Bravo Manon | La rénovation urbaine, des îlots insalubres aux grands ensembles aujourd’hui.
SOMMAIRE Préambule
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Introduction
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Développement
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I. La naissance de la pensée sur l’insalubrité. a. Les constats b. Les premières mesures d’expropriation c. Identifier les quartiers et décrire les modes de vie
II. Les îlots insalubres : de l’action urbaine aux représentations. a. La représentation fondatrice (1906-1920) b. Les îlots insalubres, objets d’aménagement (1910-1945) c. 1945 : une nouvelle statistique pour la reconstruction
III. Les grands ensembles : une réponse au manque de logements d’après-guerre a. La naissance du logement social b. Un engagement de l’Etat dans la construction c. Un sentiment de gigantisme et d’exclusion
p. 9 p. 9 p. 13 p. 19
p. 27 p. 27 p. 29 p. 32
p. 33
p. 33 p. 34 p. 39
Conclusion
p. 43
Table des illustrations
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Annexes
p. 49
Bibliographie
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PREAMBULE Dans le cadre du rapport d’études de 3ème année de licence d’architecture, j’ai choisi de m’intéresser au thème de la rénovation du bâti. Ce procédé architectural amène à réfléchir à de nouveaux usages, une nouvelle fonctionnalité et un nouveau statut qui requalifient le lieu. Cela élargit ma manière de penser l’architecture et d’aborder le projet. Pour voir plus loin que la rénovation d’un bâti, j’ai voulu aborder la notion de rénovation urbaine, qui possède une ampleur à plus grande échelle et entraine des transformations considérables. En effet, la relation entre spatialité, usage et développement urbain me semble essentielle. La rénovation urbaine a pour objectif de redynamiser un quartier, une zone en y apportant un intérêt nouveau et en lui donnant un second souffle.
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Victor HUGO 1 avril 1832 « Pauvres misérables… bourgeois égoïstes qui vivent heureux et contents au milieu du peuple décimé tant que la liste fatale du 1 choléra morbus n’entamera pas l’Almanach des-cinq mille adresses. »
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Victor Hugo, Journal 1830-1848, paru en 1954, p.25
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INTRODUCTION La ville est en constant mouvement, elle suit le rythme de la société qui évolue, se développe et entraine des changements parfois inattendus dans l’espace urbain. Des mutations qui peuvent être lentes et presque imperceptibles, ou des bouleversements violents qui laissent une trace dans la ville ou son histoire. C’est le regard de la société sur l’espace qu’elle habite qui permet de le faire évoluer, de l’adapter aux mœurs, à la façon de l’investir et aux notions nouvelles. C’est là qu’intervient la rénovation urbaine. Selon l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine aujourd’hui, cela signifie « transformer les quartiers stigmatisés en quartiers ordinaires, intégrés à la ville », à l’aide d’opérations d’urbanisme tendant à moderniser et à remodeler les quartiers anciens ne répondant plus aux normes actuelles d’occupation des sols. Le XIXème siècle est un moment décisif dans la perception des conditions de vie d’un grand nombre d’habitants, en particulier de la classe ouvrière. Les sciences nouvelles se développent et amènent de nouvelles manières de penser, de vivre, et donc d’habiter. L’intérêt pour l’assainissement de la ville et par extension, du logement, émerge et s’impose au centre des préoccupations de l’époque. L’association progressive d’acteurs de domaines différents (médecins, politiques, ingénieurs, sociologues, etc) permet d’animer les consciences sur l’urgence et la nécessité d’intervention. On note des actions considérables, qui lancent les opérations, comme les percées hygiénistes, fonctionnelles et urbaines du Baron Haussmann (1852-1870). Mais on se limite là à une action sur l’espace public et on en oublie les logements. Le XIXème siècle est un siècle riche en découvertes, innovations et transformations. Il marque une 7
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accélération dans l’évolution de l’aménagement de la ville et le début de préoccupations toujours d’actualité. Pendant la Troisième République, le modèle patronal a pour objectif de modeler les esprits et d’éduquer la classe ouvrière à un mode de vie plus hygiénique. Après la première guerre mondiale, on démolit pour éliminer l’insalubrité et on construit en périphérie. La persistance de quartiers anciens marginalisés demandera de nouvelles interventions. Toutes ces interventions sont soutenues par des séries de textes qui, au fil des années, accompagnent le locataire dans la demande d’assainissement de son logement. Je choisis d’étudier le cas de la ville de Paris. Au XIXème siècle, Paris s’installe à la deuxième place des villes les plus peuplées d’Europe et connait une croissance démographique considérable durant la seconde moitié du siècle. L’industrie se développe autour de la ville qui se densifie. Des constructions hasardeuses, en hauteur, apparaissent, bloquant la lumière, entrainant la saleté, l’entassement, l’humidité et le manque d’air. Une situation qui inquiète les administrateurs, médecins, chimistes, ingénieurs et hygiénistes qui s’associent pour développer une pensée sur la ville. On constate au même moment les mauvaises conditions de vie de la classe ouvrière. Johann Peter Frank, médecin hygiéniste allemand, fonde dès 1776 la santé publique en déclarant que la santé de la population est sous la responsabilité de l’Etat. Les ilots insalubres apparaissent grâce aux études statistiques qui démontrent un Paris « cristallisé » et de fortes inégalités entre Paris et ses périphéries ou même entre les quartiers riches et populaires de la ville. Comme le dit Françoise Choay dans son livre Espacements, le XIXème siècle fait naître dans la structure de l’espace urbain une bipartition entre les beaux quartiers et les quartiers populaires.
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Dans ce contexte, nous étudierons tout d’abord la naissance de la pensée sur l’insalubrité. La densification et le surpeuplement sont constatés et le taux de mortalité dû aux épidémies ne cesse de croître. Des études approfondies, à l’aide de divers outils, permettent alors de faire émerger des « secteurs meurtriers ». Ainsi, nous nous intéresserons à la question des îlots insalubres qui donnent naissance à des opérations remarquables. Et enfin, nous nous attarderons sur les opérations urbaines survenues en réponse à la surdensité des îlots insalubres et au manque de logements de l’époque. La pensée de Yankel FIJALKOW dans son écrit, La construction des ilots insalubres, Paris, 1850 – 1945, a particulièrement guidé ma réflexion sur le phénomène de rénovation urbaine du XIXème et du XXème siècle. Un phénomène que j’ai choisi de mettre en lien avec l’ensemble des savoirs assimilés durant ces trois années sur la composition de la ville, son développement, son évolution et son histoire.
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DEVELOPPEMENT I. La naissance de la pensée sur l’insalubrité. a. Les constats Dès la fin du XVIIIème siècle, une relation est établie entre la santé du peuple et la qualité de l’air. En 1783, la question de la circulation de l’air est étudiée par une ordonnance royale qui envisage des nouvelles rues et un alignement des maisons pour éviter les coins sombres. Avec l’exode rural et l’industrialisation de la ville du XIXème siècle, la qualité des rues, et progressivement des logements, inquiète sérieusement. On parle d’activités polluantes et de surpeuplement qui nuisent au bon fonctionnement et à l’hygiène de la ville. Les épidémies se succèdent et mettent Paris à mal. Elles persistent et ont des répercussions considérables dans certains secteurs en particulier. Les médecins commencent à se pencher sur la question, il y a des différences évidentes entre les quartiers de Paris et la pensée commune rattache le développement des épidémies à la pauvreté. En effet, si nous comparons : le quartier de l’Hôtel de Ville subit 53 décès sur 1000 alors que le quartier bourgeois de la Chaussée d’Antin n’en compte que 8 sur 1000 au début du siècle2. Le pauvre fait alors peur, on le fuit et des secteurs insalubres apparaissent. Les études montrent un lien entre l’obscurité, l’humidité, la malpropreté, l’étroitesse et la promiscuité des rues, et de forts taux de mortalité. On remarque une influence des saisons sur la morbidité et la mortalité. Un constat qui lance la pensée sur l’insalubrité et des analyses poussées pour tenter de résoudre le problème. Intellectuels, chimistes,
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D’après Elsbeth Kalff, Le logement insalubre et l’hygiénisation de la vie quotidienne, Paris (1830-1990), 2008, p.29
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médecins, politiques et hygiénistes se confondent pour analyser les milieux selon les logiques diverses de l’hygiène publique3. « L’entassement des hommes, leur réunion rendent l’air moins élastique et moins pur. Ces effets sont plus marqués à Paris dans certains quartiers, où ils sont favorisés par la forme, la disposition, le resserrement des habitations et entretenus par les exhalaisons putrides et les miasmes morbifiques disséminés dans l’atmosphère. On voit encore des rues étroites et mal percées où la libre circulation de l’air est interrompue. » 4 La ville se densifie, les constructions exigües s’entassent, et la population augmente. On assiste à une puissante expansion migratoire en opposition à un faible renouvellement de constructions. « Les vieilles maisons ont dû crever leurs toits, se pousser d’un ou deux étages. La plus haute mansarde, la plus misérable soupente est utilisée jusqu’aux paliers d’escaliers où l’on couche la nuit. » 5
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Le rapport des maisons entre elles, l’obscurité et l’humidité, les rues étroites et sombres, les vices rattachés à la construction de l’immeuble, les imperfections des règlements de petite voirie, l’influence des arts et métiers et les voiries de mauvaise qualité ou la présence de cimetière 4 Officier Oudin-Rouvière, Essai sur la topographie médicale de Paris ou disseration sur les substances qui peuvent influer sur la santé des habitants de cette ville, 1794, p.3 5 Philippe Ariès, Histoire des populations françaises, Seuil, 1978, p.129, à propos de l’année 1831 où le sommet de la densité est atteint à Paris
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Fig. 01 : La rue de Venise vers 1920, à peine assez large pour faire passer une charrette.
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Les facteurs dépendants de la nature ne semblent plus suffire pour expliquer l’insalubrité. Des déterminants sociaux tels que les variations structurelles, les mœurs, etc, viennent compléter la liste des facteurs supposés de l’insalubrité. L’observateur social, en 1827, rend compte de l’entassement des familles dans certains quartiers de la ville dû au manque de logements, aux prix des loyers souvent trop chers et à la nécessité de vivre en ville, là où il y a du travail. En 1830, on recense 28 habitants par maison et 190m² par habitant dans le quartier riche des Champs Elysées contre 35 habitants par maison et 8m² seulement par habitant dans le quartier populaire des Halles, selon les recherches statistiques de la ville de Paris6. Le quartier des Halles est un des quartiers les plus touchés par l’insalubrité. Il illustre le cumul d’handicaps : une population indigente, une saleté des rues légendaire, une densité impressionnante de 1500 habitants par hectare, des constructions élevées, sombres et étroites et un taux de mortalité important.
Fig. 02 : Les grandes heures des Halles de Paris 6
D’après Yankel Fijalkow, La construction des îlots insalubres, Paris 1850-1945, 1998, p.33
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Les constats font peur et imposent une réaction. A la fois pour combattre l’insalubrité existante, et par peur que celle-ci ne se répande dans tous les quartiers de la ville. b. Les premières mesures d’expropriation Pour appuyer ces constats, de nombreux outils sont mis en place dès 1776 avec la création de Société Royale de Médecine. Elle établit la première enquête sanitaire organisée par une institution médicale et permet de prendre conscience de la situation globale. La question de la salubrité apparait réellement au début du XIXème siècle, notamment avec la création du Conseil de Salubrité de la Seine par le préfet de police de la ville, focalisé sur les problèmes de salubrité constatés. La première loi d’assainissement des villes apparait en 1807, mais il faut attendre 1822 pour voir naître les premières recherches statistiques. Les médecins sont les premiers impliqués. Lors de décès, ils recensent une quantité d’informations afin d’étudier le processus de mortalité croissante. En 1833, après une réorganisation du bureau de la statistique, celui-ci est plus attentif aux faits de population et arrive à penser en catégories. Le 20 août 1831, les préfets de Paris créent les Commissions de Salubrité qui ont du mal à se faire accepter. Selon la loi, les notables bénévoles qui les composent, détiennent le droit de franchir le seuil des appartements ou maisons particulières pour en juger la salubrité, selon un maximum de facteurs7. En 1840, Louis-René Villermé, médecin français, précurseur de la sociologie, a pour objectif de décrire les logements, les ménages et les mœurs. Il développera l’intérêt de l’hygiène individuelle et des arts de bien vivre et bien bâtir. Et, en 1842, grâce au docteur Henri Bayard, un des 7
Le climat, la nature du sol, la présence de cours d’eau, la profession, l’âge, le sexe, la densité démographique, etc.
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premiers praticiens de médecine légale, les méthodes quantitatives sont repensées pour prendre en compte le social. Un an auparavant, il est nommé inspecteur vérificateur des décès de la ville de Paris. Ainsi, il parcourt tous les quartiers, observe tous les milieux et note l’effroyable rupture entre les quartiers et l’inefficacité de l’approche topographique qui doit être complétée. Bayard veut montrer la diversité des états relatifs d’insalubrité dans la capitale. Il sélectionne les 50 rues les plus « propres » et les 50 rues les plus « humides et sales » de Paris. Pourquoi certains lieux sont plus touchés par l’insalubrité que d’autres ? Pourquoi ces lieux là ? Quelles interventions permettraient d’éradiquer cette insalubrité ?
Fig. 03 – à gauche : Vue d’une ruelle sombre et humide de l’îlot insalubre n°1, avant les démolitions des années 1930 ème Fig. 04 – à droite : L’insalubrité des rues de Paris dans le quartier de la gare, 13 arrondissement
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Fig. 05 : Rue du faubourg Saint Antoine dans les quartiers bourgeois de Paris
La dénonciation de l’état sanitaire des rues renvoie à la question des systèmes d’aération ou de vidange des maisons qui en subissent les perturbations. Pour réagir contre l’insalubrité, on a le désir de faire entrer la lumière dans les rues de la ville. Paris est composé de rues dans toutes les directions et on envisage de grandes percées pour aérer le tissu. A cette époque, le seul moyen d’action envisagé est de détruire l’habitat lui-même « comme on détruit une fourmilière pour disperser les fourmis. » 8 Cependant on sait que si on détruit un logement indigent, son locataire en cherchera un nouveau, équivalent, dans un quartier voisin aggravant la situation de celui-ci. La population pauvre se déplace entrainant avec elle la densité et l’insalubrité.
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Claire Lévy-Vroelant, Le diagnostic d’insalubrité et ses conséquences sur la ville : ème Paris 1894 – 1960, in Population, 54 année, n°4-5, 1999, p.715
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Entre 1833 et 1848, le Préfet Rambuteau entame des transformations urbaines. Il travaille selon des logiques fonctionnelles, au détriment de l’argument hygiéniste s’occupant uniquement des espaces publics de centre ville, des boulevards etc. C’est par sa démarche que commencent les premières démolitions, très timides. Elles ont lieu dans le 4ème arrondissement et s’accompagnent de mesures d’expropriation. Malheureusement, elles n’ont pas l’effet escompté car les lois de l’époque vont plus en faveur des spéculateurs et des propriétaires. Les opérations d’aménagement urbain après démolition aboutissent à des logements d’un standing supérieur dont le prix n’est plus accessible par l’ancienne population qui se retrouve à la rue. En 1835, des citernes imperméables sont installées dans les maisons pour récolter les déchets. C’est un premier pas vers la rénovation et vers l’hygiène. Ainsi, dès 1848, les analyses insuffisantes sont complétées d’analyse du logement. On s’intéresse aux logements et notamment à la possibilité qu’un logement puisse être salubre dans une maison insalubre ou inversement. Les logements sont susceptibles d’être rénovés ou assainis sans forcément penser à la démolition.
Fig. 06 : Logement d’une famille ouvrière à la fin du XIXème siècle
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On a la volonté de différencier les secteurs, à l’aide de conseils départementaux et de commissions dans chaque canton. L’échelle du quartier s’aborde alors en 1850 avec les états sanitaires. Ce sont des relevés statistiques qui englobent des données chiffrées provenant de l’état civil et du recensement. Cette logique de différenciation des secteurs est à l’origine de changements profonds dans les pensées et les interventions politiques, et de l’émergence du concept d’habitabilité. Grâce à cette prise de conscience, la loi sur l’assainissement des logements insalubres est proclamée le 13 avril 1850. Elle donne le droit à tout locataire de se plaindre de ses conditions d’habitat. Un diagnostic est déposé par la Commission des logements et oblige le propriétaire à exécuter les travaux nécessaires. C’est un tournant décisif dans l’histoire des logements insalubres9. La loi est en faveur du locataire et non plus du propriétaire. Les premières plaintes de 1850 sont liées à la grave crise du logement qui frappe Paris. Elles se font pourtant rares, soit 2 000 affaires par an, par peur de l’expropriation et manque d’éducation à l’hygiène. En 1943, grâce au développement des consciences et à la loi du 1 er septembre 1948 qui assure le maintien des locataires dans les lieux à rénover, le rythme s’accélère. On passe à 10 000 affaires par an10. La pensée de l’insalubrité évolue et semble devenir moins supportable. Au final, les plaintes ont peu d’effet. Lors des procès, les amendes envers les propriétaires sont dérisoires, les prescriptions de travaux sont rares et les interdictions d’habiter inexistantes. Il en faut plus pour atteindre les propriétaires et faire changer les choses.
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Une nouvelle définition du terme « insalubrité » est alors exprimée : « Il y a insalubrité partout où il y a mauvaise odeur pouvant vicier l’air, partout où règnent l’humidité, la malpropreté, où manquent l’air et la lumière. » 10 Claire Lévy-Vroelant, Le diagnostic d’insalubrité et ses conséquences sur la ville : ème Paris 1894 – 1960, in Population, 54 année, n°4-5, 1999, p.718
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Avant 1946 nb % 56 5,51 115 11,31 52 5,11 133 13,08 75 7,37 47 4,62 18 1,77 19 1,87 50 4,92 81 7,96 nb %
Après 1946 nb % 478 13,39 414 11,59 400 11,20 254 7,11 239 6,69 114 3,19 103 2,88 28 0,78 8 0,22 3 0,08 nb %
Plaintes concernant l’immeuble Parties communes Conduits de fumée Toitures WC Canalisations Humidité Murs et ravalement Fenêtres Branchements particuliers Fosses d’aisance Plaintes concernant le logement Humidité 133 13,08 656 18,37 Sols et plafonds 64 6,29 233 6,52 Fenêtres/portes 32 3,15 208 5,82 défectueuses 59 5,80 122 3,42 « Logement insalubre » 37 3,64 101 2,83 Cheminées défectueuses 5 0,49 52 1,46 Installations sanitaires 10 0,98 41 1,15 défectueuses 31 3,05 117 3,28 Loges insalubres Autres Total 1017 100,00 3571 100,00 Fig. 07 : Répartition des plaintes sur l’immeuble et sur le logement avant et après 1946
A cette période, seulement 8 000 maisons sont desservies par l’eau de Seine alors que tous les recoins de la ville sont habités11.
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D’après Yankel Fijalkow, La construction des îlots insalubres, Paris 1850-1945, 1998, p.51
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c. Identifier les quartiers et décrire les modes de vie Durant une vingtaine d’années, de 1850 à 1870, les commissions vont se consacrer aux logements insalubres en comptant les taudis et en instaurant un archivage des bulletins des visites sanitaires. Les bulletins de visites sanitaires consistent à relever les conditions d’habitat des foyers selon des enquêtes plus strictes de relevés détaillés. On décrit le logement, le ménage et les mœurs individuelles. Des normes universelles d’habitabilité sont élaborées. 1. Constructions en mauvais matériaux 2. Mauvais état d’entretien des murs extérieurs ou des enduits 3. Couvertures en mauvais matériaux 4. Mauvais état d’entretien des couvertures 5. Système de vidange défectueux 6. Insuffisance du nombre de cabinets d’aisance à usage commun 7. Mauvais état d’entretien des appareils de siège commun, chutes et fosses 8. Ecoulement défectueux des eaux usées (trajet à ciel ouvert) 9. Insuffisance du nombre des éviers, cuvettes, ou vidoirs à usage commun 10. Mauvais état des vidoirs, cuvettes, conduites, gargouilles, siphons, etc 11. Absence complète de poste d’eau potable dans l’immeuble 12. Alimentation de l’immeuble par robinet de jauge et réservoir 13. Insuffisance du nombre de postes d’eau dans l’immeuble 14. Cours et courettes non pourvues d’un revêtement solide et imperméable 15. Ecoulement d’eaux mal assurés dans les cours et courettes 16. Escaliers mal éclairés ou mal aérés 17. Malpropreté des ravalements sur cours et courettes 18. Malpropreté des escaliers, paliers, vestibules ou autres locaux communs 19. Malpropreté des cabinets d’aisance communs (enduits et peintures) 20. Présence dans l’immeuble d’industries affectant la salubrité des habitations 21. Insalubrité provenant du voisinage Fig. 08 : Les causes d’insalubrité affectant l’ensemble de l’immeuble ou des locaux d’usage commun : rubrique des bulletins de visite sanitaire
En 1852, les nouvelles constructions ont pour obligation de raccorder leurs eaux pluviales et ménagères au ruisseau qui traverse la
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ville. Un décret relatif aux rues de Paris est instauré, ayant plus d’impact que la loi de 1850 dans cette ville où l’insalubrité est considérable. Des quartiers entiers sont identifiés comme insalubres. On remarque des variations spatiales, liées à des inégalités sociales, qui renvoient à des « zones à risque ». Il y a des interactions entre le cadre de vie et le logement et des incidences du mode de vie et d’habiter sur la salubrité. Apparait la notion d’insalubrité liée au voisinage. Les avancées de la médecine, avec Louis Pasteur notamment, penchent vers la possibilité de contagion des maladies qui se répandraient d’autant plus rapidement que les conditions de vie des classes populaires les rendent fragiles et vulnérables face à la maladie. On commence à parler de territorialisation de l’insalubrité, cause supposée d’une mortalité élevée dans certains quartiers. Les populations touchées par l’insalubrité n’ont aucune éducation à l’hygiène. Et même si certains l’ont, l’absence d’eau dans les foyers freine la possibilité de tenir son logement et son immeuble propre. Recueillant l’eau aux fontaines-bornes de la rue la plus propre, les habitants n’ont pas la force de remonter assez d’’eau pour subvenir aux besoins de leur famille et à la propreté des lieux. La foule, la densité, le miasme développent les infections. Les mœurs doivent évoluer et les membres des commissions ont pour objectif de faire prendre conscience aux habitants de leurs conditions de vie déplorables. Souvent des notables, ils ont la possibilité de faire des comparaisons et sont outrés de voir le fossé qu’il y a entre certains quartiers, généralement voisins. Ils ont également pour volonté de toucher les classes supérieures pour que celles-ci s’investissent dans l’éducation des classes populaires. Dans les années 1860, la France vit une croissance économique. Elle fait appel aux ingénieurs pour agir sur le territoire et l’assainir. Au même moment, le préfet Haussmann lance une succession de transformations urbaines pour dégager les rues et rationnaliser l’organisation de la ville.
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Les ingénieurs créent un réseau souterrain que l’on a tendance à appeler « la ville souterraine » qui va progressivement désengorger la ville et permettre des performances techniques en faveur de la salubrité.
Fig. 9 : L’expression d’une ville future en sous-sol, sol et sur-sol
En 1865, l’eau, puisée dans les rivières en amont de la ville, dessert tous les étages des immeubles raccordés, et en 1867, les maisons existantes sont raccordées au réseau à cause d’une nouvelle épidémie. Quelques années plus tard, Louis Pasteur introduit le processus de contagion. On s’inquiète des va-et-vient des hommes et de la multiplicité des rapports sociaux qui favorise la contagion.
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A la fin du Second Empire, les transformations urbaines du baron Haussmann n’ont pas les effets attendus. Comme le dit Maurice Halbwachs, ces séries de percées ont créé une « succession d’immeubles placards »12, augmentant le nombre de logement au détriment de leur superficie. Un phénomène qui encourage le surpeuplement. L’haussmannisation semble n’avoir amélioré les conditions de la ville qu’en surface.
Fig. 10 – à gauche : Rue des Trois-Canettes, vers 1865 Fig. 11 – à droite : Intérieur d’un îlot post-haussmannien
Les bulletins sanitaires montrent que l’insalubrité ne touche pas tous les logements d’une maison. Il faut penser une autre logique que la rénovation urbaine bloc par bloc. 65% des logements des secteurs insalubres ne présentent aucune cause d’insalubrité et renvoient à la logique de contagion. L’idée de penser par îlot nait alors.
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Maurice Halbwachs, Les expropriations et le prix des terrains à Paris (18601900), Thèse de doctorat en droit, 1909.
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L’insalubrité s’étale. L’embourgeoisement nouveau des quartiers issus de l’haussmannisation repousse un peu plus loin la misère. Les habitations fortuites apparaissent en périphérie directe, là où il y a de la place. « Quand il s’est agi du percement du boulevard Saint Michel ou de l’ouverture de l’avenue de l’Opéra et de la disparition de la Butte aux Moulins, on ne parait pas s’être préoccupé de ce que deviendrait toute cette catégorie d’habitants pauvres qui vivaient dans des immeubles sordides du vieux Paris (…). De là deux faits également graves au point de vue de la salubrité des habitations parisiennes. Le premier c’est que l’encombrement dans les logements ouvriers a augmenté (…). L’autre conséquence également funeste de cette imprévoyance a été l’édification sur des terrains vagues à la limite de l’ancienne enceinte d’une quantité énorme de constructions improvisées (…). On n’a donc pas diminué en réalité l’insalubrité des maisons de Paris. On s’est borné à déplacer le foyer et à l’écarter plus ou moins des centres primitifs assurant des travaux pour un demi siècle au Commissions des Logements Insalubres de l’avenir. » 13 Désormais, on veut penser globalement. La statistique détaillée amène de plus en plus d’objectivité et de normalisation. En 1887, un arrêté préfectoral est adopté, fixant des normes minimales de peuplement, des dimensions des pièces et plus largement des conditions d’hygiène au logement. La mise en place de la pensée sur l’insalubrité est marquée par une superposition de différents âges de pensée et de volontés d’action. La diversité des acteurs a un impact sur l’organisation des commissions qui divisent leur action en deux : les études spatiales avec les topographies médicales et les études des conditions de logements avec les états sanitaires. 13
Octave Du Mesnil (président de la commission des logements insalubres), L’habitation du pauvre à Paris, Revue d’Hygiène, 1882, p1-17
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« Il y a deux sortes d’hommes préoccupés d’hygiène que leurs études conduisent à des pratiques opposées. Les uns, architectes, ingénieurs habitués à manier les forces physiques, à les maîtriser ou à s’en servir osent beaucoup et arrivent journellement par la puissance des moyens, la rectitude du calcul à des résultats d’une grandeur incontestée. Les autres, chimistes ou médecins, observent des forces de transformations et se préoccupent d’éléments invisibles et peu connus jusqu’alors sous le nom de miasmes. Ils savent que ces forces incessantes et agissant sans relâche n’attendent qu’une petite omission dans le calcul, la moindre fissure, un fonctionnement un peu imparfait de la force physique et son arrêt d’une seconde pour se jouir d’elle, agir en maîtres et produire des résultats formidables. » 14 Malgré tous les progrès et les actions entreprises pour l’hygiène, 30 000 maisons restent sans eau potable en 1877, et donc sans propreté15. La Commission doit agir contre les propriétaires et instaure une succession de normes liées à l’équipement des logements. Cela permet un mouvement d’universalisation et un temps de réformes et de réflexion. Cependant, au même moment, les mauvaises odeurs envahissent à nouveau la capitale. Après la réflexion, il faut agir. En 1880, la municipalité lance une politique d’intervention importante sur les réseaux urbains. Elle veut changer les mentalités et instaurer un devoir social des classes supérieures, particulièrement des propriétaires, sur les indigents. Par exemple, elle met en place une taxe de désinfection du logement, prise en charge par le propriétaire.
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Conseils d’Hygiène et de Salubrité de la Seine. Procès verbaux. Travaux 18811884, 1884 p15 15 Claire Lévy-Vroelant, Le diagnostic d’insalubrité et ses conséquences sur la ville : ème Paris 1894 – 1960, in Population, 54 année, n°4-5, 1999, p.731
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En 1882, la loi Jules Ferry rend l’école obligatoire. Un moment fort qui s’explique par un développement de la socialisation qui réduit l’exclusion et permet d’éduquer les enfants aux règles d’hygiène. Pendant onze ans, 73 031 maisons des 75 000 maisons de Paris sont inspectées et classées selon des catégories. On peut alors agir par « zones infectieuses ». En plus de vouloir rénover les logements insalubres, on veut éradiquer le surpeuplement, diminuer la population de la ville. D’une guerre à l’autre, les opérations urbaines ont permis 8,5% de maisons supplémentaires alors que la population de Paris a diminué de 25%16. En 1904, après avoir poussé l’enquête sur les conditions d’hygiène de Paris, Paul Juillerat constate l’émergence de certains quartiers, particulièrement touchés par les épidémies. Il développe l’idée de maisons meurtrières. Sur plus de 100 000 tuberculeux, il classe le nombre de décès en trois groupes. Le premier représente les maisons où il y a plus de dix décès et regroupe 820 maisons. Le second, où il y a entre cinq et neuf décès recense 4 500 maisons. Et le dernier, où il y a moins de cinq décès compte 34 000 maisons17. Il renvoie la réflexion au phénomène de territorialisation du risque. Quels forces sociales ou agents sociaux permettent à la territorialisation de fonctionner ?
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Claire Lévy-Vroelant, Le diagnostic d’insalubrité et ses conséquences sur la ville : ème Paris 1894 – 1960, in Population, 54 année, n°4-5, 1999, p.726 17 Yankel Fijalkow, La construction des îlots insalubres, Paris 1850-1945, 1998, p.135
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II. Les îlots insalubres : de l’action urbaine aux représentations. a. La représentation fondatrice (1906-1920) En 1906, le Conseil Municipal reconnait les secteurs meurtriers constatés par Paul Juillerat et donne naissance aux six îlots insalubres de la capitale, éparpillés du centre aux limites de la ville.
Fig. 12 : Les îlots insalubres en 1906 ; découverte de six quartiers meurtriers
Dès lors, les îlots insalubres sont au cœur des préoccupations de la municipalité. Ils jouent le rôle de laboratoires urbains. On commence l’assainissement de ces quartiers grâce à des opérations de voiries. Mais on pousse le procédé plus loin, en prenant en compte que ces îlots sont des représentations globalisantes des figures urbaines qui posent 29
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problèmes dans l’agglomération. Il faut bloquer la croissance démographique, élargir les petites rues héritées du Moyen-Age, repenser les bâtisses surélevées de siècles en siècles par des chambres étroites et sombres, etc. Mais surtout réfléchir à l’intégration de ces quartiers et de leurs populations, à la ville. Le cas le plus visible est celui de l’îlot n°1, autour des Halles. La population s’entasse, tout comme les déchets, les odeurs et les microbes. On a affaire à une surdensité bâtie18 et à une surabondance d’hôtels meublés, peu respectueux des règles d’hygiène. Ce n’est pas la rue qu’il faut agrandir, mais le bâti qu’il faut évider.
Fig. 13 : Evolution du remplissage d’une parcelle : la surdensité bâtie
« Avant de consacrer 35 millions à des constructions d’hôpitaux, il serait utile d’assainir les 81 rues et 1474 maisons parisiennes où 59 984 habitants sont la proie désignée de la tuberculose et vont encombrer nos services hospitaliers » 19 Ces inquiétudes urbaines permettent de fonder un projet global. Cependant la notion d’insalubrité devient plurivalente puisqu’elle se rapporte à la population, aux activités, aux modes de vie individuels, aux 18
87% de la surface d’un îlot insalubre sont bâtis d’après Robert Auzelle, Georges Pillement et al, Destinée de Paris, Grasset, 1943, p.13 19 Henri Sellier, La lutte contre la tuberculose dans le Département de la Seine, 1896-1927. Le rôle de l’Office Public d’Hygiène Sociale, Paris, Imprimerie Chaix, 1928, 2 vol, pp 48-50
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équipements sanitaires, à l’environnement, etc. Les municipalités ne peuvent pas tout régler. De plus, au cours de l’année 1921, Paris fait face à un afflux migratoire important. Les pouvoirs publics sont incapables de répondre à la crise du logement et les hôtels meublés se démultiplient. Beaucoup d’immeubles de rapport se transforment en hôtels meublés. On passe de 231 000 hôtels garnis en 1914 à 300 000 en 1921. Or, dès 1906, ce type de logement correspond déjà à une majeure partie du parc de logements insalubres, soit 20%20. Le surpeuplement réapparait, on atteint 350 habitants21 à l’hectare, et les zones meurtrières s’étendent. Ce sont les propriétaires qui maintiennent et densifient l’insalubrité. Lorsqu’ils font les travaux, ils augmentent le loyer qui devient inabordable pour les anciens locataires, obligés de se réfugier dans un hôtel garni, logement insalubre, bien trop petit pour la famille. Les Commissions peuvent imposer l’hygiène et la salubrité du logement au propriétaire, mais ne peuvent pas gérer les loyers. b. Les îlots insalubres, objets d’aménagement (1910-1945) Les opérations de voiries sont jugées inefficaces et les principes d’expropriation n’atteignent pas le but escompté. Les édiles choisissent alors de considérer l’îlot comme une unité, pertinente pour l’aménagement. Dès 1911, un retour sur les grands travaux indique que la population ouvrière de Paris a été expropriée et repoussée en périphérie. La couronne périphérique de Paris commence elle aussi à inquiéter. On y développe l’habitat social et les cités jardins, ce qui entraine un fort déséquilibre entre les opérations mais aussi entre les secteurs de la ville. Les ouvriers et les industries disparaissent du centre ville et la ceinture verte de Paris se bouche. Une série d’interventions est lancée pour tenter 20
Henri Sellier, La crise du logement et l’intervention publique en matière d’habitation populaire dans l’agglomération parisienne, vol 2, 1921, p.233 21 Yankel Fijalkow, La construction des îlots insalubres, Paris 1850-1945, 1998, p.183
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de maintenir la population ouvrière à Paris. L’Etat intervient directement sous forme de subventions et de prêts aux propriétaires prêts à offrir un logement convenable et abordable aux familles ouvrières. Le 23 octobre 1919, une loi sur le blocage des loyers est publiée, en faveur des locataires. Les premières tentatives d’aménagement émergent en 1915. Jacques Bertillon, statisticien et démographe français, dénombre en 1911 les ménages en situation de surpeuplement. Il cherche à établir les besoins de logements sociaux. Après guerre, le manque de logements est colossal. Et en 1920, la liste des îlots insalubres s’élargie à 17 îlots. On parle d’éradiquer l’insalubrité de 4 290 maisons et 186 594 habitants22.
Fig. 14 : Les îlots insalubres en 1920 ; découverte de onze quartiers meurtriers supplémentaires 22
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Yankel Fijalkow, La construction des îlots insalubres, Paris 1850-1945, 1998, p.201
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L’expropriation de la première tranche d’immeubles insalubres a lieu en 1931. Elle concerne 33 immeubles de l’îlot n°1, soit les Halles. Les discours divergent entre une approche globale hygiéniste, on démolit l’îlot pour reconstruire quelque chose de sain, et une approche plus particulière des défenseurs du patrimoine, on évalue les maisons insalubres et les démolit pour assainir le tout. Après le gouffre financier créé par cette première intervention, les projets entrent en sommeil. En 1934, le Conseil Municipal lance un concours d’idées auprès de divers architectes et autres pour un aménagement global. L’idée est de créer des nouvelles cités, vivantes, aérées, plantées, avec de nouveaux équipements publics, où il fait bon vivre. Ces cités serviraient de pôle d’évolution pour les alentours tels que les îlots insalubres qui se modifieraient naturellement. Lorsque le régime de Vichy arrive au pouvoir, il se préoccupe très rapidement des îlots insalubres alors découverts depuis 35 ans environ. Il émet en 1941, la première solution globale appuyée par la loi de 1942. Le Conseil Départemental d’Hygiène évalue la salubrité d’un périmètre général jugé comme insalubre. Il n’a plus à analyser immeuble par immeuble. Cette approche générale autoritaire bouleverse les modèles d’expropriation et d’aménagement. Comme le définit René RIVET, directeur de la statistique générale de l’INSEE « l’îlot est la division la plus commode pour l’établissement d’une statistique détaillée. L’immeuble est en vérité trop petit et ne le cède en rien à l’îlot en ce qui concerne la viabilité du nombre de logements. » Il est temps d’agir. Les rapports d’entretien extérieur rédigés par les architectes-voyers sont plus sévères en 1943 qu’en 1931. Et certains logements interdits à l’habitation sont encore habités, des années plus tard. Le manque d’interventions concrètes a entrainé des dégradations (voir annexe 1).
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c. 1945 : une nouvelle statistique pour la reconstruction Henri SELLIER propose en 1938 une nouvelle définition de l’insalubrité élaborée à partir de l’unité d’habitation : « Une maison est insalubre quand elle est construite d’une façon défectueuse, quand la protection contre les intempéries est insuffisante, quand l’ensoleillement et l’aération ne s’y manifestent pas conformément aux règles de l’hygiène, si elle est édifiée sur un terrain qui crée une ambiance défavorable et si les possibilités d’évacuation des matières usées et l’alimentation en eau potable ne sont pas parfaites. Une troisième catégorie de taudis tient à l’absence de soins et de propreté des occupants. » 23 Après la seconde guerre mondiale, la notion d’insalubrité tend vers la notion de confort moderne. Les lieux insalubres sont moins importants et les épidémies ont cessé. Les équipements sanitaires sont dorénavant présents dans chaque maison et chaque logement. Les efforts se sont portés en particulier sur le logement et les conditions de vie qui ont fait connaitre un réel progrès aux classes populaires et parfois même aux classes moyennes. En plus de la salubrité et de la santé, on recherche à présent le confort et le bien être, à des degrés différents. Le combat contre le surpeuplement est toujours d’actualité et le progrès a montré ce qu’il pouvait faire. Cette période d’après guerres est caractérisée par la reconstruction du pays. L’Etat étend son pouvoir dans le domaine du bâti, en lançant de réelles politiques d’aménagement de la ville pour construire rapidement et en quantité, profitant des progrès techniques. Les opérations exécutées sur les îlots insalubres, de destruction ou de reconstruction, ont donné lieu à certaines opérations urbaines des plus importantes du XXème siècle à Paris.
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Définition du logement normal, Cahiers du Musée Social, 1943 p.6-11
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III. Les grands ensembles : une réponse au manque de logements d’après guerre a. La naissance du logement social Dans ce contexte de préoccupation des conditions de vie des classes populaires, on cherche à construire des logements dédiés aux ouvriers, à proximité de leur lieu de travail et à un coût réduit pour permettre à l’ouvrier et sa famille d’accéder au confort minimum. Les lotissements et les logements patronaux apparaissent peu à peu découlant du devoir moral des spéculateurs ou patrons d’éduquer et protéger la classe inférieure. Il s’agit d’actions privées soutenues par des aides et des prêts de l’Etat, pour encourager la construction nouvelle. Un des précurseurs de ce modèle d’habitat est Jean-Baptiste Godin. Ex-ouvrier, il s’installe en 1846, à Guise, pour fonder son entreprise d’appareils de chauffage et de cuisine. Il fait rapidement fortune mais garde le souvenir des conditions de vie et de travail de l’ouvrier. Ainsi, en s’inspirant du Phalanstère développé par Charles Fourier, il fait construire, en 1858, 500 logements pour ses ouvriers et leur famille. Il prône le principe de communauté et dénonce l’individualité comme nuisible pour la société. Ensemble, les ouvriers peuvent accéder au confort des maisons individuelles bourgeoises. Il choisit le nom de Familistère24 pour ce modèle qui subsistera à l’identique pendant plus d’un siècle.
Fig. 15 : Le Familistère de Guise
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Etymologie : « lieu de réunion des familles »
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La loi Siegfried de 1894 donne naissance à la Société française des habitations à bon marché (SFHBM), débloquant des fonds destinés aux logements à bon marché. Les lotissements, les cités et les HBM se multiplient sur les terrains disponibles dès la fin de la première guerre mondiale. Le mouvement progressiste moderne se développe avec les CIAM et particulièrement la Charte d’Athènes en 1933. Il met en avant l’idée de renouveau, de bien être grâce au progrès, en prônant l’universalisation, la rationalité et l’efficacité. La Charte d’Athènes expose cinq points majeurs qui nous intéressent : la nécessité de l’hygiène, la condamnation des voies trop étroites, la distinction des fonctions « habiter », « travailler », « se recréer » et « circuler », la distinction des voies et la condamnation des densités trop élevées. Jusqu’en 1930, on pense que l’ouvrier est condamné à vivre dans un logement incommode car on a des difficultés à diminuer la densité bâtie de Paris et on ne peut pas proposer des logements convenables à tous. Ceux qui gagnent les moindres salaires sont toujours réduits à demeurer dans les logements les moins chers donc les plus incommodes et insalubres. En 1928, la loi Loucher marque le premier engagement financier de l’Etat dans le logement social, un tournant décisif dans la construction de masse. b. Un engagement de l’Etat dans la construction A la fin de la seconde guerre mondiale, de nombreux logements ont été bombardés, abîmés ou détruits. Les constructions du début du siècle n’ont pas été suffisantes pour gérer la pénurie de logements et la France fait face au baby boom. L’Etat s’engage massivement dans la construction de logements, notamment sous la forme des grands ensembles. Plusieurs millions de logements sont érigés en un temps très court. Le Parlement introduit, le 1er Septembre 1948, la réglementation des loyers pour les logements existants. Les loyers nouveaux restent libres. 36
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L’objectif est d’encourager les investisseurs à la construction de nouveaux logements locatifs. Les financements, les aides et les prêts de l’Etat et des organismes impliqués se multiplient. On est alors capable de construire des logements aux loyers bien en dessous des prix du marché. On parle alors d’habitations à loyer modéré (HLM).
Fig. 16 : La coexistence des bidonvilles et des grands ensembles à Nanterre
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Le modèle du logement est normalisé et standardisé pour permettre une construction plus efficace et économique, intégrant toutes les innovations techniques et sanitaires que le XXème siècle a découvertes. C’est à cette époque que Le Corbusier établit Le Modulor et fait les premiers tests des unités d’habitations. Grâce à ces principes, on assiste à une explosion de la construction sociale. Seulement 5 000 logements ont été construits en 1950, contre 241 000 en 1957 et jusqu’à 500 000 en 197025. Cette rénovation, majoritairement des années 1960 – 1970, témoigne d’une rupture franche avec les quartiers existants, du point de vue typo-morphologique. Le parcellaire n’a plus d’incidence sur la composition du bâti, on en travaille plus dans le respect de la mitoyenneté ou de l’alignement en façade et en hauteur. Les grands ensembles se révèlent être des entités autonomes, sans lien direct avec leur contexte. En effet, les grands ensembles sont généralement construits sur un socle ou libérés sur sol.26
Fig. 17 : Un changement d’échelle dans le bâti, de l’immeuble traditionnel au grand ensemble
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MERLIN Pierre, Des grands ensembles aux cités : l’avenir d’une utopie, édition Ellipses, 2012 26 Le terme de grand ensemble apparait en 1935, dans un article de Maurice Rotival : « des réalisations de grande envergure (…) qui se veulent des unités résidentielles, équilibrées et complètes »(Les grands ensembles, in L’architecture d’Aujourd’hui ) mais il n’existe pas de définition officielle des grands ensembles.
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Fig. 18 : La rue Nationale avant et après les opérations de logements de masse
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Raymond Lopez, collaborateur de Le Corbusier, enquête et détermine de nombreux îlots « mal construits ». Selon lui, il faut transformer la majeure partie des arrondissements extérieurs en quartiers de barres et de tours. Puis relier ces quartiers par une voie express qui reprendrait la trace de l’ancienne enceinte de Paris et tracer à travers Paris, du nord au sud, une autoroute urbaine passant par le boulevard Richard Lenoir et la place d’Italie. Soutenu par les autorités, il conçoit le front de Seine, premier quartier de tours à Paris.
Fig.19 : Evolution de la population entre 1954 et 1975 : le centre se désengorge et la périphérie se densifie
La situation des grands ensembles n’est pas le résultat de stratégies urbanistiques mais celui des disponibilités foncières. Les terrains constructibles se font rares et il faut viser une densité plus élevée que celle du lotissement. 40
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Depuis 1871, après une suppression de la mairie de Paris, le pouvoir municipal est géré par le Préfet de la Seine et le Préfet de Police. En 1977, la mairie de Paris est réinstaurée avec Jacques Chirac à sa tête. La municipalité définit de grandes priorités d’actions pour le logement, social en particulier. Parallèlement, deux documents fondamentaux pour l’urbanisme voient le jour : le plan d’occupation des sols (POS), plus à l’échelle de la parcelle et du tiers et le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), à l’échelle de la collectivité. Leurs objectifs sont de défendre la fonction résidentielle de Paris et la trame urbaine existante ; de maintenir et étendre les zones d’activités artisanales et industrielles ; d’éviter une dissociation géographique trop marquée des fonctions de la ville ; de développer et améliorer les moyens de déplacement pour créer des relations ; de développer les jardins et les espaces publics et d’accroitre les équipements collectifs ; enfin, de préserver le caractère des tissus constitués de Paris.
Fig. 20 : Principales zones d’action publique engagées ou à l’étude, en 1981
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L’application des principes de Le Corbusier et des CIAM est souvent maladroite donnant naissance à des opérations qui ne répondent pas à l’idée d’une unité autonome. Selon le principe de séparation des fonctions, on choisit de construire des logements sans prévoir d’emplois ou de commerces à proximité. Les bâtiments, hauts, accèdent à la lumière et à l’air et libèrent le sol pour des espaces de nature. Les ensembles se veulent calmes, aérés, dans le respect des règles d’hygiène et de confort et dans l’esprit d’une ville à petite échelle.
Fig. 21 : Pourcentage de résidences principales construites depuis 1948 – Recensement INSEE
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Fig. 22 : Densités brutes d’emplois en 1975 – Recensement INSEE
c. Un sentiment de gigantisme et d’exclusion Les logements des grands ensembles possèdent toutes les qualités espérées à l’époque. Ils sont neufs, équipés, avec plus de pièces à vivre et possèdent tout le confort nécessaire, voir plus. Les habitants ont conscience du manque d’emploi local, de la distance à la ville, des problèmes de transports en communs et de l’absence d’équipements et services publics. Mais ces inconvénients ne sont rien face aux avantages que ces logements apportent. Certains urbanistes parlent même de « nouvel art de vivre ». Or, les critiques extérieures sur l’esthétique des bâtiments émergent rapidement. Elles mettent en exergue la monotonie de l’architecture, l’habitat de masse, uniforme et sans personnalité. Certaines les comparent même à des cages à lapins.
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Fig. 23 : La monotonie architecturale des grands ensembles de Sarcelles
Le logement aidé des grands ensembles ne s’adresse pas aux plus pauvres. On compte très peu d’ouvriers et plus majoritairement des cadres moyens, voir supérieurs. Il s’agit de jeunes couples avec un enfant, ayant des revenus proches de la moyenne française. Les chefs de famille sont tous actifs et les femmes deviennent femme au foyer. Les opportunités de travail sont trop éloignées et il faut s’occuper des enfants. Très vite, elles se plaignent d’isolement et d’ennui car même les équipements élémentaires sont inexistants (commerces quotidiens, services publics et écoles). Les écrits parlent de malaise de la vie quotidienne qui renvoie à l’expression de « sarcellite ». L’espace physique commence lui aussi à être remis en cause. Les espaces libérés au sol sont souvent mal conçus, les chemins qui desservent les immeubles sont raccourcis par des plus rapides, les espaces de jeux, de sports sont abandonnés et les espaces verts non entretenus.
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Fig. 24 : Isolement et abandon du grand ensemble Campagne Lévêque à Marseille
De plus, le surpeuplement réapparait. On constate beaucoup de naissances après l’installation dans le logement. Le confort est source de bien être et anime un regain de natalité. Les logements ne sont alors plus adaptés à la famille locataire. A la fin des années 1960, une manifestation des usagers des transports en communs fait réagir le Ministre de l’Intérieur et le Président Georges Pompidou sur la gravité de la situation des zones périphériques en particulier. Ils lancent la création d’équipements, de services publics et d’emplois locaux. Cependant, la quantité d’opérations indépendantes, menées selon les opportunités foncières, provoque une dispersion des zones à équiper. Le coût des infrastructures et la quantité des superstructures nécessaires ne permettent pas de couvrir tous les grands ensembles. Ainsi, en 1958, on institue les zones à urbaniser en priorité (ZUP). Cela consiste à regrouper les opérations de grands ensembles et d’urbanisme dans des zones limitées, fixées par arrêté ministériel. De même, en 1959, le ministère instaure la Grille Dupont qui fixe les normes des équipements par zones (nature, nombre, surface…). Les ZUP se révèlent démesurées, on parle de gigantisme et de perte de l’échelle de l’individu. L’objectif de corriger les inconvénients des
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grands ensembles n’est pas atteint, ce sont juste « d’encore plus grands ensembles » En 1978, les prêts aux organismes HLM sont remplacés par des prêts locatifs aidés (PLA, devenus prêts locatif d’utilité sociale en 2000) et des prêts d’aide à la propriété (PAP connus aujourd’hui sous le nom de prêt à taux zéro). L’aide à la personne l’emporte sur l’aide à la pierre. On passe d’une politique du logement social à une politique sociale du logement. L’accession à la propriété apparait, appuyée par les aides personnalisées au logement et les allocations familiales. Le phénomène d’exode urbain s’enclenche, les terrains étant moins chers en grande banlieue. Les populations des grands ensembles cherchent elles aussi l’accession à la propriété pour y loger leur famille qui grandit. Et les familles pauvres, souvent étrangères ou monoparentales, chassées des bidonvilles, se réfugient dans les logements vacants des grands ensembles. La composition des grands ensembles est bouleversée. Au cours des années 1960, les avantages du confort se sont banalisés et ne l’emporte plus sur les inconvénients qui deviennent difficiles à supporter. Les grands ensembles se paupérisent, font face à une ethnicisation et à une intégration urbaine difficile qui entraine le repli sur soi. Aujourd’hui, les mœurs renvoient la majorité des grands ensembles aux « quartiers sensibles » en périphérie des centres villes. Le taux de chômage y est particulièrement élevé, la mortalité infantile bat des records à cause du saturnisme, le surpeuplement est réapparu et l’insécurité est montante voir débordante. Les habitants de ces logements cumulent un habitat dégradé, un cadre de vie stigmatisé, une situation d’exclusion et d’inégalités des chances. Pourtant, l’intégration au sein de la société française n’est pas impossible. Il semblerait que les conditions d’habitats soient un facteur décisif de l’intégration. Pourrait-on là encore parler de territorialisation ? La ségrégation qui n’était au départ que spatiale se révèle aussi économique et sociale. 46
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CONCLUSION La naissance de la pensée sur l’insalubrité a permis des progrès considérables pour la ville et le logement en particulier. L’évolution des mœurs a offert une nouvelle vision de la ville et une projection de la ville future pour beaucoup d’architectes. Ainsi, Paris donne naissance à une succession d’opérations remarquables qui retrace l’histoire de la rénovation urbaine. Le XIXème siècle excelle dans les transformations en surface avec les percées du Baron Haussmann qui permettent d’aérer la ville et l’utilisation des innovations techniques par les ingénieurs des Ponts et Chaussées. Au début du XXème siècle, on commence à démolir avant d’opter pour une nouvelle approche : construire autrement, en masse et à bas coût. C’est le cas majoritairement en périphéries des villes, avec les lotissements, les cités ouvrières et les grands ensembles. La rénovation urbaine se base sur un ensemble d’interrogations, d’enquêtes, d’analyses et de tentatives d’opérations. Celui-ci permet d’élaborer des procédés fonctionnels, souvent démontrés, en réponse à un besoin social, et ainsi de tendre vers un idéal de composition urbaine. Il faut considérer les opérations « ratées » comme des moteurs de l’évolution de ces procédés et de la pensée. Malgré des politiques d’aménagement totalement différentes, je constate un certain nombre de ressemblances sociologiques entre les îlots insalubres et l’état actuel des grands ensembles. On note, dans les deux cas, un taux de mortalité plus élevé que la moyenne, des conditions surpeuplement et d’insalubrité, et une situation d’exclusion et de stigmatisation. Celles-ci m’amènent à me poser la question suivante : Les grands ensembles ne seraient-ils pas, dans un sens, un retour aux îlots insalubres ?
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TABLE DES ILLUSTRATIONS Fig. 01 : Albert Harlingue et Roger-Viollet, 1920, « La rue de Venise vers 1920, à peine assez large pour faire passer une charrette … », Photographie, en ligne in Les rues de Paris : 4ème arrondissement, < http://www.parisrues.com/rues04/paris-avant-04-rue-de-venise.html >, consulté le 25 mai 2014 Fig. 02 : « Les grandes heures des Halles de Paris », Photographie, en ligne in Guideapolis : Les grandes heures des Halles de Paris, < http://www.guideapolis.fr/fr/visite/les-grandes-heures-des-halles-deparis/ >, consulté le 13 mai 2014 Fig. 03 : D. R., « Vue d’une ruelle de l’îlot insalubre n°1 avant les démolitions des années 1930 », Photographie, en ligne in Découvrir l’architecture du Centre Pompidou : de « l’îlot insalubre n°1 » au « Centre Pompidou », < http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENSarchitecture-Centre-Pompidou/au_coeur_de_paris/p2.htm >, consulté le 13 mai 2014 Fig. 04 : Eugène Atget, « Cité Doré, angle du 70 boulevard de la gare et de la place Pinel », Photographie, en ligne in Bibliothèque Nationale de France : Eugène Atget, regards sur la ville, < http://classes.bnf.fr/atget/antho/18.htm >, consulté le 13 mai 2014 Fig. 05 : « Rue du faubourg Saint Antoine », Photographie, en ligne in Paris Avant : Rue du faubourg Saint Antoine, < http://parisavant.com/index.php?showimage=725 >, consulté le 13 mai 2014 49
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Fig. 06 : « Logement d’une famille ouvrière à la fin du XIXème siècle », Photographie, en ligne in Le XIXème siècle : l’Age industriel, < http://www.cours-college.com/cours-de-4eme/hist-i-theme-1-l-ageindustriel,a2261675.html >, consulté le 13 mai 2014 Fig. 07 : Elsbeth Kalff, « Répartition des plaintes sur l’immeuble et sur le logement avant et après 1946 », Tableau, in Le logement insalubre et l’hygiénisation de la vie quotidienne, p. 259 Fig. 08 : Claire Lévy-Vroelant, « Causes d’insalubrité affectant l’ensemble de l’immeuble ou des locaux d’usage commun : rubrique des bulletins de visite sanitaire », Tableau, in Le diagnostic d’insalubrité et ses conséquences sur la ville : Paris 1894-1960, (in Population, 54e année, n°45, 1999, pp. 707-743), p. 730. Fig. 9 : Bravo Manon, 2014, « L’expression d’une ville future en sous-sol, sol et sur-sol », Coupe schématique, d’après Eugène Hénard, « La ville du futur » Fig. 10 : Charles Marville, vers 1865, « Rue des Trois-Canettes », Photographie, in Virginie Chardin, Paris et la photographie : cent histoires extraordinaires de 1839 à nos jours, p.48 Fig. 11 : APUR, « A l’intérieur des immeubles post-haussmanniens », Photographie, in Paris Projet, n°13-14, Le règlement du POS et le paysage de Paris, p.40 Fig. 12 : Bravo Manon, 2014, « Les îlots insalubres en 1906 ; découverte de six quartiers meurtriers », Plan. 50
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Fig. 13 : Bravo Manon, 2014, « Evolution du remplissage d’une parcelle : la densité bâtie », Schéma, d’après l’APUR, « Schéma de remplissage d’une parcelle », Schéma, in Paris Projet, n°13-14, Le règlement du POS et le paysage de Paris, p.11 Fig. 14 : Bravo Manon, 2014, « Les îlots insalubres en 1920 ; découverte de onze quartiers meurtriers supplémentaires », Plan. Fig. 15 : « Vue d’ensemble du familistère ou Palais Royal », Dessin, in Wikipédia : Le familistère de Guise, < http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Familist%C3%A8re_1.jpg > consulté le 20 mai 2014 Fig. 16 : Pinon Pierre, 1989, « La coexistence des bidonvilles et des grands ensembles à Nanterre », Photographie, in Les traversées de Paris : deux siècles de révolutions dans la ville, p.191, Paris, éditions du Moniteur Fig. 17 : APUR, « De l’immeuble traditionnel à l’immeuble haussmannien », Schéma, in Paris Projet, n°13-14, Le règlement du POS et le paysage de Paris, p.33 Fig. 18 : Roger-Viollet et B.R., « La rue Nationale avant … et après », Photographie, in Bernard Rouleau, Villages et faubourgs de l’ancien Paris : Histoire d’un espace urbain, p.325, éditions du Seuil Fig. 19 : BRAVO Manon, « Evolution de la population entre 1954 et 1975 : le centre se désengorge et la périphérie se densifie », Plan, d’après l’INSEE, in Paris Projet, n° 21-22, Politique nouvelle de la rénovation urbaine, « Evolution de la population en 1954 et 1975 »
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Fig. 20 : « Principales zones d’action publique engagées ou à l’étude, en 1981 », Plan, in Paris Projet, n° 21-22, Politique nouvelle de la rénovation urbaine Fig. 21 : BRAVO Manon, « Pourcentage de résidences principales construites depuis 1948 – Recensement INSEE », Plan, d’après l’INSEE, in Paris Projet, n° 21-22, Politique nouvelle de la rénovation urbaine, « Pourcentage de résidences principales construites depuis 1948 » Fig. 22 : BRAVO Manon, « Densités brutes d’emplois en 1975 – Recensement INSEE », Plan, d’après l’INSEE, in Paris Projet, n° 21-22, Politique nouvelle de la rénovation urbaine, « Densités brutes d’emplois en 1975 » Fig. 23 : Jacques Henri Labourdette et Roger Boileau, 1975, « Grand ensemble de Sarcelles » Photographie anonyme, en ligne in Impôtséconomie, le portail de la défense publique : Sarcelles 2011, < http://www.impots-economie.com/impots-locaux-sarcelles-2011/ >, consulté le 13 mai 2014 Fig. 24 : J. Rozan, 1959, « Grand ensemble Campagne Lévêque », Photographie de Yohanne Lamoulère, 2012, en ligne in Le Monde : Quartiers nords, une banlieue dans la ville, < http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/09/21/quartiers-nord-unebanlieue-dans-la-ville_1763051_3224.html >, consulté le 13 mai 2014
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ANNEXES Annexe 1 : Exemples de plaines déposées auprès des Commissions de Salubrité de Paris, d’après Elsbeth Kalff, Le logement insalubre et l’hygiénisation de la vie quotidienne, Paris (1830-1990), 2008, pp.267-274
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KALFF Elsbeth, Le logement insalubre et l’hygiénisation de la vie quotidienne : Paris 1830 – 1990, édition L’Harmattan, collection Habitat & Sociétés, 2008.
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LUCAN Jacques, Généalogie du regard sur Paris, Paris Projet n°3233, 1998.
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MERLIN Pierre, Des grands ensembles aux cités : l’avenir d’une utopie, édition Ellipses, 2012.
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CHOAY Françoise, Espacements, L’évolution de l’espace urbain en France, 1969.
Articles : - LEVY-VROELANT Claire, Le diagnostic d’insalubrité et ses conséquences sur la ville : Paris 1894 – 1960, in Population, n°4-5, 1999. -
APUR, Le règlement du POS et le paysage de Paris, Paris Projet, n°13-14, 1975.
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APUR, Les Halles, achèvement d’un projet, Paris Projet, n°25 – 26, 1985.
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APUR, Politique nouvelle de la rénovation urbaine, Paris Projet, n°21-22, 2004. 57
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Ouvrages consultés : - Le CORBUSIER, Urbanisme, édition Flammarion, collection Champs (édition originale : Le Corbusier, Urbanisme, collection « L'Esprit nouveau »), 1924. -
Yves RAFFESTIN, Frank DREIDEMIE, Denys LEGER, Réhabiliter en site occupé, édition Le Moniteur, collection Méthodes, 1996.
Articles consultés : - APUR, SDAU : Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la Ville de Paris, Paris Projet, n°19-20, 1980. Etudes consultées : - Anne Laurence BEAUDOIN, DESS Aménagement, Urbanisme et Développement local, Le quartier de Belsunce dans la réhabilitation du centre ville de Marseille, 2003 (Rapport d'études).
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