Parcourir le paysage dans l'architecture moderne brésilienne - Margaux Paumelle

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PARCOURIR LE PAYSAGE DANS L’ARCHITECTURE MODERNE BRÉSILIENNE, UNE QUÊTE SENSORIELLE ET ESTHÉTIQUE

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C ORPS,

PAYS AG E

ET

MOU VE ME NT

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É c o l e N a t i o n a l e S u p é r i e u r e d ’A r c h i t e c t u r e d e P a r i s V a l - d e - S e i n e _ M é m o i r e M a s t e r 2 FÉVRIER 2020

Encadré par Mathieu-Ho SIMONPOLIS M a r g a u x PAU M E L L E



Couverture Croquis d’Oscar NIEMEYER du Musée d’Art Contemporain de Nitéroi, extrait de la page internet Préfeitura Niteroi



R EMERC I E M E N T S

Ce mémoire a pu voir le jour grâce à la contribution de nombreuses personnes à qui je souhaite témoigner de ma profonde reconnaissance ; de mon respect et ma gratitude. D’abord, je souhaite remercier mon encadrant de séminaire de mémoire, Mathieu-Ho Simonpolis, pour ses conseils, ses références et son implication qui m’a permis de rester motiver tout au long du semestre même lors des phases les plus difficiles. Je souhaite remercier aussi mes amis et ma famille pour leurs soutiens et leurs encouragements ; leurs relectures et leurs avis ; leurs patiences et leurs conseils. Aussi, je souhaite remercier l’ENSA Paris Val-de-Seine, pour m’avoir permis de partir en échange universitaire à l’UFF à Niteroi, dans la région de Rio de Janeiro, et de vivre cette expérience unique qui m’a amené à écrire ce mémoire.



S O M M A I R E

AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

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I.

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II.

III.

UN MOUVEMENT, DEUX ÉCOLES 1. L’architecture moderne brésilienne, contexte et origine

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2. Entre Cariocas et Paulistes

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3. Discours sur l’architecture et le paysage : Niemeyer, Reidy, Bo Bardi et Artigas

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PARCOURIR LE PAYSAGE DANS L’ARCHITECTURE MODERNE BRÉSILIENNE

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1. Contextes historiques, urbains et paysagers dans quatre projets brésiliens

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2. Des dispositifs au service du parcours dans l’espace et le paysage

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3. Habiter l’horizon et le paysage

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UNE EXPÉRIENCE SENSORIELLE ET ESTHÉTIQUE

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1. Mouvement, corps et flux

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2. Sensibilité et matérialité

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3. Perception, regard et territoire

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CONCLUSION



MAC _

musée d'art contemporain d'Oscar Niemeyer

22°54'27.0"S 43°07'33.6"W

PEDREGULHO_

logements sociaux de Affonso Eduardo Reidy

22°53'33.2"S 43°13'59.6"W

SESC_

centre de loisirs, culturels et sportifs de Lina Bo Bardi

23°31'33.7"S 46°41'01.1"W

FAU_

faculté d’architecture et d’urbanisme de Vilanova Artigas

23°33'36.8"S 46°43'48.2"W



« Quand tout est une fête, quand après deux mois et demi de contraintes et de repliement, tout éclate en fête ; quand l’été tropical fait jaillir des verdures au bord des eaux bleues, tout autour des rocs roses ; quand on est à Rio de Janeiro, -

des baies d’azur, ciel et eau se succèdent au loin en forme d’arc, bordées de quai

blancs ou de plages roses ; ou l’océan bat directement, les vagues se roulent en lames blanches ; ou le golfe s’enfonce dans les terres, l’eau clapote. […] alors, à Rio de Janeiro, ville qui semble défier radieusement toute collaboration humaine à sa beauté universellement proclamée, il vous vient un désir violent, fou peut être, d’ici aussi tenter une aventure humaine. »1

Le Corbusier, Conférence à Rio de Janeiro, 8 Décembre 1929

1 LE CORBUSIER, Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, Collection de « L’Esprit Nouveau», Les Éditions G. Crès et Cie, Paris, 1930, p. 233


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hotographies personnelles à l’argentique _ Pedra da Gavéa, Rio de Janeiro _ Cidade Das Artes, Rio de Janeiro _ Catete, Rio de Janeiro


AVAN T- PR OPOS

Arpenter le bâtiment, la ville, la montagne, la forêt tropicale, sans jamais se soucier d’autre chose que soi est devenu pour moi un art de vivre ; voir un paysage, un arbre, le bleu d’un ciel et contempler ; marcher, monter, descendre puis recommencer. C’est ainsi que j’ai découvert le Brésil, pays dans lequel j’ai eu la chance d’étudier durant un an dans le cadre de ma première année de master en architecture. J’ai observé de nouveaux horizons, appris une nouvelle langue, fut confronté à de nouvelles problématiques environnementales, sociales ou encore politiques ; cela m’a finalement permis de me forger une tout autre manière d’appréhender l’espace et de le penser. J’ai à la fois pu prendre du recul sur mes acquis de mes trois premières années de licence tout en découvrant un nouveau langage architectural. J’ai pris conscience de ce qui me touchait dans l’architecture et de la raison pour laquelle j’en faisais. Ressentir les vides, combler les pleins, toucher le proche et entrevoir le lointain, ce sont ces choses impalpables qui m’ont interpellés à de nombreuses reprises durant cette année d’échange universitaire. C’est à travers ces sensations que je me repérais dans l’espace et que je me rendais compte de la place de mon corps et de celui des autres dans le monde extérieur. J’ai visité de nombreux territoires ; des plages, des montagnes, mais aussi des espaces urbains, des architectures. En équilibre entre sérénité et enthousiasme, je me suis laissé porter et conduire par ces lieux, ces lumières, ces sons, ces énergies ; ces promenades. Par mon interaction avec l’espace, je tentais finalement de me dégager de toute emprise matérielle pour mieux apprécier le moment. C’est à travers ces expériences que j’en suis venu à vouloir approfondir la notion de parcours et ce qu’elle engendre. En effet, au rythme de la marche, j’ai établi un nouveau regard sur l’architecture, la ville et le paysage, mais aussi de nouveaux rapports que je souhaite développer. Je cherche, à travers ce mémoire, à retranscrire l’expérience architectural, mais aussi sensorielle et personnelle que j’ai vécue tout en partageant la sensibilité dans laquelle j’ai apprécié ces espaces, ces promenades. D’une certaine manière, je tente de comprendre et de faire comprendre les émotions que j’ai ressenties et qui m’ont largement permis de me retrouver en harmonie avec moi-même et d’enfin prendre conscience de ce qui m’entourait réellement. C’est à travers ces expériences que je m’identifie aujourd’hui et mettre des mots sur ces émotions m’a paru essentiel car c’est ce qui m’a forgé et qui me permet aujourd’hui de concevoir de l’architecture d’une manière singulière et dans laquelle je m’épanouie.

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IN T RODUCT ION

« Tout espace architectural implique (et désire) la présence intrusive qui viendra l’habiter. »1. Bernard Tchumi montre à travers cette affirmation que l’espace, conçu par l’architecte est un objet statique, mais que pour exister, celui-ci a besoin d’un corps qui va le traverser, le parcourir. L’architecture impose alors le déplacement, au parcours dans l’espace et le paysage. La définition formelle du parcours se traduit par l’itinéraire à suivre, le chemin que l’on emprunte. Si l’on s’intéresse de plus prêt à son étymologie, le mot parcours vient du verbe parcourir, construit du préfixe « par » qui signifie « au travers de ». Cela encourage à penser que parcourir signifie finalement aller d’un bout à l’autre d’un lieu en passant au travers d’espaces de par l’utilisation de son corps. « Le corps sensible, moteur, expressif, foyer de son propre espace. »2 comme le définit si bien Henri Maldiney « habite l’espace et le temps en les assumant activement »3. Il se trouve en étroite collaboration avec l’espace, « il est pris dans le tissu du monde »4 ajoute Maurice Merleau-Ponty. Pour moi, parcourir un espace apparaît comme le cheminement vers une quête de soi ; un soi vivant, mouvant, changeant. Que ce soit dans un contexte architectural, urbain ou paysager, c’est le moment ou inconsciemment ou non, on va se questionner ; où l’on va finalement prendre conscience de notre présence humaine dans le monde qui nous entoure.

1 TCHUMI Bernard, Architecture et Disjonction, avec la contribution de GRIMALDI Jean-Marc 1994, p.92. 2 cité par MALDINEY Henri, Perception/ Architecture/ Urbain, sous la direction de BONNAUD Xavier, YOUNES Chris, préface de PAQUOT Thierry, Collection Archigraphy Poche, Infolio Éditions, 2014, p.35 3 cité par MALDINEY Henri, op.cit., p.70 4 MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit (1964), Folio Essai, Édition Gallimard, 2006, p.18.

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« Quand on se déplace, l’espace que nous parcourons est compris non comme une chose vue qui se déroule à nos côtés, ni comme un réceptacle neutre pour nos mouvements mais comme une constante invitation, comme un partenaire dans un dialogue qui prend ici la forme d’un cheminement, d’une déambulation, d’une promenade. »1. Ce qui m’intéresse particulièrement dans cette notion que définit très bien Catherine Szanto, c’est finalement le moyen qu’elle a de créer des liens entre corps et paysage, entre expérience et sensibilité, entre regard et perception, entre mouvement et toucher. Un esprit sans corps n’a aucun sens à se souvenir, à penser, à rêver : c’est finalement ce qui nous permet de nous rattacher au monde physique et c’est pourquoi je souhaite approfondir cette notion. Comme l’a dit Le Corbusier, « L’architecture est jugée par les yeux qui voient, par la tête qui tourne, par les jambes qui marchent. ».2 Autrement dit, je cherche à révéler les espaces architecturaux vécus grâce à mes pas, « décision corporelle de chaque instant »3, complémentaires aux autres sens et à comprendre la complexité de l’expérience spatiale qu’ils engendrent et des choix perceptuels, corporels et sensoriels qu’ils proposent. Pour certain, parcourir le paysage est insignifiant, pour moi et particulièrement durant mon échange au Brésil, cela m’est apparu comme le fil perceptif mettant ma vie corporelle en action. Le paysage est défini par le Larousse4 comme une étendue spatiale, naturelle ou transformée par l’homme, qui présente une certaine identité visuelle ou fonctionnelle. C’est aussi une vue d’ensemble que l’on a d’un point donné. Pour moi, il n’y a pas un paysage mais 16

des paysages, et une des fonctions premières de l’architecte est de concevoir des espaces où homme et paysage dialoguent continuellement. La Convention Européenne du Paysage a donné une autre définition : « Le paysage désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations. »5. Il doit alors être considéré à la fois comme une structure matérielle mais aussi comme le produit d’une représentation mentale que l’on se fait à travers nos sens et notre expérience personnelle et corporelle. Durant mes nombreux voyages au Brésil et notamment la découverte des villes de Rio de Janeiro et de São Paulo, j’ai été très sensible à ces architectures poétiques, élégantes, tropicales, mais aussi brutalistes, traditionnelles, ouvertes. Aussi, j’ai été agréablement surprise du fort contraste qui règne entre les paysages urbains de ces deux villes, pourtant pas si éloignées l'une de l'autre. Dans ce mémoire, il m’est apparu essentiel d’essayer de comprendre comment ces architectures qui m’ont profondément touchées, se sont développées, dans une nature luxuriante et une ville fragmentée à Rio et dans une immensité urbaine et un paysage contrasté à São Paulo. J’ai trouvé alors intéressant de confronter ces architectures, mais aussi ces paysages et ces expériences. 1 cité par SZANTO Catherine, Perception/ Architecture/ Urbain, sous la direction de BONNAUD Xavier, YOUNES Chris, préface de PAQUOT Thierry, Collection Archigraphy Poche, Infolio Éditions, 2014, p.179 2 LE CORBUSIER, Le Modulor (1950), Denoël Gonthier, Paris, 1977, p.75 3 cité par SZANTO Catherine, op.cit., p.174 4 Larousse, https://www.larousse.fr/, consulté le 10 Janv. 2020 5 Convention européenne du paysage, Florence, 20 octobre 2000, Série des traités européens, n°176, 2000, p.3


Durant le siècle dernier, l’architecture moderne au Brésil s’est développé de manière autonome et spontanée. J’ai été très touchée par la force qu’a cette architecture à retranscrire le désir d’une époque, celui de créer une identité nationale mêlant tradition et modernité. En découvrant ces villes, en parcourant ces espaces, architecture et territoire m’ont contés l’histoire d’un pays qui cherchait à se renouveler et à s’approprier le paysage et l’héritage qui lui avait été livré, confié. Comment le corps interagit avec le paysage lorsque nous parcourons l’architecture moderne au Brésil ? Le corpus choisit portera sur des projets où la place du corps et du paysage m’a intrigué en raison d’émotions et de questionnements qui se sont installés. La découverte de ces architectures a été une réelle source de jouissance, et déambuler dans ces lieux m’a pleinement satisfaite. Ces bâtiments proposent des programmes très différents, ce qui va me permettre de m’appuyer sur des exemples qui se complètent ou au contraire, s’opposent. Deux d’entre eux se situent à Rio de Janeiro et les deux autres à São Paulo : Le Pedregulho, logement collectif dans les hauteurs des quartiers Nord de Rio de Affonso Eduardo Reidy (1909-1964) réalisé entre 1949 et 1951, la FAU soit la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université de São Paulo de Vilanova Artigas (1915-1985) construit entre 1966 et 1969, le SESC Pompéia, centre de loisirs, culturels et sportifs de Lina Bo Bardi (1914-1992) réalisé entre 1977 et 1986 à São Paulo et enfin le Musée d’Art Contemporain de Niteroi, de l’autre côté de la baie de Rio de Oscar Niemeyer (1907-2012) construit en 1996. Les quatre bâtiments ont été réalisés entre les années 1940 et 2000, période de rayonnement du mouvement moderne brésilien. « On ne met pas le petit doigt dans le monde comme on le ferait avec l’eau froide avant de se baigner. »1. C’est finalement dans une dimension architecturale et sensorielle globale que nous sommes immergés lorsque nous parcourons l’espace et c’est en ayant été confrontée de cette manière à l’architecture moderne brésilienne que je vais pouvoir faire travailler ma mémoire afin d’exposer la richesse des expériences vécues. Dans un premier temps, j'expliquerais comment est né le mouvement moderne au Brésil ainsi que les deux grandes Écoles qui le caractérisent et j'exposerais la vision des quatre architectes pris comme exemple à propos de la question du paysage dans l'architecture. Ensuite, j'exposerais le contexte historique, urbain et paysager des bâtiments du corpus afin de faire ressortir leurs dispositifs architecturaux au service du parcours dans le paysage. Je finirais par expliquer, grâce à l’analyse du corpus et de mon expérience personnelle, comment notre corps, notre soi mouvant interagit avec la matière environnante dans ces paysages urbains.

1 cité par BONNAUD Xavier, Perception/ Architecture/ Urbain, sous la direction de BONNAUD Xavier, YOUNES Chris, préface de PAQUOT Thierry, Collection Archigraphy Poche, Infolio Éditions, 2014, p.129

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DEUX ÉCOLES

UN MOUVEMENT,

I.


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Au siècle dernier, les paradigmes modernes ont provoqué de véritables révolutions dans la pensée architecturale globale. L’influence moderniste est arrivée dans les métropoles brésiliennes dans les années 19201. Elle provient notamment des nombreuses visites et migrations des Européens au Brésil ramenant entres autres les idéaux rationalistes de Le Corbusier et du Bauhaus. Le mouvement est aussi né du retour d’artistes et architectes brésiliens qui étudiaient en Europe ; aussi, il provient de l’enthousiasme et de la volonté de rompre avec l’esthétique traditionnelle afin de construire une culture nouvelle et une identité essentiellement nationale tout en s’appuyant sur l’héritage populaire brésilien.2 De ce mouvement sont ainsi nées deux écoles, dans deux villes distinctes : l’École Carioca à Rio de Janeiro et l’École Pauliste à São Paulo.

1 CAVALCANTI Lauro, Quando o Brasil era Moderno - Guia da Arquitetura 1928-1960, Aeroplano, 2001, p.12-15 2 Ibid.


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4_ O JaponĂŞs (1916),Huile sur toile, Anita MALFATTI


1. L’architecture moderne brésilienne, contexte et origine 1.1 La Semaine d'Art Moderne ou « Semaine 22 » Influencées par le cubisme, l'expressionnisme, le futurisme, ainsi que les autres tendances artistiques qui existaient déjà en Europe, de nombreux intellectuels et artistes brésiliens ont exprimé dès les années 1915, une nécessité de renouveler les arts et la culture brésilienne à l’échelle internationale telle un certain désir d’innovation abolissant la perfection esthétique du siècle passé afin de laisser place aux réalités de la vie brésilienne. Anita Malfatti (1899-1964), par exemple, a peint la première exposition moderniste brésilienne en 1917. Elle a fortement été influencée par une exposition cubiste à laquelle elle a assisté en 1912 à Cologne en Allemagne. Ses œuvres ont scandalisé la société Pauliste de l'époque. En effet, son trait, ses choix de sujets ainsi que ses formes d’expression étaient révolutionnaires par rapport aux habitudes esthétiques et conservatrices utilisées par les Brésiliens jusqu’ici.1 Ce fut l’initiative de l’écrivain Graça Aranha (1868-1931), de l'Académie Brésilienne des Lettres, de transformer les célébrations du centenaire de l’indépendance du pays en un moment d'émancipation artistique. La Semaine d’Art moderne s’est déroulée du 13 au 18 février 1922. Inspirée de la Semaine de Fêtes de Deauville en France, l’événement a consacré à chaque jour de la semaine un domaine différent des arts : peinture, musique, poésie, littérature et sculpture. L’évènement a eu lieu dans le Théâtre Municipal de São Paulo. Il représente la première manifestation collective publique de l’histoire culturelle brésilienne en faveur d’un esprit moderne et nouveau dans le but de donner de la liberté aux artistes brésiliens et de se détacher de la production artistique conservatrice répandue dans le pays depuis le 19e siècle. L’idée de cette Semaine n’était donc pas d’établir un nouveau langage mais plutôt d’abolir l’ancien, c’est-à-dire le conservatisme et la perfection esthétique présent dans la production architecturale, picturale, littéraire et musicale à cette époque. On retrouve des peintres tel que Tarsila Do Amaral (1886-1973), des sculpteurs, Victor Brecheret (1894-1955), des architectes notamment Antonio Moya (1891-1949), des poètes, Oswald de Andrade (1890-1954) et Mario de Andrade (1893-1945) et des musiciens, Guiomar Novaes (1895-1979) entre autres.2 Les intellectuels et artistes brésiliens se sont exprimés ouvertement et individuellement afin de trouver leur propre identité. Ils ont expérimenté différentes voies et différents moyens sans se fixer de normes. Les artistes ont trouvé là un moyen de s’exprimer et de montrer leur enthousiasme à l’idée de révolutionner l’art et la culture au Brésil. Aucune unité d’expression n’a donc été identifié, ce qui a d’ailleurs entraîné l’incompréhension du public.3

1 Encyclopédia Itaú Cultural, https://enciclopedia.itaucultural.org.br/, consulté le 12 Janv. 2020 2 J. WILLIAMS Richard, Brazil modern architectures in history, Reaktion Books Editor, 2009, p. 12-16 3 RODËL Olga, La «Semaine de l'art moderne» de 1922: sept jours qui ébranlèrent la culture, Le Courier de L'UNESCO, 1986, p. 38-41

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Ma terre a des palmiers Où la mer gazouille Les oiseaux d’ici Ne chantent pas comme ceux là-bas Ma terre a plus de roses Et presque plus d'amour Ma terre a plus d'or Ma terre a plus de terre Or, terre, amour et roses Je veux tout de là-bas Ne permettez pas à Dieu de me laisser mourir Sans y retourner Ne permettez pas à Dieu de me laisser mourir Sans retourner à São Paulo Sans voir la Rua 15 Et les progrès de São Paulo. Oswald de Andrade 5

Les œuvres exposées ne relevaient pas forcément d’une esthétique moderne mais, les dé24

bats publics mobilisés autour de cet événement ont constitué un fait culturel fondamental dans la compréhension du développement du mouvement moderne au Brésil. À cette époque, l’évènement n’a pas eu d’impact majeur ou d’influence direct mais c’est au fur et à mesure des années que la Semaine à pris une valeur historique. Les exemples présentés ci-dessus sont représentatifs de l’influence qu’a eue cet événement les années qui ont suivies et de la reconnaissance de la diversité culturelle qui fabrique le pays. Les toiles de Tarsila do Amaral sont très colorées et invitent à la rêverie. D’un style nouveau, elle s’est inspirée des peintres parisiens qu’elle a rencontrés durant son voyage de 1922 notamment Fernand Léger (1881-1955).1 1 Encyclopédia Itaú Cultural, https://enciclopedia.itaucultural.org.br/, consulté le 12 Janv. 2020

5 et 6_ A Negra (1923) et Abaporu (1928),Huiles sur toiles, Tarsila DO AMARAL

Ci-dessus_ Canto de regresso à patria (1925), Chanson du retour au pays, Oswald DE ANDRADE, traduction personelle


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« Le crâne de la dame est lisse, ses yeux obliques, les lèvres lui sortent du visage [...]. Elle a le port d’une Joconde brune, nue, biscornu. Je souligne : pour la première fois, la Noire n’est plus représentée comme esclave ; elle est revendiquée comme modèle esthétique. »1 relève Jean-Yves Loude en parlant du tableau A Negra. Ici, on comprend donc bien l’évolution de la pensée des artistes brésiliens cherchant à rompre totalement avec les idéaux des siècles passés pour laisser place à une identité nationale reflétant notamment la diversité culturelle du pays. De même pour le poème de Oswald de Andrade, où l’écrivain exprime la richesse du pays et de sa nature et notamment de São Paulo, centre industriel du pays à l’époque. Il exprime aussi le mal qu’il endurerait s’il ne pouvait retourner dans son pays. Chaque nouveau mouvement artistique est une rupture avec les idées utilisées par le précédent, que ce soit à travers la peinture, la littérature, la sculpture ou la poésie. Il s'avère que le nouveau n'est pas toujours bien accepté, cela était tout à fait évident dans le cas du modernisme, qui a d'abord choqué par son souhait de créer une rupture totale avec l'esthétique européenne traditionnelle.2 La Semaine 22 a largement contribué à la transformation de la manière de comprendre l'art et l’architecture au Brésil à cette époque. Elle marque le début d’une nouvelle période qui a fortement marqué la culture ainsi que l’art et l’architecture brésilienne comme on la connaît aujourd’hui. 1 LOUDE Jean-Yves, Pépites brésiliennes, Éditions Actes Sud, 2013, p.123

2 J. WILLIAMS Richard, Brazil modern architectures in history, Reaktion Books Editor, 2009, p. 12-16

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1.2 La première Casa Modernista au Brésil Dès le début des années 1920, les idées de Le Corbusier (1887-1966) sont diffusées au Brésil à travers la revue L’Esprit Nouveau puis par des conférences données en 1929 puis en 1936. 7

De nombreux architectes ont permis la diffusion des préceptes des Européens au Brésil, parmi eux, on retrouve Gregori Warchavchick (1896-1972), précurseur de l’architecture moderne brésilienne. En effet, cet Ukrainien naturalisé brésilien fut le premier à construire une résidence moderne au Brésil en s’inspirant des idéaux des Européens tel que Walter Gropius (1883-1969), Ludwig Mies Van der Rohe (1886-1969)

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ou encore Le Corbusier. Avant d’arriver au Brésil, il a immigré en Italie en 1918 et obtenu son diplôme à l’Institut Supérieur des BeauxArts à Rome. Après deux ans et demi de travail en Italie, l’architecte débarque à Rio de Janeiro en 1923, à l’apogée de l’avant-garde moderniste. Venu d’Italie avec de

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nombreuses recommandations des architectes italiens, il a rapidement obtenu un emploi à la Santos Construc9

tion Company. À l’époque, cette entreprise était responsable de grands projets et a été l’un des pionniers de la modernisation des processus administratifs, notamment car elle comptait des employés et des bureaux dans tout le Brésil. L’architecte s’est ainsi familiarisé avec la construction qui valorise la rationalité et l’économie d’effort maximale. Ce qui l’intéressait, c’était l’utilisation des volumes de base et des matériaux apparents, contrairement à l’utilisation excessive d’ornementation

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de l’architecture italienne qu’il avait pu exercer à Rome. À la suite de ceci, il a écrit l’article Acerca da Arquitetura Moderna publié dans le journal Correio da Man-

7,8,9 et 10 _Photographies intérieures et extérieures de la Casa de Gregori WARCHAVCHICK, extraites de la page internet Archidaily 11 _Plan du RDC et du R+1 de la Casa de Gregori WARCHAVCHICK, extraits de la page internet Archidaily

hã de Rio de Janeiro en 1925, considéré comme le premier manifeste de l’architecture moderne au Brésil. Là, il s’interroge sur des questions telles que la rationalité constructive et « l’anti-décorativisme ».1 1 CAVALCANTI Lauro, Quando o Brasil era Moderno - Guia da Arquitetura 1928-1960, Aeroplano, 2001, p. 350-353


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En 1927, il s’installe à São Paulo et ouvre son bureau avec son épouse Mina Klabin. Il décide de concevoir sa propre maison pour lui et sa femme, sur un terrain de 13 000 m2, dans la Rua Santa Cruz, dans le quartier de Vila Mariana. Ce sera son premier travail en tant que professionnel indépendant : sa maison incarne les idéaux défendus dans son manifeste. Le projet, la construction, la décoration, les intérieurs, le mobilier et les luminaires sont l’œuvre de l'architecte. La maison se caractérise par l'absence d’éléments purement décoratifs, des formes géométriques bien définies, une répartition des espaces selon leurs fonctions et une valorisation de matériaux tels que le verre et le fer. À l’époque, les matériaux utilisés par les modernes tels que le béton étaient très chers et il n'existait pas de technologie constructive pour suivre à la lettre les principes modernes. Warchavchik a alors utilisé des méthodes et des matériaux conventionnels : la maçonnerie en brique a été recouverte d’un enduit blanc pour simuler le béton armé et le toit en argile a été caché par un cadre blanc. À cela, il a ajouté des façades libres et des fenêtrés en rubans. Même si la maison ne remplit pas entièrement toutes les fonctions du bâtiment moderne, elle est emblématique car elle est le symbole d’une période de transition dans le pays.1 La maison est rationnelle, confortable, fonctionnelle et possède une bonne ventilation ainsi qu’un bon éclairage soit les idéaux défendus par Le Corbusier notamment. Sa femme a conçu l’aménagement du jardin. Il sera considéré comme le premier projet d'aménagement paysager moderne dans le pays. Inspiré des paysages brésiliens, il a créé une architecture dite moderne mais adaptée à la région, au climat et aux traditions du pays. Les participants à la Semaine de l'Art Moderne de 1922, se sont prononcés sur le succès de Warchavchik à réaliser une architecture nouvelle et représentative du pays sans compromettre les qualités de la maison.2 1 Encyclopédia Itaú Cultural, https://enciclopedia.itaucultural.org.br/, consulté le 28 Déc. 2019 2 J. WILLIAMS Richard, Brazil modern architectures in history,Reaktion Books Editor, 2009, p. 13-19

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12,13 et 14_ de la Santé, A vida é um

Images illustrant le Ministère de l’Éducation et extraites du film documentaire Oscar Niemeyer, sopro (2007), Fabiano MACIEL, Production Sacha


1.3 Le Ministère de l'Éducation et de la Santé, une construction moderne reconnu à l’international L'architecture moderne brésilienne a été reconnue à l’échelle internationale qu’une dizaine d’années après grâce à la construction du ministère de l'Éducation et de la Santé à Rio de Janeiro, le MES, l’actuel Palais Gustavo Capanema, construit entre 1936 et 1943 durant le gouvernement de Getúlio Vargas. Le bâtiment se devait d’être à l’image de ce nouveau gouvernement révolutionnaire et républicain, remplaçant la « Vieille République ». La nouvelle image de l’État, le changement d’orientation politique, sociale et économique souhaitait mettre en valeur les ministères, liés aux priorités fonctionnelles de l’État et ainsi aux besoins de la population : la défense, l’éducation, la culture, la santé, le travail et l’économie, entre autres. La construction de ce bâtiment s’est alors inscrit dans la continuité d’une série de grands travaux et concours publics. Le MES a été présenté au monde, encore en phase finale de construction, à l’exposition Brazil Builds au MoMa à New York en 1942, tout comme le Conjunto Moderno de Pampulha construit en 1940 par Niemeyer et Burle Marx; symbole lui aussi de l’architecture moderne de l’époque.1 Le MES a été conçu par une équipe dirigée par Lúcio Costa sous la direction directe de Le Corbusier (1887-1966), qui vient au Brésil pour aider les jeunes architectes brésiliens à concevoir un bâtiment « moderne ». L’équipe, formée par Carlos Leão (1906-1983), Jorge Moreira (1904-1992), Ernani Vasconcelos (1912-1989), Eduardo Affonso Reidy et Oscar Niemeyer a établi une forme architecturale simple et géométrique, une composition libre intégrant les cinq points de l’architecture de Le Corbusier soit la façade libre qui s’accompagne ici de brise-soleils, le toit-terrasse, les pilotis, le plan libre et les fenêtres étendues. Les espaces verts sont totalement intégrés à l’espace urbain. Aussi, les circulations horizontales et verticales ont été réduites au maximum. Le bâtiment intègre art plastique et architecture car on y retrouve des carreaux de Cândido Portinari (1903-1962), des sculptures de Celso Antônio (1896-1984), Bruno Giorgi (1905-1993) et Jacques Lipchitz (1891-1973), ainsi que des jardins soigneusement dessinés par Burle Marx (1909-1994).2 1 CAVALCANTI Lauro, moderno e brasileiro, A história de uma nova linguagem na arquitetura (1930-60), Jorge Zahar Editor, 2006, p. 33-45 2 J. WILLIAMS Richard, Brazil modern architectures in history, Reaktion Books, 2009, p. 8-12

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15_ Photographie de la maquette du Ministère de l’Éducation et de la Santé, lors de l'exposition de L'État Nouveau en 1938, extraite de CAVALCANTI Lauro, moderno e brasileiro, A história de uma nova linguagem na arquitetura (1930-60), Jorge Zahar Editor, 2006

Ce bâtiment a été acclamé par les revues brésiliennes mais aussi américaines et européennes de son époque et représente une contribution 30

unique et importante de la culture brésilienne mais aussi internationale car construit seulement dix ans après la Villa Savoye, le bâtiment, qui dialogue avec le mouvement latino-américain et universel moderne, a largement contribué à l’évolution de la conception architecturale mondiale. Jean-Louis Cohen, historien d’architecture et d’urbanisme raconte que le bâtiment a eu un fort impact sur certains projets américains comme les gratte-ciels de Ludwig Mies Van Der Rohe à Chicago, qu’il a imaginé comme des prismes, dérivé de ceux de Rio.1 « Habitué à la sévérité des œuvres de Buenos Aires, la découverte de la légèreté, de la transparence, de la couleur des carreaux de Portinari et de la fluidité des courbes de Burle Marx m’ont montré que les principes rigides du mouvement moderne pouvaient être modifiés. »2 ajoute Roberto Segre, architecte, historien et critique d’architecture italien.

1 COHEN Jean-Louis dans Ministério da Educação e Saúde , ícone urbano da modernidade brasileira, SEGRE Roberto, Romano Guerra Editora, São Paulo, 2013, p.20-21 2 SEGRE Roberto, op.cit., p.25


1 6 _ C r o q u i s d u P l a n P i l o t e d e L úc i o C O S T A , e x t r a i t d e l a p a g e i n t e r n e t Concursos de Projetos

1.4 La construction d’une nouvelle capitale, Brasilia La construction de la nouvelle capitale, Brasilia (1957-1960) sous la direction du président Juscelino Kubitschek marquera le triomphe du modernisme au Brésil. Le retrait de la capitale du littoral date du 19e siècle mais avant le président Kubitschek, personne n'avait pris les choses en main. Au moment de décider de construire le nouveau siège du gouvernement dans le centre du Brésil, le président a alors appelé Oscar Niemeyer pour réaliser les bâtiments et la conception urbaine. Concevoir une nouvelle capitale pour l'avenir dans une région semi-aride, sans aucune contrainte culturelle sur les structures existantes, était le rêve de tout moderniste. Niemeyer a toutefois préféré ne prendre en charge que la partie architecturale, suggérant la mise en place d'un concours pour choisir le plan d'urbanisme.1

1 CAVALCANTI Lauro, Quando o Brasil era Moderno - Guia da Arquitetura 19281960, Aeroplano, 2001, p. 20-21

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Le Corbusier a vu une nouvelle opportunité de réaliser un plan urbain à grande échelle mais les Brésiliens ne voulaient pas laisser un architecte Européen réaliser ce projet qui servirait à démontrer leur force. C'est en 1957 que le président lance alors un concours d'idées avec un programme basé sur le fait que la capitale visait à donner l'exemple pour le développement futur du pays. La seule recommandation concernait la population qui devra s'élever à 500 000 habitants.1 C’est Lúcio Costa qui remportera le concours pour la planification urbaine de la ville grâce au Plano Piloto, plan urbain qui se construit autour de deux axes majeurs, un axe Est-Ouest et un axe résidentiel incurvé Nord-Sud. À l'intersection des deux, le cœur de la ville, destiné à la gare routière et aux secteurs du divertissement et du commerce. Sur l'axe principal, se trouvent les bâtiments publics du pouvoir et de la bureaucratie tels que le Parlement ou encore l’ensemble des ministères. On retrouve aussi la Cathédrale, 32

mais aussi le Musée National de la République et le Complexe Culturel. Ces bâtiments prestigieux et futuristes ont tous été dessinés par Oscar Niemeyer ; les jardins, parcs et espaces publics, eux, seront réalisés par le paysagiste Roberto Burle Marx. Au même moment, le mouvement moderne commence à subir de nombreuses critiques d’un point de vue international.2 L’inauguration de la ville a été célébrée comme quelque chose de bien plus grand que la simple construction d’une nouvelle capitale : c’est une fierté, la concrétisation du désir de progrès et d’un avenir meilleur.3

1 CAVALCANTI Lauro, moderno e brasileiro, A história de uma nova linguagem na arquitetura (1930-60), Jorge Zahar Editor, 2006, p. 207-215 2 DE SOUZA Abelardo, Arquitetura no Brazil depoimentos, Editora da Universidade de São Paulo, 1978, p.38-46 3 MONNIER Gérard, Brasilia L'épanouissement d'une capitale, Collection architectures contemporaines, Éditions A. et J. Picard, Paris, 2006, p.18-29


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ographies personnelles CatĂŠdral Metropolitana, Brasilia Ministerios, Brasilia Edificio do Congresso, Brasilia


D’après ces exemples - manifestations et premières constructions modernes - on peut en déduire que l’architecture moderne brésilienne n’a pas directement son origine dans son architecture baroque ou coloniale. Ce n’est pas non plus une copie du mouvement archi34

tectural européen moderne puisqu’elle s’est développée au Brésil de manière totalement autonome et indépendante. Elle se définit plutôt comme un désir de libération, une pensée nationale adaptée aux besoins, à la culture, aux formes et aux matériaux du pays ou encore comme un « héritage culturel européen mais ethniquement métisse, tropical, influencé par des cultures primitives »1 comme l’a si bien définit Antônio Cândido, philosophe et critique littéraire brésiliens du 20e siècle.

1 CANDIDO Antonio, cité dans FERREIRA MARTINS Carlos, « Identidade nacional e estado no projeto modernista. Modernidade, estado e tradição », Óculum, no 2, septembre 1992, p. 283


20_ ROT,

Construction de Brasilia (1959), Marcel GAUTHECollection Instituto Moreira Salles, S P, BRÉSIL


21_ Park Hotel, Nova Friburgo, 1944-1945,RJ

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22_ Parc Guinle, Rio de Janeiro, 1948-1954, RJ

21 et 22_ Photographies de résidences réalisées par Lúcio COSTA extraites de WISNIK Guilherme, Lúcio Costa Espaços de Arte Brasileira, Cosac & Naify Édições, 2001


2. Entre Cariocas et Paulistas 2.1 Rio de Janeiro, une architecture poétique et tropicale : Oscar Niemeyer et Eduardo Affonso Reidy À partir de la fin des années 1930, un groupe d’architectes basés à Rio de Janeiro, notamment Lúcio Costa, Oscar Niemeyer et Eduardo Affonso Reidy créent un nouveau langage architectural ; un style national moderne, que l’on nommera l’École Carioca. C’est ici que l’on a vu naître une réelle consolidation d’une architecture à la fois moderne et typiquement brésilienne. Comme figure emblématique, on retrouve notamment Lúcio Costa. C'est un des premiers à avoir exprimé cette volonté de progresser et de rompre avec le passé tout en conservant un attachement sentimental et rationnel à cet héritage. Les exemples de résidences réalisées par l’architecte expriment totalement cette volonté : les toits sont en tuiles coloniales, des fermes en bois et des briques creuses protègent du soleil et assurent l'intimité, des balcons longent tout l'étage ; une cour intérieure permet de se réunir et les pièces sont moulées en béton.1 En 1938, Lúcio Costa et Niemeyer ont conçu le pavillon du Brésil à l'Exposition Universelle de New York. C’est quelques mois plus tard, au cours de l'exposition Brazil Builds au MoMa de New York que le bâtiment gagnera une répercussion mondiale.2 D’autres architectes comme les trois frères Roberto font partis de cette École. Ils ont notamment réalisés le bâtiment de l’Association Brésilienne de la Presse, achevé quelque temps avant le Ministère de L’Éducation et de la Santé et représentant le premier exemple de l’architecture de cette École, pour sa fonctionnalité et ces autres caractéristiques reflétant l’évolution de l’architecture au Brésil : traitement de l’excès de lumière grâce à des brises et des pare-soleils, structure indépendante, jardin sur le toit ou encore utilisation du béton en façade ; nombreux éléments que l’on retrouve d’ailleurs dans le Ministère.3 La production de cette architecture ne se limite pas à la ville de Rio. Effectivement, on retrouve dans plusieurs villes brésiliennes comme Curitiba ou Belo Horizonte, des œuvres similaires et aussi une variété de styles s’inscrivant dans la lignée de cette École. Ce mouvement est considéré comme moderne bien que de nombreux travaux fasse référence au Style International ; courant architectural caractéristique des Trente Glorieuses qui met en valeur les volumes par des surfaces extérieures lisses et régulières. Le Style International marque l’arrivée des idées du Mouvement Moderne aux États-Unis, notamment par l’intermédiaire de Philip Johnson à New York et Ludwig Mies Van Der Rohe à Chicago; leurs projets résultant du mariage des idées de l’École du Bauhaus et des techniques de construction en acier et en verre des États-Unis. 1 WISNIK Guilherme, Lúcio Costa Espaços de Arte Brasileira, Cosac & Naify Édições, 2001, p. 12-15 2 DE SOUZA Abelardo, Arquitetura no Brazil depoimentos, Editora da Universidade de São Paulo, 1978, p.33-37 3 DE SOUZA Abelardo, op.cit., p.97-109

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Une différence importante entre l'architecture de l'École Carioca par rapport aux autres courants modernes de cette époque notamment le Style International est la relation entre modernité et tradition, créant un nouveau langage architectural sans totalement ignorer le passé soit l’héritage ethnique et colonial entre autres. Son origine vient en premier lieu de l'inconfort des architectes brésilien au style éclectique, c’est-à-dire à l’emprunt et à la confrontation d’éléments variés de différents styles n’ayant aucune réelle explication à être mêlé les uns avec les autres. En effet, les architectes cariocas souhaitaient créer une identité propre à la ville ainsi qu’au pays en puisant dans leurs ressources et dans leurs héritages et non pas en piochant des choses ici et là-bas pour essayer d’en créer une nouvelle. Elle est née aussi des nouvelles possibilités induites par l'industrialisation accélérée et des innovations techniques avec le béton armé. L’École Carioca se caractérise selon moi par une composition variée et dynamique de volumes, d’un enchainement élégant de courbes, de lignes et de diagonales, d’une transparence entre les espaces et d’un prolongement des surfaces, qui se plient, se retournent, s’inclinent, s’incurvent sur elle-même. L’utilisation d’un béton lisse et brut est aussi un élément récurrent dans l’architecture carioca.

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_OSCAR NIEMEYER Oscar Niemeyer, né en 1907 à Rio et considéré comme le chef de file de cette École, mais aussi de l’architecture moderne à l’échelle internationale.1 Je définirais son œuvre comme une « exubérance » poétique. En d’autres termes, il a réalisé ce que personne d’autre n’avait osé faire avant, et cela, d’une manière pure, claire, élégante et intense. Il harmonise les formes en y intégrant une beauté fonctionnelle dialoguant avec l’homme pour l’homme, physiquement et mentalement. Dans le trait de Niemeyer, dans sa courbe, on ressent effectivement le mouvement, le rêve, le frisson de la vie, comme le décrit si bien Danille Knapp, et c’est avec le béton lisse et blanc qu’il va s’exprimer. Il lui donne ainsi la forme qu’il en a envie, il le tord, l’allonge, le compresse, le rétrécit afin de dialoguer toujours et encore avec l’homme, avec la vie. C’est à travers cette courbe qu’il va dialoguer. Il modèle le vide afin de créer des espaces fonctionnels pour chaque individu tout en assurant une interaction entre ces espaces. L’architecte prend très au sérieux la fonction primordiale de l’architecture, créer des espaces dédiés à la vie. Il va au-delà de la satisfaction des exigences fonctionnelles en créant des surprises. L’homme est davantage sensible à son architecture car elle est issue d’un geste intuitif, de son trait et non pas d’un processus entièrement intellectuel.2

1 DE SOUZA Abelardo, Arquitetura no Brazil depoimentos, Editora da Universidade de São Paulo, 1978, p.57-79 2 Ibid.


23_ Croquis d'Oscar NIEMEYER, extrait de TRASI Nicoletta, Permanence et invention , Éditions du Moniteur, 2007

«Oscar Niemeyer navigue dans l’espace par la ligne courbe. Une courbe qui est comme une vague, qui ondule souple et différente dans son mouvement régulier et crée la vie. La vie qui bouge et vous saisit. Poursuivant un idéal d’innovation créatrice permanente pour atteindre une esthétique finalisée dans une défense de valeurs spirituelles et philosophiques, Oscar Niemeyer continue de battre en brèche la monotonie d’une architecture bridée et de tourner la page. Sa courbe est une croisade dans l’espace et dans le temps, dessinée par une main au geste sûr et amoureux. Son architecture est foi en quelque chose qui évolue « dans les montagnes de la liberté qui n’ont pas de frontières » selon une expression de l’écrivain italien Mario Rigoni Stern, laquelle convient parfaitement à cet artiste insoumis, anticonformiste qui se révèle un être des plus attachants, d’un continent à l’autre. Un homme debout, mais qui sait rêver et se laisser porter par le plaisir. Sa courbe dit tout : elle est métamorphose.»1

1 KNAPP Danielle, Promenade avec Oscar Niemeyer,le bonheur est dans la courbe, Éditions Petit à Petit, 2015, p. 18.

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_EDUARDO AFFONSO REIDY Eduardo Affonso Reidy, quant à lui, est né à Paris en 1909 mais a grandi et vécu à Rio de Janeiro où il est devenu brésilien naturalisé. Il a étudié à l’École Nationale des Beaux-Arts de Rio, comme Lúcio Costa, de 1926 à 1930. Très vite, il rejoint le groupe d’architectes dirigé par l’urbaniste Alfredo Agache pour les travaux urbains de la ville. Il s’est battu tout au long de sa carrière pour une architecture économique et sociale. Il construisait pour les gens, pour la vie ; non pas pour lui. Ces plans répondent toujours à des problématiques humaines et sociales tout en maîtrisant parfaitement la question structurelle.1 Il ne cherchait pas la beauté mais l’utile et le révolutionnaire, ce qui pourrait rendre la vie communautaire meilleure, agréable du moins. Il faisait face à la réalité pour la transformer efficacement à partir des préceptes urbains, fonctionnels et constructifs. Son travail est le mariage entre les possibilités d’une nouvelle architecture et le maintien de la diversité culturelle et des ressources naturelles préexistantes. En 1932, il devient architecte en chef au District Fédéral de la ville, et occupera ce poste pendant 25 ans. Reidy, tout comme 40

Niemeyer, était très sensible aux conditions régionales. Ainsi, il a toujours cherché, dans son œuvre, à trouver des solutions appropriées au climat et à élaborer des systèmes de protection contre l’ensoleillement parfois de manière très esthétique. Ceci s’accompagne d’une volonté d’incorporer des éléments d’une grande plasticité et une structure en tant qu’élément décisif de la composition. Beaucoup de ces projets ont été réalisés avec sa femme, Carmen Portinho (1903-2001), troisième femme diplômée d’ingénierie dans le pays. Son projet le plus connu est le Musée d’Art Moderne de Rio construit en 1960.2 La production architecturale de Rio de Janeiro est ainsi apparue comme l’image de l'architecture moderne au Brésil. Elle a apporté au mouvement moderne une certaine forme de liberté à laquelle s’ajoute une légèreté structurelle. Cependant, au même moment, à São Paulo, d'autres architectes pionniers comme Warchavchik, Vilanova Artigas, ou encore Lina Bo Bardi se sont, eux aussi, mis à la recherche de leur propre langue comme expression.

1 CAVALCANTI Lauro, Quando o Brasil era Moderno - Guia da Arquitetura 1928-1960, Aeroplano, 2001, p. 22-23 2 DE SOUZA Abelardo, Arquitetura no Brazil depoimentos, Editora da Universidade de São Paulo, 1978, p.111-122


2.2 São Paulo, entre brutalisme et tradition : Lina Bo Bardi et Vilanova Artigas L’école Pauliste à São Paulo désigne un groupe d’architectes Brésiliens formé dans les années 1950. Si l’architecture produite à Rio a fonctionné comme un modèle réussi de modernité nationale, l’architecture crée à São Paulo s’est développée loin de l’attention du public international en se concentrant sur un contexte interne en émergeant à une époque de bouleversements idéologiques et nationalistes considérables.1 Tandis qu’à Rio, les architectes expriment la liberté à travers un esthétisme formel, les Paulistes, eux, ont ajouté à leur recherche conceptuelle une certaine forme de militance politique. De plus, les architectes Paulistes considèrent les revêtements comme dissimulateurs et prônent ainsi pour une architecture utilisant des matériaux à l’état naturel. La beauté est ainsi associée à la vérité constructive. On parle alors de « Brutalisme ». Ce courant s’est développé au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, d’abord en Angleterre puis en France et ensuite dans le monde entier, notamment au Brésil. Dans la revue, The Architectural Review de Décembre 1955, le critique d’architecture Reyner Baham explique que le terme de Brutalisme aurait été introduit par l’architecte Suédois Hans Asplund pour décrire les œuvres des architectes Peter et Alison Smithson mais aussi de l’utilisation du « béton brut » par Le Corbusier notamment dans l’unité d’habitation de Marseille construit en 1952.2 Ce mouvement met l’accent sur des techniques innovantes exploitant au maximum les qualités du béton. Celui-ci est coulé in situ afin d’expérimenter des formes et des structures nouvelles et élégantes. Travailler le béton de cette manière n’apparaît pas comme une recherche purement technique ou esthétique. Effectivement, ces caractéristiques révèlent un projet politique pour le pays, qui mise sur l'industrialisation, pour surmonter le sous-développement. Les superstructures en béton permettent de créer de vastes espaces permettant de se réunir et ainsi de créer de nouveaux contacts humains. Les Paulistes veulent effacer les hiérarchies sociales existantes pour laisser place à une vie communautaire égalitaire où chacun est libre de se déplacer, d’échanger, de partager comme bon lui semble. Le mouvement apparaît dans un contexte architectural révolutionnaire et l’architecture Pauliste cherche ainsi à résoudre les problèmes sociaux et politiques du pays. D’autres architectes comme Paulo Mendes Da Rocha (1928) ou encore Joaquim Guedes (1932-2008) sont des figures emblématiques de l’École Pauliste.3

1 LEPIK Andres, SIMONE BADER Vera, Lina Bo Bardi 100: Brazil's Alternative Path to Modernism, Éditions Ostfildern : Hatje Cantz Verlag, 2014, p.10-15 2 The Architectural Review, https://www.architectural-review.com/, consulté le 17 Janv. 2020 3 Encyclopédia Itaú Cultural, https://enciclopedia.itaucultural.org.br/, consulté le 16 Janv. 2020

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_LINA BO BARDI Cette dernière a réalisé des bâtiments d’une écriture brutaliste évidente bien qu’elle n’est jamais faite partie de cette École à proprement dite. On caractérise son architecture comme une intention esthétique et éthique. Tout comme Artigas, le travail de Bo Bardi comprend des préoccupations politiques et sociales importantes. Pour elle, l’humanité et les luttes collectives sont bien plus importantes que les aspirations individualistes. Née en 1914 en Italie, puis venue vivre au Brésil en 1946, elle est diplômée en 1939 de la Faculté d’Architecture de Rome avec un projet s’intitulant « Soins essentiels pour la maternité et la petite enfance ». Il s’agit d’un refuge pour les mères célibataires dans l’Italie d’avant-guerre combinant son influence moderniste avec le rôle social de l’architecte. Dans le livre Lina Bo Bardi, biographie écrite par Zeuler R.M de A.Lima1, architecte et professeur à l’Université de Washington, l’auteur raconte que ce qui a séduit Lina Bo Bardi lors de son arrivée au Brésil c’est l’architecture spontanée, l’art populaire et les objets du quotidien. 42

Sa sensibilité ne correspondait alors pas à l’intérêt des autres architectes brésiliens pour l’édification moderne de la nation. Elle était très sensible aux manifestations culturelles et à la culture afro-brésilienne de la région Nord-Est du Brésil. Elle était davantage fidèle au concept émancipateur de la modernité qu’au langage formel et abstrait de l’architecture moderne. La réflexion et la pratique de Bo Bardi se situent à l’intersection de différentes visions du monde : Nord et Sud, ville et arrière-pays, privilège et privation mais aussi au carrefour des valeurs modernes et traditionnelles, passées et présentes, réalistes et sociales. Bien qu’elle admirait le travail d’Oscar Niemeyer, elle a dirigé un journal s’intitulant Habitat dans lequel elle laisse la parole à des critiques de l’arbitraire formel du « Brazilian Syle » représenté par ce dernier.2 Le Musée d’Art de São Paulo dit le MASP est sans doute son œuvre la plus connue, il s’agit d’une boite en verre soutenue par de gros supports en béton rouge. Le bâtiment semble flotter dans l’air. Avec le Musée d’Art Moderne de Reidy à Rio et la Faculté d’Architecture d’Artigas à São Paulo, le projet du MASP a été l’un des premiers bâtiments publics au Brésil à adopter l’utilisation de béton armé brut. 1 A.LIMA, Zeuler R.M., Lina Bo Bardi, Yale University Press, New Haven et Londres, 2013, p.36-39 2 Ibid.


_VILANOVA ARTIGAS À la tête de ce mouvement moderne au Brésil, João Batista Vilanova Artigas, architecte et ingénieur, né en 1915 et diplômé de l'École polytechnique de l'Université de São Paulo en 1937, se démarque pour ses œuvres mais 24

aussi pour sa position politique affirmée: militant communiste, il prône pour une architecture qui répond à des besoins sociaux. En effet, la fragmentation sociale, la pauvreté et la ségrégation sont des problèmes dont fait face le pays et pour Artigas, son devoir est de les résoudre. Sa première grande influence est Frank Lloyd Wright (1867-1959), puis au fur et à mesure des années, son style se rappro-

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chera de celui de Le Corbusier. Les caractéristiques communes de ces deux grandes figures qu'on retrouvera dans l'œuvre d'Artigas sont la connaissance constructive et la poétique formelle, exprimées dans leurs idéologies de travail. C'est à partir de 1956, lorsque Artigas construit la Casa Baeta, puis avec un de nombreux projets réalisés entre 1959 et 1961 que l’architecte va se faire une place et devenir

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un des architectes les plus reconnus du pays. Entre 1966 et 1969, il réalise la FAU, Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’Université de São Paulo qui va devenir le bâtiment emblématique du mouvement Brutalisme Pauliste. En effet, l’utilisation du béton armé, laissé brut et apparent permettant de grandes portées et de vastes plans horizontaux, la continuité spatiale, l’éclairage zénithal et l’em-

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ploi de rampes sont des caractéristiques de la FAU et définissent aussi le Brutalisme Pauliste.1

24,25,26 et 27_ Photographies du Musée d'Art Moderne de Reidy, de la Faculté d'Architect u r e d ' A r t i g a s , d u M u s é e d ' A r t d e São Pa u l o d e Bo Bardi et du Musée de la Sculpture de Da Rocha, extraites de la page internet Archidaily

1 ARTIGAS Laura, Vilanova Artigas : o arquiteto e a luz (2015), Film documentaire, Olé Produções

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28 et 29_ Photographie et croquis de la Casa Das Canoas d'Oscar Niemeyer, extraite de JODIDIO Philip, Oscar Niemeyer 1907-2012 L'éternité avant l'aube, Éditions Taschen, 2006


3. Discours sur l’architecture et le paysage : Niemeyer, Reidy, Bo Bardi et Artigas 3.1 Niemeyer, le paysage en tant que protagoniste Chez Niemeyer, la nature, le paysage n’est pas apprécié depuis «un ici » à travers une fenêtre cadrée, rectangulaire, rigide comme dans la Villa Savoye par exemple. Le paysage est un protagoniste dans les œuvres qu’il crée, en y intégrant des espaces intérieurs à la manière de Richard Neutra (1892-1970). En effet, dans les maisons de l’architecte américain, ce ne sont pas les espaces habités qui viennent s’intégrer au paysage mais plutôt le paysage qui vient intimement se fondre dans l’espace. Ainsi, Niemeyer cherche à brouiller les frontières entre naturel et construction malgré l’utilisation d’un béton lisse et blanc qui tape à l’œil. « Son architecture continue de livrer un combat de civilisation. Elle a une dimension humaine, elle est habitée par l’homme et le mouvement. Le mouvement qui est dans la courbe. La courbe qui est mouvement perpétuel, corps de femme qui se donne et engendre la vie. »1. Il aimait la vie, ses espaces architecturaux apparaissent comme une expérience de la vie. Sa courbe est une forme ouverte ; ouverte sur le monde et le paysage. Dans la Casa Das Canoas, maison de Niemeyer qu’il construit en 1952, située dans la forêt de Tijuca à Rio de Janeiro, la végétation et le relief pénètrent dans la maison ; les images ci-contre illustrent l'espace intérieur de la maison et la piscine venant se construire sur la roche, en la laissant à son état naturel. Le climat et les paysages tropicaux, le baroque d’origine ibérique et les lignes sinueuses en béton armé sont des éléments générateurs du travail de Niemeyer. Il aime beaucoup son pays et il est très soucieux de ce qui l’entoure, que ce soit naturel ou urbain.2

1 KNAPP Danielle, Promenade avec Oscar Niemeyer, le bonheur est dans la courbe, Éditions Petit à Petit, 2015, p. 81 2 MACIEL Fabiano, Oscar Niemeyer A vida é um sopro (2007), Film documentaire, Production Sacha

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3.2 Reidy, le paysage comme outil de conception Reidy, lui, cherche à intégrer le paysage environnant à ces projets en y répondant de manière claire et sensible, avec des formes simples et des matériaux de tous les jours. Il a cherché à intégrer ces espaces de manière à respecter les lieux où ils ont été construits. Dans Pedregulho : Enseñar a vivir en la nueva ciudad, les auteurs ont retranscrit un entretien entre Ferreira Gullar, Alfredo Brito et Affonso Eduardo Reidy, publiée à l’origine dans le Jornal do Brasil, le 11 mars 1961. Ici, l’architecte nous livre que « La richesse de la flore, le caractère dramatique du paysage et la chaleur du soleil sont peut-être à l’origine de la tendance, assez fréquente, d’une exubérance formelle. »1. Dans le projet de construction du Musée d'Art Moderne de Rio, Reiddy délimite naturellement l'espace du musée à l'aide de hauts palmiers disposés de façon linéaire. Ici, l'architecte reconnaît le rôle de la nature comme élément de conception, même si elle est conçue artificiellement. Dans le projet de logements du Pedregulho, la nature est ce qui a déclenché le processus de conception. Il articule le plan bas et le plan haut de la pente en positionnant le bâtiment parallèlement à cet axe. Le bâtiment construit près du remblai sert de réponse positive à la recherche d'une vraie vocation paysagère. La topographie du site n'est plus considérée comme un obstacle ; elle devient une caractéristique physique naturelle qui influence le geste et la définition du projet architectural. 46

30_ Dessin du MAM, extrait de la page internet Archidaily

31_ Croquis du Pedregulho, extrait de la page internet Archidaily

1 CAIXETA Eline, «Pedregulho: Enseñar a vivir en la nueva ciudad» ,DPA, nº 19. Barcelona, abr. 2003, p. 6, traduction personnelle


3.3 Bo Bardi, la tradition comme allégorie de la nature et du paysage Lina Bo Bardi cherche l’équilibre entre tradition et modernité. En effet, elle intègre esthétisme et culture afro-brésilienne au principe rationaliste en insérant des matériaux et des formes vernaculaires. Son architecture est sociale mais elle se qualifie aussi de spontanée et organique. Dans son œuvre, la nature permet de créer un lien entre tradition et construction moderne. Dans ces premiers projets, l’importance du paysage est flagrante. La Casa de Vidro, « Maison de Verre », construite en 1950 pour elle et son mari, est le premier projet qu’elle a réalisé et ceci à l’âge de 36 ans. Elle crée un groupe compact de trois structures situées au sommet de la colline ayant une superficie de base de 20 sur 27 m au total. La maison d’une surface de 7000 m2 au total a été brisée par un système de sentiers et de murs de soutiens, conçus avec des surfaces recouvertes de galets ou de céramique concassés reliant ainsi le bâtiment au paysage.1 La structure centrale de l’édifice est soutenue par onze piliers en acier ; un escalier permet d’accéder à l’espace de vie se situant en hauteur. Depuis le palier de l’escalier, une vue s’ouvre sur le paysage, on est ainsi reçu dans la maison par un cadre imprégné de la nature car l’espace de vie est entouré de quatre grands murs vitrés. L’avant de la maison est un mur-rideau qui transmet une impression suspendue. Ainsi, elle expérimente le contact de l’homme avec la nature en créant une architecture surélevée et transparente. Dans la Casa Cirell, construite en 1958, située dans le même quartier que la maison précédente. Ici, elle n’incorpore pas le paysage à l’architecture comme dans la Casa de Vidro mais elle va plutôt fusionner l’architecture avec la matérialité de la nature pour créer une maison rurale et vernaculaire. Ainsi, nature et architecture ne font plus qu’un. Les murs vitrés de la Casa de Vidro sont remplacés par des murs opaques où viennent s’incruster des cailloux et des morceaux de céramique. La nature est omniprésente : les vérandas sont en chaume, les poteaux structurant la maison sont en troncs d’eucalyptus, l’eau de la piscine vient dessiner élégamment le jardin. « Cela montre l’effort de Lina Bo Bardi à surmonter la dichotomie nature-artificiel en détruisant la pureté de la boite à outils rationalistes avec une présence croissante de la végétation et de la minéralisation sur les surfaces. »2. Dans ces bâtiments publics tels que le MASP et le SESC, elle mélangera l’architecture brutaliste et social à des inspirations naturelles en intégrant notamment des bassins d’eau et des formes organiques. Ainsi, dans ces bâtiments, elle va s’inspirer de la nature afin de créer un paysage intérieur à l’image du pays et de sa nature luxuriante. 1 LEPIK Andres, SIMONE BADER Vera, Lina Bo Bardi 100: Brazil's Alternative Path to Modernism, Éditions Ostfildern : Hatje Cantz Verlag, 2014, p.195-205 2 LEPIK Andres, SIMONE BADER, op.cit., p.209, traduction personelle

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32_ Photographie de la Casa de Vidro, extraite de la page internet Archidaily 33 et 34_ Photographie et dessin de la Casa Cirell, extraite de la page internet Archidaily


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35, 36 et 37_ Dessins de Lina Bo Bardi illustrants ces inspirations naturelles, extraits de LEPIK Andres, SIMONE BADER Vera, Lina Bo Bardi 100: Brazil's Alternative Path to Modernism, Éditions Ostfildern : Hatje Cantz Verlag, 2014


3.4 Artigas, continuité spatiale et paysage Dans son œuvre, Artigas recherche la continuité spatiale entre le paysage et ses espaces. Le paysage rentre à l'intérieur de ses œuvres. Ce rapport au paysage est notamment explicite dans les maisons qu'il a réalisées. Dans la Casa Berquó construite à São Paulo en 1967, conçue pour le couple Elza Berquó et Rubens Murilo Marques, professeurs à l'Université de São Paulo, la résidence de plain-pied est organisée autour d'une cour extérieure centrale. Cette cour n'est pas un patio fermé entre quatre murs vitrés mais plutôt une portion de paysage autour de laquelle les espaces s'articulent. Ici, il n'y a donc pas de délimitation entre le dedans et le dehors. De plus, quatre troncs d'arbres permettent de soutenir la dalle du toit, ce qui traduit bien le prolongement du paysage dans l'ensemble de l'espace à vivre. Dans la Segunda Casa de l'architecte construite à São Paulo en 1949, Artigas va surélever une partie des espaces de vie pour laisser le paysage passer en dessous. La nature nous accompagne dans notre parcours pour rentrer dans la maison. De plus, les circulations sont entièrement 50

vitrées, le plafond est le seul élément qui nous rappelle que l'on est à l'intérieur ; sinon on serait certain du contraire. Le paysage traverse l'espace intérieur, les parois vitrées assurent ici une continuité visuelle. Tout comme dans ces résidences, il va assurer cette continuité spatiale entre paysage et espace intérieur dans ces bâtiments publics et notamment dans la Faculté d'Architecture. Ce qui m’a paru similaire chez ces quatre architectes et de manière plutôt flagrante lorsque je parcourais ces espaces, c’est leur besoin, leur envie de construire pour les autres tout en cherchant à offrir à chacun la possibilité de se retrouver soi-même en tant qu’individu propre et autonome. En effet, dans leurs discours, ces quatre architectes expliquent la nécessité qu’ils ont eue à concevoir une architecture pour la collectivité, pour le partage et l’échange, pour la convivialité ; pour la vie finalement. On se retrouve dans leurs œuvres comme pris dans un double mouvement : à la fois, on se trouve au centre des attentions, des énergies communes qu’offrent les espaces généreux, accueillants et mouvants de leurs architectures ; d’autre part, on se retrouve comme seul face au paysage environnant mais aussi face à nous-mêmes d’une certaine manière car, je l’ai dit précédemment, parcourir le paysage représente à mes yeux un cheminement vers une quête d’un certain soi.


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38 et 39_ Photographies de la Segunda Casa, extraites de la page internet Archidaily 40_ Photographie de la Casa Berquรณ, extraite de la page internet Archidaily



PARCOURIR LE PAYSAGE DANS L’ARCHITECTURE MODERNE BRÉSILIENNE

II.


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1. Contextes historiques, urbains et paysagers de quatre projets brésiliens 1.1 Rio de Janeiro, ville fragmentée et nature luxuriante : Le Musée d’Art Contemporain de Niterói et le Pedregulho Rio, est une ville iconique dans le monde entier. Surnommée la « Cidade Maravilhosa» soit la Ville Merveilleuse, elle est inscrite dans un site magnifique, la baie de Guanabara, entre mer et montagne entre soleil et musique. Le Morro do Corcovado, là où règne le Christ Rédempteur, veille sur la ville du haut de ces 700 m. Rio est la seconde ville la plus peuplée du Brésil après São Paulo : 6 millions d’habitants intra-muros et 12 millions dans l’aire urbaine. Premier paysage urbain classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, la ville de Rio est un brassage entre cultures européennes, héritage afro-brésilien et culte catholique. Rio c’est aussi la samba, la bossa nova, le carnaval ou encore le futebol et les aguas de coco.


Après seulement quelques semaines à Rio, j’avais déjà cette impression de ville fragmentée. Et cette impression m’est restée. Est-ce une impression péjorative d’avoir l’impression de faire affaire à plusieurs morceaux de ville dans une ville et non pas à un seul et même tout ? Je ne pense pas. Au contraire, j’ai trouvé très agréable cette qualité que la ville avait de passer du tout au tout d’une rue à l’autre. À General Osorio à Ipanema par exemple, une rue seulement sépare la plage et les hôtels de luxe à la favela de Cantagalo. Malgré cette fragmentation, on s'y sent bien, libre et l’ambiance qui y règne permet de réunir tous ces morceaux de villes car cette ambiance est commune à tous les moindres coins de rues, a toutes les populations, toutes les cultures. Aussi, la nature est un élément omniprésent dans la ville. Parfois, on se demande même si on se trouve vraiment dans une métropole. La nature vient elle aussi fragmentée la ville, en effet, les collines appelées «Morros», viennent ponctuer le paysage urbain. La photographie ci-contre de Claudia Jaguaribe illustre bien ce propos. Malgré ces belles plages, son patrimoine et l’intensité qui jaillit d’elle, Rio est aussi là où l’on retrouve drogues, violences, et «communidade» plus communément appelé les favelas. En 2000, le Brésil était, selon L’UNESCO, le quatrième pays le plus dangereux du monde avec 27,1 homicides/100 000 habi56

tants. C’est dans les hauteurs de Rio que les favelas se sont développés, à partir du 19e siècle en raison d’une part de l’abolition de l’esclavage en 1888 mais aussi de la démobilisation des soldats de la guerre du Nordeste, que les autorités vont installer dans des logements précaires sur le Morro da Providencia, qui sera en fait la première favela.1 À la fin du 19e siècle, la ville a subi de grands travaux d’embellissement et à partir des années 1950, le paysage urbain de Rio va considérablement changer surtout le long des plages qui vont accueillir un grand nombre de condominios et d’hôtel de luxe mais aussi avec la création de parc comme l’Atterro do Flamengo. En 2009, la ville lance le projet du « Porto Maravilha », projet de rénovation du centre historique et portuaire de la ville en vue d’accueillir la Coupe du Monde de 2014 et les Jeux Olympiques de 2016. Le paysage de Rio c’est aussi l’espace public de Burle Marx, ses promenades publiques le long de la mer, son pavement traditionnel portugais, ses formes abstraites élégantes et dessinées au sol.2 Depuis un peu plus de 20 ans, c’est en dehors du centre de la ville que l’on voit se développer de nouveaux espaces culturels tels que la Cidade das Artes de Christian de Portzamparc à Barra da Tijuca ou encore le MAC de Niemeyer à Niteroi de l’autre côté de la baie. 1 PARIS Didier dans Brésil expériences sensibles, sous la direction de RÉMIGNON Philippe, Éditions Maison de l'architecture et de la ville Nord-Pas de Calais, 2012, p.18-25 2 Ibid.


41_ Menina na Lage, issue de la série Entre Morros (2010), 180x110 cm, Claudia JAGUARIBE, RJ, BRÉSIL


_Le Musée d’Art Contemporain de Niterói, Oscar Niemeyer C’est en mai 1991 qu’est né l’accord de prêt entre João Leão Sattamini Neto, collectionneur d’art contemporain, Italo Campofiorito, architecte et critique d’art, alors secrétaire à la Maison de la Culture de Nitéroi et le maire, Jorge Roberto da Silveira afin de créer un musée d’art contemporain. Ce fut l’idée de la fille d’Oscar Niemeyer, Anna Maria Niemeyer d’envoyer son père réaliser ce projet qui devra permettre de recevoir cette fameuse collection d’art. L’architecte brésilien fut alors invité par la municipalité afin de créer un Musée d'Art Contemporain à la hauteur de la collection de João Sattamini1. Cette dernière représente, en effet, une des plus importantes collections d'art contemporain du pays. D'environ 1200 pièces, elle permet de raconter une partie de l’histoire récente du pays.2 Oscar Niemeyer alors accompagné d’Italo Campofiorito et de Jorge Roberto da Silveira ont alors commencé à chercher un terrain en bord de mer, propice pour accueillir ce nouveau bâtiment. Le 15 juillet 1991, l'architecte et le maire présenté déjà à la presse l'avant-projet architectural: beau et absolument incroyable, à l'échelle du paysage et dans une structure en béton armé avec un support central. À 16 mètres de haut, le MAC s'élève du sol sur une seule base cylindrique de 9 mètres de diamètre qui supporte l'ensemble du bâtiment, ancrée dans un sabot géant de deux mètres de haut. Un miroir d'eau de 817 m² et de 60 centimètres de profondeur donne de la légèreté à la construction3. 58

Comme l'illustrent les images ci-contre, croquis des premières intentions de l'architecte, la forme est née de la beauté du site. Niemeyer y inscrit : « La vue sur la mer était magnifique et cela valait la peine d'en profiter. J'ai suspendu le bâtiment et sous lui le panorama se prolonge sur Rio. »4. L'architecte crée une continuité avec le paysage et la mer en les utilisant comme protagoniste de son œuvre. Le musée vient se libérer du site : le support central réduit permet au bâtiment de flotter dans l’air, comme pour venir le préserver. Le bâtiment se trouve dans le quartier de Boa Viagem, à Niteroi, dans la baie de Guanabara en face des montagnes de Rio de Janeiro, notamment le Pain de Sucre. En bas du site, la plage de Boa Viagem, un peu plus loin le long de la baie, une église fortifiée du 16e siècle prend place en haut de la petite île du même nom. Derrière, une communauté dit favela est installé dans les hauteurs sur le Morro do Palacio, quelques résidences luxueuses se sont installées au pied du musée ces quinze dernières années. À la suite de ce projet, la ville de Niteroi a invité l'architecte à construire d'autres projets le long de la baie; cathédrale, théâtre et centre cuturel entre autres. Cette série d'interventions portera le nom de Caminho Niemeyer, soit le Chemin Niemeyer, son deuxième plus grand projet urbain après Brasilia.5 1 JODIDIO Philip, Oscar Niemeyer 1907-2012 L'éternité avant l'aube, Éditions Taschen, 2006, p. 91 2 Préfetura Niteroi, http://culturaniteroi.com.br/macniteroi/, consulté le 21 Déc. 2019 3 Ibid. 4 Ibid., traduction personnelle 5 TRASI Nicoletta, Permanence et invention , Éditions du Moniteur, 2007, p.61-80


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42 et 43_ Pages de croquis d'Oscar NIEMEYER, extraites de la page internet PrĂŠfeitura Niteroi


Pedregulho MAC

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45_ Le MAC

46_ Le Bloc A du Pedregulho

44, 45 et 46_ Plan de situation et photographies aériennes du MAC et du Pedregulho, extrait de la page internet Google Maps 47_ Coupe de terrain du Pedregulho, extrait de la Revista Tecnologia e Tendências, Rafael Spindler da Silva, n°2, Décembre 2005


_Le Pedregulho, Affonso Reidy Le Conjunto Pedregulho, est situé dans le quartier de Benfica, à Rio de Janeiro, au NordOuest du centre-ville, sur le Morro do Pedregulho. C'est une parcelle « difficilement extraite du chaos des fabriques, des entrepôts, des magasins, d'un ramassis de maisons.»1 nous livre Siegfried Giedon. Le projet dans son ensemble est un complexe réunissant des logements, une école primaire, un gymnase, une piscine et une clinique entre autres. Dans cette étude, on ne s'intéressera qu'au Bloc A, c'est-à-dire celui des logements sociaux. Les travaux ont été effectués entre 1946 et 1952. Le projet a constitué l’une des premières tentatives de construire des lotissements dans le pays, en offrant la possibilité à la classe ouvrière de vivre dans de meilleures conditions. Le projet était destiné à leur fournir un logement mais aussi des services leur permettant l'accès à l'éducation, aux sports et aux loisirs. Le complexe permet d'accueillir quatre cent soixante-dix-huit familles. Le Bloc A est un long et sinueux serpentin sur pilotis de 260 mètres qui se déploie sur sept niveaux ; l'entrée unique se faisant par une passerelle arrivant au troisième étage. Les deux premiers niveaux se composent de t2 tandis qu'aux étages supérieurs, unités familiales prennent place dans des duplex accessibles depuis les quatrièmes et sixièmes étages. Pour Reidy, l'objectif était d'offrir une vue à chacun de ces logements. Le troisième étage, lui, est réservé aux bureaux administratifs, mais aussi à une crèche et des petits commerces de proximité.2 61

Le terrain a une superficie total de 52 142 m2. La topographie est irrégulière et accidentée, présentant une différence d'environ 40 entre le point le plus bas et le haut de la pente.3 Reidy implante le Bloc A en suivant les courbes de niveau. La nature apparaît ici comme un outil de conception puisqu'elle est le déclencheur du geste architectural. Ainsi, l'architecte crée une relation entre nature et bâti par l'insertion de l'objet dans son paysage.

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1 GIEDON Siegfried, dans L'Architecture d'Aujourdhui, Août 1952, n°42-43, p.122 2 GIEDON Siegfried, op.cit., p.122-129 3 Vitruvius, https://www.vitruvius.com.br/revistas, consulté le 25 Janv. 2020


1.2 São Paulo, immensité urbaine et paysage contrasté : Le SESC Pompéia et la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme São Paulo est le centre dynamique, financier, culturel et économique du pays. Elle représente une des villes les plus peuplées du monde avec un nombre d’habitants de 11 millions intra-muros et 19 millions dans son aire urbaine. Elle s’étend sur plus de 1 520 km2 ce qui représente soit plus de 15 fois la superficie de Paris. Sa région métropolitaine couvre presque 8 000 km2. Mon premier contact avec São Paulo fut aérien. En arrivant par avion, on peut observer depuis le ciel une étendue d’immeubles, de tours, de routes, que l’on pourrait croire infini. Plus de 4 500 gratte-ciels composent le paysage, très dense et brumeux, que l’on a du mal à distinguer du ciel comme l'illustre notamment la photographie de René Burri. Tout est très grand, très haut. En se promenant dans la ville, on perd pourtant peu à peu cette première impression. En effet, de nombreux quartiers se composent essentiellement de maisons à 1 ou 2 étages où l’on retrouve alors une ambiance de village, dans le quartier de Vila Madalena par exemple. De plus, la ville est assez vallonnée. Ce dénivelé offre de nombreux points de vue sur la ville. Dans le quartier de Sumaré par exemple : on parcourt les rues, on monte, on descend, on perd totalement cette sensation de compression que l’on a vue du ciel. Enfin, la 62

nature est très présente dans de nombreux quartiers résidentiels, les arbres et les parcs nous permettent de nous échapper de ce paysage très bétonné que l’on a notamment sur l’Avenida Paulista, le grand axe traversant le cœur métropolitain. Cette ville m’est apparu comme un paysage urbain où cohabitent quartiers résidentiels de grand luxe et logements assez misérables, des zones industrielles et un bon nombre d'espaces naturels, notamment le parc Ibirapuera, poumon vert de la ville. Ce fut en 1911, que le premier plan directeur de la ville a été proposé par un Français, Joseph Antoine Bouvard (1840-1920), un plan alternatif au schéma orthogonal initial, quelques propositions seront gardées et exécutées. Finalement, ce seront les intérêts immobiliers de la propriété foncière qui organiseront l’espace urbain de la ville tout au long du siècle. Différents plans se succéderont jusqu’en 1970 où l’on va voir naître le plan métropolitain qui intégrera la loi sur l’usage des sols pour la ville. Mais avec la forte demande de logements qui surcharge la ville jusqu’en 1980, le principal moteur de la production de l’espace urbain sera le processus d’auto-construction. La ville sera aussi confrontée à la multiplication des logements clandestins. Aujourd’hui, ce que l’on retient quand on se balade dans la ville, c’est la vitalité culturelle. Des événements aux quatre coins de rues, des festivals, des marchés, des musées permettent à la ville de s’imposer internationalement.1 1 MASUREL Aurélien dans Brésil expériences sensibles, sous la direction de RÉMIGNON Philippe, Éditions Maison de l'architecture et de la ville Nord-Pas de Calais, 2012, p. 56-59


48_

São

Paulo

(1960),

René

BURRI,

Magnum

Photo,

S P,

BRÉSIL


_Le SESC Pompéia, Lina Bo Bardi En plein cœur du quartier de Palmeiras, au Nord du centre-ville, le SESC illustre la richesse et l'ouverture culturelle de la ville. SESC signifie Servicio Social do Commercio. Au nombre de 18 dans la mégalopole brésilienne, ce concept s’est développé à partir de 1946, soit 40 ans avant le Ministère de la Culture à l’initiative du patronat brésilien. À la suite de la publication de la « Charte de paix sociale » par le Parti Communiste, définissant le capital comme un moyen au service du bien-être collectif, le patronat inscrit alors dans la loi une taxe parafiscale de 1,5% de la masse salariale des entreprises du secteur tertiaire. Ainsi, les fonds sont recueillis par un organisme public, l'Institut de Prospective Sociale de l’État, pour ensuite être redistribués aux SESC régionaux, qui disposent en retour d'une autonomie totale dans la gestion des ressources et dans l'offre culturelle qu'ils proposent. Le premier ayant ouvert ses portes en 1967, le SESC représente aujourd’hui le principal opérateur culturel privé du pays. Il a permis de réinventer la notion de culture et d’espaces publics en créant des écosystèmes instructifs et ouverts au service de la ville et de la communauté.1 Le complexe du SESC est constitué de quatre entités, deux halles, anciennes usines réhabilitées par l’architecte elle-même et deux tours, bâtiments nouveaux réalisés entièrement en béton brut et se rejoignant par des passerelles. Les halles abritent l'ensemble des activités 64

culturelles que sont la bibliothèque, la salle de spectacle, la cafétéria, les espaces de conférences, et les espaces de détente, entre autres. La cafétéria se trouve dans l'une des halles tandis que les autres fonctions cohabitent toute dans la seconde. On passe de l'une à l'autre par une rue piétonne qui permettait autrefois aux camions de desservir les ateliers de l'usine. Quant aux tours, elles abritent l'ensemble des équipements sportifs et les bureaux administratifs. Comme nous explique André Vainer, le quartier de Palmeiras livre un paysage déroutant, sale et pollué qui donne envie de s'échapper plutôt que de s'y promener. Le défi de Bo Bardi fut alors deux fois plus grand, car aux premiers abords, le site et le paysage urbain ne sont pas apparus comme propice à la fabrication d'un lieu de rencontre social, centre de loisirs, culturels et sportifs. Bo Bardi prend alors la décision de ne profiter de la vue qu'au niveau des passerelles permettant de passer d'une salle de sport à l'autre. Les halles, elles, sont fermées sur l'espace environnant afin de privilégier le dedans et de permettre aux visiteurs de s'échapper du chaos urbain pour profiter pleinement du paysage intérieur construit par l'architecte. 2

1 VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, SESC São Paulo Edições, 2013, p. 32-35 2 VAINER André, FERRAZ Marcelo, op.cit., p.82 , traduction personelle


«Viaducs, usines, gratte-ciel et mouvement de masse donne à ce quartier une dimension futuriste lourde. Les masses architecturales et humaines s’affrontent, se chevauchent et s’entrecroisent en une polyphonie chaotique et agressive de forces volumétriques aiguës. La pauvreté des façades et des visages, la saleté et la pollution des rues, la présence inévitable de ruines et de déchets industriels coexistant avec l’énergie agressive des masses, a généré une puissante tension expressive [… ]. Dans le tissu urbain de la région industrielle, des déchets fragmentés du village pré-industriel qui poussait avec les plantations de café et les sucreries, des maisons familiales et la petite cour arrière, et une délicate référence de la végétation tropicale à côté du portail. Un paysage pauliste typique.»2

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49 et 59_ Photographies avant/après de la réhabilitation des halles, extraites de VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, Éditions SESC São Paulo, 2013


SESC

FAU

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52_ Le SESC

53_ La FAU

51,52,53_ Plan de SESC et de la FAU,

situation et photographies aĂŠriennes du extrait de la page internet Google Maps


_La FAU, Vilanova Artigas La ville de São Paulo s’accompagne aussi d’une université prestigieuse, l’USP. Elle se trouve à l'Ouest de la ville, au Sud des quartiers de Vila Madalena et de Pinheiros notamment. Ici, prends place la FAU, faculté d'Architecture et d'Urbanisme. Avant la réalisation de cette école en 1969, l'architecture était enseignée dans deux bâtiments distincts dans le centre de São Paulo. Le bâtiment de la FAU est une consolidation des propositions faites par l'architecte tout au long de sa carrière d'expérimentation et de recherche. Ses recherches du langage et de l'organisation des espaces d'usage se caractérisent par la socialisation des milieux réalisée à travers une générosité spatiale qui élargit les possibilités de coexistence, de rencontres et de communication.1 Le bâtiment est un exemple unique de la matérialisation d'un concept d'école en tant que lieu où chacun se réunit pour apprendre, enseigner et apprendre à enseigner. Cela est souligné par le fait que l'école n'a pas de portes, indiquant que l'apprentissage est un processus ouvert et créatif, et que, dans l'univers couvert de l'école, chaque moment est un moment d'apprentissage. Dans cette nouvelle façon de penser le bâtiment scolaire, le processus d'apprentissage, la production de connaissances, ne se fait pas exclusivement en classe. L'organisation du plan et des espaces de travail peuvent être comparés à l'organisation d'une ville avec ses rues, ses trottoirs, ses places. Le plan est constitué d'une seule et même continuité traversant l'espace et le paysage. Ces deux métropoles m’ont permis de comprendre sous un angle différent les problématiques urbaines auxquelles nous sommes confrontés dans les deux villes telles que la densité, l’impact du paysage, la pollution, la ségrégation, la périphérie. Les deux villes se distinguent par leurs histoires et leurs planifications urbaines qui nous permettent de mieux comprendre la composition de leurs paysages actuels et les situations modernes et contemporaines qui construisent la ville telle qu’on la connaît, telle que j’ai pu la parcourir. Chacun des quatre bâtiments pris comme exemple s'est vu évolué dans un de ces deux paysages mais sur des sites atypiques et avec des objectifs sociaux précis et des contraintes urbaines particulières qui ont permis d'en faire des projets où parcourir le paysage apparaît comme une expérience unique.

1 ARTIGAS Laura, Vilanova Artigas : o arquiteto e a luz (2015), Film documentaire, Olé Produções

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2. Des dispositifs au service du parcours dans l’espace et le paysage Grâce à l’analyse des contextes historiques, urbains et paysagers des quatre projets étudiés, il est maintenant plus facile de comprendre comment les dispositifs architecturaux de ces espaces sont au service du parcours dans le paysage. Les dispositifs qui vont être étudiés à présent sont fréquemment utilisés dans la conception architecturale ; certains, comme les ouvertures ou les parois sont même indispensables. Nous allons ici les analyser à travers les projets dont il est question pour faire ressortir leurs particularités.

2.1 Les rampes et les passerelles

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Dans l’architecture brésilienne, la notion d’ascension revient souvent dans le parcours. En effet, les architectes travaillent beaucoup autour de ce dispositif qu’est la rampe qui permet de passer d’un niveau à un autre. Celle-ci permet d’aller d’un point A à un point B, d’une autre manière elle permet d’aller d’un « bas » à un « haut » ou inversement. On se trouve comme pris entre terre et ciel. C'est une « oblique » pour reprendre les termes de Claude Parent et sa première fonction est donc «celui de l’obstacle surmontable »1. En effet, la rampe est la seule structure, qui permet de s’élever tout en continuant de parcourir, de gravir. On retrouve ce dispositif notamment dans le Musée d'Art Contemporain et la Faculté d'Architecture. Dans le SESC, des passerelles extérieures permettent de profiter du paysage et de passer non pas d'un «bas» à un «haut» mais plutôt d'un « ici » à un « là-bas ».

1 PARENT Claude, Vivre à l’oblique, L’Aventure Urbaine, 1970, Paris, p.23


54_ Le MAC

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55_ Le SESC

56_ La FAU

54,55 et 56_ Photographies personnelles de la rampe du MAC et de la FAU et des coursives extĂŠrieures du SESC


7,20 4,70

3,90

2,30 2,30 4,50 3,80

57_ Le MAC

58_ Le SESC

La rampe de Niemeyer dans le projet du MAC mesure 98 mètres de long et est entièrement extérieure, notre regard est donc focalisé sur le paysage environnant. « J’ai aimé faire cette rampe qui invite les visiteurs à entrer dans le musée avec son architecture si belle. Le visiteur curieux y pénètre avec encore plus de plaisir. »1 nous fait part Niemeyer. Il est vrai que la grandeur et la monumentalité de la rampe nous suscitent le désir de l’escalader même avant d’être arrivé à son point de départ. Elle se déploie élégamment et semble flotter dans 70

l’air. Elle est davantage large au niveau bas comme pour nous inviter à la grimper. Le musée, la rampe, est la finalité d'un parcours qui a commencé bien plus tôt, le Chemin Niemeyer, longeant la baie sur plusieurs kilomètres comme nous l'avons vu précédemment. La rampe est davantage large à son commencement : elle mesure environ 7,20 mètres au départ puis se resserre, se desserre, pour atteindre les 2,30 mètres aux endroits les plus étroits. Elle se tourne, se retourne pour aboutir au premier étage puis au second et ainsi desservir l'ensemble des salles d'expositions par une circulation extérieure. La pente est très raide au début, ce qui demande de fournir un effort et engendre même une certaine retenue. Plus on gravit la rampe, plus la pente s'atténue, ce qui entraîne une accélération et un sentiment de satisfaction et de bien-être.

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1 WAJNBERG Marc-Henri, Oscar Niemeyer un architecte engagé dans le siècle, Film documentaire, Wajnbrosse Production, 1999


Tout comme Niemeyer dans le MAC, Lina Bo Bardi va privilégier la circulation extérieure dans l'équipement sportif du SESC. On profite ici non pas de la vue sur les montagnes de Rio, mais d'une vue sur l'horizon de la ville et sur le quartier industriel de São Paulo. Les coursives permettent de desservir les différentes salles de sport et de passer d'une tour à l'autre. La circulation se fait par des escaliers à l'intérieur des tours, les coursives ici ne permettent donc pas de gravir mais plutôt de faire des va-et-vient entre les différents espaces tout en profitant de la vue. Les tours et les halles étant particulièrement opaques, le parcours le long des coursives est le seul véritable moment où l'on peut observer le

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paysage. Elles sont larges de 2,30 mètres et ne varient pas comme la rampe du MAC. Cependant, elles sont différentes à chaque niveau de par la direction qu'elles proposent. La plus longue mesure 18,20 mètres. Superposées sur quatre niveaux, elles se dédoublent pour permettre d'accéder à plusieurs entrées sur un même niveau et ainsi multiplier le nombre de parcours pos-

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sible.

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La rampe d'Artigas au sein de la Faculté d'Architecture

57 et 58_ Photographies aériennes de la rampe du MAC et du SESC, extraits de la page internet Google Maps

est entièrement intérieure. Elle se différencie par cela des circulations du MAC et du SESC. C'est une rampe « zig-zag » car elle permet de réaliser des allers-retours, comme dans le SESC mais tout en remplissant la fonction de l'oblique, comme la rampe du MAC. Faire

59_ Photographie personnelle du MAC

60,61 et 62_ Photographies personnelles des passerelles du SESC

des allers-retours revient à prendre le temps d’apprécier l’espace : il n’est pas question ici d’atteindre un but le plus rapidement possible mais de se questionner sur le déplacement lui-même, sur le parcours et ce qu'il engendre. La pente est douce et régulière, il n'y a donc pas d’effort particulier à fournir, on prend plaisir à parcourir la rampe. On ne subit pas la pente, on l’apprécie. La rampe est large d’environ 3,20 mètres sur toute sa longueur, Artigas cherche ici à créer un réel espace de vie, et non pas seulement une circulation. La rampe permet de desservir tous les niveaux tout en explorant le paysage intérieur.

panoramique

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2.2 Les parois La paroi est un plan vertical qui permet de délimiter mais aussi de guider, d'emmener le visiteur dans une certaine direction. Dans ces quatre projets, comme dans toute architecture, la paroi prend différentes formes de par sa nature, ses dimensions et sa matière. « Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire, ni la ligne droite, dure, inflexible, inventée par l’homme. Seule m’attire la courbe libre et sensuelle, celle que je rencontre dans les montagnes de mon pays, dans les cours sinueux de ses rivières, dans les vagues de la mer, dans le corps de la femme préférée. »1 nous livre Niemeyer. En effet, dans le MAC, la géométrie des espaces d'exposition est un parcours circulaire, une promenade qui débute dès l'arrivée sur le parvis et qui prend place dans un volume régulier en calice dont les lignes de force sont étroites à la base et s’élargissent vers le ciel. Lorsque l'on accède à l'entrée principale, au premier niveau, les parois nous accompagnent dans le sens anti-horaire à travers la coursive vitrée, et nous emmènent jusqu'à la salle principale en double hauteur, au centre du musée. Ici, un escalier hélicoïdal mène au deuxième étage, où la paroi nous 72

suggère alors de circuler dans le sens inverse soit le sens horaire. Il y a peu de parois, le musée étant particulièrement petit, mais la disposition de celles qui sont présentes nous accompagne dans un mouvement qui donnent l'impression d'une spatialité infinie. Ces parois sont au nombre de cinq. Ce sont des lignes droites puisqu'elles doivent permettre d'être un support pour les œuvres exposées mais leur disposition en quinconce permet d'accompagner le mouvement suggéré par la forme circulaire du musée. Ici, on oublie alors, très rapidement, la rigidité de la ligne droite.

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1 JODIDIO Philip, Oscar Niemeyer 1907-2012 L'éternité avant l'aube, Éditions Taschen, 2006, p. 1


63_ Coupe du MAC extraite de la page internet Préfeitura Nitéroi 64 et 65_ Documents personnels, plans schématiques du MAC illustrant le R+1 et le R+2 du MAC ainsi que le parcours au sein du musée

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1 3

2

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4

4

5

3

1

R+1 R+2

5

D u p lex R+4 R+6

5

D u p lex R+5 R+7

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70 66_ Plans de niveaux du Pedregulho, extraits de la page internet Globo 67_ Documents personnels, plans schématiques des logements 1 Coursive 2 Cuisine 3 Salle de bain 4 Salon 5 Chambre 68,69 et 70_ Photographies de la construction du Pedregulho, extraites de GIEDON Siegfried, L'Architecture d'Aujourdhui, Août 1952, n°42-43

Dans le Pedregulho, comme Reidy avait pour objectif d'offrir une vue sur la baie de Guanabara et Serra do Mar à l'ensemble des logements, il a opté pour des appartements traversants, sur l'ensemble du bâtiment. Les parois, ici surface permettant de séparer les logements les uns des autres, sont alors perpendiculaires à la courbe du bâtiment soit parallèles à l'axe directionnel de la pente. Ainsi positionnées, elles permettent de diriger notre corps et notre regard vers la vue, tout en remplissant leur fonction première qui est de délimiter, séparer. Deux appartements rentrent dans la trame de 7,20 mètres. Au niveau du troisième étage, l'étage extrudé, les poteaux sont donc ainsi espacés. Peu de parois s'y trouvent, seulement quelques-unes sont disposées de telle manière à créer des espaces où prennent place quelques bureaux et commerces. Ainsi, au niveau de cet étage, aucune paroi ne divise l'espace ou guide notre regard, seule la forme courbe du bâtiment entraîne notre corps vers le paysage. Les poteaux, quant à eux, rythment l'espace et influent notre circulation.

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Dans le SESC, l'architecte a choisi de conserver entièrement les halles. «Personne n'a transformé quoi que ce soit. Nous avons trouvé une usine avec une belle structure, importante sur le plan architectural, originale, personne n'a bougé ... La conception architecturale du Sesc da Pompeia est partie du désir de construire une autre réalité.»1 nous livre Bo Bardi. Ainsi, l'objectif était pour elle de donner une seconde vie à ces halles. Dans son croquis de recherche ci-contre, on comprend bien cette envie de conserver la structure des halles pour construire à l'intérieur une toute nouvelle atmosphère, un parcours esthétique et paysager. 1VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, SESC São Paulo Edições, 2013, p. 31, traduction personelle


Le plan à l'intérieur est entièrement décloisonné, ce qui engendre un parcours fluide dans l'espace. Le théâtre est le seul des espaces destinés au public qui est fermé, à l'aide notamment de murs insonorisés, coupant ainsi tout contact avec l'extérieur. Ici, le public est installé face à face, la scène se trouvant au milieu. Les autres espaces fermés ou semi-fermés sont des espaces privés abritant les bureaux, les cuisines et les ateliers de workshops. La bibliothèque et les espaces de lectures se déploient sur trois niveaux, comme des mezzanines où l'on peut se retrouver pour travailler, pour se détendre ou simplement prendre du temps pour soi. Les parois qui séparent chacun de ces espaces, mesurent environ 1 mètre et permettent ainsi de séparer tout en laissant passer le regard, que l'on soit assis ou debout.

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Au niveau des halles, Bo Bardi intègre un bassin. Ici, elle trouve le moyen de guider le visiteur non pas à l'aide de parois mais grâce au moyen d'un élément naturel. Le bâtiment des équipements sportifs se déploie sur cinq niveaux. Il est composé principalement d'une piscine et de terrain de foot, de basket et de handball ; les espaces sont libres sans parois porteuses. Afin d'utiliser le moins de parois possible et pour ne pas empiéter les salles de sport, Bo Bardi décide de réaliser une seconde tour, plus étroite, pour les vestiaires et les salles de danse et de gymnastique.

71, 76 et 77_ Plan du RDC, croquis et coupe longitudinale du SESC, extrait de VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, SESC São Paulo Edições, 2013 72,73,74,75_ Photographies personnelles du SESC

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Le bâtiment de la FAU est un bloc en béton brut soutenu par des piliers de forme inhabituelle rappelant vaguement la forme des troncs d'arbres de certains arbres au Brésil. L'espace est entièrement ouvert au public. Le rez-de-chaussée se confond avec les alentours par cette absence de parois, de délimitation spatiale ; on y trouve les services administratifs. Cette continuité est accentuée grâce à une rampe qui permet l'articulation des différents niveaux. Les étages sont tous indépendants et possèdent des hauteurs diverses ; mais tous sont réunis sous la même dalle translucide. Tous les espaces sont articulés mais sans symétrie, chacun exposant sa particularité. Depuis le rez-de-chaussée, il est possible de descendre pour accéder au hall de l'auditorium, ou de monter. Le premier niveau est destiné aux activités collectives et récréatives : cafétéria, expositions, association étudiante, le second à la bibliothèque, le troisième à l'espace aux salles de réunion, le quatrième et cinquième aux ateliers, délimités par des cloisons basses, et au dernier, les salles de classe, les seules totalement fermées. Le hall central est d'environ 1000 m2 et d'une hauteur sous-plafond égale à 13 mètres. Cet espace n'est pas destiné à une fonction spécifique, et laisse donc la place à de multiples situations. Dans le plan, il y a très peu de parois. Ici, c'est davantage la structure qui conditionne l'espace. Cette absence de parois permet d'offrir des circulations généreuses qui se confondent avec les espaces de travail. Les circulations ne sont plus des couloirs qui desservent des salles closes mais plutôt des balcons, des rues intérieures donnant sur l'atrium central, une 78

place urbaine qui assure un dialogue constant entre tous les espaces. Les quelques parois présentes permettent de créer des espaces semi-fermés. Ces parois sont courbes, rectilignes, positionnées pour orienter le mouvement et le regard vers l'extérieur, vers l'atrium central ou encore vers l'espace créé par ces parois. Il existe une forte continuité entre plans verticaux et plans horizontaux : les parois verticales, gardes corps ou enveloppes extérieures, se plient pour devenir des planchers.

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78_ Document personnel, plan schématique du R+1 de la FAU 79_ Photographie de la FAU lors d'une manifestation étudiante, extraite de la page internet Archidaily


80_ Document personnel, coupes transversales schĂŠmatiques de la FAU 81,82 et 83_ Photographies personnelles de la FAU 80

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2.3 Les ouvertures L'ouverture peut être exprimée par une fenêtre verticale ou horizontale, ronde ou carrée, continue ou fragmentée, à hauteur des yeux quand on est assis, debout, allongé. Elle peut rester fermée et engendrée alors une limite physique, elle peut être segmentée par des brises soleil et ne laisser que partiellement entrer la lumière, elle peut s'ouvrir par le haut, le bas ou le côté. Nombreuses sont alors les situations qu'offre la fenêtre, ouverture sur le monde finalement. Mais l'ouverture ne s'arrête pas là ; l'ouverture c'est aussi le vide, c'est aussi la porosité dans la matière, ce qui permet à notre corps de ne pas rencontrer d'obstacle physique lorsqu'on se déplace. Dans le MAC, l'ouverture est exprimée sous plusieurs formes. L'entrée dans les salles d'expositions en est une, la sortie aussi. Les accès ne sont pas au niveau du sol, ce sont des perforations dans le grand volume. Ils se trouvent ainsi à la fin de l'ascension de la rampe. Cette ouverture apparaît comme la conclusion d'une première expérience 80

et comme le début d'une suivante que sera la visite du musée. Derrière cette ouverture, le hall central d'exposition entouré d'une coursive circulaire également destiné aux expositions qui s'accompagne de fenêtres en rubans inclinés, faisant le tour complet du musée. Totalisant une superficie de mille mètres carrés, on peut admirer d'ici le paysage panoramique de la baie de Guanabara. Au lieu de confiner les œuvres d'art aux quatre murs traditionnels, Niemeyer a adopté, en partie, une solution ouverte, où les environs participent au spectacle offert au visiteur. Les fenêtres du MAC ont été fabriquées exclusivement pour le projet. Il y a 70 lames triplex de 18 mm d'épaisseur. Chacune des lames mesure 4,80 m de haut par 1,85 m de large.1 Les cadres sont constitués de profilés en acier et sont inclinés à 40° par rapport au plan horizontal comme l'indique la coupe ci-contre.

1 Préfetura Niteroi, http://culturaniteroi.com.br/macniteroi/, consulté le 26 Janv. 2020


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84 et 85_ Coupe et photographie de la coursive vitrée extraites de la page internet Préfeitura Nitéroi


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Dans le Pedregulho, le troisième étage est un espace évidé, un vide, une extrusion dans la matière brute, de 3,25 mètres sous plafond. C'est ici que l'on trouve l'entrée, une parcelle venant rejoindre cet espace afin de desservir les appartements en sous-sol ainsi que les étages supérieurs. Ce niveau permet d'offrir une vue sur l'horizon en divisant horizontalement le bloc en deux. Le paysage traverse le bâtiment par le vide qu'il a laissé. L'ouverture est ici un espace où se chevauchent les blocs. Ponctué de poteaux, ce lieu a contribué, en grande partie, à réduire la sensation de poids excessif que pourrait avoir le bâtiment de par sa longueur et sa taille très imposante.


Sur la façade Sud-Est, l'horizontalité sinueuse du volume est accentuée par le marquage des dalles et des poutres sur les façades ; le rythme vertical assuré par les poteaux permet d'offrir un équilibre à l'objet. Dans la façade Nord-Ouest, les moucharabiehs en brique creuses fonctionnent à la fois comme un dispositif de ventilation naturel et à la fois comme une protection contre la lumière du Sud puisqu'ils permettent d'apporter de l’ombre dans les coursives. Ce dispositif permet aussi de voir sans être vu. Au niveau des coursives on se rend bien compte de la manière dont est habité le projet. De nombreuses portes sont ouvertes, la circulation est ici un lieu de vie tout comme l'intérieur des logements. De ce côté-là, il y a deux fenêtres d’aérations, une pour la cuisine, une pour la salle d’eau. Les gens laissent la porte ouverte pour créer une aération entre la salle à vivre et la coursive, elle-même aérer grâce aux moucharabiehs. Il y a une alternance aléatoire entre les moucharabiehs d’un côté, et les portes et les fenêtres de ventilations, qui en fonction des moments de la journée sont ouvertes ou fermées. Le rythme des ouvertures et fermetures est créé par l’identité de chaque famille, ce qui permet de prendre réellement conscience de ce qui se passe. Les appartements étant traversants, le paysage entre et sort continuellement, venant se confondre avec l'intimité des habitants.

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86 et 87_ Photographies personnelles du Pedregulho 88 et 89_ Documents personnels, coupe détail de la coursive et coupe transversale du Pedregulho

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Contrairement au MAC et au Pedregulho mais aussi à beaucoup de ses autres projets personnels, Lina Bo Bardi décide dans le SESC de ne pas s'ouvrir sur l'extérieur, sur un quartier industriel et délabré comme nous l'avons étudié précédemment. D'une certaine manière, elle cherche à créer un certain écart avec la réalité du monde extérieur et cela pour le bien de la population. En effet, le site, enfermé par les limites de la parcelle urbaine existante, entourés par des usines et des maisons aux pignons aveugles ne lui permet pas de s'adresser au paysage environnant. Elle va finalement créer une nouvelle configuration de la réalité, en faveur des intérêts des habitants, en se tournant plutôt vers des intérieurs, des paysages ouverts et fluides. L'architecte conserve entièrement l'usine et donc l'ensemble des ouvertures existantes. À l'origine en verre, elle vient ici les fermer avec des fermes en bois, tandis que la façade longitudinale est fermée avec des briques, leurs positionnements laissant des espaces creux et permettant ainsi une ventilation naturelle du lieu. La lumière naturelle pénètre dans les hangars à travers les ouvertures des toits des halles d'origines ainsi que par les ouvertures amiboïdes du bloc sportif. 84

Dans la FAU, l'architecte crée une place ouverte et couverte. Autrement dit, il n'y a pas de délimitation entre le monde extérieur et l'intérieur du bâtiment. On y entre sans devoir franchir un obstacle visuel ou physique. De ce fait, il fonctionne en ouverture totale sur son environnement. Il existe un fort contraste entre les premiers étages, vitrés et ouverts sur le paysage, et le cinquième niveau, fermé par un pignon aveugle en béton brut sur l'ensemble du bâtiment. Les premiers niveaux se prolongent donc dans le paysage tandis que l'étage des ateliers se referme sur lui-même ou plutôt, s'ouvre sur son propre paysage intérieur, comme dans le SESC. En effet, les espaces de travail qui s'y trouvent sont, décloisonnés ou simplement séparés de parois basses et donc ouvert sur l'atrium central. Les premiers niveaux sont des espaces traversants puisque les ouvertures donnent à la fois sur l'extérieur et à la fois sur l'atrium, tandis que les derniers niveaux sont des espaces orientés vers l'atrium et ainsi, vers le paysage intérieur construit par les vides et les pleins. Enfin, le toit, alternance entre ouvertures et fermetures se présente comme une couverture translucide unique. C'est une immense dalle, une grille structurelle formée de poutres entrelacées ; un «ciel» permettant d'amener la lumière naturelle et de ventiler les espaces de travail.


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90,91 et 92_ Photographies personnelles du SESC 93,94 et 95_ Photographies personnelles de la FAU


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96 et 97_ Photographies personnelles de la coursive du Pedregulho 98_ Document personnel illustrant la profondeur de champ lisible lors du parcours de la coursive du Pedregulho


2.4 La profondeur La profondeur n'est pas un dispositif architectural en soi. Mais ici, je la définis comme tel car elle apparaît, tout comme la rampe, la paroi et les ouvertures, comme un moyen de concevoir un espace, un parcours dans le paysage. La profondeur, caractère de ce qui est profond, permet de créer le lien entre les différentes séquences d'un projet, d'un espace. Dans le MAC, la profondeur se caractérise par la prédominance de la ligne horizontale qui permet de s'ouvrir sur l'horizon et donc de percevoir une profondeur paysagère infinie. De plus, Niemeyer défi la rigidité pour laisser place à des formes mouvantes : il crée une poésie visuelle avec le paysage qui permet d'être pris dans un mouvement spatial ; une profondeur, immensité inépuisable. Le bloc A du Pedregulho n'est large que de 11,20 mètres. Malgrès cette largeur assez étroite par rapport à la longueur du bâtiment, Reidy, en créant des logements traversants va exploiter au maximum cette largeur afin de donner une profondeur suffisante à l'ensemble des logements. Ainsi, le rapport entre la profondeur du logement et sa largeur égale a 3,60 mètres, amène les habitants à vivre dans cette profondeur en se plongeant vers la vue offerte. Les habitants sont alors tirés vers le paysage de manière constante ; leurs regards étant sans cesse guidés vers cette profondeur incommensurable qu'est la vue depuis leurs logements. Les coursives, elles, suivent la courbe du bâtiment. Elles sont larges de 2,27 mètres et de la longueur du bâtiment soit 260 mètres. Mais le bâtiment étant courbe, nous n'avons pas une profondeur de champ égale à la longueur du bâtiment car, en effet, quand on parcourt les coursives, on ne peut en voir le bout. Cela crée un effet de suspens et de surprise. On sait que la coursive est très longue mais on ne sait pas quelle profondeur va-t-on pouvoir percevoir à chaque fois que l'on va arriver à un nouveau point de vue. Le schéma ci-contre permet de comprendre la profondeur lisible par le champ visuel lors de chaque virage : plus la courbure est accentuée, plus la profondeur de champ visible est réduite.

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99 et 100_ Photographies personnelles du SESC

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101 et 102_ Photographies personnelles de la FAU

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Fig. 19

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Dans le SESC, les espaces intérieurs sont fluides à la fois physiquement et visuellement. Ils sont interconnectés les uns aux autres, abolissant les hiérarchies d'utilisations traditionnelles des espaces. Les espaces communautaires sont valorisés et poreux, tandis que les espaces privés sont davantage denses et compacts. On monte, on chevauche, on contourne mais en allant toujours de l'avant ; il y a des obstacles mais ils sont franchissables, la profondeur des halles est alors ici un moyen de créer un parcours presque enfantin dans l'espace ponctué de surprises et de rencontres. À certains endroits dans les halles, des percées nous permettent d'avoir une profondeur de champ presque infini tout comme au niveau des passerelles où l'on ne peut percevoir la finalité de la profondeur s'ouvrant sur l'horizon. Dans la FAU, les espaces de travail s'organisent autour d'un vide central permettant de profiter pleinement de la longueur du bâtiment et créant une profondeur où s'organisent des conférences, des événements et autres manifestations. On vient habiter cette profondeur, on la traverse, on la parcourt en long et en large. Le rez-de-chaussée étant entièrement ouvert sur l'extérieur, la profondeur du bâtiment n'est finalement que la continuité du paysage infini environnant. À l'intérieur de l'école, on parcourt simultanément des espaces ouverts, fermés, semi-fermés. Notre corps et notre regard sont donc soumis à de nombreuses profondeurs différentes : certaines sont très peu profondes et permettent de se sentir dans un cocon, au contraire au sein de l'atrium central par exemple, la profondeur est immense, on s'y perd, notre imagination aussi.

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3. Habiter l’horizon et le paysage Lorsqu’ils sont confrontés les uns aux autres, les dispositifs étudiés précédemment permettent d’habiter l’horizon et le paysage. En me basant sur mon analyse des quatre bâtiments, leurs contextes et leurs dispositifs architecturaux ainsi que sur mon expérience et mes ressentis à travers ces espaces, j’ai tiré des notions qui permettent de comprendre la manière dont ces architectures occupent et se préoccupent de l’espace paysager environnant. 3.1 Intérieur et extérieur Habiter le paysage, c'est prendre en compte l'environnement, la nature qui nous entoure tout en venant créer des configurations spatiales où corps et mouvement vont pouvoir se développer simultanément. Il s'agit alors de créer des liens entre le dedans et le dehors, soit finalement entre ce qui nous intériorise et ce qui nous entoure. Le MAC apparaît comme une délimitation physique du paysage, comme une enceinte, une grotte, qui viendrait enfermer un endroit privilégié. « La peau, simple ou élaborée, est manipulée pour que nous ayons plus ou moins de facilité à passer entre intérieur et extérieur. »1 explique Niemeyer. En effet, ici, l’espace intérieur filtre l’espace naturel en ne le 90

faisant rentrer que partiellement dans le bâtiment à l’aide de ces grandes fenêtres en rubans. Dans cet espace circulaire vitré, le paysage envahit les espaces d'exposition et inversement puisqu'on assiste à une certaine muséification de la nature environnante. Cela crée un espace transformé, et adapté à des usages pratiques et fonctionnels, ici des expositions d’art contemporain. L’architecture s’exprime dans le paysage et pour le paysage afin de donner à l’homme quelque chose à voir, à toucher, à parcourir. L’enveloppe du bâtiment définit l’espace intérieur par des fermetures et des ouvertures. Celles-ci nous permettent de voir à travers cette enveloppe. L’espace interne est aussi délimité par la lumière, le bruit ambiant, la température, les odeurs, les mouvements, les énergies. L’espace extérieur se nourrit de cette espace interne à travers les transparences et les opacités, mais aussi grâce aux pleins, aux vides. Grâce à la rampe, on a l’impression de pouvoir se déplacer dedans et dehors sans réels obstacles. On gravit la rampe comme on gravirait le paysage, c’est-à-dire sans limites visuelles et comme limite physique, l’unique obstacle qu’est la matière du sol. Grâce au parcours muséal qu'il crée, Niemeyer permet la relation entre les espaces libres et continus, la rampe par exemple, et les espaces fermés et discontinus, comme la salle d'exposition centrale. Par ce biais, il crée des connexions entre intérieur et extérieur.

1 DE HOLANDA Frederico, Oscar Niemeyer, de vidro e concreto, FRBH, 2011, p.37, traduction personelle


Dans le Pedregulho, la coursive apparaît comme un lieu de vie qui permet de faire le lien entre l'intérieur des logements et le monde extérieur. En traversant la coursive, on a d’une certaine manière l’impression de traverser l’appartement des habitants, de devenir nous-mêmes acteur de cette vie. Ici, l'architecte permet donc de créer un lieu entre intérieur et extérieur mais aussi entre public et privé. Le troisième étage aussi permet de renforcer ce lien. On peut considérer ce lieu comme un espace tampon mais aussi comme un espace autre ; il n'est ni réellement le dehors ni vraiment le dedans et pourtant il rassemble toutes les qualités de l'un et de l'autre. Les gens se croisent, discutent, s'y donnent rendez-vous tout en profitant de la vue, en observant ce qu’il se passe en bas, dans le bar en face ou encore dans les appartements voisins. De plus, l'utilisation des briques creuses en façade permet le passage des rayons lumineux visibles, du regard et ainsi, renforcent ou facilitent le dialogue intérieur extérieur. Le SESC nous invite à nous repositionner par rapport au dedans et au dehors puisqu'il apparaît comme une architecture à la fois fermée et ouverte ; fermée sur le paysage environnant mais ouverte sur son propre paysage intérieur. Dans la manière dont s'enchaine les espaces, on retrouve une certaine dualité entre individualité et collectivité, vide et plein, entre intérieur et extérieur finalement. Ce qui attire le plus l'attention dans la conception du bâtiment FAU, c'est le toit translucide faisant du bâtiment une place couverte. Cette dalle est une alternance entre vide et plein, soit entre intérieur et extérieur. Comme il existe une continuité spatiale et visuelle entre le parc de l'université et le rez-de-chaussée de l'école, on se perd dans la délimitation du dedans et du dehors. Comme dans le Pedregulho, l'atrium central est ici un espace autre qui n'est ni intérieur ni extérieur. Aussi, à l'intérieur du bâtiment, vide et plein, léger et lourd, transparence et opacité permettent de renforcer le dialogue entre le dedans et le dehors.

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3.2 Proche et lointain Dans Les Raisons du paysage, Augustin Berque nous explique que pour connaitre véritablement le paysage, deux éléments doivent dialoguer : le premier plan et l'horizon, «parce qu’ils y instaurent la présence d’un regard, l’un qui le commence et l’autre qui le termine.»1. Ainsi, proche et lointain, palpable et impalpable, fini et infini permettent d'occuper le paysage. Dans le MAC, une sensation de flottement atmosphérique se dégage lors de notre parcours à l’intérieur grâce aux fenêtres inclinées, élancées vers la mer. On a l’impression d’être projeté, immergé dans le paysage extérieur tout en étant là, présent devant les œuvres d'art. Les fenêtres cadrent la vue et nous donnent simultanément l’impression de plonger dans la mer. À un moment donné lors de notre ascension de la rampe, l’inclinaison du bâtiment va correspondre parfaitement à l’inclinaison de la montagne, le Pão de Açùcar, de l’autre côté de la baie. Notre regard est alors pris entre le proche et le lointain puisqu'il perçoit à la fois le volume du bâtiment se trouvant à quelques mètres et à la fois la montagne et l'horizon qui sont eux, à des dizaines de kilomètres plus loin. Il coexiste ainsi plusieurs échelles d’appréhension d'un seul et même espace. En effet, le regard a besoin d’une pluralité d’horizons, d'un proche et d'un lointain pour créer un paysage. 92

Aussi, le MAC tente dans un certain sens d’imiter la nature et de la rendre palpable en créant un bassin au pied du bâtiment. La mer, qui semble s'étendre à l'infini se retrouve ici à nos pieds, permettant d'offrir le moyen de toucher ce qui nous sembler pourtant si loin.

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1 BERQUE Augustin, Les Raisons du paysage (1995), Hazan, Paris, p.17


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103 et 104_ Photographies extraites de la page internet Globo 105 et 106_ Images extraites de la vidéo-conférence du cas d ' é t u d e «C o n j u n t o H a b i t a c i o n a l P e d r e g u l h o » r é a l i s é p a r C l a r a Passaro à la Cité de l'Architecture & du Patrimoine, Avril 2017

Dans le Pedregulho, les poteaux sont à la fois structure et silhouettes du paysage, c'est notamment ce qui ressort des photographies ci-dessus. Les poteaux, structure du bâtiment, représentent le proche car ce sont des objets indépendants qui demandent à être vu et autour desquels on peut se déplacer, tourner, s’adosser ; ils sont aussi le lointain car, lorsqu'ils sont disposés les uns à côté des autres, ils nous apparaissent comme une série d'éléments qui composent le paysage, comme un rythme qui participe à la vue d’ensemble. Dans les images ci-dessus, le paysage est photogénique, il devient acteur d'une séquence cinématographique; les poteaux lui permettent de se mettre en scène et de s'affirmer en tant qu'objet individuel en quête de reconnaissance.

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Dans le SESC Pompeia, Bo Bardi va créer une forte relation entre la construction historique que sont les entrepôts industriels et la nature, en imitant celle-ci à travers des figures et des formes s'inspirant des paysages brésiliens. On se trouve ici dans le quartier industriel de Palmeiras, si loin de la nature flamboyante du pays et malgré cela, l'architecte réussit à intégrer la nature, si chère à ses yeux, à l'intérieur de son œuvre. On retrouve notamment des bassins d'eau aux formes sinueuses évoquant le fleuve São Francisco comme l'appelle Bo Bardi. En effet, au moment de réaliser ce projet l'architecte vient tout juste d'achever un projet dans le Nord-Est du Brésil, région qui a inspiré beaucoup de ses projets. Ici, son intention est de créer des ambiances sauvages tout comme dans la nature. On retrouve d'autres éléments se rapprochant de la nature comme les sculptures allégoriques en barres métalliques vertes et rouges qui ressemblent à des plantes tropicales mais aussi certains meubles tels que le comptoir circulaire de la cafétéria, ces courbes rappelant celle que l'on trouve dans le paysage. Aussi, la forme des fenêtres qui ponctuent la façade font penser à des formes de feuilles d'arbres. Des éléments organiques sont aussi présents dans la manière qu'elle a eue de concevoir l'espace du SESC notamment 94

dans la forte présence d'éléments verticaux qui permettent de soutenir la charpente métallique. La présence de ces colonnes, au bord de l'eau, peut alors être assimilée à des arbres, à des plantes qui jaillissent du sol. Proche et lointain dialoguent ainsi dans notre imagination puisqu'ici la nature nous semble très proche alors qu'en réalité, l'immensité urbaine de São Paulo en est très éloignée. De plus, notre regard est pris entre le proche et le lointain lorsqu'on parcourt les passerelles. Le proche est défini par le bâtiment d'en face, tandis que le lointain, c'est l'horizon urbain infini des tours qui se multiplient. La perception des volumes et des espaces dans ces quatre bâtiments est sans cesse réinventée. Tout est visible et lisible, de nombreux parcours sont possibles, tout s’articule afin de ne pas être enfermé. Intérieur et extérieur, proche et lointain sont en continuel dialogue, ce qui permet de nourrir notre imagination et notre rapport au paysage. Laurence Kimmel nous livre que ces notions agissent « sur le corps du regardeur, sa motricité et la modalité de son rapport au monde. »1.

1 KIMMEL Laurence, L’architecture comme paysage Álvaro Siza, Editions Petra, Collection Esthetique Appliquée, 2010, p.23


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107_ Croquis de Lina BO BARDI du SESC illustrant ces recherches et inspirations naturelles, extrait de VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, SESC São Paulo Edições, 2013

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108, 109, 110 et 111_ Photographies personelles du SESC

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UNE EXPÉRIENCE SENSORIELLE ET ESTHÉTIQUE

III.


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L’expérience du corps dans l’espace apparaît comme une « traversée à partir de laquelle ou au cours de laquelle l’homme acquiert le sens des choses »1. Comme le souligne Henri Maldiney, l’expérience est le moment où l’on prend conscience, d’une certaine manière, de ce qui nous entoure. Xavier Bonnaud souligne que l'on circule intérieurement à travers différents modes de réceptions, «tantôt par le sentir, tantôt par le percevoir, tantôt par le symbolique ou le cognitif, permettant de nous ouvrir plus consciemment et plus librement à toutes les interactions qui constituent la richesse du vécu.»2. Ainsi, lorsque l'on se déplace et que l’on met notre corps en action, nous enrichissons notre soi ; nous le remettons en question indéfiniment pour mieux comprendre comment notre corps interagit avec l’espace et le paysage. En faisant travailler ma mémoire et à l’aide de l’analyse des dispositifs architecturaux réalisés précédemment, j’ai pu comparer mes expériences et faire ressortir un certain nombre de notions qui m’ont permis de comprendre et de faire comprendre comment notre corps, notre soi mouvant interagit avec la matière environnante.

1 MALDINEY Henri dans Éthique, architecture, urbain, sous la direction de YOUNES Chris, PAQUOT Thierry, Collection Armillaire, 2000 p. 18. 2 cité par BONNAUD Xavier, Perception/ Architecture/ Urbain, sous la direction de BONNAUD Xavier, YOUNES Chris, préface de PAQUOT Thierry, Collection Archigraphy Poche, Infolio Éditions, 2014, p.143


1. Mouvement, corps et flux 1.1 Déambulation Dans l’architecture moderne brésilienne, j’ai rencontré à de nombreuses reprises des espaces où mon corps était comme invité à déambuler de son plein gré. Je suivais un parcours incertain et non tracé, où l’on se sent libre. À São Paulo comme à Rio, tout va vite ; les villes sont en perpétuel changement, déambuler apparaît ainsi comme un moyen d’échapper un court instant à ces perturbations urbaines bruyantes et persistantes. Effectivement, la déambulation nous permet de nous poser des questions sur le temps que l’on veut prendre pour parcourir l’espace et le paysage. La forme de motricité qu'offre la rampe dans les projets du MAC et de la FAU engendre une certaine forme de liberté. En effet, la largeur de ces espaces nous permet d'y déambuler et non pas seulement d'aller dans une seule et même direction. On est donc invité à nous déplacer de droite à gauche en plus de nous dé100

placer vers l'avant. Nos déplacements peuvent être rectilignes, courbés, continus ou discontinus, saccadés, brisés, fluides. Ainsi, un nombre infini de directions et de parcours sont possibles en montée comme en descente, chacun permettant de vivre une expérience nouvelle à chaque fois. Même si l'on effectue le même trajet deux fois de suite dans la même journée, dans la même heure, la déambulation sera différente puisque les bruits, les odeurs et les énergies environnantes qui viendront bousculer notre corps et notre regard sont des manifestations ponctuelles et uniques. De plus, un échange permanent existe entre le corps et la rampe puisque « le corps intervient par une sensibilisation plus intense à la notion de gravité. »1 On peut sentir notre propre poids car un équilibre est à maintenir tout au long du parcours de la rampe, que l'on soit immobile ou en mouvement. Dans le MAC, la paroi courbe, comme nous l'avons vu précédemment, nous invite à bouger de manière plus fluide et moins statique, moins radicale, ce qui favorise cette déambulation.

1 PARENT Claude, Vivre à l’oblique, L’Aventure Urbaine, 1970, Paris, p.31


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112 et 113_ Documents personnels, schĂŠma de quelques parcours possibles au sein des rampes du MAC et de la FAU


Dans les espaces communs du Pedregulho, du SESC et de la FAU, notre déambulation peut être comparée au mouvement de la ligne active établie par Paul Klee. En effet, notre parcours n'a pas de but particulier et notre mouvement est influencé par certains obstacles comme des poteaux, des parois, des meubles ou dans le SESC, un bassin. La configuration de ces espaces dans le SESC et la FAU apparaissent comme des lieux sans hiérarchie, où chaque fonction se déploie individuellement tout en faisant partie d’une collectivité. Les différentes fonctions sont organisées de manière à obtenir un espace continu, qui n’est du moins pas fractionné ou divisé. On ne va pas suivre un itinéraire, ni se déplacer d’un point donné à un autre. Bo Bardi cherche à introduire la notion de continuité. À de nombreuses reprises, j’ai senti ici un certain désir, peut-être une intuition, d’aller plutôt ici que là-bas sans vraiment de raison, ou alors pour une raison que j’ignore encore aujourd’hui; je errais, mais c’était agréable. Cette errance n’avait pas de forme préconçu, elle était anonyme mais c’est cela qui rendait notre cheminement unique et ma visite, mon parcours un peu plus excitant. Chaque fois que je suis retournée là, je me déplaçais d’une différente manière que la fois précédente, comme si mon expérience, ou simplement ce que j’avais entendu ou effleuré quelques minutes plus tôt m’avait amené à emprunter ce chemin plutôt qu’un autre. C’était comme une pulsion, qui à chaque pas me faisait ressentir quelque chose de nouveau, du moins, de très différent du pas précédent. Le document ci-contre 102

illustre une déambulation possible au sein des halles, au niveau du bassin notamment. Ici, on comprend bien que notre mouvement est influencé par un certain nombre d'objets qui viennent à notre rencontre et qui nous aident à choisir le sens que l'on veut donner à notre parcours. Dans le SESC, bien que la halle soit un espace entièrement fermé, cette déambulation peut jusqu’à nous faire oublier le dehors et le dedans car à ce moment précis, je me retrouvais avec moi-même et l’espace en tant que tel n’avait plus réellement d’importance. Ce continuum spatial offre une expérience tangible d’allègement. Notre corps n'est plus un poids, car notre imagination prend le dessus. On se laisse aller d'une certaine manière, on envahit l'espace et le paysage avec notre corps en tant que matière mouvante. Comme on l'a vu précédemment, les halles du SESC ainsi que l'atrium central de la FAU sont des espaces hauts, larges et profonds. Ainsi, ils peuvent accueillir un grand nombre de personnes, soit un grand nombre de matières. Autrement dit, nous ne sommes pas seuls à envahir ces lieux lorsque nous déambulons là. Ainsi, corps, flux et énergies s'entremêlent dans un dialogue sans fin ; infini est alors le nombre de combinaisons de rencontres possibles que ces espaces proposent. Dans les logements sociaux de Reidy, l'espace commun évidé est un vide traversant, entièrement ouvert, il n’y a donc aucune frontière visuelle, contrairement au SESC ou à la FAU. Mon regard guidait ma déambulation sans vraiment de logique. J’avançais, je reculais, en ne cessant jamais de regarder l’horizon.


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114_ Dessins extraits de KLEE Paul, Théorie de l'art moderne (1956), Éditions Denoël, 1985 115_ Document personnel, plan déambulation au sein du SESC

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1.2 Fluidité des mouvements Tout comme la déambulation, la fluidité des mouvements n'est pas quelque chose de matériel, contrairement à l'architecture. La fluidité de nos mouvements, de nos déplacements, c'est finalement le dynamisme libertin qui va permettre à notre motricité de s'emparer de l'espace et du paysage environnant. La fluidité nous permet d'être immergé dans une continuité spatiale, dissolution de limites. Elle se manifeste de différentes manières et à l'aide de divers dispositifs. La courbe que l'on retrouve dans les parois du MAC, du Pedregulho et de la FAU mais aussi dans la forme du bassin intérieur du SESC est l'exemple le plus explicite. Les parois courbes sont des plans verticaux qui ne présentent pas de jonctions entre elles. En effet, contrairement aux angles que créent les parois rectilignes, ici il n'y a pas de pli dans la matière donc notre corps et notre regard sont entrainés dans un flux continu. La courbe accompagne le mouvement dans plusieurs directions qui s'ajoute les unes après les autres pour créer une motricité fluide qui s'empare de l'espace, comme l'illustre le schéma ci-contre. Au contraire, la ligne droite nous dirige vers seulement une direction rigide et statique. Il y a différentes manières de confronter la courbe, celle-ci offre beaucoup plus de possibilités qu'une paroi rectiligne. Comme il n'y a pas d'angle, le toucher de la surface, lui aussi, est continu. Les rampes aussi permettent de rendre nos mouvements davantage fluides : ce dispositif permet d'interrompre un parcours tout en conservant sa fluidité. La configuration du plan du MAC est une figure en spirale, une forme de continuité infinie. Cette figure construite grâce à la disposition des parois permet un mouvement fluide et continu tout au long du parcours muséal. Cette forme donne l'impression de se protéger des nuisances extérieures et permet ainsi de profiter pleinement de l'expérience du parcours. Elle permet aussi de concentrer, de rassembler tout le monde, toutes les énergies au centre de la salle d'exposition et ainsi de confronter, de rencontrer d'autres visiteurs, d'autres corps mouvants. Le corps est encerclé dans une géométrie totalement maitrisée. On n’est pas guidé par la perception des lignes de fuite mais plutôt par notre corps qui est pris dans un mouvement permanent. « La scénographie de l’espace architectural n’est plus orientée dans une seule direction ; elle est mouvante, et ce sont plusieurs directions d’ouverture de cette figure qui coexistent. »1 nous confie Laurence Kimmel à propos de la figure en spirale.

116 et 117_ Documents personnels, plans schématiques illustrants la déambulation au sein du R+3 du Pedregulho et du R+1 de la FAU 118_ Document personnel, schéma illustrant le mouvement du corps le long d'une droite et d'une courbe

1 KIMMEL Laurence, L’architecture comme paysage Álvaro Siza, Editions Petra, Collection Esthetique Appliquée, 2010, p.48

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2. Sensibilité et matérialité 2.1 Matérialité, formes et couleurs Dans son œuvre, Niemeyer n’utilise qu’un seul matériau uniforme, le béton. Il le maitrise parfaitement, c’est un réel plasticien. En effet, il joue avec les formes inclinées, arrondies, courbées et jongle entre elles avec une grande facilité et une délicatesse incomparable. De l’extérieur, le béton a l’habitude d’exprimer la lourdeur, la pesanteur ou encore le brutalisme mais ici utilisé avec élégance, il permet à la coupole de flotter dans l’air et nous évoque un sentiment de légèreté. À l’intérieur du bâtiment, le béton nous laisse assez neutres mais génère du moins un certain sentiment de profondeur. À l’extérieur, le blanc est éblouissant et triomphant, le soleil tape contre le béton qui rend la couleur étincelante, et non pas sinistre. Pour Vassily Kandinsky, « le blanc agit également sur notre âme comme un grand silence, absolu pour nous. Il résonne intérieurement comme un non-son, ce qui correspond sensiblement à des certains silences en musique [...]. Le blanc sonne comme un silence qui pourrait subitement être compris. »1. Pour Niemeyer, le blanc apparait comme la couleur de la paix et de la sérénité. Elle est matière à réflexion. Ainsi le matériau béton par la pureté de sa couleur et la latence de sa masse, m’a souvent inspiré l’introspection et le rêve. Ce sont ces influences qui guidaient finalement mon pas, mon parcours. Ici la sévérité du béton est 106

adoucie par la pureté des courbes. Elles évoquent la sensualité, la féminité puisque Niemeyer s’inspirait du corps des femmes pour créer ses courbes. L’architecture mouvante du MAC se confond avec les lignes de notre propre corps redessinant l’espace pour constituer un nouveau tout, un nouveau dialogue, une forme de plasticité mystérieuse entre le corps et l’espace. Au niveau de la rampe du musée, une forte démarcation existe au sol entre la dalle de l’esplanade en béton et la rampe. Cela n’échappe pas au regard. En effet, la dalle de la rampe est d’un rouge vif qui rayonne davantage sous le soleil étincelant. Ce rouge semble nous attirer, du moins il attire notre regard qui se focalise dessus. Au début de l’ascension, j’ai eu le sentiment d’entrer dans un ailleurs bien que mon corps soit pourtant toujours à l’extérieur et exactement dans le même extérieur qu’un pas plus tôt. Il n'y a pas de matière adhérente au niveau de la rampe, le sol est lisse, le rouge est ici un élément décoratif qui tape à l’œil. Vassily Kandinsky définit le rouge comme une « couleur sans frontières, typiquement chaude, [...],vive, agitée»2. Je me suis senti en sécurité à travers cette couleur chaleureuse bien que troublante par son éclat. Le fort contraste qui existe entre le blanc et le rouge permet ici de mettre en avant l'un et l'autre en fonction de ce que l'on regarde. Ces deux couleurs viennent aussi se démarquer des couleurs environnantes, soit majoritairement le bleu et le vert. Le paysage se reflète dans les parois vitrées, ainsi la couleur du ciel, son intensité et sa saturation donne chaque jour un nouveau visage au bâtiment. 1 KANDINSKY Wassily, Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier (1954), Éditions Denoël, 1989, p.155 2 KANDINSKY Wassily, op.cit., p.157


119 et 120_ Photographies personnelles du MAC 121 et 122_ Photographies personnelles du Pedregulho

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Dans le Pedregulho, l'utilisation de la brique perforée permet d'obtenir des formes d'ouvertures peu communes qui laisse traverser le regard. Tantôt, notre regard se pose sur la brique orange, tantôt il la traverse pour percevoir le vert de la végétation verdoyante qui entoure les logements. La couleur de la brique est très chaleureuse. C'est un orange dense et lumineux. Ainsi, parcourir les coursives est une promenade très agréable. Le bleu des fenêtres se distingue du blanc du béton ainsi que du orange de la brique mais se confond avec le bleu du ciel lors des jours les plus ensoleillés. Il évoque le calme, c'est un bleu qui apaise. Dans l’œuvre de Bo Bardi, une sensation à la foi visuelle et palpable m’a interpelée, sensation que l’on ne retrouve pas chez Niemeyer, chez Artigas ou Reiddy ; sensation qui génère d’autres expériences car elle fait appel à d’autres sens. La composition des couleurs et des matériaux dans le SESC est une poésie attrayante et colorée à laquelle s’ajoute un brin de folie. Des ouvertures aux formes volontairement irrégulières sont dessinées sur les façades ; ainsi que de nombreux matériaux et détails sont assemblés dans une composition élégante.


L’architecte porte de l’intérêt aux détails et aux sensations que procurent les matériaux à travers leurs caractéristiques, leurs textures, leurs couleurs. Aussi bien dans les halles que dans le centre sportif et la tour d’eau, elle va insérer des détails parfois très discrets, mais mis en valeur, qui vont provoquer chez le visiteur de nombreuses émotions. Pour elle, la matérialité est un prétexte pour intégrer des éléments naturels. En effet, dans le SESC, elle va volontairement laisser apparente la texture du bois de coffrage sur le béton ou encore incruster à la dalle des petits galets. Elle oppose des matériaux bruts comme le béton et la brique à des éléments naturels et combine les formes douces et arrondies des bassins aux lignes rigides du plan dans une composition raffinée. De plus, le rouge, chaleureux, récurrent dans ses projets, vient s’opposer au béton brut glacial et rugueux. On retrouve ce rouge notamment au niveau des gardes corps dans les halles et des volets dans le centre sportif. Ces volets notamment, sont composés d’un treillis en bois qui limitent l’éclat du ciel et la violence du soleil. Les meubles de la cafétéria ou encore les chaises en bois des espaces de lectures nous privent du sentiment de confort. Contrairement au plan sans hiérarchies où notre corps est libre de déambuler comme bon lui semble, s'assoir est ici un acte rigide qui ne laisse pas d'autres choix que de s'installer de manière droite et stricte.

126 123,124,125 et 126_ Photographies personnelles du SESC

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Dans la FAU, le béton brut est omniprésent dans l'ensemble du bâtiment. À l'intérieur, quelques parois de couleurs vives, rouges, bleues et jaunes, tapent à l'œil et attirent notre attention. La rigidité du béton n'empêche pourtant pas au lieu de se caractériser comme dynamique et accueillant. Au contraire, l'absence de matériaux permet de laisser plus de place aux manifestations corporelles de chacun et favorise donc le contact humain. Cette absence de matériaux s'accompagne aussi d'une absence de détails, contrairement au SESC par exemple. Notre regard va donc faire attention aux moindres détails matériels et ponctuels qui viennent habiter le lieu : affiches, maquettes, livres et autres objets du quotidien. Ici, on est donc davantage attentif à ces petites choses qui vont venir bousculer nos sens par leur intimité, leur discrétion. Les pavés du sol extérieur se prolongent sur une partie du rez-de-chaussée mais aussi au sous-sol afin de marquer la continuité. Lorsque l'on passe du sol rugueux de la pierre au sol lisse de l'intérieur, on est assez surpris, en effet, ce changement de matière ne témoigne pas du passage d'un dehors à un dedans. Ainsi, on perd totalement nos repères habituels.

2.2 Masse, densité et vide Particulièrement dans la FAU et dans le SESC, l'espace entre les choses permet à la fois 110

d'assurer des espaces fonctionnels et à la fois d'offrir une expérience sensuelle avec les objets environnants. En effet, le vide qui existe entre les parois, les meubles, permet au corps sensible d'être plus ou moins en tension avec son environnement. Dans ces projets, le vide n'est jamais neutre, il permet de donner du sens au plein et de révéler des sensations corporelles uniques. Par la configuration des plans, on est sans cesse invité à traverser le vide, à le contourner, à passer au-dessus, en-dessous. Quand on se déplace, cette distance entre les choses varie et bouscule nos sens. Un espace, un paysage, est défini par les limites de notre champ de vision et par les rapports qu'il exerce avec les masses environnantes. Les pleins massifs de la FAU prennent du sens grâce au volume signifiant qu'est le vide. On peut comparer ces expériences à l'’œuvre sculpturale de Richard Serra : le vide est mouvement, il permet de considérer et de définir notre rapport aux choses environnantes. « Nous quittons un endroit de l’espace pour atteindre une autre partie de l’espace, le lieu où nous nous trouvons n’embrasse jamais la totalité. »1 explique Erwin Strauss. En effet, l’espace se renouvèle à chaque pas effectué, à chaque regard posé. On prend conscience de notre propre soi, de notre corps grâce à notre perception qui est mise à l'épreuve : quand on se déplace, les masse et les vides environnants bougent aussi. C'est le paysage tout entier qui se déplace avec nous.

1 STRAUSS Erwin, Du sens des sens : contribution à l’étude des fondements de la psychologie (2000), Collection Krisis, Grenoble, p.378


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127,128 et 129_ Photographies personnelles de la FAU


3. Perception, regard et territoire 3.1 Contemplation Pour Rafaele Milani, « observer le paysage fait partie de l’expérience esthétique parce que, à travers sa connaissance et sa contemplation, on apprend à ressentir et à interagir avec notre environnement.»1. Effectivement, il existe une étroite corrélation entre le regard et le territoire lorsque nous parcourons l’espace et c'est ce qui nous permet de comprendre comment nous interragissons avec lui. Dans le MAC, on monte le long de la rampe comme on gravirait les montagnes du paysage environnant. Le contexte urbain et paysager nous permet de nous perdre dans notre imagination et de laisser libre cours à cette dernière à travers la contemplation. « La rampe n'est pas réellement née d'un souci purement plastique ; cela fonctionne avant tout comme un appareil visuel. La parcourir, c'est regarder le grand volume blanc qui grandit à chaque pas, tandis que le panorama historique de Guanabara défile lentement en arrière-plan, comme un fantastique cyclorama. En d'autres termes, la rampe est le chemin d'une promenade architecturale, qui sait ? Suggérant la rotation de la nature autour de la 112

forme blanche, découpée dans le ciel par une ligne qui monte du sol et, sans interruption, croît et se déplie, sensuelle, jusqu'à la couverture ... volontairement circulaire.»2 Comme l'explique Niemeyer, le chemin sinueux de la rampe produit une perception changeante et des vues privilégiées. Les photographies ci-contre ont été prises tous les sept à dix pas et témoignent ainsi des multiples points de vue offerts lors du parcours de la rampe. On comprend bien ici que le paysage s'ouvre petit à petit. Sur la première photographie, c'est «le grand volume blanc » qui s'ouvre devant nous, sur la seconde, on commence à percevoir au loin, les montagnes et notamment le Pão de Açùcar. Sur la troisième et la quatrième, la ligne du garde-corps rase le bas des montagnes et les met ainsi en premier plan. Sur la cinquième, les montagnes qui nous paraissaient si loin quelques pas plus tôt semblent se rapprocher. Sur les trois photographies suivantes, le bâtiment permet de cadrer des vues. Sur la septième, le panorama offert, parfaitement cadré entre deux lignes horizontales, permet de créer un tableau, une fenêtre sur le monde. Comme le souligne Raffaele Milani, « le point de vue est un instrument pour qualifier l’objet »3. En effet, il permet de délimiter, se rapprocher, s’éloigner : l’homme en mouvement permet d’établir une vision globale et comprendre ce qui l’entoure grâce à l’addition de plusieurs points de vue, de plans variables.

1 MILANI Raffaele, Esthétique du paysage, art et contemplation (2001), traduit de l’italien par A. TIBERGHIEN Gilles, Actes Sud, 2005, titre originale : L’arte del paesaggio, Editeur original : Il Mulino, Bologne, p.48 2 citation extraite du film documentaire WAJNBERG Marc-Henri, Oscar Niemeyer un architecte engagé dans le siècle (1999), Wajnbrosse Production 3 MILANI Raffaele, op.cit., p.96


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130_ Photographies personnelles de la rampe du MAC/ Ă regarder de haut en bas, colonne par colonne


Lors de notre parcours, notre imagination permet de créer des évènements spontanés, il modèle dans notre esprit des formes et des univers qui changent en fonction de la rapidité, l’intensité de notre déplacement mais aussi des sensations reçues. Je contemplais un paysage mouvant où ciel et mer se confondent ; où le soleil scintille sur la rondeur des vagues. J’avançais, dans le temps finalement, et les sons, les mouvements, les lumières, soit la vie autour de moi, avançait aussi. Le retournement de la rampe en fin de parcours nous offre un spectacle visuel hors du commun. Quand on monte, on a majoritairement la vue sur la montagne, tandis que quand on descend on a la vue sur Nitéroi, le parvis, la mer. On a donc une lecture changeante du lieu. Le parcours de la rampe suscite de la curiosité, mais aussi de l'attraction et un certain désir de découvrir le paysage qui nous sera offert le pas suivant. Dans le Pedregulho, on entre dans le projet par le Sud, après avoir monté une côte durant une dizaine de minutes. Le paysage rentre dans le vide et vis vers ça. Après avoir effectué un effort pour grimper la colline, on arrive dans ce vide comme on arriverait en haut d’une 114

montagne. En effet, on a une vue plongeante sur tous les quartiers Nord de la ville, soit les quartiers les plus pauvres et les plus défavorisés. Malgré la misère qui s'en dégage, le paysage est doté d'une richesse de couleurs, de formes, de lignes qui se perdent dans l'horizon. On regarde le paysage, on le contemple, on est émerveillés. L'attention et l'appréciation que nous allons lui porter va modifier la représentation que l'on se fait de ce paysage où montagnes et favelas se confondent. Finalement, notre conscience est ici fascinée par ce dessin du monde. Le paysage ici est une force, on est touché par ce cadre illustrant l'autre Rio, si éloigné de l'image de Copacabana. Le Rio où vit et travaille des milliers de Cariocas mais aussi le Rio pauvre et dangereux que l'on cherche souvent à cacher. Quand je regardais l'horizon, j'étais presque ému : le paysage prend ici la forme d'une beauté profonde qui suscite le trouble, la nostalgie. Cela peut être même comparé à de la crainte: on se sent petit, impuissant face à ce monde qui s'ouvre à nous. Là, on se retrouve comme face à face avec l’infini. Le paysage est ici une «architecture du cosmos»1: il s'exprime visuellement sans obstacle et sans nous permettre de définir son contour. 1 MILANI Raffaele, Esthétique du paysage, art et contemplation (2001), traduit de l’italien par A. TIBERGHIEN Gilles, Actes Sud, 2005, titre originale : L’arte del paesaggio, Editeur original : Il Mulino, Bologne, p.141


131 et 132_ Photographies personnelles du Pedregulho

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3.2 Ombre et lumière La lumière naturelle est omniprésente dans l'architecture moderne au Brésil et notamment dans les quatre projets présentés. C'est un élément fondamental pour percevoir correctement les formes de l'espace et du paysage. Cette lumière définit les contours des objets mais elle dépend aussi d'eux puisqu'ils vont permettre de la refléter, de la laisser passer à travers, la renvoyer, la contenir. Dans ce sens, elle peut être considérée comme un matériau au même titre que le béton, le verre, la brique par exemple. Dans chacun des projets étudiés, il existe un jeu entre la lumière et la matière. Dans le MAC, le bassin au pied du bâtiment permet de refléter la lumière du soleil qui vient ensuite taper contre le béton blanc du musée. Grâce à la lumière, il crée des interactions entre les différents éléments qui composent le paysage. Le regard se trouve comme pris dans un dynamisme lumineux. Il y a aussi un fort contraste entre l'ombre présente sur le piller de soutien central et le haut du musée, qui brille sous la lumière tropicale. La nuit, le bâtiment est éclairé 116

par des luminaires incrustés au sol, installés sous le miroir d'eau. Cet éclairage souligne la légèreté de la structure principale. La lumière s'étend au-dessus et se dirige vers le ciel. Dans le hall central d'exposition, la lumière du système d'éclairage technique est utilisée pour l'éclairage ambiant. Cela permet d'intérioriser cet espace, de s'y sentir en sécurité. Dans le Pedregulho, il y a un contraste très fort entre les blocs escaliers très sombres qui donne envie d'être traversé très rapidement et la lumière naturelle de la coursive, venant se fondre dans le orange de la brique qui rend l'espace très chaleureux où l'on prend plaisir à s'y promener. Dans le SESC, la structure est mise en évidence par la lumière zénithale, soulignant son autonomie et sa présence en tant que ligne directrice de conception. C'est la structure qui façonne la lumière. Ici, la lumière vient se refléter sur les différentes surfaces, la pierre rugueuse, le bois lisse, l'eau du bassin. Elle crée des espaces et des ambiances. Ici, la matière lumineuse n'est pas seulement perçue avec les yeux, mais représente également une expérience physique impliquant le corps.


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Dans l'école d'architecture, la lumière naturelle joue un rôle majeur dans l’ensemble du projet puisque tous les espaces sont abrités sous le même toit laissant passer des puits de lumière translucides qui empêchent notamment d'être ébloui par une lumière trop forte. La lumière passe mais de l'intérieur on ne peut pas distinguer nettement les objets présents dans le ciel. Cet éclairage zénithal est très agréable, il diffuse la lumière de manière homogène dans le bâtiment.

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CON CLU S ION

Dans l'architecture moderne brésilienne, homme et paysage dialoguent continuellement dans une nature luxuriante, des villes fragmentées et des horizons incommensurables. À Rio de Janeiro comme à São Paulo, tout va vite, notre corps et notre regard se perdent facilement dans le chaos urbain de ces villes immenses. Dans les quatre projets étudiés, les architectes mettent en place des dispositifs qui habite l'horizon et la nature nous invitant à repenser la manière dont on parcourt l'espace et le paysage. Intérieur et extérieur, proche et lointain, fini et infini viennent jongler avec notre rapport au monde; flux, sensibilité et perception des territoires, c'est ainsi que l'on nourrit notre imagination et notre soi mouvant. Le parcours; la souplesse et la lenteur qu’il engendre nous permet de savourer des moments d'extase, d'épanouissement, d'enthousiasme, mais suggère aussi parfois la mélancolie, la crainte, la curiosité. Parcourir le paysage c'est finalement créer des rencontres uniques avec le monde; c'est aussi comprendre comment fonctionne notre soi et celui des autres. Le Corbusier a défini l’architecture comme « le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière »1 mais grâce à mon analyse et mon vécu corporel des ces différents projets, j’ai pu finalement observer que cet art ne s’arrête pas seulement à cette définition mais rassemble et engage un grand nombre d’interfaces sensorielles individuelles et spontanées. Le corps en mouvement est ce qui permet de voir et de vivre l'architecture et le paysage. D'une part, le corps subit l'espace environnant qui se présente à lui et d'autre part, il va à son encontre ; il le côtoie, le bouscule, le parcourt. Le déplacement du corps à travers le paysage témoigne finalement d’une expérience à la fois passive et active avec le monde. Aussi, il nous rappelle que homme, architecture et paysage sont indissociables.

1 citation extraite de la page internet Fondation Le Corbusier, http://www.fondationlecorbusier.fr/, consulté le 28 Janv. 2020

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_SITES INTERNET Archidaily, https://www.archdaily.com/ Encyclopédia Itaú Cultural, https://enciclopedia.itaucultural.org.br/ Fondation Le Corbusier, http://www.fondationlecorbusier.fr/ Globo, https://www.globo.com/ Google Maps, https://www.google.fr/maps/preview Larousse, https://www.larousse.fr/ Préfetura Niteroi, http://culturaniteroi.com.br/macniteroi/ The Architectural Review, https://www.architectural-review.com/ Vitruvius, https://www.vitruvius.com.br/revistas


ICO N O G RA P H I E

Couverture_ Croquis d’Oscar NIEMEYER du Musée d’Art Contemporain de Nitéroi, extrait de la page internet Préfeitura Niteroi 1, 2 et 3_ Photographies personnelles à l’argentique, Pedra da Gavéa/ Cidade Das Artes/ Catete, Rio de Janeiro 4_ O Japonês (1916),Huile sur toile, Anita MALFATTI 5 et 6_ A Negra (1923) et Abaporu (1928), Huiles sur toiles, Tarsila DO AMARAL 7,8,9 et 10 _ Photographies intérieures et extérieures de la Casa de Gregori WARCHAVCHICK, extraites de la page internet Archidaily 11_ Plan du RDC et du R+1 de la Casa de Gregori WARCHAVCHICK, extraits de la page internet Archidaily 12,13 et 14_ Images illustrant le Ministère de l’Éducation et de la Santé, extraites du film documentaire Oscar Niemeyer, A vida é um sopro (2007), Fabiano MACIEL, Production Sacha 15_ Photographie de la maquette du Ministère de l’Éducation et de la Santé, lors de l'exposition de L'État Nouveau en 1938, extraite de CAVALCANTI Lauro, moderno e brasileiro, A história de uma nova linguagem na arquitetura (1930-60), Jorge Zahar Editor, 2006 16_ Croquis du Plan Pilote de Lúcio COSTA, extrait de la page internet Concursos de Projetos 17,18 et 19_ Photographies personnelles, Catédral Metropolitana/ Ministerios/Edificio do Congresso, Brasilia 20_ Construction de Brasilia (1959), Marcel GAUTHEROT, Collection Instituto Moreira Salles, SP, BRÉSIL 21 et 22_ Photographies de résidences réalisées par Lúcio COSTA , extraites de WISNIK Guilherme, Lúcio Costa Espaços de Arte Brasileira, Cosac & Naify Édições, 2001 23_ Croquis d'Oscar NIEMEYER, extrait de TRASI Nicoletta, Permanence et invention , Éditions du Moniteur, 2007 24,25,26 et 27_ Photographies du Musée d'Art Moderne de REIDY, de la Faculté d'Architecture d'ARTIGAS, du Musée d'Art de São Paulo de BO BARDI et du Musée de la Sculpture de DA ROCHA, extraites de la page internet Archidaily 28 et 29_ Photographie et croquis de la Casa Das Canoas d'OSCAR NIEMEYER, extraite de JODIDIO Philip, Oscar Niemeyer 1907-2012 L'éternité avant l'aube, Éditions Taschen, 2006 30_ Dessin du MAM, extrait de la page internet Archidaily 31_ Croquis du Pedregulho, extrait de la page internet Archidaily 32_ Photographie de la Casa de Vidro, extraite de la page internet Archidaily 33 et 34_ Photographie et dessin de la Casa Cirell, extraite de la page internet Archidaily 35, 36 et 37_ Dessins de Lina BO BARDI illustrants ces inspirations naturelles, extraits de LEPIK Andres, SIMONE BADER Vera, Lina Bo Bardi 100: Brazil's Alternative Path to Modernism, Éditions Ostfildern : Hatje Cantz Verlag, 2014 38 et 39_ Photographies de la Segunda Casa, extraites de la page internet Archidaily 40_ Photographie de la Casa Berquó, extraite de la page internet Archidaily 41_ Menina na Lage, issue de la série Entre Morros (2010), 180x110 cm, Claudia JAGUARIBE, RJ, BRÉSIL 42 et 43_ Pages de croquis d'OSCAR NIEMEYER, extraites de la page internet Préfeitura Niteroi 44, 45 et 46_ Plan de situation et photographies aériennes du MAC et du Pedregulho, extrait de la page internet Google Maps 47_ Coupe de terrain du Pedregulho, extrait de la Revista Tecnologia e Tendências, Rafael Spindler da Silva, n°2, Décembre 2005 48_ São Paulo (1960), René BURRI, Magnum Photo, SP, BRÉSIL 49 et 59_ Photographies avant/après de la réhabilitation des halles, extraites de VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, Éditions SESC São Paulo, 2013 5 51,52,53_ Plan de situation et photographies aériennes du SESC et de la FAU, extrait de la page internet Google Maps 54,55 et 56_ Photographies personnelles de la rampe du MAC et de la FAU et des coursives extérieures du SESC 57 et 58_ Photographies aériennes de la rampe du MAC et du SESC, extraits de la page internet Google Maps


59_ Photographie panoramique personnelle du MAC 60,61 et 62_ Photographies personnelles des passerelles du SESC 63_ Coupe du MAC, extraite de la page internet Préfeitura Nitéroi 64 et 65_ Documents personnels, plans schématiques du MAC illustrant le R+1 et le R+2 du MAC ainsi que le parcours au sein du musée 66_ Plans de niveaux du Pedregulho, extraits de la page internet Globo 67_ Documents personnels, plans schématiques des logements du Pedregulho 68,69 et 70_ Photographies de la construction du Pedregulho, extraites de GIEDON Siegfried, L'Architecture d'Aujourdhui, Août 1952, n°42-43 71, 76 et 77_ Plan du RDC, croquis et coupe longitudinale du SESC, extrait de VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, SESC São Paulo Edições, 2013 72,73,74,75_ Photographies personnelles du SESC 78_ Document personnel, plan schématique du R+1 de la FAU 79_ Photographie de la FAU lors d'une manifestation étudiante, extraite de la page internet Archidaily 80_ Document personnel, coupes transversales schématiques de la FAU 81,82 et 83_ Photographies personnelles de la FAU 84 et 85_ Coupe et photographie de la coursive vitrée, extraites de la page internet Préfeitura Nitéroi 86 et 87_ Photographies personnelles du Pedregulho 88 et 89_ Documents personnels, coupe détail de la coursive et coupe transversale du Pedregulho 90,91 et 92_ Photographies personnelles du SESC 93,94 et 95_ Photographies personnelles de la FAU 96 et 97_ Photographies personnelles de la coursive du Pedregulho 98_ Document personnel illustrant la profondeur de champ lisible lors du parcours de la coursive du Pedregulho 99 et 100_ Photographies personnelles du SESC 101 et 102_ Photographies personnelles de la FAU 103 et 104_ Photographies extraites de la page internet Globo 105 et 106_ Images extraites de la vidéo-conférence du cas d'étude «Conjunto Habitacional Pedregulho» réalisé par Clara Passaro à la Cité de l'Architecture & du Patrimoine, Avril 2017 107_ Croquis de Lina BO BARDI du SESC illustrant ces recherches et inspirations naturelles, extrait de VAINER André, FERRAZ Marcelo, Cidadela da liberdade Lina Bo Bardi e o SESC Pompéia, SESC São Paulo Edições, 2013 108, 109, 110 et 111_ Photographies personelles du SESC 112 et 113_ Documents personnels, schéma de quelques parcours possibles au sein des rampes du MAC et de la FAU 114_ Dessins extraits de KLEE Paul, Théorie de l'art moderne (1956), Éditions Denoël, 1985 115_ Document personnel, plan schématique d'une partie des halles du SESC 116 et 117_ Documents personnels, plans schématiques illustrants la déambulation au sein du R+3 du Pedregulho et du R+1 de la FAU 118_ Document personnel, schéma illustrant le mouvement du corps le long d'une droite et d'une courbe 119 et 120_ Photographies personnelles du MAC 121 et 122_ Photographies personnelles du Pedregulho 123,124,125 et 126_ Photographies personnelles du SESC 127,128 et 129_ Photographies personnelles de la FAU 130_ Photographies personnelles de la rampe du MAC/ à regarder de haut en bas, colonne par colonne 131 et 132_ Photographies personnelles du Pedregulho 133 et 134_ Photographies personnelles de la FAU



TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS SOMMAIRE AVANT-PROPOS INTRODUCTION

5 7 13 15

I.

19

UN MOUVEMENT, DEUX ÉCOLES 1. L’architecture moderne brésilienne, contexte et origine 1.1 La Semaine d'Art Moderne ou « Semaine 22 » 1.2 La première Casa Modernista 1.3 Le Ministère de l'Éducation et de la Santé 1.4 La construction d'une nouvelle capitale, Brasilia 2. Entre Cariocas et Paulistes 2.1 Rio de Janeiro, une architecture poétique et tropicale 2.2 São Paulo, entre brutalisme et tradition 3. Discours sur l’architecture et le paysage : Niemeyer, Reidy, Artigas et Bo Bardi 3.1 Niemeyer, le paysage en tant que protagoniste 3.2 Reidy, le paysage comme outil de conception 3.3 Bo Bardi, la tradition comme allégorie de la nature et du paysage 3.4 Artigas, continuité spatiale et paysage

II.

III.

23 26 29 31 39 39 43 47 47 48 49 52

PARCOURIR LE PAYSAGE DANS L’ARCHITECTURE MODERNE BRÉSILIENNE

55

1. Contextes historiques, urbains et paysagers dans quatre projets brésiliens 1.1 Rio de Janeiro, ville fragmentée et nature luxuriante 1.2 São Paulo, immensité urbaine et paysage contrasté

57 57 66

2. Des dispositifs au service du parcours dans l’espace et le paysage 2.1 Les rampes et les passerelles 2.2 Les parois 2.3 Les ouvertures 2.4 La profondeur

74 74 78 86 93

3. Habiter l’horizon et le paysage 3.1 Intérieur et extérieur 3.2 Proche et lointain

96 96 98

UNE EXPÉRIENCE SENSORIELLE ET ESTHÉTIQUE

103

1. Mouvement, corps et flux 1.1 Déambulation 1.2 Fluidité des mouvements

106 106 111

2. Sensibilité et matérialité 2.1 Matérialité, formes et couleurs 2.2 Masse, densité et vide

112 112 116

3. Perception, regard et territoire 3.1 Contemplation 3.2 Ombre et lumière

118 118 122

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE ICONOGRAPHIE

125 126 128




Parcourir le paysage c'est mettre notre vie corporelle en action, c'est habiter l'horizon et la nature par le biais de notre regard et notre motricité. Dans l'architecture moderne brésilienne, homme et paysage dialoguent continuellement dans une nature luxuriante, des villes fragmentées et des horizons incommensurables. Intérieur et extérieur, proche et lointain, fini et infini viennent jongler avec notre rapport au monde; flux, sensibilité et perception des territoires, c'est ainsi que l'on nourrit notre imagination et notre soi mouvant. Dans ce mémoire, il est question de comprendre comment notre corps interagit avec les paysages de Rio de Janeiro et São Paulo à travers quatre projets : le Musée d'Art Contemporain de Nitéroi d'Oscar Niemeyer, le Pedregulho d'Affonso Reidy, le SESC de Lina Bo Bardi et la Faculté d'Architecture et d'Urbanisme de Vilanova Artigas.

CORPS-PAYSAGE-MOUVEMENT-BRÉSIL-MODERNISME


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