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INTERVIEW CROISÉE LUCILE BARBERET ET STÉPHANIE DAMGÉ

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MON MENTAL

MON MENTAL

doit s’envisager de manière systématique, tout en tenant compte des différents publics représentés au sein de la population du pays. Cette dernière présente une grande diversité quant au milieu culturel et au cursus scolaire, du classique au technique. L. B. Les systèmes éducatifs – tant au Luxembourg que chez nos voisins – ont tendance à faire rentrer les jeunes dans un cadre déterminé qui n’encourage ni la prise d’initiative ni la recherche de solutions ou de réponses par soimême. Certains se sentent à l’aise dans ce cadre, d’autres beaucoup moins. Or, parmi ceux qui « ne rentrent pas dans le cadre » ou qui font preuve d’originalité, je suis persuadée que nous pourrions trouver de bons entrepreneurs. Nous devons encourager les jeunes à chercher dans quoi ils sont bons afin de faciliter leur choix de carrière. Je note d’ailleurs que la majorité des personnes qui viennent nous voir sont d’abord passées par une phase de remise en question des carcans qui avaient façonné leur parcours avant d’envisager de sortir du salariat. À l’inverse, nous avons malheureusement peu de jeunes entrepreneurs qui frappent à notre porte, à nouveau en raison des carcans éducatifs classiques.

L’idée évoquée au début de la crise sanitaire de mettre en place une indemnité de chômage pour les indépendants pourrait-elle favoriser davantage l’entrepreneuriat ? L. B. Avant la crise, le risque financier représentait probablement un frein moins important. L’incertitude et les risques économiques sont venus, entre-temps, changer cette donne. La réflexion autour d’une indemnité de chômage pour indépendants devrait donc être relancée. Dans un pays qui se veut être une start-up nation, nous devons aussi veiller à soutenir des projets qui ne sont pas technologiques, mais plus traditionnels. Nous devons sortir de ce double discours qui voudrait que, d’une part, les start-up technologiques fassent l’objet d’un large soutien, et que, d’autre part, les PME « classiques » fassent moins l’objet d’une attention de la part des pouvoirs publics. À quand la « House of freelancers », la « House of petits restaurants qui viennent de se lancer » ?

Que faudrait-il faire pour relier ou regrouper les efforts à destination

SOVI SOLUTIONS, L’HEUREUX EXEMPLE

Lorsqu’on leur demande de citer un exemple du parcours idéal de jeunes porteurs de projet, Stéphanie Damgé et Lucile Barberet citent Sovi Solutions et son logiciel Talkii (pris en charge par la CNS) pour faciliter la communication entre les personnes autistes et leurs encadrants. Créée en 2018 par Alessio Weber et Gianluca Marinelli, la start-up a participé au Young Enterprise Project et a remporté un Leadership Award lors de la finale européenne. Également lauréate du programme Impuls de nyuko en 2018, elle est co-lauréate du programme Fit4Start de Luxinnovation et a été retenue par le ministère de l’Économie et Luxinnovation au hackathon Startups vs Covid-19. Avec une idée: décliner sa solution pour les patients intubés qui n’ont pas la parole ou parlent une langue étrangère.

des entrepreneurs dont la technologie n’est pas le cœur de métier ? S. D. Il faut les rendre visibles, les aider avec du marketing et de la visibilité, en portant un message positif en faveur de l’entrepreneuriat. Nous devons promouvoir l’entrepreneuriat en montrant des exemples et des success-stories qui ne sont pas que technologiques. L. B. Ce partage d’expériences pourrait aussi motiver les gens qui hésitent à se lancer car ils pensent que leur idée n’est pas suffisamment innovante. Un secteur n’est pas meilleur qu’un autre. J’ajoute que nous devons aussi changer la représentation que certains ont encore de secteurs comme l’artisanat, qui a considérablement évolué. S. D. Beaucoup pensent que l’on ne peut devenir entrepreneur que si on coche toute une série de cases ou de conditions. Mais on peut aussi devenir entrepreneur sans un bagage scolaire typique ou sans être issu d’une famille d’entrepreneurs. L’entrepreneuriat est ouvert à toutes et tous. La création d’entreprise n’est pas réservée à une élite. L’entrepreneuriat doit aussi servir à l’insertion dans la société.

Quid du financement de ces projets pour leur permettre de décoller ? L. B. Chez nyuko, nous devons répondre systématiquement à deux questions : « Où puis-je trouver de l’argent ? Est-ce que mon idée est bonne ? » Je ne suis pas pour un financement par défaut en phase de lancement. C’est très sain d’être sous une forme de pression financière plutôt que de brûler du cash dont on

« À quand la ‘House of petits restaurants qui viennent de se lancer’ ? »

bénéficierait en masse dès le début. Cette pression à la rentabilité amène à faire des choix et à poser des priorités pertinentes. En revanche, on pourrait imaginer des incitations pour encourager les demandeurs d’emploi à fonder leur entreprise, ou une forme de congés payés pour les jeunes étudiants qui veulent se lancer.

Qu’attendez-vous de l’État pour encourager l’entrepreneuriat ? L. B. Un vivier de talents reste encore inexploité au sein même des entreprises. La mise en place d’une incitation de la part de l’État pour laisser la possibilité aux employeurs d’accorder du temps à leurs collaborateurs pour que ceux-ci travaillent sur leur propre projet entrepreneurial représenterait une source d’épanouissement pour les employés. La baisse, voire l’exemption, des charges auxquelles sont soumises les entreprises, par exemple durant la première année du lancement ou jusqu’au seuil de rentabilité, ferait également du sens.

À l’échelle mondiale, des études montrent que les femmes deviennent d’abord CEO en montant leur entreprise. Qu’est-ce que ceci vous inspire ? L. B. Cela corrobore mon expérience. On ne devrait pas forcément devoir passer par la case entrepreneuriat pour devenir CEO en tant que femme. D’une manière générale, les femmes sont plus réticentes face au risque, ce qui influe sur leur façon de développer leur projet, qui est souvent bien structuré. S. D. On voit que beaucoup de filles participent, et sont même majoritaires dans certains projets que nous menons. Je note aussi un intérêt grandissant pour des métiers techniques, même s’il reste du chemin à faire. En revanche, nous remarquons que nos « alumni » restent majoritairement des garçons, ce qui prouve que les filles ne vont pas forcément au bout de leur démarche entrepreneuriale ou qu’elles l’interrompent en cours de chemin de vie.

Comment y remédier ? S. D. Nous devons d’abord changer les messages qui sont donnés aux filles dans l’enseignement et dans la société en général, pour leur permettre d’aborder le maximum de possibilités pour leur carrière. Le changement est en cours parmi les nouvelles générations, mais on peut toujours espérer qu’il se diffusera plus vite. L. B. Concernant les adultes, les outils digitaux et des programmes de formation en ligne permettent aussi de combler un manque de temps ou de s’adapter à un agenda où la vie de famille prend une place non négligeable, même si elle est partagée. Nous devons enlever au maximum les freins à l’entrée, par tous les moyens.

SES veut apporter sa contribution à la souveraineté européenne en matière de connectivité, indique Steve Collar.

« Le satellite n’est pas une île, mais une infrastructure connectée »

Si tout se passe comme prévu, fin 2022, SES se retrouvera dans une position idéale pour affronter les prochaines années. Forcément, son CEO, Steve Collar, bout d’impatience.

Interview THIERRY LABRO Photo NADER GHAVAMI

L’année 2022 est une année extraordinaire, non ? Lancement des deux satellites et clearing de la bande C utile à la 5G américaine contre trois milliards de dollars, des activités commerciales de SES-17 en juillet et des satellites d’O3b mPower… Quelle est l’étape des trois qui est la plus importante ? Elles sont toutes importantes, c’est le problème ! Pour différentes raisons, mais elles sont toutes importantes. La plus imminente est le démarrage des activités commerciales de SES-17. Nous avons eu un super lancement, tout va bien, sa progression vers l’orbite se poursuit, il y arrivera en avril. Nous allons faire les vérifications. Tout va bien se passer.

Sur la bande C, c’est très très rare d’avoir l’opportunité de prendre 3 milliards de dollars, 4 milliards au total, c’est essentiel pour la société. Nous parlons de la force de notre bilan, de notre force d’être non seulement le leader mondial des opérateurs de satellites, mais aussi d’avoir la meilleure situation financière. Et la bande C est une partie essentielle de cela.

O3B mPower (une constellation de nouvelle génération de SES basée sur des satellites en orbite terrestre moyenne, ndlr) est probablement le truc le plus excitant ! Cela transformera notre fourniture de services. C’est unique. Et plus nous nous engageons auprès de nos clients, plus nous leur montrons comment cela va changer les choses, plus nous sommes excités.

Nous sommes comme des gosses avant Noël. Nous voulons absolument vivre ce moment. C’est comme la Lune ! Nous devons deliver la Lune. Nous devons rester concentrés et sérieux sur chacun de ces trois moments. C’est incroyable d’avoir ces trois gros projets qui vont aboutir cette année. société déjà leader mondial du marché, mais dotée d’une constellation unique, et, en plus, vous aurez apuré cette dette qui vous a un peu gêné ces dernières années, depuis que SES a décidé de reprendre 100 % d’O3b. Nous sommes à cet endroit parce que nous avons investi de manière significative et intelligente. Toute l’industrie de la vidéo a été sous pression, ça a été une phase très « challengeante » pour SES. Mais oui, nous avons dit, à vous et à d’autres, que c’est ce qui se passerait depuis un moment, mais tant que vous n’y êtes pas… Nous montrons que nous tenons nos promesses. Nous avons eu une bonne année 2021. Nous avons eu une bonne année 2020 malgré le Covid. Je ne pense pas que grand-monde croyait à l’histoire de la bande C, mais aujourd’hui, nous en avons

BIO EXPRESS

L’ingénieur devenu dirigeant Steve Collar est diplômé d’un bachelor of engineering de l’université publique londonienne de Brunel, qui a notamment prêté son campus au tournage d’Orange mécanique de Stanley Kubrick ou de la série MI-5.

Le joker de Greg Wyler En mars 2011, il succède à Greg Wyler à la tête d’O3b et va donner un incroyable coup d’accélérateur au réseau qui voulait apporter de la connectivité aux « trois autres milliards ».

L’accélérateur de la transformation Alors que Karim Michel Sabbagh a fait un premier pas vers O3b, Steve Collar est invité en mars 2018 à le remplacer pour accélérer la transformation de la pépite luxembourgeoise. tiré 1 milliard d’euros. C’est moins difficile à croire. À la fin de cette année, si nous réussissons, nous serons dans la meilleure position que nous ayons eue depuis un moment.

À ce moment-là, la société sera reconfigurée pour pérenniser ses activités. Or, les géants des technologies ont des milliards de dollars à dépenser. Ça aurait du sens, non, d’acheter SES pour profiter de cet écosystème unique... ? Ça pourrait arriver… mais je ne l’espère pas. Ce n’est pas la première fois que j’entends cela. Ce n’est pas une suggestion stupide. Ma vision est que nous sommes plus intéressants pour ces business en tant que partenaire très fort ! Je ne vois rien de tel imminent, mais nous sommes devenus un partenaire important pour certaines de ces sociétés, oui.

Êtes-vous sûr, aujourd’hui, de récupérer les 3 milliards de dollars du clearing de la 5G américaine si tout se passe bien ? Il y a toujours des opérateurs mobiles qui se plaignent des milliards donnés aux opérateurs de satellites… Le cadre est complètement clair. Notre job est d’accélérer le clearing de la bande C. Aussi longtemps que nous faisons cela, nous serons payés. Savons-nous ce qu’il faut faire pour y parvenir ? La réponse est claire : oui. Nous avons accumulé beaucoup d’informations au cours de la première phase. Nous devons maintenant reproduire ce que nous avons fait. À l’exception près que nous devons lancer deux satellites. Sur les opérateurs, cette discussion se poursuit depuis deux ou trois ans, elle revient. Ça n’a rien à voir avec nous !

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