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TINA GILLEN
ce sont les films en eux-mêmes qui m’ont inspirée ou certaines techniques comme la pigmentation, ou les effets spéciaux réalisés avec les moyens de l’époque. Short Cuts de Robert Altman m’a aussi interpellée pour les coupures de scènes et le fait de les mettre ensemble pour raconter une histoire non linéaire. C’est comme cela que, pendant des années, j’ai conçu mes expositions, avec un accrochage spécifique de différentes peintures thématiques. Comme une séquence. Pour Wim Wenders, ce qui m’a intéressée est d’avoir la vue d’en haut, celle de l’ange qui redescend sur Terre et voit le monde d’une autre manière. Les artistes ont cette qualité de pouvoir se mettre en retrait pour mieux regarder. Le refuge dans l’exposition à Venise sert à ça aussi. Il représente l’atelier aussi, un endroit où je peux reprendre mes idées et regarder le monde en face.
En plus du cinéma, vous avez un rapport singulier à l’architecture, à la fois dans les motifs que vous représentez – des pavillons, des piscines, des cabanes… –, mais aussi dans la façon dont vous construisez l’espace pictural. L’architecture, pour moi, est avant tout picturale. La perspective, la profondeur de l’espace… Questions que l’on retrouve dans la peinture de la Renaissance où l’idée de décor artificiel est très présente. L’espace pictural est l’espace où s’opère une forme de synthèse des multiples informations qui nourrissent mon travail. C’est une approche qui est liée à la peinture, à la question : comment mettre en place des formes, le travail de composition ?
Pour réaliser vos compositions, justement, vous travaillez aussi à l’aide de photographies. Oui, c’est la manière dont je dresse les sujets. Une manière de les collectionner, de les juxtaposer. Je peux assembler plusieurs images jusqu’à ce que cela devienne une seule image. Par rapport au cinéma où il y a un film continu, la peinture juxtapose des éléments différents qui font une image. Mon travail est d’assurer que cela devienne une forme et que je puisse prolonger le regard, tout en la clarifiant et en éliminant ce qui est superflu.
C’est la première fois que vous travaillez à une si grande échelle. UNE NOUVELLE PUBLICATION
Pour accompagner cette exposition d’envergure, une nouvelle publication est également prévue. Placée sous la direction de Christophe Gallois, commissaire du pavillon, elle rassemble des contributions inédites de Jean-Philippe Antoine, Marielle Macé et Eva Wittocx, ainsi qu’un entretien entre Tina Gillen et Christophe Gallois. Ce catalogue est publié par le Mudam et Hatje Cantz, en français / anglais. Disponible au Mudam Store et sur mudamstore.com, pour 39 €.
Quels sont les défis quand on se confronte à de telles dimensions ? À première vue, l’idée peut sembler évidente, mais l’exécution ne l’était vraiment pas. Même si j’ai repris des motifs de mes toiles antérieures, je n’ai pas eu l’impression de repeindre la même chose. À cette échelle-là, on est confronté à un problème après l’autre. La taille des toiles fait que je ne peux jamais continuer mon trait, puisque pour faire un trait sur une toile de 7 m, soit vous courez, soit vous vous y prenez à plusieurs reprises. J’ai donc procédé par une succession de fines couches d’acrylique, comme pour une fresque murale, dans un état presque méditatif, avec beaucoup de patience. C’est très différent d’une peinture de petit format qui est plus directe et spontanée. Ici, je dois prévoir mes étapes. Rien que pour préparer les bacs de peinture, je pouvais y passer deux heures. J’ai appris beaucoup de cette organisation.
Face à cette œuvre monumentale, le visiteur est à la fois enveloppé et presque submergé par sa grandeur, créant une sensation de déséquilibre ou peut-être même de malaise. Vous jouez avec ce ressenti ? Oui, bien entendu. Cela devient un tableau vivant, avec le spectateur qui bouge devant et qui absorbe le tableau. C’est une expérience immersive. À l’intérieur du Rifugio, qui est plus statique, les peintures scéniques sont toujours visibles, mais en partie seulement, comme fragmentées. Je voulais qu’on puisse faire l’expérience du motif de loin, mais aussi quand on s’approche, que l’on perçoive bien que c’est de la peinture, avec des touches de pinceau, et que cela devient de plus en plus abstrait, un fragment d’un univers. J’ai fait
très attention à ce que ces peintures soient aussi bien lisibles de loin que de près.
L’enseignement occupe une grande place dans votre vie et vous avez proposé un projet de recherche à vos étudiants de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, où vous enseignez. Cela vous tenait à cœur de les emmener avec vous dans cette aventure à Venise ? Absolument. Je sens aussi que j’ai une chance inouïe de faire cette exposition. J’avais cette idée de faire un projet avec les étudiants dès le début. Il a été reporté en raison du Covid et est devenu un projet sur deux ans. Je trouvais aussi important, parce qu’on avait une année en plus, de prendre le temps de bien penser et préparer la Biennale. Se préparer à cet événement est aussi devenu une recherche en soi, aussi bien pour Christophe Gallois (commissaire du pavillon et responsable des expositions au Mudam, ndlr) que pour moi. Ces derniers mois ont été une période difficile pour les étudiants. Une petite lueur d’espoir ne faisait pas de mal, et je trouvais cette intégration généreuse. Je voulais donner quelque chose en retour.
Quelle place souhaitez-vous prendre dans le monde ? Je suis chercheur. La recherche fait sens dans mon travail. Dans la constellation de la Biennale, certains motifs reviennent, ne sont pas inconnus, et d’autres se sont ajoutés, mais pour moi, tout est remplaçable. Les éléments qui sont là peuvent être remplacés par d’autres images, d’autres peintures.
Pourtant, elles sont liées à un contexte particulier… Pour l’Arsenal, oui, c’est vrai. Mais l’idée du flux des images qui nous entoure est interchangeable. C’est l’idée de la mise en scène qui m’intéresse davantage désormais et que je souhaiterais poursuivre. Pour moi, cette exposition est le début vers quelque chose de plus intéressant. Je pense que cette façon de travailler va devenir de plus en plus importante dans ma pratique.
Votre pratique tendrait donc désormais davantage vers l’installation environnementale et moins vers la toile à échelle domestique ? Je vais en faire encore probablement, car je ne peux pas travailler tout le temps à l’échelle monumentale. C’est trop épuisant. Je dois revenir vers une taille domesticable, mais je ne sais pas encore comment. Reprendre le geste pour revenir vers une plus petite échelle est déjà difficile en ce moment.
Tina Gillen, Faraway So Close, 59e Biennale d’art de Venise, du 23 avril au 27 novembre 2022, www.luxembourgpavilion.lu.
40 ans après ses débuts dans le commerce, Christianne Wickler se dit toujours curieuse de nouvelles opportunités, mais « sans stress ni volonté militaire ».
« Je suis commerçante, pas logisticienne »
E-commerce, extension et intégration des Alima : l’enseigne Pall Center de Christianne Wickler franchit un nouveau tournant pour ses 40 ans d’existence. Retour sur les enseignements d’une aventure humaine et entrepreneuriale.
Interview CATHERINE KURZAWA Photo ANDRÉS LEJONA
Pall Center fête cette année ses 40 ans d’existence. D’une station-essence, vous êtes arrivée à une enseigne dédiée aussi bien à l’alimentation qu’à la mode, l’habitation et la restauration. Quel est le fil conducteur de toute cette aventure ? C’est l’écoute du client, la volonté de faire un commerce différent, c’est-à-dire de faire ce que les Luxembourgeois savent très bien faire : la niche, la qualité, parce que nos entreprises portent un visage. On veut être le plus transparent possible vis-à-vis de la clientèle, avec évidemment, la volonté de faire plaisir aux gens, et la volonté d’avoir des belles choses. En tant que femme – et j’assume pleinement –, je préfère vendre des chaussures que des pneus.
Mais vous vendez quand même des carburants… Tout à fait. Mais nous sommes le long d’une frontière et c’est une opportunité que le gouvernement nous donne de faire du commerce. On ne va pas ne pas le faire.
Vous cultivez l’image d’une entreprise durable. Mais comment être durable en vendant du carburant ? Je ne vois pas d’autre façon, encore maintenant, de faire venir les clients. Venir en calèche sera difficile [rires].
Aujourd’hui, en grande distribution, seuls Pall Center, Massen, Cactus et Alima restent luxembourgeois. Quel regard portez-vous sur ce grignotage du marché local par des retailers étrangers ? C’est du grignotage, mais ils ne nous mangent pas pour autant : on ne va pas leur donner les pièces de filet. Les enseignes qui viennent de l’extérieur nous apportent beaucoup de choses parce qu’elles nous challengent, nous montrent nos forces et nos faiblesses, donc c’est aussi quelque part une bonne façon d’analyser le marché. Mais ce que nous avons comme avantage, c’est que nous savons changer très vite, parce que le Luxembourg est aussi et surtout connu pour sa capacité d’adaptation.
Votre entreprise CW Invest est devenue actionnaire à 70 % d’Alima Exploitation à l’été 2021. Les magasins Alima vont-ils devenir des Pall Center ? Les magasins Alima sont en voie de devenir des Pall Center. Cela se fera dans le courant de cette année. Cela va impliquer que le renard va aller en ville [sourire] et faire profiter aux consommateurs de la capitale d’un assortiment
BIO EXPRESS
La femme Christianne Wickler est née le 21 février 1960 à Diekirch. À 22 ans, son père lui confie une petite station-essence à Oberpallen qui deviendra Pall Center.
La mère La Luxembourgeoise assure avoir transmis le goût du travail à ses quatre enfants. Mathieu Van Wetteren exploite son propre restaurant à Steinfort (Apdikt), sa sœur Anne est anthropologue et journaliste pour Vogue, Noé Franck est en charge des bâtiments de Pall Center et May étudie l’entrepreneuriat à Munich.
La citoyenne La cofondatrice du collectif citoyen 5fir12 a été élue députée déi Gréng en 2013. Après six mois, elle renonce à son mandat pour se consacrer à son entreprise. de spécialités qui fonctionne très bien dans les autres magasins. Il n’y aura aucun impact sur les emplois dans les magasins Alima, mais un changement visible dans les rayons.
Pall Center compte actuellement six points de vente (dont un Pall Café) : comptez-vous étendre ce maillage, outre l’extension via Alima ? Oui, sur le territoire national. Nous sommes toujours très curieux quand une bonne opportunité se présente, mais sans stress ni volonté militaire de conquérir.
Quel serait le maillage idéal ? Nous voulons aller dans les agglomérations où il y a beaucoup de diversité internationale, parce que nous visons bien sûr le client luxembourgeois, mais aussi le client expatrié. Nous sommes forts dans le sourcing pour nous adapter au palais gustatif de cette clientèle qui n’est pas étrangère – j’insiste –, mais qui représente des locaux issus d’autres cultures.
Quels sont les axes de développement possibles ? Je crois beaucoup en la restauration dans les supermarchés, avec des produits healthy et transparents, où l’on sait exactement ce que l’on mange. Notre restauration va passer sous le logo Pall Café à Oberpallen, et également à Steinfort cette année.
Pall Center se veut naturellement différent, qu’est-ce que cela veut dire ? Que nous nous adaptons, sur un petit territoire, aux cultures locales. Nous avons commencé à Beckerich, une commune écologique gérée par Camille Gira (ancien bourgmestre et secrétaire d’État, déi Gréng, décédé le 16 mai 2018, ndlr). Mon rayon préféré, c’est le bio et