Un héritage culturel réinventé au musée Léon Dierx

Texte et photos : Corine Tellier / Carpe Diem UN HÉRITAGE CULTUREL RÉINVENTÉ AU MUSÉE

LÉON DIERX

La vérité du patrimoine peut éclore d’un dialogue entre passé et présent. Illustration avec les œuvres de trois plasticiens réunionnais, Thiery Fontaine, Tiéri Rivière et Abel Técher et l’exposition « Derrière la lumière, la mémoire retrouvée » au Musée Léon Dierx.

Le musée Léon Dierx, à Saint-Denis tel est ce haut lieu de la culture que trois artistes réunionnais ont investi dans le cadre de la quatrième édition du Programme Patrimoine et Création. Leur terrain de jeu, la totalité de l’espace muséal. L’objectif : faire dialoguer l’art académique et parfois un peu sage des cimaises de Léon Dierx avec l’art contemporain dans ses expressions parfois les plus poussées. Les créations des plasticiens s’invitent ainsi dans l’exposition permanente, pour apporter une autre dimension à ces œuvres du XIXème siècle qui témoignent d’un certain regard sur La Réunion. Se crée alors un jeu de miroirs où passé et présent se confrontent, se répondent et où l’on n’arrive plus à distinguer qui est le reflet de l’autre. Chemin faisant, c’est l’ensemble du patrimoine culturel que les artistes remettent en perspective : la peinture,

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ABEL TECHER PAUL ET VIRGINIE

le paysage de notre île n’est pas qu’une nature à couper le souffle

mais aussi l’architecture, la littérature également. Embarquons pour une promenade au cœur de notre héritage culturel revisité, au sein du musée reconfiguré par l’exposition « Derrière la lumière, la mémoire retrouvée ».

Pour qui est un habitué du musée, les paysages romantiques peints par Adolphe Leroy représentent la nature de notre île en cette fin du XIXème siècle ; des paysages quasiment vierges de toute influence humaine, presque préservés. Prenant le parti de mettre l’accent sur ce qui est absent de la représentation, la présence humaine, Thiery Fontaine a proposé des installations qui par des indices (comme des statues et des artefacts religieux) nous rappellent que le paysage de notre île n’est pas qu’une nature à couper le souffle mais aussi un lieu habité et traversé par de multiples croyances. Tout en complétant le regard académique d’Adolphe Leroy, l’artiste contemporain se met au diapason du tableau et donne à voir mais aussi à entendre les résonances. Dans une interprétation en trois dimensions, les rochers du tableau prennent du volume et l’eau elle-même fait entendre sa musique avec des enregistrements du bruit de l’eau de la Rivière du Mât ! Une autre manière de contempler la nature en somme.

Un peu plus loin, c’est à un autre pan mythique du patrimoine littéraire et artistique de l’océan Indien que s’est attaqué Abel Técher : la légende de Paul et Virginie. Ce roman, écrit par Bernardin de SaintPierre à la fin du XVIIIème siècle et dont l’action se passe à Maurice, a nourri et continue d’alimenter l’imaginaire occidental de clichés sentant bon l’exotisme : personnages angéliques, bananiers et cocotiers à profusion, douceur de vivre stéréotypée. Des motifs et des images qui ont été reproduits parfois à l’excès et dont le musée Léon Dierx conserve depuis son ouverture un ensemble important de dessins et de gravures. Ce sont ces estampes qui ont inspiré l’artiste qui en a sélectionné des détails pour constituer une fresque bariolée qui reprend et détourne les motifs pour en faire du vrai papier peint ! Les créations de Tiéri Rivière enfin revisitent l’architecture et la littérature. Au sein de la belle maison créole qui abrite le musée, le plasticien a distillé des clins d’œil à l’architecture créole traditionnelle : ses installations sont autant de cases déstructurées, à deux doigts de s’écrouler comme des châteaux de cartes, un équilibre fragile mais qui tient comme par miracle. En parallèle, Tiéri Rivière signe une série de contorsions autobiographiques où son corps prend des postures improbables, un écho à la série de gravures réalisées par Georges Rouault pour l’ouvrage les « Réincarnations du Père Ubu » et mettant en scène Ubu Roi, le personnage absurde par référence créé par l’écrivain Alfred Jarry.