique malgré deux précédentes grossesses et sans le savoir, il venait d’ouvrir, devant nous, un chemin de guérison et de résurrection. Il n’avait que deux ans et demi puis cinq ans et demi lorsque nous avons perdu sa sœur et son frère, mais visiblement, quelque chose lui avait manqué autour de ces deuils, il nous disait son besoin d’inscrire dans une réalité tangible à ses yeux l’existence de ce bébé à naître. Cette demande de notre fils nous a mis en contact avec nos propres besoins et avec nos propres désirs : comment voulionsnous accueillir ce tout-petit s’il mourait, lui aussi, avant de naître ? Qu’avions-nous envie de vivre avec lui, autour de son corps, si celui-ci naissait sans vie ? Quel projet de naissance pouvions-nous élaborer pour lui ? La mort de sa sœur et de son frère nous avait été volée, comment nous approprier notre parentalité aujourd’hui si cet enfant n’avait pas le temps de vivre ? Nous pensions avoir huit mois pour réfléchir, la vie en décidera autrement…

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Mais puisqu’un deuil à traverser « aujourd’hui » réactive toujours ceux que nous avons vécu « hier », revenons quelques années en arrière, en avril 1994, très précisément.

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Rachel


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Thomas avait deux ans lorsque j’ai découvert que j’étais enceinte. « Découvert » était le mot juste : je ne m’attendais pas à cette grossesse, on pourrait dire que cette vie en formation avait échappé à mon contrôle. Non pas que nous ne voulions plus d’enfants – les jeunes fiancés que nous avions été rêvaient d’une famille nombreuse, au moins cinq enfants ! – mais je ne me sentais pas prête à ce moment-là : allais-je pouvoir aimer ce bébé autant que Thomas ? Continuerais-je d’aimer mon premier-né si j’accueillais un autre enfant ? N’étais-je pas en train de « trahir » mon aîné ? D’autant qu’il a fallu arrêter en urgence les traitements de désensibilisation mis en place pour contrer mes problèmes respiratoires (la garrigue a beaucoup de charme mais regorge de plantes particulièrement allergisantes !). Le médecin m’avait pourtant bien prévenue : « Ce n’est pas le moment de faire un bébé, ces traitements sont totalement proscrits chez la femme enceinte. » Je n’avais pas été capable de gérer la fertilité de notre couple. Quelles conséquences pour ce futur bébé ? Serait-il malformé ? Souffrirait-il de séquelles à cause de ce traitement, comme moi ? Beaucoup de questions sans doute légitimes, peut-être stupides, en tout cas des interrogations qui stagnaient dans le secret de mon cœur et qui ont eu l’effet d’une bombe quelques mois plus tard. Épouse de pasteur, femme de devoir, hyperactive invétérée, ma grossesse n’a rien changé à mon style de vie, même si j’avais eu 23


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des alertes lorsque j’attendais notre aîné. J’avais en effet passé les deux derniers mois couchée sans avoir le droit de me lever et j’ai accouché avec trois semaines d’avance, en trois heures, « comme une bombe » selon l’expression des sages-femmes, ce qui n’est pas tout à fait normal pour une primipare. Mais ces deux mois au lit m’avaient permis de tricoter tout mon saoul, dispensée de tâches ménagères, j’étais bichonnée par Matthias, mon époux, ainsi que par certains paroissiens, j’avais tout le loisir de bavarder avec mon bébé et quelle femme se plaindrait de ne souffrir que 3 heures pour accoucher ? Cet « incident de parcours » dans cette première grossesse n’avait pas présenté suffisamment d’inconfort pour que j’en souffre, que je considère ces conditions comme des inconvénients et que les alarmes soient au rouge écarlate pour une grossesse suivante. Je savais pourtant que j’étais une fille Distilbène® 2, sans pour autant en connaître les conséquences. Alertée par les effets néfastes de cette molécule dans les années 80, Maman m’avait encouragée 2. Le Distilbène® (nom commercial le plus courant du DES) est un médicament qui

fut prescrit en France, entre 1948 et 1977, aux femmes enceintes, pour prévenir une fausse-couche. Il fut contre-indiqué chez la femme enceinte en 1971 aux USA lorsque le lien a été établi entre la prise de DES par la mère et la survenue d’un cancer rare chez les filles exposées in utero. Les autres conséquences pour les « filles DES » sont : malformations gynécologiques, problèmes de fertilité, accidents de grossesse (risque multiplié par six de grossesse extra-utérine, fausses couches à répétition, fausses couches du deuxième trimestre, accouchement prématuré, risque doublé d’hémorragie de la délivrance). Les « filles DES » ont également un risque accru de développer un cancer du sein, à partir de quarante ans. Aujourd’hui, les tribunaux ont reconnu la responsabilité du laboratoire UCB Pharma, qui commercialise la molécule, en se fondant sur une série de fautes commises, notamment le maintien du produit nocif sur le marché alors que son inefficacité était connue dès 1953. En 2011, plusieurs procès sont encore en cours. Les procédures sont difficiles car les plaignantes doivent apporter une double preuve : celle de leur exposition in utero au DES, puis que cette exposition est bien la cause d’un préjudice. Toutes n’obtiennent pas gain de cause.

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à dire à tous les gynécologues qui me suivraient que j’étais « un bébé Distilbène® », formule un peu ésotérique que j’avais répétée plusieurs fois pour ne pas l’oublier, sans chercher à en savoir plus. Sans doute cette insouciance m’a-t-elle évité quelques angoisses dans les premières années de notre mariage, lorsque notre premier bébé tardait trop à venir, selon nous, puis pendant ma première grossesse. Donc si je n’avais aucune idée de ce que signifiait « fille Distilbène® », le Dr A., lui, était censé ne pas l’ignorer (nous étions en 1994), même s’il semblait très dubitatif quant aux reproches faits à ce médicament. C’est ainsi qu’il m’a répondu un : « Si vous le souhaitez, pour votre confort personnel, reposez-vous » lorsque je lui ai parlé de maux de ventre qui apparaissaient lorsque je passais le balai ou soulevais mon fils, par exemple. Du repos ? Incompatible avec mon sens du devoir de l’époque, pas plus qu’avec mon sentiment de culpabilité si je restais inactive alors qu’il y avait encore « des choses à faire ». Or, des « choses à faire » dans un presbytère qui accueille trente jeunes venus faire de l’évangélisation, il y en a tout le jour, et les jours sont longs au mois de juillet en Ardèche ! Balayage à fond des locaux pour qu’ils soient accueillants, installation d’une cantine dans le garage, repas à servir, lessives que l’on accroche à 14 h pour qu’elles sèchent vite grâce au soleil qui fait grimper le thermomètre jusqu’à 40° à l’ombre, sans compter un petit gars plein de vie à canaliser, à monter à l’étage, bref, mon ventre avait du mal à retrouver son calme lorsque je m’allongeais enfin le soir, contente du devoir accompli. Après tout, le médecin ne m’avait-il pas expliqué qu’il s’agissait simplement de mes ligaments qui devenaient douloureux ? J’étais dans le cinquième mois de ma grossesse, je sentais bien le bébé bouger, les maux de ventre étaient devenus mes compagnons de route. 25


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J’ai quand même eu un petit sursaut d’audace qui m’a fait appeler la personne responsable de nous trouver un logement chez l’habitant, pendant la retraite de notre communauté de prière à laquelle nous participions depuis quelques années, à la fin du mois d’août. Je savais d’expérience que nous pouvions être logés assez loin de la maison, dans un ancien moulin accroché aux rochers en aplomb d’une rivière, planté en bas d’une « grimpette » qui en essoufflait plus d’un. J’imaginais bien que trente minutes de voiture en plus de cette côte ardue, sans compter tous les escaliers pour descendre à la crypte, auraient raison de mon ventre douloureux. J’ai donc expliqué ma situation pour n’avoir pas à faire trop de kilomètres, sans grande conviction, c’est certain, sans insister aucunement, juste pour calmer une petite voix à laquelle j’ai ensuite pu dire : « Tu vois bien, j’ai quand même essayé mais ce n’est pas possible. » J’ai apaisé un peu mes remords en emportant toutefois une chaise longue pour assister aux réunions, un luxe ! Nous nous sommes donc retrouvés le premier soir dans une chambre qui nous avait été attribuée à 30 minutes de notre lieu de rencontre. « Faute à pas de chance », Thomas a été malade dès le soir et je l’ai porté une grande partie de la nuit dans les bras. En plus de la fatigue, j’étais assez stressée parce que nous partagions ce logement avec un monsieur âgé que j’étais ennuyée de gêner dans son sommeil. Le lendemain, samedi 27 août vers onze heure trente, lors d’une pause au cours de la prière communautaire, je découvre avec stupéfaction que je saigne ! Branle-bas de combat, on m’ouvre une chambre sur place pour que je puisse m’allonger en attendant le médecin qui arrive vers midi, m’ausculte et me rassure : « Je ne 26


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vois rien d’anormal, je vais quand même vous envoyer à la clinique de G. pour passer une échographie. » Nous filons tous les trois, Matthias, Thomas et moi, vers ladite clinique où un échographiste me prend tout de suite en charge, rassurant, lui aussi : « Je ne vois rien d’anormal, il n’y a pas beaucoup de liquide amniotique mais cela ne m’inquiète pas. Je vous propose néanmoins d’attendre l’obstétricien de garde qui ne devrait pas tarder. » Une longue attente d’une heure et demie a commencé dans une salle aux chaises inconfortables où je repassais en boucle les commentaires des deux médecins qui s’étaient montrés sereins et jouaient la carte de la prudence en m’envoyant, chacun son tour, vers un plus spécialiste que lui. À 14 h, le gynécologue obstétricien me reçoit enfin dans son bureau, commence à m’ausculter et m’annonce d’un ton léger : « Eh bien, Madame, vous êtes en train d’accoucher ! » Je ne sais pas quel effet produit le ciel qui vous tombe sur la tête, mais je sais l’effet de bombe d’un tel verdict ! « Je suis en train d’accoucher. Le bébé que je n’ai pas fini de porter est en train de sortir. Si je m’étais écoutée, peut-être n’en serions-nous pas là. Et le médecin ? Pourquoi n’a-t-il rien vu ? Ce bébé va mourir à cause de moi. À quatre mois et demi, comment est-il ? Et pourquoi Matthias ne m’a-t-il pas encouragée à me reposer ? Je suis en train de faire une fausse couche. Est-ce possible que ce bébé ait senti que je n’étais pas prête ? Oui, ce doit être cela : il s’en va parce qu’il a compris que je n’en voulais pas ! » C’est à peine si les paroles du médecin réussissaient encore à se frayer un chemin jusqu’à mon cerveau, déjà trop encombré par la culpabilité, un cerveau qui essayait vainement de redistribuer les cartes de la responsabilité pour m’éviter de m’effondrer sous le 27


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poids de la faute. Et ce que j’entendais du spécialiste me paraissait encore pire : « Il y a peut-être une chance de le sauver, ce serait de rester couchée jusqu’à la fin de votre grossesse, à l’hôpital, sous perfusion. » « Que dit-il ? Je ne veux pas de sa proposition, JE NE VEUX PAS SACRIFIER MA VIE POUR UN ENFANT, je ne suis pas prête à rester couchée encore quatre mois ! Ca y est, c’est sûr, je suis un monstre ! C’est pour cela que ce bébé va mourir, c’est parce que je ne peux pas l’aimer autant que Thomas, je le savais, je suis incapable d’être sa mère, il a dû le sentir. » Je me suis retrouvée couchée illico sur un brancard, les jambes en l’air, avec interdiction formelle de mettre les pieds par terre ; puis emmenée dans une chambre, reliée à une perfusion de Salbutamol® qui avait pour but d’arrêter les contractions devenues franches et massives, médicament dont je n’ai constaté que les effets indésirables, eux aussi francs et massifs : tachycardie effrénée, maux de tête à me déchirer les tympans et vomissements qui n’en finissaient pas. Ma voisine, enceinte de sept mois, elle aussi alitée pour protéger son bébé d’un accouchement trop prématuré, a dû supporter mes nausées, les haricots pleins qui défilaient, y compris pendant son dîner, alors que beaucoup de chambres étaient libres en cette fin du mois d’août. Vers 19 h, on m’a servi un repas que j’ai vomi dans la foulée (mais il m’a valu de me faire disputer, quatre heures plus tard, parce que je n’étais pas à jeun !) et plus je vomissais, plus je sentais le bébé qui descendait, lui aussi, sérieusement secoué par la tornade qui agitait mon corps. Mon mari était reparti avec notre fils qui ne pouvait pas rester auprès de nous à la maternité. Nous étions en vacances, à deux cent cinquante kilomètres de chez nous, loin de toute famille. Le service avait promis de l’appeler en cas de problème. 28


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Vers 23 h, dans une ultime nausée, j’ai senti la poche des eaux se rompre, libérant le corps de mon tout-petit dont je sentais les jambes bouger entre les miennes. Je me souviens avoir esquissé un mouvement pour le retenir, sans doute dans un espoir désespéré de le faire retourner dans cet utérus chargé de le protéger pendant encore quatre mois. Mais en vain, bien entendu ! C’est avec mon bébé entre les jambes, encore relié par le cordon ombilical, que j’ai quitté ma chambre sans un mot d’explication de la part des soignants qui m’avaient prise en charge. À partir de là, j’ai vécu les événements comme si j’étais devenue une chose que l’on trimballe sans lui demander son avis et sans lui expliquer quoi que ce soit. Je me suis retrouvée sous un scialytique, les jambes dans les étriers ; un homme est entré avec un tablier de boucher, je me suis fait gronder parce que j’avais diné ; j’ai entendu une femme auprès de moi lancer : « J’ai besoin d’un sac », j’en ai conclu que mon bébé allait être jeté à la poubelle, enfermé dans un sac, quand même. Il ne m’est même pas venu à l’idée de demander confirmation de mes conclusions, je nageais dans un « entre deux », entre la sidération et une tentative de reprendre le contrôle de quelque chose : « – Docteur, ce qui me console un peu, c’est que j’ai appris pendant mes études d’infirmière que les fausses couches étaient un tri de la Nature qui fait bien les choses et élimine les bébés trop malformés. – Votre petite fille est tout à fait normale, Madame ! » « Retourne dans ta nébuleuse, Sophie, ne cherche pas à comprendre quoi que ce soit, tes essais sont infructueux. » J’étais à la moitié de la grossesse, dans la vingtième et unième semaine d’aménorrhée, mon bébé pesait quatre cent vingt-sept grammes, elle était grande comme ma main et sa vie s’était arrêtée entre mes jambes parce qu’elle n’était pas encore bien équipée pour la vie. 29



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