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INTERVIEW DE JOËLLE WELFRING
« Nous devons penser plus loin et autrement »
Cinq mois après être entrée au gouvernement en tant que ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, Joëlle Welfring évoque les défis que représente la transition écologique et solidaire au Luxembourg dans un contexte de crise énergétique et climatique.
Eva Krins Photo Selon Joëlle Welfring, la mise en œuvre de la politique environnementale n’est pas seulement la mission du MECDD : elle ne fonctionnera qu’avec l’appui et l’engagement des différents acteurs de la société civile.
Quelques mois après votre prise de fonction, quelles sont les principales priorités auxquelles le gouvernement compte s’atteler en matière de développement durable ? Les priorités en matière de politique climatique et environnementale dans les prochains mois sont notamment la transposition de la directive sur l’eau potable, la loi pour la protection de la forêt, la mise en œuvre – avec les différents secteurs – du paquet de lois sur la gestion des ressources et des déchets. Il faut aussi évoquer l’actualisation du Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC), et la poursuite de sa mise en œuvre, tout en y intégrant les recommandations présentées par le Klima-Biergerrot, que je considère d’ailleurs comme un apport très précieux. Parmi les autres chantiers, la digitalisation et la simplification administrative sur base de la loi relative aux établissements classés, la consultation des différents acteurs au sujet de l’avant-projet du 3e Plan national pour la protection de la nature et l’adaptation de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles vont aussi nous occuper.
En quelques mois, quels projets avez-vous pu mener à bien ? Le domaine d’activité du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable est très varié et implique une multitude d’acteurs, ce qui le rend fascinant et inspirant. Au cours des derniers mois, j’ai cherché à rencontrer de nombreux représentants de différentes parties prenantes – ONG, industries, secteur agricole et autres acteurs – afin de faire connaissance et de discuter des défis et des chances qui se présentent à nous. Concrètement, et à titre d’exemple, des échanges ont été menés concernant la mise en œuvre du paquet de lois dit « Offall – a Ressourcëpak » ou encore au sujet de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.
Quels sont les dossiers qui vous occupent actuellement ? Plusieurs dossiers sont en phase de finalisation comme le projet de loi sur les forêts qui a récemment été discuté auprès de la commission de l’environnement, du climat, de l’énergie et de l’aménagement du territoire de la Chambre des députés. D’autres dossiers, comme le projet de loi concernant le financement de l’action SuperDreckskëscht ou encore celui autorisant le gouvernement à participer au financement des travaux nécessaires à l’extension de la station d’épuration de Luxembourg-Beggen, ont été présentés en plénière et votés par la Chambre des députés. Enfin, le plan de gestion pour les parties des districts hydrographiques internationaux du Rhin et de la Meuse situées sur le territoire luxembourgeois pour le troisième cycle de gestion (2021-2027) ou encore les résultats de l’inventaire phytosanitaire 2022 des forêts au Luxembourg viennent d’être présentés au public.
Tous ces travaux me stimulent et me motivent à poursuivre les efforts considérables que mon prédécesseur a consentis, notamment dans le domaine de la lutte climatique. La mise en œuvre de la politique environnementale n’est pas seulement la mission du MECDD, mais elle nous concerne tous et elle ne fonctionnera qu’avec l’appui et l’engagement des différents acteurs de la société civile. Les effets du dérèglement climatique sont plus perceptibles que jamais. Quels impacts ces événements ont-ils sur la politique gouvernementale ? Poussent-ils davantage à l’action ? Inondations, sécheresses, tornades… Les conditions météorologiques extrêmes se multiplient chez nous en Europe comme un peu partout dans le monde et rappellent l’urgence d’agir face au dérèglement climatique déclenché par la prolifération démesurée de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. En guise de réponse à cette crise complexe et générationnelle, la loi modifiée du 15 décembre 2020 relative au climat établit, outre l’objectif de la neutralité climatique d’ici 2050 au plus tard, un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau national de 55 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005. Le PNEC présente l’outillage pour la mise en œuvre, décrivant les politiques et mesures nationales permettant d’atteindre ces objectifs. Réduction des émissions, adaptation au changement climatique, soutien des citoyens et des entreprises – afin de faire face aux multiples défis de la politique climatique –, le gouvernement s’est doté d’un agenda bien rempli pour le second semestre de l’année 2022. Au-delà de cette échéance, il faut que tous les acteurs, qu’ils soient politiques, économiques ou scientifiques, passent au reality check de nos modes de production et de consommation. Il nous faudra trouver des modèles qui découplent le bénéfice économique de la consommation des ressources non renouvelables. Aucune adaptation n’est trop petite. L’important est de s’engager dans le processus et de ne pas perdre le dynamisme.
Comment appréhender et concilier les nombreux enjeux sociaux, économiques et environnementaux liés à la transition à mener ? L’économie, la société et le respect de l’environnement ne sont pas nécessairement des thématiques opposées. Je dirais que les vues sont souvent opposées, mais que les intérêts et les objectifs sont les mêmes – nous aspirons tous à garantir un avenir de qualité à nos enfants. C’est cette volonté qui nous permettra de faire face aux craintes que le changement peut susciter.
La crise énergétique que nous traversons constitue-t-elle un catalyseur ou un frein à la transition écologique ? La crise climatique et énergétique que nous vivons au quotidien ne nous laisse d’autre choix que d’intensifier nos efforts en matière de décarbonation de notre société. Un objectif incontournable donc, réalisable d’un point de vue technologique et également réaliste si nous en faisons un vrai projet de société. S’il est important d’atteindre nos objectifs ambitieux en matière d’utilisation d’énergies renouvelables, il faut aussi souligner que cela ne pourra se faire aux dépens de la biodiversité et de la qualité de vie de nos citoyens. Au contraire, ces objectifs doivent être poursuivis en parallèle. Mon ministère est en étroite collaboration avec les diverses parties prenantes, les services du ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire, ainsi qu’avec nos équipes chargées des autorisations pour optimiser les procédures de planification et d’autorisation des projets d’énergie renouvelable. BIO EXPRESS
Joëlle Welfring est diplômée de l’université Louis Pasteur à Strasbourg, où elle obtient une maîtrise en biochimie en 1997. En 1998, elle décroche un master en sciences environnementales à l’université Brunel, à Londres. Elle occupe ensuite le poste de directrice du département Business Development au CRP Henri Tudor après y avoir dirigé le Centre des ressources des technologies pour l’environnement. En 2014, elle rejoint l’Administration de l’environnement en tant que directrice adjointe, puis directrice. Suite à la démission de Carole Dieschbourg, elle entre au gouvernement en tantque ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable.
durable ? Alors que le coût de l’énergie pèse sur leur bilan, que la taxation des émissions pourrait limiter leurs capacités d’investissement, seront-ils en mesure de relever le défi de la neutralité carbone ? Il est évident que la transition écologique et énergétique nécessite certains investissements, mais il est tout aussi clair que les gains en efficacité énergétique qui en découlent permettent largement de compenser ces investissements, ceci notamment dans un contexte de hauts prix des produits énergétiques. Afin d’accompagner au mieux le secteur industriel dans cette transition, le gouvernement met en place plusieurs instruments et stratégies. En coopération avec le ministère de l’Économie, celui de l’Énergie, ainsi que celui de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, le Haut Comité pour l’industrie est en train d’élaborer une feuille de route pour la décarbonation de l’industrie à l’horizon 2030, en ligne avec le PNEC. En parallèle, le pacte climat pour les entreprises (Klimapakt fir Betriber) permettra d’encadrer les petites et moyennes entreprises dans leur transition. Le changement climatique et ses conséquences, la finalité des ressources naturelles et l’importance des services offerts par la nature sont des sujets de plus en plus présents dans notre société. Protéger notre patrimoine environnemental en accord avec les besoins sociétaux est une priorité absolue pour mon ministère et je vais m’engager à tous les niveaux pour cette cause.
Le modèle social luxembourgeois s’appuie sur une croissance annuelle forte. Or, il semble qu’enjeu écologique et croissance ne sont pas forcément compatibles. Quels sont les enjeux en la matière ? Le Luxembourg est un pays qui présente une démographie croissante et des ressources limitées. Le paysage économique et industriel va devoir évoluer pour répondre aux défis climatiques et environnementaux actuels. On a besoin d’entreprises résilientes et diversifiées afin de pouvoir contrer des crises, mais, en même temps, de façons de travailler qui respectent nos particularités territoriales restreintes. La hausse des prix de l’énergie et la dépendance de sources énergétiques étrangères mettent en exergue la nécessité de repenser nos modes de production actuels. Le défi que nous devons relever n’est pas moins que de dépasser le cadre auquel nous nous sommes habitués. Nous devons nous appliquer à penser plus loin et autrement. Il nous faudra nous libérer de certaines règles que nous avons nous-mêmes établies ces dernières décennies et qui s’avèrent finalement dangereuses pour l’évolution de notre société. Il est judicieux de se rappeler que la prospérité issue de la révolution industrielle repose essentiellement sur la consommation d’un capital énergétique – pétrole et gaz – qui s’est accumulé durant des dizaines de millions d’années. Il sera impossible de brûler les ressources pétrolières une deuxième fois. Ce qui est parti est parti pour très longtemps. L’avenir sera entre autres défini par la production d’énergies renouvelables en équilibre avec la protection des ressources naturelles et la biodiversité. Pour le dire avec les mots d’António Guterres, prononcés en juin de cette année : « Les énergies renouvelables sont les garantes de la paix au 21e siècle .»
L’accompagnement du changement est un réel défi. Les débats autour de la transition sont souvent clivants. Comment emmener les citoyens dans une approche positive de l’avenir, les inviter à être acteurs du changement ?
JOËLLE WELFRING Ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable
Inciter les résidents luxembourgeois à modifier leur mode de vie très carboné implique, d’une part, de développer un cadre qui facilite l’adoption de bonnes pratiques, comme l’offre élargie et la gratuité des transports publics, et, d’autre part, de renforcer les efforts en matière d’information et de conseil. À cette fin, Myenergy, la structure nationale pour la promotion d’une transition énergétique durable créée en 2009, a reçu une nouvelle identité (KlimaAgence) et recevra continuellement plus de ressources, à la fois pour mieux traiter les sujets actuels de la dépendance énergétique, de la crise climatique et de la transition énergétique et pour mieux encadrer les acteurs de la société luxembourgeoise (particuliers, professionnels et communes) en recherche de soutien pour la réalisation de leurs projets de sortie des énergies fossiles.
Il s’agit aussi d’assister les ménages dans la transition énergétique et écologique, moyennant des aides financières ciblées. Nous avons revu un certain nombre des régimes d’aides et nous les avons renommés Klimabonus. Nous visons ainsi à offrir des aides attractives, simples et faciles d’accès : Klimabonusbësch, Klimabonus Wunnen, Klimabonus Mobilitéit. Rénover son logement, passer aux énergies renouvelables pour chauffer son logement, ou encore passer à l’électromobilité, jamais auparavant les aides financières n’ont été aussi attractives.
L’application de la loi sur la protection de la nature a récemment été remise en cause par le tribunal administratif, celui-ci la jugeant non conforme à la Constitution. Quelles pourraient être les conséquences de cette décision ? Le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable procède depuis quelques mois à une analyse approfondie des dispositions de la loi de 2018 dans le but d’identifier des opportunités de modification. Un projet sera présenté au cours de cette année. La loi a certes fait ses preuves les dernières années, mais, dans certains cas, sa mise en pratique s’avère difficile à cause de dispositions formulées de manière restrictive. Nous acceptons et appliquerons bien entendu les arrêts de la Cour administrative et les prendrons également en compte lors du projet de modification de la loi.