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Donald Miller

Jazz à l’âme Une spiritualité libre et authentique


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Titre original en anglais: Blue Like Jazz. Nonreligious Thoughts on Christian Spirituality, publié par Thomas Nelson Inc. Copyright © 2003 by Donald Miller

Traduction: Thomas Constantini © et édition: Ourania, 2007 Case postale 128, CH-1032 Romanel-sur-Lausanne info@ourania.ch ISBN édition imprimée 978-2-940335-22-0 ISBN format epub 978-2-88913-561-5 ISBN format pdf 978-2-88913-969-9


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Table des matières

Note de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 01

Commencement. Dieu qui marche vers moi sur un chemin de terre . . . . . . . . . .

02

7 9

Problème Ce que j’ai appris en regardant la télévision . . . . . . . . . . . . . . . .

23

03. Magie Le problème avec Roméo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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04. Transformation Comment on trouve une Penny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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05. Foi A propos de la vie sexuelle des pingouins . . . . . . . . . . . . . . . . .

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06. Rachat Sexy Carotte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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07. Grâce Le royaume des mendiants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

95

08. Dieux Nos chers amis invisibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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09. Changement Nouveau commencement pour foi ancienne . . . . . . . . . . . . . .

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10. Croyance La naissance de la cool attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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11. Confession La sortie du placard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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12. Eglise Comment y aller sans devenir dingue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

153

13. Amour A la rencontre des filles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

165

14. Solitude Des années dans l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

179

15. Communauté Vivre avec des cinglés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

203

16. Argent Quand il faut payer le loyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

217

17. Louange L’émerveillement mystique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

233

18. Amour Vraiment aimer les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19. Amour

241

Vraiment s’aimer soi-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

259

20. Jésus Les traits de son visage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

271

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Note de l’auteur

Je n’ai jamais aimé la musique jazz, parce que la musique jazz ne résout rien. Cependant, un soir, je me trouvais devant le Bagdad Theater à Portland, et j’ai vu un homme jouer du saxophone. Je suis resté là une bonne quinzaine de minutes, et il n’a pas ouvert une seule fois les yeux. Après ça, j’ai aimé la musique jazz. Parfois, il faut voir quelqu’un aimer quelque chose pour vous mettre à aimer cette chose vous-même. C’est comme si cette personne vous montrait la voie. Je n’aimais pas Dieu parce qu’apparemment il ne résolvait rien. Mais c’était avant que tout cela n’arrive.


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Chapitre 1

Commencement Dieu qui marche vers moi sur un chemin de terre

J’ai entendu une fois à la télévision un Indien dire que Dieu était dans l’eau et dans l’air. J’ai trouvé cette idée absolument magnifique, parce qu’elle voudrait dire que nous pourrions nager en Dieu et le laisser caresser notre visage à travers une douce brise. Mon histoire personnelle ne fait que commencer, mais je crois que je rallierai l’éternité. Au ciel, je méditerai sur ces premiers jours, ceux où il semblait que Dieu était là-bas sur un chemin de terre, marchant vers moi. Il y a des années, il était un point mouvant à l’horizon. A présent, il est assez proche pour que j’entende la chanson qu’il a sur les lèvres. Bientôt, je pourrai voir les traits de son visage. Mon père a quitté la maison quand j’étais encore très jeune. C’est pourquoi, quand j’ai été confronté au concept de Dieu comme Père, je me le suis représenté comme un homme rigide et doucereux qui voulait venir chez nous pour coucher avec ma mère. Dans mon souvenir, cette idée n’était associée qu’à de la peur et de la menace. Nous étions une famille pauvre membre d’une église de riches; j’imaginais donc Dieu comme un homme qui avait beaucoup d’argent et qui conduisait une grosse voiture. A 9


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l’église, on nous disait que nous étions tous enfants de Dieu, mais je savais que la famille de Dieu était mieux que la mienne, que sa fille était pom-pom girl et que son fils était dans l’équipe de football américain du lycée. Je suis né avec une petite vessie et j’ai mouillé mon lit jusqu’à l’âge de 10 ans. Plus tard, je suis tombé amoureux de la plus jolie fille du lycée qui se montrait gentille avec moi afin de pouvoir m’utiliser, tactique qu’elle avait sans doute apprise de son père, qui dirigeait une banque. Dès le début, le gouffre qui me séparait de Dieu a été aussi profond que la richesse et aussi large que la mode. J’ai grandi à Houston, dans le Texas. Là-bas, le temps ne changeait que fin octobre, quand un front froid descendait du Canada. Les météorologues de Dallas appelaient ceux de Houston pour que les gens puissent rentrer leurs plantes et leurs chiens chez eux. Un grand froid bleu arrivait en suivant la ligne de la route nationale et se reflétait sur les vitres des grands immeubles. Il planait vers le golfe du Mexique, comme s’il cherchait à prouver que le ciel domine l’eau. Au mois d’octobre, tous les habitants de Houston marchent avec une certaine énergie, comme s’ils allaient être élus à la présidence ou se marier le lendemain. Il était plus facile pour moi de croire en Dieu en hiver. Je crois que c’était à cause du nouveau climat, de la couleur des feuilles aux arbres et de la fumée des cheminées aux belles maisons du quartier chic où je me promenais à vélo. Je n’étais pas loin de croire que, si Dieu vivait dans un de ces quartiers, il m’inviterait à entrer prendre un chocolat chaud et me parlerait pendant que ses enfants me jetteraient des regards assassins par-dessus leur épaule tout en continuant à jouer au Nintendo. Je roulais dans ces quartiers jusqu’à ce que mon nez gèle, puis je revenais à la maison, où je m’enfermais dans ma chambre. Je mettais un dis10


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Commencement

que d’Al Green et j’ouvrais grand les fenêtres pour sentir le froid. Je restais là, étendu sur mon lit, pendant des heures. J’imaginais la vie dans une belle maison, avec les visites d’amis importants sur leur vélo flambant neuf. Des amis dont les pères étaient bien habillés et bien coiffés, et qui passaient à la télévision locale. Je n’ai vraiment vécu avec mon père que trois fois dans ma vie, chacune de ces visites ayant lieu durant mon enfance et chacune se produisant dans la période de froid. Mon père était entraîneur de basket-ball. Je ne sais pas pourquoi il s’est séparé de ma mère. Je sais juste qu’il était grand, beau et qu’il sentait la bière. Son cou sentait la bière, ses mains sentaient la bière et son visage couvert d’une barbe de trois jours sentait la bière. Je ne bois pas beaucoup de bière moi-même, mais la profondeur de cet arôme ne m’a jamais quitté. Parfois, mon ami Tony le poète beat prend une bière au Horse Brass Pub, et l’odeur m’envoie dans un de ces endroits si plaisants qui n’existent que dans nos souvenirs d’enfance. Mon père était un homme grand, sans doute plus grand que la moyenne. Il était long et fort comme une rivière en crue. Lors de ma seconde visite chez lui, je l’ai vu lancer un ballon de football américain à l’autre bout du gymnase, l’envoyant droit dans la direction du cerceau de basket, dont il est venu frapper le panneau. Aucun de ses actes ne m’échappait et je les considérais tous comme sensationnels. Je le regardais se raser, se brosser les dents, mettre ses chaussettes et ses chaussures dans des gestes où le muscle l’emportait sur la grâce, et je restais planté devant la porte de sa chambre en espérant qu’il ne remarque pas mes yeux béats. Je l’admirais particulièrement quand il ouvrait une bière, sa grosse main entourant la petite canette qui laissait jaillir la mousse dont il buvait bruyamment de ses grosses 11


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lèvres rouges, sa langue léchant sa moustache. C’était vraiment une belle mécanique. Quand ma sœur et moi rendions visite à notre père, nous faisions griller de la viande tous les soirs, chose que nous ne faisions jamais chez ma mère. Mon père ajoutait de petits biscuits sur la viande, puis du sel et de la sauce, et je pensais que, peut-être, il était quelque chose comme un chef cuisinier, quelqu’un qui aurait pu écrire des livres sur la façon de cuire la viande. Après, il nous emmenait dans les magasins et il nous achetait un jouet, celui que nous voulions. Nous déambulions dans les rayons rutilants de camions et de Barbies, de pistolets et de jeux. En attendant à la caisse, je me cramponnais, silencieux et immobile, à la boîte brillante qui me glissait des mains. Au retour, mon père nous prenait l’un après l’autre sur ses genoux et il nous laissait conduire. Celui qui ne tenait pas le volant changeait les vitesses et celui qui conduisait avait le droit de boire à sa canette de bière. Il n’est pas possible d’admirer quelqu’un plus que j’ai admiré cet homme. Je connais, par ces trois visites que je lui ai faites, le mélange d’amour et de crainte qui n’existe que dans la façon dont un garçon voit son père. Des années se passaient entre ses coups de fil. Ma mère répondait au téléphone et je savais, à sa façon de se tenir silencieuse dans la cuisine, que c’était lui qui appelait. Quelques jours après, il arrivait pour une visite, toujours plus marqué par l’âge: les nouvelles rides, les cheveux grisonnants et une peau plus épaisse sous les yeux. Quelques jours après, nous partions passer un week-end dans son appartement. Il a complètement disparu à peu près au moment où je suis entré au collège. *** 12


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Aujourd’hui, je me demande pourquoi Dieu parle de luimême comme d’un Père. Etant donnée la manière dont ce rôle est joué et perçu ici-bas, cela me semble correspondre à une grossière erreur de marketing. Pourquoi Dieu voudrait-il être appelé Père quand tant de pères abandonnent leurs enfants? Quand j’étais enfant, l’expression Dieu le Père me plongeait dans un brouillard d’ambiguïté. Pour être honnête, je comprenais le rôle d’un père à peu près aussi bien que le travail d’un berger. Tout le vocabulaire concernant Dieu me paraissait venir de l’histoire ancienne, celle qui a précédé les jeux vidéo, les Palm pilots et l’Internet. Si vous m’aviez posé la question, je vous aurais sans doute dit que Dieu existait, mais j’aurais été bien incapable de donner une définition précise basée sur mon expérience personnelle. C’était peut-être dû à mes cours d’école du dimanche, où l’on nous faisait apprendre beaucoup de commandements mais où l’on nous enseignait très peu qui était Dieu et comment avoir une relation avec lui. Il est aussi possible qu’on l’ait fait, mais que je n’aie pas écouté à ce moment-là! Néanmoins, mon Dieu impersonnel me satisfaisait bien, dans la mesure où je n’avais pas besoin du vrai produit. Je n’avais pas besoin d’une divinité descendant du ciel pour me moucher le nez. Si Dieu marchait vers moi sur un chemin de terre, il devait être caché par une colline et, de toute façon, je n’avais pas commencé à le chercher. *** Je crois que j’ai commencé à pécher quand j’ai eu environ 10 ans. Je crois que j’avais 10 ans; c’était peut-être un peu avant, mais un garçon commence à pécher à cet âge, et je suis sûr que c’était quelque part par là. Les filles, elles, 13


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commencent à pécher vers 23 ans à peu près, mais c’est parce que leur nature les pousse à ne pas se presser dans la vie, et elles ont donc moins besoin de se jeter sur les choses. J’ai commencé à pécher par petites doses: des petits mensonges et autres excuses aux professeurs à propos des devoirs et ce genre de choses. J’ai vite maîtrisé la technique, ne regardant jamais le prof dans les yeux, parlant toujours rapidement (depuis le diaphragme), jamais pris en faute dans mon entreprise de tromperie. «Où sont tes devoirs?» me demandait le prof. «Je les ai perdus.» «Tu les as perdus hier. Tu les as perdus la semaine dernière.» «Je perds toujours tout. Il faut que je m’améliore.» (Toujours se dévaluer.) «Qu’est-ce qu’on va faire de toi, Donald?» «Merci d’être si patient avec moi.» (Toujours être reconnaissant.) «Je vais devoir appeler ta mère.» «Elle est sourde. Un accident de canoë. Une attaque de pirhanas.» (Toujours être dramatique, faire beaucoup de gestes avec les mains.) J’utilisais aussi beaucoup de gros mots. Pas les gros mots à l’usage des gens qui vont à l’église: zut, mince, etc., mais de bons gros vrais jurons comme dans les films interdits aux moins de 13 ans, de ceux que les garçons n’utilisent qu’entre eux. Les jurons sont une pure extase quand vous avez 12 ans; ils vibrent dans la bouche comme une pile posée sur la langue. Roy, mon meilleur ami de l’époque, et moi rentrions ensemble de l’école et nous nous arrêtions sur le terrain de jeu près de l’église méthodiste pour insulter Travis Massie et sa grosse sœur Patty. Travis se moquait 14


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toujours de Roy parce que son nom était Niswanger. Il m’a fallu deux ans pour comprendre pourquoi le nom Niswanger était aussi drôle. Avant la fin de l’année, nous en étions passés aux mains, et j’avais 13 ans quand j’ai reçu mon premier coup de poing, directement dans la figure. C’est Tim Mitchell, le petit gars blond qui allait dans mon église, qui me l’a donné. Nous tournions l’un autour de l’autre, et il me disait qu’il allait me casser les dents, et je lui disais des gros mots, du genre de ceux qui font peur. Finalement, il m’a frappé à la figure, et d’un seul coup j’ai vu un ciel aussi brillant et bleu que la musique jazz, pendant que les autres riaient, que Patty Massie me montrait du doigt et que Roy était embarrassé. Il y a eu pas mal de cris après ça, et Tim a reculé après que Roy lui a dit qu’il allait lui casser les dents. Pendant tout ce temps, Travis chantait «Nice wanger, nice wanger, nice wanger…1». Avant que tout cela n’arrive, cependant, j’avais, quand j’étais au jardin d’enfant, été envoyé dans le bureau du principal pour avoir soulevé la jupe d’une fille pendant l’heure de la sieste. Je l’avais sans doute fait, mais pas pour le motif qu’on m’attribuait. Il est beaucoup plus probable que sa jupe se trouvait sur le chemin de quelque chose que je voulais vraiment, parce que je me souviens assez précisément de cet âge, et je peux dire que je n’avais pas le moindre intérêt pour ce qui pouvait bien se trouver sous les jupes des filles. J’ai eu droit à un bon sermon de la part du principal, M. Golden, sur l’importance de se conduire en gentleman avec les filles. C’était un petit homme à peine plus haut que son bureau, avec un doigt qui remuait comme la queue d’un chien et un nœud de cravate gros comme une tumeur. 1 N.d.T.: «belle bite»

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Il aurait tout aussi bien pu me parler de politique ou de sciences physiques, parce que je n’étais pas intéressé par ce qui, d’après son sermon, n’était pas supposé m’intéresser. Mais tout a changé l’été de mes 12 ans. De l’autre côté de la rue de Roy se trouvait un champ traversé par des voies de chemin de fer. C’est là que, pour la première fois, je me suis identifié avec l’Adam dont on parle au début de la Bible, parce que c’est là que j’ai vu ma première femme nue. Nous jouions sur nos vélos quand Roy est tombé sur un magazine avec des lettres de couleur de mauvais goût et le style criard des mauvaises pubs. Roy s’en est approché avec un bâton et je me suis planté derrière lui pendant qu’il commençait à tourner les pages. Nous avions, semblait-il, trouvé une porte vers un monde de merveilles et de magie, où les créatures existent dans la plus pure forme de beauté. Je dis que nous avions trouvé une porte, mais il y avait plus que ça. C’est comme si nous étions conduits à travers la porte, car je sentais dans ma poitrine, au rythme de mon cœur, que je vivais une aventure. Je me sentais comme un voleur qui brandit un pistolet dans une banque. Finalement, Roy a pris le magazine dans ses mains, dévorant lentement ses pages puis me le passant après s’être enfoncé dans les bois, à l’écart de notre terrain de jeu familier. Nous ne parlions pas, nous tournions juste les pages, captivés par ces formes miraculeuses et cette beauté qu’aucune montagne et aucune rivière n’ont jamais égalée. Je sentais que je découvrais un secret que le monde entier avait toujours connu et qui m’avait été caché. Nous sommes restés là jusqu’à ce que le soleil se couche, puis nous avons caché notre trésor derrière des bûches et des branches, nous jurant l’un à l’autre de ne rien dire à personne de notre découverte. 16


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Cette nuit-là, dans mon lit, mon esprit repassait les images comme dans un film, et je sentais l’énergie nerveuse d’une rivière s’enrouler dans le bas de mes intestins et refluer vers ma matière grise, me plaçant dans une sorte d’extase dont je pensais ne jamais revenir. Ce que je venais d’apprendre paraissait donner ses vraies couleurs au monde. Avant même que j’aie demandé une raison de vivre, on venait de m’en donner une: les femmes nues. *** Tout cela m’a fait rencontrer la culpabilité pour la première fois. Elle est restée, depuis, quelque chose de profondément mystérieux pour moi, comme si des extraterrestres m’envoyaient des messages depuis une autre planète pour me dire qu’il y un bien et un mal dans l’univers. Et ce n’est pas seulement le péché sexuel qui amenait ce sentiment de culpabilité. C’était aussi les mensonges, mes pensées mauvaises et les cailloux que je jetais contre des voitures avec Roy. Ma vie était devenue quelque chose à cacher, elle était maintenant pleine de secrets. Mes pensées ne regardaient que moi, mes mensonges étaient des barrières qui les protégeaient et ma langue acérée était une arme qui protégeait ce qu’il y avait de mauvais en moi. Je m’enfermais pendant des heures, m’isolant de ma mère et de ma sœur. Je ne faisais rien de mal, j’étais juste devenu une créature étrangement secrète. C’est là que mes premières idées sur la religion ont commencé à se former. Je continuais à être dérangé par les idées que j’avais apprises à l’école du dimanche sur le péché et sur la façon dont nous devons l’éviter. Je sentais qu’il fallait que je me rachète, avec les mêmes sentiments qu’un gosse quand il décide enfin de ranger sa chambre. Mes pensées charnelles m’avaient mis la tête sens dessus dessous. C’était comme si 17


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je m’étais tenu sur le seuil de mon esprit, me demandant par où commencer et comment remettre un peu d’ordre dans mes idées C’est alors que je me suis rendu compte que la religion pouvait m’aider à arranger les choses, me ramener à la normale pour que je puisse m’amuser sans me sentir coupable. Je voulais juste ne plus avoir à penser à ce truc de culpabilité. Pour moi, il y avait une barrière mentale entre la religion et Dieu. Je pouvais très bien me placer sur un terrain religieux et ne jamais, en termes d’émotions, comprendre que Dieu est une personne, un être réel avec des pensées, des sentiments et tout ce qui va avec. Pour moi, Dieu était plus quelque chose de l’ordre de l’idée. C’était un peu comme une machine à sous, une rangée d’images tournantes d’où sortaient des récompenses sur la base de mes mérites et, peut-être, de la chance. Le Dieu machine à sous soulageait ma culpabilité obsédante et me donnait l’espoir que je pourrais donner un sens à ma vie. J’étais trop bête pour évaluer la solidité de cette idée. Simplement, je commençais à prier pour être pardonné, espérant qu’un rang de cerises allait apparaître et que la lumière de la machine allait se mettre à clignoter, déversant des petites pièces de bonne fortune. Ce que je faisais avait plus à voir avec la superstition qu’avec la spiritualité. Mais ça marchait. Si quelque chose de bien m’arrivait, je pensais que ça venait de Dieu, et si ça n’arrivait pas, je retournais à la machine à sous, m’agenouillant pour prier et tirant sur le levier une fois de plus. J’aimais beaucoup ce Dieu: on n’avait jamais à lui parler, et il ne répondait jamais. Mais les meilleures choses ont une fin. Mon Dieu machine à sous s’est désintégré la veille de Noël, l’année de mes 13 ans. Je continue à me référer à 18


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cette nuit comme à celle où mon brouillard s’est dissipé. Elle représente une des rares fois où je peux affirmer de façon catégorique avoir parlé avec Dieu. Je suis à moitié persuadé que de telles choses sont en fait de l’ordre de la routine, mais elles n’ont pas la portée métaphysique de ce qui s’est produit à ce moment-là. C’était très simple, mais il s’agissait d’une de ces profondes révélations que seul Dieu peut provoquer. Je me suis en fait rendu compte que je n’étais pas seul dans mon environnement. Je ne parle pas d’esprits ou d’anges ou quoi que ce soit de cette sorte. Je parle des autres gens. Pour aussi étrange que cela puisse vous paraître, je me suis rendu compte, tard cette nuit-là, que les autres gens avaient des émotions et des peurs. J’ai réalisé que mes relations avec eux voulaient dire quelque chose, que je pouvais les rendre heureux ou tristes selon la façon dont je me comportais avec eux. Non seulement, je pouvais les rendre heureux ou tristes, mais j’étais responsable de la façon dont je me comportais avec eux. Je me suis d’un seul coup senti responsable. J’étais supposé les rendre heureux. Je n’étais pas supposé les rendre tristes. Comme je l’ai dit, ça a l’air tout simple, mais lorsque vous prenez conscience de ça pour la première fois, c’est quand même assez dur à avaler. C’était comme si je venais de prendre le souffle d’une explosion en pleine face. Voici comment tout est arrivé: j’avais acheté à ma mère un cadeau de Noël assez minable, un livre inintéressant qu’elle ne lirait probablement jamais. J’avais eu de l’argent pour mes cadeaux, mais j’en avais dépensé la plus grande partie en matériel de pêche, car Roy et moi avions commencé à pêcher dans la rivière derrière le supermarché. On ouvrait les cadeaux de la famille au sens large la veille de Noël, gardant ceux de la famille restreinte pour le 19


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matin suivant. Ma chambre était donc, cette nuit-là, remplie de merveilleux cadeaux: jouets, jeux, friandises et habits. Allongé sur mon lit, je les comptais et les rangeais par catégorie depuis les essentiels, les jouets à piles, jusqu’aux négligeables, les sous-vêtements. A la lumière du clair de lune, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. C’est alors que j’ai pris conscience que j’avais acheté le cadeau de ma mère avec la menue monnaie qui me restait après que je m’étais fait plaisir à moi. Je me suis rendu compte que j’avais placé la satisfaction de mes désirs matériels avant la joie de ma mère. C’était une culpabilité différente de ce que j’avais connu jusque-là. Elle était pesante et je ne savais pas comment m’en débarrasser. C’était un sentiment obsédant, la sorte de sensation que vous avez lorsque vous vous demandez s’il n’y a pas deux personnes en vous, et que l’autre fait des choses affreuses que vous ne pouvez pas expliquer. Mon remords était tellement lourd à porter que je me suis mis à genoux au pied de mon lit et que j’ai supplié, non pas la machine à sous, mais un Dieu vivant et personnel, de faire cesser cette douleur. Je me suis glissé hors de ma chambre pour aller dans le couloir, près de la chambre de ma mère. Je suis resté là près d’une heure, prostré dans la prière et m’endormant parfois, jusqu’à ce que je sente mon fardeau me quitter et que je puisse retourner dans ma chambre. Nous avons ouvert le reste de nos cadeaux le lendemain matin. J’étais content des miens, mais quand ma mère a ouvert son paquet, je lui ai demandé pardon en lui disant que j’aurais aimé pouvoir faire plus. Elle a fait, bien sûr, semblant d’apprécier son cadeau, affirmant qu’elle voulait en savoir plus sur le sujet traité. Lorsque la famille s’est rassemblée le soir pour dîner autour d’une table tellement chargée de nourriture qu’un 20


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Commencement

pays aurait pu s’y nourrir, je me sentais toujours horriblement mal. Je me rapetissais sur ma chaise, les yeux au niveau de bols de pommes de terre et de maïs. Une bonne dizaines de femmes me passaient les mains dans les cheveux en papotant, heureuses que Noël soit fini. Pendant qu’ils enterraient tous un autre Noël en discutant et en mangeant, je me sentais honteux et je me demandais en silence s’ils savaient qu’ils étaient en train de dîner avec Adolf Hitler.

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