France Inter emission consacrée à Don Quichotte de Cervantes L'émission commence sur un passage "audio" de la bande française du film Don Quichotte de Peter Yates (1929-2011), où Quijana propose à Sancho de l'accompagner pour sa grande épopée chevaleresque à la recherche d'aventures, de conflits, d'amour avec la promesse qu'ils trouveront renommée et fortune lors de ce voyage. Cette petite introduction est suivi par la lecture d'extraits du prologue de L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Mancha de Miguel de Cervantes qui s'adresse au lecteur. L'auteur raconte la création du livre qu'il voulait qu'il "fût le plus beau, le plus élégant et le plus spirituel qui se pût imaginer…". Ceci est suivi d'une discussion de lui et de l'un de ses amis, ou celui-ci lui donne des conseils pour l'écriture de ce roman. "Jʼavais écouté dans un grand silence tout ce que me disait mon ami, et ses propos se gravèrent si bien dans mon esprit, que, sans vouloir leur opposer la moindre dispute, je les tins pour sensés, leur donnai mon approbation, et voulus même en composer ce prologue, dans lequel tu verras, lecteur bénévole, la prudence et lʼhabileté de mon ami, le bonheur que jʼeus de rencontrer en temps si opportun un tel conseiller, enfin le soulagement que tu goûteras toi-même en trouvant dans toute son ingénuité, sans mélange et sans détours, lʼhistoire du fameux don Quichotte de la Manche, duquel tous les habitants du district de la plaine de Montiel ont lʼopinion quʼil fut le plus chaste amoureux et le plus vaillant chevalier que, de longues années, on ait vu dans ces parages. Je ne veux pas trop te vanter le service que je te rends en te faisant connaître un si digne et si notable chevalier ; mais je veux que tu me saches gré pourtant de la connaissance que je te ferai faire avec le célèbre Sancho Panza, son écuyer, dans lequel, à mon avis, je te donne rassemblées toutes les grâces du métier qui sont éparses à travers la foule innombrable et vaine des livres de chevalerie. Après cela, que Dieu te donne bonne santé, et quʼil ne mʼoublie pas non plus" Lecture du chapitre I : Qui traite de la qualité et des occupations du fameux hidalgo don Quichotte de la Manche Quijana se passionne pour les romans de chevalerie et finit par sombrer dans la folie. Un jour, il décide de partir à lʼaventure en dehors de son village de la Mancha et dʼimiter les héros dont il a lu les aventures. Il se crée un nom de chevalier « Don Quichotte de la Manche », nettoie de vieilles armes poussiéreuses qui ont appartenu à ses ancêtres, raccommode des bouts d'armures et sort de son village sur le dos de sa monture, Rossinante, une rosse maigre et efflanquée, qui lui semble le plus beau des coursiers.
"Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il nʼy a pas longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et lévrier de chasse. Un pot-au-feu, plus souvent de mouton que de bœuf, une vinaigrette presque tous les soirs, des abatis de bétail[1] le samedi, le vendredi des lentilles, et le dimanche quelque pigeonneau outre lʼordinaire, consumaient les trois quarts de son revenu." "Or, il faut savoir que cet hidalgo, dans les moments où il restait oisif, cʼest-à-dire à peu près toute lʼannée, sʼadonnait à lire des livres de chevalerie, avec tant de goût et de plaisir, quʼil en oublia presque entièrement lʼexercice de la chasse et même lʼadministration de son bien." "Si bien quʼà force de dormir peu et de lire beaucoup, il se dessécha le cerveau, de manière quʼil vint à perdre lʼesprit. Son imagination se remplit de tout ce quʼil avait lu dans les livres, enchantements, querelles, défis, batailles, blessures, galanteries, amours, tempêtes et extravagances impossibles ; et il se fourra si bien dans la tête que tout ce magasin dʼinventions rêvées était la vérité pure, quʼil nʼy eut pour lui nulle autre histoire plus certaine dans le monde." Citation de Jacques Brel : "Tout le monde est Don Quichotte, tout le monde à des rêves dont il s'occupe. C'est ce triomphe du rêve q'on perde ou qu'on gagne. Quelqu'un qui rêve gagne toujours, quelqu'un qui ne rêve pas perd toujours. (…) Il voudrait tellement être lui et ça l'oblige à se raconter pas mal d'histoire, mais qui ne le fait pas? Il a néanmoins une superbe façon de rater sa vie" Lecture du chapitre 2 : Qui traite de la première sortie que fit de son pays lʼingénieux don Quichotte Dans ce chapitre, l'auteur raconte le départ de Don Quichotte et Sancho de leur village. Ils voyagent de longues heures cherchant l'aventure mais rien n'arrive qui soit digne dʼêtre raconté. Au soir, ils aperçoivent une auberge que Don Quichotte prend pour un château et dîne en compagnie de lʼaubergiste et de deux femmes, quʼil prend pour un châtelain (seigneur) et deux princesses. "Ayant donc achevé ses préparatifs, il ne voulut pas attendre davantage pour mettre à exécution son projet. Ce qui le pressait de la sorte, cʼétait la privation quʼil croyait faire au monde par son retard, tant il espérait venger dʼoffenses, redresser de torts, réparer dʼinjustices, corriger dʼabus, acquitter de dettes. Ainsi, sans mettre âme qui vive dans la confidence de son intention, et sans que personne le vît, un beau matin, avant le jour, qui était un des plus brûlants du mois de juillet, il sʼarma de toutes pièces, monta sur Rossinante, coiffa son espèce de salade, embrassa son écu, saisit sa lance, et, par la fausse porte dʼune basse-cour, sortit dans la campagne, ne se sentant pas dʼaise de voir avec quelle facilité il avait donné carrière à son noble désir."
Biographie de Cervantes: (1547-1616) Cervantes est à lui seul un personnage de roman. Né au siècle de Rabelais (gargantua, pantagruel), Descartes (Les passions de l'âme, les principes de la philosophie) ou encore Montaigne (Essais), Cervantes est d'abord soldat, puis marin engagé auprès des Turques sous les ordres de Don Juan d'Autriche. Il est fait prisonniers par des pirates et emprisonnés à Algers. De retour en Espagne il est fait armateur de la flotte royale, l'invisible armada. Il trempe dans des détournements de fond public et est ré-emprisonné. Il meurt en 1616, la même année que Shakespeare (La tempête, Roméo et Juliette) Lecture du chapitre 8 : Du beau succès quʼeut le valeureux don Quichotte dans lʼépouvantable et inimaginable aventure des moulins à vent, avec dʼautres événements dignes dʼheureuse souvenance Don Quichotte aperçoit soudain « trente ou quarante » moulins à vent quʼil prend pour des géants. Lʼhidalgo, impressionné par ces monstrueuses créatures, met sa lance en arrêt et se jette contre elles, sous les yeux ébahis de son écuyer. Le rôle de Sancho, lors de cette première aventure commune, se limite à avertir son maître de sa méprise, puis à panser ses plaies et à ramasser les morceaux de sa lance brisée. Puis à la rencontre de moines escortant un carrosse transportant une dame, il la croit prisonnière et s'en va la "délivrer". "En ce moment ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent quʼil y a dans cette plaine, et, dès que don Quichotte les vit, il dit à son écuyer : « La fortune conduit nos affaires mieux que ne pourrait y réussir notre désir même. Regarde, ami Sancho ; voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant quʼils sont. Avec leurs dépouilles, nous commencerons à nous enrichir ; car cʼest prise de bonne guerre, et cʼest grandement servir Dieu que de faire disparaître si mauvaise engeance de la face de la terre. – Quels géants ? demanda Sancho Panza. – Ceux que tu vois là-bas, lui répondit son maître, avec leurs grands bras, car il y en a qui les ont de presque deux lieues de long. – Prenez donc garde, répliqua Sancho ; ce que nous voyons là-bas ne sont pas des géants, mais des moulins à vent, et ce qui paraît leurs bras, ce sont leurs ailes, qui, tournées par le vent, font tourner à leur tour la meule du moulin. – On voit bien, répondit don Quichotte, que tu nʼes pas expert en fait dʼaventures : ce sont des géants, te dis-je ; si tu as peur, ôte-toi de là, et va te mettre en oraison pendant que je leur livrerai une inégale et terrible bataille. »"
Don Quichotte de et avec Orson Welles : Film inachevé. Don Quichotte est un film mythique dʼOrson Welles, tourné par morceaux sur une très longue période et inachevé. Pour des raisons économiques et de liberté créatrice, le film muet, Noir et Blanc, sans script, sans scénario avec une caméra portable a été tourné de Paris, au Mexique, en Italie ou en Espagne au gré de lʼinspiration. Welles débute le tournage en 1955 à Paris puis le reprend en 1957 avant de lʼinterrompre à nouveau en 1959 puis le reprend en 1961. En 1964 le film est « terminé » une première fois. Welles garde le film par devers lui, il en est le producteur et ne semble pas en être satisfait. Il continue à tourner des séquences, toujours en muet. En 1970, il monte une deuxième fois le film et est insatisfait. Le film reste un "Work In Progress". C'est un rêve éveillé sur Don Quichotte et l'Espagne.
Citation de Vladimir Nabokov (écrivain de Lolita porté à l'écran par Stanley Kubrick) : " Don Quichotte est un conte de fée, comme Madame Bovary (Gustave Flaubert), Les âmes mortes (Nicolas Gogol) sont de suprêmes contes de fée, mais sans contes de fée le monde ne serait pas réel"
Lecture du chapitre 2, partie 2 : Qui traite de la notable querelle quʼeut Sancho Panza avec la nièce et la gouvernante de don Quichotte, ainsi que dʼautres événements gracieux Tandis que les deux hommes sʼentretiennent de leurs aventures passées, Sancho apprend à don Quichotte que lʼhistoire de ses aventures a été imprimée dans un livre intitulé LʼIngénieux Chevalier don Quichotte de la Manche. Cʼest le bachelier Samson Carrasco, tout juste rentré de Salamanque, qui lui a appris la nouvelle la veille au soir. "– Je ne me fâcherai d’aucune façon, répliqua don Quichotte ; tu peux, Sancho, parler librement et sans nul détour. – Eh bien, la première chose que je dis, reprit Sancho, c’est que le vulgaire vous tient pour radicalement fou, et moi pour non moins imbécile. Les hidalgos disent que Votre Grâce, sortant des limites de sa qualité, s’est approprié le don et s’est fait d’assaut gentilhomme, avec quatre pieds de vigne, deux arpents de terre, un haillon par derrière et un autre par devant. Les gentilshommes disent qu’ils ne voudraient pas que les hidalgos vinssent se mêler à eux,
principalement ces hidalgos bons pour être écuyers, qui noircissent leurs souliers à la fumée, et reprisent des bas noirs avec de la soie verte. – Cela, dit don Quichotte, ne me regarde nullement ; car je suis toujours proprement vêtu, et n’ai jamais d’habits rapiécés ; déchirés, ce serait possible, et plutôt par les armes que par le temps."
Lecture du chapitre 25 : Qui traite des choses étranges qui arrivèrent dans la Sierra-Moréna au vaillant chevalier de la Manche, et de la pénitence quʼil fit à lʼimitation du Beau-Ténébreux Don Quichotte veut faire pénitence pour imiter Amadis qui, dédaigné par sa dame Oriane, sʼétait fait appeler le beau ténébreux et sʼétait retiré sur la Roche-Pauvre. Il évoque aussi la folie de Roland et sa fureur en découvrant les amours dʼAngélique et Médor. Mais à la différence de ses modèles, le chevalier de la Manche veut mener à bien sa pénitence sans raison précise, par pure gratuité. Commence alors un rituel grotesque : après avoir rendu sa liberté à son cheval, don Quichotte déchire ses habits et fait des cabrioles, les fesses à demi nues, non sans avoir rédigé auparavant une lettre à lʼattention de Dulcinée. Cette missive, qui doit lui être remise en mains propres par Sancho, informe la dame de ses pensées de la pénitence quʼil sʼinflige pour elle "Aussitôt, tirant ses chausses en toute hâte, il resta nu en pan de chemise ; puis, sans autre façon, il se donna du talon dans le derrière, fit deux cabrioles en lʼair et deux culbutes, la tête en bas et les pieds en haut, découvrant de telles choses que, pour ne les pas voir davantage, Sancho tourna bride, et se tint pour satisfait de pouvoir jurer que son maître demeurait fou. Maintenant nous le laisserons suivre son chemin jusquʼau retour, qui ne fut pas long."
.Citation de Michel Del Castillo (Une répétition, Le Silence des pierres) : "Si l'on rapproche ce roman d'au roman épique comme celui d'Orlando, Orlando devient fou car il est amoureux, alors que Don Quichotte est amoureux car il est fou. Pour lui il faut avoir une amoureuse pour être un chevalier." Un extrait de La quête de Jacques Brel est ensuite diffuser. Lost In la Mancha, (L'homme qui tua Don Quichotte) , film inachevé de Terry Gilliam (Brazil, Monthy Python, l'imaginarium du docteur parnassus). Documentaire par Keith Fulton et Louis Pepe. Interview de Jean Rochefort (J'ai toujours rêvé d'être un gangster) sur son rôle (acteur jouant Don Quichotte). Il raconte que Don Quichotte est le porteur de l'utopie. C'est ce qu'explique Terry GIlliam : "Sans utopie le monde n'exigerait pas".
Terry Gilliam l'évoque aussi dans l'Imaginarium du Docteur Parnassus : "Si le monde tourne en ce moment, c'est que quelqu'un est entrain de raconter une histoire". Jean Rochefort raconte la dernière scène du film : Don Quichotte tends son épée à Sancho, incarné par Johnny Depp (Edward aux mains d'argent, Benny and Joon, Le chocolat) qui devient peu à peu Don Quichotte, et celui-ci soulève l'épée qui est très très lourde. "Maintenir l'utopie sur la planète c'est du boulot, c'est cela que ça raconte". L'émission se termine sur une lecture d'un prologue de Miguel de Unamuno (romancier, dramaturge, critique littéraire et philosophe espagnol) Le prologue se construit sous forme d'une lettre à un ami et parodie le prologue de Miguel de Cervantes. C'est un éloge de la solitude et de la folie. "Personne ne comprends plus ce qu'est la folie. Ta folie quichotesque t'a mené plusieurs fois à me parler du quichotisme comme d'une nouvelle religion, je te dis que si cette nouvelle religion elle arrivait à ce former aurait deux singulières proéminences. L'une c'est que son fondateur, son prophète, Don Quichotte, pas Cervantes, bien entendu, nous ne sommes pas sur qu'il est était un homme réel., l'autre c'est que ce prophète était un prophète ridicule qui fut moqué par les gens. C'est en effet bien là le courage qui nous manque, celui d'affronter le ridicule. Le chevalier de la folie fit rire tout le monde, mais ne risqua jamais une plaisanterie, il avait l'âme trop grande pour cela. C'est par son sérieux qu'il donna à rire". A la fin de sa vie, Don Quichotte avoue que sa vie n'a été qu'un songe de folie. La vie est un songe, telle est la vérité a laquelle en dernier ressort parvient Don Quichotte. Ce n'est d'ailleurs pas Don Quichotte qui meurt mais Quijana, Don Quichotte lui restera immortel.