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XAVIER BETTEL

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MA MAISON

MA MAISON

« Nous avons tous souffert de cette crise

Interview PIERRE PAILLER » Photo ANDRÉS LEJONA

Après une première moitié de mandat bouleversée par la pandémie, le Premier ministre, Xavier Bettel (DP), estime que le Luxembourg s’en est bien sorti. Les perspectives économiques s’éclaircissent. Mais des projets comme la réforme fiscale sont compromis. Et de grands défis subsistent, comme le logement et l’environnement.

S’il estime que le Luxembourg s’est bien sorti de la crise jusquelà, Xavier Bettel veut en tirer un bilan une fois que le versement des aides aux entreprises, qui sont en phasing out, aura pris fin.

Les aides aux entreprises auront une fin. Prévoyez-vous un arrêt soudain ou un ralentissement progressif ? Certains secteurs sont encore fermés, d’autres vont recommencer doucement à travailler – je parle de l’événementiel, du tourisme, de l’horeca. Il leur faut une aide pour un certain temps. Donc les aides continuent avec un phasing out, en diminuant. Le but n’est pas de couper net. Nous avons d’ailleurs prolongé les aides jusqu’en octobre. Car, tant que nous décidons nous-mêmes de ne pas permettre à tout le monde de travailler à 100 %, nous avons une part de responsabilité. Donc, étant en phasing out au niveau des mesures anti-Covid, il est logique d’arriver en phasing out également pour les aides.

Toutes les entreprises, quelle que soit leur situation avant la crise, vont pouvoir en bénéficier ? Cela a été une situation inhabituelle, à laquelle il a fallu apporter une réponse inhabituelle. Personne ne pouvait prévoir ce qui allait arriver. À nous de faire en sorte que les entreprises qui fonctionnaient avant puissent fonctionner après, a n de maintenir l’emploi. Mais en ce qui concerne les entreprises qui étaient déjà dans une très mauvaise situation avant, les aides ne vont pas leur permettre de devenir une super entreprise. Le Comité de conjoncture est en tout cas là pour voir quelles sont les di érentes aides potentielles que nous pouvons destiner aux entreprises. Et le ministre de l’Économie est en charge d’évaluer chaque dossier. Donc il est di cile de faire une généralité.

Le FMI a félicité le Luxembourg pour sa gestion de la crise… Je pense que nous nous en sommes bien sortis. Une baisse de 6 % du PIB était prévue, elle est nalement de 1,3 %. C’est donc positif.

Avec toute l’aide mobilisée, nous sommes numéro un – en tout cas, dans le trio de tête – des pays qui ont le plus investi dans cette crise en dépenses par citoyen. Cela montre donc que l’argent investi était nécessaire pour éviter

750

MILLIARDS

Les premiers versements du plan de relance européen de 750 milliards d’euros, ratifié fin mai par les États membres, pourraient avoir lieu dès la deuxième quinzaine de juillet. Le Luxembourg, qui a présenté son plan pour la reprise et la résilience fin avril, a demandé un total de 93 millions d’euros à ce titre.

une crise encore plus économique, et encore plus sociale – car il ne faut pas oublier que l’une entraîne l’autre.

Mais les finances publiques ont sou ert… Nous nous sommes engagés à ne pas dépasser 30 % de dette. Et, sauf erreur de ma part, nous n’arriverons pas au-dessus des 30 %. C’était la limite que nous nous étions xée depuis le début. Ainsi, nous restons dans les clous d’un point de vue budget et nance – et surtout, du point de vue de l’héritage que nous laissons aux générations futures. Bien sûr, nous avions prévu de faire d’autres choses, mais cette crise a eu un coût… Si nous parvenons à étaler des choses que nous voulions à l’origine faire plus rapidement, nous n’aurons peut-être pas besoin de mettre en place des mesures d’aprèscrise. J’espère personnellement ne pas devoir prendre de telles mesures.

Comment faire pour conserver le triple A, nécessaire à une économie comme celle du Luxembourg ? Je ne sais pas encore quand la crise se terminera. Le bilan sera fait une fois que nous serons sortis des aides. Et nous espérons que la reprise économique sera assez rapide. Sinon, cela peut impacter le secteur nancier – pas directement, mais après, par ricochet. Donc, dans six mois ou un an, nous pourrions avoir une situation di cile. J’espère que non…

Mais la dette s’est accrue. Comment allezvous faire pour la résorber ? Avec ces e ets de taux négatifs, on nous a donné de l’argent pour emprunter… Donc nous espérons qu’avec la croissance, au cours de l’année prochaine, nous arriverons petit à petit à la rembourser. Car la dette du Luxembourg est une dette saine. Ce n’est pas une situation économique qui nous obligerait à nous inquiéter et à élaborer dès maintenant un plan de remboursement. Nous mettons même de l’argent de côté pour les générations futures.

Donc nous avons une situation économique et nancière qu’il faut certes garder à l’œil – il ne faut pas se reposer sur ses lauriers –, mais qui est enviable par rapport à d’autres.

Ce n’est e ectivement pas la situation de tous les autres pays européens. Craignez-vous une crise des dettes souveraines en Europe, comme après la crise financière de 2008 ? On ne peut jamais l’exclure… Mais les mécanismes de solidarité que nous avons mis en place avec le plan de relance européen prouvent que nous arrivons aujourd’hui à nous mettre d’accord autour d’une table – non pas uniquement en tant que pays, mais en tant qu’Europe. Et je pense que la réponse aux problèmes des pays que vous mentionnez sera une réponse européenne. Mais il est certain que des réformes doivent être réalisées dans certains pays. Ce n’est pas toujours populaire, mais c’est nécessaire. La solidarité des uns implique aussi des obligations pour les autres.

Que pensez-vous des propositions consistant à e acer la « dette Covid » ? Chacun a fait des e orts, nous avons tous dû gérer cette crise… Certains pays n’ont pas voulu fermer, ou n’ont pas voulu ouvrir, ou n’ont pas voulu faire ceci ou cela pour des raisons électorales. Donc on ne peut tout de même pas pénaliser ceux qui ont essayé de s’en sortir… Avec le plan de relance, nous avons montré notre solidarité, et que nous étions prêts à en faire preuve vis-à-vis des pays qui en avaient le plus besoin. Mais ce n’est pas ad vitam æternam…

Quand j’entends que certains pays veulent de l’argent pour réaliser une baisse de la TVA –

LA CROISSANCE DU PIB

2,3 4,1

3,6

FMI Source

« Je pense que nous nous en sommes bien sortis. Une baisse de 6 % du PIB était prévue, elle est finalement de 1,3 %. C’est donc positif. »

donc, pour être plus concurrentiels que leurs voisins –, je ne suis pas prêt à investir un kopeck, je suis désolé…

Vous parlez de projets reportés à cause de la crise… Vous pensiez notamment à la réforme fiscale ? Elle m’a l’air compromise, je dois vous l’avouer. Pourtant, elle me tenait à cœur, elle aurait permis de moderniser la société au niveau de la scalité. Mais il nous fallait de la marge. Or, cette réforme allait coûter quelque chose. Et je ne peux pas me le permettre : je ne vais pas faire un emprunt pour pouvoir nancer une réforme scale, ça ne serait pas logique. Donc, sauf grande surprise, elle est compromise pour l’avenir.

Mais cette réforme fiscale n’est-elle pas nécessaire ? Cette réforme est certes nécessaire, mais pas indispensable. J’ai des engagements par rapport à l’environnement, au Covid, à l’emploi, à l’éducation, à la santé, qui sont aujourd’hui plus importants que la réforme scale, qui devra se faire, mais qui n’est pas autant indispensable.

Elle n’est cependant pas morte, nous ne l’avons pas guillotinée. Seulement, vu l’évolution des finances, quand il faudra faire des arbitrages, ce ne sera pas la priorité pour les dépenses du pays.

Ne pas élever les impôts sur les entreprises durant une telle période est compréhensible. Mais des leviers tels que l’imposition sur les successions, sur le foncier ou la fortune n’auraient-ils pas pu être activés ? En tant que Premier ministre, ou en tant que formateur d’un gouvernement, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour éviter un impôt sur les successions. Ce serait un mauvais signal. C’est mon point de vue. Là, je ne parle pas en tant que Premier ministre, je parle en tant que Xavier Bettel, membre du Parti démocratique, et ancienne tête de liste. Je ne sais pas qui sera tête de liste aux prochaines élections législatives, mais j’espère qu’il y aura toujours ce même vœu à ce moment-là.

Il faut arrêter de dire que, quand on hérite, on reçoit de l’argent qui n’a jamais été imposé. Les gens qui ont récolté de l’argent pendant leur vie ont payé de l’impôt dessus.

Des organes internationaux – le FMI et l’OCDE – recommandent pourtant la mise en place de tels impôts, notamment pour lutter contre les inégalités qui explosent suite à la crise… Mais cela reste un choix politique ! Ce n’est quand même pas à des instances internationales d’introduire des impôts chez les uns ou chez les autres, comme celui sur les successions. Je trouverais en tout cas cela malvenu

TAXER LA RICHESSE POUR RÉDUIRE LES INÉGALITÉS

« Les grandes inégalités préexistantes ont aggravé l’incidence de la pandémie de Covid-19, alors que la crise, de son côté, a intensifié ces inégalités. » C’est avec ces mots publiés dans son Moniteur des finances publiques de début avril 2021 que le FMI a ouvert le débat sur les conséquences sociales de la crise et pointé du doigt les inégalités croissantes après plus d’une année de crise sanitaire et économique. Or, pour remédier à ce problème, le FMI propose une solution : taxer davantage la richesse. Et les outils fiscaux proposés pour atteindre cet objectif ne manquent pas : hausse de la progressivité de l’impôt sur le revenu, impôt sur les successions et les donations, impôt sur la fortune, taxe foncière, impôt sur les excédents de bénéfices des entreprises…

L’OCDE n’a pas tardé à lui emboîter le pas, début mai, en appelant à augmenter l’impôt sur les successions pour renforcer l’égalité des chances et réduire les inégalités de patrimoine, et ce en particulier dans les pays où « l’imposition e ective des revenus du capital et du patrimoine des personnes physiques est généralement faible ».

Le patrimoine des ménages concentré au sommet de la distribution des richesses Parts du patrimoine net total des ménages détenues par les 10 % les plus riches et les 1 % les plus riches.

Source OCDE

49 %

19 %

10 % 1 %

Le Luxembourg, avec une taxe foncière ou un impôt sur les successions quasi inexistants, ne peut que se sentir visé par ces recommandations. D’autant que le pays n’est pas épargné par les inégalités. Le patrimoine des ménages est ainsi largement concentré : les 10 % les plus riches possèdent la moitié du patrimoine net total des ménages (une part de 1 % en possède près de 20 %). Et les ménages les plus riches sont beaucoup plus susceptibles de recevoir un héritage que les ménages les plus pauvres : seulement 8 % des Luxembourgeois parmi les 20 % les plus pauvres ont ainsi déclaré avoir reçu un héritage ou une donation (de 6.500 dollars en moyenne), tandis que la moitié des 20 % les plus riches en ont perçu un (de près de 320.000 dollars en moyenne).

Au Luxembourg, le sujet de la fiscalité post-Covid avait été abordé en mars, lors du congrès du parti socialiste, par le vice-Premier ministre et ministre du Travail, Dan Kersch (LSAP), qui avait alors proposé la mise en place d’un « impôt Covid » visant de manière sélective les entreprises qui seraient sorties gagnantes de la crise. Une proposition qui n’a pas manqué de diviser la coalition, le DP se prononçant d’emblée contre, et de provoquer une levée de boucliers de la part du patronat.

Les ménages les plus riches bien plus susceptibles de recevoir un héritage que les plus pauvres Part de la population de chaque groupe ayant déclaré avoir reçu un héritage ou une donation importante. 51 %

Source OCDE

29 %

8 %

20 % les plus pauvres Moyenne 20 % les plus riches

La valeur des héritages reçus varie fortement selon les niveaux de richesse Valeur moyenne des héritages reçus par quintile de patrimoine, en USD

Source OCDE

5e quintile (20 % les plus riches)

318.914 $

4e quintile

92.278 $

3e quintile

51.125 $

2e quintile

11.643 $

1er quintile (20 % les plus pauvres)

6.499 $

de la part de l’OCDE, du FMI, ou de qui que ce soit d’autre, de dire : « Vous devez, dans chaque pays, avoir un impôt sur les droits de succession. »

Vos partenaires de coalition, notamment le LSAP, semblent plus ouverts sur ces questions fiscales… Est-ce un danger pour la majorité ? Nous avons un accord de coalition qui prévoit ce que l’on fait. Ce qui n’est pas écrit dedans n’est pas prévu. Nous avons signé pour cinq ans. Cela a été un compromis : par exemple, les jours de congé en plus, comme le 9 mai jour férié, ce sont des revendications des socialistes. Nous avons cédé là-dessus, eux ont cédé sur d’autres choses. Le but d’un compromis et d’un accord de coalition, c’est de trouver un accord pour gérer un pays pendant cinq ans, avec une majorité de 31 députés. Et cette majorité est forte, elle est stable, elle va dans la même direction.

Mais ce n’est pas parce qu’on est dans une coalition qu’on doit renier son ADN. Nous n’avons pas fusionné. Ce que les socialistes demandent, je le comprends tout à fait, et je le respecte. J’espère que les Verts resteront les Verts, que les rouges resteront les rouges, et que les bleus resteront les bleus. Il est très important que chacun garde son identité, son ADN, ses idées, ses valeurs.

Mais la crise a tout de même amené à prendre des décisions qui étaient en dehors de cet accord de coalition, non ? Je suis d’accord. Le chômage partiel n’était pas prévu dans l’accord de coalition, les distributions de masques, les tests… toutes ces choseslà n’étaient pas prévues dans l’accord de coalition. Mais si on rajoute quelque chose qui n’est pas dans l’accord de coalition, cela doit être fait avec l’accord des trois, c’est le principe.

Mais de là à dire « On va faire un impôt post-Covid ou un impôt pour Amazon »… Si on fait un impôt pour Amazon au Grand-Duché de Luxembourg, on ne va pas gagner un kopeck, car ce n’est pas ici qu’ils font l’argent : les consommateurs luxembourgeois ne sont pas les plus grands clients...

Votre vice-Premier ministre et ministre du Travail, Dan Kersch (LSAP), a lui-même mentionné l’idée d’un impôt sur les « gagnants de la crise »… Pour moi, il n’y a pas eu de gagnants dans cette crise, nous avons tous sou ert de cette crise, tous. Et ceux qui ont gagné plus sont imposés plus. En outre, des entreprises qui, par exemple, produisaient des alcools forts ont produit du gel hydroalcoolique pour se laver les mains. Elles ont peut-être gagné plus, mais elles ont opéré un changement. Nous devons être ers que certaines personnes aient pris des initiatives et montré de la exibilité pour changer les choses.

« Nous attirons des entreprises, mais les talents, ce n’est pas toujours facile d’en avoir. C’est un problème, cela ne sert à rien de le cacher. »

Des discussions ont aussi lieu au niveau international pour réformer la fiscalité – imposition minimale des entreprises, des Gafa, taxe sur les transactions financières… Êtes-vous davantage favorable à de telles réformes ? Nous n’excluons aucune discussion. Mon pays n’est plus sur les listes grises, noires, ou de quelque couleur que ce soit. Tout ce que nous demandons, c’est qu’un level playing eld fonctionne, c’est la base. Car, par exemple, Londres n’est plus autour de la table des 27. Or, je ne vais quand même pas faire une invitation sur papier Bristol aux entreprises pour leur dire « Allez à Londres, vous paierez moins d’impôts ! ».

J’ai donc besoin de l’OCDE pour avoir un level playing eld beaucoup plus généralisé que ce qui existe aujourd’hui. C’est dans notre intérêt. C’est pour cela que nous sommes assez allergiques vis-à-vis de toute initiative européenne sur la scalité.

Mais ces demandes de réforme constituent en substance une critique de la stratégie économique du Luxembourg, qui repose sur des facilités d’optimisation fiscale. Le Luxembourg n’a-t-il pas été trop accommodant vis-à-vis de ces pratiques ? Si nous faisions quelque chose d’illégal, je serais le premier à dire « Oui, nous devons arrêter ». Mais nous ne faisons rien d’illégal. Même M. Saint-Amans de l’OCDE a émis un bulletin satisfaisant à notre égard. Donc, si, vu de l’extérieur, c’est légal, je ne vois pas pourquoi nous devrions nous priver de mécanismes qui sont légaux.

15 %

Réunis à Londres au début du mois de juin, les ministres des Finances des pays du G7 se sont mis d’accord pour mettre en place un impôt minimum mondial sur les multinationales d’« au moins 15 % ». Un accord jugé « historique », qui jette les bases d’une refonte de la fiscalité internationale. Une réforme de la fiscalité au niveau international ne pourrait-elle pas diminuer l’attractivité du Luxembourg, notamment celle de sa place financière ? Vous savez, on m’a déjà dit la même chose : que si nous supprimions le secret bancaire, nous perdrions notre attrait. Et quand Pierre Gramegna et moi avons dit « Nous n’avons pas le choix, nous allons le faire », on nous a répondu que le Luxembourg était ni. Aujourd’hui, la place nancière luxembourgeoise serait à genoux si nous n’avions pas fait ces changements à l’époque !

Des réformes ne sont-elles pas nécessaires pour garantir une attractivité de la place financière ? L’attractivité du Luxembourg, ce n’est pas qu’un cadre légal : il y a la qualité de vie, le cosmopolitisme, la stabilité politique, ou encore la qualité de l’éducation et de la santé. Donc, tout un microcosme de choses est à prendre en considération.

Et il ne s’agit pas que de défendre la place financière luxembourgeoise, mais aussi de défendre l’économie européenne. Car quel est l’avantage si, demain, tout le monde part à Londres, à Dubaï, à Singapour, à Hong Kong ou en Suisse ? Je veux que l’économie européenne se défende aussi par rapport aux autres, et pas qu’entre nous. Parce que si nous faisons un nivellement vers une surrégulation qui rend le continent européen moins attractif, ce n’est pas dans l’intérêt de l’Europe…

Et j’aimerais insister sur le fait qu’au niveau de la nance verte, nous sommes devenus un leader mondial. Parce que nous avons tendance à être trop modestes. Or, nous avons créé à la bourse, dans le domaine de la nance verte, un top niveau mondial, et c’est quelque chose dont je suis très er. On montre ainsi que l’investissement privé, avec les acteurs publics, aide à améliorer le monde, et que la nance est un des leviers.

Comment améliorer l’image persistante de paradis fiscal qui colle à la peau du Luxembourg ? J’ai vécu LuxLeaks, quand même. Ce n’était pas un moment agréable. J’ai aussi vécu OpenLux ; je crois que cela a duré 48 heures, puis plus personne n’en a parlé, plus personne… Or, si nous étions tellement dans l’œil du cyclone…

« PROXIMITÉDIGITALISATION-PROCESS sont les 3 éléments clé du nouveau modèle Adecco au Luxembourg. »

Fin Avril 2021, Adecco Luxembourg a accéléré sa transformation en vue de mieux répondre aux besoins du marché de l’intérim au Luxembourg. François Dauphin, Area Manager Luxembourg aborde les leviers du changement.

Quels ont été les déclencheurs du nouveau cap qu’a souhaité prendre Adecco ?

C’est la combinaison de plusieurs facteurs que nous observons depuis plusieurs années et qui impactent fortement le marché du travail et plus particulièrement celui de l’intérim au Luxembourg. D’une part, les entreprises ont des besoins et des défis plus marqués qu’auparavant. Tout va plus vite. Ceux-ci varient selon la taille du client et selon son secteur d’activité. Les collaborateurs intérimaires d’autre part qui considèrent autrement le marché du travail et l’intérim avec une approche plus « consommateur » ou « client». Enfin, l’effet d’accélération et d’amplification que la crise sanitaire a apporté aux tendances citées précédemment. Ces trois facteurs nous ont convaincus qu’il fallait suivre un nouveau cap.

Quels sont les changements mis en place au sein d’Adecco?

La mission d’Adecco est d’avoir un rôle de facilitateur, aussi bien pour les entreprises que pour les candidats, dans l’accès à l’emploi. Avec les modifications du marché du travail, notamment l’essor de la digitalisation, les modèles classiques ne sont plus assez réactifs pour apporter des solutions efficaces et rapides face aux changements qui s’accélèrent. Notre objectif est de renforcer la proximité et l’accompagnement. D’une part, en augmentant notre présence et réactivité auprès des PME/TPE avec des solutions dédiées pour les emplois en intérim. Et d’autre part en spécialisant notre soutien auprès des plus grandes entreprises du marché avec des solutions agiles et sur mesure.

De quelle façon ces changement impactent l’organisation des agences ?

Nous avons fait le choix, dans le Sud du pays, de regrouper certaines de nos équipes et de nos agences. Nous sommes également convaincus que le Nord et l’Est sont très dynamiques, raison pour laquelle nous avons une agence à Pommerloch et à Wasserbillig. Nous disposons donc dorénavant de 4 pôles : Retail & Hospitality à Esch Belval, Technique et BTP à Esch, Onsite à Esch Belval et le pôle généraliste avec nos antennes de Pommerloch et Wasserbillig. Cette configuration nous permet de garantir une continuité de services et un renforcement de notre qualité de service. Nous disposons ainsi d’une palette plus large d’offres d’emploi par secteur d’activité, et renforçons par là même notre attractivité pour les candidats. C’est donc tout bénéfice pour nos collaborateurs intérimaires et nos partenaires clients. Cette nouvelle organisation aura permis également de promouvoir la mobilité interne.

Proposez-vous de nouveau services ?

Nous avons mis en place un département totalement dédié aux solutions Onsite. Nous proposions certes déjà ce service conçu pour les entreprises aux besoins volumiques mais de manière éparse. Dorénavant, grâce à la mise en place d’une équipe spécifique de véritables HR Business Partners et le développement d’outils spécifiques, nous renforçons notre engagement pour un accompagnement client sur mesure qui s’inscrit dans la durée et qui s’appuie sur l’amélioration continue. Nous accélérons également nos processus de digitalisation sur la totalité de notre gamme de services. Ceci tant sur le plan du traitement administratif des contrats et relevés d’heures que celui du sourcing et screening. Etre au plus proche de nos intérimaires, de nos candidats et de tous nos clients, tel est notre focus.

Mais c’est sûr que ce n’est pas facile de se défaire de cette image. Ce n’est néanmoins pas aux gens de nous juger, mais à l’OCDE, au FMI, aux organes internationaux. Et si eux disent que le Luxembourg « das an der rei » – comme on dit en luxembourgeois –, alors c’est bon !

Le Luxembourg va investir 1 milliard d’euros dans la digitalisation de l’économie avec le plan pluriannuel 2021-2024. Le pays fait-il des e orts su isants pour prendre ce virage ? Le Luxembourg est toujours très proactif et ouvert. Et aujourd’hui, quand j’observe par exemple le domaine des systèmes de paiement, nous voyons que le Luxembourg fait partie des leaders. Mais il faut aussi avoir une ré exion européenne, parce que la Chine y est, les États-Unis y pensent. Or, nous ne devons pas rester les observateurs, nous devons aussi être acteurs dans ce dossier.

Le challenge de la digitalisation au Luxembourg n’est-il pas d’attirer des talents ? Nous attirons des entreprises, mais les talents, ce n’est pas toujours facile d’en avoir. C’est un problème, cela ne sert à rien de le cacher. La situation du logement est di cile au Luxembourg, donc c’est un des facteurs qui rendent cela plus di cile. Et, certes, les salaires sont plus hauts qu’ailleurs, mais le coût de la vie n’est pas des moindres.

Mais ce n’est pas qu’un problème luxembourgeois, il est aussi européen. Est-il normal de devoir aller chercher des Ukrainiens, des Indiens, des Asiatiques ou des Américains parce que nous n’avons pas réussi à former des gens en Europe ? Nous devons avoir une ambition digitale au niveau européen.

Et dans le domaine de la santé, l’ambition doit-elle aussi être européenne ? Pendant la pandémie, la coordination n’a pas toujours été au rendez-vous… Aujourd’hui, les questions de santé sont des questions nationales, pas des questions communautaires. Mais nous avons vu que, pour un problème global, une réponse globale est nécessaire. Il est toutefois très di cile de donner une réponse globale quand la situation est totalement di érente d’un endroit à l’autre. Comment est-ce que j’explique que nous voulons une même mesure allant de Stockholm à Lisbonne, alors que, de Nantes à Marseille, ou de Hambourg à Trèves, elle n’est pas la même ? Avec des zones rouges, orange, vertes, c’est très compliqué, parce que, lors de cette épidémie, les situations ont été très di érentes selon les régions.

Mais nous avançons. Le certi cat sanitaire, le « Cov’Check », comme on dit chez nous, va être européen, ce qui est un grand progrès. Car, pour faciliter la vie de nos concitoyens, il vaut mieux faire quelque chose ensemble que cha-

L’ENVIRONNEMENT SOUS PRESSION AU LUXEMBOURG

Jusqu’à la pandémie, le Luxembourg a connu une rapide croissance économique et démographique. Mais un marché de l’emploi attractif et un nombre important de travailleurs frontaliers s’accompagnent de niveaux de consommation élevés et de besoins importants en mobilité et en infrastructures. Conséquence : l’environnement est sous pression.

En termes de politique environnementale, le Luxembourg ne ménage pourtant pas ses e orts et les moyens mobilisés. Mais ceux-ci ne su isent pas pour compenser « les pressions toujours grandissantes dues au développement économique », constate l’OCDE, dans son dernier examen environnemental du pays, publié fin 2020.

En termes de politique climatique, atteindre ses objectifs de réduction de 55 % de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 2005 ne sera pas aisé, même si la nouvelle loi climat est ambitieuse : le Luxembourg reste pour l’instant l’un des pays qui émettent le plus de GES par habitant dans l’OCDE, et le mix énergétique reste tributaire des combustibles fossiles, prévient l’OCDE.

Encore des e orts pour réduire les émissions de GES Évolution des émissions de gaz à e et de serre, en tonnes par habitant

Source OCDE

28,4 t

24 t

18,2 t 17,5 t

2005 2010 2015 2018

La biodiversité est quant à elle en péril. « Le Luxembourg est l’un des pays européens avec le plus grand nombre d’espèces communes en déclin », constate ainsi l’OCDE. 84 % des habitats de prairies sont en mauvais état. La population de l’alouette des champs a diminué d’environ 50 % entre 1980 et 2018. Idem pour la chouette chevêche, dont la population a chuté de 60 % sur la même période. Le tarier des prés a, quant à lui, complètement disparu du pays l’année dernière.

Un quart des espèces sont menacées Espèces menacées, en pourcentage des espèces connues, Luxembourg, 2019

Source OCDE

En danger critique En danger Vulnérables

Oiseaux 5,3 6,1 8,4

Reptiles

33,3

Amphibiens 14,3 7,1

Poissons d’eau douce 7 2,3 18,6

Plantes vasculaires 9,1 9,3

Invertébrés 4,7 4,7 6 7,1

8,2

Autre problème majeur : la qualité de l’eau. L’UE a fixé comme objectif pour les États membres d’atteindre un « bon état de toutes les masses d’eau » en 2027. Mais, malgré les progrès accomplis – construction et modernisation des stations d’épuration, raccordement de toute la population –, cela reste un vœu pieux : moins de 4 % des masses d’eau de surface du pays sont à ce jour dans un bon état écologique.

Concernant l’eau ou la biodiversité, le principal responsable est l’agriculture intensive. Pour remédier à cela, le gouvernement veut atteindre 20 % de surfaces biologiques d’ici 2025. Mais cet objectif semble irréaliste, la part du bio étant passée de 3 % en 2010 à 5,18 % en 2020…

20 % de terres bio en 2025, un objectif inatteignable Évolution de la part de surface agricole biologique au Luxembourg en % de la surface agricole utile 20 %

Source Ministère de l’Agriculture

2,99 % 3,6 % 5,18 %

2010 2015 2020 2025

Pour réorienter son économie vers un modèle plus vert et inclusif, le temps est compté pour le Luxembourg : « Les années à venir vont être déterminantes », prévient ainsi l’OCDE.

cun dans son coin. Il faut donc arrêter de dire que l’Europe est le problème, l’Europe est bien souvent la solution.

La crise du logement, quant à elle, n’est pas une crise nouvelle, et elle perdure. Quelles solutions allez-vous mettre en œuvre lors de votre deuxième partie de mandat ? Nous devons, d’un côté, augmenter l’o re de logements, et, de l’autre côté, conserver la qualité de ces derniers. Nous ne devons pas construire des cages juste pour loger les gens, ou des HLM, parce que la richesse du Luxembourg a toujours été la mixité : nous n’avons pas construit de quartiers pour les gens qui arrivaient.

J’attends notamment de voir la mouture nale du Pacte logement 2.0, qui aborde un grand nombre de points. De nouveaux instruments vont permettre de construire davantage et plus rapidement. Il faut aussi avoir le courage politique de collaborer avec les maires et de voir ce que nous sommes prêts à faire. Car ce n’est pas un problème que nous arriverons à résoudre seuls : il faut les communes et les propriétaires. Mais personne ne peut prétendre avoir une baguette magique pour régler le problème du lo ge ment, malheureusement. Avec l’o re actuel le, nous parviendrons juste à freiner un petit peu l’augmentation des prix…

La puissance publique ne doit-elle pas reprendre davantage la main sur la question du logement ? La spéculation doit être combattue par l’encouragement. L’expropriation n’est pas la solution. Personnellement, je suis, par exemple, tout à fait en faveur d’une taxation sur les logements vides. Si quelqu’un veut garder un terrain constructible vide, alors, on taxe. Un habitat qui est vide parce que le propriétaire veut se faire de l’argent, on le taxe. Croyezmoi, nous aurions tout à coup, du jour au lendemain, pas mal de logements occupés et de terrains utilisés !

Le modèle économique et démographique luxembourgeois exerce une pression très forte sur l’environnement. Les objectifs européens semblent peu accessibles. Des voix s’élèvent pour réclamer un changement de paradigme. Qu’en pensez-vous ? Non, non, non. Croire qu’on va réussir à changer les choses du jour au lendemain au niveau environnemental, non. Nous pouvons aussi faire autrement. S’engager pour l’environnement se fait aujourd’hui, mais l’objectif est 2050 et l’héritage qu’on va laisser : des sociétés comme Guardian, qui sont prêtes à produire autrement pour avoir un impact moins important sur l’environnement, mais le résultat n’est pas encore là aujourd’hui.

La crise sanitaire, avec l’arrêt du tra c, a nettement amélioré la qualité de l’air, nous l’avons vu. Mais l’intérêt est de parvenir à un

FAST & CURIOUS

Lève-tôt ou couche-tard ? Je me couche tard et me lève tôt. Visioconférence ou présentiel ? De plus en plus de présentiel, mais la visio a été mon mode de travail ces derniers mois. Bonnevoie ou Limpertsberg ? Bonnevoie. Londres ou Francfort ? Luxembourg. Crémant ou champagne ? Crémant. Bistro ou gastro ? Bistro. Rockhal ou Atelier ? L’un pour le côté intimiste, l’autre pour les gros concerts. Netflix ou cinéma ? En période de Covid, Netflix, mais je suis heureux de retrouver le cinéma. Presse papier ou internet ? Les deux. équilibre. Au Luxembourg, nous favorisons le transport public gratuit, nous avons donné une alternative aux gens, mais sans punir, sans interdire. Moi, j’ai envie d’inciter, d’encourager, plutôt que d’interdire !

Ainsi, des supermarchés réclament des produits bio, car la quantité n’est pas su sante au Luxembourg. Mais en tant qu’agriculteur, passer du traditionnel au biologique, c’est un investissement, un changement et une incertitude. Il faut donc encourager, mais sans punir ni stigmatiser le traditionnel, parce que certaines personnes voudront toujours payer 50 cents leur litre de lait, tandis que d’autres seront prêtes à le payer 2 euros. Or, je suis content d’être dans un pays où j’ai le choix.

Mais le caractère urgent de la crise environnementale ne nécessite-t-il pas de faire des choix plus radicaux ? L’économie n’est pas incompatible avec l’environnement. Au contraire, l’environnement est une opportunité pour une croissance économique. Le potentiel économique qu’on va pouvoir développer grâce aux métiers verts est impressionnant. Il faut arrêter de voir l’économie et l’environnement comme si c’était l’eau et le feu.

Les jeunes générations – on l’a vu avec les manifestations Youth for Climate – réclament davantage. Certains de leurs membres voteront d’ailleurs en 2023… Je ne fais pas mes choix politiques juste pour des raisons électorales. Parce que je peux aussi bien dire que j’ai de vieux électeurs qui sont contre. La politique, c’est se demander ce qui est important pour le pays. Et ce qui est important est de faire les changements nécessaires. Pour les uns, cela va trop loin, et pour d’autres, pas assez loin. Nous devons trouver un équilibre en promouvant un développement économique tout en évitant que l’économie et l’écologie ne soient comme chien et chat, mais au contraire qu’elles deviennent partenaires.

Comment la crise sanitaire vous a-t-elle impacté personnellement, dans votre travail et votre vie ? Je suis allé au bureau tous les jours, donc ce n’est pas comme si j’étais resté à la maison. Mais les contacts physiques m’ont manqué. Cette crise nous a rappelé que des choses simples, que nous considérions comme acquises, ont une grande valeur.

Mais je ne me plains pas. Cela a été dur pour tout le monde. J’ai choisi d’être politicien, donc je ne suis pas là pour me plaindre. Je plains les personnes âgées, qui veulent retrouver la vie qu’elles connaissaient avant, et les jeunes qui n’ont pas encore eu la chance d’être vaccinés et qui sont encore privés de beaucoup de choses. Je pense aussi, et surtout, à eux. Je n’aimerais pas être jeune aujourd’hui.

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