Plasticité périurbaine

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plasticité périurbaine Pour une Architecture au Service des Territoires Périurbains


Plasticité périurbaine Pour une Architecture au Service des Territoires Périurbains



sommaire

« Enseigner, c’est partager ce que l’on cherche »

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« Quelle place pour les architectes dans la prospective territoriale ? »

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« Se détacher de la réalité pour mieux la servir »

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Introduction : retour sur les étapes d’une recherche-action

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Arpentons le territoire

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Arpentons le futur

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Le Petit Théâtre du périurbain

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Mettre en scène le débat

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« Faire de la prospective architecturale un espace commun »

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« Enseigner, c’est partager ce que l’on cherche » Stéphanie DAVID, architecte, enseignante à l’ENSA Grenoble, responsable du projet «Pour une architecture au service des territoires périurbains» (PASTP)

Enseigner offre un formidable espace de pensée pour l’architecte en

exercice que je suis. Mise en situation de transmettre tout à la fois ce qui fonde une position intellectuelle personnelle et ce qui relève d’un socle commun de culture et d’outils pour l’architecture, enseigner m’oblige à construire de manière intelligible le fil d’une pensée résonnant avec les questionnements et les apprentissages des étudiants, résonnant aussi avec le monde au sein duquel je vis, travaille et pense mon action. Le semestre de première année de Master au sein duquel j’enseigne est ainsi devenu, au fil des quatre dernières années écoulées à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, un véritable laboratoire de réflexion et d’action. Enseigner y signifie partager ce que l’on cherche au-delà de ce que ce l’on sait. Prenant depuis plusieurs années pour terrain d’exercice la Vallée du Grésivaudan, et rejoignant autour des problématiques du territoire périurbain qui s’y développe une équipe pluridisciplinaire d’enseignants architectes, sociologues, urbanistes, nous avons ensemble, enseignants et étudiants, imaginé le futur de ses paysages arpentés, de ses architectures recensées. Très vite, le futur ne nous a pas semblé imaginable sans confronter les projets aux acteurs du territoire, élus, agents territoriaux, habitants impliqués dans la vie citoyenne de leur commune... Cette démarche de rapprochement entre l’enseignement supérieur, l’énergie créatrice, l’espace de réflexion qu’il offre et la société civile, est justement au cœur du dispositif « Université Citoyenne et Solidaire » piloté et financé par la Région Rhône-Alpes. Dispositif que nous avons saisi en 2011 pour proposer un projet de laboratoire prospectif nous permettant de mettre en chantier ce que pourrait être une forme de recherche-action, mêlant production de connaissances utiles au « monde réel » et formation des futurs architectes aux enjeux qui les attendent, notamment en matière de reformulation des modes de gouvernances et de décisions quant à l’aménagement des territoires sur lesquels ils seront amenés à agir. La rencontre entre société civile et enseignement supérieur s’est concrétisée autour d’une prospective partagée visant à révéler les ressources cachées de tous ordres dans les plis de l’étalement urbain tant décrié.


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Au-delà des projets proposés, c’est en ouvrant à nos partenaires de terrain le processus de conception architecturale que s’est révélée la plus grande ressource. Nous avons déconstruit en le requestionnant ce qui nous est familier et reste généralement très codifié, la « planche » de projet, non pour répondre à une injonction de participation dans l’air du temps, mais pour rendre lisible, intelligible, critiquable au bon sens du terme, notre travail : Ouvrir la partition du projet, ses outils, ses codes de représentation, ses objectifs et ses devoirs, pour qu’elle puisse être déchiffrée par tous et profondément... Faire du projet d’architecture un acte citoyen, capable de mettre en œuvre un véritable forum, où peut naitre et se développer le débat, fondateur d’une démarche d’urbanisme contemporaine en phase avec les aspirations de la société du XXIème siècle. Pour associer à la réflexion sur l’avenir des territoires métropolitains tous ceux qui peuvent et veulent la faire progresser, experts comme non experts, il s’agit de multiplier les entrées dont elle peut faire l’objet, les formes à lui donner, les lieux où la tenir. Concevoir, construire et animer cette diversité de situations constitue peut-être un des plus beaux défis que les architectes, en tant qu’inventeurs de formes, devront relever dans ces contextes. Nous avons pour notre part, et parce que notre action s’inscrit dans le cadre de l’enseignement supérieur et de la recherche, voulu inscrire notre réflexion et notre action dans une démarche d’urbanisme complète, qui ne sépare pas la conception de projets visant des transformations ambitieuses et durables, de la mise en forme d’un débat citoyen comme fondement de notre espace de vie commun. C’est en cela que nous entendons proposer une forme de recherche propre à l’architecture : en situation d’action mais libres de nos propositions comme de nos outils car émancipés de toute commande... La recherche comme un acte politique, au sens noble et fondateur du terme.

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« Quelle place pour les architectes dans la prospective territoriale ? » Olga BRAOUDAKIS, architecte-urbaniste, enseignante à l’ENSA Grenoble, co-encadrante du projet PASTP

Préfigurer pour mieux se concerter sur l’avenir d’un espace commun Les lois SRU, Grenelle, Grenelle II et la future loi ALUR fixent le cadre législatif de l'urbanisme durable dans lequel les territoires doivent désormais s'engager. Dans ce contexte, les acteurs locaux qu'ils soient élus, techniciens ou habitants s'interrogent sur la manière d'y parvenir. Ces questionnements sont d'autant plus aigus dans les territoires périphériques des villes que ceux-ci se sont jusqu'à présent constitués à la marge d'une culture du projet urbain. Le projet « Pour une architecture au service des territoires périurbains » ( PASTP ) s'est déroulé à un moment où ces territoires sont en attente de représentations architecturales partagées de ce que pourrait être un paysage bâti durable adapté à leurs identités spatiales et sociales. L'élaboration d'un PLU, une étude d'aménagement d'un nouveau quartier, la conception d'un nouvel équipement sont autant d'occasions pour les architectes de donner forme à ce paysage bâti renouvelé et d'imaginer les outils de sa mise en débat avec les acteurs locaux. S'ils ont été souvent mobilisés dans des contextes opérationnels, leurs compétences sont également mises à contribution aujourd’hui dans le cadre de définition de stratégies territoriales. En témoignent la consultation du Grand Paris ou le SCOT de Montpellier réalisé par l'agence Reichen et Robert. Le projet PASTP s'inscrit dans cette actualité locale et nationale, professionnelle et institutionnelle. Il interroge les méthodes d'élaboration d'une prospective architecturale située et accessible à des publics hétérogènes, qui se déploie autant à travers la diversité des projets imaginés que dans les formes modulables de sa diffusion. Le projet architectural est urbanisme négocié Le projet PASTP n'est pas seulement une réponse possible aux enjeux d'une planification urbaine plus durable et à la nécessité de concerter avec la population. Il s'inscrit également dans l'évolution des modalités d'intervention des élus dans leur territoire. La crise économique, la maîtrise des dépenses publiques, la répartition des compétences entre les collectivités locales, complexifient désormais leurs interven-


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tions dans le cadre bâti. Ces élus doivent à la fois savoir mobiliser des partenaires financiers institutionnels (éco-conditionnalité des subventions) mais également identifier et motiver des porteurs de projets à même de fabriquer, transformer, animer un cadre de vie de qualité. L'architecte, dans sa capacité à repérer des sites de projets, à inventer des programmes, à tester des formes, est un professionnel qualifié pour accompagner les collectivités dans leur recherche de partenaires et dans les négociations qu'ils vont engager avec ceux-ci. Concerter sur la base de différentes solutions architecturales permet de rassurer chacune des parties et de trouver les convergences entre projet individuel, collectif et intérêt général. C'est pourquoi les projets imaginés par les étudiants dans le cadre du projet PASTP préfigurent tout autant des possibilités spatiales du territoire à se transformer que de nouvelles coopérations possibles entre les acteurs qui le fabriquent, l'administrent et le vivent.

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« Se détacher de la réalité pour mieux la servir » Marc GIRERD, Pierre-Marie CORNIN & Noélie CLAPASSON, étudiants contributeurs au projet PASTP

En tant qu’étudiants, lorsque nous parlons à notre entourage des projets que nous menons à l’école, une question revient régulièrement : ce que nous produisons est-il amené à se concrétiser ? Jusqu’à la troisième année, les travaux que nous réalisons constituent des exercices qui n’ont d’autre but que de nous former. Ils n’entraînent pas de suite et sont la plupart du temps conçus dans le seul cadre pédagogique de l’école. S’ils s’ancrent à mesure de nos études dans une réalité urbaine dont nous saisissons peu à peu la complexité, ils restent néanmoins en marge de cette réalité, la touchant du doigt sans jamais l’impacter. L’expérience que nous avons amorcée en première année de Master, dans le cadre du projet PASTP, a été d’une certaine manière la première commande réelle à laquelle nous avons répondu, l’exercice débordant progressivement du cadre pédagogique initial auquel nous étions habitués. Après quelques semaines de travail passées au chaud à l’école d’architecture, nous sommes partis prendre la température du territoire sur lequel nous allions travailler pendant un semestre. Sur place, nous avons établi une relation privilégiée avec les élus de Lumbin, qui nous ont présenté les problématiques urbaines, patrimoniales, sociales et paysagères que soulevait leur commune et auxquelles ils cherchaient des réponses. Après la toute première étape au cours de laquelle nous avions développé, à partir de cartes et de maquettes, un imaginaire et une vision abstraite de ce territoire, il s’agissait désormais d’en saisir toute l’épaisseur. Ce territoire, nous l’avons en l’espace de quelques mois imaginé, arpenté, cartographié et dessiné pour finalement proposer des réponses programmatiques, architecturales et urbaines aux questions qu’il avait soulevées en nous. Nous étions libérés d’un certain nombres de contraintes et de règles auxquelles un architecte devrait normalement se plier : nous n’étions pas tenus de nous conformer aux règlements d’urbanisme, ni de nous limiter à une enveloppe budgétaire précise. Libres d’imaginer les programmes et de les inscrire sur les sites de notre choix, nous étions en quelque sorte nos propres commanditaires, chargés à la fois de poser les questions et d’y répondre.


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À plusieurs reprises, nous avons présenté l’avancement de notre travail à un certain nombre d’acteurs du territoire, les premiers concernés par ces contraintes dont nous nous étions affranchis : des membres du SCOT de la région urbaine grenobloise et de la Communauté de Communes du Grésivaudan (CCG) ainsi que des élus de communes périurbaines. Si certains ont jugé nos propositions parfois déconnectées de la réalité, d’autres les ont au contraire apprécié pour la part d’imaginaire qu’elles laissaient transparaître. Ces échanges nous ont très vite révélé qu’en se détachant en partie de la réalité périurbaine et de ses contraintes, nos propositions pouvaient se lire comme des formes d’utopie en mesure d’interroger cette réalité et d’en révéler à la fois les limites et les potentiels insoupçonnés. En septembre 2012, nous avons été six étudiants à répondre à l’appel de Stéphanie David pour prolonger le projet PASTP sous la forme d’une exposition itinérante. L’enjeu était pour nous de nous saisir d’un semestre de production pour le sortir du cadre de l’école et inviter la société civile à s’en emparer. Nous ne nous adressions plus seulement à nos enseignants, mais à un public plus large composé d’acteurs institutionnels et surtout d’habitants. Il s’agissait de présenter notre travail à ceux que l’évolution des territoires périurbains concerne le plus directement. Cela supposait d’imaginer d’autres supports, d’autres configurations de manière à pouvoir établir un dialogue avec ceux qui vivent au quotidien la réalité périurbaine. Ce faisant, nous avons cherché à impacter cette réalité, non pas en réalisant nos projets, mais bien en les soumettant au regard d’une société avec qui nous avons, somme toute, très peu d’occasions de partager nos envies et nos idées. Parce que nos projets, quand ils sont cantonnés au cadre de l’école, ne trouvent pas d’écho dans la société civile ; parce que pour avoir un impact sur la réalité, ils doivent aller à la rencontre de ceux qui la vivent ; parce que, si désormais nous sommes architectes, nous n’aurons peutêtre plus l’occasion de partager cette part d’imaginaire inhérente au cadre de l’école, ce projet a été pour nous, en tant qu’étudiants, un moyen de mettre nos utopies au service de la réalité.

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introduction

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INTRODUCTION

Retour sur les étapes d’une recherche-action...

Aborder la question périurbaine en architecte.

Depuis 2005, l’enseignement que nous développons en master 1 à

l’ENSA de Grenoble fait une place de choix aux espaces périurbains et au rôle que l’architecte peut jouer dans la fabrication durable de « cet urbain qui advient1 ». Attirer l’attention d’étudiants en architecture sur les enjeux et les opportunités soulevés par la question périurbaine demande, au préalable, de reconnaître avec eux le pluriel qu’elle recouvre. Comme le soulignent Stéphane Cordobes, Romain Lajarge et Martin Vanier dans une contribution au deuxième numéro de la revue Territoires 2040 : « il n’existe pas une seule question périurbaine, unique et homogène, la même partout en France, c’est-à-dire l’étalement urbain et son insoutenabilité fondamentale. Il faut, au contraire, reconnaître la multiplicité des questions périurbaines, différentes selon les régions, posées par un phénomène de report de densité qui s’alimente à diverses sources.2 ». Cette diversité de situations appelle une approche fine et contextualisée de ce que la périurbanisation continue de produire et que Martin Vanier ramène cette fois à un singulier, celui d’un « entre-deux qui est en train de se structurer socialement, économiquement et politiquement entre l’espace rural et l’espace urbain3 ».

1. Expression empruntée à Cordobes S., Lajarge R., Vanier M., « Vers des périurbains assumés. Quelques pistes stratégiques pour de nouvelles régulations de la question périurbaine. », in Territoires 2040 revue d’études et de prospective de la DATAR, n° 2, deuxième semestre 2010, p. 24

2. Ibidem

3. Vanier Martin, « Le périurbain à l’heure du crapaud buffle : tiers espace de la nature, nature du tiers espace », in Revue de Géographie Alpine, vol. 91, n°91-4, 2003, p. 82


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Ibid., p. 80.

5. Vanier Martin, « Qu’estce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique », in Revue de Géographie Alpine, vol. 88, n°88-1, 2000, p. 109. 6. Ibid., p. 113.

Ce « tiers espace qui vient brouiller la relation du vieux couple villecampagne4 », Vanier l’interroge sous l’angle de son devenir politique, considérant « cette scène de l’entre-deux5 » comme un laboratoire où se négocient déjà de nouveaux jeux d’acteurs et où peuvent à l’avenir s’inventer des échelles de gouvernance territoriales ouvrant sur « de nouveaux rapports entre le territoire et le politique6 ». Ces rapports se négocient aujourd’hui sous la pression croissante des problématiques d’aménagement posées par un cadre de vie qui s’est lui aussi structuré sur près d’un demi-siècle, sans pour autant y avoir gagné une définition claire et légitime. De fait, les espaces périurbains ont été jusqu’ici définis (et le sont encore aujourd’hui), soit comme des espaces qui diluent la ville, soit comme des espaces qui mitent la campagne. Leur principale caractéristique semble tenir, en somme, à ce qu’ils sont censés avoir dégradé, à savoir l’intégrité, la pureté présumée de deux espaces symboliquement structurants : la ville historique d’un côté, une campagne éternellement figée dans sa ruralité pittoresque d’un autre. Dans les faits, les espaces périurbains sont la résultante d’une ville historique qui a simplement « pris ses aises » à mesure que ses habitants accédaient à la mobilité, et d’une campagne qui s’est en partie développée et urbanisée de son propre fait. Le défaut de légitimité spatiale que l’on prête trop souvent aux espaces périurbains dissimule par conséquent une hybridation, plus complexe qu’il n’y paraît, entre des villes et des campagnes elles-mêmes prisonnières de définitions trop simplistes. En tant qu’enseignants, cette hybridation nous intéresse au regard des paris et des promesses qu’elle inscrit à l’agenda professionnel de nos étudiants. Les espaces périurbains posent aujourd’hui leurs propres questions en matière de développement durable. Leur complexité laisse quant à elle entrevoir tout un jeu de situations et d’opportunités à exploiter pour apporter à ces questions des réponses innovantes, notamment sur le plan urbanistique et architectural. Le tout est de reconnaître cette complexité en l’identifiant sous la banalité apparente dont sont taxés les espaces qui l’accueillent. Il s’agit également de lui reconnaître une légitimité en révélant et en défendant les potentialités qu’elle renferme.


introduction

De notre point de vue, c’est sur ces deux plans que l’architecte a un rôle spécifique à jouer dans le concert des acteurs et des compétences mobilisés autour de l’aménagement durable des territoires périurbanisés. Pour familiariser nos étudiants à ce rôle et aux paris qu’il sous-tend, nous leur proposons d’aborder sur un semestre une situation périurbaine spécifique, rencontrée à l’échelle de la région urbaine grenobloise. Chaque année, nous construisons dans cette optique un partenariat pédagogique avec une commune située dans l’aire d’influence de Grenoble et de son agglomération. Cette prise de contact avec une réalité périurbaine « de proximité » a un double intérêt sur le plan pédagogique. Elle nous permet d’aborder, à la fois les problèmes que pose localement l’étalement urbain, à la fois les configurations singulières qui en résultent et qui, au-delà de l’insoutenabilité qu’on leur prête, ne sont jamais dépourvues de potentiels. L’enjeu de nos exercices consiste à mettre nos étudiants en situation d’identifier et de révéler ces potentialités par le projet. Pour ce faire, nous leur demandons de ne pas s’en tenir à la lecture des documents réglementaires définissant les secteurs de développement de la commune étudiée, l’idée étant qu’ils défrichent par eux-mêmes les ressources diffuses, les opportunités évidentes ou inaperçues du territoire auquel ils ont affaire. Cette investigation est menée lors de séjours d’immersion sur le terrain, rythmés par des rencontres avec les élus et les techniciens de la commune partenaire. Par la suite, nos étudiants doivent formuler des projets d’architecture dont l’enjeu est d’articuler, sur le plan programmatique et spatial, une situation locale de leur choix à des dynamiques territoriales de plus grande ampleur. Au terme de l’exercice, ces projets sont présentés à nos partenaires, moins comme des hypothèses opérationnelles que comme des fictions exploratoires. Cette posture assumée permet à nos étudiants de lancer le débat et de discuter avec les élus présents, des stratégies à imaginer pour exploiter au mieux les potentialités auxquelles leurs architectures ont simplement cherché à donner forme.

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Un territoire questionné sur la durée, la vallée du Grésivaudan. Après avoir développé ce type de partenariats avec différentes localités du sud grenoblois et du plateau Matheysin, nous nous sommes déportés depuis 2009 dans la vallée du Grésivaudan, rencontrant à son échelle une diversité de situations suffisamment riches et problématiques pour nous attarder sur son « cas ». Dans cette vallée, la question périurbaine se pose en effet d’une manière aussi tendue qu’originale. Berceau historique de la houille blanche, la vallée du Grésivaudan accueille depuis une trentaine d’année une industrie de pointe spécialisée dans les hautes et les micro-technologies. Particulièrement fertile, elle est aussi connue pour l’exception de sa plaine agricole qui s’étend sur près de 80 km entre Grenoble et Chambéry. Les balcons des massifs de Chartreuse et de Belledonne qui l’enserrent, vivent quant à eux d’une économie touristique dédiée aux sports alpins. Pour soutenir et diversifier cette économie, les acteurs institutionnels des deux plateaux sont aujourd’hui amenés à trouver des solutions pour pérenniser leur exploitation agro-pastorale, seule garante de l’entretien du paysage qui attire chaque année les adeptes d’une montagne de carte postale. Industrie, tourisme et agriculture soutiennent ainsi depuis plus d’un siècle, de manière parallèle ou enchevêtrée, l’essor économique de ce territoire qui n’a cessé de s’urbaniser. La vallée a en grande partie absorbé cette urbanisation le long des axes de communication qui relient Grenoble à Chambéry et qui suivent le cours endigué de l’Isère. Les risques d’inondation et d’éboulement, auxquels se rajoute la préservation des couloirs de vie empruntés par une faune importante entre les deux massifs, contraignent aujourd’hui l’étalement urbain des communes de la vallée qui accueillent ce passage et qui doivent composer avec ce genre de menaces. Autrement dit, si la vallée du Grésivaudan a construit sa prospérité historique, tant sur l’exception de son paysage que sur l’exception de son industrie, son avenir dépend d’une équation plus complexe. Pour ce territoire, il s’agit désormais d’entretenir simultanément et durablement l’exception de son cadre de vie, de son économie et de sa biodiversité, ce qui demande d’ajuster au mieux les cohabitations qui s’y sont développées entre différents pôles d’emploi, d’habitat et de passage.


introduction

Cet ajustement repose sur un équilibre à trouver à trouver entre développement des espaces urbanisés et préservation des espaces naturels et agricoles qui supportent ensemble cette cohabitation. La recherche d’un tel équilibre tisse la trame des documents de planification auxquels l’urbanisme communal doit se conformer. Sur le terrain, les élus de la vallée essaient de répondre au mieux à cette conformation en ouvrant des chantiers de réflexion autour des problématiques qu’elle soulève à l’échelle de leur commune. C’est sous cet angle qu’ils accueillent avec curiosité les partenariats pédagogiques que nous leur proposons. En 2011, l’un de ces partenariats a plus particulièrement surpris et attisé l’intérêt des élus auxquels il s’adressait, ce qui explique peut-être le rebond qu’il a connu. Cette année-là, nous l’avons pour la première fois proposé à deux communes situées dans la continuité l’une de l’autre via le ciel qui les séparent. Historiquement reliées par un funiculaire arpentant une des falaises de Chartreuse – funiculaire devenu une des principales animations touristiques de la vallée du Grésivaudan, Saint-Hilaire-du-Touvet et Lumbin accueillent également depuis une trentaine d’années, pour la première l’aire d’envol, pour la seconde l’aire d’atterrissage d’un site mondialement connu de vol libre. Ce dialogue aérien nous a intéressé et a servi de base à la réflexion de nos étudiants. L’enjeu de l’exercice était de concevoir, entre haut et bas, des projets qui se fassent écho et qui défrichent par ce biais les conditions d’un co-développement plus diversifié et plus concerté entre nos deux communes partenaires. Séduits par cette démarche, les élus de Lumbin nous ont demandé au terme de l’exercice s’il était possible de réengager avec eux un nouveau partenariat. Alors en pleine révision de leur PLU, ils souhaitaient faire de ce second rendez-vous une expérience qui les aide, cette fois, à réinterroger sous un angle plus ouvert la cartographie des contraintes et des opportunités qu’ils étaient en train d’établir à l’échelle de leur territoire communal.

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Lumbin, une commune qui s’interroge sur son avenir. Localité de 1900 habitants située au pied des falaises de Chartreuse, Lumbin accueille une portion de la plaine agricole du Grésivaudan, ce qui étire ses limites administratives jusqu’au lit de l’Isère. La commune est par ailleurs limitrophe de celle de Crolles, épicentre de la technovallée qui s’étend de Grenoble à Chambéry, ce qui la situe à moins d’une demi-heure en voiture de ces deux agglomérations. Cette situation géographique fait de Lumbin une des communes les plus attractives de la vallée sur le plan résidentiel, tout en l’exposant à des risques naturels (éboulement, inondation) qui ne lui donnent plus la possibilité de s’étaler, ce qui augmente d’autant le prix du mètre carré disponible. Lumbin attire par ailleurs de nombreux visiteurs à la journée venant de toute la vallée pour pratiquer son ciel et son aire d’atterrissage, celle-ci croisant le tracé d’un des deux corridors écologiques qui enserrent la commune. Ses habitants pratiquent quant à eux la route de manière intensive et quotidienne. La majorité d’entre eux sont propriétaires, travaillent, consomment, se divertissent en dehors de la commune, la voiture étant leur principal mode de déplacement. Au vu de ce rapide état des lieux, Lumbin signe une drôle d’exception à l’échelle de la vallée du Grésivaudan, celle de combiner sur une même commune l’ensemble des spécificités et des problématiques de développement qui concernent la vallée dans son ensemble. Étant les premiers à faire ce constat, les élus de Lumbin sont aussi les premiers à vouloir le dépasser en cherchant à retourner la situation de leur commune, exemplaire sur le plan de la contrainte, en exploitant au mieux les opportunités qu’elle recèle et qui peuvent en puissance alimenter les conditions de son développement local. Nous sommes, quant à nous, partis de ce même constat pour faire du second partenariat que nous pouvions proposer aux élus de Lumbin, le point de départ d’un projet plus ambitieux.


introduction

Mettre en projet une prospective partagée autour d’une demande sociale située. Relire et retourner en possibilités de projet les contraintes exemplaires rencontrées à Lumbin offrait une occasion à saisir, celle de faire de cette commune l’espace-laboratoire d’une prospective portant plus largement sur l’avenir des espaces périurbanisés de la vallée du Grésivaudan, prospective qui, par extension, pouvait concerner les problématiques et les devenirs situés d’autres territoires périurbains du sillon alpin. Avec l’accord des élus de Lumbin, nous avons soumis cette proposition à l’appel à projet annuel « Université citoyenne et solidaire » porté depuis 2009 par la Région Rhône-Alpes. Pour mémoire, ce dispositif finance des recherches qui doivent répondre à deux objectifs conjugués : d’une part mettre les moyens de l’université au service d’une demande sociale située et faire de ce point de rencontre entre chercheurs et acteurs de la société civile, le lieu de co-production d’une connaissance inédite ; d’autre part enrichir les compétences et faciliter l’insertion professionnelle des étudiants qui participent à ce programme. Prendre en compte ces deux objectifs nous a demandé d’affiner le type de prospective que nous voulions construire autour de Lumbin. S’il s’agissait de donner à cette prospective une portée élargie, il s’agissait plus encore de la partager, voire de la co-produire avec les élus qui nous en avaient exprimé la demande, comme avec d’autres acteurs intéressés, de près ou de loin, par le devenir de la vallée du Grésivaudan en particulier, des territoires alpins en général. Partant de là, nous avons proposé à la Région Rhône-Alpes un projet de recherche-action, à mi-chemin de l’atelier pédagogique et du laboratoire d’idée, invitant élus, experts, techniciens, chercheurs, habitants de la région grenobloise à participer à la co-construction d’une prospective portant sur les problématiques et les devenirs périurbains d’une commune alpine exemplaire. L’aide financière que nous avons reçue de la Région Rhône-Alpes via le dispositif « Université citoyenne et solidaire », le soutien de la municipalité de Lumbin et de l’ENSAG, nous ont permis de réaliser et d’étirer sur près de deux ans ce projet de prospective partagée.

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Pour le mener à bien, nous avons convié différents acteurs et institutions à prendre part à son processus. Ont répondu présents la Communauté de Commune du Grésivaudan, son conseil de développement, le SCOT de la Région Urbaine Grenobloise, le PNR de Chartreuse, le CAUE de l’Isère, l’Agence d’Urbanisme de la Région Grenobloise, la Maison de l’Architecture de l’Isère, ainsi que des architectes et des urbanistes enseignant à l’ENSAG, à l’Institut d’Urbanisme de Grenoble et à l’ENSA de Saint-Etienne. Initiée en Janvier 2012, cette recherche-action a connu deux temps forts. Le premier a pris la forme d’un « laboratoire situé » aligné sur la durée de l’exercice pédagogique (premier semestre 2012). La vocation de ce laboratoire était de construire, avec nos étudiants, une série d’expérimentations in situ et d’outils de projet capables d’alimenter une prospective à partager avec nos partenaires, autour des problématiques exemplaires rencontrées sur le territoire de Lumbin. Les étapes et les résultats de ce « laboratoire situé » ont fait l’objet d’une exposition itinérante qui a constitué le second temps fort de notre projet. Nous avons conçu cette exposition, non comme la valorisation d’une recherche achevée, mais comme un temps de recherche supplémentaire, ayant cette fois vocation à développer sur d’autres modes la prospective engagée. Il s’agissait en l’occurrence de la rendre accessible à un plus large public, tout en construisant sur de nouvelles bases les occasions de la poursuivre avec nos partenaires. Cet objectif supposait de donner à l’exposition elle-même une forme malléable, adaptable aux lieux qui la recevaient, aux publics auxquels elle s’adressait et aux réflexions qu’elle cherchait à soulever dans chaque cas de figure. A ce jour, cette exposition a connu trois étapes qui ont donné lieu à trois scénographies différentes. Chacune d’elles a servi de pivot pour susciter et ajouter des contributions supplémentaires au matériau et aux réflexions accumulés durant le « laboratoire situé ». Ces contributions ont pris différentes formes, du débat « en marchant » développées avec les habitants de Lumbin, aux débats réengagés avec nos partenaires sur des questions mises en avant par la forme même de l’exposition.


introduction

Un compte-rendu imaginé comme un laboratoire prospectif de plus. Rendre compte d’une recherche qui touche à sa fin peut offrir, soit une occasion de la conclure, soit une chance de lui offrir un ultime prolongement. Les différentes formes que nous avons données à la recherche qui fait l’objet de cette publication nous incitent à saisir plus volontiers la chance que l’occasion. Nous avons ainsi choisi de faire du présent document, un laboratoire en terme d’écriture et de création graphique. Conçue avec certains de nos étudiants, cette publication a été le lieu d’un débat continu sur la forme à donner à chacune des séquences qui ont rythmées le déroulement de la recherche à laquelle ils avaient activement participé. Au final, nous avons décidé avec eux de décliner cette recherche en respectant son déroulement chronologique, tout en donnant à chacune de ses étapes une identité qui puisse en offrir une lecture, aussi proche que possible, du type d’expérimentation qu’elle a pu susciter. Cette publication propose ainsi d’arpenter sur différents modes la recherche dont elle rend compte. Dans un premier temps, nous invitons le lecteur à arpenter le contexte qui nous a interrogé, en suivant les protocoles imaginés par nos étudiants pour en faire le portrait et en identifier les ressources. Dans un second temps, il sera question de ré-arprenter ce territoire en le considérant de plus près, au regard et à travers la singularité des propositions que nos étudiants y ont insérées pour en souligner les potentiels. Il s’agira ensuite de faire la focale sur chacun de ces projets, en prenant cette fois connaissance des débats qu’ils ont suscités chez nos partenaires, au fil de nos ateliers. Enfin, une ultime séquence sera consacrée à un retour en coulisses. Nous y présenterons le travail de mise en scène que cette recherche a nécessité pour donner des lieux et des orientations variées à une prospective dont nous avons tenté, sur près de deux ans, d’inventer les conditions de partage.

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Qu’est-ce qu’

on appelle « La périurbanisation désigne le processus de « retour » ou de « fuite » des citadins vers les campagnes, à partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970, dans des espaces périurbains qualifiés de ruraux. » source : Wikipédia

un monde où le rêve français s'effondre ou un monde où il

SE renouvelle ?

la ville

QUI S'ARRête ? QUI commence ?

des Compromis

OU cELLE DU RêVE ACCESSIBLE ?

« Aujourd’hui, nous parcourons chacun, en moyenne, 45 km/jour [...] soit neuf fois plus qu’en 1950 » J. VIARD, Nouveau portrait de la France, la société des modes de vie, La Tour-d’Aigues : L’Aube, 2011, p. 60.

L’automobile a joué un rôle moteur dans l’étalement de la ville. Elle

a permis à chacun de s’affranchir de distances qu’il eût été difficile de parcourir au quotidien il y a encore un siècle. Aujourd’hui, la mobilité peut représenter jusqu’à 30 % des revenus d’un ménage, à travers l’achat et l’entretien impératif de deux voitures.


introduction

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périurbain Périurbain, adjectif : « À proximité immédiate d’une ville » Définition Larousse

Des lieux que l'on habite parce que l'on rêve d'espace et de tranquillité

40 % des français

VIVENT DANS LE

Périurbain

Faire le choix d’habiter en périphérie d’une grande ville n’est pas un

acte anodin. On y projette des désirs que ne permettent ni la villecentre, ni la campagne reculée. Le paradoxe, c’est que l’on s’éloigne souvent de la ville pour se rapprocher de quelque-chose : de la nature, de ses enfants, de l’idée que l’on se fait de la tranquillité...

se fabriquer un paysage à soi :

une ville sans architect(ur)e

?


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ARPENTONS LE TERRITOIRE

Le premier temps de notre recherche s’est aligné sur la durée de l’exercice pédagogique. Sur quatre mois, vingt-et-un étudiants ont travaillé à élaborer des diagnostics et des propositions architecturales à la mesure des problématiques rencontrées à Lumbin.

L’exercice a débuté par l’analyse de la commune et de son contexte. Nous avons abordé cette étape préalable en choisissant de faire de la subjectivité du regard individuel, à la fois le moteur et l’outil de « découverte » des ressources présentes sur le terrain et exploitables pour l’avenir. Plutôt que de reconduire les approches et les modes de représentations d’un diagnostic classique, nous sommes partis des compétences de l’architecte : l’invention de formes.

Page de gauche : Carte IGN de la vallée du Grésivaudan.

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plasticité périurbaine

L’arpentage : construction d’un protocole

Pour engager ce travail d’analyse, nous avons demandé à nos étudiants

de constituer des groupes de quatre ou cinq et d’explorer librement la carte IGN de la commune et de ses environs, de flâner en quelque sorte pendant deux semaines « dans la carte ». Au fil de cette exploration, chaque groupe a construit des visions narratives du territoire à partir de données démographiques, géographiques, infrastructurelles, traitées isolément ou de manière combinée. Une fois ces agencements établis, ils devaient les traduire sous la forme de maquettes en carton, manipulables, distanciées par rapport au réel. Le choix de la maquette comme matérialisation d’un diagnostic subjectif permet de rendre compte de la multiplicité des interprétations possibles du territoire, permet aussi de stimuler l’inventeur de forme qu’est l’architecte, y compris dans une phase analytique habituellement considérée comme l’étape la plus froide et « objective » du processus de conception. Si l’étude de la carte IGN a le mérite de libérer la puissance de représentation de chacun, elle est suivie de manière assez radicale par une immersion sur le terrain, dans le cadre d’une résidence de plusieurs jours sur la commune étudiée. Les premières représentations du territoire en maquette permettent aux étudiants de prendre leurs marques à distance et de choisir l’angle singulier sous lequel ils vont en approcher la réalité. A partir de ce premier «marquage», nous les invitons à construire un protocole d’arpentage définissant les parcours et les modes de collectes qu’ils expérimenteront in situ. Cette démarche, proche des expérimentations « land-artistes », les aide, une fois sur place, à ne pas seulement relever des données, mais à se frotter à la trivialité d’un paysage en se donnant les moyens d’être présents aux lieux, aux habitants, aux micro-évènements jalonnant leurs parcours. Là encore, nous encourageons les étudiants à assumer la subjectivité du regard qu’ils construisent chemin faisant. Les documents issus de leurs arpentages, photos, cartes, dessins, portent souvent la marque de cette subjectivité en mettant leurs auteurs en scène de manière assumée, tel un témoin, un mètre-étalon de la prise de mesure du réel qu’est par définition tout arpentage.


arpentons le territoire

L’expérience depuis le point de vue des arpenteurs

Une fois sur place, nous avons suivi nos guides d’arpentage en nous

donnant le droit de les compléter si des trouvailles, des impressions, des personnes rencontrées nous faisaient dévier de notre parcours. Cette pratique de l’arpentage, véritable «randonnée» périurbaine, nous l’avons considérée comme une disposition d’esprit doublée d’un outil d’analyse et de projet. L’arpentage est une manière d’appréhender un territoire en s’attachant à des détails, aux gens qui l’habitent, à son paysage, à son organisation, à sa matérialité... L’arpentage permet de porter un regard sur une réalité saisie de près. Regarder ce qui nous entoure comme si nous ne l’avions jamais vu, prêter attention à ce qui d’habitude ne retient pas le regard, donner de l’importance au banal, à l’insignifiant. L’arpentage implique une attitude de glaneur, à l’affût de petites informations, trouvailles, anecdotes, points de vue qui vont retourner notre jugement et nos certitudes sur le territoire arpenté. L’arpentage reste une démarche qui sert le regard de celui qui la pratique, chacun doit se l’approprier selon ses besoins, ses moyens et ce qu’il veut en retirer. Plus concrètement, l’arpentage de Lumbin nous a permis de bousculer nos a priori sur l’espace périurbain. Partis du préjugé qui associe le périurbain à un territoire à l’architecture standard, aux formes répétitives, où les équipements et les infrastructures publics sont rares, l’arpentage nous a permis de découvrir, au-delà de cette façade, un territoire riche en initiatives, offrant des réserves d’espaces à densifier et à intensifier, offrant surtout une alternative d’avenir au centres historiques saturés. De retour de notre séjour sur place, nos arpentages ont fait l’objet d’une restitution collective qui a enrichi la vision du territoire construite équipe par équipe. Dans les pages qui suivent, ce travail de collecte est présenté d’une manière sélective. Chaque équipe revient rapidement sur son protocole d’arpentage et offre un aperçu des éléments d’analyse qu’elle a construit à partir de lui.

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arpentons le territoire

Arpentage n°1 « Arpenter les limites »

La commune de Lumbin est située sur la rive droite de la vallée du

Grésivaudan, à mi-chemin entre Grenoble et Chambéry. Nous avons souhaité appréhender ce territoire en arpentant ses limites physiques et administratives à l’aide de trois moyens de locomotions différents : à pied, à vélo, en voiture. Ces différents parcours nous ont permis de relever un ensemble de situations : dispositifs d’assises, typologies bâties, clôtures. Nous avons ainsi collecté des éléments sensibles que nous avons triés et analysés pour ensuite les articuler à des données cartographiques plus classiques (routes, cours d’eau, bâti). Cette immersion dans le territoire a permis d’enrichir considérablement notre compréhension des enjeux de la commune.

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plasticitĂŠ pĂŠriurbaine

Epaisseur ressentie des limites communales


arpentons le territoire

Des tracés qui marquent le paysage

Variations sur limite parcellaire

« Assieds-toi où tu peux »

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Arpentage n°2 « Les tissus urbains »

Sur la carte IGN, Lumbin nous est apparu comme un patchwork de tissus (urbains, naturels, agricoles, etc.) que nous avons interprété en maquette en donnant à chacun de ces tissus un textile particulier.

Sur place, nous avons filé la métaphore liant tissus urbains et tissus textiles en nous mettant à la recherche des trous, des relâchements, des petites ruptures dans la maille paysagère de la commune. Cet arpentage nous a permis de repérer des espaces potentiellement stratégiques. A la croisée de deux tissus, ils signaient une absence de raccord qui pouvait donner lieu à une couture intéressante, dont la forme restait à définir et à travailler.

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plasticitĂŠ pĂŠriurbaine

Six tissus composent la commune de Lumbin Aux jonctions entre ces tissus, certaines pièces sont manquantes


arpentons le territoire

Maquettes des diffĂŠrents tissus et des liens avec le plateau

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arpentons le territoire

Arpentage n°3 « Et si Lumbin était une maison »

Nous étions partis pour explorer toutes les perpendiculaires reliant

le différents secteurs de Lumbin à la départementale. En arpentant de manière systématique ces voies secondaires, la départementale nous est apparue comme un couloir, espace de servitude, donnant accès aux secteurs de la commune comme aux différentes pièces d’une maison : - le garage : le parking de la zone d’activité - la cuisine : la zone d’activité - le séjour : le centre-bourg - les chambres : la zone pavillonnaire Cette métaphore nous a permis de mesurer la disproportion des espaces alloués aux fonctions que la commune accueille. Ce que nous avons patiemment relevé, c’est une variété dans le « zoning » lumbinois : les portes toujours différentes qui ouvrent sur chacune de ses « pièces ».

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ressources cachées

chambre

chambre séjour route départementale

garage

cuisine

chambre

La départementale donne accès aux différentes pièces de la maison


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Herbier des portes de la commune

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arpentons le territoire

Arpentage n°4 « Des distances, des parcours »

En 1673 le trajet Lumbin - Grenoble s’effectuait en 3h de diligence et

en 5h à pied. La commune n’hébergeait alors que 270 habitants. En 1841, Grenoble n’était plus qu’à 50mn via le tramway qui sillonnait la vallée. La population lumbinoise avait quant à elle doublé. Aujourd’hui, 40mn de voiture via la départementale et 24mn via l’autoroute suffisent à rallier Grenoble. La commune accueille près de 2000 habitants. Comment réduire, à l’avenir, le trajet Lumbin-Grenoble en sortant l’automobile de l’équation ? Pour répondre à cette question, nous avons arpenté en vélo les distances entre Lumbin et les gares environnantes. Associer vélo et train situerait Lumbin à moins de 30 mn de Grenoble aux heures de pointe. Reste à imaginer comment donner forme à ces parcours.

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plasticité périurbaine

Temps de déplacement par la route départementale et l’autoroute dans la vallée du Grésivaudan


arpentons le territoire

Mobilités à vélo et à pied dans la vallée du Grésivaudan

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Arpentage n°5 « Sur la route »

Nous avons choisi de sillonner la route départementale en voiture

afin de comprendre la manière dont elle impactait le paysage de chacune des communes qu’elle traverse ou qu’elle contourne entre Grenoble et Chambéry. Cet arpentage motorisé nous a permis de mettre en lumière des similitudes et des dissemblances d’une commune à l’autre. Lumbin fait partie des communes, non pas contournées mais traversées par la départementale. Ce qui constitue à la fois une contrainte majeure à laquelle s’agrègent ça et là des opportunités ponctuelles : ouvertures sur le grand paysage, concentration de services à hauteur du centre-bourg, accroches aux deux corridors écologiques de la commune et à son aire d’atterrissage de vol libre. Ce relevé a été l’occasion d’interroger les formes de cohabitation entre les aires de passage qui traversent Lumbin et le type de négociations à imaginer pour les concilier d’une manière plus opportune.

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Que trouve-t-on le long de la dĂŠpartementale ?


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Voyage le long de la dĂŠpartementale 1090

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Atelier d’arpentage avec les habitants de Lumbin - 20 janvier 2013 - pages 176- 177


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arpentons le futur

ARPENTONS LE futur De ce travail d’arpentage sont ressorties plusieurs pistes de réflexion.

Certains étudiants ont envisagé les « espaces de transit » qui marquent le paysage de Lumbin comme une des principales ressources de la commune. Aire d’atterrissage, arrêts de bus, corridors écologiques, départementale, funiculaire, parcours du pédibus local ont été abordés comme des « aires d’usages » particulièrement stratégiques à mettre en projet. D’autres se sont saisis de « trous » dans le tissu de la commune, ou des « franges » qui définissent ses limites d’urbanisation. Ils ont considéré ces restes et ces marges comme des sites sur lesquels implanter des programmes-interface entre zone artisanale, centre-bourg, quartier pavillonnaire, zone humide, plaine agricole. D’autres enfin se sont intéressés à l’existant, aux traces de ses mutations successives, donnant son épaisseur historique au tissu périurbain et pouvant servir de points de départ à des projets de densification ponctuelle. Sur la base de ces différents constats, nous avons demandé à nos étudiants de déterminer, seuls ou en binômes, une stratégie urbaine et programmatique qui pourrait servir de levier pour le développement à venir de Lumbin, puis de choisir le site le plus approprié à sa mise en œuvre. Les projets auxquels ont abouti leur réflexion questionnent le contexte de la commune par leurs programmes, leurs logiques d’implantation et leur langage formel. Les paysages qu’ils génèrent s’inscrivent le long de trois parcours que nous vous proposons d’arpenter selon trois points de vue différents : en mots, en plan et en images.

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arpentons le futur

Premier parcours « Sur la route »

Les projets qui suivent prennent appui sur la route départementale

qui traverse Lumbin ; sur les flux qu’elle génère et les séquences qu’elle crée. Cet axe structurant est révélateur du passé de la commune et constitue un enjeu essentiel pour son avenir. Aujourd’hui, la départementale agit comme une coupure entre les parties hautes et basses de Lumbin. La voiture domine la chaussée et les maigres aménagements qui permettent aux piétons de la traverser ou de la longer peinent à en faire un espace public de qualité. Le long de cette route, nous avons identifié un certain nombre d’opportunités foncières qui sont autant d’occasions de remodeler ce paysage en proposant aux habitants de se le réapproprier. Ces creux jalonnant la route offrent autant d’interfaces, d’accroches à réaliser pour décloisonner les différentes aires de passage et les différents tissus de la commune.

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plasticité périurbaine

La Boîte à outils des loisirs

Le M.U.R

La Mobilothèque

La Grange à vélos

Face à face à deux vitesses


La Boîte à outils des loisirs

Corridor écologique Départementale

arpentons le futur

front bâti halle de de marché

AIRE d’ATTERRISSAGE Loisirs

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Centre-bourg

zone artisanale

relais de transports


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Le M.U.R

plasticité périurbaine

salle place aménagements piétons Tissu pavillonaire polyvalente publique bibliothèque café inteface relais Tissu de centre-bourg Mur

Parcours accroche vers l’Isère

départementale


La Mobilothèque

Grand Territoire

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halte garderie bistrot bibliothèque Assises services

départementale

Terminus de bus

pédibus Coeur Pavillonaire

vélos

commerces mobiles

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La Grange à vélos

plasticité périurbaine

Désert pavillonnaire Ripisylve

parc Lieu de Rencontre

restaurant pause home détente réparation départementale café associatif working location vélo limite

communale


Face à face à deux vitesses

Tissu pavillonaire réactivé

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Patrimoine naturel

bibliothèque

ripisylve

intercommunalité

drive book

Cours d’eau départementale

Patrimoine historique Bourg ancien

Mobilités douces

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arpentons le futur

Deuxième parcours « Au fil de l’eau et des saisons »

Tandis que les premiers projets prenaient appui sur une limite créée

par l’homme, ce sont les limites naturelles de la commune qui deviennent ici supports de projet. Deux tracés fort offrent ainsi des problématiques communes. Le corridor écologique, ou ripisylve, opère une fracture entre la commune de Lumbin et celle de La Terrasse. Ce paysage bucolique est protégé et les règles de construction y sont très restrictives. Cette réglementation est semblable à celle observée dans la plaine agricole qui se situe en zone inondable. Il en va de même pour un étang privé, espace naturel protégé en plein coeur de la commune. La dernière séquence correspond aux limites d’urbanisation de Lumbin, entre le le bourg historique et la plaine agricole d’une part, entre la zone artisanale et l’aire d’atterissage de vol libre d’autre part. Ce secteur pose la question suivante : comment matérialiser la limite entre zones urbanisées et zones à préserver tout en lui donnant une épaisseur d’usages ?

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Entre deux chemins

Agripark

Le C.R.I.B.

L’Agrafe

Gratte-Ciel


Entre deux chemins

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ripisylve BALLADE zone GîTES DE cours d’eau La Terrasse Limite communale pavillonaire Verger VACANCE PIÉTONNE centre-bourg

Lumbin

Champ


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Le C.R.I.B.

plasticitĂŠ pĂŠriurbaine

zone ateliers artisanale communaux

Limite urbaine

Jardin familiaux

halle associative Plaine agricole

cantine ĂŠcole Centre-bourg scolaire primaire agripark


Agripark

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le c.R.I.B

jeux pour promenade enfants

Limite urbaine

récréative

chemin Pavillonnaire ballade

Module signal détente

information plaine patrimoine

agricole

Délaissé agricole


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plasticité périurbaine

Gratte-Ciel

cinquième façade Premiers pavillons ENTRée DE VILLE SPECTACLE ASSOCIATIONS DE PLEIN AIR SPORTIVES AIRE d’ATTERRISSAGE zone artisanale

Corridor ecologique Funiculaire vers St-Hilaire


L’Agrafe

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atelier jardinage

Chemin propriété Zone artisanale privée

nouvelle

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café école Centre-bourg restaurant primaire

étang polarité bois Plaine agricole


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arpentons le futur

Troisième parcours « Se frayer un chemin entre bourg et lotissement »

Ce dernier parcours relie le centre-bourg au tissu pavillonnaire en proposant de faire sauter différents « verrous ».

Construire en milieu périurbain des parcours piétons sécurisés suppose d’imaginer une variété de stratégies de reconquête associant des opportunités foncières à des opportunités de dialogue entre acteurs publics et propriétaires privés. Les trois projets présentés dans cette dernière séquence sont peut-être, pour cette raison là, ceux qui ont soulevé le plus de débats, notamment sur la question des procédures à inventer pour densifier de manière progressive et négociée l’espace même du lotissement.

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plasticitĂŠ pĂŠriurbaine

Interface


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école

Départementale

bibliothèque Nouvelles Préemption salle perméabilités Parcelle Logements parcours square de classes Patrimoine bimby Tissu du centre-bourg piéton

pavillonnaire

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le petit théâtre du périurbain

LE PETIT THÉÂTRE DU PÉRIURBAIN Une autre contrainte que nous avions donné à nos étudiants était

de concevoir des projets qui n’excèdent pas 500 m². Agir peu pour transformer un contexte est une forme de restriction qui a l’intérêt d’obliger les étudiants à pousser la définition de leur projet, à s’interroger sur les procédés constructifs, les matériaux, l’écriture architecturale du ou des bâtiments proposés. Le programme, dès lors qu’il est contraint en terme de superficie, les incite à adopter une logique d’économie de moyens, de combinaisons fonctionnelles, de mutualisations d’espace. Cette logique leur inspire des stratégies qui varient selon le site choisi mais qui, dans chaque cas, donne lieu à des associations originales d’usages qui n’ont pas toujours vocation à se rencontrer en milieu périurbain. Si nous avons choisi de présenter une première fois ces propositions sous la forme de longs travelling permettant d’en saisir l’inscription paysagère et programmatique, nous allons entrer à présenter le détail de chacune d’entre elles. Tout en continuant de suivre les parcours précédents, nous allons mettre ces propositions en vis-à-vis des débats qu’elles ont soulevé. Pour ce faire, nous avons choisi la forme d’un écrit théâtral retranscrivant au plus près la vivacité des échanges entre étudiants, enseignants et contributeurs invités. Ce « Petit Théâtre » reconstitué vise à plonger le lecteur dans le jeu d’acteurs qui s’est construit et qui n’a cessé de s’enrichir sur la durée du projet entre tous les interprètes en présence.

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« Trouver des services à l’endroit où on attend le bus, et en plus trouver l’endroit agréable en lui-même, ça peut provoquer un déclic, l’envie d’essayer les transports en commun, au moins une fois... »


le petit théâtre du périurbain

Acte I « Sur la route »

Auteurs des projets JULIE DOTTORI & MANON PIERREFEU La Boîte à Outils des Loisirs AURÉLIA BERGAMO & NOELIE CLAPASSON Le M.U.R. MARC GIRERD La Mobilothèque MARINE BOUILLOT & SOLENE POUMAREDE La Grange à vélo SAMANTHA NERENHAUSEN Un face à face à deux vitesses

Professionnels & Acteurs du territoire FLORIAN GOLAY Architecte MARCEL RUCHON Architecte-urbaniste CECILE LEONARDI Sociologue BERTRAND PETIT Conseil de développement de la CCG JACQUES GERBAUX Adjoint au cadre de vie

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plasticité périurbaine

Julie Dottori & Manon Pierrefeu

LA BOÎTE À OUTILS DES LOISIRS Entrée sud de Lumbin / Unification du front bâti par un réseau d’ équipements destinés aux loisirs.

A

« ire d’usage » entre mobilités quotidiennes et récréatives, l’entrée sud de Lumbin est actuellement une aire de stationnement faisant office de terminus à la ligne de bus Lumbin-Grenoble, aire sur laquelle s’installe un marché bio une fois par semaine. Cet espace signe par ailleurs la transition entre le bâti de la zone artisanale et l’espace naturel protégé qui fait office d’aire d’atterrissage pour les volistes en provenance du plateau. Nous proposons de donner à voir et à vivre cette limite à l’urbanisation par le biais d’une série d’équipements venant séquencer une promenade aménagée qui s’accroche à la départementale et qui longe l’aire d’atterrissage sur toute sa longueur. Une première séquence marque l’entrée du site par une halle qui accueille sous ses auvents colorés des micro-équipements (assises, sanitaires, consignes, point d’eau) destinés à améliorer le confort des volistes, des publics venus les regarder, des exposants du marché et des usagers du site se donnant rendez-vous pour co-voiturer. Un « pôle mobilité » accueille, dans la continuité de la halle, le terminus de la ligne de bus et des services associés (guichet, salle d’attente, location vélo, accueil autopartage et salles associatives). Cette requalification de l’entrée sud de Lumbin permet d’unifier son front bâti tout en créant un appel visuel depuis la route et le ciel. L’atterrissage des parapentes devient un spectacle à contempler à l’abri de la halle, avec un point de vue imprenable sur le paysage de la vallée.


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Ce que ça demande : - négocier la construction d’une structure en limite de l’aire d’atterrissage de Lumbin et de son corridor écologique sud. - défendre l’intérêt d’un investissement concernant le terminus de la ligne EXP-1 auprès du Conseil Général de l’Isère et de la Communauté de communes du Grésivaudan - lancer un appel à projet pour l’implantation d’un loueur et réparateur de vélos dans les locaux projetés. - engager les commerçants présents sur le site à requalifier les abords de leurs bâtiments.

Ce que ça rapporte : - offrir une halle multi-fonction à une diversité d’usagers, à commencer par les exposants et les clients du marché de Lumbin - améliorer l’accueil des volistes, des promeneurs, des sportifs par de petits aménagements peu coûteux (consignes, assises, toilettes publiques, belvédère couvert donnant sur l’aire d’atterrissage). - encourager les habitants de Lumbin à emprunter les transports publics en faisant d’un simple terminus un vrai pôle de mobilités abrité, équipé et doté de services complémentaires (location et réparation de vélos). - valoriser l’entrée de ville par un aménagement « signal » qui se voit de la route et du ciel et qui affirme sa vocation d’interface entre loisirs de plein air, marché hebdomadaire et déplacements quotidiens.


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Aurélia Bergamo & Noelie Clapasson

plasticité périurbaine

MUR Mutualisation d’Usages qui permet le Rassemblement. Lieux de partage des différents moments de la vie du bourg.

Le long de la départementale, entre centre-bourg et tissu pavillon-

naire, un site à urbaniser concentre quelques caractéristiques propres à Lumbin : un village composé d’escaliers, une inscription dans la pente, un mur en pierre qui s’arrête en bordure de terrain. Nous proposons de prolonger ce mur. Il s’enfonce dans le terrain et nous invite à entrer. Pour apporter à Lumbin le lieu de rassemblement qui lui manque aujourd’hui, et à sa zone pavillonnaire un espace qui encourage la rencontre entre les habitants, le projet que nous avons imaginé repose sur l’association d’espaces vivant en continu et d’espaces accueillant des événements plus ponctuels. On y retrouve : un café, un pôle tourisme et à l’étage, une bibliothèque et une salle polyvalente qui délimitent une place publique protégée. Tous ces programmes fonctionnent en autonomie et de manière complémentaire. Ce nouveau pôle de vie est relié à la plaine agricole par un parcours allant du centre-bourg jusqu’à l’Isère. Implantée sur les berges, son extension, une cabane polyvalente profite aux promeneurs, sportifs et peut accueillir des événements ponctuels en été, dans l’esprit de la guinguette.


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Ce que ça demande : - financer un projet communal sur une parcelle à emplacement réservé - mettre en place un point tourisme en partenariat avec les syndicats d’initiatives du Grésivaudan pour informer du projet « Isère Amont ». - mettre en place un système communal de location de vélos ou faire appel à partenaire privé à même d’assurer ce service.

Ce que ça rapporte : - accrocher à la départementale une plate-forme de services et d’équipements créatrice d’emplois, plateforme aisément accessible par les usagers des transports en commun, les automobilistes de passage, les scolaires et les habitants. - créer une nouvelle place publique qui donne de l’espace aux rassemblements quotidiens et aux manifestations communales tout en les protégeant de la circulation de la départementale. - valoriser, à travers une opération architecturale contemporaine, les ressources patrimoniales et paysagères de Lumbin (murs de soutènement, chemins historiques reliant le vieux bourg à l’Isère).


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Marc Girerd

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MOBILOTHÈQUE Un lieu public intermodal qui renouvelle accessibilité et offre de services au cœur de la zone pavillonnaire

Sur un territoire où la voiture est aujourd’hui le moyen de transport

privilégié, la départementale est le principal support des déplacements quotidiens entre le domicile, le travail et les services situés dans les communes avoisinantes. C’est l’espace public le plus fréquenté par les lumbinois et par tous ceux qui traversent la commune. Le projet amorce la transformation de cette départementale en un espace public de qualité pour les piétons, engageant dans le même temps la transition du territoire vers une baisse progressive de l’usage de l’automobile. Il s’agit de capter les flux d’usagers par la concentration spatiale de différents services - bibliothèque, halte garderie et bistrot/salle événementielle - auxquels viennent se greffer des commerces mobiles, qui trouvent là un espace où s’installer à des moments stratégiques de la journée (lorsque les gens rentrent du travail, qu’ils viennent récupérer leurs enfants à l’école...). L’architecture du lieu valorise l’accès à pied, à vélo ou en bus et offre aux habitants des services et commerces de proximité accessibles sans voiture au cœur de la zone pavillonnaire.


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Ce que ça demande : - concevoir et financer un projet public sur une parcelle à emplacement réservé - déplacer la crèche et la bibliothèque (qui occupe aujourd’hui des locaux privés loués par la commune).

Ce que ça rapporte : - créer un espace de service (et d’emplois associés) au cœur de la zone pavillonnaire et en prise avec une départementale apaisée. - développer un projet culturel favorisant l’accès au savoir en s’appuyant sur la bibliothèque et le café (espace d’étude et de lectures publiques) en lien avec la médiathèque de Crolles (possibilité d’aides du Conseil Général de l’Isère) - permettre le stationnement de commerces ambulants à deux pas de la zone résidentielle. - offrir un nouveau profil aux espaces d’attentes et de transit en milieu périurbain


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Scène I Lumbin, avril 2012 MARCEL RUCHON / Architecte-urbaniste Ce qui m’étonne c’est la place que les projets présentés font à la réalité périurbaine actuelle : la route, le tout-voiture, les trajets pendulaires des habitants entre la ville-centre et leurs lieux de vie. Vous vous arrangez de cette réalité sans la bousculer, sans en imaginer l’avenir. Le problème des habitants et des élus du périurbain, c’est celui du rameur qui dépense une énergie folle à rejoindre un horizon auquel il tourne le dos : la ville-centre. Les usagers et les responsables du périurbain vivent aux dépends de la ville-centre et entretiennent l’idée stérile qu’ils vivent en périphérie, qu’ils sont la périphérie. Je pense que le temps est venu pour les architectes d’entrer dans le débat et de modifier cette situation en offrant aux acteurs du périurbain la possibilité de faire front, de construire un véritable face-à-face avec la ville-centre en exploitant toutes les ressources du périurbain et en faisant exister ce territoire comme une entité à part entière, autonome et potentiellement autosuffisante. NOELIE CLAPASSON / Etudiante C’est précisément ce qu’on a voulu faire, mais le scénario que vous défendez demande du temps. Il faut l’amorcer en imaginant la transition entre la réalité périurbaine actuelle (marquée par le manque d’espaces intermédiaires entre le chez-soi, la route et le grand paysage) et un avenir métropolitain qui va de toute façon se modifier avec l’épuisement de nos ressources pétrolières. Si on a choisi de travailler cette transition par « acupuncture », c’est pour faire justement apparaître, ici et maintenant, site par site, opportunités par opportunités, les potentiels insoupçonnés d’un territoire qu’on regarde comme un espace consommateur de ressources, alors qu’il détient ses ressources propres. Reste à trouver comment révéler et exploiter au mieux ces ressources négligées dans un futur immédiat, avant de considérer toutes celles que ces territoires pourront éventuellement produire demain par eux-mêmes, et pour eux-mêmes.


le petit théâtre du périurbain

FLORIAN GOLAY / Architecte Pour moi, la spécificité de l’architecte, c’est justement de projeter dans l’espace des formes esquissées qui ne verront peut-être jamais le jour mais qui savent révéler un potentiel latent. Les propositions présentées par les étudiants au fil de la journée ont certes révélé des potentiels en terme d’espace à saisir, de sites à mettre en projet, mais elles ont surtout pointé le potentiel qui réside dans nos façons de vivre et d’utiliser les espaces périurbains. Soyons réaliste, l’évolution durable de nos villes (et en particulier de la ville périurbaine) dépend moins, aujourd’hui, de l’évolution de son cadre bâti (qui ne se renouvelle qu’à raison d’1% par an) que de l’évolution des modes de vie de ceux qui l’habitent. CECILE LEONARDI / Sociologue Tu veux dire que même avec beaucoup de moyens et les meilleures intentions, les élus d’une commune périurbaine ne peuvent pas modifier à court terme et à grande échelle le cadre bâti du territoire dont ils ont la charge. FLORIAN GOLAY / Architecte Oui, mais par contre, ils peuvent concentrer leurs efforts sur une intervention ponctuelle, la création par exemple d’un petit équipement comme la halle linéaire proposée par un binôme d’étudiantes en entrée sud de Lumbin. Si cette halle modifie assez peu le cadre bâti de cette entrée de ville, elle a par contre un effet décisif sur sa fréquentation et sur les modes d’emploi durables qui se sont développés à cet endroitlà. Le périurbain est souvent regardé comme un espace qui manque d’aménités et qui, du coup, génère peu d’urbanité. Je pense qu’il faut prendre le problème à l’envers pour se donner des chances de le résoudre, partir du constat que le périurbain génère ici et là des foyers d’urbanité potentielle. Le tout est d’inventer des espaces capables de révéler cette urbanité en devenir qui se situe aujourd’hui à hauteur des parkings, des abords routiers, de tous les espaces de transit qui constituent une bonne partie de la réalité périurbaine.

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Marine Bouillot & Solène Poumarède

LA GRANGE À VÉLO Lumbin – La Terrasse, un jumelage pour une pause périurbaine et La Grange à Vélo comme porte d’entrée sur un paysage public.

La limite intercommunale est ici utilisée comme une interface pour

repenser les mobilités douces entre Lumbin et La Terrasse. La ripisylve du ruisseau du Carre est envisagée et aménagée comme un paysage public commun qui viendrait connecter les tissus bâtis environnants. La Grange à vélo est l’équipement fédérateur de cette réunion des deux communes. Station-service destinée aux mobilités douces, cet équipement vit selon plusieurs temporalités : on y vient le matin, avant de partir travailler, pour profiter de la dépose minute covoiturage, du point location/réparation vélo, de l’arrêt de bus et de l’espace d’attente (café minute/internet/point information). Le reste de la journée, c’est un café/restaurant associatif pour les travailleurs de la zone d’activité de La Terrasse, des salles de travail/ateliers pour les home-workers et les associations locales. Tandis qu’en soirée et le week end, elle accueille des événements/ animations ponctuels afin d’animer le « désert résidentiel ». C’est un moment de pause entre ville et nature, un lieu d’attente et de détente entre le travail et le domicile, entre l’individuel et le collectif, entre enfants, amis et collègues, entre activité et repos.


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Ce que ça demande : -négocier l’acquisition d’un terrain agricole au bord de départementale -mettre en place la création d’un réseau de pistes cyclables intercommunales en partenariat avec la commune de La Terrasse.

Ce que ça rapporte : -renforcer la solidarité intercommunale entre Lumbin et la Terrasse -favoriser l’usage du vélo et du covoiturage en milieu périurbain, réduire par ce biais la dépendance à la voiture et les rejets de gaz à effet de serre (aides possibles du Conseil Général). -mettre en valeur le corridor écologique en le transformant en parc linéaire destiné aux habitants des deux communes qu’il traverse. - implanter le long de la départementale des services d’un nouveau genre qui bénéficient de son passage - créer un lieu d’hospitalité et de travail dans un cadre naturel à proximité des habitations


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Samantha Nerenhausen

UN FACE À FACE À DEUX VITESSES Une bibliothèque sur la limite naturelle, un édifice intercommunal qui valorise les modes doux

Le projet s’articule autour d’une bibliothèque à la frontière entre

Lumbin et La Terrasse. Cet édifice se veut l’initiateur d’une mutualisation de moyens entre les communes. Son implantation stratégique matérialise la limite communale et permet de mettre en avant une double ressource. La première est de promouvoir le lieu, un espace naturel offrant un cadre calme et verdoyant à la bibliothèque et la seconde est de mettre en avant les modes doux comme moyens de déplacement à l’échelle intercommunale. En prise avec la départementale, le Drivebook vient agrémenter l’offre de la bibliothèque par un service de retrait et de dépose-minute des œuvres culturelles qu’elle abrite, ce qui permet un accès à la culture aux usagers les plus pressés.


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Ce que ça demande : - négocier la possibilité d’implanter un équipement public intercommunal sur un site à risque - mettre en place avec la commune de La Terrasse le cofinancement et la co-gestion de l’équipement public - déplacer la bibliothèque de Lumbin qui occupe actuellement des locaux privés loués par la commune.

Ce que ça rapporte : - créer et optimiser dans un cadre paysager d’exception la gestion d’une bibliothèque et d’un lieu d’étude intercommunaux. - encourager les mobilités douces pour rejoindre cet équipement public situé à équidistance des centrebourg des deux communes partenaires.


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Scène II Ecole d’architecture, juin 2012 BERTRAND PETIT / Conseil de développement à la CCG Je dois avouer que toutes les propositions qui se situent à hauteur de la départementale m’intéressent parce qu’elles offrent un autre point de vue sur le projet d’ « autoroute apaisée » qui est en discussion à l’échelle du Grésivaudan et que je suis de près en tant que représentant du conseil de développement. Pour moi, apaiser une autoroute ce n’est pas seulement réduire la vitesse de ceux qui l’utilisent au quotidien. Il faut faire en sorte que l’intégralité du territoire qui vit au dépend de cette infrastructure se donne les moyens de s’en émanciper progressivement. Autrement dit, il faut donner à tout le monde l’envie de circuler autrement, à toutes les échelles, mais je pense que celle de la proximité est la plus importante. Ça suppose de requalifier de manière fine et stratégique le réseau routier secondaire lié à l’autoroute, en commençant par faire évoluer la monotonie des paysages « de départementales » traversés quotidiennement par les habitants de la vallée. Si des équipements nous donnent envie non plus seulement de passer par la départementale, mais de la pratiquer vraiment, d’y passer du temps, d’en faire un espace de pause agréable, alors on peut miser sur le fait que de plus en plus de gens auront envie de parcourir cette départementale autrement qu’en voiture. Ne serait-ce que faire à pied ou à vélo le trajet qui va de chez soi à un bistrot, à une halte-garderie, à un camion pizza, c’est faire reculer le réflexe de prendre la voiture pour un oui ou pour un non. Trouver des services à l’endroit où on attend le bus, et en plus trouver l’endroit agréable en lui-même, ça peut provoquer un déclic, l’envie d’essayer les transports en commun, au moins une fois... JACQUES GERBAUX / Adjoint au cadre de vie Moi, ce qui me plaît dans les projets proposés, c’est la manière dont ils s’accrochent à la route, surtout au niveau de l’entrée nord de Lumbin. Je n’aurais pas imaginé qu’on puisse créer des espaces publics si près de la départementale. Vous avez réussi à exploiter les abords de la route tout en composant avec ses nuisances. C’est intéressant, parce qu’on a du mal à considérer les bords de route comme des lieux de rencontre. Là, vous nous démontrez le contraire. Bon, reste à savoir si une com-


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mune comme la nôtre a les moyens de se payer ce genre d’équipements et d’aménagements. En tout cas, ça a le mérite de nous interpeller sur le fait que quelque chose peut exister le long de la départementale, surtout que les sites sur lesquels vous avez travaillés offrent des vues vraiment intéressantes sur les montagnes. MARC GIRERD / Etudiant Les montagnes certes, mais ce qui nous a intéressé ici, c’est de faire de la route elle-même un paysage à regarder. La départementale est aujourd’hui l’espace public le plus fréquenté par les lumbinois et par tous ceux qui traversent la commune. Et en même temps, les habitants en détournent le regard parce qu’ils la considèrent comme un espace de nuisances. C’est paradoxal. Il me semble que pour donner envie aux gens de la pratiquer différemment, il faut d’abord les amener à la percevoir différement. Or, c’est là que l’architecture peut intervenir, en transformant le paysage routier pour que d’autres usages puissent y prendre corps.

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« Les espaces de convivialité deviennent un luxe dans les petites communes, mais un luxe qui vaut le coup, entendons-nous bien, que ce soit en matière d’animation, mais aussi d’emplois. Du coup, qu’est-ce qu’on peut faire et imaginer pour permettre à ce luxe de continuer d’exister ? »


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Acte II « Au fil de l’eau et des saisons » Auteurs des projets SAMANTHA NERENHAUSEN Un face à face à deux vitesses FRANCINE OURIQUES Entre deux chemins BRUNELLE DALBAVIE Le C.R.I.B. CHARLY FRUH Agripark JULIE AMBLARD & CHLOE COMMEIGNES L’Agrafe PIERRE-MARIE CORNIN Gratte-ciel

Professionnels & Acteurs du territoire JACQUES MARRON Adjoint à l’urbanisme ALBERT ANDREVON Maire VALERIE LACOUA Chef de projet à la CCG GEORGES BESCHER Président du CAUE STEPHANIE DAVID Architecte CECILE LEONARDI Sociologue JACQUES SAVINE Urbaniste au SCOT PHILIPPE VOLPI Maire

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Francine Ouriquès

ENTRE DEUX CHEMINS Des gîtes de vacances valorisant un patrimoine naturel intercommunal

Aujourd’hui, Lumbin et La Terrasse sont deux communes voisines,

deux communes périurbaines confrontées à des enjeux similaires, mais sans lien fort entre elles. Toutefois, dans le cadre d’une coopération, ces deux communes auraient les moyens de développer leurs potentiels communs. Un corridor écologique se développe le long du ruisseau qui marque leur frontière intercommunale. C’est dans cette ambiance naturelle et paisible que s’étend le projet. Des refuges et des gîtes de vacances, gérés par les habitants des terrains concernés, s’implantent sur les deux communes, de part et d’autre du ruisseau que l’on traverse à pied par différents ponts. C’est une manière d’insérer dans un tissu plutôt pavillonnaire une offre hôtelière inexistante sur Lumbin et la Terrasse, offre qui valorise un milieu naturel protégé tout en le respectant et en questionnant le usages qu’il est susceptible d’accueillir.


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Ce que ça demande : - négocier la possibilité d’implanter de petites structures sur pilotis à la limite entre terrains privés et corridor écologique. - mettre en place une association qui fédère la gestion privée des gîtes créés

Ce que ça rapporte : - créer une économie touristique locale - mettre en valeur la qualité paysagère du ruisseau du Carre et de son corridor écologique


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Charly Fruh

AGRIPARK Micro-Architecture pour révéler le paysage agricole en le renouvelant et en profitant d’espaces de détente aux qualités paysagères insoupçonnées.

Agripark est un projet de promenade paysagère utilisant les petits

délaissés de la plaine agricole pour en faire des lieux ludiques et de détente pour habitants et visiteurs. Des modules architecturaux offrent aux promeneurs des aires de jeux et des belvédères sur le paysage agricole et ses évolutions saisonnières. Ce sont des espaces où l’on profite des qualités spatiales et paysagères du site. Ils sont l’occasion de tester des manières de s’approprier la plaine agricole et offre à Lumbin une occasion de prolonger ses espaces publics dans cet environnement cultivé dont on ne perçoit pas nécessairement les qualités. Ces interventions incitent à poser un nouveau regard sur la manière dont nous vivons le rapport ville/campagne en milieu périurbain.


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Ce que ça demande : -négocier avec les agriculteurs la possibilité d’aménager les espaces inexploités de la plaine agricole. - financer le projet en partenariat avec la communauté de commune du Grésivaudan et avec l’aide du Conseil Général de l’Isère.

Ce que ça rapporte : - étendre l’offre récréative de Lumbin jusqu’aux berges de l’Isére sans gêner l’activité agricole. - valoriser une ressource locale (le bois de Chartreuse) en l’engageant dans la construction des modules du projet. - valoriser le paysage cultivé du Grésivaudan en le rendant accessible et en le donnant à voir sous un nouveau jour à ceux qui l’habitent, le visitent, le cultivent...


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Brunelle Dalbavie

C.R.I.B. Mise à disposition d’espaces collectifs et de moyens mutualisés pour ré-activer les activités liées au faire soi-même et au bien manger

Le CRIB [Centre Ressource d’Initiative au Bricolage] est un lieu

capable d’accueillir des activités demandeuses d’espace (jardinage et bricolage). Le CRIB est aussi un point relais et ressource qui catalyse les dynamiques concernant le faire soi-même et le bien-manger (marché local, animation public, cantine scolaire…). Par la débrouille, l’entraide, et le faire-ensemble, l’objectif de ce lieu est de ré-activer des activités vecteurs de lien social, d’hospitalité et de bien-être afin d’impulser de nouvelles formes d’urbanités périurbaines.

Brunelle


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Ce que ça demande : - négocier l’acquisition des terrains concernés. - déplacer la cantine à 10 min à pied de l’école. - déplacer les services techniques de la commune - déplacer le marché hebdomadaire de Lumbin - mettre en place un réseaux de récupération des matériaux destinés à la pré-fabrication de certaines parties du bâtiment.

Ce que ça rapporte : - offrir au marché de Lumbin un espace abrité et équipé - offrir une serre aux jardins communaux - donner plus d’espace aux services techniques de la commune - proposer des locaux à louer pour des artisans à la recherche d’une nouvelle implantation (aides possibles de la Communauté de commune et du Conseil Général liées au développement économique du territoire) - créer une « fabrique en libre service » pour des habitants ayant de petits ou de grands projets à réaliser et trop peu d’espaces et/ou d’outils à domicile pour les mener à bien. - donner au groupe scolaire une extension à même de supporter un projet pédagogique original. Se saisir de la proximité de la nouvelle cantine avec le marché, les jardins, les ateliers, la plaine agricole pour développer un programme de sensibilisation autour de la production maraîchère et de l’artisanat local. - en regroupant tous ces espaces sous un même toit, créer de nouvelles situations de rencontre et d’échange entre ceux qui vivent et font vivre au quotidien le territoire du Grésivaudan.


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Scène I Lumbin, avril 2012 JACQUES MARRON / Adjoint à l’urbanisme Vos projets d’équipement sont intéressants parce que vous avez pris le temps de vous affranchir de quelque chose qu’en tant qu’élus, on ne peut pas oublier : je veux parler de la « cartographie de la contrainte ». Quand on est élu à l’urbanisme d’une petite commune, on doit avant tout gérer les contraintes réglementaires des espaces dont on a la charge et on finit par ne plus voir que ça quand on regarde autour de soi. Là, vous m’aidez à changer de point de vue, à regarder ma commune autrement. ALBERT ANDREVON, / Maire Moi ce qui m’intéresse dans vos projets, c’est surtout qu’ils s’affranchissent du zoning de la commune. Vous proposez des projets d’équipements à des endroits auxquels on ne s’attend pas, dans la zone d’activité, dans la plaine agricole... C’est sûr que tout ne peut pas être réalisé, mais ça pointe des lieux qui ont du potentiel. Je pense que c’est ça que Jacques Marron a voulu souligner : vous nous aidez à voir du potentiel là où on aurait tendance à ne voir que des contraintes. VALERIE LACOUA / Chef de projet à la CCG Vos projets pointent des potentiels en terme de lieux. Mais à mon sens ils pointent surtout des stratégies pour retisser des liens entre les gens et leur environnement. Tous ceux qui quittent la ville pour venir vivre en périphérie sont à la recherche d’un domicile qui les rapprochent, et de la nature, et de leur voisin. Dans les faits, la vie périurbaine est souvent synonyme du contraire. Elle accentue la rupture avec la nature et avec l’autre. L’habitant qui a passé la semaine à faire ses trajets en voiture entre le domicile, le travail, le centre commercial, qui doit véhiculer ses enfants à gauche, à droite le week-end et entretenir son terrain, aura finalement moins de temps et moins envie qu’un urbain de reprendre sa voiture pour aller se balader aux alentours de chez lui. Pour les mêmes raisons, il ne va pas forcément prendre le temps de rencontrer son voisin. Et dans bien des cas, c’est pour une histoire de haie mal taillée qu’il


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va avoir affaire à lui. Je trouve que les projets présentés ont le mérite d’apaiser cette double rupture, par des équipements qui construisent des transitions fines entre le terrain de chacun et des territoires communs. Ce que vous proposez, ce sont des aménagements qui donnent la possibilité à l’habitant de se réapproprier facilement l’environnement naturel qu’il voit depuis sa fenêtre. Vos projets lui offrent aussi des occasions de rencontrer et de faire des choses avec le voisin d’à côté, sans que ça empiète sur le territoire de chacun. Je pense que c’est ce type de transitions qui peuvent redonner des qualités à ce que les gens viennent vivre en s’installant sur nos territoires.

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Julie Amblard & Chloé Commeignes

L’AGRAFE Réactiver des liens dans les territoires périurbains en révélant le potentiel d’un espace protégé et laissé en friche.

La commune de Lumbin reflète l’une des problématiques du périur-

bain, la division en zones, en tissus distincts et cloisonnés. L’enjeu de notre projet est de réintroduire de la communication et de favoriser la mixité dans les usages et les typologies de ces différents tissus. Le site choisi possède un potentiel d’action ; c’est une zone naturelle, protégée et privée, au cœur de Lumbin. Notre programme - un restaurant associatif, un café et un atelier pour la ferme pédagogique du propriétaire du site – ouvre ce lieu à de nouveaux usages et tisse des fils entre les tissus alentours. Le vocabulaire architectural exploite la capacité du lieu à être caché mais intriguant. Les bâtiments sont en bois et réinterprètent la typologie de la maison, ils sont sobres mais affirmés. Tout est pensé dans un souci de respect du lieu, le projet est monté sur pilotis pour préserver le sol naturel, les bâtiments s’insinuent autour des arbres sans les toucher. La terrasse, élément liant du projet, est en métal perforé. Elle laisse les végétaux s’infiltrer et permet à la nature de participer à la création de ce nouveau « parc » de services entre bourg et zone artisanale.


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Ce que ça demande : - négocier avec le propriétaire du site la possibilité d’y implanter des installations réversibles qui peuvent servir ses intérêts (dédier un des locaux à son projet de ferme pédagogique) - monter un appel à projet pour accueillir sur le site un espace associatif ou en gestion privée de petite restauration.

Ce que ça rapporte : - créer un nouveau point de rendez-vous dans Lumbin pour les sorties scolaires et les pauses-déjeuner. - sensibiliser habitants et visiteurs à la biodiversité de la plaine de l’Isère et de ses zones humides - mettre en valeur le patrimoine naturel de la commune en construisant autour de lui un projet architectural « sur mesure » qui peut faire de Lumbin un site pilote en matière d’architecture adaptée à des milieux protégés.


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Pierre-Marie Cornin

GRATTE-CIEL La mise en scène du grand paysage et la culture comme activateur des limites entre espaces de travail et activités de plein air

Plutôt que de perpétuer l’étalement urbain, la stratégie proposée re-

pose sur le déplacement et l’association d’éléments de programme existants sur la zone d’activité, au sein de nouvelles infrastructures offrant de nouvelles possibilités pour la commune et ses habitants. Ce projet d’espace culturel d’extérieur s’inscrit dans une stratégie urbaine qui vise à redynamiser l’entrée sud de Lumbin. L’enjeu est de prouver qu’une mixité programmatique accueillant des cours de danses et des espaces de détente est capable de cohabiter avec une zone d’activité. Il s’agit également de faire apparaître l’architecture de cette zone comme une ressource à part entière bien qu’elle n’affiche à première vue aucune qualité. La structure du projet se greffe sur les bâtiments existants pour proposer une promenade en belvédère sur les toitures, depuis laquelle profiter du spectacle offert par les parapentistes. L’ensemble de la démarche vise à donner un nouveau visage à la zone d’activité tout en réduisant son impact sur le paysage.


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Ce que ça demande : - négocier avec les entreprises de la zone artisanale le droit de construire des greffes sur leurs bâtiments pour initier un parcours-belvédère sur leurs toitures. - relocaliser dans un même local les associations sportives de la commune - revégétaliser une partie des sols de l’entrée sud de Lumbin.

Ce que ça rapporte : - mutualiser les espaces associatifs de la commune, améliorer l’accueil du public des associations sportives et leur permettre d’étendre leurs cours et leurs manifestations sur une plate-forme de plein air - développer un lieu d’animation culturelle à proximité d’un site touristique majeur du territoire : l’aire d’atterrissage de vol libre (possibilité de monter le projet en partenariat avec la Communautés de communes du Grésivaudan) - engager le renouvellement architectural et paysager de la zone artisanale - rendre perméables et revégétaliser ses sols bitumés - offrir un point de vue panoramique sur la plaine de l’Isère et sur la manière dont son ciel est traversé quotidiennement.


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Scène II La Terrasse, juin 2013 GEORGES BESCHER / Président du CAUE Moi, quand je regarde vos projets d’équipements, je me pose une question : comment avez-vous pris en compte l’existant et en particulier le patrimoine de nos communes ? Un aménagement pose la question de son impact à toutes les échelles et dans tous les domaines. Sur nos territoires, on a trop longtemps négligé cet impact ! Les projets privés et publics n’ont pas suffisamment pris en compte ce qui existait déjà : le bâti ancien, les activités qui se développaient là, le paysage naturel et agricole avec ses rythmes saisonniers. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut pas reproduire les mêmes erreurs aujourd’hui. C’est pour ça que je vous pose la question. PIERRE-MARIE CORNIN / Etudiant Le travail d’arpentage qu’on a réalisé au début de l’exercice nous a justement permis d’aller à la rencontre de ce qui existait en sortant des postulats classiques. On a essayé d’être attentifs à ce qui se voit, mais aussi à qui ne se montre pas dans ce qui existe : les petits délaissés de la plaine agricole par exemple, ou une parcelle en friche dans la zone artisanale de Lumbin, parcelle qui a son importance à l’échelle de tout le territoire du simple fait qu’elle se situe juste en face de l’aire d’atterrissage de vol libre à l’entrée de la commune... MARC GIRERD / Etudiant Ce qui nous a intéressé c’est de renverser l’imaginaire attaché au périurbain, l’idée que l’on s’en fait, nous les premiers, en tant qu’étudiants dans une école d’architecture. En passant plusieurs jours à arpenter Lumbin, à rencontrer les élus et les habitants de la commune, on s’est notamment rendu compte qu’une des ressources sous-estimée de ce territoire, c’est son énergie associative. On a découvert une vraie vie associative à Lumbin et je pense que cette ressource concerne de nombreux territoires périurbains.


le petit théâtre du périurbain

STÉPHANIE DAVID / Architecte L’idée qu’on a essayé de développer avec nos étudiants était de considérer les ressources en présence sans hiérarchie. Les ressources du périurbain, c’est aussi bien le patrimoine historique d’une commune – que tout le monde s’accorde à reconnaître comme une ressource en soi – que le potentiel insoupçonné d’un délaissé de la zone artisanale, d’une marge inexploitée entre deux champs cultivés ou de la bordure entre la plaine agricole et le lotissement. Tous ces espaces ont de la valeur, une valeur que les étudiants on essayé de révéler par le projet. C’est là que les architectes ont un rôle à jouer. Sur ces territoires, on n’a pas besoin de nous pour reconnaître la valeur patrimoniale d’éléments forts dans le paysage, tel château, telle bâtisse historique, pour reprendre l’exemple que M. Bescher soulevait tout à l’heure. Par contre, il y a des éléments qui appartiennent à ce paysage, des éléments qui appartiennent plus fondamentalement à notre réalité contemporaine et qu’il faut regarder avec un œil neuf pour en faire des marges de reconquête, de couture, de projets... CECILE LEONARDI / Sociologue Pour compléter ce qui vient d’être dit, je pense qu’aujourd’hui, avoir de l’égard pour le paysage et le contexte historique, patrimonial d’une commune, c’est aussi avoir de l’égard pour son avenir. Cet avenir, il se joue au présent, en ayant de l’égard pour les moyens qu’une commune comme Lumbin peut concrètement investir dans son développement. En tant qu’enseignants, nous n’avons pas eu besoin d’encourager nos étudiants à tenir compte de cette ressource, qui n’est pas énorme à l’échelle de cette commune comme de beaucoup d’autres en milieu périurbain. Tous ont imaginé des projets qui privilégiaient l’économie de moyens. Par exemple, l’étudiant qui a travaillé à la création d’un espace culturel et associatif sur une parcelle de la zone artisanale a imaginé, pour limiter le coût de sa construction, réemployer tous les matériaux issus de la déconstruction des ateliers municipaux de Lumbin, relocalisés dans l’équipement polyvalent (ateliers collectifs, halle de marché, cantine scolaire et serre partagée) implanté par une autre étudiante en limite de plaine agricole. L’étudiante en question a elle aussi conçu son

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projet pour qu’il puisse être en partie réalisé en matériaux issus d’une chaîne de réemploi mise en place en partenariat avec des entreprises du territoire. D’autres étudiantes ont pensé aux coûts de gestion de leur projet d’équipement (des ateliers pédagogiques associés à un caférestaurant) et ont imaginé une architecture qui pouvait se déplier et se replier en fonction des périodes de forte ou de faible affluence de la clientèle... JACQUES SAVINE / Urbaniste au SCOT La question que posent ces projets, c’est de savoir comment on recrée de la vie dans les territoires périurbains, en sachant que ces territoires ne peuvent pas simplement accueillir une vie résidentielle. Peut-être que recréer cette vie, cela passe par l’économie de moyen et la dispersion des services et des équipements sur toute l’étendue d’une commune, comme vous le proposez. GEORGES BESCHER / Président du CAUE Puisqu’on en parle, je fais partie de la commission départementale de l’aménagement commercial de l’Isère. Et dans cette commission, on voit ce qui se passe sur nos territoires. Entre 2009 et 2011, en l’espace de 3 ans, il y a eu 150 000 m² de grandes surfaces qui ont été créées à l’échelle du département, vous vous rendez compte, 115 hectares de plancher ! Du coup, la question qui se pose, c’est de savoir quelle chance les services qui existent dans nos communes ont-il de vivre ? Si on ne joue pas collectif comme dans une mêlée au rugby, si on disperse les services au lieu de les concentrer, quelle chance on a de maintenir des foyers de vie dans nos communes ? STÉPHANIE DAVID / Architecte Le problème, ce n’est pas la concentration ou la dispersion, c’est la capacité du service de proximité d’une commune périurbaine à proposer autre chose que la grande surface commerciale. Prenons l’exemple du café. Est-ce qu’aujourd’hui, en milieu périurbain, un café tout seul peut vivre, où qu’il soit situé ? Est-ce qu’il ne faut pas lui adjoindre d’autres


le petit théâtre du périurbain

services pour lui donner des chances de se maintenir, d’être rentable ? Ces espaces de convivialité deviennent un luxe dans des petites communes, mais un luxe qui vaut le coup, entendons-nous bien, que ce soit en matière d’animation, mais aussi d’emplois. Du coup, qu’est-ce qu’on peut faire et imaginer pour permettre à ce luxe de continuer d’exister ? Sur un territoire diffus, ces lieux de rencontre, ces « liants » demandent qu’on leur redonne de la polyvalence, qu’on mixe les fonctions, les programmes, qu’on imagine des cafés-bibliothèque, des cafés associés à des espaces culturels ou associatifs, des cafés-bureaux, des cafés-ateliers vélos... PHILIPPE VOLPI / Maire A nous aussi, en tant qu’élus de petites communes, de nous impliquer dans le développement, voire l’invention de cette nouvelle offre de services. Quels sont nos leviers ? On peut par exemple réserver des terrains pour accueillir ce type de développement micro-économique. On peut aussi investir dans la construction de locaux, puis mener un appel d’offre ciblé et inventif pour en déléguer la gestion à un ou à plusieurs porteurs de projets particulièrement inspirés. On peut enfin accompagner la création d’une SCIC regroupant différents partenaires autour d’un projet commun capable de créer des synergies entre dynamiques associatives, institutions publiques et acteurs privés. A mes yeux, l’imagination nécessaire à la survie de nos services de proximité ne peut pas seulement venir de ceux qui « assurent le service ». En tant qu’élus, nous devons nous aussi et plus que jamais faire preuve d’imagination... En attendant, je vous propose de continuer cette discussion autour d’un autre « liant », le buffet qui nous attend...

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« Plutôt que de tracer des limites de parcelle, un PLU devrait pointer des espaces et signifier à leurs propriétaires : là, la collectivité attend des projets, pas des pavillons, des projets ! »


le petit théâtre du périurbain

Acte III « Se frayer un chemin entre les maisons »

Auteurs des projets ANNE CHAUVET & LORENZO QUACCIA Parcours piétons Interface Greffes pavillonnaires

Professionnels & Acteurs du territoire JACQUES MARRON Adjoint à l’urbanisme JACQUES SAVINE Urbaniste au SCOT STÉPHANIE DAVID Architecte GEORGES BESCHER Président du CAUE OLGA BRAOUDAKIS Architecte urbaniste SERGE GROS Directeur du CAUE MARCEL RUCHON Architecte-urbaniste

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Anne Chauvet & Lorenzo Quaccia

INTERFACE Une décongestion du centre-bourg par le réemploi et la valorisation d’un patrimoine

Le parcours piéton ainsi créé a pour point de départ un nouvel équi-

pement implanté sur l’emprise d’une ancienne bâtisse, face à l’école et au débouché de l’actuel passage sous la départementale. Ce bâtiment accueillera les salles de classes occupant actuellement une partie du rezde-chaussée de la mairie, et la bibliothèque communale installée dans un local loué. Il s’accrochera au tissu ancien en mettant son architecture en valeur et sera la porte d’entrée du parcours pédestre qui reliera le centre-bourg au nouveau square et à une troisième intervention au cœur du bâti pavillonnaire.


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Ce que ça demande : - acquisition par la municipalité du bâtiment situé à hauteur de l’ancien relais de poste . - déplacer les classes qui occupent actuellement une partie du rez-de-chaussé de la mairie - déplacer la bibliothèque municipale

Ce que ça rapporte : - valoriser l’offre scolaire de la commune en proposant un cadre pédagogique idéal pour ses salles de classes et sa bibliothèque. - créer une porte d’entrée à une distribution piétonne et sécurisée des lotissements positionnés au sud de la départementale.


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Anne Chauvet & Lorenzo Quaccia

PARCOURS PIÉTONS Une ballade au coeur des pavillons

Notre première ambition a été de créer un parcours piéton actuelle-

ment inexistant entre le bourg et la zone résidentielle nord de Lumbin. La création de ce parcours sécurisé entre les lotissements et l’école tient à peu de choses, elle demande de relier plusieurs tronçons de voirie secondaire parallèles à la départementale, en faisant l’acquisition d’un terrain en friche actuellement cloisonné et en l’ouvrant au passage. Ce terrain sera transformé en un square paysager qui deviendra un véritable espace public au cœur des lotissements.


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Ce que ça demande : - acquisition par la municipalité d’un terrain qui verrouille actuellement la possibilité de créer un parcours piéton sécurisé de plus d’1 km entre le bourg et la zone résidentielle nord.

Ce que ça rapporte : - créer un parcours piéton sécurisé entre la zone résidentielle nord et le centre-bourg susceptible d’accueillir la ligne 2 du pédibus de Lumbin. - créer un nouveau square public destiné à tous les habitants de la commune.


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Anne Chauvet & Lorenzo Quaccia

GREFFES PAVILLONNAIRES Une densification progressive de la zone résidentielle.

À Lumbin comme dans d’autres communes périurbaines, beaucoup

de propriétaires de pavillons réfléchissent aujourd’hui à la cession d’une partie de leur terrain pour loger un de leurs enfants, ou à sa revente pour financer la dépendance d’un aïeul, ce qui soulève de nombreuses questions en matière de découpage parcellaire et de servitudes de passage. Partant de ce constat, nous avons envisagé « une règle du jeu » à la mesure de l’opportunité que représente cette subdivision parcellaire pour le développement, à Lumbin, d’une extension sans étalement urbain de l’offre résidentielle. Un redécoupage en limite de voirie permettrait le développement de nouvelles stratégies résidentielles qui ont aujourd’hui du mal à se développer en milieu périurbain (création de petits logements sur de petites parcelles pour des célibataires, des couples sans enfants, des personnes âgées). Envisager ce type de redécoupage parcellaire dans la zone résidentielle nord de Lumbin peut offrir l’opportunité d’accompagner la création progressive d’une façade urbaine redessinant le paysage pavillonnaire de la commune tout en parachevant la ligne de vie tracée entre son tissu ancien et son tissu récent.


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Ce que ça demande :

- ouvrir le dialogue avec les propriétaires de pavillons intéressés par la subdivision et la revente ou l’optimisation foncière de leur parcelle.

ce que ça rapporte :

- offrir aux habitants de la zone pavillonnaire des perspectives pour loger un parent, construire un logement ou un local professionnel à louer, ou revendre dans les meilleures conditions un bout de leur parcelle. - augmenter et diversifier l’offre résidentielle de la commune sans étalement urbain (création de petits logements en location ou vente de petites parcelles, autant d’opportunités qui se font rares en milieu périurbain) - requalifier les espaces publics des lotissements - diversifier les usages et le paysage de la limite privé / public en zone pavillonnaire - créer des emplois via la réalisation des projets de constructions (architectes, artisans...)


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Scène I Ecole d’Architecture, juin 2012 JACQUES MARRON / Adjoint à l’urbanisme Je reconnaîs volontiers l’intérêt de la règle du jeu que vous avez imaginée pour densifier la zone pavillonnaire au nord de la commune. Qui plus est, le secteur sur lequel vous avez travaillé est bien trouvé, plusieurs propriétaires de ce lotissement m’ont sollicité récemment pour me soumettre des projets de redécoupages parcellaires. Je me demande cependant comment on peut organiser ces projets de redécoupage pour qu’ils s’alignent tous en limite de parcelle. Comment inciter chaque propriétaire concerné à jouer ce jeu-là pour créer, à terme, le front bâti cohérent que vous projetez sur toute la longueur d’une allée de lotissement ? JACQUES SAVINE / Urbaniste au SCOT Je pense que sur un tel projet, la discussion peut s’engager par étapes entre les propriétaires et la commune. Il faut d’abord trouver la contrepartie que chacun peut en retirer. Un exemple : la voirie. Aujourd’hui, la voirie devient un enjeu de taille pour les habitants d’un lotissement. Au moment de leur construction, bon nombre de lotissements ont privilégié une gestion privée de leur voirie. Cette gestion est devenue de plus en plus lourde au fil des années et les propriétaires sont aujourd’hui enclins à rétrocéder la voirie et son entretien aux municipalités. Les travaux d’assainissement et la modernisation des branchements aux réseaux collectifs auxquels ils doivent se conformer dans certains secteurs, est une autre occasion d’engager avec eux une discussion porteuse sur leur contribution éventuelle à la densification de leur lotissement. Les élus peuvent leur dire : on vous aide mais en retour vous acceptez telle ou telle règle du jeu concernant le redécoupage éventuel de vos parcelles quand vous aurez le projet de revendre ou d’aménager une partie de votre terrain. Si la règle du jeu imaginée par les étudiants semble à première vue utopique, il faut la reconsidérer au regard de ces nouvelles marges de manœuvres. Il s’agit aujourd’hui de saisir toutes les opportunités relatives à l’obsolescence de la construction et de la gestion pavillonnaires. C’est sur la base de cette obsolescence qu’on peut construire de nouveaux donnant-donnant entre pouvoirs publics et propriétaires privés.


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Bien sûr, il faut imaginer avant ça des projets qui peuvent intelligemment parler aux deux parties. De mon point de vue, les étudiants ont réussi à proposer un projet de ce genre, ce qui ouvre des perspectives pour toutes les stratégies qui pourraient entrer en ligne de compte dans le cadre de l’élaboration d’un PLU.

Scène II La Terrasse, juin 2013 LORENZO QUACCIA / Etudiant La maison individuelle construite en lotissement est un système qui a 40 ans et qui n’a pas évolué, alors que nos sociétés et nos modes de vie ont radicalement changé en 40 ans. Aujourd’hui, on ne travaille plus de la même manière. De plus en plus de gens optent pour le télétravail ou développent une activité en auto-entrepreneur, soit à côté de leur emploi salarié, soit parce qu’ils sont au chômage, soit en tant que retraités. Ces nouveaux travailleurs à domicile ont besoin d’espaces en plus, un bureau, un atelier pour développer leur activité. Aujourd’hui, beaucoup de gens se retrouvent aussi en situation de devoir loger un parent en perte d’autonomie ou des enfants qui ont du mal à trouver un emploi, ou qui en ont un mais qui ne trouvent pas de logement. Dans ce cas, on a besoin de créer un espace indépendant pour les accueillir. Et puis, bien sûr, parce qu’il y a de la demande, les propriétaires d’un grand terrain peuvent choisir d’en revendre une partie pour financer un projet, aider financièrement un parent, etc. Ils peuvent aussi construire eux-mêmes un petit logement ou un bureau sur leur parcelle pour le louer et en tirer un complément de revenu. Tous ces scénarios de vie sont à prendre en compte, c’est à partir d’eux qu’on peut densifier et faire évoluer la forme du lotissement. On est parti de ce postulat pour imaginer une façon possible d’orienter, de maîtriser la forme que cette densification peut prendre.

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STÉPHANIE DAVID / Architecte L’important ici c’est de constater que par l’accumulation de fragments de parcelles, on peut constituer un ensemble cohérent et structurant qui redonne des qualités à l’espace public au sein d’un lotissement. Mais ce genre de paysage ne peut exister que si on prend en compte l’intérêt privé. Il faut qu’on arrive aujourd’hui à construire des espaces de négociation entre propriétaires privés et acteurs publics, pour accompagner l’évolution des modes de vie individuels.

JACQUES SAVINE / Urbaniste au SCOT En tant que futurs architectes, les étudiants font bien de ne pas reproduire ce qui a déjà été fait et d’anticiper nos évolutions sociétales en leur donnant forme. On voit aujourd’hui que l’obligation de densification des territoires se traduit par des projets de petits collectifs en R+2 posés un peu au hasard le long des départementales. Ces projets répondent aux prescriptions du SCOT, mais sont avant tout des opérations spéculatives. Les promoteurs ne se cassent pas la tête, ils construisent des produits destinés au placement foncier. Ils font du banal dans les formes qu’ils proposent en sachant que ça se commercialisera, ce qui est une façon d’impacter le paysage de nos territoires sous une autre forme. Après l’individuel qui abîme, on a droit à une fausse densité qui va continuer à déstructurer nos paysages. STÉPHANIE DAVID / Architecte Ce qui nous intéressent en tant qu’enseignants et architectes c’est de savoir comment dans les modes de décision et de maîtrise des projets, on peut aller vers de plus en plus de négociations, avec le privé, avec le public. Il ne s’agit plus de dire « on a une parcelle et on fait ce qu’on veut du moment qu’on densifie ». Ce mécanisme de compensation part d’une bonne intention : on s’est étalé, maintenant on doit densifier. Mais ces deux éléments posés dans la balance ne se rencontrent jamais.


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Pour nous, la tentative c’est d’interroger la capacité du tissu pavillonnaire à se densifier. Comment valoriser les singularités de ce tissu ? Il ne s’agit pas de simplement tirer un trait sur une carte et de dire là on urbanise, là on arrête d’urbaniser. JACQUES SAVINE / Urbaniste au SCOT Les traits dont vous parlez, c’est le SCOT, c’est le PLU qui les tracent. Après, la question à se poser est celle de savoir comment les professionnels traduisent ce trait par un élément qui construit le territoire.

GEORGES BESCHER / Président du CAUE Le fait est que ça n’arrive jamais que des propriétaire se mettent d’accord pour construire, comme ici, un projet global auquel chacun apporte sa pierre. Dans ce cas, il faut mobiliser le foncier, avoir la maîtrise du foncier. Plutôt que de tracer des limites de parcelle, un PLU devrait pointer des espaces et signifier à leurs propriétaires : là, la collectivité attend des projets, pas des pavillons, des projets ! Il s’agirait de mettre les propriétaires en situation de présenter des projets et qu’on parle de leur cohérence dans les conseils municipaux. Je ne sais pas comment cette utopie peut se réaliser. STÉPHANIE DAVID / Architecte Et si on décrétait, dans le cadre d’un PLU, que dans telle ou telle zone pavillonnaire, on a une bande de trois mètres qui donne sur la voirie et sur laquelle on peut construire. On orienterait alors l’initiative privée et on redonnerait des marges de manœuvres à la négociation publique concernant le paysage que ces initiatives peuvent créer. Cela donnerait en tout cas des idées, au même moment, aux deux voisins qui se croisent du regard le dimanche en tondant leur pelouse et qui en ont assez d’entretenir leur terrain de 1500 m²...

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GEORGES BESCHER / Président du CAUE À La Terrasse (commune limitrophe de Lumbin dont M. Bescher a été maire) on a tenté une expérimentation de ce genre qui consistait à augmenter le COS de 0,30 dans des zones pavillonnaires où l’étendue des parcelles était importante. Après mure réflexion, je me demande à présent s’il ne faudrait pas faire l’inverse : passer ces zones en COS 0 et dire aux propriétaires qui ont des velléités de redécoupage de leur parcelle, on attend votre projet et on en parle avant de débloquer votre droit à bâtir. C’est intéressant dans l’absolu, mais ça devient compliqué à mettre en œuvre dans les faits... Comment dans ce cas engager le dialogue, mettre tout le monde autour d’une table et en parler ? JACQUES SAVINE / Urbaniste au SCOT Justement, c’est ce genre d’initiatives que les élus devraient pousser ! Parce que les PLU se construisent aujourd’hui en ne prenant en compte que le code de l’urbanisme. Et si on faisait différemment... Quand on lance des idées comme ça, les services de l’Etat disent « ce n’est pas possible, les textes de lois ne le permettent pas et on risque de se retrouver au tribunal administratif ». Prenons justement le risque d’aller au tribunal, d’assumer les recours, on créera dans ce cas des jurisprudences qui feront évoluer le code de l’urbanisme en lui ajoutant quelques pages supplémentaires, des pages bienvenues pour développer l’initiative, construire d’autres jeux d’acteurs qui aillent dans le sens d’un renouvellement concerté de nos territoires... Il faut bien sûr compenser ce rajout en supprimant quelques pages périmées dans le code de l’urbanisme... Raison de plus de tenter le coup. STÉPHANIE DAVID / Architecte Et si on faisait un COS 0 sur toute une zone pavillonnaire et un COS 1 sur une bande de 5 m seulement, comme ça on pousse le contraste et on oriente l’initiative privée dans le sens de l’intérêt collectif.


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GEORGES BESCHER / Président du CAUE Tout ça est tentant, mais il faut dans ce cas imaginer, j’insiste, d’autres formes de concertation, renouveler la forme même de la réunion publique... OLGA BRAOUDAKIS / Architecte-urbaniste Je suis d’accord avec vous, ces questions de partenariat avec des propriétaires privés réengagent nécessairement les enjeux de la concertation. Quand je regarde le travail effectué par nos étudiants, je me demande s’il ne s’agirait pas d’utiliser ce type de projections comme des supports de réflexion dans les concertations publiques, des support capables d’enclencher et de stimuler la discussion avec des porteurs de projet auxquels on ne pense pas toujours. Quand on voit aujourd’hui les faibles marges de manœuvre des collectivités par rapport à la maîtrise foncière de leur territoire, il est déterminant de trouver une place dans le jeu aux architectes. Ils peuvent imaginer des « règles du jeu » comme l’ont fait nos étudiants pour faire émerger des demandes privées et les mettre en lien avec des objectifs publics. Les architectes peuvent également imaginer des formes à donner à la discussion. Il me semble qu’il y a là une diversité d’outils possibles à inventer. SERGE GROS / Directeur du CAUE Ce que je trouve particulièrement réussi dans les projets proposés par les étudiants, c’est qu’ils révèlent des potentialités liées à des interstices de territoire qu’on a tendance à voir comme des espaces condamnés à être inéluctablement figés... Or, vous faites apparaître à hauteur de ces petits morceaux de territoire, une allée de lotissement par exemple, des potentiels de projets qui débrident l’imaginaire. Vous vous êtes laissés guider par votre sensibilité et c’est une bonne chose, parce que ça montre que les lieux ne sont pas égaux, que tout contexte est singulier dans son histoire et dans ses potentiels d’aménagement. Peut-être que vos projets peuvent effectivement créer un cadre d’intérêt général que des porteurs de projets privés auront envie d’investir. Aujourd’hui, le paysage périurbain est fait de ces petites maisons isolées sur leur par-

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celle, mais on voit à quel point ce que vous proposez met « hors-jeu » le panel de 40 années de production banalisée... On voit qu’à l’échelle internationale, de nouveaux projets stimulants émergent sur le plan formel et ces innovations suscitent aussi des envies chez les propriétaires privés... Ces petites maisons vont se restructurer, se modifier, se révéler... L’enjeu de la perméabilité dans le périurbain est important aussi à prendre en compte et à retrouver... C’est tout cet exercice complexe de tissage qu’il faut proposer. En tout cas, vos images peuvent faire parler les habitants d’un quartier, leur faire prendre conscience des potentialités, des enjeux de leur cadre de vie, les faire réfléchir... MARCEL RUCHON / Architecte-urbaniste Moi ce qui m’interpelle dans le travail présenté par les étudiants, c’est tout ce qu’il ne dit pas ou ce qu’il interroge en creux. Il pose la question de savoir qui a la capacité de faire ce travail dans la réalité de la production du cadre bâti. Parce que ce travail relève d’une maïeutique, d’un travail d’accouchement : aller finement dans le détail de chaque espace. Ça valorise un terme important dans Le Plan Local d’Urbanisme, le terme « local ». Et ici on est dans le « micro-local ». Qui dans un PLU a le temps, les moyens, la volonté de descendre à ce niveau-là de granulométrie et de potentialité spatiale ? Dans un PLU, toute la carte de destination des sols, en tout cas en secteur urbanisé, est couverte par des orientations particulières d’aménagement. Tout est particulier dans un PLU, il n’y a rien de général. Le général, c’est les 40 ans de production générique qui ont neutralisé ce territoire. Ici, on voit à l’œuvre un travail patient, fin, précis, d’acupuncture, je ne sais pas quelle métaphore on peut utiliser, point de croix, tricotage... On est là dans un entredeux entre urbanisme et forme architecturale. Cet entre-deux soulève la question de savoir qui s’y met, qui le fait ? Il nous renvoie également à une autre question. Une vertu contemporaine, c’est faire de la densité, « faire dense ! ». Je dirai qu’il y a une vertu supérieure à travailler : « faire densifiable ». Histoire que les générations qui viennent puissent elles aussi avoir des marges de manœuvre et qu’elles puissent bénéficier des potentialités qu’on leur aura laissées...


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SERGE GROS / Directeur du CAUE Ne pas consommer en somme toutes ces potentialités mais les inscrire, les écrire de manière anticipée dans la forme qu’on donne à ce qu’on construit aujourd’hui. MARCEL RUCHON / Architecte-urbaniste Une maison en milieu de parcelle, et une maison en limite de parcelle, cela ne génère pas la même « densifiabilité », en effet... SERGE GROS / Directeur du CAUE C’est justement tous ces paramètres qu’on doit se donner les moyens d’imaginer et de construire collectivement, en impliquant dans la discussion acteurs publics, propriétaires privés et architectes...

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METTRE EN SCÈNE LE DÉBAT

Au moment où nous avons engagé cette recherche-action, nous étions

convaincus que la prospective à construire avec nos partenaires dépendait de la forme que nous allions donner à des lectures du territoire et à des « possibilités de projet » susceptibles, à elles seules, de retourner les points de vue et d’ouvrir différentes pistes de réflexion à préciser collectivement. Dès la première rencontre organisée dans le cadre de notre «laboratoire situé», nous avons pris la mesure d’une dimension que nous avions négligée : la forme à donner au débat lui-même. Alimenter en contenus une réflexion partageable ne suffit pas à produire les conditions d’un véritable débat d’idées. Encore faut-il créer l’espace du débat, en l’occurrence un espace pensé pour offrir à chacun la possibilité de s’en emparer. Cette question a pris une importance croissante dans le travail prospectif que nous avons mené avec nos étudiants et dans l’orientation que nous avons donnée, à l’issue de l’exercice pédagogique, aux suites de la recherche engagée avec eux. C’est cette réflexion - qui s’est construite par étapes sur près de deux ans - dont nous aimerions ici présenter les coulisses. Les pages qui suivent mettent en lumière le travail de mise en scène et de réinterprétation du projet dans ses modes même de représentation, qu’appelle toute forme de prospective dès lors qu’on cherche à la partager.

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Présentation intermédiaire des projets Salle Icare, Lumbin, avril 2012

Le premier atelier auquel nous avons invité nos partenaires, organisé à Lumbin à mi-parcours de l’exercice pédagogique, signait un momentclé de la recherche engagée. Il représentait une sorte de test inaugural de notre capacité à produire des contenus partageables et, à travers eux, de susciter le premier mouvement d’une prospective à co-construire avec différents acteurs en présence.

Lors de cette journée d’atelier, il s’agissait plus concrètement de questionner avec eux l’intérêt des arpentages imaginés par nos étudiants pour rendre compte de la réalité périurbaine, de discuter des potentiels révélés par ces lectures « décalées » du territoire et de mettre en débat les premières stratégies programmatiques et spatiales auxquelles elles avaient donné lieu sur différents sites lumbinois.

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Ce moment n’a qu’en partie répondu à nos attentes et c’est en cela qu’il a s’est révélé « productif ». Nous étions partis du principe que c’était la forme donnée aux propositions soumises à discussion qui allait encourager et nourrir le débat d’idée. L’ironie a été de ne pas travailler, en architectes, l’espace du débat que nous avions convoqué. Pour ce premier rendez-vous, nous avons reproduit le schéma classique et statique de la réunion publique : un écran, des micros, une présentation de travaux face à une assistance invitée à donner son avis à la suite d’une série de propositions déclinées par familles thématiques, et au final une discussion qui a eu du mal à prendre entre scène et salle. Parmi nos invités, ceux qui avaient l’habitude de prendre la parole en public ont rebondi sur quelques points sans entrer dans le détail, le débat est resté en bonne partie général et formel.


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Présentation finale des projets Ecole d’Architecture de Grenoble, juin 2012

Comment spatialiser le débat ? Cette question a dominé l’organisation du second atelier auquel nous avons convié nos partenaires. Programmé au terme de l’exercice pédagogique, ce temps de rencontre avait pour but de présenter les projets finalisés et de les questionner collectivement comme des « configurations possibles » donnant localement forme à des logiques programmatiques, à des principes d’aménagement, à des mutualisations d’espace et de moyens, à des stratégies constructives transposables à d’autres contextes périurbains. Nous avons cette fois déplacé le débat dans nos locaux en invitant nos partenaires à l’Ecole d’Architecture de Grenoble.

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Cette fois, au lieu de tabler sur une présentation frontale des projets,sous forme de planches ou d’images projetées sur écran (ce qui en aurait accentué la théâtralisation), nous avons choisi un support de communication plus facile à manipuler. Les projets n’ont été présentés qu’en maquettes, réparties sur trois grandes tables qui distribuaient dans l’espace les trois thématiques autour desquelles les étudiants avaient travaillé : diversité de l’habitat et densification pavillonnaire ; architecture des loisirs, mobilités et dynamiques du temps libre ; paysage des modes de vie et équipements du quotidien. Le principe de ce second débat était que chacun choisisse sa place autour de la table. Debout, assis, tout le monde avait la liberté de circuler. Au fil de de l’après-midi, nous avons pu constater une évolution significative de la prise de parole. Le fait que chaque intervenant puisse tourner autour de l’espace qui supportait et qui faisait simultanément l’objet du débat avait pour principal effet de mettre tout le monde au même niveau et de relativiser les hiérarchies statutaires. Projet par projet, des questions et des propositions émergeaient sur le mode d’une partition plus découpée, plus horizontale et plus riche entre toutes les parties en présence.


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Les formes à donner à une exposition itinérante et malléable

Suite au semestre de travail auquel avaient participé les étudiants

de master 1, quelques volontaires se sont engagés, en tant que moniteurs, à poursuivre l’investigation à nos côtés sur l’année universitaire 2012/2013. Cette seconde phase du projet a consisté à faire vivre les contenus imaginés par les étudiants de l’année précédente, dans le cadre d’une exposition itinérante et malléable selon les circonstances. Le but de cette exposition était à la fois de communiquer les résultats de la prospective engagée tout en se donnant les moyens de la prolonger. Nous voulions proposer à un public élargi de se saisir de la réflexion présentée selon des modalités variées, l’idée étant que chaque support suscite une attitude active chez le visiteur : lui donner la possibilité de varier les parcours, de manipuler les maquettes, de feuilleter différents documents en passant, ou confortablement assis dans un salon de lecture... Quel que soit son contexte, l’exposition devait enfin réussir à créer ou à relancer le débat sous différentes formes.

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Les supports d’une prospective qui se déplace Nous nous sommes demandé comment présenter le projet architectural à des publics non-experts de la lecture de plans. Comment permettre cet aller-retour souvent difficile entre documents codifiés et représentation d’un paysage modifié tout à la fois dans ses dynamiques spatiales, ses paysages et les usages qui lui sont associés ? Anticipant le souci de pragmatisme des élus et des habitants, et leurs questions sur le caractère fictionnel des propositions présentées, les étudiants moniteurs ont imaginé un redécoupage didactique des projets réalisés par leurs camarades.

Le projet «redécoupé» de manière didactique


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La carte d’identité du projet Chaque projet a d’abord été synthétisé sous la forme d’une « carte d’identité », petit carton présentant succinctement son programme et son site d’implantation, relié par une punaise et un fil tendu à une table d’orientation, vue aérienne de Lumbin de 2m² couchée sur un support qui faisait le lien entre grande échelle et interventions ponctuelles localisées.

Carte d’identité du C.R.I.B.

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Où et quoi ? Les alvéoles de projet Pour aller plus loin dans la compréhension des projets, chacun d’eux a fait l’objet de deux interprétations volontairement distinctes, contenues dans deux « alvéoles » indépendantes permettant toute sorte de combinaisons thématiques. Chaque projet était ainsi présenté sous un angle spatial, afin de mettre en avant sa capacité à valoriser certains aspects significatifs du paysage périurbain, en le transformant de manière ponctuelle. Une autre alvéole était consacrée à présenter le projet sous l’angle de sa stratégie programmatique. Il s’agissait cette fois de mettre l’accent sur le lien créé entre des pratiques existantes et des pratiques émergentes via de nouvelles configurations d’usage induites par l’architecture proposée.

Où et quoi ? Les alvéoles de projet


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« Ce que ça demande ? », « Ce que ça rapporte ? ». Associé à la maquette de chaque projet, un carton a été imaginé pour donner, en direct, une réponse aux questions que les visiteurs sont généralement tentés de se poser quand ils prennent la mesure physique du bâtiment proposé. Il s’agissait de communiquer sur ce que le projet était susceptible de demander en terme d’investissement public, de négociation avec des partenaires privés, de mobilisation foncière, et en guise de contre point, de valoriser ce qu’il pouvait apporter au développement et à l’amélioration du cadre de vie local.

Qu’est-ce que ça demande ? Qu’est-ce que ça rapporte ? (projet du C.R.IB.)

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Des nouvelles du futur... Chaque projet a enfin fait l’objet d’une carte postale. Les visiteurs pouvaient repartir avec une ou plusieurs cartes de leur choix. L’idée était qu’à travers elles, chacun puisse envoyer des nouvelles du futur ou simplement se l’approprier selon ses goûts, ses aspirations singulières tout en se donnant le droit d’en discuter avec d’autres, hors du cadre de l’exposition.

Quelques-unes des cartes postales

Ensemble des cartes postales à disposition du public.


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Mémoires ville-ressource Durant l’exercice pédagogique, un séminaire théorique a été organisé. Il avait pour thème les métamorphoses de nos cadres de vie métropolitains, de leurs modalités d’usages et de leurs conditions d’évolution à l’heure de la raréfactions programmée de nos ressources. Dans ce cadre, nos étudiants ont été amenés à produire des mémoires dont l’enjeu était de traiter et de dépasser tout à la fois les problématiques situées auxquelles ils s’affrontaient à l’échelle de Lumbin. Ces mémoires ont été pour eux l’occasion de resituer les questions de la ville diffuse dans une perspective élargie traitant à la fois des équations et des ressources de la ville contemporaine et de ses modes de vie. Respectant une mise en page définie collectivement, ces mémoires ont été édités sous la forme d’une collection de fascicules mis à la disposition des visiteurs : « Le piéton dans la ville: quelle vi(ll)e pour demain? » « Les mobilités douces, nouvelle fabrique de l’espace urbain ? » « Espaces urbains, une reconquête de l’aire automobile. » « Evolution et opportunités de reconversion de nos réseaux de transports » « Mobilités et temps libre, des enjeux architecturaux liés à l’évolution de nos modes de vie » « Friches Culturelles : de nouveaux territoires pour l’art » « Réinvestir les berges » « La mouvance verte » « Appropriation de l’espace public » « L’espace public en milieu périurbain en France » « Une nouvelle vie sur les toits » « Favelas, contraintes et ressources » « Architecture et reconversion » « Le réemploi de matériaux en architecture, ou comment faire de nos déchets une ressource » « La réappropriation collective de la question de l’habitat populaire » « Bibliothèque et accès à la culture; vers un lieu plus citadin? » « L’habitat du troisième âge en territoires périurbains » «Architecture et enfance : des lieux dédiés à l’enfant à ceux qu’il s’approprie» « Projets éphémères, ou comment interroger les conditions de la production architecturale »


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Exposition n°1 Eglise de Lumbin

L’exposition mère a été organisée à Lumbin, le premier hôte de cette

prospective partagée et le cadre physique des projets imaginés et présentés. Afin d’économiser au maximum les subventions fournies par la région, cette exposition a été organisée dans un bâtiment prêté pour l’occasion par la commune avec l’accord du diocèse : l’Eglise de Lumbin. Notre souci premier était de construire une exposition qui puisse toucher deux publics : d’une part les élus du territoire qui suivaient le projet depuis le début ; d’autre part les habitants qui n’en avaient pas eu connaissance jusque là. Cette première exposition a servi à la fois de laboratoire scénographique et de base pour les suivantes, en terme de contenus et de supports.

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Principes scénographiques L’église de Lumbin, nouvellement restaurée, ne nous offrait pas la possibilité d’altérer les murs, les sols ou les colonnes. Tout l’enjeu a été ici de créer des supports d’exposition capables de révéler les qualités du lieu sans le détériorer. Nous avons souhaité structurer l’espace autour du vaisseau central de la nef, isolant les collatéraux derrière des toiles tendues qui constituaient un support d’affichage léger et rétro-éclairé. Afin de protéger l’autel, inamovible, au sein du chœur de l’église, une série de grilles fournies par la municipalité et enveloppées du même tissu que les colonnes, ont servi de support aux alvéoles de projets.


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Séquence 1 : Entrer, découvrir la vallée Afin de structurer l’espace de l’église et d’initier le parcours au sein de l’exposition comme une immersion dans le périurbain, il nous a semblé nécessaire de replacer Lumbin dans son contexte, via une vue satellite de 1,20m x 2,40m. Associer cette carte du territoire à la carte de l’exposition donnait la possibilité au visiteur de prendre la mesure de ce qu’il allait arpenter dans les deux cas.


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Séquence 2 : S’informer avec le kiosque La première séquence propose d’entrer dans l’exposition via un panorama sélectif des différentes polémiques, images et textes poétiques que suscite depuis quelques années la réalité périurbaine. Aperçu de la sélection : « La France de Raymond Depardon » : photographies de R. Depardon « Loin des villes, un rêve qui tourne mal » , Télérama n°3268 « Habiter demain, se loger sans s’étaler », Architectures à vivre, décembre 2012 « Halte à la France moche ! », Télérama n°3135 « Contre Télérama », Eric Chauvier, Paris, Allia, 2011 « Rendez-nous la lumière », paroles extraites de l’album Vers les lueurs, Dominique A « Un monde pour soi », film documentaire de Y. Sinic & N. Combe « Les nouveaux compromis urbains », François Ascher, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2008

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Séquence 3 : Tourner autour de la table d’orientation des projets Afin de rendre l’exposition claire, accessible et dynamique, nous avons pris le parti d’éclater le format classique de la planche d’architecte pour regarder les travaux au travers de différents filtres thématiques. De cet éclatement des supports résulte une dispersion dans l’espace, le long d’un parcours qui admet des allers-retours. La carte de Lumbin exposée sur une table centrale de 2m x 2m permet de localiser les différents projets. Autour d’elle, chacun se présente une première fois à travers sa carte d’identité qui résume son programme et ses enjeux architecturaux.


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Séquence 4 : Circuler entre les maquettes Avant de parvenir à l’autel, les maquettes des projets – une étape essentielle dans le travail de l’architecte - donnent à voir une matérialisation des bâtiments et des espaces créés. Elles s’accompagnent des encarts qui expliquent ce que demande chaque projet en matière de négociations et d’investissements, ce qu’il rapporte en terme de développement local et d’amélioration du cadre de vie lumbinois.

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Séquence 5 : S’arrêter devant les projets Devant l’autel, les projets se dévoilent suivant deux aspects : - leur dimension géographique et spatiale (Où ?) qui met en avant les parcours, les replis, la manière dont l’architecture transforme, redessine, valorise le paysage dans lequel elle s’inscrit. - les usages existants sur lesquels chaque projet s’appuie et ceux qu’il génère (Quoi ?). Cette alvéole a vocation à questionner le réseau associatif et les dynamiques présentes, ainsi que les pratiques et les usages émergents en milieu périurbain.


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Séquence 6 : Arpenter le territoire en images La dernière séquence cherche à sensibiliser le public aux pratiques d’arpentage qui ont donné naissance aux projets présentés dans le reste de l’exposition. L’affichage « sauvage » de toute les formes d’expressions réalisées, de la maquette au travail photographique en passant par la cartographie, vise ici à proposer aux visiteurs de regarder différemment le territoire qu’ils connaissent et pratiquent tous les jours. Cette dernière séquence s’accompagne d’une invitation à participer à un arpentage collectif de Lumbin, organisé avec les volontaires intéressés par l’expérience à la fin des trois journées d’exposition.

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Débattre en marchant

L’arpentage proposé aux habitants à l’issue des trois jours d’exposi-

tion, a constitué, de notre point de vue, la manière la plus appropriée de les amener à débattre de leur cadre de vie. En leur compagnie, il s’agissait de revisiter Lumbin dans des conditions climatiques semblables aux arpentages initiaux (froid, neige, brouillard...) mais avec des perspectives nouvelles : non plus marcher pendant trois jours dans la commune, mais la traverser lors d’un randonnée pédestre de deux heures. L’arpentage proposé consistait à parcourir quatre ensembles typologiques : le centre historique, la zone artisanale, la plaine agricole et les quartiers pavillonnaires. Nous avons proposé aux participants deux formes de retranscription de leur expérience sensorielle : la photographie et le dessin. Pendant les parcours, chacun disposait d’un appareil jetable et devait prendre une photo exprimant un élément qu’il jugeait significatif de son territoire. À l’interface entre deux ensembles, nous marquions un temps d’arrêt. Armés de stylos et de post-it, il s’agissait alors de dessiner les grandes lignes qui marquaient le paysage observé et ses éléments de repère ponctuels. De retour à l’église, nous avons pu exposer les dessins de chacun et disctuer ensemble, à la fois de l’expérience qui venait d’être vécue et de ce qu’elle nous avait permis de comprendre sur les qualités d’un paysage que nous avions désormais en commun.

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Exposition n°2 Salle multi-sports, La Terrasse

La seconde exposition a eu lieu à La Terrasse, commune voisine de

Lumbin et partenaire des travaux de 1ère année de Master pour la promotion 2012-2013. Au cours d’une journée intensive, les rendus pédagogiques de milieu de semestre et l’affichage des arpentages des nouveaux étudiants se sont mêlés aux éléments d’exposition traitant plus spécifiquement des projets architecturaux de la promotion précédente. C’est à cette occasion que nous avons invité l’intégralité de nos partenaires à débattre une dernière fois collectivement des dynamiques de développement des espaces périurbains du sillon alpin.

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Débattre autrement qu’autour d’une table Dans un premier temps, notre volonté fut de permettre une déambulation libre afin de laisser nos invités et les étudiants des deux promotions s’imprégner des projets présentés, avant de basculer, au milieu des maquettes, dans le temps fort du débat. Sans pour autant contraindre les participants, nous nous sommes fixés comme objectifs de proposer plusieurs sujets de réflexion sur des problématiques soulevées par la forme cette fois plus thématisée de l’exposition : • Quelle identité architecturale pour le périurbain ? • Quelle place pour une mixité d’usages ? • Comment mettre en valeur ces paysages atypiques ? • Comment transformer le tissu pavillonnaire ? • Quels usages peuvent supporter les limites d’urbanisation d’une com mune périurbaine ?


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Exposition n°3 Le Train Fantôme, Grenoble

La troisième exposition a été organisée à Grenoble, dans les locaux

du Train Fantôme, lieu de résidence du collectif d’artistes Ici-Même. L’exposition intitulée « Le(s) sens de la marche » présentait exclusivement le matériau issu de tous les arpentages expérimentés sur la durée du projet. Les visiteurs pouvaient prendre connaissance des protocoles et des résultats de ces arpentages, celui réalisé avec les habitants de Lumbin étant au centre de l’exposition. Les travaux d’arpentage des promotions de master 2011-2012 et 2012-2013 étaient quant à eux présentés sur des modules en bois, répartissant dans l’espace du Train Fantôme un large panel d’outils et de méthodes de glanage d’informations.

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S’asseoir pour débattre d’un outil pluri-disciplinaire : la marche Montés sur roulettes, les supports sur lesquels étaient présentés les travaux des étudiants ont pu être déplacés pour accueillir le dernier débat organisé dans cette seconde phase du projet. Nous avons invité cette fois des chercheurs du laboratoire CRESSON (ENSAG) et nos hôtes, les artistes du collectif Ici-Même, à échanger sur un outil que nous avions en commun : la marche. Arpenter la ville à plusieurs en se donnant des consignes, des trajectoires, des durées à respecter est une pratique qui peut aussi bien signer l’entrée en matière d’un projet architectural, que faire la force d’une proposition artistique ou constituer le protocole expérimental d’une recherche en sciences humaines. La marche pose à ce titre des questions au regard de l’outil pluridisciplinaire qu’elle représente, outil qui permet de construire différentes formes d’expérience et d’intelligence concernant des territoires difficiles à cerner : espaces périphériques arpentés par nos soins, espaces de la nuit arpentés par le collectif Ici-Même, espaces « infra-ordinaires » arpentés par M. Paris et G. Chelkoff, chercheurs au CRESSON.


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186 plasticité périurbaine

Donner forme(s) au débat d’idées

À travers les trois formes qu’a connu notre exposition itinérante, nous

avons cherché à inventer différentes façons d’engager le débat, mais surtout de l’inviter dans des lieux qui ne s’y prêtent pas forcément : l’église à Lumbin, la salle multisports à La Terrasse, l’espace artistique du Train Fantôme à Grenoble. Autant de lieux qui accueillent pourtant, au quotidien, l’urbanité périurbaine ou la vie culturelle qui prend le temps de l’interroger. C’est peut-être cette capacité à déplacer le débat hors de ses cadres habituels qu’il s’agit d’inscrire à l’agenda d’un urbanisme au service des territoires périurbains et de leur développement raisonné. Ce développement repose aujourd’hui sur un jeu d’acteurs de plus en plus complexe n’excluant aucun contributeur. Pour associer à la réflexion tous ceux qui peuvent et veulent la faire progresser, experts comme non experts, nous devons trouver les moyens de l’horizontaliser. De notre point de vue, cette horizontalisation commence par l’invention de parcours susceptibles de « promener » la réflexion, afin de la mettre sur le chemin de publics qu’elle n’aurait pas, sans cela, l’opportunité de croiser ni l’occasion de mobiliser. Au-delà de son itinérance, il s’agit de donner des formes à la réflexion, et plus particulièrement aux débats qu’elle soulève. Sur ces deux points, nous avons tenté d’élaborer et d’expérimenter la justesse de quelques dispositifs potentiellement transférables. D’autres restent encore à inventer. Ceci constitue peutêtre un des chantiers les plus intéressants à investir pour la recherche architecturale qui se construit, aujourd’hui, aussi bien entre qu’hors les murs de nos écoles.


CONCLUSION

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conclusion

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« Faire de la prospective architecturale un espace commun » Cécile LEONARDI, sociologue, co-encadrante du projet PASTP

On a longtemps accusé les espaces périurbains de signer la fin de la

ville, plus récemment de compromettre le développement durable de nos territoires. Dans les deux cas, leur extension est associée à l’étendue d’un dégât qu’il s’agit de résorber. De nombreux professionnels de l’aménagement prônent à cet effet un retour généralisé à la ville compacte, même si la ville diffuse est là, constituée et constituante d’un cadre et d’un mode de vie plébiscités par 40 % de la population française. Martin Vanier et Emmanuel Roux soulignent l’exception de ce paradoxe en rappelant que « rarement, un phénomène a fait l’objet d’un tel divorce entre la France telle qu’elle se transforme et le monde professionnel public concerné1 ». Si cette transformation a de quoi poser question, certains chercheurs en sciences humaines et sociales tentent désormais de considérer, au-delà de ce qu’elle a « défait », l’horizon d’action qu’elle dessine. Ce qui est généralement reproché aux espaces périurbains, c’est leur étalement spatial, leur morcellement administratif, la dispersion de leur pôles de vie. Certains reconnaissent que cette réalité distendue a l’intérêt d’offrir une partition singulièrement ouverte, plus ouverte peut-être que celle proposée par les villes-centres, pour imaginer de nouvelles façons d’aménager, de vivre, de gouverner « l’urbain généralisé » qui façonne l’avenir de nos territoires. C’est notamment la posture que défend François Ascher, lorsqu’il appelle les urbanistes à identifier et à promouvoir de nouveaux compromis urbains pour accompagner l’évolution d’une ville complexe, qui se construit et se vit désormais au pluriel. Jean Viard, en sociologue, dresse quant à lui le portrait d’une nouvelle société urbaine, société de la mobilité et du temps libre qui offre des perspectives insoupçonnées à nos formes durables de développement économique et culturel. Martin Vanier appelle de son côté à faire du problème un projet, considérant que le tiers espace construit entre ville et campagne par la périurbanisation peut devenir le laboratoire de nouveaux équilibres dans l’aménagement et la gouvernance de nos territoires.

1. Vanier M., Roux E., La périurbanisation, problématiques et perspectives, Paris, La documentation française, 2008.


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Aujourd’hui, les architectes apportent leur pierre à cette réflexion dans le cadre de projets de recherche pluri-disciplinaires, à l’image de l’ANR Bimby, de la consultation pour le Grand Paris ou pour le projet Bordeaux 2030. Visant des retombées opérationnelles directes, ces recherches prospectives mettent les architectes en situation de questionner les potentiels d’évolution d’espaces qui se sont historiquement construits sans eux. Leur façon d’entrer dans ce débat est de défendre, en la faisant apparaître par le projet, une autre dimension sous-estimée de la ville diffuse : sa plasticité. C’est cette plasticité et la manière dont l’architecte peut s’en emparer que nous avons voulu interroger avec nos étudiants, dans le cadre d’une prospective plus modestement menée à l’échelle d’une commune périurbaine de 1900 habitants. Le fait de convertir cette première intention aux conditions posées par le dispositif «Université citoyenne et solidaire», nous a demandé de rajouter une inconnue à l’équation : la nécessité de co-produire cette prospective architecturale avec les acteurs qu’elle intéresse. Cette inconnue a pris une place croissante et décisive dans le travail que nous avons mené pendant deux ans. L’objectif que nous nous étions donné était de diagnostiquer les problématiques et les ressources de Lumbin et par extension celles de la vallée du Grésivaudan, afin de donner forme aux potentialités rencontrées à l’échelle de ce territoire périurbanisé. Nous avons développé toutes sortes d’expérimentations pour mettre plus concrètement en évidence la plasticité des espaces arpentés et des marges de manœuvre qu’ils offraient en terme de projets urbains et architecturaux. Nous avons également essayé de faire apparaître la plasticité des représentations attachées aux paysages, aux ambiances, aux modes de vie observés. Restait à partager ces contenus avec nos partenaires, ce qui demandait cette fois de travailler une autre plasticité, celle à donner à une culture partagée du projet et, plus immédiatement, à l’espace de nos échanges. Nous en sommes passés par différentes stratégies pour reformuler nos contenus dans cette perspective, l’idée étant qu’ils animent la discussion sans en figer la forme. Nous avons par ailleurs fait confiance à nos partenaires et aux visiteurs de nos expositions pour qu’ils s’emparent librement des dispositifs proposés et qu’ils en fassent usage, que ce soit


conclusion

pour nourrir la discussion, ou pour se donner le droit de lui échapper. Comme le rappelle François Ascher : « L’espace urbain n’existe pas indépendamment des pratiques sociales qui y prennent place et qui le co-construisent. (…). Il ne peut donc y avoir d’urbanisme qui soit seulement spatial ou seulement programmatique. » Ascher ajoute « L’intérêt général qu’il s’agit aujourd’hui de faire émerger est de plus en plus « procédural », en ce sens qu’il se définit et se dessine de plus en plus tout au long d’un processus créatif 2 ». Les formes de prospective que l’architecte peut mettre au service de ce nouvel urbanisme passent en somme, au-delà de l’invention programmatique et spatiale, par la création de procédures, de dispositifs capables de faire du débat d’idée un espace à saisir et à pratiquer dans la durée. Si l’architecte a vocation à construire des espaces aisément appropriables, il peut peut-être utiliser cette compétence pour faire du débat un espace urbain comme un autre, en veillant à ce qu’il « n’existe pas indépendamment des pratiques sociales qui y prennent place et qui le co-construisent ». Sans prétendre avoir réussi ce tour de force, nous avons néanmoins déplacé, sur deux ans, notre travail prospectif pour qu’il serve la fabrication de cet espace commun.

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2. Ascher F., « Position », in Organiser la ville hypermoderne, François Ascher, Grand Prix de l’Urbanisme 2009, ouvrage collectif sous la direction d’Ariella Masboungi, Paris, Editions Parenthèses, 2009, p. 21.



crédits & remerciements

crédits & remerciements Conception et encadrement du projet de recherche-action STÉPHANIE DAVID / Architecte et enseignante à l’ENSAG CECILE LEONARDI / Sociologue et enseignante à l’ENSAG OLGA BRAOUDAKIS / Architecte-urbaniste et enseignante à l’ENSAG

Conception et rédaction de l’ouvrage CECILE LEONARDI / Sociologue et enseignante à l’ENSAG STÉPHANIE DAVID / Architecte et enseignante à l’ENSAG MARC GIRERD / Etudiant en architecture PIERRE-MARIE CORNIN / Etudiant en architecture

Scénographies et installations AURELIA BERGAMO / Etudiante en architecture NOELIE CLAPASSON / Etudiante en architecture PIERRE-MARIE CORNIN / Etudiant en architecture BRUNELLE DALBAVIE / Etudiante en architecture MARC GIRERD / Etudiant en architecture LORENZO QUACCIA / Etudiant en architecture

Crédits photographiques FLORIAN GOLAY / Architecte

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194 plasticité périurbaine

Promotion Master 1 - 2011/2012 JULIE DOTTORI & MANON PIERREFEU / La Boîte à Outils des Loisirs AURÉLIA BERGAMO & NOELIE CLAPASSON / Le M.U.R. MARC GIRERD / La Mobilothèque MARINE BOUILLOT & SOLENE POUMAREDE / La Grange à vélo SAMANTHA NERENHAUSEN / Un face à face à deux vitesses FRANCINE OURIQUES / Entre deux chemins BRUNELLE DALBAVIE / Le C.R.I.B. CHARLY FRUH / Agripark JULIE AMBLARD & CHLOE COMMEIGNES / L’Agrafe PIERRE-MARIE CORNIN / Gratte-ciel ANNE CHAUVET & LORENZO QUACCIA / Interface

Contributeurs invités ALBERT ANDREVON / Maire de Lumbin GEORGES BESCHER / Président du CAUE de l’Isère GRÉGOIRE CHELKOFF & MAGALI PARIS / Chercheurs au laboratoire CRESSON DOMINIQUE CLOUZEAU / Elu à la CCG JACQUES GERBAUX / Adjoint au cadre de vie à Lumbin FLORIAN GOLAY / Architecte, président la M’A de l’Isère SERGE GROS / Directeur du CAUE de l’Isère VALERIE LACOUA / Chef de projet à la CCG DORIAN MARTIN / Chargé d’études AURG JACQUES MARRON / Adjoint à l’urbanisme à Lumbin BERTRAND PETIT / Conseil de développement de la CCG CORINNE PONTIER & EVELYNE LONGCHAMP / Collectif Ici-Même PHILIPPE RANNAUD / Urbaniste au PNR de Chartreuse JEAN-MICHEL ROUX / Enseignant-chercheur à l’IUG MARCEL RUCHON / Architecte-urbaniste, enseignant à l’ENSA St-Etienne JACQUES SAVINE / Urbaniste au SCOT FRANÇOIS STEFANI / Maire de Tencin PHILIPPE VOLPI / Maire de la Terrasse, élu à la CCG


crédits & remerciements

Financements Le projet de recherche-action a été financé par la Région Rhône-Alpes et l’ENSAG. L’exposition à Lumbin a été financée par la Région Rhône-Alpes et la commune de Lumbin. Cet ouvrage a été financé par la Région Rhône-Alpes.

Remerciements particuliers PHILIPPE CUNTIGH, chargé de mission UCS à la Région Rhône-Alpes / HÉLÈNE CASALTA, responsable recherche et partenariats à l’ENSAG / NATHALIE MARIELOUISE, soutien administratif à la recherche, ENSAG / PHILIPPE VOLPI, Maire de La Terrasse / LE DIOCÈSE DE GRENOBLE / LE CONSEIL MUNICIPAL DES ENFANTS DE LUMBIN / LE COLLECTIF ICI-MÊME et son train fantôme / PIERRE GROSDEMOUGE pour son grenier / DIMITRI MESSU, architecte, pour sa présence a nos côtés et ses contributions tout au long du projet.

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Achevé d’imprimer par l’imprimerie des Eaux-Claires à Echirolles en décembre 2013


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Dans le cadre de l’enseignement du projet architectural en Master 1 à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, nous construisons depuis 2009 des partenariats pédagogiques avec des collectivités de la Vallée du Grésivaudan (Isère). Il s’agit, par le projet, d’interroger et de « donner forme » aux potentiels d’évolution du territoire périurbain, à partir de la découverte et de la valorisation de ce que nous avons appelé ses « ressources cachées ». Avec l’aide du dispositif « Université citoyenne et solidaire » porté par la Région Rhône-Alpes, nous avons construit entre 2012 et 2013 autour de ces problématiques un projet de « recherche-formation-action » à la croisée de l’exercice pédagogique et du laboratoire d’idées.

Dans ce cadre, nous avons fait de la commune de Lumbin le « laboratoire situé » d’une réflexion portant sur l’avenir des territoires périurbains du sillon alpin, laboratoire que nous avons ouvert aux acteurs territoriaux de la vallée du Grésivaudan. Depuis janvier 2013, le résultat de cette prospective partagée fait l’objet d’une exposition itinérante qui l’ouvre à un plus large public. Chaque étape de cette itinérance a donné lieu à des rencontres-débats destinées à questionner et à mettre en perspective la partition étonnamment ouverte qu’offrent les territoires périurbains pour envisager d’autres stratégies de renouvellement urbain que celles qui sont à l’oeuvre dans les villes-centres.


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