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Architectes en quête de sens
ÉTUD. UNIT
COELHO Mélissa
UE093 - E0932 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 3 - Mém. Init. Rech. Roueff Boris MASTER ARCHI
SRC
S09 INTERDEM 17-18 FI
© ENSAL
Mélissa Coelho
Architectes en quête de sens Les valeurs de l’artisanat comme remèdes à l’indétermination d’une profession.
Mémoire de fin d’études
Table des matières Introduction ................................................................................. p. 11 I. L’idée du faire, entre survalorisation et délaissement, étalon des différentes postures professionnelles ................................. p. 17
1. Le XIXème siècle face à l’industrialisation, John Ruskin et William Morris ............................................................ p. 21
2. La main de l’industrie et la tête de l’artisan, Walter Gropius ............................................................... p. 31
3. La crise de la modernité, Manfredo Tafuri ........................ p. 39
II. La posture de l’architecte-artisan : décryptage des recherches de valeur et de sens .............................................. p. 51
1. Le milieu ........................................................................ p. 55
a- Mondialisation et néolibéralisme, recherche d’un ancrage plus circonscrit b- Enjeux planétaires et micro-échelles c- Corporation et atelier : des éléments artisanaux à réinvestir ?
2. Le dialogue (dualité)......................................................... p. 65
a- Dualité moi/moi : la tête et la main b- Dualité moi /l’objet : l’outil et le matériel c- Dualité moi / l’autre : aspect social
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3. Le temps ........................................................................ p. 75
a- Temps de formation et temps de conception b- Temps d’exécution c- Temps d’une carrière
III. Des postures porteuses de sens : prendre le temps
de dialoguer avec un milieu pas si unifié ............................. p. 85
1. Les collectifs d’architectes ............................................... p. 86
2. Les architectes-entrepreneurs .......................................... p. 98
3. Les architectes de la «bravoure» ....................................... p. 108
Conclusion .................................................................................. p. 119 Notes .......................................................................................... p. 125 Bibliographie - iconographie .................................................... p. 141
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Introduction «Parle-t-on d’artisan qu’une image vient aussitôt à l’esprit. Jetant un coup d’œil par la fenêtre d’un atelier de menuisier, vous apercevez un vieil homme au milieu de ses apprentis et de ses outils. L’ordre règne. Les pièces de chaises sont soigneusement rangées ensemble, une odeur fraîche de copeaux emplit la pièce, le menuisier se penche sur son établi afin d’exécuter une incision en finesse pour la marqueterie»1. Richard Sennett2
Ce que l’histoire ne dit pas c’est qu’en cette année 2017 il y a deux chances sur trois pour que cet artisan d’art ait déjà été par le passé un cadre supérieur ou du moins qu’il ait exercé un de ces métiers qualifié «d’intellectuel»3 1. Qu’il est probable que, ancien locataire au bureau d’un think tank, il ait pendant des années analysé des données recueillies par un autre avant de les livrer à un troisième, ̶ en raison que même les travaux intellectuels subissent aujourd’hui la division des tâches ̶. Qu’un jour, à la suite d’une désillusion ou d’un licenciement, il ait quitté l’open-space. Nous pouvons alors bien croire qu’il se soit mis au bricolage pour réparer cette chaise en branle. Qu’il y ait pris du plaisir. Passé de plus en plus de temps. Créé son métier.
Ce qui vaut pour l’opérateur pourrait valoir pour l’architecte qui lui aussi subit l’éclatement de son métier en de multiples professions et la dilution de sa maîtrise. C’est peut-être que l’architecture, devenue un « travail », perd en spécificité et apparaît plus laborieuse dans la division des tâches, la figure même du chef d’orchestre remise en cause par l’apparition 11
du coordonnateur de chantier. Quand fonctions et relations avec les autres acteurs de la construction deviennent normées, banalisées, la profession cherche à se légitimer. A se légitimer d’autant plus derrière des certifications et l’adjonction de titres -Urbaniste, Ingénieur, Paysagiste, comme plus concret- apposés à la fonction première. Tout à la fois la recherche d’une identité particulière et la reconnaissance d’une incapacité de l’architecte à englober toutes les disciplines nécessaires à sa pratique.
Là où l’architecte se démarque peut-être de l’opérateur c’est dans la précocité de sa prise de recul quant à l’exercice de sa profession. En effet, ce phénomène «d’émiettement» est d’autant plus ressenti que ce sont désormais les jeunes diplômés qui partent en recherche d’alternatives à l’agence d’architecture, avant même d’y avoir mis les pieds. Ainsi se multiplient les collectifs d’architecture, pluridisciplinaires ou, comme ils préfèrent le dire « touche-à-tout » ̶ on remarquera l’image de la main portée par ce choix de verbe ̶ qui travaillent sur des objets ne nécessitant pas de permis, des petits projets de construction, de médiation, d’événementiel, de design. En minimisant les intermédiaires techniques et législatifs il semble plus aisé de donner corps à une création maîtrisée. A l’inverse, l’émiettement implique la dispersion des efforts, du temps, la perte de la matière et, avec elle, la perte du sens.
Il ne s’agit néanmoins pas de considérer ce retour aux pratiques artisanales comme un mouvement nostalgique ; ce serait minimiser ses raisons et sa portée en le fixant dans une image romantique qui ne saurait convenir qu’en tant qu’amorce alléchante à l’étude. Il semble aussi nécessaire de considérer la pratique artisanale comme un processus plutôt qu’un résultat, de ne pas déterminer le « retour » au faire soi-même comme un objectif mais chercher au contraire, un certain recul vis-vis du phénomène, en identifiant par exemple les résurgences de cette posture au cours de l’histoire. Ainsi
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pourront peut-être être mises à jour, par-delà les postures individuelles, les raisons plus profondes des résurgences de formes d’artisanat.
Sont-elles en réaction face à l’hyper industrialisation de notre société ? Une façon de redonner de la valeur à notre production ou du sens au processus de fabrication ? Doit-on concevoir l’artisanat, pour les jeunes architectes, comme un moyen de renouer le dialogue avec l’exécutant face auquel il se sentait démuni car incapable d’en appréhender le vocabulaire et l’expérience ?
Les questionnements personnels relatifs au manque de légitimité que nous pouvons ressentir en tant qu’étudiant en architecture en fin de parcours ont constitué l’élément déclencheur de cette étude. A l’approche du diplôme, alors que l’on s’apprête à quitter l’enseignement académique, l’appréhension de l’environnement professionnel en ce qu’il diffèrera du cadre scolaire, entraîne la remise en cause de la formation. Concernant le métier d’architecte, c’est l’aspect pratique qui apparaît comme le plus négligé au cours du cursus. Si nous sommes familiarisés avec l’action de conception, la notion de «faire» nous est beaucoup plus étrangère. Ajoutons à cela les prédispositions naturelles des architectes à l’appréciation de la matière, et la création artisanale apparaît rapidement comme le bon compromis entre conception, réalisation et responsabilité. Mais cette approche est-elle trop romantique ? Elle n’a pas été éprouvée et n’est encore qu’un transfert émotionnel vers une profession qui paraît plus simple, plus définie et par conséquent plus accessible. Le premier travail de cette recherche a donc été, avec l’appui du directeur de mémoire en figure d’objecteur de conscience, de «dé-romantiser» le rapport au sujet. De prendre ensuite le relai pour entendre la voix malicieuse interne qui contredit la thèse première, de façon à faire son auto-critique et en ressortir le plus neutre possible.
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Il a s’agit tout d’abord de trouver des écrits suffisamment référencés pour servir de fenêtres sur les investigations déjà menées autour du sujet et les ouvrages canoniques en la matière. Nous avons alors d’abord questionné la valeur de notre profession au travers de la thèse d’Olivier Chadoin, Être architecte, les vertus de l’indétermination ; puis le pourquoi d’un attachement au travail manuel avec l’ouvrage de Richard Sennett, Ce que sait la main ; enfin nous nous sommes documentés sur le mouvement global de retour aux professions artisanales grâce à Matthew B. Crawford et son Eloge du carburateur. Ces lectures en ont appelé des dizaines d’autres référencées diversement dans le champ de l’histoire de l’architecture, de la sociologie de l’art ou encore de la sociologie des professions. Ouvrir ces fenêtres a également permis d’attirer mon attention sur la résurgence de ces problématiques dans le cadre d’articles de revues spécialisées de l’architecture. Avec une apparition de plus en plus fréquente de sujets sur la recherche d’une définition pour la profession, d’une meilleure intégration du faire souhaitable dans l’enseignement d’architecture et la mise en valeur de pratiques professionnelles empruntant le vocabulaire de l’artisanat. Mais l’architecture n’est pas la seule profession concernée ; les articles dans des quotidiens nationaux prenant pour sujet les reconversions des cadres vers des métiers «qui font sens»4, comme les émissions dédiées à l’attirance pour les métiers manuels5, nous montrent un mouvement général à la médiation simple des métiers d’artisanat. Avoir une prise plus sensible sur la valeur de notre travail paraît être un sentiment partagé de tous jeunes membres des professions intellectuelles supérieures, victimes à leur tour de l’émiettement des tâches. Enfin, l’accumulation des témoignages faisant l’éloge du faire ne pouvant que conduire à une envie de se mettre soi-même en mouvement, le dispositif d’investigation s’est poursuivi jusqu’à l’investissement personnel d’une de ces agences d’architecture qui se revendique de sensibilité artisanale.6 Ainsi, dans ce mouvement que nos bras engagent pour embrasser un sujet, nous partons de notre torse pour revenir, par l’intermédiaire de nos bras, au contact de nos deux mains, de soi à soi, embrassant dans le vide généré au 14
centre, le monde extérieur. Telle a été la démarche engagée par le mémoire, partir des rapports qu’ont entretenus architecture et artisanat par le passé, aboutir aux rapports qu’ils se proposent d’entretenir aujourd’hui, et, dans l’interstice questionner ce que peut représenter l’artisan par-delà le champ de l’architecture, pour qu’il fasse aujourd’hui l’objet, d’un enthousiasme généralisé. Et, bien que définir l’artisanat ait fait partie intégrante de la recherche, il nous semble important de préciser que ce n’est pas l’étude de l’artisan en tant que statut légal particulier qui a guidé ce travail, mais plutôt le système de valeurs que l’on associe à ces professions, qui font le sens de leurs métiers.
Le temps de la recherche a ainsi affiné notre questionnement pour le concentrer dans la problématique suivante :
Dans quelle mesure les valeurs de l’artisanat offrent-elles un remède à l’indétermination de l’architecte ?
Une première partie fera suite à l’hypothèse suivante : « Quand une branche industrielle arrive à maturité, un mouvement artisanal moderne émerge, autrement dit qu’il y a retour à la médiatisation courte pour trouver des choses nouvelles. » 7 Claude Raffestin Elle cherchera à mettre en avant, par des figures d’architectes, les différents moments de crises de la profession par rapport à sa production, la place que le « faire » joue à ces périodes et comment elles essaient de caractériser la valeur de l’architecte tout en évitant de circonscrire ses actions. 15
La seconde partie traitera, dans le mouvement général de recherche de sens, de ce en quoi les valeurs artisanales peuvent être des vecteurs d’identité professionnelle et comment elles trouvent parfois leurs recoupements avec les préoccupations de l’architecte. Cette partie sera la plus théorique (prenant appui sur quelques ouvrages de sociologues, psychologues, économistes...) et permettra de ne pas isoler les prétentions de l’architecte aux qualités de l’artisan mais de comprendre : - Quelles sont ces « valeurs » que l’on ne précise que rarement ? - Comment peuvent-elles lui permettre d’accéder à sa propre définition ? Une troisième partie, en écho à la première, prendra appui sur des portraits d’architectes ou de groupements d’architectes qui mettent en avant, dans leur pratique, une attention particulière au « traitement artisanal » (nous verrons en quels sens) de leurs projets.
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Partie I L’idée du faire, entre survalorisation et délaissement, étalon des différentes postures professionnelles
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Entre le début de cette étude et sa phase de rédaction, ce sont plusieurs dizaines d’ouvrages et d’articles dédiés au re-questionnement de la formation et de la place de l’architecte qui ont paru dans les revues spécialisées. Une observation qui permet de conforter notre idée d’une crise de la profession contemporaine, d’une posture généralisée de retour au « faire » et plus particulièrement, d’une valorisation de la posture artisanale. Néanmoins, il ne faut pas croire que c’est par un mouvement homogène et continu que l’architecte-artisan s’est transformé en employé-architectespécialiste-en-calepinage-numérique. Il semblerait même que, comme la seconde figure, la première n’appartienne à aucune réalité attestée -ou tout du moins n’est jamais été une posture dominante de la profession-. En effet, si l’architecture est tout à fait reconnue comme profession, exposer la définition précise des tâches, compétences et savoir-faire de l’architecte semble complexe, celle-ci paraissant même fluctuer de plus en plus rapidement au cours du temps, étant fonction des évolutions techniques puis technologiques de son environnement. Si la réaction est naturelle des architectes, à se légitimer en précisant leurs rôles, les champs de compétences et d’actions revendiqués n’ont pas toujours été une fuite en avant. Un bon moyen d’asseoir une position peut aussi être de l’inscrire dans une historicité et, en ce sens, les idéaux « réactionnaires » du métier d’architecte ne sont pas caractéristiques de la période contemporaine. La fin du XIXème siècle, avec l’essor de l’industrialisation et, comme nous la connaissons, la remise en question de nombreux emplois dans leur forme comme dans leur nécessité, nous paraît relativement analogue à la crise actuelle d’une numérisation du monde. Le point majeur de concordance des deux phénomènes pourrait être l’inquiétude liée à une perte de sens du travail : répétitif, morcelé. Ainsi plusieurs ouvrages récents questionnant la valeur actuelle du travail citent William Morris en exemple, voire en «prophète »1. Une chance à saisir que la figure de William Morris ; ayant
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pour contexte immédiat l’industrialisation, pour fantasme reconnu l’artisan du Moyen-Âge et pour objet d’étude principal l’architecture. Premier outil d’analyse, l’établissement d’une frise chronologique* de la profession. Cette frise prend pour objet l’évolution de la formation, de la pratique et de l’organisation professionnelle des architectes ; trois caractéristiques servant de définition au métier. La frise est classiquement divisée en plusieurs périodes, séparées par la création d’écoles, l’écriture de traités ou de codes professionnels, en France. Chacune des périodes est illustrée par une figure, un portrait d’individu qui permet l’abstraction du portrait d’une profession. Ces architectes européens mettent en avant, selon leurs époques respectives, quels aspects de leur métier justifient sa valorisation -notamment si la notion de « faire » est valorisée-. La frise précise aussi les modes de formation des architectes (ou de ceux ayant les fonctions d’architecte) pour saisir le discours professionnel en vigueur. Les personnalités analysées plus finement seront William Morris et ses successeurs. Nous n’entendons pas par le terme de « successeurs » des individus ayant absorbé la doctrine promue par William Morris mais, au contraire, des hommes ayant adopté une posture critique vis à vis de leur profession en exposant leurs idéaux propres. Ce sont cependant des figures plutôt théoriques qui nous serviront d’illustration des incertitudes de leurs époques, de ces diverses volontés de « prise en main » de la profession. Toutes relativement récentes mais s’inscrivant dans des temporalités (notamment de par leurs références) beaucoup plus larges.
Cette première partie de la recherche s’attachera alors à saisir l’évolution de la profession d’architecte pour en détacher les résurgences du « faire » et des idéaux relatifs à l’artisanat. En aucun cas nous ne viserons l’exhaustivité -l’histoire de la profession étant une discipline à part entière19
*visible p146-147
mais, au travers de l’étude de quelques personnalités adoptant ces positions, en les re-situant dans leurs milieux et leurs oppositions doctrinales, en observant l’évolution de leur propre parcours, leurs influences et échecs, nous serons mieux à même de comprendre les tenants (développés en seconde partie) et possibles aboutissants (développés en troisième partie) de la crise actuelle.
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1. Le XIXème siècle face à l’industrialisation, John Ruskin et William Morris
Se former en artiste Le XIXème siècle est une période clef concernant l’identité professionnelle des architectes. En effet, le siècle précédent a vu le système académique se scléroser, le modèle de légitimation étant d’origine royale et n’ayant conduit qu’à un système de cooptation des proches du pouvoir. En 1793, les anciens élèves de l’Académie d’Architecture sont intégrés à l’Ecole des Beaux-Arts, rejoignant ainsi peintres et sculpteurs. Cette proximité n’est pas sans déplaire aux architectes puisqu’elle valorise la dimension artistique de leur travail, les accomplit dans les arts libéraux plutôt que dans le registre, défavorisé, des arts mécaniques. La figure de l’architecte-artiste s’affiche, et s’accompagne d’un statut social élevé. Parallèlement, l’école des Ponts-et-Chaussées, créée en 1747, grandit d’autant mieux qu’elle produit un travailleur parfaitement dans l’air du temps : l’ingénieur. Avec sa spécialisation affichée et sa formation diplômante, il apparaît tout à fait adapté à une époque d’évolutions scientifiques et techniques, de mécanisation et de division des tâches. « Le domaine des compétences [de l’architecte] est d’une part progressivement limité par la spécialisation scientifique nécessaire à la maîtrise de certaines techniques, tandis que, d’autre part, le territoire de l’activité architecturale s’élargit extraordinairement, grâce au développement urbain sans précédent que connaît la France dans la seconde moitié du XIXème siècle. »2 Il semble d’autant plus difficile pour l’architecte de légitimer sa 21
position et la nécessité de son intervention qu’il ne dispose d’aucun diplôme pour faire état de ses compétences. L’assimilation au corps artistique, si humaniste, si valorisante socialement, devient un frein aux prétentions techniques. « Décerner un diplôme aux seuls architectes revenait à établir une distinction entre l’architecture et les autres arts qui, eux, ne se diplômaient pas. Imagine-t-on un diplôme d’artiste peintre ? »3 La séparation entre les Beaux-Arts et Polytechnique peut s’apparenter à celle de l’architecture à la construction. Le diplôme d’architecte sera malgré tout instauré en 18674, il suit une restructuration de la section d’architecture des Beaux-Arts. N’accueillant précédemment que les cours théoriques -les ateliers étaient extérieurs et créés ou choisis librement par les étudiantsl’Ecole décide, en 1863, la mise en place d’ateliers internes, dirigés par trois architectes d’obédience classique. Un tel choix apparaît comme l’imposition d’une doctrine, de nombreux étudiants continuent de se rendre dans des ateliers non-officiels. Suivre les enseignements de l’école ne constitue par ailleurs pas une obligation pour les aspirants architectes si bien que certains praticiens renommés de la période n’ont jamais étudiés aux Beaux-Arts mais ont appris de chantiers en ateliers. En somme, malgré l’établissement du diplôme, il n’existe pas de cadre législatif entourant la profession d’architecte, et entrepreneurs comme ingénieurs peuvent se déclarer architectes. Si l’académisme a produit une identité sociale, il n’a pas précisé d’identité professionnelle. Julien Guadet, chef d’atelier et professeur de théorie à l’Ecole des Beaux-Arts5, propose alors une charte qui serait « révélatrice d’un ensemble de valeurs partagées ». Il entreprend, par la rédaction de ce code déontologique, d’associer l’architecte-artiste formé par les Beaux-Arts à la nouvelle organisation libérale de la profession. 22
« L’architecte est à la fois un artiste et un praticien [...] Il exerce une profession libérale et non commerciale»6 Code Guadet, 1895 A noter qu’en se détachant ainsi des pratiques techniques de l’artisan et des visées commerciales de l’entrepreneur il expose la profession à une double critique. D’une part il en acte la bureaucratisation, d’autre part il « s’exclut à l’avance de la maîtrise des systèmes constructifs par les brevets de nouveaux matériaux »7. Pratiquer en artiste, en ingénieur, ou en artisan L’atelier restant le lieu principal de diffusion de la doctrine et « d’absorption » de la figure du maître - les maîtres formant une entité hétérogène aux théories diverses-, la pratique de l’architecture et les postures théoriques des futurs architectes demeurent variées. De plus, la création de l’Ecole Centrale d’Architecture –future Ecole Spéciale d’Architecture- par Emile Trélat en 1865, offre l’opportunité d’enseignements plus techniques et plus spécifiques à la pratique de l’architecture. Dans un même mouvement d’opposition aux enseignements des Beaux-Arts, Eugène Viollet-le-Duc théorise une architecture nationale et organise, par ses publications, un enseignement parallèle de l’architecture.8 C’est l’émergence du mouvement néo-gothique. De manière générale, ceux qui privilégient la période gothique à la période classique louent l’intégrité et la vérité de l’artisan du Moyen-Age et, par extension, de ses ouvrages. Le mouvement est international, né en Angleterre, et sa théorisation par Augustus Pugin, John Ruskin, puis William Morris est particulièrement intéressante dans l’évolution qu’elle présente. En effet elle permet de prendre du recul sur son application au-delà de la restauration -thème de prédilection d’Eugène Viollet-le-Duc- pour légitimer un nouveau système sociétal de valeurs. 23
John Ruskin John Ruskin (1819-1900) est un écrivain, critique d’art, professeur à Oxford et réformateur social. Le pivot de ses travaux de recherche est le concept de vérité, qui peut être incarné en la figure de l’artiste, dans l’engagement sincère de ses propres expériences et savoir-faire. Pour lui cette honnêteté n’est pas représentée dans la société moderne matérialiste, qui conduit à l’unité des objets et de l’art, par la promotion du classicisme. En ce sens John Ruskin est un pionner théorique du mouvement Gothic Revival. Si son approche de l’art a connu un grand succès (Modern Painting, Les Sept Lampes de l’Architecture), ses réflexions sur l’économie (Unto This Last) furent accueillies avec plus de réserve.
William Morris William Morris (1834-1896) est un dessinateur, peintre, poète, traducteur et théoricien anglais, membre fondateur du mouvement Art and Craft. La diversité des carrières successives et concourantes qu’il a embrassées est à la mesure des arts décoratifs qu’il a explorés : le mobilier, le textile, la verrerie ou encore le papier peint. 24
De formation architecte, il abandonnera rapidement la pratique qui l’ennuie par sa conformité au classicisme en vigueur. Néanmoins il intégrera la discipline à sa théorie, fasciné par l’ouvrage de John Ruskin, Les pierres de Venise et par la capacité fédératrice de l’architecture envers la pluralité des arts. Qu’est-ce que l’architecture et qui est l’architecte ? Si John Ruskin et William Morris ont tous deux exercé dans des ateliers d’architecture, ce fut, dans les deux cas, sur des périodes extrêmement restreintes. Ce n’est donc pas l’accumulation d’une pratique personnelle qui les conduira à théoriser l’architecture9 mais plutôt l’excellent support théorique qu’elle présente pour des hommes désireux de renseigner leurs pensées sur l’Art en général –libéral ou mécanique, sans distinction- dont l’architecture peut accueillir toutes les diversités. Ainsi William Morris se justifie : « J’ai surtout parlé d’architecture, parce que je la considère avant tout comme le fondement de tous les arts, et ensuite parce que je la vois comme un art qui embrasse toutes les disciplines »10. Et pour cause, ce qui permettrait de distinguer les architectures des simples bâtiments ou constructions ce serait leur intégration des formes et causes supérieures de l’art. Le nom d’architecture se limiterait donc « à cet art qui, embrassant et admettant comme condition de son fonctionnement les exigences et les besoins courants de l’édifice, imprime à sa forme certains caractères vénérables et beaux, mais inutiles à d’autres points de vue. »11 Si une église se résume à un édifice suffisamment solide et vaste pour accueillir ses paroissiens, elle reste, malgré le sacré qui s’y officie, une simple construction utilitaire. Qu’elle présente des matériaux plus nobles et délicats que de raison, que des décors s’emparent de ses travées, que l’ordonnancement de ses ouvertures répondent à d’autres principes que ceux de la régularité ou de l’apport de lumière, l’architecture apparaît. La 25
bonne architecture est toujours une bonne construction mais, par quelques aspects, la transcende. Cependant ce n’est pas tant le don –d’espace, de matériaux, d’ornements- qui compte que « l’action de donner »12, et le bon architecte, loin de devoir pourvoir tous les villages d’églises de marbre, doit s’adapter aux ressources locales. Nous pouvons percevoir ici une part de la critique à l’encontre du Mouvement Classique et de la diffusion de ses modèles, d’une apparence et d’une force partout semblable. Or, selon John Ruskin, si les matières disponibles sont travaillées de manière honnête et noble, les hommes partageant ces qualités sauront les y reconnaître13. Des principes semblables s’appliquent à l’architecte, qui ne doit pas chercher une reconnaissance extérieure, a priori, due à sa condition mais l’acquerra par la substitution de ses qualités humaines sur l’édifice. Cette conception prend à contre-sens les volontés de légitimation des architectes du XIXème siècle par une meilleure organisation sociale et législative. Pour Ruskin, il ne faut pas chercher « L’éducation convenant à telle ou telle condition sociale [mais] une éducation bonne en elle-même »14. Le rôle de l’architecte n’est pas contesté, mais sa place surplombante est contrebalancée par la possibilité d’un entourage ouvrier d’une éducation semblablement bonne. C’est la figure de l’artisan honnête qui transparaît derrière cette image et renvoie aux idéaux néo-gothiques de nos théoriciens. Un attachement au Moyen-Âge Dans la mesure où la valorisation d’un édifice est fonction de sa « pleine expression de cet esprit de travail commun et harmonieux »15, c’est la période du Moyen-Âge, « époque de l’association parfaite des artisans dans les guildes de l’art »16 qui s’impose en modèle. Il ne faudrait plus que l’architecte soit le seul garant de l’harmonie de l’édifice ; que, forcé par cette position, il devienne une force corrective des autres acteurs de la construction17. John Ruskin et William Morris nous invitent à renouer avec
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la tradition coopérative caractéristique de la période médiévale, pour que le travail de chacun ne soit pas dépensé en tant qu’unique force opérative mais dans l’accomplissement de son savoir-faire, de son art18. En ce sens, les attraits pour le gothique d’Eugène Viollet-le-Duc et de John Ruskin diffèrent19. Si le premier loue l’architecture gothique et promeut le retour de l’architecte sur le chantier, l’observation des modes d’assemblage et techniques de restauration sont des recherches à fins opératives. Exploitées dans une nouvelle théorie à imposer, elles composent un certain modèle idéal médiéviste qui sera utilitaire pour de futurs travaux. L’acceptation de Ruskin est plus émotionnelle que rationnelle. C’est la tradition du travail qui doit être conservée en ce qu’elle encourage l’artisan à se dépasser lui-même, quitte à changer la forme finale. « Ces changements seront instructifs, naturels, faciles, bien que parfois merveilleux ; [l’homme doué]20 ne les aura pas cherchés comme nécessaires à sa dignité ou à son indépendance. Les libertés qu’il prendra seront celles que prend un grand orateur avec sa langue ; elles ne seront pas un défi à ses lois en vue de se singulariser, mais seront les conséquences inévitables, spontanées et brillantes, d’un effort pour exprimer ce que la langue, sans cette infraction, n’aurait pas pu aussi bien exprimer »21. John Ruskin Or la logique de marché a fait disparaître la latitude permise par les guildes en demandant une production plus importante que celle qui était nécessaire à la simple réalisation des besoins domestiques. La cadence a alors augmenté et l’homme n’a plus disposé du temps nécessaire pour réfléchir à ce qu’il faisait pendant qu’il le faisait. La nécessité des arts appliqués dans la société : plaisir, utilité et beauté “Nous essayons toujours, aujourd’hui, de séparer les deux; nous souhaitons qu’un homme pense toujours, et qu’un 27
autre travaille toujours, et nous appelons l’un un gentleman, et l’autre un opérateur; tandis que l’ouvrier doit souvent penser, et le penseur souvent travailler, et tous deux devraient être gentlemen, au meilleur sens du terme.” 22 John Ruskin A travers cette critique de la division des tâches, Ruskin dénonce la division sociale opérée entre les professions libérales et les professions mécaniques. Bien évidement cette observation porte un discours politique, cependant, pour ne pas excessivement compliquer cette étude, nous laisserons de côté cet aspect23, pour nous concentrer sur les conséquences d’un travail manuel déprécié sur le travailleur lui-même et sur les objets de sa production. En effet, la précédente citation n’est pas extraite des essais économiques de la fin de carrière de John Ruskin mais, au contraire, d’un ouvrage qui de prime abord apparaît comme un savant guide historique pour comprendre la Sérénissime. Rapidement, l’étude des pierres devient prétexte à l’étude des sociétés qui les ont érigées. De la matière travaillée transpire le savoir-faire de celui qui a manipulé l’outil et sa fierté à l’inscrire à la vue de tous. Or, au XIXème siècle, les manufactures et les industries ont déjà fait leurs œuvres, les premières multipliant les opérateurs, les secondes leur adjoignant des machines. Et personne ne saurait alors dire à qui est dû l’objet. Alors le travailleur, qui d’abord ne pourra plus exprimer sa liberté dans sa production et, ensuite, ne sera pas reconnu n’a plus qu’à « satisfaire le point de vue de son maître sur la qualité commerciale des dites marchandises » sans plus « satisfaire sa conception personnelle de ce que devraient être les marchandises dont il a la charge »24. Selon William Morris, avec la perte de la vision d’ensemble les travailleurs ne sont même pas « des esclaves, le mot n’est pas assez fort, mais des machines plus ou moins conscientes de leur propre malheur »25. Pour John Ruskin, un ornement moulé ou fait à la machine n’est rien de plus qu’un mensonge architectural, un mensonge de production qui feint sans effort le raffinement et ne peut inspirer que le
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mépris.26 Quand il y a un savoir-faire, on attend de l’homme qui le détient qu’il s’y exprime, et non à l’économie.27 « De même pour ceux qui aiment l’architecture, la vie et l’expression de la main sont tout. Ils aiment mieux ne pas avoir d’ornements que de les voir mal sculptés -sculptés sans âme je veux dire. Je ne saurais trop le répéter, ce n’est pas une sculpture bavochée qui nécessairement est mauvaise, mais c’est une sculpture froide -l’apparence d’une peine également répartie, la tranquillité paisible, partout identique, d’un travail apathique, la régularité de la charrue dans le champ uni. »28 John Ruskin
La vision, à la négative, de la société du XIXème siècle à travers ses objets pourrait être résumée de cette façon ; puisque le profit supplante l’épanouissement, et puisqu’il n’y aurait aucun plaisir que l’on ne saurait tirer d’une utilisation incomplète de notre personne, le travail ne présente plus qu’un visage maussade qui transparait sur le produit fini et ne génèrera pas d’agrément chez celui qui le reçoit. L’attrait pour le Moyen-Âge n’est alors pas tant un intérêt esthétique pour sa production qu’un intérêt de l’homme moral pour son honnêteté. William Morris enrichit le propos de John Ruskin en y introduisant la notion de beauté –implicitement indissociable du plaisir créatif et réceptif-. « J’affirme à présent, sans ambages, que le but des arts appliqués aux articles utilitaires est double : premièrement, ajouter de la beauté aux résultats du travail de l’homme qui, le cas échéant, serait laid, et deuxièmement, ajouter du plaisir au travail lui-même qui sinon serait fastidieux et rebutant »29. William Morris
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Prospérité et Humilité, Art et Commerce, Solitude créatrice et mouvement de Masse (épilogue)
John Ruskin et William Morris voient plutôt se développer leur carrière dans l’étude de la société et la diffusion de leurs idéaux politiques. Néanmoins William Morris connait également une pratique productive fructueuse au travers de sa société Morris & Co. Cette entreprise, reprise en 1875 par William Morris seul30, fabriquait et détaillait des objets d’ameublement et d’arts décoratifs. Fidèle à la philosophie de son directeur, les productions sont très riches et variées. «Au début des années 1880, Morris & Co. pouvait offrir : du verre peint, des broderies, des tapisseries, des tapis, des tentures murales, du mobilier, des rideaux, des papierspeints [...] Aucune autre entreprise de décoration londonienne, ne pourrait rivaliser avec une telle gamme de produits fabriqués dans ses propres ateliers ou produits selon des spécifications strictes par des fournisseurs extérieurs.»31 William Morris, touche à tout, participe lui-même à nombre de ces conceptions, mais la masse de la production est assurée par des artisans sous ses ordres –il est très difficile de savoir dans quelle mesure chacun a pu introduire sa sensibilité propre lors de la réalisation- néanmoins mieux rémunérés que dans les manufactures habituelles. La production industrialisée fera cependant son apparition dans les réalisations de la firme, notamment à l’endroit de la reliure des livres.32 Morris poursuit malgré tout -certainement pour son plaisir propre- sa production personnelle d’enluminures et de reliures, très chère, et pour des quantités et modes de distribution limités. Le paradoxe de ces deux produits (industrialisés et artisanaux) présentés sous la même signature et, dans une certaine mesure, inaccessibles 30
tous deux au grand nombre, montre les limites d’application de la philosophie morritienne. Les visées sociales qui lui sont chères se heurtent sur la réalité des coups de production, et ces objets qui devaient élever le goût et l’âme de tous ne peuvent être possédés que par les classes les plus aisées. De plus, le succès de la firme entraîne la hausse de la demande -et, si elle veut être satisfaite- la croissance de la firme et une mécanisation plus importante du système de production.
2. La main de l’industrie et la tête de l’artisan, Walter Gropius Une prise de pouvoir de la modernité toute relative (1900-1950) Au XXème siècle, en France, « la plupart des institutions de formation se distinguent par leurs objectifs anachroniques. »33 Le système des BeauxArts –qui ne connaitra pas de réforme fondamentale avant les années 1960- persiste dans l’enseignement d’un modèle d’architecture classique. Cependant, la plus grande intégration du machinisme engagée après la grande guerre ainsi que l’accélération de la production, laissent une certaine latitude aux pensées plus techniques et structuralistes. Les formes prises par les grands édifices publics restent celles de l’imitation34 mais peuvent toutefois s’autoriser un mode constructif plus efficace35. La verticalité de l’enseignement est toujours de mise et la transmission « par osmose »36 du maître au disciple permet aux quelques étudiants d’Auguste Perret (dans un atelier extérieur des Beaux-Arts) et de Robert Mallet-Stevens (enseignant à l’Ecole Spéciale d’Architecture) d’accéder à un développement parallèle de la théorie et de la pratique architecturale. Les ateliers créent un lien de filiation où les étudiants assurent la promotion du maître, le succès de l’atelier de Perret lui permet l’accès à la commande publique, qui y trouve compte dans l’allure faussement classique
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de ses ouvrages. Une similarité qu’il justifiera par une pensée constructive commune aux grecs, non pas d’une relation d’imitation. « Cette charpente ressemble à l’Architecture antique, parce que l’Architecture antique imite la charpente en bois et que le Béton armé se sert du bois.»37 Auguste Perret La commande privée reste la plus plastique aux impressions des mouvements architecturaux successifs. L’Art & Craft porté par William Morris s’incarne en France au travers d’Hector Guimard et l’Ecole de Nancy dans l’Art Nouveau -un courant d’une vingtaine d’années seulement, dont le luxe assure la promotion de ses propriétaires.- Robert Mallet-Stevens fait entrer ces idéaux d’arts appliqués dans une mise en forme actualisée « où la modernité s’appuie […] sur l’élégance des formes simples. »38 Bien qu’en provenance d’Europe de l’Est, la théorie de Lissitsky sur l’évolution (ou reconstruction) de l’architecture est intéressante en ce qu’elle anticipe la transition entre l’architecture classique, l’architecture individuelle, l’architecture utilitaire et l’idée d’une nouvelle architecture à la fois pragmatique et belle. Il n’est aussi pas difficile de la transposer sur les mouvements français. « Les trois périodes (de la reconstruction de l’architecture) peuvent être résumées ainsi : a) Négation de l’art considéré seulement comme un phénomène émotionnel, individuel et isolé à la façon romantique ; b) Création « utilitaire » avec le secret espoir que le produit sera finalement considéré comme une œuvre d’art ; c) Création consciente et volontaire d’une architecture qui exerce une activité artistique dense sur une base objective et spécifique préparée. Cette architecture relèvera le niveau de vie général. » El Lissitzky, Neues Bauen in der Welt I, Vienne, 1930 32
C’est la Seconde Guerre Mondiale qui modifiera profondément les codes de l’architecture en accélérant la mise en œuvre des innovations techniques et en mettant en avant de nouveaux programmes, notamment les liens entre logements collectifs et équipements. L’avant-garde est remise sur l’avant de la scène par la nouvelle commande publique. Elle marque une recherche de l’efficacité et, par suite, l’apogée des doctrines modernistes et la durabilité de leurs caractéristiques qui s’illustre dans la figure de Le Corbusier.
L’institutionnalisation de la profession ; architectes DPLG et création de l’Ordre Les architectes français du premier XXème siècle se sont montrés soucieux d’institutionnaliser de plus en plus leur profession. Après l’instauration du diplôme des Beaux-Arts, en 1867, ils obtiennent par décret, le 13 mars 1914, le droit de porter un titre, celui d’ « Architecte Diplômé par le Gouvernement ». Mais le plus grand pas vers l’établissement de la profession sera effectué le 31 décembre 1940, sous le Gouvernement Philippe Pétain. En effet, le renouveau du corporatisme du Régime de Vichy entraîne la création de l’Ordre des Architectes. Désormais « Nul ne peut porter le titre ni exercer la profession d’architecte s’il n’est inscrit à l’Ordre »39, inscription sous présentation du diplôme qui ne peut être décerné que par « l’une des écoles reconnues à cette fin par l’Etat »40 « Si la création de l’Ordre est l’aboutissement d’une longue revendication d’institutionnalisation du métier d’architecte, il ne semble pas […] pour autant que la profession en sorte renforcée. Les notables confirment ainsi leur prééminence, mais la réaffirmation de la figure de l’architecte-artiste évite à la profession de se confronter aux questions qui la concernent : son rapport aux autres corps est posé en termes défensifs. »41
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Or le métier d’architecte, ses fonctions, semblent toujours en pleine mutation et il ne suffit pas de protéger l’accès au titre pour définir la position de celui qui le porte dans ce qui constitue les prémices de la globalisation et des marchés internationaux. L’émergence du « style international », n’est pas si claire et unificatrice qu’elle a pu paraître, de même que le positionnement des architectes qui l’ont initié vis-à-vis des principaux enjeux de leur époque : le développement du mode de production industriel et l’émergence de nouvelles demandes sociales. C’est ici que le rôle joué par l’architecte allemand Walter Gropius dans ses relations aux forces productives, nous semble intéressant à analyser. Parallèlement à la création du Bauhaus de Weimar en 1919.
Walter Gropius Walter Gropius (1883-1969) est un architecte et designer allemand, fondateur et enseignant à l’école du Bauhaus. Les caractéristiques de sa philosophie se trouvent dans l’entremêlement de sa pensée fordiste -due à la révolution industrielle- et de ses inclinaisons spiritualistes –conséquentes de sa culture allemande-. Aussi cherche-t-il à se rapprocher de l’industrie en dépassant le dualisme qui l’oppose à l’art42. Selon cette volonté il s’inscrit dès 1910 au Werkbund43, association pour la promotion des arts au travers de l’artisanat. En 1919 il donnera naissance au Bauhaus de Weimar, une école d’arts appliqués qui, par convergence de ceuxci, répond à un idéal d’école d’architecture. L’enseignement de l’école est un manifeste de la pensée de Gropius retranscrite dans son ouvrage The scope of total architecture (1956).
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Lutter contre son égo pour rester au monde Walter Gropius se montre critique vis à vis de ses contemporains qui, sans cesse cherchent à caractériser leurs productions selon un mouvement passé. Il ne nie pas les qualités des constructions classiques ou gothiques mais estime qu’elles ne font plus sens à plusieurs égards : des choses que l’on pensait acquises, en tant que standards, doivent être régulièrement remises en question44, en raison que les architectures classiques sont devenues des monuments statiques qui ne sauraient accompagner les mouvements de la vie contemporaine45 et, enfin, dans le but de garder le spectateur réceptif et curieux de ce qui l’entoure46. Si l’architecte ne considère pas l’actualité de sa tâche alors l’architecture, morne, n’inspirera plus que de l’indifférence. « Nous ne pouvons pas indéfiniment revivre des « revivals »47 » ! Par ailleurs, à toutes les échelles, Gropius juge impossible de retourner aux objets artisanaux du fait de la « pénurie de main d’œuvre qualifiée » et des dangers d’aboutir à un « faux produit, sans vie, d’origine industrielle »48. Ajoutons à cela que suite au départ des meilleurs artisans -s’étant lancés dans l’industrie, la fabrication d’outil ou la recherche- l’architecte a perdu sa place de « maître de l’industrie du bâtiment ». Il y a nécessité « d’adapter son attitude »49, sans quoi l’architecte sera tout simplement évincé du chantier de la ville au profit de l’ingénieur, du scientifique ou du constructeur. Mais les architectes européens du premier XXème siècle, dépourvu du goût de l’expérimentation que Walter Gropius considère comme propre aux Américains (il vit aux Etats-Unis depuis 1937) se perdent en théorisation et en mots. Cela menace l’architecte au sens où il se rend incompréhensible des autres acteurs de la construction. La recherche n’est pas indigne d’intérêt, au contraire, mais celle-ci ne doit pas se limiter à une théorisation des styles passés et actuels, il s’agirait plutôt de comprendre les dynamiques des nouvelles approches et de transmettre. « Les phrases vagues comme « l’atmosphère d’un édifice » ou « le confort d’une pièce » doivent être définies précisément en des termes spécifiques », le discours vise l’opération et non pas la contemplation.
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Le Bauhaus, manifeste d’un centre d’expérimentation Si Walter Gropius se permet d’exprimer, en 1956, une certaine sévérité à l’égard de ses contemporains, c’est peut-être parce que, à cette date, il se sait intouchable dans l’application qu’il a déjà menée, à travers le Bauhaus, de ses propres principes. Le court manifeste du Bauhaus, rédigé en 1919, déclare déjà que « l’art n’est pas enseignable [sinon à] s’orienter vers l’atelier ». L’école du Bauhaus ne se présente pas comme une école d’art mais comme un centre d’expérimentation, ou technologie de la machine et théorie moderne de la conception peuvent se rencontrer par l’action volontaire de la main de l’apprenti. Gropius souhaite ici briser le « mur d’orgueil dressé entre artisans et artistes ». Le manifeste du Bauhaus exhorte à la formation d’une nouvelle « guilde d’artisans », mais le regroupement ainsi suggéré ne saurait pas reprendre le caractère isolé des professions dans les corporatismes. Artistes et artisans semblent ici former une unité indissociable. Le projet est porteur d’une dimension sociale encourageant l’unification de la culture artistique par le faire ensemble. A noter qu’au Bauhaus, la première année, tous les étudiants suivent des cours communs, qu’importe les disciplines qu’ils développeront postérieurement ; il faut que le langage soit partagé. Le Bauhaus permet une vision effective de la philosophie de Walter Gropius. Les ateliers y sont des laboratoires où se produisent les prototypes avant la réalisation industrialisée. La différence se situe sur le plan de la pensée de l’artisan qui innerve l’objet produit et lui restitue les qualités du « noble objet artisanal » même si la phase constructive a été déléguée. En ce sens, dans cette nouvelle crise d’historicité, Walter Gropius réinvestit différemment l’idéal artisanal en mettant l’accent sur son aspect social mais surtout en n’écartant pas l’aspect productif du début du XXème siècle. Il dépasse la vision néogothique de l’artisan –même si cette époque est louée, ce type d’unité ne pourra être retrouvé dans les mêmes conditions- pour intégrer le travailleur et l’artiste dans la société industrielle. L’artisan ne se réalise pas que dans le faire, il existe dans le produit. 36
Les clés théorico-pratiques de Walter Gropius A l’inverse du système compétitif induit par l’éducation des BeauxArts, Gropius choisit une approche collaborative du projet favorisant le travail d’équipe50. L’association d’un nombre conséquent d’individus dans la création permet, paradoxalement, de réduire l’individualité de chacun. Pour reprendre les propres termes de Gropius : “Seule la collaboration de plusieurs peut réussir à trouver les solutions qui transcenderont les aspects individuels”51. A cet égard, les étudiants du Bauhaus apprennent à travailler en équipes de compétences variées afin d’intégrer les capacités de coordination qui leurs seront utiles à l’avenir.52 L’architecte ne serait ainsi plus en compétition avec ses pairs lors de sa formation et plus en concurrence avec l’ingénieur et le constructeur au moment de sa carrière. Le produit du travail des différents acteurs du « design » d’un objet -d’une architecture- rend cet objet porteur d’une conception unifiée de l’art. La beauté détenue par produit n’est pas la conséquence d’un style (bien que certains aient pu employer l’expression de « style Bauhaus » pour des objets dépourvus d’ornementation) mais le résultat de fonctions parfaitement satisfaites, de ses qualités de durabilité et de la juste économie qui y a été employée53. Ces arguments sont en faveur d’une validité objective du design rationnel qui permettra de délaisser des termes comme « goût » ou « sentiment » qui ne sont que des considérations individuelles difficilement justifiables.54 Enfin, si la main n’est plus nécessaire55, le savoir-faire de l’artisan, lui, reste indispensable. « L’objet, qui est partout d’une qualité technique aussi remarquable, doit avoir été imprégné d’un projet intellectuel, d’une forme, pour être assuré d’avoir encore la préférence parmi une multitude de produits similaires. [A cette fin] l’on se sera assuré de lui avoir donné aussi, les nobles qualités d’un produit artisanal. »56 Walter Gropius
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Au travail ! (épilogue) En tant que directeur du Bauhaus, à Weimar et plus encore à Dessau, Gropius a démontré que sa vision des pratiques artistiques, architecturales et techniques pouvait bel et bien trouver réalisation dans une école unificatrice qui tisse les liens entre les disciplines avant toute chose. Le Bauhaus constitue toujours un modèle d’enseignement et les objets qui en furent le fruit sont encore aujourd’hui considérés comme exceptionnels. C’est néanmoins dans ce développement qu’il faut nuancer les succès de Walter Gropius. En effet, quand l’objectif annoncé était d’industrialiser les prototypes conçus afin d’en extraire jusqu’aux bénéfices économiques pour l’école, la réalité nous laisse devant une production faible trouvant naturellement sa place dans la niche commerciale du luxe.
« La vision est un peu utopiste. Les meubles qui sont produits au Bauhaus ne seront jamais produits en masse. Cela devient, déjà pendant les années 20, un élément de « lifestyle ». Seules les personnes aisées seront capables de s’offrir ces meubles en acier tubulaire.»57 Elke Mittmann La seconde partie de carrière de Walter Gropius, en praticien aux Etats-Unis, nous offre un regard sur la mise en pratique de ses théories. En 1946, il fonde «The Architects’ Collaborative» (TAC) une agence d’architecture qui le lie à certains de ses anciens élèves à Harvard. Le travail d’équipe et l’horizontalité de l’organisation sont les éléments fondateurs de cette nouvelle agence qui reprend ainsi les préceptes du Bauhaus. Cependant, les associés à cette entreprise sont exclusivement architectes de formation et la volonté de dépassement des caractères individuels associés à la figure internationale que représente Walter Gropius ne composent que l’image d’une célébrité parmi un groupe d’anonymes. De plus, le succès entrainant la demande, l’agence grandit en taille jusqu’à ce que The Architects’ Compagny devienne un bureau d’architecture gigantesque. Et le gigantisme nécessite une solide organisation structurelle. «L’éthique de 38
l’architecte a été remplacée par l’éthique du cabinet d’architecture.»58 Ainsi, comme par une sombre ironie, des années après sa mort, Walter Gropius se trouve mis en responsabilité quant à la bureaucratisation de la profession.
« En 1984, année fatidique, lorsque notre avenir architectural est marqué par des entreprises bureaucratiques de plus en plus grandes, lorsque nos plus grands bureaux, comme ceux dirigés par Walter Gropius [sic], perpétuent une forme de kitsch historiciste au Moyen-Orient ... il est temps de réévaluer ensemble notre passé récent et la culture occidentale: critiquer le modernisme irréfléchi et l’historicisme qui ont tant de succès commercial.» Charles Jencks
3. La crise de la modernité, Manfredo Tafuri La fin du système « Beaux-Arts » L’après-guerre est, en France, une période de production particulièrement dense pour les ouvrages publics comme privés mais, surtout, une période « plus attentive qu’avant la guerre à l’actualité […] d’une nouvelle architecture française »59. L’augmentation des coûts de construction encourage les doctrines productivistes60 et la nouvelle vie médiatique des architectes61 place l’autorité d’un Le Corbusier à son sommet, figure qui « inspire ses anciens collaborateurs ou cautionne la plupart des recherches originales »62. L’architecture n’a peut-être jamais paru aussi connectée à son temps, et pourtant, dans les écoles, la colère gronde.
En effet, l’enseignement des Beaux-Arts semble comme exclu de 39
ces mutations et des préoccupations économiques et sociales qui font vibrer le pays. La crise de la formation est ressentie depuis 1945 et les élèves se plaignent de « la faiblesse de l’enseignement scientifique et technique, tout comme [de la] désuétude de beaucoup de programmes proposés ».63 Le chef d’atelier peut toujours mener ses étudiants comme il l’entend, selon ses propres théories et souvent en préférence des projets qui révèlent la position d’artiste de l’architecte. La forme paraît être l’élément privilégié et peut aisément s’abstraire du fond, la technique de représentation prime sur la véritable technique constructive64. Les grèves se multiplient. « Pendant la grève de 1966, on avait inventé une injure tout à fait incroyable, on insultait tous les automobilistes qui passaient au bord de la rue des Beaux-Arts en disant : Architecte ! Comme injure c’était assez profond, car elle renvoyait à la haine de la corporation, c’est à dire à ce qu’un corps... se mettant à fonctionner comme quelque chose qui finalement n’existe plus que pour ce qu’il perpétue comme corps et sans qu’il n’y ait plus le moindre rapport à l’objet qu’il traite. » Roland Castro
Oui, les étudiants architectes ne critiquent pas seulement l’enseignement délivré par leur école, ils s’intéressent à la profession comme elle est en train de se faire, ils méprisent la corporation, accusent les conditions de travail dans le bâtiment, la faiblesse des architectes face aux entrepreneurs. Les élèves des ateliers d’architecture participent des révoltes étudiantes de leur temps, le 15 mai 1968, ils publient une motion. « Nous voulons lutter contre un contenu de l’enseignement particulièrement conservateur, particulièrement peu rationnel et peu scientifique où les impressions et les habitudes personnelles 40
continuent de prévaloir sur les connaissances objectives. L’idéologie du Prix de Rome est encore vivace ! »65 Motion du 15 mai 1968
Les étudiants vont finir par obtenir gain de cause, et la réforme d’André Malraux en 1968 signera la fin de l’enseignement académique de l’école des Beaux-Arts. Un objectif double est annoncé : décentraliser l’enseignement de l’architecture et l’ouvrir à de nouvelles disciplines. Les architectes sont détachés dans des « Unités Pédagogiques » ; on en place cinq à Paris (qui rapidement deviendront neuf) et quatorze en province. Chaque unité est dotée d’un conseil où enseignants et étudiants siègent en nombre égal. Il faut néanmoins nuancer les succès de la révolte étudiante ; l’Ordre qui avait été remis en cause est toujours en place, et les aspirantarchitectes restent détachés des formations universitaires. De nouvelles disciplines, auparavant réservées aux facultés, pénètrent tout de même les enseignements de l’architecture ; urbanisme, ingénierie, sociologie, … jusqu’à la psychanalyse et la sémiotique. Ces enseignements colorent les Unités Pédagogiques puisque, indépendantes les unes des autres, chacune est libre d’incorporer les enseignements qui lui semblent nécessaires à la formation des futurs architectes. De cette manière certaines vont tendre à valoriser le « faire »66, quand d’autres auront une formation plus « intellectualisée ».67
L’architecte n’est pas un « métier de service »68 Si le nombre d’architecte fait un bond conséquent entre 1945 et 1975, jusqu’à doubler69, la croissance de la production a été plus importante encore et pas toujours à leur profit. Car, si la loi de 1940 a été une « réglementation 41
du port du titre » elle n’a pas constitué une « réglementation de l’exercice de la profession » ; ainsi, son idéal de l’architecte-libéral n’est pas le reflet des pratiques réelles de l’architecture et de nombreux architectes deviennent employés de bureaux d’études ou d’agences de promotion. C’est ainsi qu’en 1976, 70% des constructions privées en France se font sans le recours à un architecte70. L’architecte n’est pas considéré comme un métier de service intégré socialement, mais plutôt comme un outil de l’aménagement public ou des réalisations luxueuses du privé.
La productivité, qui s’était améliorée par l’industrialisation, trouve aussi son compte dans un usage instrumental du style et des pratiques modernes (reproductibles et transmissibles71) pour la production de masse. Les signes les plus visibles de cette architecture rationnelle se trouvent dans la production de logements collectifs. La fin des années 1970 signe aussi l’apparition de la Conception Assistée par Ordinateur (CAO) ; initialement développée pour les ingénieurs, son utilisation se développera massivement dans les années 1990 dans les agences d’architecture. Le changement d’outil d’une profession n’est jamais anodin, ici il accuse différentes réceptions. Soit comme un pas de plus vers la déshumanisation de la profession, soit, au contraire, comme un moyen de redistribuer son énergie de travail pour pouvoir accorder plus de temps à la création.
C’est Bernard Huet, directeur de la nouvelle Unité Pédagogique numéro 8, qui a inconsciemment soufflé la figure européenne susceptible d’illustrer cette crise de la modernité. Pour lui « L’Italie, avec ses architectes et urbanistes engagés politiquement, était le lieu essentiel d’une affiliation »72. Et parmi les architectes italiens engagés politiquement, critiquement engagés, qui de mieux que Manfredo Tafuri.
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Manfredo Tafuri Manfredo Tafuri (1935-1994) est architecte de formation. Bien qu’originaire de Rome, sa carrière se lie à la ville de Venise. Après une courte expérience au sein de l’agence d’architecture et d’urbanisme AUA73, il décide, en 1964, d’abandonner définitivement la pratique à visée constructive au profit de l’étude de l’histoire de l’architecture. Engagé en tant que professeur d’histoire à l’Ecole d’Architecture de Venise, il mène en parallèle une carrière littéraire en tant qu’historien et critique. Ses sujets de prédilection sont la crise du Mouvement Moderne ainsi que l’étude de la Renaissance italienne. En la matière, il est considéré comme l’une des plus grandes figures du XXème siècle. Ses ouvrages de références sont Projet et Utopie (1973) et La Sphère et le Labyrinthe (1980).
Une crise qui remonte toujours plus en avant La publication la plus marquante de Manfredo Tafuri est presque contemporaine à la création de l’Unité Pédagogique numéro 8. Projet et utopie74 se présente comme un long essai qui s’attaque particulièrement au Mouvement Moderne. Tafuri s’intéresse à la crise ressentie en 1968 et qui était, pour tous les historiens de l’époque, due à la perte de signification d’un Mouvement Moderne qui a essayé de rompre avec l’histoire. L’architecte va démentir cette trop rapide analyse et situer la crise de la modernité 43
beaucoup plus en avant, sans cesse plus en avant ; la révolution industrielle, les Lumières, le Baroque, Piranèse, Brunelleschi, Alberti même ! Pour comprendre une crise il s’agirait de la définir et le sujet à cerner semble pour lui beaucoup plus vaste que ce qui était perçu par ses contemporains.75
Quand Brunelleschi, pour construire le dôme de la basilique de Florence, utilise des références antiques, il commence à « dés-historiser » l’architecture. Il coupe avec le cours de l’histoire médiévale. Quand Alberti théorise l’Art de Bâtir76 il construit un code anhistorique, parce que se référant à un idéal intemporel. Il théorise une architecture classique, atemporelle. Le Modernisme n’est qu’une rupture supplémentaire. Et le traiter par son seul style « qui tranche » serait le réduire. Ce serait se livrer à une histoire opérative que Manfredo Tafuri condamne fermement. Non, un style ne peut pas porter les défauts ou les qualités que l’on prête à telle ou telle période historique. L’histoire des hommes prime. La crise de l’architecture Moderne n’est-elle pas, fondamentalement, la crise de l’architecte moderne ?
« La crise de l'architecture moderne n'est pas le résultat de la fatigue ou de la «dissipation». C'est plutôt une crise de la fonction idéologique de l'architecture ... La recherche d'une alternative dans la structure qui conditionne le caractère même du design architectural est en effet une contradiction évidente des termes”.77 Manfredo Tafuri
Que l’on rejette un objet parce que l’on ne s’y reconnait pas nousmêmes, voilà qui connecte profondément avec le sujet de cette étude. Et, dans son ouvrage La Sphère et le Labyrinthe, Manfredo Tafuri adopte par ailleurs une méthode similaire à celle qui a été choisie pour initier la 44
présente recherche. En dressant une analyse historique sur les conditions relatives au statut et sur celles d’exécution de la profession d’architecte, il a cherché à déceler les causes des troubles que connaissaient les praticiens contemporains. L’examen commence par les bâtisseurs-moines, peut-être la seule historicité d’un « architecte » fondu dans sa production. Le client est aussi l’entrepreneur (l’Eglise), il contient les constructeurs qui sont à la fois artisans et maître d’œuvre, la seule formation est le chantier et la qualité du travail est motivée par la transcendance de la foi. Une première rupture s’opère avec l’apparition des guildes. Les disciplines relatives à la construction commencent à s’autonomiser et les clients ne sont plus –pour la plupart- les entrepreneurs. Constructeurs, artisans et maîtres d’œuvres restent confondus mais une hiérarchisation interne se met en place : maître, compagnon, apprenti. Enfin, la scission la plus importante aura certainement lieu entre le XVIIIème et le XIXème siècle avec l’apparition de la libre entreprise qui transfère l’activité de l’esprit communautaire sur la recherche du progrès individuel et, en conséquence, conduit à l’économie précapitaliste. C’est ici que Manfredo Tafuri place l’architecte de la fin des années 1970, comme une victime de la dégradation de l’économie communautaire et de la subdivision continue des tâches du constructeur en sous-classes spécialisées. Pour lui la profession se situe dans une impasse, l’architecte, séparé du constructeur, délaisse du même coup une grande partie de la technique, de l’économie et, en finalité, de sa visée artistique. Il se retrouve en une figure idéaliste à sa table à dessin, contraint de reporter toute son énergie dans des visées esthétiques qui conduisent à la hausse des coûts et à un détachement de la majorité des projets du quotidien. Pour ne pas perdre face, il reçoit comme la marque d’un statut supérieur son détachement de l’industrie de la construction et tend à se placer du côté du client, presque contre l’entrepreneur. Les tentatives de « rétablissement » qui s’intéressent à l’abaissement des normes ou à la mise en valeur des arts et de l’artisanat –comme le Werkbund- ne produiraient que des résultats superficiels. C’est 45
l’architecte qui est lui-même la cause, pas l’environnement, surtout pas l’architecture. « Le mot d’ordre pour les architectes est le suivant : revenez aux métiers du bâtiment. […] La défense d’un architecte retiré de l’industrie de la construction ne tient pas la route. En effet, rien n’empêcherait un architecte de se positionner comme chef artistique et guide d’une industrie du bâtiment. »78
Une carrière personnelle comme l’illustration d’une figure artisanale Lire Tafuri est extrêmement difficile. En effet ses textes sont extrêmement référencés, ils font intervenir toute une série d’auteurs qui étaient jusque-là oubliés. De plus il écrit de façon assez ambivalente ; c’està-dire qu’il incorpore régulièrement dans ses textes des critiques et des contradictions internes. Ses écrits deviennent rapidement très abstraits car ils ne se détachent pas complètement de sa personne et se caractérisent par de nombreux allers-retours. Est-ce trop s’avancer que de parler de l’artisanat de Tafuri en tant qu’historien79 ?
La reconversion de Manfredo Tafuri, « par une nuit tragique »,80 d’architecte à historien de l’architecture paraît être un point d’attache intéressant. Ce revirement s’opère à la suite d’une exposition sur MichelAnge qui effraiera le critique par la vision qui y est donnée de l’architecte de la Renaissance. Il trouve que celle-ci est un ajustement de la figure de Michel-Ange à un agenda contemporain. L’histoire est opérative, utilisée à des fins doctrinales, offerte comme prétexte. Or Manfredo Tafuri ne veut pas se légitimer dans l’histoire, il cherche à comprendre les phénomènes de causalité. Il se rend compte également de la vacuité d’une production urbaine contemporaine, trop liée au développement capitaliste. L’architecte 46
est devenu « douloureusement inutile »81. Il décide alors de se consacrer pleinement à une étude de l’histoire de l’architecture qui ne saurait être prise à la légère.
La nécessité du temps long Son premier texte, Teorie e Storia, est par ailleurs un « livre étrange, sans public », « écrit entièrement pour [ses] propres fins »82. Il s’agit de la matérialisation de la réflexion de Tafuri, il jette ici une série de bases pour son travail, par la suite une sorte « d’agenda intellectuel » des années à venir. Il s’agit d’une théorie historique de la place des connaissances historiques dans la culture architecturale depuis la Renaissance, période où l’architecte, en apparence, s’autonomise. Cela se lit comme des notes et interrogations personnelles, souvent avec une grande autocritique. Tafuri procède par allers-retours et se réfère à la théorie de la « longue durée »83 de l’histoire, comme dans un atelier d’artisan tout semble immuable, cependant, par de petits mouvements générés dans des répétitions chaque fois infiniment différentes, les changements profonds se découvrent.
A ce moment-là Tafuri a une position marxiste-orthodoxe : il ne va pas proposer un modèle d’architecture à suivre pour la société actuelle. Cette architecture d’une société ne peut être, dans sa vision marxiste, qu’ex post facto, comme conséquence d’une nouvelle condition que l’on a pas encore atteinte. Contrairement à d’autres théoriciens,84 Tafuri ne va jamais décrire comment faire l’architecture. L’architecture « modèle » ne pourrait être indiquée par avance. Il n’y a pas de recette !
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“Je suis devenu architecte en architecturant”, Lucien Kroll (épilogue) Bien que, pour Manfredo Tafuri, le postmodernisme ne représente pas une bonne réponse à l’éclipse de l’histoire,85 la période postmoderne est intéressante en ce qu’elle présente de multiples architectes désireux de réinvestir la discipline de la manière qui leur paraît la plus sensée. Il y en aura bien quelques-uns parmi eux qui privilégieront le temps long, la reconsidération du chantier, l’inscription dans le site, pour conclure cette critique d’une illustration plus positive. Un peu à l’écart des courants majeurs de la postmodernité, le Belge Lucien Kroll, pourrait satisfaire quelques-unes de ces exigences. En 1970, avec sa maison des étudiants en médecine «La Mémé», il brouille les pistes en cherchant à rétablir cette fierté professionnelle des artisans qui, selon Tafuri, se serait perdue après les guildes. Pour cela il responsabilise les ouvriers, leur donne des défis qui leur font prendre conscience du rôle qu’ils jouent. Comme lorsque, pour la Mémé, il faut conjuguer deux maçonneries qui n’ont aucun module commun : la brique et le parpaing.
«C’est du sport pour [les artisans], normalement ils pensent à autre chose la radio à fond ; ils ont dû éteindre la radio parce qu’ils n’en sortaient pas. ils sont revenus le dimanche avec la famille pour montrer ce qu’ils font. »86 Lucien Kroll
Walter Gropius aurait certainement trouvé William Morris réactionnaire et Manfredo Tafuri a réellement condamné le Bauhaus pour avoir accéléré la conformisation de l’architecture à la société capitaliste. Pourtant il est possible de construire des ponts entre les uns et les autres. Que ce soit au travers de leurs références ou au travers de leurs propres pratiques, ils ont cherché le sens de la profession dans un temps long, dans 48
l’expérimentation et surtout, en inscrivant humainement, socialement, la profession d’architecte. La volonté, mentionnée, d’une organisation plus horizontale de l’architecte et des autres acteurs de la construction leur est commune. Et les résurgences de l’attrait pour l’artisanat, pour les guildes, sont peut-être liées à cela. Il est possible que chacun aura jugé être dans un moment d’inadéquation au monde, et se sera donné ses propres outils pour réinscrire, avant l’architecture, l’architecte lui-même dans son environnement. Alors revoilà ce jeune diplômé de 2017 qui cherche une relation clarifiée à sa propre pratique, une inscription plus simple parmi les autres corps de métier. Participerait-il de la même dynamique. Ne serait-ce pas, pour lui, le moyen de chercher une identité professionnelle ?
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Partie II La posture de l’architecte-artisan : décryptage des recherches de valeur et de sens
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Le présent mémoire prend pour parti un entrecroisement incessant des imaginaires de l’architecte et de l’artisan. Néanmoins, il paraît plus judicieux d’esquisser préalablement les définitions de ces professions respectives. De distinguer les deux éléments avant de juger de leur miscibilité. Ces définitions constituent des amorces qui, nous l’espérons, seront transcendées par les valeurs développées -l’expression de valeur étant difficilement intégrée dans l’idéal de neutralité d’une définition-.
Prenons d’abord la définition d’ « artisan », telle qu’elle est proposé par Le Robert : Celui, celle qui exerce une technique traditionnelle, un métier manuel demandant une qualification professionnelle, et qui travaille pour son propre compte, aidé souvent de sa famille, de compagnons ou d’apprentis. Cette définition peut être enrichie par le statut juridique de l’artisan, mais aussi par le caractère plus commun de ce qui est artisanal. Nous retiendrons ainsi une définition selon trois modalités. La première, issue de la chambre de commerce1, le caractérise légalement comme ne relevant ni du salariat ni du patronat. La seconde s’attache à son savoir-faire ou à sa spécificité technique, comme l’homme maître d’un geste ou d’une matière. Enfin la dernière, plus large, décrit le désir que peut entretenir un individu lambda de se réapproprier des outils ou des savoir-faire.
La définition de l’architecte est peut-être plus complexe encore car il n’y a jamais eu d’époque ou l’architecture aurait constitué une seule profession, d’époque où sa doctrine, ses principes moteurs, ses rêves ses codes ou son esthétique auraient été unanimes. Définir l’architecte trop précisément paraît toujours dangereux en ce que cela peut laisser paraître d’opinion vis-à-vis de la profession. A l’occurrence du mot « architecte » Le Robert propose néanmoins cette définition : Personne reconnue capable de tracer le plan d’un édifice et d’en diriger l’exécution. A cela s’ajoute les conditions de port 52
du titre d’Architecte, soit l’inscription au Tableau de l’Ordre des Architectes après validation d’une formation universitaire reconnue. Selon Olivier Chadoin, toute tentative de définition du métier d’architecte serait invalidée du fait de la nécessité continue d’adaptation de ses membres2. François Chaslin quand à lui place cette indéfinition dans la rupture entre l’idéal et la réalité du métier d’architecte, «une profession tiraillée entre une aspiration au modèle de l’artiste et son immersion dans l’univers d’autres spécialistes»3. Voilà peut-être pourquoi, alors que l’histoire de la profession a constitué à se détacher de l’artisanat, l’architecte connaît aujourd’hui les mêmes tentations que les cadres du supérieur à se réfugier auprès des objets et pratiques artisanales. Il s’agit alors, dans un mouvement global de recherche de sens du travailleur –illustré par les néologismes anglicisés du « bore-out » et du « brown-out »-, de comprendre les besoins auxquels semble répondre la pratique artisanale. Une compilation des définitions informelles de l’artisanat rencontrées lors de cette études a permis de mettre en avant la récurrence de mots tels que : milieu, dialogue ou temps. Sont-ce là les valeurs ajoutées de l’artisanat ? Ou bien celles, dans une dimension plus ontologique, qui permettraient à tout un chacun de retrouver le sens de son travail ? Ce qui marque de premier abord c’est que ces notions de milieu, de dialogue et de temps sont déjà intégrées au vocabulaire professionnel des jeunes architectes. Aussi, alors que certains de nos ouvrages de référence, généralistes, nous orientent entièrement sur la voie de la reconversion, cette partie s’attachera plutôt à organiser les bases d’une résistance de l’architecte au sein de sa propre profession. La construction est un acte chargé de sens, le rapport au corps des artisans d’une proximité folle. A travers cette seconde partie, nous chercherons à tirer les fils du milieu, du dialogue (dualité) et du temps pour comprendre pourquoi, d’un 53
point de vue cognitif, social ou psychologique, l’architecte veut parfois se substituer à l’artisan. Il s’agira néanmoins de ne pas creuser chaque problème jusqu’à le rendre complètement indépendant4. Economie, sociologie ou psychanalyse resteront entremêlées aux problématiques artisanales et architecturales et le nombre d’exemples sera volontairement réduit pour laisser la place à l’appropriation du lecteur et ne pas précipiter sur les figures choisies, des visées opératives.
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1. Le milieu a) Mondialisation et néolibéralisme : recherche d’un ancrage plus circonscrit S’inscrire au monde Dans une société mondialisée, la lassitude des architectes vis-à-vis du morcellement de leur profession et de la division de leurs savoirs ne saurait être unique ; bénédiction ou calvaire, voilà le résultat de la société de l’information. Pour tous les métiers, à toutes les échelles nous sommes conscientisés de notre assujettissement à des phénomènes qui nous dépassent. Alors qu’il est relativement aisé de se figurer ce qu’est et a été la société industrielle, qualifier la société « postindustrielle » semble beaucoup plus complexe5. Par ailleurs ce serait une digression bien trop coûteuse que de chercher à la définir ici. Ce qui importe c’est que, lorsque l’environnement dans lequel nous évoluons nous dépasse non seulement spatialement mais conceptuellement, il est alors bien plus difficile de s’y opposer ou même de s’y conformer avec conscience. William Morris pouvait s’opposer au moule, Lucien Kroll pouvait s’opposer au chemin de grue, ceux-ci avaient leurs existences matérielles et donc leurs limites ; mais qu’est-ce que s’opposer à la société postindustrielle, et quel serait l’intérêt d’une telle opposition ? Avec son ouvrage, Eloge du carburateur, Matthew B. Crawford identifie les problèmes causés par une « économie du savoir ». Se détacher de la matérialité du monde nous fait remettre en question la valeur ajoutée que nous sommes capables d’apporter à la société, et la démobilisation du corps nous prive de toute une partie des stimulations intellectuelles qui lui sont liées. L’écrit de Crawford est d’autant plus fort qu’il se nourrit de son expérience personnelle : du think-tank à l’atelier de réparation automobile. Tout en étant capable d’appuyer son raisonnement sur des théories sociales et économiques –l’auteur est titulaire d’un doctorat en philosophie - il évite de 55
sombrer dans l’anonymat du « concept » pour s’impliquer personnellement dans le processus. La forme est au service du fond, le « savoir » n’est pas le seul élément valorisé afin de redonner une place au facteur humain. « J’étais constamment fatigué et, sincèrement, je ne voyais pas très bien pour quoi j’étais payé : quels biens tangibles, quels services utiles mon travail fournissait-il à qui que ce soit ?»6 Matthew B. Crawford Pour Matthew B. Crawford, les travailleurs du savoir ne sont plus autonomes qu’en apparence.7 Quand un père de famille doit faire appel à un plombier -qu’il paye grassement pour ne pas avoir à effectuer lui-même une tâche jugée comme « inférieure »- il est mis en doute quand à cette « prémisse de la nouvelle économie selon laquelle, si un individu est bien payé, c’est qu’il doit savoir quelque chose ». Le plombier aurait en effet aussi accès à un savoir, qui paraît d’autant plus indispensable qu’on ne saurait laisser traîner une canalisation bouchée trop longtemps. C’est une manifestation de la réalité qui remet en question la dichotomie entre travail manuel et intellectuel. Le « chef de famille » ne sait pas vraiment ce qui se passe sous l’évier. Ce principe de réalité, qui remet en question la supériorité acceptée des professions intellectuelles, est largement éprouvé dans notre quotidien. Des métiers dévalorisés peuvent avoir une prise bien plus immédiate sur l’ordre du monde. « C’est une cicatrice qui balafre notre âme collective. Si la société peut difficilement survivre à une grève d’éboueurs de plusieurs semaines [...] on imagine que son fonctionnent ne serait pas profondément altéré si les juristes d’entreprise [...] décidaient de suspendre leurs activités durant cette même période. » 8 Jean-Laurent Cassely Des plombiers et des éboueurs… certes, ce ne sont pas là les professions les plus jalousées, mais elles ont l’avantage de présenter une certaine insubordination de l’artisan que nous n’aurions pas présagée. 56
L’artisan représente l’assujettissement de l’architecte par au moins trois points. D’abord, l’architecte est dé-localisable quand le travailleur de la construction est profondément attaché au site9. Ensuite il ne peut avoir accès à l’entièreté des savoir-faire techniques maîtrisés par l’artisan et doit donc reconnaître sa finitude en de nombreux aspects de la production. Enfin, l’artisan à un droit de vie ou de mort sur le chantier bien plus direct que le maître d’œuvre. Charpentiers, maçons, menuisiers, apparaissent comme autant d’intermédiaires indispensables entre le concepteur et la matérialisation de son projet -qu’il a déjà investie mentalement-. Ces figures nous offrent quelques motivations premières de l’architecte à envier l’artisan, et cela par-delà tout sentimentalisme, au contraire, dans toute l’étendue pragmatique de la volonté d’autonomie et d’ascendance.
L’enchaînement au bureau Selon la sociologue et politologue Béatrice Hibou, la bureaucratisation de notre société serait une conséquence du modèle économique néolibéral dominant. Contrairement aux idées reçues, la bureaucratie ne serait pas une émanation d’un modèle administratif étatique mais une pratique empruntée aux entreprises qui ont cherché à rationnaliser leur production. Il s’agit d’ « un travail d’abstraction qui entend faire entrer la réalité complexe dans des catégories, des normes, des règles générales et formelles issues d’une pensée qui rationalise la société et le gouvernement des biens, des hommes et des territoires à partir du marché et de l’entreprise ». 10. Ce type d’organisation sous-tend une série de normes et de process qui permettent aux différents intermédiaires –les différents bureaux- de s’accorder entre eux. L’efficacité d’un tel modèle aurait favorisé sa diffusion à l’ensemble de la société aussi, par accumulation, « la moindre activité devient un cauchemar procédural »11 « La complexité croissante des bâtiments due tant aux progrès techniques qu’à la prolifération des normes [impose le retour à ces] nouveaux spécialistes, les pilotes de chantier,
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qui se chargent de coordonner le travail des entreprises d’exécution, sauf pour de petites opérations. »12 Florent Champy Or, l’ouverture de nouveaux domaines d’activité à la loi du marché est précisément une des caractéristiques du néolibéralisme. L’architecte, se retrouvant dépossédé de tout un champ de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, participe à l’émergence de nouvelles professions telles que les OPC ou les « project manager » qui répondent de cette recherche d’optimisation. Dans son ouvrage Etre architecte, les vertus de l’indétermination, Olivier Chadoin donne la parole à un coordinateur de chantier qui prédit un fort accroissement de son secteur d’activité. Pour lui, contrairement aux « anciens architectes, qui avaient l’habitude de tout faire et ne déléguaient pas grand-chose », la nouvelle génération est très demandeuse de ces services. Selon l’OPC, cela serait dû à la formation des jeunes architectes qui, en se centrant sur la conception, néglige les autres aspects de l’exercice de la profession. En même temps comment reprocher à une école d’architecture de privilégier le projet dans une société qui favorise les entrepreneurs et fait l’éloge de l’adaptabilité ? La contextualité du projet se valorise par-delà la profession d’architecte. « Le savoir-faire artisanal suppose qu’on apprenne à faire une chose vraiment bien, alors que l’idéal de la nouvelle économie repose sur l’aptitude à apprendre constamment des choses nouvelles : ce qui est célébré ce sont les potentialités plutôt que les réalisations concrètes » 13 Matthew B. Crawford Redéfinir toujours son travail, trouver sa place dans la plasticité du réseau de la construction, c’est la demande particulière du BIM. Pour certains elle permet de reprendre prise sur l’ensemble du cycle conceptionconstruction, pour d’autres elle acte le traitement « en gestionnaire » de l’architecte vis-à-vis du projet. L’historique et l’avenir du projet se trouvent 58
dans la maquette numérique, incrémentée pour chaque phase et par chaque acteur ; l’architecte n’est plus légitime en tant que mémoire du processus de conception ; un spécialiste parmi d’autres ? L’intégration du BIM suppose une approche multi-sources dans laquelle les outils-logiciels ont été choisis pour répondre aux besoins particuliers de telle ou telle phase de projet (faisabilité, conception, exécution…) ou de tel ou tel composant projeté (enveloppe, structure, menuiserie…)14. L’avantage est un panel d’outils toujours plus adapté à la tâche à accomplir mais l’inconvénient est l’investissement temporel nécessaire à l’apprentissage, par l’architecte, de tous ces outils. Chez les débutants, une valorisation de la maîtrise du logiciel sur l’expérience de conception pratique semble aller à l’encontre du canon professionnel.
b) Enjeux planétaires et micro-échelles L’écologie, une politique du faire « Pour avoir la moindre prise sur le monde, intellectuellement parlant, ne nous faut-il pas aussi avoir un minimum de capacité d’agir matériellement sur lui ? » 15 Que ce soit en re-questionnant son propre travail ou, en tant que consommateur, en revalorisant celui des autres, les problématiques écologiques sont favorables à l’épanouissement de l’artisanat. En effet, l’artisanat représente cette connexion entre ressources limitées et forte valeur ajoutée. La prise de conscience du défi écologique a accéléré le processus d’un retour au faire en lui donnant un dessein à très grande échelle. Pour reprendre le slogan de l’ADEME : Faisons-vite, ça chauffe ! « La valorisation de la pratique artisanale connaît une dernière pierre d’achoppement en étant souvent associée à une forme de conservatisme voire de réaction face à l’innovation. Il est important de noter que c’est un dénigrement identique qui va être opposé à certains courants de développement durable. »16 Hugues Jacquet, socio-historien 59
Le goût de la matière première et des circuits courts Si les néo-artisans ont souvent des revendications écologiques et pensent « par la matière, retrouver le monde »17, les architectes ne sont pas en reste. Filières courtes, réemploi, réinvestissement des matières « vernaculaires », constituent le vocabulaire partagé des jeunes praticiens comme des figures les plus célèbres de la profession. Prenons pour exemple la dernière réalisation des Suisses Herzog et De Meuron pour Ricola, La Maison des Plantes. Avec une matière première symbolique -la terre- et un chantier ultra-localisé -les matériaux ont été extraits dans un rayon de 8 à 10 km autour du projetles architectes suivent le mouvement « écologique ». Par-delà l’effet de communication que peut représenter « la plus grande construction en pisé d’Europe », le recours à Martin Rauch, céramiste et sculpteur de formation, en tant que consultant-artisan nous paraît important à signaler18. Il montre que l’usage du matériau n’est pas suffisant en soit et marque la nécessité de faire appel à un savoir-faire éprouvé. Pour d’autres architectes, qui ne portent pas autant d’expérience du chantier, nous apercevons peut-être une solution au sentiment d’illégitimité à diriger ce type d’ouvrage technique, par le redéploiement du maître-artisan en tant que médiateur.
c) Corporation et atelier: des éléments artisanaux à réinvestir ?
Les limites de la corporation Il convient d’abord de mettre en garde quand au sens des mots qui seront employés ici et notamment de préciser que c’est la corporation qui fera l’objet de l’étude et non le corporatisme, trop rapidement assimilable aux régimes autoritaires. Malgré quelques occurrences remarquées du terme « néo-corporatisme », sa définition semble trop imprécise pour en risquer
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l’emploi. Nous traitons donc de la corporation en tant qu’organisation sociale regroupant les membres d’une même profession, contrôlant la formation et la défense de ses membres ainsi que la promotion de leur profession. Le sociologue Emile Durkheim distingue également cette réunion d’individus par son caractère non artificiel. « Il ne s’agit pas de savoir si l’institution médiévale peut convenir identiquement à nos sociétés contemporaines, mais si les besoins auxquels elle répondait ne sont pas de tous les temps, quoiqu’elle ne doivent, pour y satisfaire, se transformer selon les milieux »19 Emile Durkheim Dans la bouche des reconvertis, la corporation peut être assimilée à la fraternité, avec elle, on sait que l’on appartient à quelque chose.20 Cette appartenance à un collectif semble bien plus complexe à obtenir dans l’entreprenariat ou le salariat. Bien qu’elle puisse se faire par le biais du syndicat, celui-ci ne possède pas le caractère intemporel, éthique et « résistant aux motifs personnels » de la corporation, « qui existera avant et après nous »21 et revendique une culture propre. Si aujourd’hui le terme semble désuet et a été substitué dans le langage officiel par celui de « fédération », les artisans eux-mêmes continuent d’identifier leur « coterie » ou corporation qui offre une légitimité de leur groupe social malgré la dispersion et le caractère indépendant de ses membres. L’Ordre des architectes revendique les mêmes missions que la corporation : protection du titre, respect de la déontologie, représentation de ses membres, organisation de la formation… Pourtant la critique énoncée par Marcel Lods (voir I.3) semble toujours partagée par de nombreux architectes et les jeunes diplômés peuvent se montrer réticents à s’investir – aussi financièrement- dans un organisme qui semble répondre à un exercice libéral de la profession alors même que celui-ci ne constitue plus ni majorité ni perspective. En dehors de la défense du titre et de la gestion des contentieux, c’est une sécurisation suffisante (et proactive) du milieu professionnel qui semble faire défaut. Cependant, n’est-il pas difficile d’organiser un ensemble 61
qui paraît si indéterminé que les architectes. On peut défendre le titre mais il ne faut pas que celui-ci se trouve un jour vide de sens. Si l’intemporalité du secteur de la construction ne fait aucun doute, les publications successives visant à sans cesse redéfinir ce qu’est la profession montrent qu’il n’en va pas de même de la permanence de l’architecte. Elément de réponse ou inquiétude supplémentaire, aujourd’hui être « architecte » semble souvent insuffisant. Quelles sont les qualités spécifiques du corps d’architecte ? « Désormais nombre d’architectes font accompagner leur titre d’un tiret suivi d’un autre qualificatif (urbaniste, paysagiste, coordonnateur…). Le titre est comme devenu double. Comme Janus, en pratique, il fait toujours valoir une compétence sur un premier versant et une qualité sur un second. […] Les architectes sont des individus que l’incomplétude du langage inclut dans un ensemble indéterminé. »22 Olivier Chadoin, docteur en sociologie
Vers l’atelier « Puisqu’il ne saurait exister de travail qualifié sans normes, ils est indéfiniment préférable que ces normes soient incarnées dans un être humain plutôt que dans un code pratique statique et sans vie ». Pour Richard Sennett, l’atelier spatialise le conflit moderne entre l’autonomie et l’autorité. L’intégration de la norme en tout ce qu’elle contient de tradition et d’expérience devient moins douloureuse qu’elle se fait dans une relation de face-à-face à un pair dont on reconnait la supériorité de la connaissance. Voilà la raison première qui fait préférer l’atelier au bureau et accepter « le déclassement »23 à des cadres en recherche de sens. Là où normes et procédures sont synonymes de contraintes extrinsèques dans le secteur tertiaire, elles peuvent au contraire conduire, dans l’atelier, à la valorisation personnelle, empruntant les noms de respect de la matière et soumission au savoir. 62
« Un atelier est un espace productif dans lequel les gens traitent face à face des problèmes d’autorité. Cette définition austère se focalise non seulement sur qui commande et qui obéit au travail, mais aussi sur les compétences comme source de légitimité du commandement et de dignité de l’obéissance. »24 Richard Sennett, sociologue et historien La récompense sociale qu’entraîne l’installation dans un atelier constitue un second motif de fuite pour les bureaucrates. Alors que rien ne paraît plus semblable que deux employés de bureaux, la figure de l’artisan dans son atelier est avant tout une figure intégrée socialement (le boulanger, le cordonnier, le menuisier…) et qui fait preuve de sa nécessité. Dans l’acceptation collective, la vocation de service d’un atelier est supérieure à sa fonction productive. L’artisan répond à l’immédiateté de sa clientèle et n’est pas dans la prospection des consommateurs, faisant intervenir une notion d’échelle. « Socialement, être le propriétaire d’un atelier de réparation de motos dans une petite ville me gratifie d’un sentiment que je n’avais jamais eu auparavant.»25 Matthew B. Crawford, docteur en philosophie et mécanicien motos De nombreux architectes nomment leurs espaces de travail « ateliers d’architecture », pour autant, au moins en France, le recours à un architecte pour la construction n’est pas aussi logique que celui à un boulanger pour le façonnage du pain. Pour Renzo Piano « Le métier [d’architecte] est un métier de service, parce que l’architecture est d’abord un service »26. Or, l’architecte est aujourd’hui perçu soit comme une contrainte soit comme un luxe. On limite aussi son rôle à l’élaboration du plan alors que l’on n’achète pas l’idée d’une baguette. Peut-être que, dans la production de logements –la plus proche de la notion de quotidienneté- le seuil de recours à un architecte de 150 m2 éloigne celui-ci du client pour le rapprocher du « panel consommateurs » connu des promoteurs. Cependant, dans la crise professionnelle actuelle, le choix du terme « d’atelier d’architecture» n’a rien d’anodin. 63
Privilégier « atelier » à « agence », c’est affirmer une posture professionnelle différente. Prenons pour exemples : Construire, atelier d’architecture (Patrick Bouchain), Atelier d’Architecture Autogéré ou encore Renzo Piano Building Workshop. Cette volonté de redonner un visage à l’architecte peut également se retrouver dans l’établissement florissant des maisons de projets et parmi les revendications de nombreux collectifs d’architecture qui rapprochent physiquement leurs ateliers des lieux de construction. Ces démarches favorisent une vision de l’architecte comme celle d’un acteur de la permanence plutôt que d’un interlocuteur de l’exception.
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2. Le dialogue (dualité) a) Dualité moi/moi : la tête et la main « Quel est ce privilège ? Pourquoi l’organe muet et aveugle nous parle-t-il avec tant de force persuasive ? C’est qu’il est un des plus originaux, un des plus différenciés, comme les formes supérieures de la vie » Henri Focillon, Eloge de la main27
Le travail manuel est une mystérieuse source de plaisir et la maîtrise habile de ce merveilleux outil physique constitue la valorisation première du corps de l’artisan. Car, même quand la précision de l’homme atteint son paroxysme, il semble toujours demeurer, dans l’objet artisanal, une trace de cette main. C’est que la main n’est pas isolée de la pensée, les signes du travail manuel sont incarnés, à condition que l’homme qui en est la cause n’ait pas ravalé son labeur au même niveau que le travail mécanique. C’est la distinction que John Ruskin fait entre le travail manuel vivant ou mort28. La main se forme, donne forme, elle se lie à la pensée sans lui être totalement subordonnée. Abordons le dialogue interne : de la tête à la main, de la main à la tête. Engagement du corps La reconnaissance du travail manuel a oscillé au cours du temps, plus constamment a été valorisé son résultat : l’image du corps physique en activité, robuste et énergique. Cependant notre iconographie collective semble nier, dans cette action, « la lueur d’intelligence qui brille dans un regard, celle du lien entre la main et le cerveau ».29 Or, pour Richard 65
Sennett, il n’y a nul doute qu’il entre dans le faire une part de réflexion et de sensibilité.30 Les discours des néo-artisans abondent en ce sens, ils jugent souvent leur nouvelle activité manuelle plus captivante d’un point de vue intellectuel.31 Bien qu’il soit possible que cela soit une conséquence due au modèle actuel de valorisation de la pensée -qu’ils ont connu dans leurs précédentes activités et auraient transféré dans leur nouvelle profession- cela paraît contestable en ce que la production artisanale n’a pas cessé d’évoluer quand bien même il n’existe aucune séparation entre le sujet qui conçoit et celui qui exécute. Pour l’architecte, le travail de la main prend forme dans la réalisation du dessin ; « Les dessins ne sont pas de simples produits finis : ils sont une part du processus de réflexion de la conception architecturale. Le dessin exprime l’interaction de votre pensée, vos yeux et vos mains »32 Michael Graves Selon Michael Graves, l’architecture ne peut se séparer du dessin manuel car celui-ci ne représente pas un produit fini (qui serait alors visuellement plus perfectionné, plus précis, s’il était réalisé numériquement) mais un signe matériel de la pensée de l’architecte. Contrairement aux représentations de la CAO, le dessin manuel contiendrait des signes des allers-retours entre pensée et main : des ratures, des taches, des traits de différentes natures, qui donnent un accès immédiat au fil de la réflexion et permettent de visualiser concomitamment les différentes propositions et évolutions. Si ici c’est la tête qui semble communiquer avec la main, le trajet peut s’effectuer dans l’autre sens. Combien d’architectes, avant toute projection, se rendent sur le site ou en extraient des plans afin de le reproduire et « l’avoir dans la main » ? Le dessin répété permet de créer un lien actif de connaissance avec l’objet, à l’inverse, l’importation du site sur l’espace numérisé laisserait à l’ordinateur le soin de « réengendrer l’objet pour nous »33, il se loge en dehors de notre pensée.
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En appui à cela, des études menées sur les effets cognitif du dessin confortent l’idée selon laquelle « coucher une idée sur le papier augmente la capacité de la mémoire de travail, ce qui permet de garder différentes options et variations graphiques à l’esprit. » Le geste physique, lié à la mémoire, « favorise la formation de souvenirs à long terme. »34 Dimensionnement La main est l’outil intégré du corps humain, elle donne l’échelle de la création artisanale mais intègre aussi, par la mesure commune, celle de la préhension du récepteur de l’objet. Nous distinguons ici échelle et taille, la taille d’affichage de l’écran peut-être infiniment modifiée sur un dessin identique alors que l’échelle fixe un niveau d’appréhension de l’espace et du détail. Cela peut expliquer pourquoi, malgré l’outil informatique, les agences d’architecture ont toujours recours aux impressions pendant la phase de conception mais aussi, dans un autre registre, le succès récent des représentations de style « collage » qui permettent d’isoler des éléments choisis de l’architecture pour comprendre leur impact dans l’espace. Selon Juhani Pallasmaa, architecte finlandais, « alors que la tête est plutôt le siège des idées conceptuelles […] la main enregistre et mesure la pulsion de la réalité vécue. »35 L’auteur nous invite d’un même mouvement à prêter une attention particulière aux éléments préhensibles du projet, comme la poignée de porte, qui seront les éléments de contact privilégiés entre architecte, architecture et habitant. Incomplétude Il ne s’agirait néanmoins pas de condamner le recours des architectes aux outils numériques. La conception assistée par ordinateur a fait ses preuves et paraît aujourd’hui indispensable dans certaines étapes du projet. 67
En ce sens, l’architecte Michael Graves distingue trois types de dessins : le croquis référentiel, l’étude préparatoire et le dessin définitif. « Le dernier, le plus développé des trois, est de nos jours universellement produit à l’ordinateur, et cela est approprié. »36 Cependant, au moins pour le dessin de « premier type », le recours à la main semble indispensable en ce qu’elle contient d’incertitudes. Dessiner à la main c’est à la fois faire le choix de ce qui sera représenté et laisser l’espace nécessaire à la spéculation et donc à l’imagination. Si les productions qui conservent le souvenir de leur fabrication nous séduisent, c’est parce qu’elles paraissent laisser plus d’espace à ce qui est imparfait et donc vivant. Il paraît opportun ici de semer la graine que nous ferons germer juste après, à savoir qu’il ne faut pas stigmatiser la production numérique, même dans les premières étapes du projet. Par exemple, « par lassitude des images clinquantes d’un futur idéalisé »37, de plus en plus d’agences se réapproprient l’axonométrie, la coupe perspective ou l’usage de la couleur pour « ouvrir le dialogue avec le constructeur, le client ou l’usager »37. Ces représentations peuvent être réalisées à l’ordinateur mais, en préférant l’aspérité, la profusion des éléments ou au contraire l’utilisation des symboles, elles conservent l’état d’incertitude du dessin à main levée. Il y a médiation de l’outil, mais celui-ci n’est pas déterminant, ces images auraient peut-être pu être produites à la main mais, avec certitude, elles relèvent déjà d’un caractère artisanal.
b) Dualité moi/l’objet : l’outil et le matériel
La médiation de l’outil L’outil spécifique est une caractéristique fondamentale de l’imaginaire artisan : la truelle du maçon, la bédane de l’ébéniste, la canne 68
du verrier, constituent de véritables symboles. Revenons alors à l’usage de l’outil informatique qui, quand il est détourné ou maîtrisé, peut devenir un outil artisanal. Il semblerait que, dans la production digitale, l’artisanat fasse référence aux conditions dans lesquelles on applique une technologie standard pour un résultat que l’on n’a pas anticipé ou inhabituel.38 « L’intégration des nouvelles technologies peut être accueillie comme une percée au service de l’innovation si elle est considérée comme un « outil d’artisanat » ou peut être crainte car elle peut conduire à la routinisation si elle est jugée comme un « outil industriel » »39 Malcom McCullough, enseignant en architecture Cette redéfinition semble assez proche de la vision que Walter Gropius a des artisans, comme de légitimes créateurs d’outils pour l’industrialisation. Ce n’est pas le caractère vernaculaire de l’outil qui le rend appréciable, mais ses potentialités d’appropriation et de diffusion d’un système de valeurs. Malgré tout, il convient de se demander si la transformation progressive des ateliers d’architecture en espaces bureautiques génériques n’a pas participé à la perte d’identité de la profession. Si l’on devait définir le matériel symbolique de l’architecte, certainement aurions nous eu en tête le compas, la table à dessin et le meuble à plans. Le requestionnement des outils a récemment permis la résurgence de certains de ces attributs. Citons la réinterprétation contemporaine de la table d’architecte par l’atelier de Julien Boidot et Emilien Robin : un meuble en bois de 1,40 m de large par 7,7 m de long, « il fallait un bureau à la mesure des planches qu’ils crayonnent au stylo noir. »40 Un véritable meuble de métier. Rapport originel à l’objet et objet transitionnel Dans notre imagier impalpable, nous projetons un artisan ayant un rapport fort, voire d’identification, à l’objet de sa production. Cela fait 69
sens puisque c’est par ce produit qu’il se rend familier au monde, celuici lui dictant ses rapports instrumentaux aux autres objets et organisant ses échanges avec les hommes. Mais qu’en est-il, justement, de ces autres hommes ? Ceux qui jouissent des objets sans les fabriquer. Existe-t-il des mécanismes psychologiques qui organisent le rapport des hommes aux objets et leur attraction pour la créativité ? Dans l’ouvrage collectif Demain l’Artisanat ?, le psychiatre Patrick Guex émet l’hypothèse que la création s’inscrive dans le développement du processus de symbolisation chez l’être humain. Il évoque à ce sujet le psychanalyste anglais Donald Winnicott qui a beaucoup travaillé sur la notion d’objet transitionnel c’est à dire un objet qui est à la fois prolongation de soi et déjà représentation de l’autre (l’objet d’illustration retenu pour cette théorie est le doudou ou le bout de couverture de l’enfant au travers duquel il peut retrouver l’image de sa mère) puis de l’inconnu ou du monde c’est à-dire un accès progressif à la représentation, à la métaphorisation. « En utilisant le symbolisme, le petit enfant établit déjà une distinction nette entre le fantasme et le fait réel, entre les objets internes et les objets externes, entre la créativité primaire et la perception. […] Il me semble que l’objet transitionnel est justement ce que nous percevons du voyage qui marque la progression de l’enfant vers l’expérience vécue. »41 Donald Winnicott, pédopsychiatre et psychanalyste Nous sommes ici dans tout le processus de développement de l’enfant qui passe d’une perception essentiellement corporelle à une organisation de la pensée travaillant avec des représentations et qui devient «symbolisante» au fur et à mesure de sa maturation. Le même processus se manifeste dans le développement de l’humanité qui passe du marquage corporel, de l’inscription corporelle, du tatouage, à des objets plus symboliques comme la crosse, la couronne puis par une intériorisation progressive des règles et structures de la famille et de la société. La théorie de l’objet transitionnel de Winnicott se présente comme une porte d’entrée. Il est ainsi possible de faire un lien entre l’objet transitionnel et l’objet créé ou construit. Aussi, sous 70
certains de ses aspects « l’artisanat est certainement un espace transitionnel susceptible d’offrir un modèle d’articulation entre soi et un monde qui nous dépasse.»42
Un sens qui transcende l’objet Il semble facile de se fondre dans le processus de production qui, de par sa pure matérialité, offre un rapport simple aux choses et permet ainsi de contrer un peu l’environnement moderne et ses nombreuses incertitudes. Il suffit d’observer l’essor du phénomène Do it Yourself pour s’en persuader. Mais, même produit par un autre, l’objet artisanal reste très investi, il est capable de représenter ce que j’aurais pu faire, ce que je n’ai pas le temps de faire. Difficile de vérifier leurs dires mais, les néo-artisans, pensent trouver leur clientèle parmi des personnes qui partagent les mêmes aspirations qu’eux et les mettent en pratique dans leur consommation43. « La consommation est une façon de revendiquer un effet tangible de nos choix, de produire quelque chose de nouveau et de différent dans nos vies. Elle est aussi pour les individus une manière essentielle de jouir de la créativité et des efforts d’autrui […] »44 Matthew B. Crawford
c) Dualité moi/l’autre ; aspect social
Le réseau social plutôt que l’administration Sur le quai du métro, dans son costume noir, Gautier, employé de banque, est éteint. Autour de lui ils sont des centaines à lui ressembler sans 71
pour autant qu’aucun d’entre eux ne considère être lié à un autre. Gautier se sent mal à l’aise dans cette masse à laquelle il refuse de s’identifier. Pour « se réaliser personnellement », il part à la recherche d’une petite structure. Il deviendra épicier.45 A la fois s’affirmer en tant qu’individu et s’inscrire dans un réseau social, c’est la promesse des petites structures artisanales qui, de par leurs similitudes au cadre familial, entraînent un sentiment de stabilité46. Comme le maître charpentier offre, pour son apprenti, un visage à la normativité, l’entreprise artisanale donne une forme rassurante aux échanges commerciaux. Les clients sont identifiés et individualisés, de même que les acteurs du cycle de production des produits. Etonnamment, cette conjonction est tout à fait en adéquation aux nécessités d’adaptabilité promues aujourd’hui, sans avoir l’impression de se les voir imposer par une hiérarchie. Selon la chercheuse Sophie Boutillier, « c’est par le biais de réseaux sociaux, souvent informels, que [l’entrepreneur artisan] s’adapte en l’absence de l’organisation administrée propre à la grande entreprise. »47
Le fantasme d’un déjeuner sur le chantier Selon Matthew B . Crawford, « on ne sera guère surpris de constater que c’est dans les environnements de bureau qu’on a vu naître la codification du discours politiquement correct »48 A cette régulation du discours, s’oppose le chantier de construction. Sur ce chantier, chacun a mobilisé sa capacité de travail dans une production visible et laissée libre aux jugements de ses camarades. Cela pourrait permettre, a priori, un dialogue plus simple -ou plus franc- entre les différents acteurs du bâtiment. Chaque tâche n’a pas de sens isolément mais prend son sens dans la complétude de l’édifice et ce sont les mêmes critères qui permettront d’apprécier la compétence de chacun, de façon quasi binaire (un travail bien ou mal réalisé). Reconnaissance sociale et qualité technique se lient. Pour Crawford, cela expliquerait pourquoi le langage apparaitrait plus libéré sur le chantier puisque : « la où il existe un vrai travail à accomplir, l’ordre des choses n’est plus aussi fragile »49 72
Un optimisme à nuancer par les observations du sociologue Darren Thiel qui « a trouvé des ouvriers tout aussi démoralisés [que des employés de bureau] sur de nombreux chantiers britanniques. Dans l’économie de marché britannique, le secteur du bâtiment souffre d’une faible productivité ; ses employés sont mal considérés, voire ignorés ; l’initiative sur le terrain est déléguée »50. Si l’architecte n’est pas seul responsable de la normalisation des responsabilités qui empêche l’expression de l’initiative à toutes les phases du processus constructif, il peut néanmoins chercher cette posture visant à faire du chantier une phase de co-création. Ce qui, du même coup, réduirait l’émiettement de ses propres responsabilités. Cela peut s’illustrer par une plus grande présence sur le chantier ou par l’établissement d’une relation de confiance, donc personnalisée, entre le maître d’œuvre et les exécutants.
Apports de la relation sociale discursive « Quand l’activité du fabriquant (ou du réparateur) s’inscrit de façon immédiate dans une communauté d’usages, elle peut être enrichie par ce type de perception. Dans ces conditions, le caractère social du travail n’est pas séparé de ses normes intrinsèques ou de son aspect technique ; le travail s’améliore par le biais des relations à autrui »51 Richard Sennett La « communauté d’usages » se traduit assez particulièrement pour l’architecte : ce sont les habitants qui en sont les maîtres. Pourtant, dans la plupart de ses implications dans le domaine du logement, l’architecte n’a pas l’occasion de nouer le dialogue avec eux. Les « consultations habitantes » semblant plutôt s’apparenter à de la démagogie ou du dégagement, qui, au mieux, prendront forme dans un programme rédigé. La rencontre n’a pas lieu52. Certes les administrateurs de la profession, l’Ordre, semblent
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avoir en partie considéré cette carence en instaurant des « Journées Portes Ouvertes », durant lesquelles les usagers sont invités à redécouvrir l’agence d’architecture comme le lieu d’un service de proximité. Il s’agit pour l’usager d’ « un moment idéal pour venir parler de [ses] projets, pour en savoir plus sur le métier, ou tout simplement pour faire connaissance »53. Mais cette réponse nous paraît incomplète, on invite l’architecte à « faire connaître ses compétences, montrer son savoir-faire, ses références, partager ses expériences avec l’ensemble des partenaires de l’acte de bâtir »54, cette découverte n’est-elle pas monodirectionnelle ? Bien entendu, s’enrichir de la relation sociale à l’usager ne peut se faire en deux jours. Aujourd’hui des permanences d’architecture s’organisent et l’opportunité s’ouvre d’un investissement humain qui s’inscrit dans la longue durée, soit dans une autre partie de ce mémoire.
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3. Le temps « Opposé à l’image d’un présent senti et décrit comme un moment de tristesse et de déchéance, se dresse l’absolu d’un passé de plénitude et de lumière »55 Raoul Girardet Dans son ouvrage Mythes et mythologies politiques, Raoul Girardet développe le concept d’ « âge d’or », que l’on ne peut dater mais qui situe toujours un temps meilleur, celui de l’innocence et du bonheur, toujours plus en avant. Reprenant les motifs des idylles pastorales, ce passé serait d’une période bien antérieure à l’industrie, où le contact immédiat de la terre aurait permis à l’homme d’accéder aux deux valeurs essentielles : la pureté et la solidarité. Ce mythe se fonde sur une opposition entre passé idéal et décadence contemporaine, il est donc de toutes les époques. C’est une fuite hors d’un présent qui advient lorsque les évolutions économiques et sociales se précipitent. Acceptons ici la double nostalgie d’un passé individuel ou d’un temps de l’histoire, puisqu’elle semble être un ressort humain naturel et ne saurait être ignorée pour ce que certains en ont trouvé d’opérativité. Dégageonsnous toutefois de ces visées politiques, de ces comparaisons qui peuvent sembler des prescriptions et auxquelles nous ne souhaitons pas nous livrer. La notion de temps est dangereuse mais ne saurait être évitée.
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a) Temps de formation et temps de conception Délaissement de l’apprentissage répétitif Comme la maîtrise d’un instrument de musique s’acquiert dans la répétition incessante du mouvement des doigts sur les touches ou les cordes, le savoir-faire artisanal trouve son origine dans l’inlassable rythme qu’il applique à sa discipline. La créativité n’est qu’un second temps de la pratique et se découvre dans les faibles variations qu’est capable d’imposer l’homme agile à sa matière. Aussi, puisqu’au départ cette matière est –peu ou prou- toujours la même, l’apprenti ne peut pas trouver en elle de distraction, l’excitation qui doit mouvoir la main ne peut être qu’interne. Pour ne que pas faire rimer répétitivité et passivité. Un certain éloge de la lenteur se lie à l’image de l’artisan et le distingue peut-être de l’artiste. En effet, l’immédiateté d’une œuvre d’art n’en amoindrit pas sa valeur. Au contraire on attend des objets artisanaux, même les plus simples, qu’ils soient des transmetteurs du temps passé à l’exercice du savoir-faire, qu’ils ne puissent être reproduits par n’importe quel entrepreneur. Or aujourd’hui, les professions les plus valorisées sont « celles qui reposent sur un savoir de type universel », un savoir de l’écrit, quantifiable par la variété des sujets, des sources. Les métiers qui mettent en activité la main sont jugés moins stimulants, voire dégradants -sauf s’ils s’appliquent à des disciplines hautement valorisées telles que la musique ou l’industrie du luxe-. Ces considérations ne sont pas sans conséquence sur la formation, les métiers techniques étant considérés comme des « voies de garage », la manière dont ceux-ci sont enseignés est de fait perçue comme inférieure. Selon Matthew B. Crawford, ce surinvestissement des professions intellectuelles supérieures est dangereux, en ce que leur « savoir livresque se dissémine dans l’économie mondiale » ce qui les rend sensibles à la concurrence internationale. Au contraire, le savoir-faire pratique « est 76
toujours lié à l’expérience d’un individu spécifique », il ne peut pas être « téléchargé ».56 Cette observation est à mettre en lien avec la notion de secret associée à l’artisanat : le secret de l’atelier, le secret de la corporation..., à opposer aux recettes, appliquées par l’industrie. La portée des propos de Richard Sennett nous parait néanmoins à la fois plus importante et plus nuancée, en ce qu’elle ne se lie à aucune opérativité, à aucun type de métier, mais s’attache plutôt aux processus, à la formation ; « L’éducation moderne a peur de l’apprentissage répétitif, qu’elle juge abrutissant. Craignant de lasser les enfants, avide d’offrir une stimulation sans cesse différente, l’enseignant éclairé peut bien éviter la routine, mais cela prive ses élèves d’une expérience : étudier leur pratique enracinée et la moduler de l’intérieur. »57 Richard Sennett Cette « pratique enracinée », pour les architectes, a historiquement été le dessin. Comprendre l’environnement bâti par le croquis d’observation, trouver la juste proportion des éléments grâce à une élévation, modeler les volumes sous l’ombre et le lavis. Il ne fait nul doute que la pratique intensive du dessin ait pu avoir un impact positif sur les créations architecturales. Puisque les représentations graphiques produites manuellement demandent un très grand investissement de temps, elles ne peuvent être multipliées à l’infini. Le point de vue doit ainsi être soigneusement choisi et celui qui le réalise doit être capable de combler les incomplétudes de sa représentation par ce que Juhanni Pallasmaa appelle des « images mentales ».58
Il faut par ailleurs prendre en compte un aspect qui nous paraît essentiel, le dessin d’architecture n’est pas l’égal de la commode de 77
l’ébéniste, il ne constitue pas une finalité en soi.59 Par ailleurs le métier d’architecte doit parfois accepter le provisoire des préceptes ou les « soubresauts dictés par les circonstances »60, car il ne peut se défaire d’une certaine dépendance à son environnement matériel ou culturel.61 Si la répétition paraît un formidable processus d’appropriation de l’outil et d’introversion de ses possibilités, elle ne saurait être l’unique leçon du mode de formation artisan.
Eloge de l’expérience en école d’architecture La formation d’un apprenti artisan et celle d’un étudiant en architecture se distinguent par leur mode de découpage du temps. L’école d’architecture favorise l’apprentissage premier du « tout théorique » puis, dans un second temps, projette l’étudiant dans un « tout pratique ». Dans l’artisanat au contraire, l’insertion professionnelle est très rapide et simultanée aux études, le modèle de l’apprentissage est favorisé et pour quelques élus, le compagnonnage et son voyage. L’enseignement de l’architecture s’est presque construit sur cette séparation de la théorie et de la pratique et le système LMD a donné des limites plus franches au temps accordé à la formation des architectes. Les cours plus techniques ou les expérimentations s’inscrivent dans les mêmes ordres de durée que les cours théoriques. Quand aux enseignements les plus professionnalisants de l’enseignement, ils sont délégués en dehors de diplôme, lors de l’habilitation à la maîtrise d’œuvre. Pourtant, il suffit de voir l’engouement pour les workshops de construction au sein des écoles, le succès critique des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau ou encore le nombre d’étudiants sans cesse plus nombreux à accorder une partie de leurs étés à des chantiers. Une échelle plus proche de la réalité de l’exercice et un temps d’immersion plus long semblent faire la réussite des festivals tels que Bellastock ; 78
« Nous sommes tout simplement partis du constat d’un manque de rapport au réel dans l’enseignement des écoles d’architecture [...] Nous proposons aux étudiants de se confronter au terrain, de sortir un peu d’Autocad pour revenir à la matière et faire des allers-retours entre des expériences construites et des expériences vécues. »62 Est-ce sous l’effet des marronniers des revues d’architecture qui se demandaient que faire de ces étudiants en dehors des réalités –et, comble, trop numérisés !-, par l’action des revendications étudiantes ou, tout simplement parce qu’il fallait du temps ; force est de constater que la notion d’expérience en lien avec celle de temporalité, est sur la voie de la réintégration. La revalorisation de l’année de césure et la possibilité d’effectuer un stage en alternance participent de cela.
b) Temps d’exécution
« Introversion personnelle excessive » Dans la pratique professionnelle, « s’impliquer profondément dans le but d’obtenir un résultat satisfaisant » s’est confondu à un terme de manager « l’introversion personnelle excessive »63. Aujourd’hui le temps devient même une unité de mesure, en plaçant sur l’axe des ordonnées la valeur ajoutée, si le ratio entre les deux est trop mauvais, l’étape est supprimée de la chaîne de travail –c’est la théorie du Lean Management, qui promet d’éviter les gaspillages64-. Mais comment mesurer la valeur ajoutée et distinguer l’utile de l’inutile ? Le « surplus » de temps accordé à une tâche ne peut-il pas justement faire augmenter sa valeur ? La confrontation de l’étudiant en architecture aux « réalités » de l’exercice de la profession peut être déroutante puisque la pure conception –celle à laquelle il accorde tout 79
son temps à l’école, la plus mise en avant par le système d’enseignementn’occupe pas une place si majoritaire dans l’agenda des professionnels.
Ne pas s’abandonner à la productivité L’émiettement des tâches de l’architecte s’est fait en faveur de la spécialisation qui elle-même dérive de l’amélioration de la productivité. Si l’artisan attire, c’est qu’il se dégage de ce système productif, la faible quantité des ouvrages produits est compensée par un coût supérieur du produit fini. Richard Sennett donne des valeurs humaines à cette attitude à la fois de négligence et d’investissement du temps. « Le menuisier pourrait vendre plus de meubles s’il travaillait plus vite [..] Dans la vie, il n’est pas nécessaire d’être scrupuleux pour s’en sortir. L’artisan illustre la condition humaine particulière de l’engagement. S’engager pratiquement, mais pas nécessairement de manière instrumentale »65 Richard Sennett Quand Carmen Santana, fondatrice de l’agence d’Archikubik, dit « revendiquer l’échelle artisanale de la production »66, elle ne signifie pas son désir de construire moins ou plus cher, elle invite à un engagement de l’architecte pareil à celui de l’artisan « tout au long du projet ». Cela parait certainement anodin mais, dans la multiplication des normes et des acteurs du projet, assurer un investissement constant, ne pas se disperser, peut relever de la résistance. Ne pas s’abandonner à la productivité, cela pourrait être le crédo des architectes Ibos & Vitart –treize projets construits en trente ans- ; pour ne pas se trahir, mais, et c’est bien là tout l’enjeu, pour « ne pas faire l’impasse sur la satisfaction du travail abouti »67.
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La permanence de l’architecte ; et le chantier ? Il y a la jouissance de la conception, la satisfaction de la réalisation et, dans l’interstice de ces deux sentiments, le temps du chantier. Retrouvons ici notre mythe tout à fait professionnel de l’âge d’or, dans la description, par Giulio Carlo Argan, de Francesco Borromini sur le chantier : « Le dit François lui-même, dirige la truelle du maçon, la spatule du strucateur, la scie du menuisier, le ciseau du tailleur de pierres, le marteau du carreleur et la lime du forgeron ».68 Une image d’un chantier qui, véritablement, « prolonge le geste du projet ». Cependant il paraît impossible de réaliser cette vision, d’une part parce que l’architecte ne peut se substituer à tous les ouvriers et artisans, d’autre part parce que cela paraitrait réducteur pour eux qu’il le fasse. Il y a pourtant une aspiration, ne pas se retrouver dépossédé de son projet au moment de la construction ; que le bien faire ne soit pas la conformité aux normes, mais celle au bel ouvrage. Prenant pour exemple l’incrémentalisme de Lucien Kroll –dès qu’une chose est faite elle influe sur la pensée suivante- Patrick Bouchain invite à une réinterprétation du dessin au moment du chantier qui, selon lui, est une « phase complètement abandonnée ».69 Par la transformation du type de la cabane de chantier, l’architecte donne une place à chacun des acteurs (maître d’œuvre, entreprises, ouvriers, mais aussi habitants) et permet leur expression sur la durée ; « Regarder dans le rétroviseur avant de passer à la chose suivante ; ralentir un peu les choses pour se remettre dans un temps long, dans un temps expérimental ou l’acte ouvre la critique et la critique permet à la pensée de clarifier son point de vue. Le non-voulu c’est la création ; non voulue mais désirée. »70 Patrick Bouchain L’histoire ne dit pas si les artisans associés à Patrick Bouchain reviennent, tels ceux de Lucien Kroll, montrer fièrement le résultat de leur labeur à leur famille. Mais nous pouvons vraisemblablement présager qu’une telle attitude réhabilite tous les acteurs du chantier, en transcendant 81
leur simple statut d’exécutant. Peut-être moins social dans la forme, mais plus technique, nous trouvons une certaine parenté de fond dans les propos de Renzo Piano qui invite l’architecte à faire des essais sur le terrain avant de trancher la solution définitive71 et, par là même, reconnait la valeur intrinsèque de l’acte de construire.
c) Temps d’une carrière
Explique-moi concrètement ce que tu fais Dans son ouvrage La révolte des premiers de la classe, Jean-Laurent Cassely propose un test ironiquement intitulé « Exercez-vous un métier à la con ? »72. La première question demande d’indiquer combien de mots seraient nécessaires pour expliquer [son] métier à un profane (1 à 2, 3 à 4 ou 5 et +). Alors, combien de mots pour définir architecte ? Il existe un décalage entre un métier connu de tous et la difficulté répétée à le définir. L’architecture reste énigmatique pour la plupart des gens. Or, plus le grand public est capable d’identifier rapidement le rôle d’une profession, plus celle-ci paraît pérenne. Rassurons-nous tout de même, dans la catégorie des tests, celui intitulé Allez-vous être remplacé par un robot ? qui suit une étude de deux chercheurs de l’Université d’Oxford, Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, place le taux de remplaçabilité d’un architecte à 0,01 %. Ce n’est pas tant la possibilité d’effacement de la profession qui inquiète que la place qui lui est accordée dans la société civile.
Entrain d’une jeunesse Les figures les plus « artisanales » que l’on trouve chez de jeunes architectes se diluent souvent avec le temps. Une illustration en a déjà été 82
esquissée en première partie de cette étude ; par l’exemple d’une production double de William Morris –artisanale mais aussi, pour satisfaire la demande, industrialisée-, ou encore celui de The Architects’ Collaborative qui, malgré les ambitions de Walter Gropius, fini par se confondre parmi les autres firmes technocratiques américaines. Quand à Manfredo Tafuri, bien que sa position d’historien l’ait presque laissé à l’abri, son implication pratique tardive dans la restauration d’un palais de Mantoue le contraindra à un certain retour à la pensée pragmatique et au refoulement de sa distance critique. Il ne faudrait pas lire ici un fatalisme absolu, il est tout à fait acceptable que les impulsions sincères s’achoppent quelque peu aux réalités et, si elle devait être linéaire, l’expérience professionnelle ne saurait s’appeler carrière. En prenant le contre-pied de cet apparent désenchantement, il est possible d’imaginer que le véritable moment de crise se joue plutôt chez le jeune diplômé qui, n’étant pas encore armé pour supporter l’indéfinition, part à la recherche des outils de son artisanat d’architecte. Considérons que la déconnexion complète entre environnement formatif et milieu professionnel retarde la constitution du réseau de l’aspirantarchitecte, cela peut le rendre plus enclin à « mettre la main à la pâte ». Il trouvera ainsi l’occasion de traiter directement avec la matière, élément qui lui est très souvent inconnu dans son expérience physique. Enfin, disposant de beaucoup de temps et de peu de moyens, les conditions seront idéales à l’apprentissage d’un savoir-faire mécanique ou à l’observation prolongée de ses futures conditions d’exercice73. Cette première posture professionnelle, pourrait alors être considérée comme un engagement dans une formation plus longue, à la fois officieuse et nécessaire. Reprenons l’exemple de « Bellastock », une association créée en 2006 par trois élèves de l’ENSA Paris-Belleville ; originellement, elle animait un festival d’architecture ayant pour objectif, par la création d’une ville éphémère, de satisfaire l’appétit des étudiants pour le faire et de sensibiliser aux problématiques écologiques de réemploi. Victime de son succès, 83
l’association se voit par la suite contrainte de sélectionner ceux qui pourront participer à ses chantiers. Puisque l’initiative plait et génère de la demande, le modèle de Bellastock se transforme en label à l’échelle internationale, que d’autres écoles peuvent accommoder à leurs propres évènements. Aujourd’hui, consciente de l’expérience acquise par une dizaine d’années de festivals de construction, l’association propose le rôle d’expert auprès de la maîtrise d’ouvrage pour les questions touchant au réemploi et aux stratégies urbaines. L’expérimentation étudiante s’est professionnalisée, par elle, ses acteurs ont trouvé la légitimité.
Une utopie ? « L’architecture s’attache au travail artisanal tout en sachant qu’elle ne peut pas s’y réaliser. Nous pouvons dire que la condition artisanale est l’utopie du travail architectural.»74 Giorgio Grassi, architecte Il semble entendu que tous les caractères de l’artisan et de l’architecte ne peuvent être confondus sans une inadaptation de ceux-ci à leurs environnements et leurs échelles d’action. Néanmoins l’attrait de la figure artisanale ne détermine pas la volonté d’adhérence à celle-ci. En dégageant les principales «valeurs» qui caractérisent cette profession, nous soulevons des aspects de l’être architecte dans sa sensibilité humaine et sa culture professionnelle. Il devient alors possible de juger de leur réinvestissement en d’autres lieux, plus adaptés aux nécessités de l’architecte. Il ne s’agira pas de toutes les satisfaire mais, pour celui qui en ressent le besoin, de trouver l’équilibre du sens de son travail malgré les indéterminations de sa profession, voire en se servant d’elles. Etudions alors quelques exemples, abraits en figures, qui nous semblent incarner ces positions, s’ancrer dans le milieu, se révéler dans le dialogue, s’épanouir dans le temps.
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Partie III Des postures porteuses de sens : prendre le temps de dialoguer avec un milieu professionnel pas si unifiĂŠ
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Collectif (d’architectes) :
1. Les collectifs d’architectes
groupement de professionnels désirant conjuguer leurs forces pour mener une pratique plus proche de leurs aspirations, en dehors de « l’idéaltype » du métier. Il intègre généralement divers spécialistes (urbanistes, paysagistes, artisans, graphistes…) selon une organisation horizontale pour pouvoir dépasser les
(ou collectifs d’architecture) constituent un sujet d’étude intéressant en ce qu’ils apparaissent comme une réponse immédiate pour des étudiants peu sûrs de leur formation en sortant de l’école et, en même temps, étonnamment certains que la vie en agence ne leur conviendra pas. Il s’agit alors de réunir des pairs (généralement des gens d’une même génération) afin de créer sa propre pratique, qui doit différer du système général de l’ «agence d’architecture» par plus de flexilité sur ses attributions.
Quel champs d’action ? Ces collectifs ont des intérêts multiples, certains favorisent les actions urbaines, la portée sociale de leurs interventions, et ont ainsi une réaction forte vis-à-vis du milieu qu’ils occupent. D’autres offrent plutôt des réponses à petite échelle, ils s’intéressent au rapport à la production, à la pratique et aux échanges avec les porteurs du savoir-faire. D’autres encore privilégient le voyage, pour exemple le « Détour de France » du collectif Etc., qui dresse des ponts entre les différents collectifs et s’inscrit dans un rôle de médiateur et diffuseur des pratiques alternatives. Bien entendu, tout cela peut se cumuler, il y a autant de pratiques que de collectifs. On pourrait ainsi très bien imaginer une structure qui fait du mobilier urbain en itinérance. Aussi, le collectif d’architecture c’est à la fois une réaction très claire au système en place et un champ d’action très vague. L’idée c’est de se mettre ensemble, l’acceptation est large. 86
Milieu
Milieu ? Dialogue ? Temps ? De par leur diversité les collectifs sont capables de satisfaire toutes les valeurs que nous avons pu prédéterminer. En gérant la plupart de leurs projets de manière autonome, par un travail « au bureau » réduit à son minimum, une forte présence du discours écologique et des circuits courts ; ils s’ancrent dans des milieux très définis qui dessinent souvent la base de leur travail. Ce qui leur vaudra par ailleurs la dénomination de « nouveaux architectes de la proximité » selon la revue AMC. Leur rapport à la main, aux objets et aux autres constitue le moteur de leurs actions, notamment par l’aspect « bricolage » qui est revendiqué comme qualité d’action et d’adaptation. La notion de temps est abordée de façon paradoxale, à la fois dans une sorte d’empressement à découvrir le métier et une volonté de permanence. Le collectif Etc. marque sa volonté de « chignole » parce que « Ce serait trop long, en agence, avant de pouvoir se confronter au réel », quand le collectif Saprophyte met en garde sur l’investissement du temps long : « Le travail in situ ne doit pas uniquement se faire pendant l’événement. Nous devons également être présents pour faire un bilan 87
Dialogue
Temps
Quelle structure ? Il s’agit d’essayer d’être co-solidaires et de ne pas s’imposer les conditions du salariat. Les intérêts partagés entre les membres permettent à ceux-ci de se réaliser sans attendre ou chercher une commande extérieure ; la rémunération ne constitue pas une motivation. Aussi la plupart de ces collectifs commencent sous la forme d’associations loi 1901, soit à but non lucratif. Un statut associatif qui interdit la maîtrise d’oeuvre, ce qui peut avoir une conséquence sur le développement du collectif. Si celui-ci ne bénéficie pas d’un régime particulier (comme l’association loi 2003 du collectif Etc. qui ne s’applique qu’à la région Alsace-Moselle) la structure a tendance à évoluer vers des statuts plus connus des agences d’architectures, tels que les SCOP (Saprophytes, 2017).
Le collectif d’architecture : Une réponse intuitive à mettre à l’épreuve du temps Le difficile choix d’un collectif
▲ 1. le collectif Ciguë, près de la
matériauthèque, en 2015 2. l’atelier de menuiserie à l’étage ▼ inférieur
Bien que ce ne soit pas forcément le collectif qui illustre le mieux l’ensemble de la vision des collectifs d’architecture, l’étude se portera sur les architectes de l’atelier « Ciguë ». Soit, ils n’ont pas cette inscription urbaine, ils savent plutôt se mettent dans de bonnes conditions de voisinage. Ils n’ont pas non plus cette vision sociale très affichée. Mais leurs motivations s’inscrivent dans le premier stade de rejet de l’activité telle qu’elle existe aujourd’hui : de manière très personnelle. Le collectif réside tout de même dans l’installation à 6, sans hiérarchie et sans référent et dans l’attachement au terme malgré les croissances successives de cet atelier d’architecture. Celui-ci a désormais dix ans, ce qui laisse le temps d’une certaine prise de recul. Il est –ou a été- au plus proche de l’acceptation d’architectes-artisans.
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« Ils sont six : Hugo Haas, Camille Bénard, Guillem Renard, Alphonse Sarthout, Erwan Lévêque et Andrian Hunfalvay et tiennent plus du groupe de rock tendance Neil Young période Harvest que du cabinet d’architectes. Ils se sont rencontrés à Paris-La-Villette, sur la construction d’une maquette de Beaubourg.1 C’est à la faveur de cet atelier que six élèves de la même promotion se sont trouvés. Ils goûtent à cette énergie née de l’émulation commune et apprécient la confrontation d’idées d’où naissent des solutions, synthèses et des contributions individuelles. Bientôt, avant la fin de leur cursus, l’occasion d’un chantier de rénovation se présente. « Les premiers projets sont souvent fondateurs. En 2003 nous avions rénové de nos mains un appartement parisien, de la démolition au mobilier » Ciguë, comme le fameux poison des Athéniens produit à partir de la plante éponyme. « On devait déposer les statuts de notre SARL et par défaut, choisir un nom que nous souhaitions hors du champ lexical de l’architecture. Sans vouloir partir sur nos initiales conjuguées, le mot Ciguë est sorti du chapeau. » La SARL de menuiserie, naît en 2003. Elle leur permet de créer leur propre terrain d’expérimentation tout en installant officiellement leur pratique. Mais comment articuler le fantasme et la réalité du métier ? Comment un architecte peut-il être aussi artisan ? Face à l’imbroglio juridico-administratif de la structureunique, le collectif se scinde pour engendrer une SARL d’architecture homonyme que gèrent les deux premiers diplômés du collectif. 200 chaises à monter à la main ? Un travail minutieux et long. Les six architectes du collectif Ciguë construisent eux-mêmes jusqu’au dernier boulon, les meubles qu’ils conçoivent avec des matières brutes qui ont déjà vécu. Tout est allé très vite entre la jeune structure française et la marque de Melbourne. Comme si ces deux entités devaient inévitablement croiser leurs chemins pour tester l’audace de chacune. Car à peine le temps de rencontrer Dennis Paphitis, le patron d’Aesop, que la jeune agence livre trois mois plus tard un corner pour le concept store Merci à Paris. Six boutiques pour Isabel Marant, huit projets pour Aesop : la constance est un trait de caractère du collectif français. Aujourd’hui très remarqué pour son travail dans le domaine de l’agencement d’espaces commerciaux, Ciguë n’entend pas pour autant se spécialiser dans cette voie. «Nous envisageons l’idée de solliciter des artisans détenteurs d’un savoir-faire inimitable.» Les désormais quatre associés envoient du bois aux quatre coins du globe, de New York à Hong Kong en passant par Tokyo, Taïwan, Londres ou Nottingham. » 89
La notion de récit, privilégiée par notre nostalgie collective Le portrait précédent est un costume d’Arlequin dont les morceaux, dix extraits d’articles de toutes époques et de toutes origines, allaient si bien ensemble qu’ils ne nécessitaient que le fil de la ponctuation. S’il a été tellement aisé de le réaliser, c’est parce que ce récit, d’une bande d’amis, qui décide de parasiter l’enseignement de l’architecture et sa division temporelle entre théorie et pratique, est un vecteur d’enthousiasme collectif. Dix ans après la fin de leurs études, on le raconte de la même façon. A noter que dans la plupart de ces revues, majoritairement françaises et grand public, autant de place est accordée à la « petite histoire » qu’à la présentation des projets qui en ont été le résultat, et il est choisi de passer sous silence les éléments plus classiques d’une agence d’architecture que l’on peut trouver chez Ciguë.
▲ 3. La revue italienne Casa da Abitare,
nous propose un angle de vue, relativement rare, sur une agence d’achitecture aux outils de son temps. . On y apprend que les Ciguë ne rejettent pas les nouvelles technologies avec des softwares classiques et des machines de dernière génération : découpeuse laser et imprimante 3D.
Ce qui passionne peut-être chez ces jeunes architectes, c’est la précocité de leur prise de recul sur l’enseignement de l’architecture, et une pratique amorcée « du faire » à l’occasion du montage de leur propre SARL de menuiserie, alors qu’ils étaient encore étudiants. Un côté à la fois doux rêveur et self-made men, qui parle aux plus nostalgiques comme aux plus entreprenants. Plus qu’un workshop, la création d’une véritable société, leur 90
a permis de se « faire la main » avant de s’engager dans la SARL d’architecture. Ils avaient déjà les bases administratives, un petit réseau de clients et, ayant eu « l’occasion de se frotter à un grand nombre d’entreprises générales et de fournisseurs »2, quelques repères sûrs parmi les professionnels. L’image du faire est ici partout présente, conjointement à l’investissement du temps du projet, dans son entièreté, par tous les membres. Ce n’est pas une chaîne d’acteurs qui se met en place mais une chaîne de faire, qui peut être investie par un individu, par tous, collectivement. Un début de pratique comparable à l’imaginaire d’un Borromini à la fois acteur et metteur en scène du chantier. « On maîtrisait le projet de A à Z et ses différentes temporalités »3 La pratique du collectif s’oppose aux recettes. Ils disent ne lire aucune revue d’architecture mais trouver les idées dans les échanges qu’ils peuvent avoir4, un discours de l’effacement d’une position d’artiste, imposant ses propres références. Il semble y avoir chez eux un véritable engagement auprès d’une clientèle, fidèle. Comptons aujourd’hui, dix projets pour la marque cosmétique Aesop, sept pour les boutiques de prêt-à-porter d’Isabel Marant, trois pour le styliste Julien David.5
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▲ 4. La boutique «Aesop Le Marais», met
en oeuvre des couvercles de tubes en acier
5. «Aesop Tiquetonne» explore quant à ▼ elle le détournement du clou japonais
Les avantages d’un début de pratique entraînant
La jeune agence d’architecture sait tirer avantage de sa position en banlieue parisienne, en proximité d’une série d’artisans. Plus que le milieu, à large échelle, c’est les relations de voisinage chez « des métallos avec trente ans de métier, avec un savoir-faire, un bagage de situations énormes »6qui sont mises en avant. La proximité peut aussi se faire par des lieux communs de pensée. Les Cigüe l’avaient bien ressenti, « travailler au Japon c’était comme rentrer à la maison »7, le pays du soleil levant représente aujourd’hui plus se 60% de leur chiffre d’affaire.8 Le groupe explique ce rapprochement dans leur culture commune des matériaux et de l’histoire des objets. Plus que par le dessin, c’est l’histoire de la matière ou de l’outil qui inspire au collectif ses « images mentales »9, chères à Juhanni Pallasmaa. L’objet contient des couches d’informations qu’il faut, comme pour les indéfinitions du dessin, décrypter. Le réemploi de matériaux bruts ou d’usinage par-delà tous styles mais dans la rigueur absolue de la mise en œuvre, est une constante de leur travail qui fera leur succès. Dès 2012, ils réalisent concomitamment plusieurs points de vente pour Aesop, à Londres ou Paris, une boutique pour Isabel Marant à Tokyo, et sont lauréats, la même année, des Albums des Jeunes Architectes et Paysagistes.
Et voilà que, sans interruption depuis les bancs de l’école de LaVillette, les Ciguë ont été entrainés par le succès de l’attention particulière qu’ils accordent aux matériaux et à leur mise en œuvre, mais certainement aussi par la puissance de leur récit de « bricoleurs » émérites. Après les « Albums », la croissance s’accélère. En 2013 le collectif compte une douzaine de membres, en 2015 une vingtaine, aujourd’hui près de trente10. Aussi, puisqu’un atelier de plusieurs dizaines de personnes ne saurait fonctionner comme un collectif de six, dix ans après l’inscription de leur SARL d’architecture, cette période de la première pratique est qualifiée de « parenthèse enchantée »11.
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Les limites du faire. Quand la répétition n’a plus de sens Si, dans le faire, l’excitation qui doit mouvoir la main doit être intériorisée, incarnée, pour ne pas risquer l’ennui, est-il possible de la conserver intacte alors que d’autres matières, plus conceptuelles et programmatiques, doivent nous occuper ? Vouloir tout faire perd de son sens quand cela devient un frein à l’assimilation de nouveaux savoirs tout aussi nécessaires. Il y a aussi la lassitude. « Il y a un moment où faire des placards en médium, juste parce qu’on veut tout faire, cela n’épanouit plus. »12 Quand on dirige un atelier, même sur un idéal d’égalité, il y a un moment où le rapport du temps au coût s’inverse. Le temps est moins disponible et l’autoproduction s’avèrerait très couteuse. De plus il faut reconnaître aux artisans de formation certains savoirs « inimitables ». « Malheureusement à la fin, le temps et l’argent définissent souvent les limites de ces procédés. »13 Impossible d’avoir la main sur l’ensemble du récit quand celuici change de rythme ou d’échelle. Le lancement de la carrière de Ciguë, c’est le succès d’un meuble, la table BIX, une petite échelle –à la fois humaine et de projet- où il était encore possible de tout réaliser. Aujourd’hui l’agence aspire à plus grand et l’architecte ne saurait se substituer, dans la durée, à tous les ouvriers et artisans. 93
▲ 6. La table «BIX», succès commercial
de Ciguë.
7. Dernière création, un connecteur en zinc dont le moule a été réalisé ▼ grâce à l’impression numérique.
Il est difficile, dans la pratique, de détacher investissement artisanal de l’architecte et secteur du luxe. L’impulsion du collectif l’a dirigé vers un carnet de commandes précis qu’il semble d’autant plus difficile d’élargir aujourd’hui que leur travail a pris de la valeur. Au final, certainement malgré eux, ils s’enferment dans un certain type de référencement : « la mode, le luxe, les gens qui ont les moyens en général, oui »14. Une étude sur 10 ans, Comment inscrire la notion de durée… dans la durée ? Parfois, apparaît un paradoxe entre les aspirations de jeunes architectes à « prendre les choses en mains » et celles des marques, par extension, celles du marketing. Ce décalage peut être lisible, comme quand le collectif vente les propriétés de l’émail sur la résine époxy, « l’émail peut durer cent ans », alors que cette technologie est déployée dans un point de vente qui a peu de chance de passer le siècle. D’autant plus qu’il s’agit d’un secteur qui encourage les effets de mode. Néanmoins, il semble que les jeunes architectes aient saisi la fragilité de cette posture et rapidement nuancé leur enthousiasme tout en restant ouverts à la commande, « nous nous sommes demandés s’ils comprenaient bien ce que nous faisions ou si nous n’étions que l’attraction du moment ».15 Comment mesurer la valeur ajoutée et la distinguer de l’inutile ? Et comment assurer le bon équilibre entre exception et production ? Pour chaque boutique Aesop, ce sont des matérialités et mises en œuvre toujours plus diverses qui ont été retenues. Avec des instruments sans cesse différents, la curiosité est rassasiée et, surtout, l’envie officieuse de formation est alimentée. Par ces réalisations, les architectes ont peutêtre cherché l’épuisement d’un type de savoir-faire au profit de leur propre expérience ; rappelons que « le savoir-faire pratique est toujours lié à l’expérience d’un individu spécifique ». Ces ressources personnelles prennent certainement le risque de s’affaiblir si, avec le temps, elles ne sont pas alimentées de l’extérieur, par d’autres individus. Il s’agira peut-être aussi de mettre à profit le rôle expérimental de l’atelier de fabrication, qui se trouve spatialement raccordé à l’agence. 94
Ce qui nous a paru intéressant chez ce collectif, c’est que malgré la mise en scène atemporelle des articles pour valoriser la pratique manuelle des collaborateurs, ceuxci partagent de plus en plus leur prise de conscience sur les « limites [de leur] savoirfaire » et, sur l’étendue que cette première approche de la profession a ouvert devant eux. « Nous avons plus d’expérience avec la réalisation pratique de nos projets que les autres architectes et nous pouvons utiliser ce savoir-faire pour redéfinir les possibles ». Leur anticipation leur a donné une avance sur leurs camarades de promotion. Il se pourrait alors, que n’ayant pas eu de temps pour les questionnements qui marquent le passage de l’école à la première pratique, ils subissent une transition à retardement. Avec l’avantage d’avoir déjà une agence qui fonctionne bien et l’inaltérabilité de l’expérience acquise. Ainsi la valeur du temps s’est quand même imprimée sur l’atelier d’architecture. Ils savent que, s’ils veulent faire appel à des savoir-faire extérieurs, cela ne peut se faire au dernier moment. Il a également été intégré, grâce aux projets réalisés à l’étranger et difficiles à suivre au quotidien, que la notion de confiance peut se substituer à celle de la présence permanente. Il y a aussi l’acceptation des atouts de chacun, comprendre que le collectif se loge plutôt dans la complémentarité plus que l’égalité parfaite, ce qui permet d’accepter la 95
▲ 8 & 9. Joli pied de nez dans ce retour à
la construction neuve, la réalisation de l’atelier d’un artisan-boulanger.
division des tâches. Il s’agit de savoir où l’on investit son énergie, et, en ce sens, une partie de la production de l’atelier de menuiserie a été délocalisée en Bourgogne. Après avoir appris à construire, l’atelier est en train « d’apprendre à structurer une agence »16 La prochaine étape ? « Continuer d’avancer vers la plus grande échelle, sur des terrains différents, et, par-dessus tout, construire » tout en se ménageant des « territoires d’errance » (dessins, réalisations pratiques à l’atelier entre deux traitements informatiques, voyages, recherches de ressources nouvelles…), une porte de sortie à la rationalisation. Le terme de collectif, lui, reste toujours très investi.
Si Ciguë ne veut pas se résoudre à « faire des concours », il paraît difficile qu’ils aient, en France, un accès à d’autres marchés que celui de l’aménagement sans nouvelles références préalables. Ces architectes semblent néanmoins conscients du risque de tomber dans l’esthétisant. Et l’analyse des discours reportés sur près de huit années, montre une détermination de plus en plus grande à utiliser les outils qu’ils se sont créés au service de l’architecture, selon une acceptation plus complète et plus large que ne leur permet leur pratique aujourd’hui. Le Studio kO, une structure de taille et de cible équivalente, s’est lui résolu à devoir se mettre en risque pour changer d’échelle. « Nous arrivons au bout en terme de projets intéressants
en architecture intérieure et en rénovation. Nous allons devoir chercher la « commande » et peut-être passer par le circuit public pour changer d’échelle et pouvoir construire, ce qui reste rare » 17. Alors, peut-être, se jouent ici les velléités ou non, à grandir, à chercher la reconnaissance professionnelle en soutien à de la réalisation personnelle, à « faire carrière ».
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Architectes-Entrepreneurs:
2. Les architectes-entrepreneurs
ensemble indéterminé constitué d’architectes ayant une conception globale et pragmatique de l’acte constructif, ne niant pas ses aspects techniques et financiers pour avoir prise sur eux et les mettre au service du projet. Cette attitude peut générer des innovations à forte valeur ajoutée. Néanmoins, l’architecture étant une expression de la culture, le seul profit commercial ne saurait motiver
ne représentent pas une catégorie officielle d’exercice de la profession. Ils constituent néanmoins une posture de l’architecte désirant que ce soit la technique constructive qui s’adapte au projet et non l’inverse. Par le fait des choses, ce sont des inventeurs. Du fait de la faible culture constructive chez l’étudiant, ce mode de pratique n’est pas fréquent chez les très jeunes architectes (hors bi-diplôme ingénierie). C’est une catégorie qui va plutôt apparaître après les premières pratiques parce qu’elle demande une certaine
Quels champs d’action ? Avec la loi sur l’architecture du 3 janvier 1977, portant code des devoirs professionnels des architectes, un architecte inscrit à l’Ordre ne peut exercer d’activité commerciale, par extension, il ne peut se confondre à l’entrepreneur. Pour beaucoup, comme Jean Prouvé en 1982, cette mesure s’inscrit à l’encontre de l’harmonie des parties, qui ne peut avoir lieu quand celles-ci s’inscrivent dans des entreprises d’intérêts différents. Aujourd’hui, dans de nombreux cas, il y a distinction entre ceux qui conçoivent, ceux qui fabriquent et ceux qui posent. Soit une baisse des artisans qualifiés et un facteur temps optimisé par l’objectif de rentabilité, qui peuvent conduire à une faible qualité constructive. L’architecte-entrepreneur va ainsi considérer la grande échelle, l’industrie du bâtiment, et la micro-échelle, le détail d’architecture. Dans l’intérêt de son projet, il va pouvoir anticiper des demandes techniques et participer au développement de solutions innovantes dont la réalisation est rendue 98
possible par la procédure d’Appréciation Technique d’Expérimentation (ATEx). Les contraintes écologiques, thermiques mais aussi esthétiques constituent ses principaux champs d’action.
Milieu
Dialogue
Temps
Milieu ? Dialogue ? Temps ?
Quelle structure ?
L’architecte-entrepreneur s’inscrit conformément à son rôle dans le milieu de la maîtrise d’œuvre. Il prend toutefois le contrepied de la division bureaucratique en re-questionnant les prestations actuellement disponibles chez les entreprises, cela sans remettre en cause le mode productif de l’industrie. Les intérêts commerciaux industriels peuvent ainsi se conjuguer à la volonté de l’architecte de maîtriser le projet à toutes les échelles. La juste inscription écologique étant un sujet favorisé par l’innovation, elle ne peut se faire sans considération pour l’environnement spécifique du projet. Si l’engagement du corps physique est moins évident, le dialogue avec le corps social paraît essentiel. Adopter une attitude «d’entrepreneur» c’est avoir une bonne considération des dynamiques de réseaux et des notions de construction collective. La temporalité est celle du projet, le fort investissement conjoint des entreprises et de l’architecte ne peut se réaliser que dans 99
Si le sociologue et critique américain Robert Gutman rédigeait, en 1977, un article intitulé « Architecture : The entrepreneurial profession », dans une démonstration qui, prenant appui sur les liens entre industries du bâtiment et architecture -notamment quant à sa dépendance à la demande concernant ce secteur- invitait à considérer la profession d’architecte comme plus entrepreneuriale que libérale ; peut-être ne savaitil pas qu’en France, à la même date, c’était la position inverse qui s’instaurait juridiquement. L’architecte(-entrepreneur) ne pouvant pas exercer d’activité à vocation commerciale ses recours sont ; soit la création d’une entité distincte à sa profession, soit le développement de «brevets», biens immatériels dont il peut jouir des applications futures au titre de la propriété intellectuelle.
L’Architecte-entrepreneur : Un vocabulaire adapté au milieu actuel Une figure étrangère ? Bien que la représentation d’architectes-entrepreneurs soit plus fréquente dans la formation anglo-saxonne (certainement due à une autre histoire de la formation qui n’a pas cherché, dans les grandes écoles, à séparer architectes et ingénieurs), l’histoire de l’architecture en France compte quelques figures caractéristiques de cette posture. A un détail près peut-être, c’est qu’un Auguste Perret ou un Jean Prouvé étaient des entrepreneurs ou des artisans avant d’être architectes. Cette « subtilité » aura d’ailleurs permis au second, qui ne disposait pas du titre, de concevoir et produire conjointement jusqu’à l’aube des années 1980. Pour Auguste Perret, la rupture entre architectes et entrepreneurs ne peut se faire qu’en défaveur de l’architecture. Multiplier les intermédiaires indépendants c’est encourager la course aux profits et à la routinisation, lieu où ni l’ingénieur ni l’architecte ne parleront plus le langage de l’exécutant. Le résultat ? « Une architecture dont le détail est souvent mauvais, une architecture qui ne révèle pas sa contexture, de laquelle n›émane pas cette sensibilité qu›ont les vieilles choses construites avec des techniques merveilleuses.»1
Dans la lignée des « bâtisseurs » Sur l’une des branches de cette généalogie d’idées, l’architecte Paul Vincent, tend le relai à celui qui saura entendre l’intérêt professionnel du « lien entre les savoir-faire ». Ancien chef de projet et partenaire du studio Renzo Piano Building Workshop, Paul Vincent a adroitement su tirer parti de la figure dichotomique de l’architecte génois : la faveur d’un nom renommé de la « starchitecture » et tout en même temps la valorisation de la pratique constructive collective « Workshop ». A l’avantage de son introduction en tant qu’enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, Paul Vincent offre une nouvelle prise en main, professionnalisante, du métier d’architecte par ses étudiants. En effet, le récit est celui de la volonté de 100
transmettre et le programme promeut une « innovation [qui] commence par la capacité de l’architecte à rassembler les compétences nécessaires ». Déroulons son discours, sa pratique et son enseignement au travers du prisme du « Milieu » pour en identifier les valeurs et les portées déterminantes.
Se servir des outils du modèle d’aujourd’hui pour lui donner du sens L’économie a une place très importante dans la bonne marche des projets, bien qu’il apparaisse confortable de s’en détacher comme d’une contrainte pesante. Dans une pensée tant pragmatique que programmatique, Paul Vincent semble investir l’économie du projet à un double niveau : l’équilibrage des coûts sur le long terme et l’économie de ressources dans les phases de construction, de maintenance et d’exploitation du bâtiment ; tout cela au juste prix. Même dans le cadre d’un bâtiment coûteux, les investissements des différents acteurs de la construction ne sauraient se limiter au luxe de l’unicité. Le savoir-faire mis en œuvre pourra être réexploité. Prenons pour exemple le pavé de verre développé pour la maison Hermès à Tokyo. Aucune entreprise ne proposait dans son catalogue des pavés d’aussi grande dimension (42 cm de côté), celle qui s’est risquée à l’expérience 101
▲ 11. Portrait de Paul Vincent, architecte
et enseignant
▲ 12. Détail d’articulation à l’angle
de la façade en briques de verre. Il a été choisi d’employer des briques plus petites afin de donner le mouvement de courbe. Développer une seconde innovation en une brique de verre de grande dimention et courbée a paru un effort irraisonnable au regard de son coût.
peut aujourd’hui user de son fruit et en développer d’autres en écho. L’innovation, coûteuse au départ, n’est jamais perdue si elle est au service du projet et participe à l’augmentation des compétences. Malgré tout, dans un tel environnement, il faut rester vigilant vis-à-vis des tentations de profits industriels « Quand on fait une invention, le premier jour on parle d’argent et on devance l’industriel pour fixer un prix auquel il devra se tenir »2. L’économie de ressources trouve quant à elle résonnance dans les considérations écologiques. « Il devient évident que nous devons désormais étudier les coûts de Maintenance/Exploitation sur plusieurs années dès le stade avant projet puis phase par phase. »3 Paul Vincent promeut plutôt la méthode du bâton à ce sujet. Dans son Texte sur le rétablissement de la compétence, sans faire appel à la législation, il conseille l’instauration claire des « règles du jeu », notamment au niveau de la maîtrise d’ouvrage. Celleci devrait être responsabilisée et interdire tout simplement les installations que l’on connaît énergivores, telles que les climatisations. Le confort thermique, c’est par lui que l’architecte nous invite à repenser les normes. La norme est-elle forcément la garante du confort ? Pour Paul Vincent, le projet des cases à Nouméa prouve que
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confort ressenti et confort normé ne sont pas toujours équivalents. Il y a un étrange conservatisme à l’égard de la climatisation artificielle, il permet d’atteindre les chiffres de la réglementation du confort, mais la ventilation naturelle permettrait un « confort ressenti fabuleux ». En fait il ne s’agit pas tant d’appliquer la norme que de comprendre à quelle vertu elle s’attache, pour l’anticiper et penser un projet dans sa globalité. Par exemple ne pas adhérer au dimensionnement d’un pallier en l’appliquant stricto sensu, mais en le prenant comme une base qui pourra, peutêtre, développer autre chose pour enrichir le projet.4
Anticiper l’innovation La notion d’anticipation est très importante, pragmatiquement, elle permet d’éviter les aléas de chantier et les dépassements de budgets, mais elle nécessite un certain savoir-faire et des « retours d’expériences ». Parfois l’anticipation, toujours au service du projet, peut conduire à l’innovation. Là encore il faut se confronter au réel et investir la création de prototypes, à l’échelle, par des allers-retours jusqu’à ce que cela fonctionne. Cette vision de l’atelier est présente mais libérée de tout attachement symbolique, il s’agit d’une prise de conscience des enjeux de la construction et de l’importance de la faisabilité. 103
13. Maquette présentant le fonctionnement de la double peau du Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou en Nouvelle Calédonie. La forme de la «case» est au service de la ventilation naturelle et du confort selon une appréciation humaine. ▲
Un point sur le lexique Les DTU, pour Documents Techniques Unifiés sont des procédés validés par des comités de techniciens et admis dans l’exécution des ouvrages dits «traditionnels». Ils constituent donc une norme technique. Néanmoins, si la construction prétend à l’emploi d’une technologie non reconnue par ces documents, un recours est possible pour valider malgré tout la conformité de la pratique envisagée. L’ATEx, pour Appréciation Technique d’Expérimentation, permet une évaluation des procédés non traditionnels et leur acceptation dans les limites de l’opération à mener. Après consultation d’un groupe d’experts indépendants c’est le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) qui délivre les appréciations favorables ou défavorables.
La démarche de développement d’un brevet d’innovation peut être intégrée dans le projet. Pour Paul Vincent, « L’ATEx anticipée n’est nullement risquée, c’est même une sécurité à valoriser ! »5. La procédure donnerait accès aux ingénieurs CSTB les plus compétents, ce qui est gage de sécurité pour le maître d’ouvrage. Prenons l’exemple du développement d’un sol de 3 200 m² en terre cuite pour la citadelle d’Amiens. Pour ce projet Paul Vincent, sous l’égide de Renzo Piano, avait la mission de réaliser avec l’industriel le prototype du « diabolo » -module de terre cuite- qui paverait la place centrale. Bien entendu cela ne s’est pas fait sans encombre, les groupes de VRD (Voieries et Réseaux Divers) n’étant pas habitués à de telles pratiques, mais cela ne se fait-il pas dans l’amélioration d’un savoir-faire commun ? Car, si l’ATEx validée donne lieu à un dépôt de brevet, l’objet devient industrialisable, ré-employable et jugé conforme. Cette acceptation des brevets par-delà leurs aspects lucratifs peut nous les faire considérer comme des exception utiles à la permanence future. Se confronter au « cauchemar procédural » peut se faire avec raison et, à terme, enrichir les possibilités. Il devient ainsi concevable de faire une « petite révolution » sans changer l’entièreté du modèle, mais en ayant le culot nécessaire de se servir des outils à notre disposition. 104
Remplacer la notion de chaîne de travail par celle de chaîne de c1ompétences « Innover nécessite un travail d’équipe. L’architecte doit bénéficier de consultants très bons, motivés et d’associés au développement du produit ou des idées. Rien ne peut se faire sans une Maîtrise d’ouvrage déterminée »6 La spécialisation et la pluridisciplinarité des compétences (souvent retenues ici comme « émiettement » des savoirs) ne sont pas remises en cause pour Paul Vincent, qui cherche à valoriser la notion de collectif. Néanmoins, c’est la manière dont ces associations sont traitées aujourd’hui qui est regrettable ; « souvent montées de toutes pièces, avec des honoraires trop bas pour profiter des savoir-faire. »7 Que ce soit par des tricheries dans l’annonce de coûts intenables, par la sous-qualification, ou le manque de moralité des acteurs. Si nous abordons ces portraits sous le vocabulaire du récit, Paul Vincent nous parle de « l’aventure » que doit consister le projet, avec des protagonistes toujours présents et co-solidaires selon un « mode opératoire collégial ». Se donner les moyens d’un bon casting au préalable permettrait d’éviter les surcoûts des approximations. Mais l’architecte n’est pas fantasque, il faut faire le nécessaire pour « analyser les performances de chacun, comme dans l’industrie »8. L’expérience s’en trouvera ainsi revalorisée et la chaîne de travail se verra transformée en chaîne de compétences. Nuançons néanmoins le propos en précisant qu’il ne va pas toujours de soit que l’architecte puisse chosir les entreprises, et que de solides justifications sont nécessaires pour en écarter certaines. Reconnaitre sa finitude et l’importance d’un bon entourage c’est aussi trouver les bons interlocuteurs lorsque quelque chose pourrait être perfectionné. Savoir qui aura le plus facilement accès à la solution. A la fin de la conférence inaugurale donnée à l’école lyonnaise, Paul Vincent présente une diapositive de 60 noms. « C’est important quand je donne ces noms, c’est d’abord pour dire que je ne suis qu’un catalyseur mais aussi que 105
derrière il y a des gens complètement fous et passionnés qui ont travaillé sur ces projets et que c’est un travail d’équipe. » Ce qu’il semble important de noter, c’est la co-existence du caractère éphémère de l’invention et de la persistance des référents. Citons par exemple Terreal, un industriel dont le nom marque les brevets conjoints de l’architecte sur les planchers mixtes terre cuite/béton, le système « diabolo » à Amiens et la brique végétalisée, développée avec des étudiants de l’ENSAL. Nous terminerons alors l’inscription de l’architecte dans cette valeur de milieu, par sa candidature spontanée à l’enseignement. Le Domaine d’Etudes de Master ATEC, dispensé à l’ENSAL, s’est construit autour de Paul Vincent et de son réseau partenarial. Il semble signifiant que l’architecte partage ce réseau avec les étudiants, il les familiarise ainsi avec les interlocuteurs de l’exercice de la pratique, tout en utilisant les ressources « humaines » ou « savoir-faire humains » de l’ENSAL.9 Puisque matériaux et procédés de fabrications sont également essentiels, les étudiants ont pu, après établissement de protocoles, les manipuler en taille réelle aux Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau. Les prototypes avaient été travaillés en amont avec « recherche et commande de produits et matériaux existants, chiffrage des coûts, plans d’exécution ». L’exécution finale a été menée artisanalement mais sous les conseils d’acteurs réels de la construction. Une telle démarche parait opportune pour éviter le délaissement du chantier par les jeunes architectes ou leur défaitisme face au marché du travail par la méconnaissance d’acteurs vertueux. Soit une réponse possible à la thématique originelle de notre travail.
L’architecte comme un entremetteur, pas vraiment artisan, mais une expérience de la compétence, et un rapport à l’industrie comme la condition de réalité d’une innovation partagée ; voilà peut-être les ingrédients d’une architecture contemporaine applicable à toutes les échelles par le fonctionnalisme –selon l’acceptation sociologique du terme- de ses principes. Si l’esthétique « ne passera jamais au dessus de l’intelligence constructive »10, la poésie de Paul Vincent se lit certainement dans son rapport enthousiaste à la nature humaine, et à ceux qui sauront la réaliser. 106
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«Bravoure» l’exécution d’un morceau de musique, qui combine une excellente maîtrise technique et la vigueur d’interprétation d’une personnalité unique, est décrite comme un morceau de bravoure. C’est également le nom qu’ont choisi de se donner trois architectes, deux designers et un photographe, désireux d’explorer ce que l’artisanat peut signifier en période d’austérité
3. Les architectes de la «bravoure» n’existent que sous la forme d’une contingence d’idées partagées dans le cadre de la Biennale d’Architecture de Venise 2016 et mise en avant au sein du pavillon de la Belgique. Selon l’architecte flamand Jan de Vylder, commissaire de l’exposition, «Bravoure» n’est rien de moins qu’un appel à considérer la fabrication simple comme la fabrication par excellence de l’architecture, voire son ambition. Le propos a été développé dans une publication, Bravoure, Scarcity, Beauty, qui permet la théorisation d’une figure «d’architecte de la bravoure».
Quels champs d’action ? Le choix du thème du pavillon de la Belgique a une ambition proactive. Pour le directeur de l’Institut Flamand de l’Architecture, «l’artisanat promet d’être une des questions les plus importantes des prochaines décennies. [...] il s’agit de savoir comment nous faisons le monde autour de nous en préservant la dignité humaine et donner un sens au monde dans lequel la production des choses joue un rôle crucial». Avec le collectif de curateurs « Bravoure », Jan de Vylder a essayé de montrer comment la posture qu’adopte son agence (valorisation des matériaux courants et goût du détail) ne se limite pas à sa propre fascination mais trouve une dimension plus universelle. S’il n’expose pas son propre travail, sa visée est opérative. En tissant des liens entre les ouvrages de ses confrères flamands, l’architecte essaie de montrer les territoires communs d’une ambition générale. 108
Milieu
Milieu ? Dialogue ? Temps ? Ici, le milieu est d’abord celui du métier d’architecte. Il s’agit d’un appel au professionnalisme de ce dernier, qui s’excuserait trop souvent de la médiocrité de ses réalisations en invoquant la complexité d’un contexte toujours plus réglementé et l’austérité du milieu économique. Pour « Bravoure » cette austérité est le prétexte même d’un réinvestissement de la matière -parmi les plus banales-, qui permettra de sortir l’architecture des grands discours pour la rapporter vers un sens inhérent à l’objet construit. Le terrain à privilégier est celui du quotidien. Le dialogue occupe une place très importante dans ce dispositif par la communication entre les supports. La photographie du projet nous permet de l’observer, la maquette de détail à l’échelle d’en sentir la présence, le montage artistique d’en percevoir une réalité différente. Les médias se mêlent et s’enrichissent pour toucher toutes les sensibilités. L’appréciation du temps est double. A la fois celle du quotidien, et des délais serrés qui, une fois encore, doivent être perçus comme un défi. Et, en même temps, par la question de permanence et d’intervention minimale. Ne pas engager toute la chaîne de construction quand les efforts peuvent être sélectionnés pour donner plus de sens 109
Dialogue
Temps
à chaque action. Au pavillon, les murs n’ont pas été repeints depuis l’exposition précédente. Une économie et tout à la fois la volonté de montrer les traces des usages passés.
Quelle structure ? Les projets présentés, au nombre de treize, correspondent à treize architectes flamands différents. Leurs interventions sont toujours d’une dimension facile à appréhender : une boîte aux lettres, un luminaire, un linteau... «Il s’agit de traiter avec un processus de production industriel et d’y chercher une échelle humaine. C’est un genre différent d’artisanat». Notons une structuration des agences belges plus favorable à ces réalisations. Avec un accès plus commun aux logements individuels, la majorité des projets présentés à l’exposition.
Les architectes de la «Bravoure» : dialogue de l’exceptionnel et du modeste
▲ 15. «Bravoure», l’équipe curatrice de la
biennale de Venise, est une équipe belge, originaire de Gand, composée de :
Cette troisième figure d’architecte est un peu particulière puisqu’elle s’inscrit dans la pratique de l’agence gantoise aDVVT et, si elle reflète les réalités d’une profession éprouvée, ne saurait être sur-théorisée. Il y a dans cette pratique un mélange de poésie et de rigueur -ce que serait en effet le morceau de bravoure en musique-. Presque aussi, un animisme de l’objet, puisque, pour eux, « L’Artisanat contient l’acte de faire […] contient l’idée d’élévation ».1 A une pratique singulière nous proposons de lier une analyse singulière, personnelle. En effet, à l’occasion d’un stage de quelques mois, entre juillet et octobre 2017, nous avons intégré l’équipe d’architectes d’aDVVT. Un moyen, pour nous aussi, de lier la conception et la réalité, par le faire.
architecten de vylder vinck taillieu Jan de Vylder, Inge Vinck et Jo Taillieu ; trio d’architectes doorzon interieurarchitecten Stefanie Everaert et Caroline Lateur, architectes d’intérieur et de Filip Dujardin, plasticien photographe et photographe d’architecture.
Une expérience personnelle, le corps dans l’atelier Les bureaux du trio d’architectes composé de Jan de Vylder, Inge Vinck et Jo Taillieu, s’ouvrent de façon tout à fait ordinaire sur un grand open space occupé par une série de tables agrémentées d’ordinateurs. On peut y trouver une vingtaine de collaborateurs et un nombre très variable d’étudiants de toutes nationalités, pour la plupart des anciens élèves des trois associés, selon l’esprit Beaux-Arts. Un caractère de l’atelier qui s’affirme plus encore sur la table de modélisation, d’où jaillissent des tas d’outils hétéroclites, les raffinées maquettes échelle 1/33ème, de celles qui trahissent parfaitement le temps nécessaire à leur élaboration. Les dessins
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accrochés sur les murs donnent le ton : le goût du détail, de la couleur, et du travail à la main. En tant que nouvelle recrue ne maîtrisant pas le néerlandais, nous sommes prédisposés à l’expression par le mode du dessin. Si le dessin à la main est encouragé, il est loin d’être obligatoire. Il faudra néanmoins prendre en compte le faible nombre de logiciels installés sur les ordinateurs, qui ne permettent aucune représentation tridimensionnelle assistée, et le fond blanc d’Autocad, géré comme une véritable feuille de papier. Avant toute intervention sur les processus de projet, nous serons invités à une analyse approfondie des archives présentes sur le réseau informatique de l’agence, il s’agit de comprendre la « philosophie » de l’atelier et son système d’auto-référencement. La figure de l’architecte a infusé les lieux, et peut-être innervera-t-elle les êtres. Expérimentons. ▲ 16. Le retour à la médiation des mains,
multiples, est affaire courante.
« Le dessin est partout » Chez aDVVT, le dessin est en premier lieu l’outil du récit ; c’est-à-dire qu’il est une manière de raconter le projet et que, selon la personne qui le prend en main, l’histoire peut varier, chacun ayant un mode d’expression et de sensibilité propre. Plus spécifiquement pour Jan de Vylder « Faire des dessins c’est rencontrer quelqu’un d’autre à la table, qui discute le projet avec vous »2, le dessin reste toujours en partie en dehors de soi, inconfondable. « Le dessin est critique de lui-même »3, aussi estil possible –voire souhaitable- de repasser par sa médiation spontanée à n’importe qu’elle phase du projet.
L’agrémentation des dessins « de rendu » se fait tout au long du processus. C’est-à-dire que l’on peut commencer un dessin ayant l’air achevé sur 111
17. Les dessins qui paraissent «achevés» ne sont en fait que des facilitateurs pour s’approprier le projet. ▼ Ils peuvent être incrémentés sans cesse.
▲ 18. Maquette pour l’étude d’une
cour d’hôtel particulier à Anvers.
▲ 19. Le dialogue tête-main peut
parfois être invesé dans ses rapports, et cela est peut-être plus facile à apprécier sur les travaux de petits objets. Ici, une grande chaise au sol doit venir meubler une exposition. Nous l’avons réalisée empiriquement jusqu’à satisfaction de la main et de l’oeil sur l’assemblage des formes et couleurs.
l’ordinateur et l’incrémenter au fur et à mesure des rencontres avec le client. La représentation du projet n’est pas une postproduction de la communication, les « beaux dessins » jalonnent les développements de la conception. Il s’agit de garder cette sensibilité de la main, et une version la plus enthousiaste possible du design, puisque l’agence s’est fait une réputation des caractères poétiques de ses représentations. Le dessin doit alors satisfaire deux aspects concourants : l’autocritique, les vérifications successives et les traces de repenti, et une notion de satisfaction de l’objet à présenter au client. Les maquettes participent des mêmes intentions. A l’inverse des standards de la maquette blanche et neutre, nous avons pu réaliser des modélisations foisonnantes et chamarrées, elles amorcent la vie future du projet. Tous les supports sont ré-investis par les récits dont la trace écrite est conservée. Dans les livrets de chaque rencontre avec les clients, se mêlent tous les types de dialogues : le discours de l’architecte, la technicité du bâtisseur et la sensibilité humaine.
Le dessin de constructeur est également pourvu de beauté. « Même s’il s’agit du dernier dessin réalisé, c’est un dessin qui, par sa technicité, représente le lien entre ce que souhaite le constructeur et comment il le souhaite »4, selon un graphique spécifique, issu du vocabulaire du spécialiste. A cet égard les dessins techniques et de détails sont très courants à l’agence, qui réalise la plupart des plans d’exécution. Citons par exemple le temps du calepinage des briques, matière spécifique des régions du Nord. Un architecte, même après plusieurs années de pratique dans l’agence, va pouvoir se trouver en situation de dessiner précisément, brique par brique, le calepinage d’un mur afin d’en affirmer la présence. Nous avons par exemple fait l’étude d’un mur à constituer de briques de réemploi (résurgence de la notion d’« austérité »)
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où le nombre et la disposition de chacune prend sens au fil des différentes propositions. Le dessin de l’agencement des briques et des ouvertures (en arche ou suivant un linteau), joint la conscience constructive au plaisir de la ligne. Il s’agit de trouver l’assemblage le plus harmonieux. Imaginons une salle de bains carrelée du sol au plafond de petits carreaux de faïence, la taille du carreau et la prise en compte de l’espace des joints sont considérés comme des modules acceptables pour le dimensionnement de la pièce. La personne qui pénètrera le lieu pourra remarquer ces éléments qui sont d’habitude invisibles. Si la simple mise en œuvre d’un matériau banal se fait avec les conditions de l’extraordinaire, celui-ci peut éveiller la sensibilité. Ainsi, le concepteur comme le récepteur, ont un meilleur accès au « faire » qui a eu lieu. ▲ 20. Le traitement particulier des
Une affinité particulière pour la technique et celui qui l’emploie Cette valorisation de la notion de faire trouve forme dans l’attrait pour la visibilité de la technique. Sans que ce soit un travail de l’agence d’architecture, étudions le cas d’un ouvrage que nous avons pu observer à travers la Biennale de Venise : le travail de l’agence Eagles of Architecture sur le projet maarschalk gerardstraat à Anvers. Dans un espace pourvu de deux colonnes de style classique, la problématique était de devoir faire traverser, en plein milieu de la pièce et du sol au plafond, un nouveau conduit technique dont il restait à déterminer l’habillage. Bien sûr il y avait possibilité de singer l’architecture classique adjacente et de créer un artefact, mais ce n’est pas la solution qui a été retenue par les architectes. Tout au contraire, leur choix s’est porté sur des plaques de plâtre standard, laissées apparentes. Puisque ces 113
assemblages maçonnés est un des éléments de style de l’agence aDVVT. .
plaques ne sont recouvertes par aucun enduit ou peinture, la pose de ces dernières sur leur structure devient un élément visible. Cette visibilité est à traiter avec soin pour qu’elle soit capable de restituer l’intentionnalité de sa condition. L’emplacement des vis sur les rails métalliques est ainsi calculé, divisé, et l’artisan modifie de manière infime –mais avec application- son travail sur la matière. Les coûts sont redistribués, il y a moins d’investissement dans la matière première et la valeur ajoutée se trouve dans le savoir-faire humain.
▲ 21.
Le projet de Eagles of Architecture dans son contexte, rue Gerard à Anvers. Une maison bourgeoise. ▼ 22. Le même à la Biennale deVenise,
dans l’environnement «d’austérité.»
Pour les architectes de la bravoure il s’agit là d’une manière intelligente et contemporaine de retrouver l’intérêt que suscitaient les réalisations des stucateurs de la période Rococo. C’est-à-dire que le travail, s’il avait été un artefact, aurait été invisible, alors que le traitement choisi le rend présent et « parlant ». Un terme d’autant plus approprié que, les plaques de plâtre n’étant pas enduites, leurs couleurs liées à une certaine technicité sont rendues visibles. Si la plaque est verte c’est qu’elle est hydrofuge, si elle est rose c’est qu’elle est pare-feu, bleue, un élément acoustique. De cette manière, architecture, technique et sens se trouvent mêlés Cette même attention, nous pouvons la retrouver dans le travail d’architecture d’aDVVT, notamment dans le traitement des poutres métalliques vertes qui leur sont caractéristiques. Leur traversée de l’espace est toujours jugée avec une minutieuse précaution. La rencontre de cette poutre avec les autres éléments de la structure devient l’occasion de nouveaux détails, les articulations et superpositions sont mises en avant. Bien que la solution la plus simple soit souvent favorisée, le choix de la rencontre d’éléments toujours plus hétéroclites conduit à une solution forcément originale. Puisque, pour Jan De Vylder, « l’artisanat n’est pas seulement l’exécution la plus qualifiée, cela peut aussi être la plus imaginative. »
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Les limites de la méthode
La réalisation de ce stage de pratique a réalisé certains des enchantements promis par un investissement plus « artisanal » de la profession. La notion d’autonomie et de confiance partagée, la valorisation de la naïveté des jeunes pratiquants par les architectes et l’émulsion constante qui naît de l’organisation selon les affections et habilités personnelles, permet de ne pas avoir un rapport frontal aux matières qui nous sont encore inconnues. La technicité, la matérialité, l’exécutabilité pourront ainsi être abordées plus ou moins consciemment dans l’incrémentation du dessin. Néanmoins, d’autres éléments, pendants malencontreux d’une organisation inusuelle, restent à signaler. Parmi les limites de la méthode, le caractère de « chef d’atelier » de l’architecte ainsi que la forte motivation de ses collaborateurs à venir travailler avec lui, pour lui, donne à l’atelier d’architecture un fort esprit « Beaux-Arts » qui, par osmose, ne fait que renforcer le style dvvt, parfois dans l’auto-copie. Aussi la multiplicité des styles de représentation, à l’usure des remises en question, n’a pas toujours d’incidence sur le contenu d’une architecture reconnaissable. De plus, l’usage par l’architecte-assistant de ses bagages et techniques personnels rendent son travail difficilement récupérable par toute autre individu. Il y a une relative dépendance des acteurs entre eux. Si l’un d’eux, grand plasticien, décide d’amorcer une toile à la gouache, il ne pourra compter que sur luimême pour l’achever, malgré les délais externes qui s’imposent aux architectes. Etre le seul garant du temps du projet peut, selon l’intensité de celui-ci, être vecteur d’émulsion intérieure ou conduire à un sentiment de délaissement.
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▲ 23. Récit d’une maison pour deux
familles;
Ce type de traitement du projet demande aussi un fort investissement temporel, ce qui peut fréquemment causer la hausse des coûts. Il semble qu’à un certain niveau, vouloir toujours pousser le projet plus loin devienne presque un défaut professionnel : dans un développement incessant de détails et de maquettes. Les clients n’ayant pas fonction de mécènes. Une telle attitude n’est pas non plus en adéquation avec les concours d’architecture (ce qui peut conforter les réticences d’un studio tel que Ciguë à se lancer dans cette entreprise). Si l’atelier d’aDVVT compense ces tracas par un plus grand effectif d’agence, cela ne saurait être sans conséquence sur les temps consacrés à la gestion d’une ressource humaine variable, aux limites entre agences de moyenne ou grandes taille.
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â–² 24
117
118
Conclusion
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En étudiant un sujet, on y devient toujours plus vigilant, avec l’impression de le voir apparaître en tout lieu –comme lorsque suite à notre propre acquisition d’un modèle de voiture le monde entier se met à le posséder-. Il a pu paraître de même avec l’artisanat. Nous pouvons considérer que ses éternels « retours » sont devenus les marronniers à l’intention des jeunes cadres en manque de sens, d’une presse peu scrupuleuse. Cependant, sous la surface, des ouvrages plus complets ont parus. Celui de Matthew B. Crawford d’abord, qui a en partie guidé notre étude, mais aussi celui de Jean-Laurent Cassely, publié cette année. Ce qui est intéressant, quand on regarde les conclusions de cet ouvrage, c’est que celles-ci reprennent des figures qui, pour nous, constituaient les prémices même de l’étude. John Ruskin ou William Morris, apparaissent tout à coup comme précurseurs. D’un côté, cela dénie notre impression que les jeunes architectes aient pu, plus tôt que les autres, remettre fortement en cause la vacuité de leurs emplois. Le mouvement devient beaucoup plus général. D’un autre côté, il est étonnant de voir citer ces figures sans s’intéresser à la profession des architectes alors que c’était l’articulation même de la théorique de ces hommes. Au terme de l’étude, il apparaît plus certain que de trop profondes transformations du travail -vers l’industrie hier, vers la numérisation aujourd’hui-, conduisent à des mouvements périodiques de valorisation de l’artisanat. Le rapport à la matière qu’il sous-tend parait objet de séduction, de réconfort –oserons-nous dire, objet transitionnel ?-. L’actualité de cet inconfort contemporain des architectes peut ainsi se trouver dans leur place entre deux milieux, deux mondes, celui de la culture artisanale (à la fois artiste et bâtisseur) et celui de l’économie libérale. Lorsque l’on côtoie un sujet plus souvent, il est probable que nous en parlions plus souvent. Avec des thèmes tels que le sens et la valeur, les réactions peuvent-être nombreuses. Ce qui a enrichi l’étude, c’est la reconnaissance que chacun a pu trouver dans le sujet, tout en ayant une somme d’acceptations très différentes de ce qui a pu être considéré comme « valeur » dans un premier temps, et des applications qui relevaient de « l’artisanat »
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dans un second temps. Ainsi durant le temps de l’étude nous nous sommes confrontés à ces différentes sensibilités qui nous ont permis d’aborder le sujet selon une posture moins romantique qu’elle n’a pu l’être initialement : c’est-à-dire en considérant des aspects plus liés à l’investissement de l’informatique ou à l’engagement de la technique. L’ordinateur comme artisanat et ou l’étude de la figure de Paul Vincent ont été de ces élargissements extérieurs. Reconsidérons un instant l’artisan comme un métier qui disposerait de plus de savoirs. L’étude nous mène à entendre que la connaissance n’est pas une fatalité de métier, mais une valorisation de la notion d’expérience. On peut reprendre un exemple de Ciguë qui, dans sa conférence pour Qui Ne Dit Mot Consent, explique la façon dont ils accueillent concomitamment des jeunes architectes aux aspirations artisanales et des jeunes artisans, de formation, qui veulent pratiquer au service de l’atelier de menuiserie. Ciguë explique que, pour eux, il a été plus intéressant d’observer les aspirants architectes -parce qu’ils cherchaient à transcender ce qu’il faisaientalors que les jeunes artisans avaient une très bonne capacité technique à réaliser les choses mais pas forcément cette notion d’un dialogue- au travers de l’objet- aussi nourrie que l’on aurait pu l’imaginer. Nous évoquions également une remise en cause de l’école, avec un grand écart entre la formation et la profession qui ne pouvait que renforcer ce sentiment de ne pas savoir « faire ». Ce sujet doit aujourd’hui être nuancé. D’une certaine manière il est toujours difficile, pour ceux qui sortent de l’école, les jeunes ADE, d’entrer dans un monde professionnel dont ils ne maitrisent pas les codes et dans lequel ils ne nourrissent pas de désir à rester. Mais, en même temps, nous ne pouvons que constater un mouvement de la part de l’enseignement qui tend à atténuer ce sentiment. Pour ne citer que des initiatives de l’école lyonnaise : une ouverture possible sur les innovations avec des brevets déposés sous la collaboration de l’industrie, des professeurs et des étudiants ; la revalorisation de l’année de césure ; la possibilité de l’alternance entre école et agence d’architecture.
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Une voie qui semble favorable à la fois à l’acquisition des précieux « savoir-faire » et à la découverte d’une profession, dont les réalités restent relativement inconnues jusqu’à l’année de l’Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre. En introduction, nous supposions l’origine de ce « mal de faire » dans des questionnements personnels autour de la légitimité. Il est bien possible que ce soit ces types de questionnements qui aient fait de la seconde partie du devoir un ensemble si prolixe, parfois diffus. Parce qu’il y a volonté de légitimer un sujet par son surinvestissement. S’il fallait formuler une critique de ce travail, c’est peut-être qu’il a été mené dans une phase qui correspond trop encore à l’introversion première de l’attirance pour le faire. L’imaginaire d’une qualité inhérente à l’union de la conception et de la construction a été investie de toute la littérature disponible. Cela n’a pas laissé le temps à cette seconde posture, celle du dialogue et de l’échange de compétences, en pratique. Nous aurions pu, dans une telle phase, nous consacrer à des entretiens ou des études de cas plus poussés, qui font certainement défaut à cette étude. En prenant le temps et l’envie de l’autocritique, il a été intéressant de relire certains ouvrages à différents moments de la recherche, de les redécouvrir. Ainsi, à l’occasion d’une relecture de Juhani Pallasmaa, s’est présentée à nous une possible justification de cette quête active de sens chez les jeunes diplômés en architecture. « Quand on est jeune et borné, on veut que le texte et le dessin concrétisent une idée préconçue, donnent à l’idée une forme précise et immédiate. Puis on apprend à supporter l’incertitude, le vague et le flou, l’imprécision, l’absence provisoire de logique, l’indétermination. » Johani Pallasmaa, La main qui pense
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Si son propos prenait pour sujet le dessin, il est pourtant possible d’y voir le dessein. Considérons ce « jeune borné » qui ne peut trouver sa réalisation dans une profession non conforme aux idées qu’il avait eu à son sujet. N’y aurait-il pas meilleure alternative que le « faire », que de trouver une manière de valoriser son temps, en dépit d’un accès immédiat à ses aspirations. De l’autre côté, l’homme d’expérience, qui a appris à supporter l’incertitude, l’absence provisoire de logique, l’indétermination… ne serait-ce pas là une figure d’architecte. Voilà une interprétation, mais celle-ci se conformerait aux conclusions de cette étude. Ce n’est plus tellement cette valeur artisanale qui est recherchée sinon qu’une légitimité de maîtrise (d’œuvre ?) que l’on souhaite investir. La pratique artisanale ne serait pas une fin mais un moyen. Le lieu de l’expérience accessible, sensible, d’un savoir-faire à réinvestir. Alors, cela pourrait faire référence à notre appréciation d’un certain entrain de la jeunesse à cet endroit, mais aussi les difficultés que celle-ci connaît à maintenir une pratique « en artisan », sans toutefois en exprimer la nostalgie (ils ont déjà investi le faire). Aussi il serait intéressant de savoir, si une telle expérience se peut vraiment éprouver le temps de la formation du jeune architecte. Si la valorisation des rencontres entre acteurs de la construction, la valorisation des connaissances de mise en œuvre, la mise à l’épreuve de sa réalité, suffiraient à constituer un architecte confiant, capable de réinvestir la figure de sa profession en dehors de l’exceptionnel. Ou peut-être seul le temps en est-il capable ?
123
124
Notes
125
Notes I 1
« Sur la fin il s’est rallié au marxisme, mais au départ c’était différent, vraiment original. Il part du point de vue de l’artiste lorsqu’il produit une œuvre, et il essaie de le généraliser à l’ensemble du monde de la production –industrielle et agricole. On a du mal à imaginer aujourd’hui la richesse de la réflexion politique de cette époque. » HOUELLEBECQ Michel, La carte et le territoire, Flammarion, 2010, p268. 2
JACQUES Annie, La carrière de l'architecte au XIXe siècle, Dossier du Musée d'Orsay, Paris, 1986, p8. 3
DUMONT Marie-Jeanne, décembre 2005, DPLG, vie et mort d'un diplôme, d’Architecture, n°151. 4
« On avait opté pour une épreuve purement technique, placée à la fin du cursus artistique. Pour se présenter au diplôme il fallait avoir passé le concours d'admission, parcouru la deuxième classe (sorte de premier cycle) puis la première (sorte de deuxième cycle), et être parvenu au seuil du Grand Prix. Cela représentait 24 « valeurs » et 5 à 6 ans d'études. L'épreuve elle-même consistait en l'étude complète, devis estimatif, descriptif et détail d'exécution compris, d'un petit projet relativement simple. Pour cela, l'élève était supposé aller s'informer à l'extérieur, par exemple au cours d'un stage, en faisant la place de tous ces « détails » qu'on n'enseignait pas à l'école. Un examen écrit sur la législation du bâtiment et sur l'exécution des travaux ainsi qu'un oral général incluant la soutenance du projet venaient enfin conclure l'épreuve. » DUMONT Marie-Jeanne , décembre 2005, revue suscitée. 5
Cette demande avait été anticipée par les associations d’architectes qui avaient commencé à se former au milieu du siècle : La Société académique d’architecture de Lyon, la Société centrale des architectes français, la Société nationale des architectes de France et la Caisse de défense mutuelle.
6
Cf. Code Guadet 1895.
7
RODRIGUEZ TOME D., 2006, L'organisation des architectes sous la IIIe République. Le Mouvement Social, Editions de l’Atelier, n°214. 8
Il rêve que l'architecte redevienne un maître d'œuvre à part entière, que l'esprit des corporations soit retrouvé afin que la proximité de l'architecte avec les autres métiers concourant à la construction soit rétablie. Il loue la période gothique et non le classicisme en vigueur aux Beaux-Arts.
9
En ce sens les écrits d’Eugène Viollet-le duc, ou d’Augustus Pugin avant lui, s’apparentent bien plus à ceux de « faiseurs ». 10
MORRIS William, L’art et l’artisanat, Payot & Rivages, 2011, p32.
126
Notes I 11
RUSKIN John, Les Sept Lampes de l’Architecture, Klincksieck, 2008, La Lampe de Sacrifice, p.8
12
Idem, p18.
13
« Je voudrais enfin rappeler à l'architecte qui se dit que je limite inutilement et étroitement ses ressources et son art, que l'on atteint à la plus haute expression de grandeur et de sagesse par une noble soumission à certaines restrictions, d'abord volontairement consenties, ensuite prévues et réfléchies. » RUSKIN John, 2008, ouvrage suscité, p46. 14
« L’éducation convenant à telle et telle condition sociale », telle est la phrase, tel est le but, toujours. Ils ne cherchent jamais, si je comprends bien, une éducation bonne en elle-même ». Il renchérit plus loin « « En fait, à présent, « Avancement dans la vie » veut dire, se mettre en évidence dans la vie ; obtenir une position qui sera reconnue par les autres respectable et honorable. Nous n’entendons pas par cet avancement, en général, le simple acquérir de l’argent, mais qu’on sache que nous en avons acquis ; non pas l’accomplissement d’aucune grande chose, mais qu’on voie que nous l’avons accomplie. En un mot nous cherchons la satisfaction de notre soif de l’applaudissement. » Sésame et Lys RUSKIN John, 2008, ouvrage suscité. 15
MORRIS William, 2011, ouvrage suscité, p26.
16
idem
17
« Il est impossible à un homme seul d'y parvenir, aussi doué soit-il. Supposons même que son maître d'œuvre ou son architecte soit un grand peintre ou un grand sculpteur, un ferronnier ou un mosaïste, un tisseur et un artisan hors pair – bien qu'il soit capable de concevoir toutes ces choses, il ne peut les exécuter, et un peu de son génie doit se retrouver chez les autres membres du grand corps qui érige l'œuvre complète. » MORRIS William, 2011, ouvrage suscité, p25.
18
« Alors que les matériaux de prix se peuvent employer avec profusion et avec négligence pour la magnificence de ce qu'on voit rarement, il est en effet exact que le travail de l'homme ne se dépense pas avec négligence et indolence, sans une conviction immédiate de préjudice » RUSKIN John, 2008, ouvrage suscité, p23.
19
Sur ce sujet, PEVSNER Nikolaus, Ruskin and Viollet-le-Duc, Englishness and Frenchness in the appreciation of gothic architecture, Hardcover, 1969.
20
L’architecte, l’artiste ou l’artisan, sans distinction : l’homme d’un art.
127
Notes I 21
RUSKIN John, 2008, ouvrage suscité, p221.
22
La traduction est libre d’une citation de John RUSKIN : « we are always in these days endeavouring to separate the two ; we want one man to be always thinking, and another ton be always working, and we call one a gentleman, and the other an operative ; whereas the workman ought often to be thinking, and the thinker often to be working, and both should be gentlement, in the best sense. » Citation du paragraphe 13 du chapitre La Nature du Gothique dans Les Pierres de Venise, retranscrite par Thomson dans William Morris, Romantic to revolutionary p.66 (éd. 1955). 23
Pour les rapprochements entre les visions politiques de John Ruskin, William Morris et Karl Marx, se reporter à l’annexe X.
24 25
MORRIS William, 2011, ouvrage suscité, p33. MORRIS William, 2011, ouvrage suscité, p67.
26
« Nous pouvons ne pas être capables de commander une architecture bonne, ou belle, ou inventive ; nous pouvons commander une architecture honnête. On peut pardonner à la pauvreté sa maigreur, à l’utilité son austérité ; mais on aura que du mépris pour la mesquinerie du mensonge » RUSKIN John, 2008, ouvrage suscité, p37.
27
« Nous ne sommes aucun d'entre nous assez bons architectes pour nous permettre de travailler en dessous de nos forces, et cependant je ne connais pas un édifice de construction récente, où il ne saute pas aux yeux que ni l'architecte ni l'entrepreneur n'ont fait de leur mieux. » RUSKIN John, 2008, ouvrage suscité, p21.
28 29
Idem, p183. Idem, p16.
30
Auparavant une association avec deux autres partenaires.
31
MacCARTHY Fiona, MORRIS William, A Life for Our Time, Knopf, 1995, p409.
32
MORRIS William se plaignait déjà à COBDEN-SANDERSON de ce qu'une "machine devrait être inventée pour relier les livres" pour ne pas multiplier les arts mineurs.
33
MONNIER Gérard, 1997, ouvrage suscité, p68.
34
Exemple du Cercle Militaire de Paris, 1927.
35
Exemple de l’Hôtel de Ville de Lille, 1932.
128
Notes I 36
« Les conceptions pédagogiques qui triomphaient à l’Ecole des Beaux-Arts étaient fondées sur la verticalité de l’enseignement ; elles consistaient à transmettre par osmose, du maître au disciple et de l’ancien au nouveau, une doctrine et un métier. » MOULIN Raymonde, des généalogies d’ateliers, p33. 37
PERRET Auguste, Le béton, texte dactylographié du 29 juillet 1948, publié dans Auguste Perret, Anthologie des écrits, conférences et entretiens, 2006, p447.
38
MONNIER Gérard, Histoire critique de l’architecture en France, 1918-1950, Editions P. Sers, 1990, p92. 39
Article 2 de l’ordre des architectes.
40
Article 1 de l’ordre des architectes.
41
MONNIER Gérard, Que sais-je ?, Histoire de l’architecture, PUF, 1994, p98.
42
UNE VIE, UNE ŒUVRE, Walter Gropius (1883-1969), 2013, émission de radiophonie proposée par GARRIGOU-LAGRANGE Mathieu, diffusée le 26 octobre sur France Culture. 43
Le Werkbund (en français, l'Association allemande des artisans) est une association d'artistes, fondée en 1907 à Munich par Hermann Muthesius, pour la promotion de l'innovation dans les arts appliqués et l'architecture au travers d'une meilleure conception et de l'artisanat. 44
GROPIUS Walter, Scope of Total Architecture, Collier Books, 1962, p73. Idem, p40. 46 Idem, p40. 47 Idem, p69. 48 Idem, p69. 49 Idem, p80. 50 « I consider this co-operative principle very appropriate to the spirit of our rage, especially when these groups include engineers and economists” GROPIUS Walter, 1962, ouvrage suscité, p64. 51 Idem, p81. 52 “Students should be trained to work in teams—also with students of related techniques—in order to learn methods of collaboration with others. This will prepare them for their vital task of becoming co-ordinators of the many individuals involved in the conception and execution of planning and building projects” GROPIUS Walter, 1962, ouvrage suscité, p57. 45
53
"An object is defined by its nature. In order, then, to design it to function correctly – a container, a chair, or a house – one must first of all study its nature: for it must serve
129
Notes I its purpose perfectly, that is, it must fulfil its function usefully, be durable, economical, and 'beautiful.'" Walter Gropius, Principles of Bauhaus conception, Dessau 54
« Basic order in design needs first of all a denominator common to all; derived from facts [...] today a new language of vision is slowly replacing individualistic terms like “taste” or “feeling” with terms of objective validity. Based on biological facts –both physical and psychological- it seeks to represent the impersonal cumulative experience of successive generations. » GROPIUS Walter, Scope of Total Architecture, Allen & Alwin, 1956, p58.
55
"[The machine is] an instrument which relieve man of the most oppressive physical labor and serve to strengthen his hand so as to enable him to give form to his creative impulse." GROPIUS Walter, Scope of Total Architecture, Collier Books, 1962, p22.
56
UNE VIE, UNE ŒUVRE, Walter Gropius (1883-1969), 2013, émission de radiophonie proposée par GARRIGOU-LAGRANGE Mathieu, diffusée le 26 octobre sur France Culture. 57
UNE VIE, UNE ŒUVRE, Walter Gropius (1883-1969), 2013, émission de radiophonie proposée par GARRIGOU-LAGRANGE Mathieu, diffusée le 26 octobre sur France Culture. 58
"The ethics of the individual architect were replaced by the ethics of the architectural office, and the more the architectural office resembled businesses in general, the more did its ethics resemble those of the business world." KOSTOF Spiro, The Architects : Chapters in the History of the Profession, University of California Press, 1977, p342.
59
LUCAN Jacques, L’architecture en France, Le Moniteur, 2001.
60
L’augmentation des prix de construction est importante : en France, les prix sont multipliés par quatre entre 1940 et 1986. Les effets atteignent indirectement les doctrines et les pratiques productivistes de l’architecture. 61
« L’architecture moderne n’est devenue moderne qu’à travers son engagement avec les médias » COLOMINA Beatriz, La Publicité du privé, de Loos à Le Corbusier, Orléans, Éditions HYX, collection « Restitutions », 1998, p28.
130
Notes I 62
NOIROT Julie, Regards croisés sur l’architecture : Le Corbusier vu par ses photographes, Publications de la Sorbonne, 2010.
63
« Après 1945, le système des Beaux-Arts entre durablement en crise. […] La faiblesse de l’enseignement scientifique et technique est dénoncée, tout comme la désuétude de beaucoup de programmes de projets proposés aux élèves » LUCAN Jacques, 2001, ouvrage suscité, p188. 64
« Quand à l'enseignement lui-même, le système des concours, des médailles et des « valeurs » accorde l'importance la plus grande à l'image et au « rendu », au détriment des éléments constructifs, ce contre quoi s'insurge régulièrement Marcel Lods, « A de fréquentes reprises, j'ai protesté au jury devant la faveur dont été accueilli tel projet purement « image ». Vous voyez bien que c'est inconstructible, répétai-je....-Oui, évidement, me répondait-on, mais quel artiste.... Après ça que faire ? » LUCAN Jacques, 2001, ouvrage suscité, p190. 65
Idem, p195.
66
Unité pédagogique numéro 6 (http://www.des-gens.net/UP6-Unite-Pedagogique-d)
67
« L’architecture devient un « mode de pensée à transmettre au lieu d’un savoir-faire à acquérir ». LAMBERT G. THIBAULT E., L’atelier et l’amphithéâtre : les écoles de l'architecture, entre théorie et pratique , Mardaga, 2012, p184.
68
Formule empruntée à l’architecte Renzo Piano, utilisée dans son ouvrage « La désobéissance de l’architecte » PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, 2009.
69
De 4000 à 8000 (ref M. Lods).
70
Chiffres de 1976 : 70% des constructions privées en France se font sans le recours du client à l’architecte (architectes devenus employés de bureaux d’études ou d’agences de promotion). 8000 architectes en France (4000 avant-guerre) LODS Marcel Lods, Le métier d’Architecte, Ed. France-Empire, 1976 71
MONNIER Gérard, 1997, ouvrage suscité, p117.
72
VIOLEAU JL, Les architectes et mai 68, Collections Focales, 2005, p11.
73
Architetti e Urbanisti Associati.
74
TAFURI Manfredo, Projet et utopie, Bordas, 1979.
75
«Comme
l'un des préjugés les plus répandus est celui qui voit le problème de
131
Notes I l'histoire arbitrairement censuré par les avant-gardes artistiques du XXe siècle, nous reviendrons, sommairement, sur la véritable origine du processus: à la révolution de la modernité art réalisé par les humanistes toscans du Quattrocento. » TAFURI Manfredo, Teorie e Storia dellarchitettura, Laterza, 1968. 76
ALBERTI Léon-Battista,L’art d’édifier, Seuil, 2004.
77
“The crisis of modern architecture is not the result of tiredness or « dissipation » It is rather a crisis of the ideological function of architecture... it is useless to propose purely architectural alternative. The search for an alternative within the structure that conditions the very character of architectural design is indeed an obvious contradiction in terms” TAFURI Manfredo, Architecture and utopia,The MIT Press, 1976, p181. 78
TAFURI Manfredo, The Sphere and the Labyrinth,The MIT Press 1987, p245.
79
Alberto Asor Rosa, proche de Tronti (lui-même référence explicite de Tafuri entre 1968 et 1976), s’y sera risqué.
80
“One tragic night I was miserable because I had to decide between practice and history. I remember I was sweating, walking around, felt ill, had a fever. At the end, in the morning, I had decided, and that was it! I gave up all the tools of architecture and determined to dedicate myself entirely to history. What kind of history I didn’t know, but I knew at that moment that it should be history” (Tafuri). LEACH Andrew, Choosing history, The journal of architecture, 2005, volume 10, n°3, p235. 81
“Architecture has deluded itself into believing that the production of form alone can intervene productively in the social world, and that this delusion has hidden the real state of affairs in which fresh form has been appropriated by the very forces of capital that it presumes to escape. … [Tafuri] talks of being ‘uselessly painful’ because it is useless to struggle for escape when completely enclosed and confined without an exit.” TILL Jeremy, Architecture Depends, The MIT Press, 2009, p189. 82
TAFURI Manfredo, Teorie e Storia dellarchitettura, Laterza, 1968. Cf. Les Annales, Fernand Braudel, la longue durée 84 Cf. Giedon 85 au contraire, il pense que les post-modernes sont victimes de la même dynamique et les qualifie d'hyper modernistes. 83
86
https://voirenvrai.nantes.archi.fr/?p=775
132
Notes II 1
Selon la loi n°96-603 du 5 juillet 1996 : Seront considérés comme entreprises artisanales les entités inscrites au répertoire des métiers c'est-à-dire les personnes physiques et les personnes morales qui n’emploient pas plus de 10 salariés et qui exercent à titre principal ou secondaire une activité professionnelle indépendante de production, transformation, réparation de prestation de services relevant de l’artisanat et figurant sur une liste établie par décret en conseil d’état. 2 CHADOIN Olivier, Etre architecte : Les vertus de l'indétermination. Une sociologie du travail professionnel, PULIM, coll. « Sociologie et sciences sociales », 2007, p83. 3 CHASLIN François pour Une journée à l’académie. 28 novembre 2012. Retransmission de l’intervention du correspondant de la section d’architecture des Beaux-Arts, diffusée via la page web : http://www.canalacademie.com/ida9991-Unejournee-a-l-Academie-des-beaux-arts-avec-Francois-Chaslin.html 4 « Le bon artisan doit éviter de creuser implacablement le problème jusqu’à le rendre parfaitement indépendant. » SENNETT Richard, Ce que sait la main, ALBIN MICHEL, 2010, p352 5 « "Post-industriel", cela veut dire que l'on a dépassé le stade industriel. Soit, mais après ? En quoi cela donne-t-il le moindre caractère, la moindre idée de ce qu'est notre société ? A quelqu'un qui n'en saurait rien, on peut définir assez exactement ce qu'est la machine, l'industrie, donc la société industrielle. Mais comment donner un contenu à un post ?" […] "On ne caractérise pas une société par ce qu'elle n'est plus mais par ses ressorts fondamentaux".» ELLUL Jacques, Le système technicien, 1977, 2ème édition, LE CHERCHE MIDI, 2004, pp7 et 8. 6 CRAWFORD Mattew B, Eloge du carburateur. 2009, édition française LA DECOUVERTE, 2016, p11. 7 « A partir du moment où il accepte la prémisse fondamentale de la nouvelle économie selon laquelle, si un individu est très bien payé, c’est qu’il doit savoir quelque chose, il sera alors peut-être amené à s’interroger sur ce qui se passe vraiment sous cet évier et à douter de la validité de la dichotomie rigide – et largement acceptée – entre travail manuel et travail intellectuel. (...) » Idem 8 CASSELY Jean-Laurent, La révolte des premiers de la classe ; métiers à la con, quêtes de sens et reconversions urbaines, ARKHE, 2017, p47. 9 « Les architectes [peuvent être délocalisés] contrairement aux travailleurs de la construction. » CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p43. 10 HIBOU Béatrice, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, LA DECOUVERTE, coll. « Cahiers libres », 2012, p37. 11 CASSELY Jean-Laurent, 2017, ouvrage suscité, p51.
133
Notes II 12
CHAMPY Florent, Sociologie de l’architecture. LA DECOUVERTE, coll. « Repères », 2001, p99. 13 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p27. 14 SHARPLES Coren D., Technology and Labor, in 15 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p14. 16 JACQUET Hugues, L’intelligence de la main, L’HARMATTAN, 2012, p28. 17 NOUVELLES VAGUES, Artisanat 1/5, 2016, émission de radiophonie proposée par RICHEUX Marie, diffusée le 28 mars sur France Culture. 18 Notons ici que Martin Rauch n’est pas qualifié comme architecte mais a notamment l’expérience constructive de sa propre maison. 19 DURKHEIM Emile, Division du travail, préface 2ème édition, 1897. 20 NOUVELLES VAGUES, Artisanat 2/5, 2016, émission de radiophonie proposée par RICHEUX Marie, 42’’, diffusée le 28 mars sur France Culture. 21 Idem, témoignage de BEUTTER Julien, apprenti boucher-charcutier. 22 CHADOIN Olivier, 2007, ouvrage suscité, p12. 23 CASSELY Jean-Laurent, 2017, ouvrage suscité, p63. 24 SENNETT Richard, 2010, ouvrage suscité, p78. 25 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p35. 26 PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, ARLEA, 2009. 27 FOCILLON Henri, Eloge de la main, 1934. 28 RUSKIN John, Les sept lampes de l’architecture, 1849, édition francophone KLICKSIECK, 2008, p 182 29 ROSE Mike, cf. The mind at work, cité par CRAWFORD Mattew B, Eloge du carburateur. 2009, édition française LA DECOUVERTE, 2016, p29. 30 SENNETT Richard, Ce que sait la main, ALBIN MICHEL, 2010, p17. 31 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p11. 32 GRAVES Michael, Architecture and the lost art of drawing, The New York Times, parution du 2 septembre 2012. 33 Life on Screen : Indentity in the Age of the Internet, Sherry Tuckle 34 Propos repris d’après les analyses de Masaki Suwa : Macroscopic Analysis of Design Processes Based on a Scheme for Coding Designer’s Cognitive Actions, 1998, in, CARR Nicholas, Remplacer l’humain, L’ECHAPPEE, 2017, p 149. 35 SENNETT Richard, 2010, ouvrage suscité, p113. 36 GRAVES Michael, 2012, ouvrage suscité.
134
Notes II
37
DARRIEUS Margaux, octobre 2016, Le grand retour du dessin d’architecture, AMC n°254, p 47. 38 McCULLOUGH Malcolm, Abstracting Craft, The Practiced Digital Hand, MIT PRESS, 1998. 39 Idem 40 DARRIEUS Margaux, octobre 2016, ouvrage suscité. 41 WINNICOTT Donald, Jeu et réalité, p 14 42 GUEX Patrice, Objet-prétexte In : Demain l’artisanat ? [en ligne]. Graduate Institute Publications, 1986. Disponible sur Internet, http://books.openedition.org/iheid/3340 43 Quelques exemples tirés de CASSELY Jean-Laurent, La révolte des premiers de la classe, 2017 ; -« Les épiceries dans lesquelles travail Gautier visent une clientèle "bobo" qui s'intéresse au circuit court. Elles sont aussi composées en grande partie de personnes reconverties. -« [Marie] remarque que les fromages qui accompagnent les vins ne sont pas toujours de grande qualité alors que "le public a envie de revenir sur des produits de terroir [...] Les gens veulent savoir ce qu'ils mangent" p.20 -« Michel et Augustin une véritable "success story" dont "les biscuits [...] affolent les bobos". Leur "reconversion fait partie intégrante du mythe fondateur de la marque" »p.25 44 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, en note page 25 45 CASSELY Jean-Laurent, 2017, ouvrage suscité, p18. 46 « C’est seulement quand un organisme participe aux relations ordonnées de son milieu (environnement) qu’il acquiert la stabilité essentielle au vivant » DEWEY cité par SENNETT Richard, Ce que sait la main, ALBIN MICHEL, 2010. 47 BOUTILLIER Sophie, Artisanat, la modernité réinventée, L’HARMATTAN, 2006, p 32. 48 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p180. 49 Ibidem, p181. 50 THIEL Darren, Builders, the social organisation of a construction cité par SENNETT Richard, Ce que sait la main, ALBIN MICHEL, 2010, p46. 51 SENNETT Richard, 2010, ouvrage suscité, p216. 52 Implantation en centre urbain est peut-être liée à une conception de la pratique architecturale héritée du modernisme d’après guerre –où des agences accédaient alors à de larges commande-. Elle peut conduire aujourd’hui pareillement à chercher des
135
Notes II commandes publiques ou des commandes privées de grande taille. L’architecte perd une partie de ses potentiels clients (de plus petits projets ou des projets de la ruralité). 53 http://www.portesouvertes.architectes.org/page/2-les-jpo-c-est-quoi/ 54 ibidem 55 GIRARDET Raoul, Mythes et mythologies politiques, 56 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p186. 57 SENNETT Richard, 2010, ouvrage suscité, p56. 58 « Avant d’être autorisés à utiliser l’ordinateur tous les étudiants devraient réussir une épreuves attestant de leur capacité d’utiliser les images mentales. », PALLASMAA Juhani, La main qui pense, ACTES SUD, traduction de 2013, p94. 59 « A de fréquentes reprises, j'ai protesté au jury devant la faveur dont été accueilli tel projet purement « image ». Vous voyez bien que c'est inconstructible, répétai-je....Oui, évidement, me répondait-on, mais quel artiste.... Après ça que faire ? » Propos rapportés de LODS Marcel par LUCAN Jacques, Architecture en France, LE MONITEUR, 2001, p190. 60 GRASSI Giorgio, L’architecture comme métier et autres écrits, MARDAGA, 1995, p 159. 61 A l’école des Beaux-Arts au XIXème siècle l’enseignement veut que l’esquisse originelle, dressée le premier jour du projet, ne soit pas changée tout au long du développement du sujet, il fallait alors procéder par ajouts et ajustements. 62 CHANTEREAU Paul, de l’association Bellastock, propos rapporté pour l’ouvrage dirigé par ANTINIOLI Manola, Machines de Guerre Urbaines, éditions LOCO, 2016, p249. 63 CRAWFORD Mattew B., 2009, ouvrage suscité, p28. 64 Donner une petite définition du Lean Management 65 SENNETT Richard, 2010, ouvrage suscité, p32. 66 ARCHITECTURE d’AUJOURD’HUI, numéro 422, décembre 2017, p 116. 67 Idem. Propos tenus par Myrto Vitart, p 36. 68 GOETZ Benoît, Indéfinition de l’architecture, LA VILLETTE, 2009, p 56 69 A VOIX NUE, Patrick Bouchain, l’architecture en partage, 2017, émission de radiophonie proposée par BOURGEOIS Raphaël, diffusée le 11 janvier sur France Culture. 70 Idem. 71 « On commence par faire un croquis, puis on fait un plan, puis on fait une maquette, puis on en vient à la réalité –on va sur le site- et on revient au plan. On établit une
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Notes II sorte de circularité entre le plan et la fabrication, et inversement. » PIANO Renzo, cité par Richard Sennett, 2010, ouvrage suscité, p 40 72 CASSELY Jean-Laurent, 2017, ouvrage suscité, p61. 73 Notons ici l’exemple de Sophie Ricard, jeune inscrite en HMONP auprès de l’atelier « Construire », déléguée par Patrick Bouchain pour une permanence architecturale pendant trois ans à Boulogne sur Mer. L’architecte aurait certainement eu du mal à avoir un si grand dévouement lui-même, à ce stade de sa pratique. 74 GRASSI Giorgio, L’architecture comme métier et autres écrits, MARDAGA, 1995
137
Notes III 1
Dans l’ordre d’apparition (léger changement de gris entre deux sources) : DUHALDE Bénédicte, Mai-Juin 2012, Les architectes ouvriers de Ciguë, Intramuros n° 160, p. 32-33 C.J., Mars-Avril 2011, Des architectes en symbiose, Maison à Vivre Bois n° 26, p. 44-49 COIRIER Lise, Juin-Juillet-Août 2013, Ciguë, design sextuor, TLMAG n° 18, p. 36-39 RENEAU Olivier, Octobre 2015, Ciguë, artisans chics, France, IDEAT spécial n° 6, p. 100-102 SILIEC Yann, Novembre-Décembre 2016, Ciguë, Le chemin de faire, France, Intramuros n° 187, p. 52-59 Site web, AJAP 2012, https://ajap.citedelarchitecture.fr/fr/laureats/cigue MATHIEU Valérie, Mai-Juin 2011, La petite fabrique du design, Marie-Claire Maison n° 148, p. 48-51 RENEAU Olivier, Juin-Juillet-Août 2012, Ciguë, une architecture de moyens, L’Officiel Art n° 2, p.151-154 HERVIEU Philippe, Juin 2016, Aesop, chimiquement pur, Sites Archis n°259, p. 30-33 RENAUD Olivier, Octobre 2012, Ciguë, un design brut et affuté, Optimum n° 48, p. 156-161 SILIEC Yann, 2016, référence suscitée 2 C.J., Mars-Avril 2011, Des architectes en symbiose, Maison à Vivre Bois n° 26, p. 44-49 3 Propos rapportés, Conférence introductive du numéro #2 Artisanat de la revue QNDMC réalisé par Alphonse Sartouth de Ciguë à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon le 05 décembre 2013. 4 idem 5 Selon les références disponible à ce jour (janvier 2018) sur le site internet de l’agence : cigue.net 6 MARTEL François, Décembre 2013, Rencontre avec le collectif Ciguë, QNDMC n° 2 « Artisanat », p. 6-9 7 NOLAN Billy, Janvier 2013, An oasis in Tokyo, Frame n° 90, p. 96-103 8 CARLO Anne-Lise, Décembre 2016, Les nouveaux architectes jouent collectif, M, le Monde n° 275, p. 73-75
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Notes III 9
Terme apparaissant dans « La main qui pense » mais aussi dans la présentation qu’ils font d’eux-même à l’occasion des AJAP, https://ajap.citedelarchitecture.fr/fr/laureats/cigue 10 27 selon le site internet : cigue.net (janvier 2018) 11 « Une parenthèse enchantée (2003-2008) où le concevoir passe par le construire et le tout fait main », SILIEC Yann, 2016, ouvrage suscité. 12 Conférence introductive du numéro #2 Artisanat de la revue QNDMC, ouvrage suscité 13 The après garde numéro 1, 2016 14 COIRIER Lise, Juin-Juillet-Août 2013, Ciguë, design sextuor, TLMAG n° 18, p. 36-39 15 NOLAN Billy, 2013, ouvrage suscité. 16 Conférence introductive du numéro #2 Artisanat de la revue QNDMC, ouvrage suscité 17 CARLO Anne-Lise, 2016, ouvrage suscité, Propos de Karl Fournier, Studio kO 18 LAVALOU Armelle, mars 2005, La qualité du construit, d’A n°144, p. 17-26. Propos de Jean Prouvé, 1982. 19 Conférence Ensal Paul Vincent 20 Texte sur le rétablissement de la chaîne de compétence 21 Exemple des surdimensionnements de paliers à Turin sur la tour SanPaolo afin d’y permettre de nouveaux usages, RPBW, livrée en 2015 22 d’Architectures N° 240 - Nov. 2015, Est-il encore possible d’expérimenter en France?, p 55 23 Idem 24 DESMOULINS Christine, Juillet 2016, Comment optimiser les coûts et la qualité des projets publics ?, d’Architectures n°246, p 38 25 Classement sur la moralité des entreprises, sur le respect des coûts.. 26 Référence à Emanuel Ritz et Estelle Morlé 27 Conférence Ensal Paul Vincent 28 Architecten de vylder vinck taillieu,Doorzon interieurarchitecten & Filip Dujardin, Bravoure, Scarcity, Beauty, VAi, 2016, p. 129 29 DE VYLDER Jan, Drawing is everywhere, in RIEDJIK Michiel, Architecture as Craft, 2011, p. 85 30 Idem 31 Idem
139
140
Bibliographie Iconographie
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BIBLIOGRAPHIE Livres ALBERTI Léon-Battista, L’art d’édifier, Seuil, 2004. ANTINIOLI Manola, Machines de Guerre Urbaines, éditions Loco, 2016 Architecten de vylder vinck taillieu,Doorzon interieurarchitecten & Filip Dujardin, Bravoure, Scarcity, Beauty, VAi, 2016 BOUTILLIER Sophie, Artisanat, la modernité réinventée, L’Harmattan, 2006 CASSELY Jean-Laurent, La révolte des premiers de la classe ; métiers à la con, quêtes de sens et reconversions urbaines, Arkhe, 2017 CHADOIN Olivier, Etre architecte : Les vertus de l’indétermination. Une sociologie du travail professionnel, Pulim, coll. « Sociologie et sciences sociales », 2007 CHAMPY Florent, Sociologie de l’architecture, La Découverte, coll. « Repères », 2001 COLOMINA Beatriz, La Publicité du privé, de Loos à Le Corbusier, Éditions HYX, collection « Restitutions », 1998 CRAWFORD Mattew B, Eloge du carburateur, 2009, Edition française La Découverte, 2016 DEAMER P. & BERNSTEIN P.G., Building (in) the Future, Yale School Architecture, 2010 DURKHEIM Emile, Division du travail, préface 2ème édition, 1897 ELLUL Jacques, Le système technicien, 1977, 2ème édition, Le Cherche Midi, 2004 FOCILLON Henri, Eloge de la main, Les classiques des sciences sociales, 1934 GIRARDET Raoul, Mythes et mythologies politiques, Points, 1990 GOETZ Benoît, Indéfinition de l’architecture, Editions de La Villette, 2009 GRASSI Giorgio, L’architecture comme métier et autres écrits, Mardaga, 1995 GROPIUS Walter, Scope of Total Architecture, Collier Books, 1962 HIBOU Béatrice, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2012 HOUELLEBECQ Michel, La carte et le territoire, Flammarion, 2010 JACQUES Annie, La carrière de l’architecte au XIXe siècle, Dossier du Musée d’Orsay, Paris, 1986
142
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143
Revues ARCHITECTURE d’AUJOURD’HUI, numéro 422, décembre 2017, DARRIEUS Margaux, octobre 2016, Le grand retour du dessin d’architecture, AMC n°254 DUMONT Marie-Jeanne, décembre 2005, DPLG, vie et mort d’un diplôme, d’Architecture, n°151 MOULIN Raymonde, 1994, Les architectes. Métamorphose d’une profession libérale, Revue française de sociologie LEACH Andrew, 2005, Choosing history, The journal of architecture, volume 10, n°3 RODRIGUEZ TOMÉ D., 2006, L’organisation des architectes sous la IIIe République. Le Mouvement Social, Editions de l’Atelier, n°214 Articles C.J., Mars-Avril 2011, Des architectes en symbiose, Maison à Vivre Bois n° 26 CARLO Anne-Lise, Décembre 2016, Les nouveaux architectes jouent collectif, M, le Monde n° 275 COIRIER Lise, Juin-Juillet-Août 2013, Ciguë, design sextuor, TLMAG n° 18 d’Architectures N° 240 - Nov. 2015, Est-il encore possible d’expérimenter en France ? DE VYLDER Jan, Drawing is everywhere, in RIEDJIK Michiel, Architecture as Craft, 2011 DESMOULINS Christine, Juillet 2016, Comment optimiser les coûts et la qualité des projets publics ?, d’Architectures n°246 DUHALDE Bénédicte, Mai-Juin 2012, Les architectes ouvriers de Ciguë, Intramuros n° 160 GRAVES Michael, Architecture and the lost art of drawing, The New York Times, parution du 2 septembre 2012 HERVIEU Philippe, Juin 2016, Aesop, chimiquement pur, Sites Archis n°259 LAVALOU Armelle, mars 2005, La qualité du construit, d’Architectures n°144 MARTEL François, Décembre 2013, Rencontre avec le collectif Ciguë, QNDMC n° 2 « Artisanat » MATHIEU Valérie, Mai-Juin 2011, La petite fabrique du design, Marie-Claire Maison n° 148 NOLAN Billy, Janvier 2013, An oasis in Tokyo, Frame n° 90
144
RENEAU Olivier, Octobre 2015, Ciguë, artisans chics, IDEAT spécial n° 6 RENAUD Olivier, Octobre 2012, Ciguë, un design brut et affuté, Optimum n° 48 RENEAU Olivier, Juin-Juillet-Août 2012, Ciguë, une architecture de moyens, L’Officiel Art n° 2 SILIEC Yann, Novembre-Décembre 2016, Ciguë, Le chemin de faire, Intramuros n° 187 The après garde numéro 1, 2016 Internet https://voirenvrai.nantes.archi.fr/?p=775 http://www.des-gens.net/UP6-Unite-Pedagogique-d GUEX Patrice, Objet-prétexte In : Demain l’artisanat ? [en ligne]. Graduate Institute Publications, 1986. Disponible sur Internet, http://books.openedition.org/iheid/3340 http://www.portesouvertes.architectes.org/page/2-les-jpo-c-est-quoi Site web, AJAP 2012, https://ajap.citedelarchitecture.fr/fr/laureats/cigue https://ajap.citedelarchitecture.fr/fr/laureats/cigue Emissions de radiophonie et conférences A VOIX NUE, Patrick Bouchain, l’architecture en partage, 2017, émission de radiophonie proposée par BOURGEOIS Raphaël, diffusée le 11 janvier sur France Culture NOUVELLES VAGUES, Artisanat 1/5, 2016, émission de radiophonie proposée par RICHEUX Marie, diffusée le 28 mars sur France Culture NOUVELLES VAGUES, Artisanat 2/5, 2016, émission de radiophonie proposée par RICHEUX Marie, 42’’, diffusée le 28 mars sur France Culture Conférence inaugurale de l’année 2015-2016, Ensal, Paul Vincent, A la recherche d’une architecture vertueuse Conférence introductive n°2, Artisanat , par Alphonse Sartouth de Ciguë, invité par la revue QNDMC à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon le 05 décembre 2013 CHASLIN François pour Une journée à l’académie. 28 novembre 2012. Retransmission de l’intervention du correspondant de la section d’architecture des Beaux-Arts, diffusée via la page web : http://www.canalacademie.com/ida9991-Une-journee-a-l-Academie-desbeaux-arts-avec-Francois-Chaslin.html UNE VIE, UNE ŒUVRE, Walter Gropius (1883-1969), 2013, émission de radiophonie proposée par GARRIGOU-LAGRANGE Mathieu, diffusée le 26 octobre sur France Culture
145
Iconographie 1.
« Les membres de Ciguë, dans leur agence de Montreuil située au-dessus de l’atelier de menuiserie qui leur sert à réaliser des prototypes, des maquettes et des éléments architecturaux. » © Young-Ah Kim, 2015 RENEAU Olivier, Octobre 2015, Ciguë, artisans chics, IDEAT spécial n° 6, p. 100-102 (http://cigue.net/wp-content/uploads/2017/02/151000-IDEAT-France-spécial-6-october2015.pdf)
2.
« Studio de Ciguë dans la banlieue de Paris. Ils disposent d’un atelier de menuiserie où de nombreux outils et matériaux divers s'alignent aux bureaux » Shoten Kenchiku –revue japonaise-, numéro 80, janvier 2015 (http://cigue.net/wp-content/uploads/2017/02/150101-Shoten-Kenchiku-80-japan-january2015.pdf)
3.
« Le studio-laboratoire de Montreuil. Depuis quelques années, les Ciguë en gèrent également un en province. » © Alexandre Guirkinger, 2013 FERRARI Lia, Mars 2013, Facciamo (quasi) tutto, Casa da Abitare n° 165, p. 100-105 (http://cigue.net/wp-content/uploads/2014/04/130300-casadiabitare17businessstory_165.pdf)
4.
« Aesop Le Marais », 64 rue vieille du temple, 75003 Paris, © Emmanuel Barbe pour Ciguë, 2011 (http://cigue.net/fr/project/aesop-6/)
5.
« Aesop Tiquetonne », 29 rue tiquetonne, 75002 Paris, © Louis Basquiat pour Ciguë, 2012 (http://cigue.net/fr/project/aesop-4/)
6.
Bix, Mobilier, © Ciguë, 2008 (http://cigue.net/fr/project/bix/)
7.
“Julien David Core-Loc”, 7rue Debelleyme, 75003 Paris © Ciguë, 2017 (http://cigue.net/fr/project/julien-david-3/)
8.
« Pain Paulin, Boulangerie-Logements », 22 route de Bordeaux, 33950 Cap-Ferret © Maris Mezulis pour Ciguë, 2017 (http://cigue.net/fr/project/pain-paulin/)
9.
Idem
10. « Collection Roudil, Archeologie contemporaine », © Ciguë, 2010 (http://cigue.net/fr/project/collection-roudil/) 11. Portrait de Paul Vincent, ©Bernadette Forest ?, 2015 (http://www.lyon.archi.fr/fr/presentation-paul-vincent) 12. Le système structurel de la Maison Hermès derrière le pavé de verre, © Mi Moleskine Arquitectonico, 2009 (http://moleskinearquitectonico.blogspot.fr/2009/04/renzo-piano-en-tokio.html)
13. Maquette du Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou, © Stefan Gingras, 2010 (https://www.behance.net/gallery/492600/Renzo-Piano-scale-Model) 14. Close-up sur le Diabolo©, produit Terreal développé en partenariat avec RPBW, photographie © Lucile Jacquot, Aurélie Jadaud, Marie Préaut (http://dem-aacc-iav.wixsite.com/visiteamiens/projet-diabolo) 15. Portrait de groupe de « Bravoure » à la Biennale de Venise, © Filip Dujardin, 2016 (https://www.vai.be/sites/default/files/bijlagen/pers/press_release_-_bravoure_eng.pdf) 16. Calque de dessin projet « Cobra », Anvers, © architecten de vylder vinck taillieu, 2017 Extrait du livret du projet, document privé 17. Axonométrie du projet « Cobra », Anvers, © architecten de vylder vinck taillieu, 2017 Extrait du livret du projet, document privé 18. Maquette du projet « Cobra », Anvers, © architecten de vylder vinck taillieu, 2017 Extrait du livret du projet, document privé 19. Maquette pour un projet de mobilier «Kamer Frank » , © Mélissa Coelho pour aDVVT, 2017 Photo personnelle pour approbation client 20. Maison rue Peerstraat © Filip Dujardin pour aDVVT, 2012 (http://maniera.be/creators/7/architecten-de-vylder-vinck-taillieu) 21. Projet « Maarschalk Gerardstraat 5 », Anvers, © Eagles of Architecture, 2014 (https://www.vai.be/sites/default/files/bijlagen/pers/press_release_-_bravoure_eng.pdf) 22. Réplique colonne projet « Maarschalk Gerardstraat 5 », Venise, © bravoure (https://www.vai.be/sites/default/files/bijlagen/pers/press_release_-_bravoure_eng.pdf) 23. Maison pour deux familles, Leefdaal, , © Filip Dujardin pour aDVVT, 2017 (http://afasiaarchzine.com/2017/11/de-vylder-vinck-taillieu-17/) 24. Maquette globale 1/50eme projet « Cobra » © architecten de vylder vinck taillieu, 2017 Extrait du livret du projet, document privé
Image d’illustration couverture : Construction en chaux-chanvre à Gand, b c architects, 2017 (http://studies.bc-as.org)
147
1200
FORMATION
1300
≈ 7 ans d’apprentissage
1500
«l’architecte ?» = le maître-maçon ou le charpentier
↓
participe activement de ses mains
1550
Formation traditionnelle (MANUELLE) OU intellectuelle (THEORIQUE)
dessins de la seule façade
la géométrie comme nouvel outil s’éloigner de l’activité manuelle = gagner sa place parmi les intellectuels
de moins en moins présent sur le chantier
la présence sur le chantier dépend de la figure -ex Alberti, jamais présentapparition de l’aspect communicationnel de l’architecture -usage renforcé du dessin, naissance
de la
guildes
ORGANISER
pas de coupure entre élaboration et réalisation
FIGURES de RUPTURE
1650
1700
Formation ACADEMIQUE mais sur mode du patronnage
-chaque académicien peut patronner un élève-
nomination par «brevet», l’architecte reçoit une pension et une charge 1663 → création du Prix de Rome 1671 → création de l’Académie Royale d’Architecture
Pas de d
Pas de te
Variation selo
1743 → Ecole 1747 → créat Définition
«Sortir l’architecture du mortier et de la truelle»
François Blondel, directeur de l’Académie Royale d’Architecture
enc
fession = une histoire, belles
tiques, stéréotom
Dans la
architecte
dans to
perspective, de la maquette-
émancipation des corporations s’identifier en art libéral
artisans appartenant aux métiers de la construction et de la charpente importance du chantier, loges des artisans
1600
figure du «génie» = temps de formation aléatoire
Apprenti ↓ Compagnon ↓ Maître
pas de dessin préparatoire
FAIRE
1400
s’éloigner des artisans pour se rapprocher des commanditaires
pour bâtiments royaux : structure autour d’un maître-maçon parisien (Charles V)
les maçons commencent à se doter eux-même du titre d’architecte profession libérale architectes et entrepreneurs mêlés jusqu’en 1775
Traité d’Alberti -paru en 1553 en France-
l’Académie pratique m théorique,
Blondel
«Alberti achève d’élever l’architecture au rang des Arts libéraux , en séparant franchement la conception ou le travail mental de l’exécution» (A. Chastel)
Le maître maçon (XIII)
1540, En France, l’architecte moderne se distingue L-B Alberti, Italie du maître-maçon (1404-1472) (Philibert Delorme)
148
Michel-Ange, Italie (1475-1564)
Jacques-Fr (1705-1774
1750
1800
diplôme d’architecte = emps d’études défini =
1793 → Suppression de toutes les académies ↓
e des Arts de J.F. Blondel tion de Pont-et-Chaussée
cyclopédique de la proliste de compétences dessin,
mathéma-
mie, géométrie, optique, décor...
pratique confusion
e/maçon/entrepreneur
out l’ancien régime
1850
1875
1925
1950
1975
2000
-tout architecte peut créer un atelier pourvu qu’il ait des élèves-
1819 → Ordonnancement des Beaux-Arts ↓ 24 valeurs → 5 à 6 ans d’études
1865 → création de l’Ecole Spéciale . d’Architecture -diplomante1867 → diplôme d’architecture délivré . par l’école des Beaux-Arts
1914 → Architecte DPLG
1968 → Unités Pédagogiques d’Architecture Intégration de nouvelles matières comme la psychanalyse et la sémiotique
-ne vaut alors que pour les architectes parisiens-
dévalorisation du chantier modernité → le chantier s’accelère
le plan devient contractuel → bureaucratisation de la profession
distinction professionnels de Paris et professionnels de province (identité de métier et de formation plus floue)
la hausse de la commande publique oriente les activités de l’architecte : fin de l’artiste total -mais toujours valorisé comme identité professionnelle-
organisation en agence = hiérarchie triumvirale ↓ le projecteur (conception) e n’a toujours pas d’effet ↓ mais en dressant la base l’inspecteur (administration et contrôle) constitue les normes. ↓ le conducteur (suivi de chantier)
rançois Blondel, France 4)
1900
transmission par «OSMOSE» du maître au disciple
Intégration aux Beaux-Arts
on ressources financières conscience des progrès appréciation du maître
s-lettres,
1825
rivalité avec de nouvelles professions découlant du développement des sciences et techniques
1940 → Vichy, renouveau corporatiste, création de l’Ordre des Architectes
réaffirmation du statut libéral de la profession
1895 → code Guadet, établissement d’une déontoligie
William Morris, Manfredo TafuriAngleterre (1834-1896)
149
activité salariée de l’architecture
1977 → loi du 3 mars
allongement des chaînes de travail, ségmentation des missions
Walter Gropius, Allemagne (1883-1969)
Manfredo Tafuri, Italie (1935-1994)
Résumé Après le burn-out ou encore le bore-out, voici venue l’heure du brown-out, comprendre ici la perte de sens. Si les professions « de bureau » sont les plus touchées, l’architecte n’est pas en reste. L’émiettement de la profession implique la dispersion des efforts, du temps, la perte de la matière et, avec elle, la perte du sens. Face à ce phénomène, les jeunes diplômés partent à la recherche d’alternatives à l’agence d’architecture, avant même d’y avoir mis les pieds. Ainsi se multiplient les collectifs d’architecture, pluridisciplinaires ou, comme ils préfèrent le dire « touche-à-tout » qui travaillent sur des objets ne nécessitant pas de permis, des petits projets de construction, de médiation, d’événementiel, de design... En limitant les intermédiaires techniques et législatifs il semble plus aisé de donner corps à une création maîtrisée. Il ne s’agit néanmoins pas de considérer ce retour aux pratiques artisanales comme un mouvement nostalgique ; ce serait minimiser ses raisons et sa portée en le fixant dans une image romantique. Il semble nécessaire de considérer la pratique artisanale comme un processus plutôt qu’un résultat, de ne pas déterminer le « retour » au faire soi-même comme un objectif mais de prendre du recul vis-vis du phénomène, en identifiant par exemple les résurgences de cette posture au cours de l’histoire. Les architectes cherchent-il l’identité de leur profession dans la relation simple aux autres corps de métier ?
150
Abstract After the burn-out or the bore-out, here comes the time of the brown-out, which means here « the loss of meaning . » If office’s professions are most affected, the architect is not left out. The crumbling of the profession implies the dispersion of efforts, of time, the loss of the material and, with it, the loss of meaning. Faced with this phenomenon, young graduates architects are looking for an alternative to the architecture offices, even before trying them. There is always more architeral collectives, multi-displinary associations, who work on objects that do not require permits ; small construction, mediation, event and design projects ... By reducing the technical and legislative intermediaries it seems easier to embody a mastered creation. However, this return to craft practices can’t be considered only as a nostalgic movement; it would be to minimize his reasons and his scope by fixing it in a romantic image. It seems necessary to consider the artisanal practice as a process rather than a result, not to determine the «return» to do oneself as an objective but to seek on the contrary, a certain decline with that phenomenon, identifying for example the resurgences of this posture in the course of history. Do architects seek the identity of their profession in the simple relationship to other works? Can the values of craftsmanship be a remedy to the indeterminacy of architects?
151
152
Je tiens à remercier Marine, Valentin et Diego, pour leur aide opportune, Toutes les jeunes pousses de l’agence de vylder vinck taillieu, qui m’ont épaulée en langues étrangères, Danke Pietertje, a big heart in small details, Et surtout merci à Alice et Clara, leur bienveillance a été la clé.
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