L'évolution des chrétiens évangéliques (Eres1002) by La Maison de la Bible

Le courant évangélique est aujourd’hui en pleine évolution : croissance du nombre de fidèles, implantation de nouvelles communautés, multiplication des Eglises internationales, implication croissante dans la société, etc. D’abord perçu comme un courant marginal, il est aujourd’hui souvent qualifié de « phénomène ». Comment ces changements se traduisent-ils dans le regard que les médias et la société jettent sur les évangéliques ? Peut-on constater une évolution de la perception des évangéliques ? Ce mouvement est-il aujourd’hui mieux compris, ou reste-t-il parfois encore caricaturé ou sous-estimé ? Les 10 ans du Réseau évangélique suisse offrent l’occasion à Jean-François Mayer d’apporter son regard sur ces questions, en tant que fin observateur des courants religieux contemporains. Ce petit livre présente l’évolution historique de la perception des évangéliques depuis 50 ans, les mots clefs que les médias utilisent pour parler de ce mouvement, ainsi que l’analyse personnelle de J.-F. Mayer sur l’évolution des évangéliques et le rôle du Réseau évangélique suisse.

Jean-François Mayer Né à Fribourg en 1957, Jean-François Mayer est historien. Il s’intéresse de longue date aux mouvements religieux. Son approche conjoint l’étude des croyances, l’approche historique et l’enquête de terrain. Auteur d’une dizaine de livres et de nombreux articles couvrant une vaste palette de thèmes, il dirige l’Institut Religioscope et le site www.religion.info. 12.00 CHF ISBN 978-2-8260-1002-9

RELIGI

SCOPE

L’ÉVOLUTION DES CHRÉTIENS ÉVANGÉLIQUES ET LEUR PERCEPTION EN SUISSE ROMANDE

J E A N - F R A N Ç O I S M AY E R

L’ÉVOLUTION DES CHRÉTIENS ÉVANGÉLIQUES ET LEUR PERCEPTION EN SUISSE ROMANDE

J E A N - F R A N Ç O I S M AY E R

Jean-François Mayer Préface de Norbert Valley

RES Réflexion n° 7

L’évolution des chrétiens évangéliques et leur perception en Suisse romande

L’évolution des chrétiens évangéliques et leur perception en Suisse romande © 2016 Réseau évangélique suisse Rue du Village-Suisse 14 Case Postale 23 1211 Genève 8 022 890 10 30 info@evangelique.ch www.evangelique.ch Edition réalisée avec la collaboration de La Maison de la Bible. Tous droits réservés. Couverture: superhuit.ch. Diffusion: La Maison de la Bible Chemin de Praz-Roussy 4bis 1032 Romanel-sur-Lausanne, Suisse E-mail: info@bible.ch Internet: http://www.maisonbible.net ISBN édition imprimée 978-2-8260-1002-9 ISBN format epub 978-2-8260-0367-0 ISBN format pdf 978-2-8260-9642-9

Table des matières

Préface de Norbert Valley............................................................... 7 Prologue: il y a cinquante ans..........................................................13 1. Ces évangéliques qui montent, qui montent.................................................................23 2. Quelques mots-clefs autour des évangéliques..........................................39 3. Perspectives: le RES et les évangéliques demain en Suisse romande.....................................63 Annexe: l’histoire du RES...............................................................83

Prologue: il y a cinquante ans…

«Pour un monde qui change: l’Evangile.» A Genève, du 16 au 23 octobre 1966, le pasteur presbytérien et évangéliste canadien Leighton Ford, beau-frère de Billy Graham, anime une campagne d’évangélisation soutenue par l’Eglise nationale protestante, les communautés évangéliques de Genève et l’Action commune d’évangélisation. Il prêche en anglais, traduit en français. Billy Graham n’est pas un inconnu ici: il est venu à Genève en 1955 et à Lausanne en 1960, où Leighton Ford l’a d’ailleurs accompagné. La presse y a donné un large écho1, intriguée par le style et l’écho des prédications du célèbre évangéliste. Il n’est pas le seul à avoir mené des campagnes d’évangélisation en Suisse romande à partir des années 1950.

Même si les «croisades» de Billy Graham et de ses associés pouvaient surprendre un public 1 «La venue prochaine à Genève de M. Billy Graham, qu’une grande partie de la communauté protestante prépare avec ferveur, éveille chez les uns l’espoir d’un renouveau spirituel, suscite chez les autres une curiosité réticente. Les méthodes de cet évangélisateur provoquent les jugements les plus divers. Les uns les considèrent comme propres à donner au message évangélique une force de percussion nouvelle. Les autres en dénoncent le caractère simpliste et tapageur» (Journal de Genève, 11-12 juin 1955).

européen1, l’espoir était de voir ces actions d’évangélisation aider à remplir les bancs des églises, comme l’expliquait Claude Reverdin (1921-2006), pasteur à la Cathédrale de Genève: Les organisateurs de la campagne ont eu soin d’associer toutes les communautés protestantes de Genève à sa préparation: notre Eglise en premier chef. C’est dans nos paroisses qu’aboutiront beaucoup de ceux qui feront, la semaine prochaine, une découverte spirituelle. Nous devons non seulement les encourager par notre présence et notre intercession, mais aussi être prêts à ne pas les décevoir lorsqu’ils se joindront à nos communautés paroissiales.2 La venue de Leighton Ford attira l’attention de la Télévision romande. Sous le titre joliment trouvé de 1 «Bien des protestants, sans doute, sont étonnés, froissés même par les procédés d’évangélisation «à l’américaine» utilisés par Billy Graham et ses collaborateurs. Chœurs innombrables, fanfares aux cuivres fracassants, publicité intense, haut-parleurs, tout cela est bien loin de nos conceptions de la religion réformée. Et pourtant, les résultats de ces vastes campagnes sont probants, même en Europe, puisque, par exemple, à Londres, en juin dernier, plus d’un million de personnes sont venues entendre le fameux propagandiste de la foi, et que 40 000 d’entre elles ont répondu à son appel» (Journal de Genève, 14 octobre 1966). 2 Journal de Genève, 15-16 octobre 1966.

«1966 ans après Jésus-Christ», elle lui consacra une vingtaine de minutes dans le magazine Continents sans visa (3 novembre 1966); ce reportage était signé par le jeune réalisateur Alain Tanner, promis à une belle carrière cinématographique, et par le journaliste Guy Ackermann1. Par rapport à ce qu’on peut vivre aujourd’hui dans nombre d’Eglises évangéliques, les soirées étaient sobres; les cantiques provenaient de recueils qui ne sont plus guère utilisés en 2016 dans les communautés chrétiennes de notre pays. Nulle image sensationnelle. Le journaliste donnait la parole à Leighton Ford et à son public, enregistrant des réactions variées, enthousiastes ou sceptiques. Une jeune femme expliquait être venue chercher «une bonne technique et une bonne propagande, quelque chose pour attirer les foules à venir enfin au salut», tandis que d’autres n’avaient pas été convaincus par l’appel à la conversion. Trois interlocuteurs au regard plus distant étaient aussi invités à commenter ces réunions: le journaliste Bernard Béguin (1923-2014), le pasteur

1 Grâce au précieux site des archives de la RTS, on peut accéder à ce reportage dans son intégralité: http://www.rts. ch/archives/tv/information/continents-sans-visa/50474791966-apres-j-c-.html.

Henry Babel et le pasteur et théologien Bernard Morel (1921-1996). Le premier expliquait: La médiocrité intellectuelle de ces moyens d’approche crée un malaise, je crois, dans les milieux intellectuels, et peut-être aussi dans une certaine tradition genevoise, où la vie intérieure est vraiment intérieure. […] Cela dit, il faut tout de même être équitable. […] Si ces méthodes doivent amener à la lecture de l’Evangile des gens qui n’y avaient pas pensé, et si cette lecture doit créer, pour certains, un enrichissement, je ne vois pas de quel droit on s’y opposerait. Quant aux deux pasteurs, sans douter de l’effet des prédications sur certains auditeurs et en reconnaissant la «qualité technique» du prédicateur, ils s’inquiétaient du niveau de ce message par rapport aux attentes contemporaines. Henry Babel se déclarait préoccupé de voir la religion rester «quelquefois à un stade par trop infantile»: L’Evangile suppose une certaine disponibilité, une certaine candeur, une certaine simplicité. Mais l’Evangile n’est pas incompatible avec une certaine maturité d’esprit. Et l’homme d’aujourd’hui, qui vit dans une civilisation dominée de plus en plus par l’humanisme 16

scientifique, a le droit de nous dire: «Mais enfin, ce que vous enseignez est-il encore valable aujourd’hui?» Bernard Morel abondait: Il est bien possible que ceux qui ont un esprit critique se sentent au contraire gênés par ce qu’il y a d’un peu simple, d’un peu naïf, justement, dans un message qui ne s’adresse pas à des hommes qui sont tout à fait adultes. Et il disait se méfier du sentiment de trouver la réponse à tous les problèmes familiaux, politiques et sociaux en se tournant vers Dieu: Il y a là une sorte de fuite, de fuite devant les réalités de ce monde. Revoir ce documentaire un demi-siècle plus tard rappelle que, dans le sillage des campagnes de Billy Graham, des chrétiens réformés et évangéliques collaboraient déjà pour l’évangélisation. Les questions relatives aux méthodes et au discours pour proclamer l’Evangile restent posées. Mais tant la situation religieuse en général que celle des chrétiens évangéliques en Suisse ont changé. L’image associée à ces derniers est celle d’un courant dynamique et apte à motiver des jeunes pour s’engager dans une démarche de foi, tandis que les Eglises 17

historiques, en particulier l’Eglise réformée, ont vu leur part diminuer. Essentiellement cantonnés, à l’origine, dans les régions à héritage protestant de la Suisse, les évangéliques sont aujourd’hui de plus en plus présents dans des territoires de tradition catholique, par suite d’efforts d’implantation d’Eglises et de la mobilité croissante des populations. Des Eglises de migrants sont venues ajouter d’autres sensibilités au paysage évangélique. De nouvelles impulsions ont été données à l’organisation et à la coordination des groupes évangéliques à l’échelle régionale, à côté des collaborations locales: ainsi est né le Réseau évangélique suisse (RES), s’insérant dans la continuité de la présence de longue date de l’Alliance évangélique et intégrant la dynamique plus récente de la Fédération romande d’Eglises et Œuvres évangéliques (FREOE)1. Et même si le style évangélique ne convainc pas tous les chrétiens, la notion d’une foi évangélique associée à des esprits simples ou naïfs devient de 1 Le RES reprend à son compte et publie sur son site le texte «Qui sont les évangéliques?» de 2002: «L’Alliance Evangélique souhaite être le reflet de ce que représente la mouvance évangélique, à la fois dans sa diversité et dans son unité. L’Alliance Evangélique n’est ni de droite, ni de gauche. Elle n’est pas non plus fondamentaliste, classique, charismatique ou œcuménisante. L’Alliance Evangélique rassemble d’abord et avant tout les chrétiens qui se considèrent faire partie de la mouvance évangélique» (http://www.evangelique.ch/content/qui-sont-les-évangéliques).

moins en moins soutenable, à l’heure où une Haute Ecole de Théologie (HET-pro) va ouvrir ses portes à l’initiative de milieux évangéliques et de cercles réformés proches des évangéliques. Mais quelle est la perception des évangéliques en Suisse romande? Comment évolue-t-elle? L’étude des mouvements religieux m’a appris depuis longtemps que les perceptions comptent au moins autant que la réalité. C’est en pensant aux transformations de la société suisse et du monde évangélique que j’ai accepté l’invitation du RES à préparer quelques observations et réflexions à l’occasion de son dixième anniversaire, afin d’évaluer ces perceptions et de les mettre en contexte. Je ne prétends pas être un spécialiste du courant évangélique: celui-ci m’intéresse dans le cadre d’une attention plus large prêtée aux quêtes spirituelles et mouvements religieux contemporains. Sans les ressources pour mener un sondage auprès d’un échantillon représentatif de la population suisse, il a paru judicieux de prêter attention à l’évolution du discours sur les évangéliques dans les médias en Suisse romande. Les médias contribuent à forger l’opinion publique tout en la reflétant: ils nous révèlent des thèmes et des mots-clefs pour évaluer la perception d’un sujet. Je me suis 19

fondé sur mes propres dossiers (constitués surtout à partir des années 1980), ainsi que sur des archives en ligne et des recueils d’articles de presse établis par le RES pour les années plus récentes. Le public romand ne lit évidemment pas que la presse suisse: il faudrait tenir compte d’émissions de grandes chaînes de télévision françaises ou de dossiers de magazines de référence chez nos voisins. Mais je ne pense pas que cela modifierait radicalement le tableau. Outre mes observations au fil des ans sur la situation religieuse en Suisse, j’ai lu les études consacrées aux évangéliques et rencontré quelques personnes ayant des points de vue et angles d’approche variés. Afin de mettre en perspective ma documentation par rapport à la réalité actuelle du mouvement évangélique, j’ai tenu à assister aux cultes d’Eglises évangéliques de différentes sensibilités, au cours des derniers mois. Cela a offert l’occasion de nombreuses et intéressantes discussions informelles et m’a permis de mieux saisir des évolutions par rapport à ce que j’avais observé dans des cultes évangéliques durant les années 1980. Ce document commencera par un bref parcours historique: pour identifier des changements, un déroulement chronologique est indispensable. Je 20

proposerai ensuite quelques mots-clefs qui me semblent importants dans la perception du milieu évangélique en Suisse romande: autour de ceuxci peuvent se construire une réflexion et une discussion. Enfin, j’esquisserai quelques perspectives prudentes dans mes commentaires conclusifs. C’est au courant évangélique en tant que composante du paysage religieux romand que ces pages sont consacrées: ce choix ne place pas à l’avant-plan les figures importantes du milieu évangélique, ce qui explique que peu de noms apparaissent. Je tiens à remercier pour les échanges et réponses à mes questions les personnes que j’ai rencontrées dans le cadre de la préparation de ce texte, en particulier (dans l’ordre alphabétique): Joël Burri (Protestinfo), Serge Carrel (FREE), Jean-Christophe Emery (RTS religion), Camille Gonzales (CIC), Brigitte Knobel (CIC), Christophe Monnot (Université de Lausanne), Michael Mutzner (RES). Je remercie également, pour leur accueil et les discussions informelles qui ont suivi les cultes, les responsables des différentes Eglises évangéliques auxquelles j’ai rendu visite au cours des derniers mois: ces entretiens ont beaucoup stimulé ma réflexion. J’assume bien sûr seul la responsabilité du contenu de ce texte.

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