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FRANÇOIS CORDIER
moment de prendre les bonnes pièces et de les assembler de la bonne manière.
Mi-février, vous avez annoncé une levée de fonds de 22 millions d’euros, dans la fourchette haute des levées de fonds des start-up au Luxembourg. À quoi cela va vous servir ? Nous avons recruté Remo Gerber, qui vient de chez Lilium, dont la spécialité est la levée de fonds. Je ne me fais aucun souci là-dessus. La difficulté est que c’est une course contre la montre. Il faut avoir cet équipement qui va être suffisamment rapidement prêt pour répondre à l’explosion des demandes commerciales. Là, nous sommes en train d’être extrêmement sollicités dans les pays nordiques, au Danemark, notamment, en Suède pour un projet de 17.000 mètres carrés – c’est énorme –, et il faut pouvoir produire les panneaux. Maintenant que nous avons du cash, nous devons trouver les personnes.
Comme beaucoup d’entreprises au Luxembourg… C’est pour cela que nous avons décidé d’ouvrir quelque chose à Londres et à Zurich, et de garder le siège au Luxembourg. Parce qu’à Londres, nous allons beaucoup plus facilement embaucher des ingénieurs structures, des développeurs informatiques. À Zurich, nous allons trouver des talents dans tout ce qui est bois. À Luxembourg, nous allons continuer à développer la robotique et l’unité de production. Nous sommes bien situés. Nous sommes en train de regarder avec la plateforme des CFL à Bettembourg pour amener nos panneaux en train au Danemark. Ce serait assez cool, et ça permettrait de capitaliser sur ce qui a été développé ici. Ça a du sens.
Justement, ce que vous faites, vous le faites par conviction écologique, par opportunisme économique... ? Qu’est-ce qui vous motive ? Au début de mon parcours d’entrepreneur, en 2007, j’ai eu une vraie prise de conscience écologique. J’ai commencé à regarder comment je m’habillais, ce que je mangeais. Je ne suis pas un ayatollah : je fais attention à ce que je consomme. Pour moi, arrêter de couler du béton alors qu’on n’en a pas besoin, ça dépasse la logique green, c’est du bon sens. Faire quelque UN TRACK RECORD EXCEPTIONNEL
De 4 à 60 La start-up, qui a démarré à 4 personnes, emploie 30 personnes aujourd’hui, et devrait avoir doublé son effectif d’ici la fin de l’année.
De 1 à 8 roulements L’équipe, qui travaille aujourd’hui sur un poste de 8 heures, pourrait aller jusqu’à 5 postes de 8 heures pour faire face à la demande.
20.000 m² d’usine De 2.000 à 2.500 m² au Technoport de Foetz, Leko Labs passera à une usine de 20.000 m². Au Luxembourg, bien sûr.
chose de bien avec une ressource renouvelable comme le bois, qui stocke du carbone parce que 50 % du bois est du carbone, ce n’est pas simplement une logique green. Développer une entreprise est le meilleur outil dont on dispose dans le monde moderne pour changer les choses. Ça fait plus de 15 ans que je bosse là-dessus... Des retours sur investissement, il y en a des plus rapides que cela.
Quinze ans, ça veut dire qu’aujourd’hui, c’est un peu la fin d’une traversée du désert, d’une longue période de gestation… C’est difficile, parce que je me rappelle avoir écrit sur le tableau avec mon équipe et avoir dit :« On va accélérer la transition écologique mondiale vers un habitat durable. » Quand j’ai écrit « mondiale », on m’a regardé en me disant : « Tu es fou, nous sommes quatre ! » Aujourd’hui, nous sommes sollicités pour un projet au Danemark, nous avons un investisseur qui s’appelle Tencent, un des mastodontes de la tech, qui nous sollicite déjà pour faire une ville en Chine. C’est un projet mondial. Il n’y a qu’en Europe qu’on est toujours frileux et qu’on n’assume pas son ambition. J’aime beaucoup cette phrase qui dit que les succès immédiats mettent des années à se construire. Maintenant que le projet prend une telle dimension, nous allons être confrontés à des problèmes qui vont être autrement plus compliqués que ceux que nous avons été amenés à gérer jusqu’à maintenant. Nous devons nous entourer des bonnes personnes.
« Développer une entreprise est le meilleur outil pour changer les choses. »
La levée de fonds s’est accompagnée d’un pas de côté pour vous, puisque vous quittez la fonction de CEO pour celle de CTO. Comment le comprendre ? Je suis le président du conseil d’administration et actionnaire majoritaire, ce qui est unique pour une entreprise de cette taille qui lève autant de fonds. Je me suis plutôt bien entouré pour pouvoir permettre au projet de grandir pendant que moi, je me concentre là où j’apporte une valeur ajoutée. Derrière nos discussions, il y a quelque chose qui sort. Il faut être assez humble pour se dire que l’on n’est pas le meilleur leveur de fonds du monde, que l’on n’est peut-être pas le meilleur CEO du monde, mais que si on trouve quelqu’un de bien meilleur que soi, c’est bien. Il y a deux ou trois fondateurs qui feraient mieux de ravaler leur ego… Il ne faut pas avoir peur d’embaucher des gens qui sont plus intelligents que nous ! Ces dernières années, le fait que le fondateur ne soit pas CEO était assez mal vu par les VC, mais chaque boîte est différente. Nous avons recruté quelqu’un qui a de l’expérience, nous avons besoin de lever des capitaux parce que c’est une course contre la montre, parce qu’il y a des compétiteurs, et parce que le changement climatique n’attend pas. Mon ego et mon rôle de CEO, ce n’est pas le sujet.
De gros chantiers, en Chine ou en Suède, ça implique quoi, au niveau opérationnel ? Nous croyons beaucoup à la logique de la production sur place. Donc, à terme, nous aurons des unités décentralisées, dans les pays nordiques, en Grande-Bretagne, pourquoi pas un jour en Chine. Nous regardons beaucoup comment transporter nos éléments en train. Nous pouvons produire à Luxembourg.
Jusqu’à quand vous voyez-vous dans cette société ? Quinze ans, c’est déjà long… D’abord, je dois me prouver que je peux avoir du succès. Mon échelle, c’est le milliard. Le milliard d’euros de revenus. À partir du milliard, vous commencez à avoir un impact planétaire, c’est en tout cas ce que je crois. Je vois le milliard d’ici cinq ans. On a un marché en train de changer, une offre assez limitée de construction à bas carbone ; la nôtre est scalable et compétitive. Ça pourrait être dix. Ou cent. À terme, ce sera sûrement ça, l’échelle du projet. Quand j’ai rencontré Remo, il ne comprenait pas qui j’étais. Je suis curieux, dans beaucoup de domaines. Je lis beaucoup, alors que l’entrepreneuriat ne s’apprend pas à l’école. Les masters en entrepreneuriat, c’est bien, c’est mignon, on y apprend certainement des choses très intéressantes, mais l’école de la vie, cela ne se remplace pas.
Leko Labs Photo
À travers ses peintures produites pour Venise, Tina Gillen réfléchit sur la manière de travailler avec la nature.
« Venise, c’est les olympiades des arts »
L’artiste et chercheur Tina Gillen représente le Luxembourg à la 59e Biennale d’art de Venise avec l’exposition Faraway So Close. Une personnalité discrète à l’œuvre puissante qui prend, pour cette occasion, une tournure plus monumentale.
Interview CÉLINE COUBRAY Photo ROMAIN GAMBA
La Biennale de Venise est généralement une étape importante pour les artistes qui y participent. Est-ce le cas pour vous aussi ? C’est un peu une consécration, une plateforme internationale, les olympiades des arts. Par contre, Venise même est un site spécifique et difficile à travailler. C’est vraiment un challenge que d’intervenir dans ce contexte, et je n’aurais certainement pas pu le faire de la même manière si j’avais eu la possibilité de le faire plus jeune. La maturité fait que je sais travailler avec un lieu et un contexte. Quand j’étais plus jeune, la difficulté était déjà de peindre. Maintenant, le contexte s’ajoute, et cela me donne plus envie de faire quelque chose de spécifique.
L’espace d’exposition dans l’Arsenal est en effet un lieu singulier, un ancien dépôt d’armes du 15e siècle. Quelle influence ce lieu a-t-il eue sur votre exposition ? L’Arsenal, en tant que lieu d’entrepôt et de stockage, est l’idée initiale de l’exposition. Dans l’une de mes œuvres précédentes, Häusersequenz (1996), certaines œuvres sont accrochées, les autres stockées dans une caisse en bois, avec l’idée qu’elles peuvent être manipulées. À Venise, la caisse en bois, c’est l’Arsenal. Je me suis posé la question de comment intégrer mes peintures dans un tel lieu, chargé d’histoire et de contraintes, puisque les œuvres ne peuvent être accrochées sur les murs historiques protégés. Plutôt que d’opter pour une scénographie avec des cimaises, j’ai travaillé à partir de l’espace lui-même. La taille de mes peintures dialogue avec la hauteur de l’espace. Ensuite m’est venue l’idée de placer mes peintures comme si elles étaient entreposées dans l’espace, en attente d’un réagencement. Un peu comme un décor de cinéma. Pouvez-vous nous expliquer ce que les visiteurs pourront voir dans votre exposition Faraway So Close ? Il s’agit d’une installation picturale de huit toiles de grandes dimensions qui s’articule autour d’une peinture, Sunshine III, qui mesure 4 m de haut pour 7 m de long. Elle représente un soleil et une explosion à la fois. La chaleur qui émane de cette pièce est très vive, mais cette chaleur a aussi des piques noires qui sont agressives. On a donc un sentiment mélangé en regardant cette œuvre, entre contemplation et crainte.
À cette immense toile sont adjointes d’autres œuvres qui représentent les quatre éléments et des phénomènes naturels qui y sont liés. Ces dernières années ont été marquées par des catastrophes naturelles violentes liées au changement climatique. À travers ces peintures,
BIO EXPRESS
Tina Gillen (1972, Luxembourg) a présenté des expositions personnelles à Bozar à Bruxelles (2015), au Mudam (2012) et au musée M à Louvain (2010). Elle a également participé à de nombreuses expositions collectives, dans des institutions telles que le Mudam (2018, 2010, 2009), le Künstlerhaus Bethanien à Berlin (2012), le Mu.ZEE à Ostende (2010), le Wiels à Bruxelles (2009), le M HKA à Anvers (2007) et le Platform Garanti Contemporary Art Center à Istanbul (2004). Son travail a fait l’objet de deux publications monographiques, Echo (MER. Paper Kunsthalle, 2016) et Necessary Journey (Hatje Cantz, 2009). Elle vit et travaille à Bruxelles. je réfléchis à comment travailler avec cette nature plutôt que de m’en protéger. Elles s’intéressent aussi à la question de l’énergie qui a pris une place toute particulière dernièrement dans notre actualité. On trouve également dans l’espace Rifugio, une œuvre en trois dimensions, dont le motif est issu de l’une de mes toiles précédentes, Shelter (2018). Il s’agit d’un abri du bord de mer, sur la Côte d’Opale, un lieu où j’aime aller pour peindre en plein air. Cette cabane est un lieu que j’ai beaucoup observé de l’extérieur, sans jamais pouvoir y entrer. Pour Venise, j’ai voulu me projeter dans cet abri, être à l’intérieur et prendre le temps de réfléchir. C’est un lieu où l’on est à la fois protégé du monde et en relation avec celui-ci grâce aux ouvertures.
De quoi vous protégez-vous dans Rifugio ? À Venise, je mets un peu l’accent sur les quatre éléments et la violence de la nature que nous avons connue et subie ces dernières années, avec les incendies de forêt, les violentes inondations… Ce n’est pas tant que je veux me protéger dans le refuge, mais que tout le monde a besoin d’un refuge. Toutefois, ce refuge est ouvert sur le monde et accueillant.
Vous évoquiez l’idée du décor du cinéma. C’est un art qui est très présent dans votre œuvre, avec des références à Hitchcock dans des œuvres antérieures, ou encore le titre de l’exposition à Venise en référence au film de Wim Wenders. Pourquoi le septième art est-il autant intégré à votre peinture ? Quand j’étais jeune, la peinture était toujours, pour moi, une projection sur toile. Je projette un monde sur une toile. Mais la peinture a cette qualité supplémentaire qu’elle prolonge le regard. Elle met en scène des choses. Pour Hitchcock,