MariaMVaria ictoria Portelles Victoria Portelles
[mémoire de master]
Dirigé par M me Carole Hoffmann et M. Xavier Lambert
Master 2 Création Numérique Dép. Arts Plastiques, Arts Appliqués Université Toulouse-Jean Jaurès Année 2013-2014
Maria Victoria Portelles
remerciements
remerciements
Je tiens à remercier mes professeurs de Master 2 Création Numérique, en particulier Edwige Armand pour son soutien et l’intérêt montré à l’égard du projet. Je remercie également l’équipe du GMEA, notamment Julien Rabin pour son aide précieuse dans la partie du développement informatique du projet, ainsi qu’à Thierry Besche pour ses remarques toujours pertinentes. Un grand merci également à Nicolas Carrière, créateur et développeur qui collabore régulièrement avec le GMEA depuis 2002, pour son soutien technique dans l’utilisation du logiciel Max dans le présent projet.
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le monde entre deux rivages
sommaire
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Remerciements
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Introduction
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1 / Recherche conceptuelle du projet
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I. Les notions d’espace et de lieu au centre d’une géographie vitale
15 18 20
Un jardin localisé : le point zéro de l’expérience Un espace ressenti symboliquement Et la mer, toujours la mer
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II. Les géographies de l’expérience
24 26 28 33
L’« expérience ordinaire » de la géographie vitale Des géographies humanistes À la lisière de la géographie officielle : certaines pratiques artistiques d’une géographie subjective Le sens géographique de l’installation : vers une cartographie sans « carte »
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III. Rêverie et construction de mondes
36 38 40
La rêverie comme expérience du monde La rêverie exprimée : un monde recréé de sons et d’images Deux rêveurs de rêveries
43
IV. Les deux extrémités du monde
44 45 49
Du centre et de l’ailleurs… … au global et au local Pour revenir au centre
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Glossaire des mots clés du projet
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2 / Gestion du projet
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V. Description fonctionnelle et technique
57 59 59 60 63
Description du dispositif et de l’espace de l’installation Structure du dispositif et ensemble de composants Le contenu (images et sons) Le point de vue du spectateur (interactions) Le comportement du dispositif (dynamique)
Le programme, le système de captation Scénographie, circulation et sources d’énergie
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VI. Conduite du projet
67 68 71
Identification des tâches Calendrier Budget
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VII. Aspects juridiques
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Droit de la propriété intellectuelle
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3 / Stage et finalisation du projet
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VIII. Présentation de la formation et de l’étudiante
77 78
Le Master Création numérique Curriculum vitæ de l’étudiante
79
IX. Stage au GMEA, Centre national de création musical d’Albi-Tarn
80 82 85 89
Le GMEA Les Journées électriques Les missions Travail sur le projet de master
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Géographie vitale et géographie de l’installation : en guise de conclusion
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Table des Illustrations
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Corpus de sources
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Annexes
sommaire
63 65
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introduction
le monde entre deux rivages
Le présent projet part du mémoire Le bord du monde, présenté l’année dernière. Il en constitue la suite conceptuelle, il le complète en quelque sorte, mais aussi on pourrait dire que le premier projet complète celui-ci. Il y a des questions abordées dans le premier projet qui sont moins évidentes dans ce second projet et vice-versa. Il est parfois difficile de faire apparaître tout ce qu’on pense sur un sujet dans une seule œuvre. Alors, il y a d’autres idées qui surgissent, comme pour une série ou un essai photographique. C’est d’ailleurs de cette façon, comme une succession de propositions enchaînées, que j’ai en principe envisagé chaque levé de la cartographie subjective. Pour ce qui est du sujet principal et des enjeux conceptuels, ils restent les mêmes dans les deux œuvres : l’expérience de la frontière et du fragment, ainsi que les idées associées sur la question de la construction du monde par le biais de la subjectivité humaine. Les variations sont surtout de type formel, dans la disposition de l’installation, le nombre de projections et dans le contenu des images vidéo. Bien entendu, cela ne signifie pas que la forme n’apporte pas d’autres contenus – la forme est toujours contenu –, mais seulement que ces variations formelles ne modifieront pas radicalement mes propos originels. Dans Le bord du monde, de par la forme de l’installation avec les quatre projections de bords de mer tout autour, l’espace insulaire, que j’associais au petit jardin et à l’idée de subjectivité, était plus patent. Il se perd un peu dans ce nouveau projet, bien que mon expérience d’insulaire soit celle d’une île longue et étroite, ce qui rejoint l’idée de « deux rivages » du titre. D’autre part, la connexion entre la clôture du jardin et le bord de mer (et par cela même entre l’espace du jardin et l’espace insulaire) est plus claire ici. Le monde entre deux rivages comptera deux projections vidéo : une première sur le mur d’entrée à un espace rectangulaire et l’autre à l’intérieur de cet espace, sur le mur au fond de la pièce. L’entrée à l’espace se situera au centre du mur de la première projection (dans l’absolu, après il faudra faire des ajustements par rapport à l’espace où sera placée l’installation), donc le spectateur sera obligé de passer à travers pour accéder au reste de l’installation. Sur le sol de l’espace intérieur, immédiatement à côté du seuil d’entrée et couvrant à peu près 2/3 de la surface de la pièce, il y aura un tapis d’herbe artificiel adjacent aux murs. La première projection montrera un bord de mer. Lorsque le spectateur s’en approchera pour traverser l’entrée elle basculera vers l’image de l’entrée d’un jardin de maison, avec sa clôture vue de l’extérieur. Debout en face de cette projection, on pourra percevoir, à travers l’entrée, l’image du jardin qui sera projetée au fond. Cette image se changera à son tour en bord de mer lorsque le spectateur se trouvera sur le bord du tapis, celui-ci ne couvrant pas toute la surface de la pièce. Au-delà le tapis l’image disparaîtra. Parmi les nouveaux contenus qui se dégagent de la forme de l’installation par rapport à celle de l’année dernière je peux mentionner l’accentuation de la notion d’espace intérieur, l’intérieur du jardin. Le spectateur est amené à entrer dans cet espace intérieur en traversant la porte du jardin. La surface de projection le sépare nettement de l’extérieur. Il y a aussi l’idée de passage, passage d’un rivage à l’autre à travers le jardin, et l’idée de l’élément extérieur qui réapparaît à l’intérieur dans une dialectique qui ne se décide pas à les séparer véritablement : la mer est retrouvée dehors et dedans, elle poursuit le spectateur lors de son déplacement. La mer comme commencement et comme fin.
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introduction
1. Modélisation 3D de l’installation vue d’en haut, deuxième espace.
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le monde entre deux rivages
Dans la partie conceptuelle du présent mémoire, je m’attacherai au développement de ces aspects du projet, ainsi qu’à l’analyse de référents théoriques et artistiques qui ont nourri ma réflexion au cours de sa réalisation. Le mémoire est divisé en trois grandes parties correspondant, tout d’abord, à ces fondements conceptuels que je viens de mentionner, deuxièmement, à la méthodologie de gestion du projet – description fonctionnelle et technique et dimension budgétaire et juridique –, et pour finaliser, au rapport de stage. La partie théorique est divisée en quatre chapitres qui constituent, pour beaucoup, une poursuite ou prolongation des réflexions initiées en Master 1. On ne reviendra pas donc sur des problématiques traitées auparavant qu’on suppose déjà intégrées à la réflexion : la dette théorique envers les idées du constructivisme radical ; les traits morphologiques associés au jardinet privé qui intéressent dans le cadre de ce projet ; l’analyse des symbolismes qui se dégagent de la forme jardin, d’un point de vue historique, en tant qu’espace pouvant abriter des mondes ; les contenus métaphoriques de l’espace du petit jardin par rapport à la subjectivité ; les pourquoi culturels d’une quelconque préoccupation à l’égard de l’insularité ; la corrélation entre le concept d’expérience tel qu’il est examiné par Dewey et l’expérience qui fait le spectateur au sein du dispositif interactif. Si ces idées font l’objet d’une mention, ce sera seulement dans un esprit voué à leur approfondissement conceptuel. À la fin de la première partie du présent mémoire, j’ai voulu ajouter nonobstant un glossaire des mots clés du projet pour créer un lien entre la réflexion de l’année dernière et celle-ci. Il devrait permettre de se repérer rapidement dans l’univers conceptuel de l’œuvre. Mon premier chapitre sera consacré à la dimension expérientielle des notions d’espace et de lieu, envisagés comme des constructions de l’esprit humain. C’est un constat qui peut paraître évident dans le cas du lieu, associé plus facilement à des valeurs personnelles et culturelles, mais qui est moins clair par rapport à l’espace, qui a connu, de longue date, le monopole d’une vision géométrique prétendument aseptisée ; d’ailleurs, cette approche aura tenté de banaliser également le sens du lieu. L’analyse des notions d’espace et de lieu portera donc sur les connotations symboliques de l’espace géographique dans lequel on vit, circonscrit notamment dans ce projet à l’espace du petit jardin de maison et à l’espace insulaire. Dans un premier temps, nous examinerons ces notions dans leurs aspects géométriques ; puis, suivant une perspective psychologique et anthropologique, nous verrons comment l’espace se charge de significations qui se référent directement à la manière dont chaque individu ressent son corps dans l’espace. Enfin, nous traiterons les connotations socioculturelles qui apparaissent dans la relation à l’espace insulaire spécifique à mon projet. Ma démarche portant sur les relations subjectives avec l’espace géographique, le deuxième chapitre examinera de manière critique la géographie traditionnelle : comment elle a été remise en question sur ses prérogatives d’objectivité de l’intérieur même de la discipline, et comment elle a été revisitée dans le domaine de l’art à partir de trois exemples qui prennent distance de sentiers battus de la géographie comme science. Au cœur de cette réflexion, le concept d’expérience, indispensable pour parler d’une géographie vitale, c’est-à-dire d’une géographie qui n’a du sens qu’à partir du sujet qui habite le territoire. La fin du chapitre se charge de mettre en perspective ma propre idée de la « cartographie subjective » à l’égard de référents examinés.
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introduction
Le troisième chapitre aborde la question de la rêverie en tant qu’expérience poétique du monde, c’est-à-dire comme processus éveillé de l’imagination par la construction de mondes à l’intérieur du petit jardin. La rêverie est considérée comme partie de l’expérience du territoire qui est à l’origine du processus de création du projet. Puis, j’expose comment elle est recréée par le couplage du son et des images intégrées au dispositif interactif, où c’est alors l’expérience du spectateur qui est mise en avant. Les références à La poétique de la rêverie, de Gaston Bachelard, sont permanentes dans cette section ; l’importance de ce texte pour l’évolution conceptuelle du projet est inestimable. Dans la conclusion du chapitre, j’examine le cas de deux rêveurs qui ont contribué eux aussi à ma réflexion sur la rêverie dans mon projet, l’un en provenance de l’art, l’autre de la littérature de fiction. Ils vont m’aider à rendre manifeste un sentiment de nostalgie d’ailleurs que mon propre projet partage avec eux. Le quatrième et dernier chapitre analyse l’expérience du monde à partir des deux extrêmes qui sont l’espace autour du sujet – le territoire où se trouvent ses lieux affectifs – et l’espace lointain – non connu par l’expérience, imaginé ou rêvé. Le chapitre analyse aussi la question du possible changement dans la relation avec le territoire de l’expérience vitale et avec l’ailleurs, devenu le global proche du réseau. Les questions traitées peuvent s’avérer complexes par moments, ce qui risque de m’éloigner de mon sujet principal. Donc, par souci de cohérence avec le présent projet, et sans aucune prétention d’exhaustivité, mes réflexions se tiendront de manière circonscrite à l’espace du jardin et à l’espace insulaire, en tant qu’espaces qui conforment ma propre géographie vitale.
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un jardin localisé : le point zéro de l’expérience
un jardin localisé
: le point zéro de l’expérience
« Je sors de chez moi », ce sont les premiers mots qui me viennent à l’esprit pour commencer. Je sors. Mais avant de sortir vraiment de chez moi, je traverse le jardin, je traverse un espace qui devient une passerelle vers le monde extérieur. L’allée centrale contribue à me fixer sur cette idée. Je vais d’un point, la maison, vers un autre, la rue, la ville, le monde au-delà de la clôture. Pourtant, bien que dans ce souvenir je sois en train de sortir de chez moi et que le jardin se présente comme un espace de passage, il est aussi un lieu précis de ma géographie vitale (ou du moins il l’est dans ma mémoire, car je n’y habite plus de manière continue depuis quelques années). Peut-être pour cela même est-il devenu un symbole de ma relation avec le monde, et de la relation subjective en général. Les concepts d’espace et de lieu sont souvent mélangés dans l’usage courant. Il nous est difficile de faire une nette distinction entre les deux termes, bien qu’ils soient omniprésents dans notre cadre de vie : on est toujours dans l’espace, on s’y déplace, on vit dans un lieu. Il s’agit de deux notions voisines dont l’interdépendance nous paraît très claire dans notre condition d’ « usagers de l’espace »1, comme aurait dit Georges Perec. On pourrait distinguer cependant deux manières principales d’envisager le concept d’espace par rapport à la géographie, l’une dans son aspect géométrique – que ce soit considéré dans une, deux ou trois dimensions – et l’autre dans un aspect que l’on pourrait appeler psychologique et anthropologique. Concentrons-nous d’abord sur les aspects géométriques de l’espace, laissant ses autres qualités pour les prochains sous-chapitres. Dans la conception géométrique de l’espace, celui-ci est défini en termes de distances comprises entre les différents objets ou lieux ; une signification qui demeure voisine de celle de surface. On est dans un procédé d’abstraction du réel qui nous fait plonger aussitôt dans l’univers des plans et des cartes, et des mesures du géomètre. Dès lors, on peut procéder à la classification du jardin selon sa surface : il devient un carré ou un rectangle qui se situe couramment devant la maison. Le jardin serait un espace délimité grosso modo par des clôtures. Il s’agit là d’une question clé dans mon installation, car elle définirait la correspondance entre l’espace du petit jardin et l’espace insulaire. Le jardin n’est pas seulement un espace, mais est situé aussi dans l’espace que représente la carte. Il en occupe une portion : il est une portion de l’espace tout en étant lui-même espace. Les espaces, par cette propriété d’emboîtement qui les caractérise2, contiennent et sont contenus par d’autres espaces. Le jardin en tant qu’espace localisé dans un territoire relève surtout du repérage : où je suis, à partir d’où je vais quelque part. Suivant cette logique, l’espace du petit jardin est une figure géométrique – carré ou rectangle – formée par quatre côtés en angle droit, dont au moins trois correspondraient à la clôture. Le fait de le voir, au contraire, comme le négatif résultant des surfaces adjacentes – des jardins voisins, de la rue et du trottoir et de la maison elle-même –, ne nous apporterait pas davantage d’information quant à sa forme, mais nous servirait d’indice à la supposition que les relations spatiales peuvent s’avérer plus complexes qu’on ne le pense. En effet, l’espace dans lequel on vit n’est pas l’espace vierge de la géométrie plane. C’est un espace qui se définit, non pas uniquement en fonction de sa forme géométrique, mais aussi en fonction des relations qu’il établit avec l’espace qui l’entoure, ou pour l’énoncer plus correc* Abraham Moles, Elisabeth Rohmer, Psychosociologie de l’espace, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 53. 1. Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 2010. 2. Anne Cauquelin défine la « logique d’emboîtement » par rapport à l’espace, mais en se référant au fait que l’espace contient en lui le lieu, qui à son tour contient le corps : « (…) le lieu est dans l’espace qui forme boîte autour de lui, et le lieu est autour du corps qu’il emboîte. » Anne Cauquelin, La conjuration du site. In : Daniel Parrochia (dir.) Penser les réseaux, Paris, Champ Vallon, 2001, p. 117.
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tement, en fonction des relations de sens que nous construisons entre les différents espaces de notre vie. Pour le cas qui nous occupe, le petit jardin privé, la proximité avec le corps de la maison dépasse les seules connotations géométriques et devient proximité symbolique. Le jardin se voit ainsi envahi par les attributs normalement associés à la maison : intérieur, repos (voire inaction), protection. Et en même temps, le jardin, jouant du statut de paradoxe qui le caractérise, ne laisse pas d’évoquer l’extérieur, appelant l’ouverture et le dynamisme de l’action à venir. Ce sont ces derniers aspects par ailleurs qui vont se dégager de sa proximité avec l’espace extérieur de la rue. Cette localisation du petit jardin dans l’espace géographique qui contient la maison (et même dans un espace géographique spécifique) est fondamentale pour moi. Il y a plusieurs idées qui s’ensuivent. Le petit jardin, fragment de monde, s’érigerait en symbole de l’aspect particulier de nos relations à l’espace géographique. Sa localisation signalerait le point zéro3, le commencement, de notre expérience du monde. Le jardin tout entier deviendrait donc, de manière métaphorique, le point de départ à partir duquel notre géographie vitale s’étend, la mienne notamment. Dans mon projet, il ne faut donc pas comprendre le jardin en tant que structure jardinière, d’après sa composition végétale ou ses qualités esthétiques ; il est présent fondamentalement en raison de sa situation spatiale, comme portion jointe à la maison, comme frontière paradoxale entre l’intérieur et l’extérieur. L’espace du petit jardin de maison se révèle en toute sa complexité : c’est une frontière, un espace de passage, mais c’est aussi un espace où l’on peut rester, voire que l’on peut parcourir (dans les limites relativement petites de sa taille, bien entendu). On peut y passer du temps, qui n’est pas seulement consacré à son entretien ou à planter de nouvelles espèces, mais aussi à y rester tout simplement sans un but précis, à guise de simple loisir contemplatif ; bref des occupations souvent propices à la rêverie. L’idée du petit jardin comme un point, point zéro, nous rappelle qu’il est également un lieu précis, un point que l’on peut signaler avec le doigt sur la carte. C’est en fait la première définition donnée par le Petit Robert : point : 1175 « endroit, moment » ; lat. punctum « piqûre » A. Portion de l’espace déterminée avec précision. 1. Endroit, lieu4
les notions d’espace et de lieu au centre d’une géographie vitale
Avec le jardin envisagé comme un lieu dans le sens d’un point dans l’espace, on reste encore dans une compréhension géométrique de l’espace. Sur cela, Yi-Fu Tuan nous dit : « si nous pensons l’espace comme quelque chose qui permet le mouvement, alors le lieu devient une pause ; chaque pause fait du mouvement dans l’espace un lieu »5. Là à nouveau, il nous serait possible de dégager de contenus symboliques de l’approche géométrique. Le petit jardin pourrait être vu, d’après cette idée, comme une pause avant (ou pendant) notre relation avec le monde : il serait une pause dans le mouvement vers l’extérieur. Cependant, que ce soit pause, portion ou point dans l’espace, cette définition de lieu (retenue par la plupart des dictionnaires) ne trahit pas son héritage de l’esprit mathématique qui connut son essor notamment à partir du xvie et qui s’étendit jusqu‘au xviiie siècle. Durant cette période, l’application des mathématiques pour comprendre la nature était de rigueur. Le calcul de distances et le mouvement des corps étaient d’un grand intérêt. On s’occupait, entre autres, 3. Anne Cauquelin parle elle aussi d’un point zéro, mais par rapport au point d’où l’on regarde le jardin. cf. Anne Cauquelin, Petit traité du jardin ordinaire, Paris, Payot et Rivages, 2005, p. 73. 4. Le Nouveau Petit Robert de la langue française [CD-ROM], Paris, Le Robert, 2001. 5. Yi-Fu Tuan, Espace et lieu : la perspective de l’expérience, Gollion, Infolio, 2006, p. 10.
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un jardin localisé
6. René Descartes, Les principes de la philosophie. In : René Descartes, Œuvres philosophiques de René Descartes, Paris, Auguste Desrez (imprimeur-éditeur), 1838, p. 309. 7. Tacita Dean, Jeremy Millar, Lieu, Paris, Thames & Hudson, 2005, p. 15. 8. Ibid., p. 16. 9. Ibid. 10. Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 10. 11. Ibid., p. 139-140.
: le point zéro de l’expérience
des grandes distances qui séparent les planètes, des étoiles éloignées et de leur mouvement dans l’univers, de notre position comme planète par rapport au reste de l’univers ; ce furent les travaux de Copernic et de Galilée surtout. Cette grande préoccupation pour l’étendue se traduit pour un souci moindre à l’égard de la notion de lieu, défini de cette sorte en n’étant qu’un point. Le véritable centre d’attention fut monopolisé par l’espace où ces points, ces lieux, étaient mis en relation mathématiquement. Le lieu resta important donc en raison des correspondances qu’il pouvait établir avec d’autres points dans l’espace. Et Descartes affirmera : « (…) si nous disons qu’une chose est en tel lieu, nous entendons seulement qu’elle est située de telle façon à l’égard de quelques autres choses (…) »6. Le corollaire fut, selon précise Tacita Dean, le triomphe de l’espace sur le lieu, car le concept d’espace fut perçu comme plus efficace pour développer la réflexion sur l’infini et l’étendue, et que des considérations subjectives tel que le sentiment d’attachement à un lieu – si importantes pour faire d’un lieu ce qu’il est – ne s’estimèrent pas pertinentes à l’égard de cette analyse en question7. On assiste de la sorte au déclin de la notion de lieu, ou plutôt à l’émergence d’un concept de « lieu diminué »8. L’esprit rationaliste peut nous sembler insuffisant pour discerner les complexes subtilités du concept de lieu, notamment si l’on tient compte de notre expérience subjective (y a-t-il une autre ?) des lieux. Malgré son discrédit historique, nous sommes témoins que la notion de lieu demeure centrale dans la vie des êtres humains. Si le lieu était uniquement un point situé dans l’espace, où seraient passées ses « qualités secondaires » telles que la couleur, la température ou la texture ? Comment les réinterpréter en termes de distances calculables ?9 Sans parler des significations individuelles qui sont, pour leur part, de l’ordre de l’immatériel. C’est sous cet angle que la réflexion menée par Yi-Fu Tuan sur le concept de lieu va un peu plus loin. Il précise alors : « ce qui au départ est un espace quelconque devient un lieu dès que nous le connaissons mieux et que nous lui accordons une valeur »10. Connaître un lieu de manière intime est par ailleurs un processus qui demande un certain temps de relation, durant lequel des événements et des histoires personnelles, matière des souvenirs, auront lieu. Yi-Fu Tuan explique l’apparition du sentiment d’appartenance au lieu comme conséquence d’un comportement typiquement humain qui est celui de s’occuper de ses pairs malades ou blessés. Un groupe humain nomade (de premières sociétés humaines), à différence des babouins par exemple, n’abandonnerait pas un membre en situation de handicap, mais s’arrêterait pour le soigner. C’est commun pour tous les animaux de s’arrêter dans un lieu qui peut satisfaire à leurs besoins biologiques (nourriture, eau, repos, procréation), mais c’est spécifique à l’humain de le faire en plus pour apporter du soin à ceux qui sont en difficulté. En agissant ainsi, les humains créent des liens avec le territoire. Des sentiments d’attachement renforcés envers le lieu en question apparaissent, et le lieu devient un centre de valeurs. Selon Yi-Fu Tuan, l’expérience qui surgit de la relation du malade avec l’espace où l’on a pris soin de lui serait en partie à l’origine de l’affection durable que l’on ressent encore aujourd’hui pour la maison11. C’est valable surtout pour les lieux intimes, lieux de protection, tels que la maison. On s’y sent protégé comme dans un refuge où l’on peut se remettre de ses blessures et où l’on peut être soigné par ses proches. N’est-il pas notre maison au bout du compte où l’on se récupère de dures épreuves, où l’on se repose après d’intenses journées de travail ?
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Ces propriétés de la maison influencent, comme j’ai déjà dit, l’espace annexe du jardin et permettent de l’envisager également en tant que lieu, car il s’agit d’un espace également chargé des significations pour les habitants de la maison. Un jardin de maison, cela veut dire qu’il a une maison qui lui appartient (ou à l’inverse) et qu’ils s’accordent l’un l’autre un statut singulier parmi le reste de jardins et de maisons. Avec la maison, il partage les connotations de protection, de confort et d’intimité ; avec le monde au-delà de la clôture, il partage les attributs naturels. Le petit jardin privé, point zéro de notre expérience du monde, point localisé dans l’espace, renvoie sans effort à l’image de la carte, mais d’une carte personnelle sur laquelle se situeraient les différents espaces de notre vie. Ainsi, en fonction des histoires individuelles, cet espace géométrisé gagne en densité symbolique, il acquiert une identité. C’est justement ce qui confère au petit jardin sa condition de lieu. un espace ressenti symboliquement
les notions d’espace et de lieu au centre d’une géographie vitale
Bien que l’homme partage avec les animaux l’attachement aux lieux qui satisfont leurs besoins biologiques, et qu’il partage avec les primates, par exemple, le même type d’organes sensoriels, les humains se différencient par leur capacité de symbolisation extrêmement perfectionnée12. Le sens du territoire et du lieu chez l’humain va donc au-delà de ce qui est strictement biologique, et englobe des significations très diversifiées qui touchent aux croyances, à la culture, à la mémoire, aux rencontres et aux relations avec les autres sujets, à la famille, aux sentiments, aux expériences individuelles… Donc, le lieu dépasse sa définition en tant que point situé dans l’espace. Le lieu est directement engendré par la vie humaine, il est construit. C’est comme un morceau d’espace apprivoisé. Il est spécifique et identifié. L’espace serait-il alors plus général et indépendant ? Que le lieu soit un condensé des valeurs relatives à l’individu ou au groupe ne veut pas dire pour autant que l’espace nous soit donné, ou qu’il mène au contraire une existence indépendante de nous, de nos perceptions et de nos désirs. L’espace de notre vie, dans lequel, comme dirait Foucault « se déroule (…) l’érosion de notre vie, de notre temps et de notre histoire, cet espace qui nous ronge et nous ravine »13, n’est pas un espace neutre et uniforme, il est ressenti de manière différente par chacun, selon des situations aussi changeantes. C’est, comme l’affirme Bachelard, un espace vécu, et il est impensable qu’il soit uniquement envisagé comme l’espace indifférent des opérations de mesure du géomètre, car « il est vécu non pas dans sa positivité, mais avec toutes les partialités de l’imagination »14. En parlant de l’œuvre de Bachelard consacrée à l’espace, Foucault décrit poétiquement des qualités différentes que nous pourrions accorder à l’espace : (…) c’est un espace léger, éthéré, transparent, ou bien c’est un espace obscur, rocailleux, encombré : c’est un espace d’en haut, c’est un espace des cimes, ou c’est au contraire un espace d’en bas, un espace de la boue, c’est un espace qui peut être courant comme l’eau vive, c’est un espace qui peut être fixé, figé comme la pierre ou comme le cristal15.
La vision géométrique souligne le caractère universel de l’espace. L’espace est le même pour tous les êtres vivants. On s’efforce d’y voir un espace anonyme commun à tous, mais en réalité ce n’est qu’une stratégie vouée à optimiser la communication, comme pour la confection de 12. Ibid., p. 9. 13. Michel Foucault, Des espaces autres, conférence au Cercle d’Études Architecturales (14/03/1967), Paris [en ligne]. Disponible sur : <http://foucault.info/documents/heteroTopia/foucault.heteroTopia.fr.html> (consulté le 08/03/2013) 14. Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, PUF, p. 17. 15. Michel Foucault, op. cit.
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cartes, ou bien à faciliter les opérations économiques et politiques, comme pour les transactions immobilières ou les redistributions territoriales. L’accent est mis sur ce qui est mesurable et situable : distances et surfaces. L’espace géométrisé reste une conception fonctionnelle. Cependant, même l’espace d’après une approche géométrique est, lui aussi, un espace construit ; c’est-à-dire que ces relations géométriques ne sont pas intrinsèques à l’espace, mais ont été modelées par l’esprit humain : Il est devenu commun de dire que l’espace géométrique constitue la réalité objective et que les espaces personnels et culturels sont des distorsions. En fait, nous savons seulement que l’espace géométrique est une construction sophistiquée de l’esprit humain dont l’adoption nous a rendus capables de contrôler la nature à un degré jusqu’ici impossible16.
16. André-Louis Sanguin, La géographie humaniste ou l’approche phénoménologique des lieux, des paysages et des espaces [en ligne]. In : Annales de Géographie, 1981, t. 90, n°501, p. 568. Disponible sur : <http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ geo_0003-4010_1981_num_90_501_20040> (consulté le 25/12/2013) 17. Paul Valéry, Tel quel, Paris, Gallimard, 1943, p. 293. 18. Abraham Moles, Elisabeth Rohmer, Psychologie de l’espace, Paris, Casterman, 1972. Ce livre intègre les chapitres 1-4 de Psychosociologie de l’espace, Paris, L’Harmattan, 1998, des mêmes auteurs. 19. Abraham Moles, Elisabeth Rohmer, Psychosociologie de l’espace, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 83-109. 20. Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 44. 21. Ibid., p. 38. 22. Ibid., p. 44-45.
un espace ressenti symboliquement
Il est possible de dégager, en plus, des significations symboliques des relations géométriques. On l’a vu précédemment pour les relations géométriques qui opèrent entre l’espace du jardin et l’espace autour. L’espace est une construction symbolique de l’esprit, tout comme le temps : « l’espace est un corps imaginaire comme le temps un mouvement fictif »17, dit Valéry. Dans Psychologie de l’espace18, Abrahams Moles appuie cette idée que l’espace n’est ni pur ni neutre, mais conditionné par l’expérience humaine. Pour lui, le sujet se situe au centre de son espace. Ainsi, l’homme serait-il entouré par des couches successives d’espace – des « coquilles »19 – commençant par l’espace de sa propre peau jusqu’au vaste monde. Les différentes couches constituent en elles-mêmes de nouvelles peaux. Elles se distinguent entre elles moins par l’éloignent successif du corps du sujet, que pour les significations que ces espaces acquièrent en fonction du vécu individuel et social. Dans une vision psychologique de l’espace, on s’intéresse plus à la façon dont l’espace est ressenti par le sujet, qu’à des questions géométriques abstraites, déliées du cadre de vie. Les distances ou les surfaces ne seraient pas négligeables que dans la mesure où elles impliqueraient des comportements ou des sentiments envers l’espace environnant. Les enjeux seraient multiples par rapport aux questions de la qualité de vie. Par exemple, quelle importance peut revêtir le fait qu’on puisse effectivement placer l’ensemble de ses propriétés dans une chambre minuscule si on y ressent un « manque d’espace » ? Comme Moles, Yi-Fu Tuan partage une conception anthropocentrée de l’espace. « Chaque personne est au centre de son monde », affirme-t-il, « et l’espace environnant est classé en accord avec le schéma de son propre corps »20 : vertical-horizontal, élevé-bas, avant-arrière, gauche-droite ; et cela la plupart du temps de façon inconsciente. Chacune de ces notions suppose des significations qui sont transposées à l’espace de vie. Elles peuvent varier d’une culture à une autre, mais le principe reste semblable, et cela parce que, comme dit Yi-Fu Tuan, en s’appropriant la phrase attribuée à Protagoras, « l’homme est la mesure de toute chose »21. Rien de bien étrange alors si l’on ressent son lieu de résidence, comme un point central et l’espace du jardin comme le point où débute la relation avec le monde. La valeur somatique de l’espace d’avant-arrière22 analysée par Yi-Fu Tuan peut être appliquée également au petit jardin de maison. Des contenus symboliques émanent de sa situation spatiale
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devant la maison. Ils découlent des codes établis selon l’expérience spatiale du corps humain. L’espace vers l’avant du sujet est principalement visuel. Il est aussi plus vivant et ressenti comme plus large que l’arrière, qui ne peut être appréhendé que par des indices non visuels. L’avant nous paraît illuminé, parce qu’on le voit ; l’arrière sombre, pour la raison inverse. Il y a aussi des significations par rapport au temps : l’avant, c’est l’horizon, le futur ; l’arrière, le passé. Dans le monde occidental, l’espace construit par les hommes répond en général à cette hiérarchie d’avant-arrière. On notera ainsi que le prestige de l’avant l’emporte sur celui de l’arrière : l’avant des immeubles c’est la vitrine, où l’on se montre, il abrite l’entrée principale qui sera d’ailleurs destinée à l’usage des gens de la maison et des visiteurs ; à l’arrière, on place ce que l’on veut dissimuler, l’accès pour le personnel d’entretien et les livreurs. Dans une maison comportant deux portes, une devant et une autre à l’arrière, l’on préférera l’usage de celle de devant. Bien entendu, il ne s’agit là que des généralités et en ce qui concerne le jardin, il y aura toujours des maisons qui, cherchant une plus grande intimité, par exemple, situeront celui-ci dans la partie arrière. En tout cas, pour ce qui est du jardin qui nous occupe, il suit la structure devant, plus répandue, avec toutes les connotations de futur qu’elle implique. C’est le futur de l’expérience dans le monde, c’est la promesse de l’horizon que remplace la clôture. et la mer, toujours la mer
les notions d’espace et de lieu au centre d’une géographie vitale
Il est évident qu’ici il ne s’agit pas de la mer comme milieux aqueux, ni comme environnement des poissons. Ce n’est pas non plus la haute mer, l’océan sans la terre. C’est plutôt la perspective inverse, la mer qui se vit depuis la côte, la mer omniprésente, bref la mer de l’île. La mer est mon obsession d’insulaire qui a toujours vécu à quelques centaines de mètres de la côte. La côte, espace partagé avec les autres, se transforme en lieu : cette côte-là où j’ai appris à nager, cette côte-là où ma mère m’amenait lors de mes crises d’asthme d’enfance, espérant que l’air pur de l’océan m’aiderait à récupérer mon souffle… Pourtant, « le lieu existe à différentes échelles »23. À côté de ce bord de mer avec lequel on noue des liens étroits, personnels et exclusifs, il existe aussi le bord de mer plus grand qui conforme l’île. Ce dernier est lui aussi un lieu, malgré son extension plus considérable, et bien qu’il soit connu seulement de manière fragmentée. Yi-Fu Tuan précise que celle-là est une expérience de type indirect et conceptuel, car nous appréhendons le lieu par le biais de symboles24 verbaux ou numériques. La notion d’île serait, de ce point de vue, une notion apprise et partagée par un groupe humain donné. Le partage de ce qui signifie un territoire insulaire en particulier ne se réduit pas néanmoins à une notion géographique apprise ; le partage comprend aussi des valeurs culturelles et des événements sociohistoriques liés à l’espace du littoral et à la mer. Aussi, les concepts d’espace et de lieu en relation avec le bord de l’île, comme il y a un moment avec le jardin, ne demeurent-ils pas figés dans le temps, mais sont en reconstruction constante. Le concept de géographie vitale abordé dans mon projet cherche à véhiculer l’idée que le monde est construit subjectivement, ce qui veut dire que le processus est à la fois individuel et collectif, comme dans le cas de l’espace insulaire. La signification subjective d’un lieu est un mélange entre des significations qui s’inscrivent dans le registre social ou collectif de la vie 23. Ibid., p. 151. 24. Ibid., p. 10.
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2. Le monde entre deux rivages, photogrammes des vidéos du thème de la mer.
2 ; cf. p. 4, 116
et la mer, toujours la mer
humaine et des significations proprement individuelles qui se conforment à partir des histoires de vie, sans que parfois il soit possible d’établir une nette séparation entre les deux. Le bord de l’île – bord de mer – apparaît dans le projet comme le bord de l’espace subjectif représenté par le jardin. Il symbolise justement cette zone partagée avec les autres, le caractère à double entente de l’espace (patrimoine commun et personnel en même temps). Avec les images de mer, j’ai cherché à réaliser une espèce d’essai (forcement inachevé) sur la mer dans mon espace de vie ; j’ai voulu montrer ces lieux de mer qui ont conformé mon espace insulaire individuel et partagé. Dans un premier moment, j’avais eu l’intention de n’utiliser que des images de bord de mer, des paysages marins en somme. Mais en ne faisant que cela, le bord de mer serait resté neutre, anonyme. Je me suis donné l’objectif alors de peupler les images vidéo de bords de mer. Forcément l’espace du bord de mer s’est transformé en lieu. Les images montrent non plus seulement la mer (le paysage, la nature), mais des micro-histoires qui s’y déroulent ou qui s’y sont produites. Il y a la trace de la vie dans un contexte particulier et il y a des gens qui y réalisent des actions et qui interagissent avec l’espace ; bien que la mer comme paysage y demeure encore aussi, car finalement le paysage est produit lui aussi culturellement. Le projet cherche en plus à exprimer une façon de ressentir l’espace littoral de l’île en relation avec son statut frontalier. La notion moderne de frontière (celle qui émerge avec la création des États-nations) est une convention pour fixer physiquement la séparation entre deux états. Cette notion politique de frontière s’appuie sur la notion de frontière naturelle : « la limite d’un territoire est d’autant plus lisible et facile à contrôler qu’elle repose sur un obstacle physique »25. Dans le 25. Bernard Reitel, Frontière. In : Encyclopédie électronique Hypergéo [en ligne]. Disponible sur : <http://www.hypergeo.eu/spip.php?article16> (consulté le 01/01/2014)
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les notions d’espace et de lieu au centre d’une géographie vitale
cas d’une île, la notion de frontière politique et celle de frontière naturelle se fondent de manière exemplaire, elles sont les mêmes26. Pourtant, en absence de voisins partageant le même territoire, elles ne marqueront pas la séparation avec un autre État. Par conséquent, la frontière insulaire sera ressentie, plus que comme une convention délimitant une nation, comme un phénomène physique qui limite le déplacement terrestre. Les sentiments que suscite le littoral insulaire peuvent être très contradictoires. La mer serait comme un mur d’eau salé empêchant le déplacement et le contact avec l’extérieur : on est isolé et prisonnier de conjonctures naturelles… Mais aussi la frontière insulaire, comme n’importe quelle frontière, est perméable, et la mer se transforme en l’élément qui permet l’échange avec l’extérieur. Lorsque je souligne cette idée d’une frontière perméable qui fait possible les échanges entre intérieur et extérieur, c’est surtout comme métaphore de ce que j’entends être la relation du sujet avec ce qui l’entoure : des constructions individuelles qui convergent vers un bord où l’appartenance à une culture est partagée. Quoi qu’il en soit, le bord de mer dans le contexte insulaire reste définitivement très ambigu : l’horizon qui en fait partie peut être pris tantôt comme ouverture, espace illimité ou promesse, tantôt comme chimère inaccessible. De plus, la notion d’espace s’associe généralement à l’étendue incommensurable et aux sentiments de liberté. D’une part, celle-ci est une sensation ressentie en bord de mer, car rien ne coupe le regard vers le lointain ; d’autre part, le volume océanique s’impose et suscite des sensations contradictoires…, en plus du fait de se savoir entouré par l’eau, et la limitation au déplacement qui s’ensuit. Dans l’histoire récente de mon pays, la signification de la mer comme limite s’est associée notamment à des problématiques migratoires, mais cela ne signifie pas que la question de la frontière insulaire comme limite se réduise à cet unique sens. Par ailleurs, n’étant pas une question mise en avant par le projet, il n’y a pas lieu de s’y étendre davantage dans le présent mémoire. Ce point serait uniquement important en tant que circonstance qui participe à la construction du sens collectif de l’insularité dans le contexte cubain ; donc un sens qui est partagé en bord de mer et qui est latent dans les images où j’ai filmé des bateaux et des barques de pêcheurs, par exemple. Les moyens de locomotion en mer référent toujours, sinon à une traversée de la frontière et à un échange avec l’extérieur – les cargos ou les paquebots –, du moins à un transport qui, en puissance, serait en mesure de faire pareil – les radeaux de fortune des pécheurs – ; bref une échappatoire possible à la « maudite circonstance de l’eau partout »27. Enfin, mon intérêt pour la question de la limite en relation avec la frontière doit être compris comme l’intérêt pour la question de la limite de la connaissance sur un espace qui est censé se prolonger au-delà l’horizon. Est-ce une connaissance limitée ou est-ce un stimulus à l’imagination et à la connaissance ? Lequel de deux mondes est le vrai monde, celui rêvé dans le jardin ou celui de l’horizon ? La connaissance du monde n’est-elle pas au final une construction de mondes ?
26. En pratique, il faut faire la distinction avec les frontières maritimes, qui étendraient le territoire encore quelques kilomètres au-delà de la côte. 27. « La maldita circunstancia del agua por todas partes », Virgilio Piñera, La isla en peso, Barcelona, Tusquets, 2000, p. 37.
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« expérience ordinaire » de la géographie vitale
D’après Dewey, pour pouvoir qualifier une expérience d’« expérience complète » il est nécessaire qu’elle puisse être individualisée en tant qu’un événement symboliquement marquant, ou tout au moins porteur d’une signification pour le sujet. Des expériences il y en a constamment, car l’individu est dans une interaction ininterrompue avec son environnement. Mais seulement ces expériences organisées dynamiquement, c’est-à-dire avec un commencement, un développement et un accomplissement, sont celles dont on peut dire qu’elles étaient des vraies expériences28. On pourrait supposer que dans cette idée d’expérience un certain degré de conscience subsiste par rapport au fait qu’on est en train de vivre une expérience. En réalité, l’unité qui permet de distinguer une expérience parmi les autres – de la valoriser sur le plan émotionnel – est conceptualisée en tant que telle à la suite d’une réflexion postérieure, et cela justement parce que cette expérience arrive à se détacher suffisamment dans le continuum de l’existence. Il y a néanmoins d’autres expériences plus anonymes : ces petites expériences qui nous accompagnent continuellement le long de notre vie, expériences de la vie ordinaire, rattachées à la perception, aux sensations primaires de l’environnement et des objets, celles qui nous situent dans un monde que l’on construit toujours. Ce sont ces expériences de tous les jours, qui se succèdent, qui se reproduisent quotidiennement – bien que pas toute à fait de manière identique –, celles qui conforment en grande partie le flux de l’existence. C’est à partir des petites expériences de la vie courante, habituellement négligées car confondues avec la vie elle-même, qui se conforme la spécificité de notre espace environnant. Elles prennent forme à travers nos sensations, mais aussi à travers notre pensée. Le fait qu’elles soient fréquemment camouflées dans le devenir de notre existence – comme si c’était un processus biologique naturel, tel que la respiration – n’exclut pas les sensations qui les produisent d’une démarche intellectuelle, c’est-à-dire produite à l’intérieur du cerveau. On ne saurait dire si ce sont les perceptions sensorielles qui donnent une certaine forme aux pensées ou si ce sont les pensées qui qualifient les perceptions sensorielles. La conceptualisation des perceptions sensorielles, devenues émotions et sentiments, serait à l’origine de l’expérience vitale. Ce sont les sensations et la pensée qui construisent l’expérience. Les sensations humaines ne sont pas une succession discontinue d’émotions ; mais la mémoire et l’anticipation sont plutôt ce qui transforme les impacts sensoriels en un flot continu d’expérience, si bien que nous pouvons parler d’une vie des sens tout comme nous parlons d’une vie de la pensée. Il est courant d’opposer la sensation à la pensée, l’une indiquant des états subjectifs, l’autre faisant état d’une réalité objective. En fait, elles se situent aux extrémités d’un continuum de l’expérience, et représentent toutes deux des voies de la connaissance29.
les géographies de l’expérience
Cependant, Dewey va réserver le statut d’expérience complète aux expériences qui atteindront une structuration élaborée en tant que telles, une organisation leur conférant une signification propre et une unité émotionnelle. Il s’agit d’une expérience qui progresse vers son accomplissement. Le sujet est attentif aux différents moments de l’expérience, de telle sorte qu’il peut établir de relations de sens entre ce qui ce qui a été vécu et ce qu’il est train de vivre, tout en se réjouissant de l’anticipation de ce qui viendra après, jusqu’à l’achèvement. On revient à notre soupçon d’un état de conscience lors du processus : on est conscient de vivre quelque chose, **
éric Dardel, op. cit., p. 120-121. 28. cf. John Dewey, L’art comme expérience, Paris, Gallimard, 2010, p. 80-114. 29. Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 14.
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sauf qu’on ne lui a pas encore donné de nom, l’expérience n’a pas été sémantiquement qualifiée. À la différence de Yi-Fu Tuan, qui situe la mémoire et l’anticipation au cœur de toute expérience, Dewey pense que notre expérience manque pour la plupart de conscience à l’égard des moments qui la constituent, qui deviendraient en quelque sorte des automatismes : (…) pour une grande partie de notre expérience, nous ne nous préoccupons du lien qui relie un incident à ce qui le précède et à ce qui le suit. Aucun intérêt ne préside attentivement au rejet ou à la sélection de ce qui va être organisé pour former l’expérience qui se développe. […] Il y a expérience, mais si informe et décousue qu’elle ne constitue pas une expérience. Il n’est pas besoin d’ajouter que de telles expériences sont an-esthétiques30.
Dewey est toutefois un défenseur des « expériences ordinaires » qu’il considère comme un modèle pour comprendre la sensibilité esthétique chez l’être humain : Afin de comprendre l’esthétique dans ses formes accomplies et reconnues, on doit commencer à la chercher dans la matière brute de l’expérience, dans les événements et les scènes qui captent l’attention auditive et visuelle de l’homme, suscitent son intérêt et lui procurent du plaisir lorsqu’il observe et écoute, tels les spectacles qui fascinent les foules : la voiture de pompiers passant à toute allure, les machines creusant d’énormes trous dans la terre, la silhouette d’un homme, aussi minuscule qu’une mouche, escaladant la flèche du clocher, les hommes perchés dans les airs sur des poutrelles lançant et rattrapant des tiges de métal incandescent31.
« expérience ordinaire » de la géographie vitale
Ce n’est en aucun cas une contradiction ; parmi les expériences ordinaires, on trouve aussi des « expériences remarquables » d’un point de vue émotionnel. Elles font partie elles aussi du flux de l’existence, se manifestant comme des moments d’intensité plus ou moins accrue. C’est ce secteur de l’expérience ordinaire qui va intéresser Dewey, car il y verra des expériences accomplies. Pour lui, expérience ordinaire n’est pas toujours synonyme d’expérience incomplète. Sa classification vise surtout à démythifier la barrière qui sépare, dans les idées reçues, les expériences de la vie quotidienne et les expériences élevées de l’esthétique et de l’art. L’expérience est le processus par lequel le sujet confère du sens au vécu. Les expériences sont multiples et d’importance distincte ; toutes n’ont pas la même valeur pour le sujet, à tel point qu’on aura tendance à les classer selon des hiérarchies. Peut-être, ne serait-il pas si erroné d’affirmer comme Dewey que pour la plupart de gens la règle est d’avoir plus d’expériences uniquement ordinaires que d’expériences remarquables, que ce soit dans le cadre de la vie quotidienne ou d’autres sphères souvent mieux valorisées. En tout cas, comme avec n’importe quelle affirmation, il vaut mieux rester prudents, car le concept de remarquable n’est pas absolu : ce qui serait remarquable pour certains pourrait ne pas l’être pour d’autres. Pourtant, si je dis cela c’est plutôt pour signaler la valeur de ces expériences ordinaires, quotidiennes ou courantes, celles de la vie de tous les jours, comme étant fondamentale pour la construction de notre géographie vitale. La plus grande partie des expériences quotidiennes – qui en raison de son caractère routinier peuvent avoir l’air de rien, que ce soit aller chez le boulanger, faire du jogging dans son quartier ou simplement sortir de chez soi – engagent une diversité de perceptions sensorielles ou de micro-expériences par rapport à l’espace et aux lieux. Accumulées, elles donnent forme à une expérience de vie du territoire plus globale, de laquelle les événements singuliers ne sont pas
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30. John Dewey, op. cit., p. 87-88. 31. Ibid., pp. 31-32.
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bannis pour autant. Elles seraient donc à la base de la création de la mémoire et de l’identité du lieu. L’expérience de l’insularité, l’expérience du chez soi, l’expérience du seuil, l’expérience de la frontière, l’expérience du jardin fragment et total, l’expérience de la rencontre avec l’extériorité ; autant d’expériences qui s’ensuivent, qui sont contenues ou qui contiennent, des expériences de vie ordinaires. On pourrait extrapoler et dire alors qu’afin de comprendre l’expérience dans ses formes accomplies et reconnues – celle des expériences remarquables –, on devrait commencer par l’envisager au sein du vécu des expériences ordinaires. Ainsi, en regardant l’expérience de la vie humaine comme un tout – expériences ordinaires et remarquables confondues – on peut dire, comme le fait Dewey lorsqu’il analyse l’expérience complète, que l’expérience vitale est elle aussi constituée de zones de repos (vie quotidienne ?) et qu’elle est dynamisée par des impulsions depuis la naissance, qu’elle suit un mouvement qui s’organise sur des étapes de commencement et de développement, tout en cherchant le plus possible un accomplissement. Des moments précis, des expériences à l’intérieur de l’expérience, peuvent être distingués et connotés de significations particulières. Chaque moment ou expérience est enregistré dans la mémoire jusqu’à la prochaine expérience semblable, de sorte que de situations puissent même être anticipées à travers les capacités d’association du sujet. Quel est le sens de l’expérience humaine est pourtant une question qui resterait encore sans réponse… ou est-ce peut-être l’expérience en elle-même ? des géographies humanistes
les géographies de l’expérience
La « géographie classique » est la vision de la géographie comme science qui a été retenue par l’imaginaire collectif. C’est aussi pour la plupart la géographie qui est enseignée encore aujourd’hui à l’école32. Elle apparaît vers la fin du xixe siècle et est pleinement institutionnalisée durant la première moitié du xxe, grâce notamment au travail de Paul Vidal de la Blache et ses disciples. La géographie classique, aussi appelée en France géographie vidalienne, déploie son étude sur l’axe homme-nature et sur le contexte de la région et du paysage. Entendant l’espace comme une réalité objective, elle applique la méthode inductive pour aller de l’étude des régions et des phénomènes physiques (morphologie, hydrologie, climat, flore, faune) et humaines (population, économie, organisation politico-économique) vers l’élaboration d’une géographie générale. Elle reste globalement une science de la description et de l’observation. À partir des années 1950-1960 aux États-Unis, on voit apparaître les courants de ce qu’on a appelé la « nouvelle géographie ». Par l’utilisation de modèles mathématiques et par la mise en place d’une approche quantitative, la nouvelle géographie cherchera à apporter une rigueur scientifique que les tenants de ce courant estimaient absente de la discipline. Au contraire de la géographie classique, la nouvelle géographie suit une démarche hypothético-déductive : on part d’une théorie sur des régularités observées dans l’espace que l’on essayera de démontrer à l’aide de statistiques, ce qui permettrait la formulation de lois universelles pour expliquer le réel, ainsi que des prédictions qui pourraient être utilisées par la suite. À travers une logique néo-positiviste, elle vise l’unification, les régularités et les ressemblances entre les territoires. Vers les années 70 enfin, un sentiment de malaise par rapport aux postulats de la « nouvelle géographie » s’installe chez certains géographes. L’approche quantitative est ressentie comme trop réductrice et dogmatique dans sa prétention d’objectivité. On le perçoit d’autant plus qu’elle 32. Olivier Orain, La géographie comme science. Quand « faire école » cède le pas au pluralisme [en ligne]. In : Couvrir le monde. Un grand xxe siècle de géographie française, Marie-Claire Robic (coord.), Paris, ADPF-Ministère des Affaires étrangères, 2006, p. 90-123. Disponible sur : <http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/18/90/53/PDF/Orain_adpf_2005.pdf> (consulté le 24/12/2013)
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néglige complètement le rôle de l’individu dans l’espace et son expérience vécue. Cet état de choses provoque alors l’apparition d’une réaction critique qui sera connue sous le nom de « géographie humaniste ». Pour les géographes humanistes, l’essentiel dans l’analyse de l’espace est l’expérience qui en fait un groupe humain donné, voire un individu isolé. L’espace ne peut pas être un objet d’étude indépendant des individus qui le vivent quotidiennement immergés dans le drame de l’existence. Ainsi, pour comprendre les complexes relations spatiales, il faut tout d’abord mesurer les liens affectifs que tisse le sujet avec son environnement, avec les lieux de vie et avec le paysage. Situant l’expérience de l’être humain au centre de son investigation, le courant humaniste sera fortement influencé par l’approche subjectiviste de la phénoménologie. Le monde de l’expérience étant infiniment riche et pluriel, les humanistes rejetteront la tendance néo-positiviste à expliquer les phénomènes par des hypothèses a priori (qu’ils s’appliqueront à démontrer) et à réduire les comportements spatiaux à des lois. De cette sorte, l’humanisme en géographie prend distancie des postulats de la géographie néo-positiviste : les relations humaines à l’espace ne sont pas envisagées en tant que données quantitatives, mais un tant que valeurs individuelles ; les seules vérités ne sont pas celles fournies par les statistiques scientifiques, mais celles plus personnelles du sujet ; le monde n’est pas stable et objectif, il est changeant, car les sujets sont multiples ; la connaissance du monde n’est pas issue de lois qui cherchent à le rendre homogène, elle est issue de l’expérience ; les faits ne sont pas le moyen privilégié pour connaître le monde, on peut aussi connaître à travers les sensations, les émotions et les sentiments. Parmi les travaux qui vont marquer et accompagner la démarche humaniste, on mentionnera aussi l’œuvre de Gaston Bachelard, ainsi que l’ouvrage L’homme et la terre (1952) d’Éric Dardel. Ce dernier travail, qui passera totalement inaperçu au moment de sa parution, constitue une approche pionnière de la géographie humaniste, de laquelle son auteur peut être considéré l’initiateur. Je me permets de citer ci-dessous un passage écrit par cet anonyme professeur d’histoire-géographie de lycée (de qui un universitaire de la discipline a dit qu’il n’était pas géographe !33) : La géographie ne désigne pas une conception indifférente ou détachée ; elle concerne ce qui m’importe ou m’intéresse au plus haut degré : mon inquiétude, mon souci, mon bien, mes projets, mes attaches. La réalité géographique, pour l’homme, c’est d’abord là où il est, les lieux de son enfance, l’environnement qui le convoque à sa présence. Des terres qu’il foule ou qu’il laboure, l’horizon de sa vallée, ou bien sa rue, son quartier, ses déplacements quotidiens à travers la ville... Toujours solidaire d’une certaine tonalité affective, la réalité géographique ne requiert pas pour autant une géographie pathétique, un romantisme de la terre. La géographie demeure, d’ordinaire, plus vécue qu’exprimée. C’est par son habitat, par l’aménagement de ses champs, de ses vignes, de ses prairies, par son genre de vie, par la circulation des choses et des personnes que l’homme extériorise sa relation fondamentale avec la terre34.
des géographies humanistes
Dans la géographie humaniste, on a distingué plusieurs courants. Du côté anglo-saxon on trouvera la géographie humaniste à proprement parler – dont le nom incontournable est celui de Yi-Fu Tuan – et la « géographie radicale », géographie d’inclination gauchiste et engagée, qui dénoncera la neutralité de la géographie quantitativiste en s’intéressant aux problématiques sociales. En France, la géographie humaniste se développera comme une branche à part et 33. André-Louis Sanguin, op. cit., p. 574. 34. Éric Dardel, L’homme et la terre : nature de la réalité géographique, Paris, CTHS, 1952, p. 46-47.
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n’adoptera pas la perspective phénoménologique, bien que ses postulats ne soient pas singulièrement contraires à ceux de la géographie humaniste anglo-saxonne35. Parmi ces géographies humanistes, on trouve la « géographie de l’espace vécu » (A. Frémont, La région : espace vécu, 1976) ou « géographie de la perception » ou encore « géographie des représentations ». La géographie des représentations n’exclut pas complètement les techniques quantitatives, mais les associe à des préoccupations à l’égard de l’être humain qui habite l’espace : la perception qu’il a du territoire et l’image qu’il en crée, aussi bien comme sujet individuelle que social. Aussi appelée « géographie behaviouriste », elle utilisera notamment la technique de lecture de « cartes mentales », un concept issu de la psychologie, développé par Kevin Lynch (L’image de la cité, 1960) et introduit en géographie par Peter Gould (Mental maps, 1986). Une carte mentale est définie comme la représentation produite par un individu de son environnement spatial. Le concept repose sur l’idée qu’un caractère topographique et affectif est présent dans les relations que chacun établit avec l’espace. À la manière d’une carte, les particularités de ces relations sont dessinées alors dans la tête du sujet : lieux quotidiens, trajets, éléments notables de son milieu, bref ses expériences dans l’espace. Il est clair que cette carte n’a pas de correspondance avec la carte traditionnelle. Par nature immatérielle, la carte mentale réfère à l’imaginaire spatial individuel, ce qui mêle le vécu personnel et social de l’individu.
les géographies de l’expérience
à la lisière de la géographie officielle : certaines pratiques artistiques d’une géographie subjective
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Ils sont nombreux les artistes qui se sont intéressés au rapport humain avec l’espace géographique. C’est une voie créative qui prend diverses formes tout le long du xxe siècle. Les typologies peuvent aller de la pure action sous la forme déjà classique du parcours à pied, en passant par la réalisation d’œuvres in situ, jusqu’à l’emploi et l’élaboration de cartes, que ce soit comme un outil dédié à la monstration des œuvres ou comme objet cartographique que les artistes vont complètement détourner ou réinventer. Évidemment, on ne saurait être absolument catégorique quant à la fixation morphologique de ces réalisations artistiques qui s’intéressent à la géographie, car souvent les différentes approches se mélangent entre elles pour former des hybrides. Je centrerai mon attention sur trois pratiques qui affichent non seulement des préoccupations géographiques, mais qui supposent en plus une posture critique à l’égard de la propre discipline géographique, que ce soit de manière explicite, à travers une argumentation de la démarche, ou implicite, de par la nature des œuvres produites. Comme les géographies humanistes abordées plus haut, ces pratiques n’ont pas été étrangères elles non plus au dérangement et au sentiment d’incomplétude par rapport à ce que la science géographique traditionnelle peut dire sur les espaces où la vie se développe, c’est-à-dire l’omission réitérée de l’expérience que nous faisons dans l’espace et l’incapacité pour en rendre compte de moyens utilisés pour le représenter, les cartes. Ainsi, le travail fera-t-il appel à une géographie valorisant l’expérience du sujet avec le territoire qui l’entoure. La première de ces pratiques est le projet Géographie subjective de Catherine Jourdan, philosophe de formation devenue artiste et psychologue. Son travail cherche à s’interroger sur l’espace urbain, et l’espace public en particulier, en misant sur une géographie sensible qui est rendue visible à travers de cartes subjectives. 35. André-Louis Sanguin, op. cit., p. 574.
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: certaines pratiques artistiques d’une géographie subjective
Elle est donc une représentation à la fois personnelle et collective du territoire de vie à un moment donné. De même que pour la carte mentale, elle n’est pas basée sur les données conventionnellement tenues pour réelles, telles que la distance en unités de mesure mise à l’échelle ou la situation spatiale des éléments selon les coordonnées. Les cartes mentales vont indiquer les souvenirs, les histoires intimes ou non, les croyances, les rêves et les sentiments associés aux lieux, en précisant toutefois que la cible sera « la subjectivité collective plutôt que l’individualité anecdotique »37. Les cartes subjectives sont élaborées par les habitants sous la direction de Catherine Jourdain et avec l’aide d’un groupe de designers et autres artistes. Elles sont ensuite exposées dans la voie publique et vendues comme le reste de plans de villes. Ainsi, elles deviennent un moyen pour partager avec les autres habitants les idées et passions individuelles à propos d’un territoire qui appartient au groupe, ce qui contribue à la construction d’idées sur la vie en collectivité. Bien
3. Catherine Jourdan, Rennes vue par les enfants du Blosne. Carte subjective de Rennes (détail), 2010.
à la lisière de la géographie officielle
Une carte subjective est une carte réalisée par un habitant ou un groupe d’habitants avec l’aide d’une équipe de géographes du dimanche ou autres artistes. Elle est ensuite imprimée et rendue publique dans les espaces de communication de la ville36.
36. Définition donnée sur le site du projet de géographie subjective de Catherine Jourdain. Disponible sur : <http://www.geographiesubjective.org/Geographie_subjective/Presentation.html> (consulté le 25/12/2013) 37. Margaux Vigne, « Géographie subjective » : conception collaborative de cartes collectives [en ligne]. Publié le 13/05/2012. Disponible sur : <http://strabic.fr/Geographie-subjective-conception> (consulté le 25/12/2013)
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que Catherine Jourdain affirme que son but n’est pas de constituer une ressource qui contribuerait à la transformation de l’espace, un tel résultat peut s’avérer, car en promouvant ce type de projets les décideurs seraient amenés à changer de regard par rapport à leurs villes38. En effet, la réalisation des cartes subjectives fait normalement l’objet de commandes de la part des mairies, des collectivités territoriales, en plus de structures éducatives, musées ou associations. Projet à vocation citoyenne et communautaire, les cartes subjectives cherchent à donner aux habitants le pourvoir de communiquer leurs atteintes et leurs frustrations, dont les cartes traditionnelles ne tiennent pas compte en raison de préceptes de généralisation qui figent un seul et possible réel. On en conclut un processus voué à l’empowerment, puisque l’habitant se voit offrir une porte de sortie aux représentations contraignantes de systèmes cartographiques établis par ceux qui décident de l’espace. Un autre projet qui s’intéresse aux « oublis » de la géographie officielle est celui de l’Atelier de géographie parallèle (AGP), fondée en 2006 par Philippe Vasset, Xavier Courteix, Xavier Bismouth. On retiendra notamment leur premier travail, consacré aux « zones blanches », qui est celui qui a donné naissance au projet : l’AGP est né « du désir de pousser les cartes dans leurs retranchements : à quel moment deviennent-elles muettes ? »39. Les « zones blanches » sont ces espaces indéterminés, couramment en marge de villes, qui sont complètement omis sur les cartes IGM. Leur démarche consistera alors à les visiter « pour voir ce qui échappait à la modélisation »40. Les membres de l’AGP s’adonneront à la documentation de « cheminements dessinant une géographie subjective »41 des zones blanches, spécifiquement des zones blanches de la carte IGN 2314 OT (correspondant à Paris et sa banlieue). Ils créeront une « archive » de photographies et de vidéos, consultable sur leur site, ainsi que des textes. Le projet de zones blanches est en réalité conçu à partir du récit que Philippe Vasset fait de son expérience des zones blanches dans Un livre blanc, titre paru aux éditions Fayard en 2007. Ce qui est mis en question est comment le réel est représenté et quels sont les aspects de l’espace retenus. Car, qu’ont-ils y trouvé finalement ? Partis en quête d’une énigme et du « merveilleux »42, animés par le goût de l’inconnu à explorer précédant tout voyage, ce qu’ils ont découvert pouvait être difficilement qualifiable d’extraordinaire au sens qu’ils l’espéraient ; ils ont retrouvé, au contraire, des espaces envahis par la broussaille, des terrains vagues propices aux
4. (à gauche) Catherine Jourdan,réalisation d’une carte subjective avec des enfants de la ville de Nantes, 2009.
les géographies de l’expérience
5. (à droite) Catherine Jourdan, accrochage publique d’une carte subjective faite avec des enfants de Nantes, 2009.
38. Ibid. 39. Manifeste de l’Atelier de géographie parallèle [en ligne]. Disponible sur : <http://www.unsiteblanc.com/agp.php> (consulté le 25/12/2013) 40. Ibid. 41. Ibid. 42. Philippe Vasset, Un libre blanc, Paris, Fayard, 2007, p. 22.
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: certaines pratiques artistiques d’une géographie subjective
6. Atelier de géographie parallèle, Zones blanches, site officiel www.unsiteblanc. com, capture d’écran (détail), 2007.
à la lisière de la géographie officielle
abris de fortune, des vides humains, sauf ces quelques motards et autres zonards que la société se charge de maintenir à l’écart. Les images collectées n’en montrent pas moins le déroutement des membres de l’AGP : « Au lieu de mettre fin à l’indécision des lieux, nos énumérations et inventaires n’ont fait que l’accentuer (…) »43. Malgré un refus explicite, la démarche de l’AGP laisse entendre une critique évidente à la géographie officielle44 ; tout au moins, le recensement méthodique et documentaire de zones blanches interroge le pouvoir des détenteurs des systèmes officiels de représentation. Quoi qu’il en soit, ce qui est patent est la préoccupation pour aller au-delà de ce que les cartes montrent et d’entamer une relation expérientielle avec le territoire de la ville, pousser donc les frontières de ce qui nous est donné comme étant le réel. On peut dégager des similitudes entre le projet de l’AGP et celui du Laboratoire Stalker, quant à la fascination pour ces espaces aliénés. Le Laboratoire Stalker, collectif artistique fondé à Rome en 199545, produit une cartographie alternative des espaces délaissés à la périphérie des villes, le négatif de l’urbanisation. C’est ce qu’ils ont appelé les « territoires actuels », définis comme des espaces marginaux, refoulés par l’urbanisation galopante, mais aussi en attente d’utilisation et, pour cela même, en constante mutation ; des espaces du conflit entre le naturel et l’artificiel ; encore innomés ou non identifiés, car inexplorés. Dans ce sens, « le terme “actuel” 43. Manifeste de l’Atelier de géographie parallèle, op. cit. 44. « Notre nom, Atelier de Géographie Parallèle, n’a pas été choisi en opposition à une géographie officielle qu’il s’agirait de contester, voire de refonder. Nous n’avons aucune prétention théorique, et notre seul rapport aux productions géographiques existantes (cartes, schéma, données) est un rapport d’usager légèrement obsessionnel ». Ibid. 45. Le collectif, surnommé Osservatorio Nomade (observatoire nomade), a été fondé par Francesco Careri, Aldo Innocenzi, Romolo Ottaviani, Giovanna Ripepi, Lorenzo et Valerio Romito.
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souligne le devenir autre de ces espaces »46. Les zones bâties étant considérées par Stalker comme les îles d’un archipel, les territoires actuels conformeraient la mer qui entoure ces zones apprivoisées par le système urbanistique. Ce sont des territoires à explorer, car inconnus du point de vue de l’expérience urbaine ; des territoires qui ne peuvent être connus que par l’exploration, « par l’expérience directe »47. Stalker ne propose pas une colonisation de ces espaces résiduels. Le collectif ne pense pas qu’il s’agisse d’espaces vides de tout sens, qu’on devrait réintégrer au corps de la ville instituée ; ils pensent plutôt qu’ils constituent une ville parallèle, avec une dynamique propre, de leurs habitants et de leurs lieux. À différence de l’AGP, Stalker porte une vision optimiste sur ces espaces : Nous estimons que ces territoires doivent être considérés comme les lieux qui plus que tous les autres représentent notre civilisation, son devenir inconscient et pluriel. Nous proposons par conséquent l’art servant de moyen d’accès et de célébration de leur existence, de compréhension de leurs valeurs et de leurs messages48.
les géographies de l’expérience
7. Laboratoire Stalker, Planisferio Roma, 1995. Photographie, impression sur polyester 90 x 90 x 0,1 cm. Coll. Laboratoire Stalker.
46. Manifeste Stalker. In : La figure dans le paysage, blog des cours Locative Media Art et Livres d’Artiste et Nouvelles Formes du livre, Université Paris 8 [en ligne]. Publié le 06/02/2010. Disponibles sur : <http://www.arpla.fr/canal2/figureblog/?p=5757> (consulté le 15/06/2013) 47. Ibid. 48. Ibid.
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Proche de la démarche des situationnistes –valorisation de la marche, procédure cartographique, préoccupation urbanistique –, Stalker opère par l’organisation d’itinéraires nomades à travers les territoires actuels. Le collectif produit des photographies et des vidéos documentant les parcours, ainsi que des cartes et des planisphères des territoires traversés. Stalker va qualifier cette trace des actions dans le territoire de « cartographie sensible »49. Sans perdre l’aspect identifiable de la carte traditionnelle, les cartes élaborées proposent une représentation de la ville qui détourne les codes habituels en proposant une image d’« îles urbaines » baignées par la mer des territoires actuels. le sens géographique de l’installation : vers une cartographie sans
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« carte »
le sens géographique de l’installation : vers une cartographie sans
« carte »
Comme pour les pratiques mentionnées, une approche géographique qui prend la voie de la relation expérientielle avec le territoire est essentielle dans ma démarche artistique. Je partage également l’idée des géographes humanistes selon laquelle « chaque individu est le centre de son propre monde : un monde de valeurs, un monde de perceptions, un monde d’attitudes »50. Un monde qu’il construit en fonction de ses affects et de son histoire, et de codes socioculturels appris depuis la naissance. Avec mon idée d’une « cartographie subjective » – que j’ai désignée comme méthodologie de recherche artistique – je cherche à remettre en question la manière traditionnelle d’aborder la géographie – et la cartographie en particulier – comme étant la source d’un savoir sur un monde extérieur au sujet qui exerce l’activité. La cartographie subjective se concentre sur l’action de cartographier – par opposition au résultat de l’activité –, mais par le relevé des éléments du vécu impliquant une spécificité expérientielle de la relation à l’espace géographique, qui sera modifié et construit symboliquement par le biais de cette relation subjective. Bien entendu, j’insiste toujours sur une relation singulière, mais tout en sachant que la construction du monde est individuelle et collective à la fois. Les œuvres de la cartographie subjective sont d’apparence variable et utilisent aussi des médiums expressifs divers : photographie, vidéo, intervention in situ, installation interactive… Ces médiums deviendraient des instruments cartographiques – ou « topographiques » – au même titre que les théodolites ou les compas. Le principal dans la cartographie subjective en tant que méthodologie de travail ne serait donc pas tellement le résultat, mais le processus cartographique lui-même. L’œuvre qui en résulte garde une cohérence avec le thème du levé et contient des idées que j’aurai développées jusqu’à un certain degré, et qu’il serait possible d’élargir par la suite au sein du même levé ; à la manière d’une série, pourrait-on dire. Dans la cartographie subjective, le résultat n’est pas habituellement une carte au sens littéral. Si par ailleurs l’accent est mis sur l’action expérientielle dans un territoire, serait-il plus judicieux de parler de « topographie », de « géodésie » ? En tout cas, cette exactitude est ce qu’il y a de moins essentiel, étant donné qu’au final l’approche de la géographie se fait avec toute la liberté que peut donner le champ de l’art. Ainsi, pour les projets de la cartographie subjective, j’ai toujours essayé (sauf quelques exceptions) de faire des œuvres qui parlent de cartographie et de géographie sans avoir nécessairement recours aux cartes comme système de représentation, qu’elles soient détournées ou non de leur fonction première ou réinterprétées dans leurs formes. 49. Site officiel du Laboratoire Stalker. Disponible sur : <http://www.osservatorionomade.net/> (consulté le 25/12/2013) 50. André-Louis Sanguin, op. cit., p. 564.
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les géographies de l’expérience
Pour Le monde entre deux rivages la notion de cartographie subjective est fondamentale, étant donné qu’il s’agit du processus qui est à la base de la conception du projet. Je suis tentée par l’idée qu’une œuvre issue de la cartographie subjective peut fonctionner comme une « carte subjective » d’un territoire expérientiel, bien qu’il n’y ait pas de carte en tant que telle. Ce seraient des cartes, mais autrement ; ou des non-cartes d’une géographie vitale face à laquelle les cartes au sens traditionnel ne font que montrer leur impuissance. Dans le projet, la préoccupation pour la question de l’expérience est palpable de par la nature interactive du dispositif, qui demande au spectateur de vivre lui-même une expérience. C’est son action qui induit l’émergence du sens de l’œuvre. Le spectateur doit se déplacer pour faire l’expérience des limites du jardin et de sa correspondance symbolique avec les limites de l’île. Il sera également amené à se situer à l’intérieur du jardin, et donc à accorder un sens au mouvement vers l’intérieur et vers l’extérieur, aux actions d’entrer et de sortir. De cette sorte, la structure du dispositif accentue les préoccupations géographiques abordées : la question de limite ou de frontière, d’intérieur et d’extérieur, de fragment et de totalité, ainsi que l’idée des relations spatiales qui sont connotées par le sujet dans l’interaction de son corps avec l’espace, que ce soit l’espace géographique du territoire « cartographié » ou l’espace plus immédiat du lieu de l’installation. Il y a tout de même une intensification de la notion d’espace intérieur, car le spectateur entre littéralement dans l’espace qui représente le jardin. L’idée de passage et de seuil est aussi soulignée lorsque le spectateur traverse l’installation d’un rivage à l’autre, comme dans l’espace géographique de l’île (une île qui est très étroite et allongée). L’élément extérieur de la mer retrouve le spectateur au bout de l’installation, ce qui marque la liaison entre dedans et dehors. En se déplaçant donc, le spectateur découvre la « géographie de l’œuvre ». On pourrait dire aussi que l’installation fonctionne comme une mise à l’échelle, comme dans une carte, de l’expérience qui a eu lieu dans le terrain. Mais, cela n’est vrai qu’à moitié, car l’espace de l’installation devient autonome par rapport au territoire et engage une nouvelle expérience. Comment communiquer une expérience si ce n’est pas à travers une autre expérience ? Il est possible de constater que l’utilisation des cartes est très répandue dans les pratiques artistiques contemporaines s’intéressant aux questions géographiques. De plus, si l’on réduit l’analyse aux œuvres focalisées plus particulièrement sur le thème de la cartographie, on tombera presque inévitablement sur la forme de la carte. La carte est ou bien l’origine du projet ou bien elle fait partie du résultat final, ou les deux. On l’a vu avec les référents antérieurement cités ; on pourrait ajouter d’autres exemples incontournables : les situationnistes et les land-artistes. À la différence de ces pratiques, l’objet carte n’est pas une condition sine qua non pour la cartographie subjective. L’art lié à la cartographie, sous forme de cartes, est un sujet amplement traité, qui a fait l’objet de plusieurs expositions de groupe51. La cartographie subjective chercherait à se détacher sur cet aspect autant que possible.
51. Mapping, commissaire Robert Stor, MOMA, 1994 ; GNS : Global Navigation System, commissaire Nicolas Bourriaud, Palais de Tokyo, 2003 ; Mapping : memory and motion in contemporary art, commissaire Sarah Yanguy, Katonah Museum of Art, octobre 2010-janvier 2011 ; The Map as Art, commissaires Barbara O’Brien et Katharine Harmon, Kemper Museum of Contemporary Art, septembre 2012-avril 2013 ; Mappamundi : art et cartographie, commissaire Guillaume Monsaingeon, Hôtel des Arts, Toulon, mars-mai 2013.
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la rêverie dans le jardin comme expérience du monde
Lorsqu’on examine la forme jardin, il est difficile d’effacer de notre esprit les idées qui se sont installées au cours de son évolution historique, notamment celle qui a vu cet espace comme étant le contenant d’autres espaces, du monde, du cosmos. Celle-ci est une idée qui découle à partir de ce que le jardin est et de ce qu’il contient : le fait qu’il soit un espace organisé, magique et sacré autrefois, mais toujours profondément symbolique et représentatif du monde naturel, car il regroupe dans un seul endroit des espèces végétales de partout. La nature du jardin est une nature idéalisée, maîtrisée, qui résumerait peut-être un concept répandu de la nature qui y voit un ensemble internement ordonné malgré son apparence chaotique… Un peu de tout cela, mélangé dans les croyances doxiques dirait Anne Cauquelin, nous poursuit aussi au cours des rêveries jardinières. Les rêveries dans le jardin appartiendraient au groupe de « rêveries cosmiques », dans le sens que Gaston Bachelard les a envisagées52. Ce sont des rêveries d’expansion, d’immensité et d’illimité au sein du perspect du jardin. Le petit jardin offre aux rêveries cosmiques l’espace pour la contemplation reposée, l’espace du bien-être indispensable à toute rêverie. « Pas de bien-être sans rêverie. Pas de rêverie sans bien-être », assure Bachelard53. Cette sensation de bien-être s’empare du petit jardin, on s’en sera douté, en raison de sa proximité avec la maison. Le rêveur de mondes à l’intérieur du jardin transforme ainsi son chez soi jardinier en univers en expansion ; « l’envers du chez soi de la chambre »54, dit Bachelard, et à nous de renchérir : l’envers du chez soi de la maison. C’est précisément parce que les rêveries jardinières sont influencées par la pensée cosmique historiquement associée au jardin, qu’on serait en mesure de soupçonner que le sujet conserve une certaine conscience de soi dans le monde lors de ces rêveries. Les plus psychologues auraient tendance à reléguer la rêverie aux phénomènes où l’esprit éveillé nous abandonne, comme pendant le sommeil. Mais la rêverie du jour n’est pas le rêve de la nuit, ne laissons pas que le voisinage étymologique nous confonde. « La nuit (…) nous prenons congé du monde que nous avons créé »55 , dit Yi-Fu Tuan. Pour Bachelard, le sujet du rêve nocturne, surtout du rêve profond de la nuit, n’est pas un « sujet », il s’y perd ; on ne pourrait pas « parler d’un cogito valable pour un rêveur de rêve nocturne »56. La rêverie n’habite donc pas le royaume du sommeil ; la rêverie qui se finit par une sieste n’est pas de la rêverie, c’est de la somnolence. Dans le jardin notamment, la rêverie va se produire, sans aucun doute, pendant un état éveillé de l’esprit et du corps. À moins de regagner la position horizontale de la nuit, comment pourrait-on succomber à l’endormissement devant le spectacle du monde ? Les psychologues, dans leur ivresse de réalisme, insistent trop sur le caractère d’évasion de nos rêveries. Ils ne reconnaissent pas toujours que la rêverie tisse autour du rêveur, de liens doux, qu’elle est du « liant » (…)57
rêverie et construction de mondes
Lorsqu’elle n’est pas mal rangée avec les rêves nocturnes, la rêverie est assimilée à une fuite du réel. Il est vrai que le rêveur vit sa rêverie dans un temps détendu58, temps de l’oisiveté. Mais que l’attention du rêveur se soit occupée aux prodiges d’une imagination créatrice de mondes ne veut pas dire qu’il ait quitté le monde. En fait, le monde ne lui a jamais été aussi propre : il est en train de créer son monde59. *** éric Dardel, op. cit., p. 5.
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52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59.
Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, Paris, PUF, 2012, p. 148-183. Ibid., p. 131. Ibid., p. 152. Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 41. Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, p. 127. Ibid., p. 14. Ibid., p. 4. Ibid., p. 8.
Un détail du jardin – un caillou, un trou d’araignée, la terre rougeâtre, bien plus cuivrée sous l’effet de la lumière – peut être le déclencheur de la rêverie : (…) Le détail imaginé est la pointe acérée qui pénètre le rêveur, il suscite en lui une méditation concrète. Son être est à la fois être de l’image et être d’adhésion à l’image qui étonne. L’image nous apporte une illustration de notre étonnement. Les registres sensibles se correspondent. Ils se complètent l’un l’autre. Nous connaissons, dans une rêverie qui rêve sur un simple objet, une polyvalence de notre être rêvant60.
Un simple détail du monde suffit pour que tout d’un coup on ne soit plus dans le même temps que le jardin ; on est ailleurs bien qu’on y reste. Notre être s’ouvre au monde et le monde s’ouvre à nous61, en nous. Les allers-retours sont incessants ; on est pris dans une relation sensible où la beauté du monde reste présente à l’esprit tout en étant déjà partis dans une dimension autre. On découvre de cette sorte les traits qui unissent la rêverie à l’expérience esthétique. On a construit dans le monde une image qui nous plaît, « qui nous plaît parce que nous venons de la créer, en dehors de toute responsabilité, dans l’absoute liberté de la rêverie »62. Par la sensibilité à la beauté du monde le sujet s’affirme dans la certitude d’être. C’est une prise de conscience sans tension, dans le « cogito facile »63 du temps tranquille propice à la rêverie. Le rêveur conserve ainsi la conscience d’être dans le monde. Il est en liaison indissociable avec son monde, « son cogito n’est pas divisé dans la dialectique du sujet et de l’objet »64. L’homme de la rêverie et le monde de sa rêverie sont au plus proche, ils se touchent, ils se compénètrent. Ils sont sur le même plan d’être ; s’il faut lier l’être de l’homme à l’être du monde, le cogito de la rêverie s’énoncera ainsi : je rêve le monde, donc le monde existe comme je le rêve65.
Le rêveur voit d’un autre œil, d’une autre vision66. Le réel du monde se plie à son vouloir imaginatif. Les formes du jardin commencent à se peupler d’un sens qui n’est visible que pour l’esprit du rêveur. L’image créée se fond avec l’image perçue du jardin et conforment la seule image d’une planète en expansion : bois, désert, rivière, rochers, chaleur de la savane et humidité de la jungle. Ainsi, le rêveur s’invente-t-il une nouvelle symbolique du monde. La rêverie cosmique dans le jardin devient rêverie poétique, une rêverie qui veut s’exprimer67, « rêverie œuvrante, (...) rêverie qui prépare des œuvres »68. La rêverie, solitaire par définition, est un état d’âme69. C’est pourquoi son accomplissement se finit dans l’acte d’expression ; elle veut se faire œuvre, partage du monde rêvé. la rêverie dans le jardin comme expérience du monde
(…) la rêverie parcourt son véritable destin : elle devient rêverie poétique : tout par elle, en elle, devient beau. Si le rêveur avait « du métier », avec sa rêverie il ferait une œuvre. Et cette œuvre serait grandiose puisque le monde rêvé est automatiquement grandiose70.
Dans la logique de ma démarche, si le jardin de maison, fragment du monde, peut contenir le monde dans sa diversité géographique, ce serait comme résultat de l’imagination, d’une rêverie, d’une construction de l’esprit. C’est justement la raison pour laquelle les arrangements 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70.
Ibid., p. 132. Ibid., p. 148. Ibid., p. 130. Ibid. Ibid., p. 136. Ibid. Ibid., p. 149. Ibid., p. 160. Ibid., p. 156. Ibid., p. 13. Ibid., p. 11.
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jardiniers comptent moins pour mon approche du jardin que sa localisation dans l’espace de vie. Ce ne sont pas tant les espèces plantées qui appellent d’autres lieux au-delà de la clôture, mais la capacité de construction et de symbolisation de la subjectivité humaine, sous la forme d’une rêverie au sein d’un jardin rapproché. La rêverie dans le jardin est donc l’expérience à l’origine du présent projet. Je pars de l’espace du jardin en tant qu’espace où débute mon expérience du monde et en tant qu’espace où, en même temps, un monde est imaginé, rêvé. Le jardin – vu comme espace de l’intérieur, de la maison – et la rêverie – vue comme moment de la solitude tranquille – se retrouvent conceptuellement. De même pour l’idée d’expansion – expansion de l’être, expansion du monde – qui est commune aussi bien au jardin qu’à la rêverie, surtout si l’on croit Bachelard lorsqu’il dit qu’« imaginer un cosmos c’est le destin le plus naturel de la rêverie »71. la rêverie exprimée
: un monde recréé de sons et d’images
rêverie et construction de mondes
Le rêveur part ailleurs sans pour autant perdre le contact complet avec le jardin. L’espace du jardin reste toujours présent à l’esprit, dans un dialogue sensible continuel. Pour leur part, les images vidéo de Le monde entre deux rivages cherchent, en bonne mesure, à faire disparaître le jardin au cours du visionnage. Le jardin comme ensemble ordonné s’efface ainsi au profit du très gros plan de nature. Comme dans la rêverie, il y aura cependant des allers-retours occasionnels. La caméra fait un mouvement en commençant par une vue générale du jardin qui évolue jusqu’à ce que la caméra plonge dans la géographie infime au plus près du sol, puis elle continue son déplacement sans s’arrêter. L’idée de mouvement est très importante. Si la rêverie de choses infimes se fait dans l’immobilité tranquille, avec les images vidéo le spectateur devra avoir l’impression de se déplacer, tout au moins il devra avoir l’impression de mouvement, d’action. Le contraste est palpable si l’on tient compte des associations – d’immobilité, de permanence, d’ancrage, d’enracinement – auxquelles est traditionnellement soumis l’univers de la maison. Nous sommes certains, l’œuvre n’est plus la rêverie, elle est déjà autre chose : la recréation d’une expérience, son évocation peut-être. Les images ont été choisies en essayant de remémorer une certaine ambiance – un certain archétype géographique – et dans le but de conserver une relative diversité entre elles. La géographie invoquée serait plus proche d’une idée de géographie apprise, installée dans les habitudes, une géographie classique souvent assimilée à la nature même du paysage. Le lien s’arrête là ; cette géographie ne se soucie pas de certitude, elle n’est pas en quête d’évidence, elle imagine. Les images font allusion, plus qu’à la rêverie, à l’idée de la rêverie, à l’idée que l’on se fait du monde, à la création de mondes. De la rêverie dans le jardin – et de l’expérience dans le territoire – jusqu’à la réalisation de l’œuvre, on parcourt le chemin de l’expérience artistique. Dans l’installation, par contre, c’est l’expérience du spectateur qui entre en jeu. Les deux expériences ne sont pas littéralement semblables dans leurs détails, mais elles le sont dans sa forme générale, comme dit Dewey : l’expérience du spectateur suivra un processus d’organisation identique à celui expérimenté par le créateur de l’œuvre72. Bachelard voit dans l’œuvre poétique (poésie écrite) l’aboutissement de la rêverie poétique, qui est selon lui une rêverie cosmique, c’est-à-dire celle « qui nous donne le monde des mon71. Ibid., p. 21. 72. John Dewey, op. cit., p. 110.
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la rêverie exprimée
73. Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, p. 12. 74. Michel Chion, L’audio-vision, Paris, Nathan, 1990, p. 8. 75. Le concept de synchrèse est formé par la combinaison du mot « synchronisme » et du mot « synthèse » et fait référence à « la soudure irrésistible et spontanée qui se produit entre un phénomène sonore et un phénomène visuel ponctuel lorsque ceux-ci tombent en même temps, cela indépendamment de toute logique rationnelle ». Ibid., p. 55. 76. Le « son acousmatique » est celui « que l’on entend sans voir la cause originale (…) qui fait entendre des sons sans montrer la vision de leurs causes ». Ibid., p. 63-64.
: un monde recréé de sons et d’images / deux rêveurs de rêveries
des »73, tout comme la rêverie dans le jardin. Pourtant, la différence essentielle entre l’œuvre visuelle interactive et l’œuvre poétique sera l’amplification de l’expérience à tout le corps par l’implication du spectateur dans le devenir de l’œuvre. Il n’y a pas que l’image qui l’immerge dans le monde du jardin, il y entre littéralement lorsqu’il traverse le seuil de l’installation. L’œuvre interactive est une œuvre temporelle composée de différents moments sémantiques qui seront reliés par l’interacteur, comme c’est d’ailleurs le cas pour le sujet dans toute expérience complète. À l’intérieur de cette unité de sens qui est l’expérience de l’œuvre, le moment du jardin conteneur de mondes constitue une unité temporelle qui est inséparable du reste. De la même façon qu’avec l’image, le travail avec le son va impliquer une reconstruction de certains espaces ou ambiances géographiques de la planète. Il s’agit de créer des lieux avec du son, au final des représentations. Ces lieux resteront assez génériques et en même temps très singuliers, puisqu’ils seront conformés à partir de sons épars qui rassemblés et retouchés créeront de nouveaux sons ou des espaces sonores « inventés ». Les espaces géographiques évoqués garderont ce statut d’archétype déjà mentionné : forêt, jungle, prairie…, mais également ils devront conserver une identité quant à l’ambiance créée. Le concept de « valeur ajoutée » par le son à l’image, proposé par Michel Chion, s’avère assez pertinent pour argumenter en partie le travail sonore du projet. La valeur ajoutée est une valeur expressive (ou informative) qui enrichit l’image et qui donne à croire, comme dit Michel Chion, « que cette information ou cette expression se dégage “naturellement” de ce qu’on voit, et est déjà contenue dans l’image seule »74. Le son incorporerait de la sorte un élément supplémentaire pour comprendre l’univers sémantique vers lequel les images vidéo cherchent à diriger l’attention du public. Le son appuie donc le caractère de l’image, et fournit les éléments pour parachever le monde imaginé à l’intérieur du jardin. L’image apporte les couleurs, les lumières, les formes et les matières évocatrices d’un paysage géographique donné ; le son affirme pour sa part l’identité des sensations associées : endroit chaud, humide, frais, rugueux, terreux, volcanic, touffu, sec, venteux, puissant, creux, profond ou élevé... L’espace se dilate et change d’échelle et, par moments, l’oubli du jardin devient possible. Dans un « principe de synchrèse »75, le son établit une liaison soudée avec l’image, comme si ce que l’on voyait était à l’origine de ce que l’on entend. Le son fait raconter une histoire aux images qu’elles ne dévoilent pas de manière littérale. Il devra amplifier le sens de l’image, mais aussi l’image devra compléter poétiquement celui du son. À travers le couplage du son et de l’image, l’idée de la rêverie dans le jardin devra prendre forme. Cela devrait permettre de retrouver le prospect au cœur du perspect du jardin. Le son devrait créer de ce fait la sensation d’un espace plus grand qui n’existe pas tout à fait dans l’image. Si elle se centre dans le détail, le son doit fabriquer pour sa part les distances et la profondeur. Forcément, il est nécessaire un certain décalage entre les deux pour qu’un imaginaire puisse, pour ainsi dire, prendre des ailes. Le son cherche alors à être le contraire du gros plan de l’image. Au « son visualisé » doit s’ajouter un « son acousmatique »76 permettant l’apparition d’une atmosphère d’étrangeté, de surprise. Cependant, à cause de son intensité accrue, ce « son visualisé » (qui n’en est pas un en réalité) pourrait amener aussi, de temps à autre, à cette distanciation indispensable aux détours de l’imagination.
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deux rêveurs de rêveries
Des mondes construits dans l’art à partir de mondes rêvés dans la vie des objets quotidiens, on pourrait définir ainsi l’œuvre de Joachim Mogarra. L’artiste a fait de la rêverie une méthode de création artistique, sa façon d’opérer ; bien qu’on ne puisse dire que le début a été une rêverie proprement dite. Il le décrit plutôt comme une découverte qu’il se serait amusé à systématiser par la suite. On pourrait néanmoins qualifier cette procédure de systématisation de la rêverie : En 1980, en faisant du stop en Algérie (...) j’ai égaré les rouleaux de pellicules photo de notre séjour... Quand je suis revenu en France, je me suis trouvé sans souvenir de ce voyage. Au cours d’une discussion dans un café avec des étudiants et des professeurs de l’École des beaux-arts de Montpellier, j’ai remarqué que l’on pouvait établir une équivalence entre la queue d’un ananas et l’image d’un palmier. De retour chez moi, j’ai systématisé cette méthode... Je suis allé à la plage chercher du sable, je l’ai mis sur une table, et petit à petit, j’ai reconstitué mon voyage77. 8, 9, 10, 11
8. (page ci-contre, en haut à gauche) Joachim Mogarra, Le lever de soleil en montagne, de la série Paysages Romantiques, 2004. Photographie noir et blanc, encre, 100 x 150 cm. 9. (page ci-contre, en haut à droite) Joachim Mogarra, Paysage métaphysique, de la série Paysages Romantiques, 2004. Photographie noir et blanc, encre, 100 x 150 cm.
Joachim Mogarra s’adonne à fabriquer des mondes à partir d’objets de la vie quotidienne, qu’il registre après au moyen de photographies. Sa cuisine et son salon deviennent son studio de photographe. Sous l’impulsion de son imagination, n’importe quel objet du cadre domestique pourrait devenir matière pour la création. Ses œuvres font appel à une considérable économie de moyens, qui comprend les objets les plus modestes du quotidien – des carrés de sucre, des glaçons, des épluchures de pomme de terre, des boîtes d’allumettes ou des cartons –, des photographies à la technique basique, des légendes ajoutées à la main et parfois quelques traits au feutre qui vont compléter l’image photographiée. J’ai découvert des relations entre ma façon d’opérer dans Le monde entre deux rivages et la façon d’opérer de Mogarra. Notamment dans le cas des images du jardin qui se veulent autre chose que des images rapprochées de plantes du jardin. Comme pour les objets utilisés par Mogarra dans ses photographies, les éléments du jardin auxquels je m’intéresse incarnent la vie quotidienne, dans mon cas celle du petit jardin : des trous d’araignée, des petits cailloux, des mauvaises herbes de rien du tout. Ces éléments partagent également avec les objets de Mogarra la petitesse de leur taille par rapport à ce qu’ils sont censés représenter. Enfin, ces menus éléments vont connoter, dans les deux cas, des espaces – ou d’autres éléments – extérieurs au cadre domestique auquel ils appartiennent. J’ai constaté aussi des points de contact entre mon intérêt par la rêverie et le personnage Marcovaldo du recueil de nouvelles Marcovaldo ou les sessions en ville (1963) d’Italo Calvino. Il s’agit d’un livre que j’avais lu il y a quelques années et que maintenant, à lumière du présent projet, je peux réinterpréter conceptuellement. Si Mogarra imaginait et créait d’autres destins sublimes pour les objets quotidiens de sa maison, Marcovaldo cherchera et imaginera d’autres passions non urbaines pour sa ville. Il recherche inlassablement des espaces de nature (des souvenirs de sa vie passée à la campagne) à l’intérieur de la ville. Le personnage de Marcovaldo est sensible aux petits détails de nature perdue dans l’univers urbain :
rêverie et construction de mondes
(…) les panneaux publicitaires, les feux de signalisation, les enseignes lumineuses, les affiches, pour si étudiés qu’ils fussent afin de retenir l’attention, n’arrêtaient jamais son regard (…) Par contre, qu’une feuille jaunît sur une branche, qu’une plume s’accrochât à une tuile, il les remarquait aussitôt (…)78
77. Joachim Mogarra, La vie d’artiste, entretien avec Bernard Marcadé. Bordeaux, FRAC Aquitaine, 2001. In : Dossier de presse de l’exposition Joachim Mogarra : Magie de l’art photographique [en ligne]. Disponible sur : <http://www.poleimagehn.com/images/MissionPhoto/ExpoAVenir/DossierPresseMogarra.pdf> (consulté le 25/12/2013) 78. Italo Calvino, Marcovaldo ou les saisons en ville, Paris, Julliard, 2001, p. 5.
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10. (en bas à gauche) Joachim Mogarra, En vue de la Sierra Nevada, de la série Sur la route, 2009. Photographie noir et blanc, encre, 174 x 112 cm. 11. (en bas à droite) Joachim Mogarra, Le temple des Incas, de la série Images du monde, 1985. Photographie noir et blanc, encre, 60 x 50 cm.
deux rêveurs de rêveries
Les rêveries de Marcovaldo réfèrent toujours à une nature perdue qu’il essaye de récupérer sans succès. Dans une des vingt histoires du livre, il rêve de dormir à la belle étoile sur le banc d’une petite place plantée d’arbres et de se faire réveiller par les cris de moineaux (pour lui, des rossignols), et il s’y essaye une nuit. Dans une autre, il passe quelques jours en compagnie d’une plante atrophiée dans un pot qui, grâce à ses soins – il va la promener en ville en poursuivant les zones où il pleut –, commence à pousser jusqu’à devenir « une végétation de forêt tropicale »79. Un brouillard qui cache la ville à la sortie du cinéma lui permet de continuer de rêver des jungles de l’Inde qu’il avait regardée sur l’écran. « Pour Marcovaldo c’était idéal pour rêver les yeux ouverts, pour projeter devant lui, où qu’il allât, un film sans fin sur un écran illimité »80. Il est tellement immergé dans son monde de forêts humides, de serpents qui grimpent sur les lianes et des temples envahis par une nature qui a repris ses droits, qu’il oublie de descendre à l’arrêt de bus de chez lui et continue un trajet qui le mènera dans un avion en direction de Bombay… Les aventures de Marcovaldo tournent toujours mal, comme il arrive à l’éternel rêveur qui se confronte à la « vie réelle ». Étant un manœuvre pauvre avec une famille nombreuse, Marcovaldo ne peut pas se permettre d’abandonner la ville pour rester un peu de temps dans cette nature dont il est en quête constante. Il reste en quelque sorte enfermé dans les limites de sa ville comme dans une île. 79. Ibid., p. 123. 80. Ibid., p. 92.
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Les histoires de Marcovaldo ne sont pas déliées d’une critique implicite à la destruction de la planète dans un monde de consommation effrénée et d’inégalités sociales. Mais le message passe sans endoctrinement idéologique, à travers un personnage candide et des histoires pleines d’humour. Marcovaldo transparente une mélancolie tranquille et positive. Malgré l’extrême pauvreté de la vie qu’il mène, le personnage ne succombe pas à l’amertume. Dans sa rêverie, et ceci est une condition pour toute rêverie, il est heureux. Bachelard ne dit-il pas que pendant la rêverie « les tristes souvenirs prennent du moins la paix de la mélancolie »81 ? Lorsqu’en été la plupart des habitants partent en vacances, Marcovaldo doit rester, mais cela lui procure en revanche une expérience inédite de sa ville : Durant toute l’année, Marcovaldo avait rêvé de pouvoir utiliser les rues en tant que rues, c’est-à-dire en marchant en leur milieu : maintenant il pouvait le faire, et même passer au feu rouge, traverser en diagonale et s’arrêter au beau milieu des places. Mais il comprit que le plaisir, ce n’était pas tant de faire ces choses insolites que de tout voir différemment : les rues, comme des creux de vallée ou des lits de fleuves à sec ; les maisons, comme des chaînes de montagnes escarpées, ou comme les parois d’une falaise82.
rêverie et construction de mondes
Les rêveries de Marcovaldo et les rêveries de Joachim Mogarra ont en commun le sentiment de nostalgie d’un ailleurs toujours lointain que mon propre projet partage ; mais c’est présent également dans un comportement spécifique du dispositif, lorsque le spectateur dépasse le bord et l’image disparaît. Les espaces où ces rêveries se produisent – la maison pour Mogarra, la ville pour Marcovaldo et le jardin dans le cas de mon projet – établissent une relation de contraste avec les espaces rêvés, qui sont toujours plus grands et illimités. L’espace de la rêverie est, pour sa part, bien délimité, circonscrit à l’intérieur d’une frontière. C’est un espace de vie qui demeure présent tout le long de la rêverie et qui se fond avec elle. L’ailleurs rêvé et l’espace du rêve conforment ainsi cette entité qui est la géographie vitale.
81. Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, p. 13. 82. Italo Calvino, op. cit., p. 146.
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du centre et de l’ailleurs…
« Le prestige du centre est bien établi »83, assure Yi-Fu Tuan. Ainsi, il est très répandu que chaque individu ressente son propre territoire comme le centre du monde84, de son monde. À l’origine de la permanence de ce sentiment dans nos sociétés modernes, il faudrait envisager les conceptions cosmologiques de la pensée traditionnelle. Dans les premières sociétés sédentaires, une vision particulière du monde organisait conceptuellement l’espace afin « d’obtenir une notion de sécurité dans l’univers »85. Les connotations protectrices que l’on accorde toujours à la maison subsistent comme une évolution de ces pratiques cosmologiques anciennes propres à la pensée mythique. Yi-Fu Tuan soulève deux schémas possibles de la pensée mythique sur l’espace. On vient de mentionner la vision anthropocentrée qui place l’homme au centre d’un cosmos ordonné ; l’autre est le schéma qui considère le corps humain comme un microcosme86. L’anthropocentrisme suppose l’organisation de l’espace à partir d’un centre qui coïncide avec le corps humain ; c’est-à-dire qu’à partir des relations spatiales de son propre corps, l’homme établit des hiérarchies socio-émotionnelles. L’espace vécu acquiert ainsi une « personnalité »87 et se transforme en centre de valeur, en lieu. C’est un moyen de conférer du sens à l’univers par le classement symbolique de ses différentes parties, ce qui dévoile en même temps des influences réciproques entre elles. Tout semble lié dans la conception mythique de l’espace. La terre tout entière peut être assimilée au corps humain – les rivières pour des artères, les brumes et les nuages pour de la respiration, etc.88 –, mais également chaque partie, espace érigé en centre de valeur pour l’individu, est assimilée au cosmos89. Il est possible d’appliquer ces deux schémas de la pensée mythique à l’espace du jardin de maison. Ils peuvent être facilement repérés dans l’analyse spatiale du jardin et dans la réflexion sur la rêverie jardinière, deux questions déjà abordées dans les chapitres précédents. Il existe encore un autre type d’espace mythique qui peut être relié au projet. Toujours selon Yi-Fu Tuan, il s’agit de l’espace mythique de premier type (nous avons commencé par celui de second type), qui fait référence à l’espace connu de manière conceptuelle, à une zone confuse au-delà du territoire familier de l’expérience directe : Quand nous nous demandons ce qu’il peut avoir de l’autre côté de la barrière de montages ou de l’autre côté de l’océan, notre imagination construit des géographies mythiques qui peuvent avoir peu ou aucune relation avec la réalité. Les mondes imaginaires ont été construits à partir d’un savoir restreint et de beaucoup de désirs90.
les deux extrémités du monde
Cet espace mythique comprend aussi, dans le cadre de la vie quotidienne, l’espace non perceptible physiquement, celui qui se trouve hors de notre champ visuel, auquel nous ne prêtons pas forcement attention, mais duquel nous gardons malgré tout la certitude. Il est essentiel pour la capacité d’orientation de l’homme dans l’espace91. C’est, par exemple, la rue qui se trouve de l’autre côté du mur de la maison, la ville entière et le reste de villes plus lointaines dont la direction peut être signalée intuitivement.
**** Abraham Moles, Elisabeth Rohmer, op. cit., p. 69. 83. 84. 85. 86. 87. 88.
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Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 42. Ibid. Ibid., p. 92. Ibid., p. 100. Ibid., p. 95. Cette corrélation analogique entre les différentes parties du corps et les éléments physiques du monde est commune à diverses cultures. Yi-Fu Tuan en cite quelques exemples. cf. Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 93. 89. Ibid., p. 95. 90. Ibid., p. 90. 91. Ibid., p. 90-91.
Dans le jardin de maison, c’est un espace mythique qui prend forme à travers la rêverie. C’est la géographie de la planète qu’on imagine, une géographie archétypique, et pour cela même, d’existence improbable. Ce monde imaginé à l’intérieur du jardin est la manifestation de nostalgies d’ailleurs, appétit des espaces qui s’étendent au-delà de la clôture – et de l’horizon de la mer –, des espaces que le jardin de maison a toujours rêvé. Lorsqu’on arrive à la côte c’est un autre espace mythique qui se dessine, celui de l’île que l’on sait île par le partage de savoirs. L’espace « pressenti » et l’espace rêvé sont tous les deux imaginés, au sens de pas directement perçus. L’un réfère surtout à l’orientation et à la localisation ; il tient compte de savoirs installés sur l’espace, un espace qui est appréhendé à partir du centre qui constitue le corps du sujet. L’autre résulte de la curiosité et du désir d’ailleurs différents de ce que l’on connaît. Ce sont deux manières de s’expliquer l’espace que l’on qualifie très facilement d’« imprécises » par rapport à une réalité considérée plus réelle, mais elles n’en font pas moins partie. La réalité de l’espace est toujours construite et il serait difficile d’en juger une comme étant plus vraie qu’une autre. Il faut considérer l’univers imaginé comme partie intégrante du processus de construction du monde, car l’espace n’est pas un espace abstrait et absolu, mais entièrement relatif au sujet qui le pense et qui le ressent avec les passions de la vie. Les pays ont leur géographie fondée sur les faits et les mythes. Il n’est pas toujours facile de les dissocier, ni même de dire laquelle est plus importante, parce que la manière dont les gens agissent dépend de leur compréhension de la réalité ; puisque cette compréhension ne peut jamais être complète, elle est nécessairement imprégnée de mythes92.
L’espace mythique suppose une construction du réel, c’est l’élaboration d’une conception du monde. Cependant, l’allusion au mythe nous rapproche de la notion d’« inexistant », d’« irréalité », le contraire des « faits », comme on vient de constater avec la citation de Yi-Fu Tuan. Contraintes du langage : pour réussir à articuler d’idées sur un thème, il faut bien se servir de mots, des mots qui parfois nous trahissent, des mots complexes comme « réel », « réalité », « vérité », « fiction », « mythe »… Ce que le sujet imagine à propos de l’espace –les constructions qu’il en fait– doit être considéré avec réserve pour ne pas l’identifier trop rapidement avec la fiction, la fable ou le mythe, ou plutôt, comme dirait Nelson Goodman, il ne faudrait pas envisager ces concepts, lorsqu’ils sont appliqués à la relation avec l’espace, comme des synonymes de fausseté ou d’irréalité : « Fabrication » est devenue synonyme de « fausseté » ou de « fiction », par opposition à « vérité » ou « fait ». Bien sûr, il faut distinguer la fausseté et la fiction, de la vérité et du fait ; mais nous ne pouvons pas le faire (…) sur la base que la fiction est fabriquée et le fait découvert93.
/ ...au global et au local
… au global et au local
du centre et de l’ailleurs...
Le monde entre deux rivages – de même que Le bord du monde – parle d’un espace avec lequel le sujet a établi une relation directe et, d’un point de vue sensoriel, non différée. C’est un jardin localisé, ancré à un territoire précis. C’est un jardin exclusif, dans la mesure où chaque jardin de maison est différent, malgré les possibles ressemblances avec d’autres jardins, mais surtout parce qu’il reste unique pour celui à qui il appartient. Identifiable parmi d’autres, il porte la spécificité que lui confèrent les histoires privées et la mémoire individuelle. 92. Ibid., p. 101. 93. Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, Paris, Gallimard, 2006, p. 132.
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Cela signifie que le petit jardin privé est inséparable du corps et de ses sens, de l’esprit et des connexions infinies qui peuvent être tissées entre des événements sensoriels divers, ou entre des événements tout court ; ce qui est à l’origine des souvenirs, de la rêverie et de l’acte d’imagination. Il y est question d’un corps centré et d’un sujet qui interagit directement avec un espace géographique concret. Le territoire du petit jardin est le territoire de l’ici, du « je » ; le bord – l’horizon de la mer – pointe vers l’ailleurs, un ailleurs qui est rêvé dans le jardin. Cette idée d’un ailleurs mythique se fait de plus en plus rare de nos jours. Comme dit Bachelard, « avant la culture on a beaucoup rêvé »94. La terre ne bougeait pas, elle était le centre comme le corps humain avec lequel elle formait un tout. Que la raison, après de longs travaux, vienne prouver que la terre tourne, il n’en reste pas moins qu’une telle déclaration est oniriquement absurde. Qui pourrait convaincre un rêveur de cosmos que la terre vire-volte sur elle-même et qu’elle vole dans le ciel ?95
les deux extrémités du monde
Le bouleversement des conceptions spatiales va s’accélérer avec les théories scientifiques sur l’univers et avec l’exploration géographique des grands voyages de découverte. L’horizon sera repoussé toujours plus loin : c’est la révolution de l’horizon et de l’étendue. En même temps qu’il s’éloigne, l’ailleurs se précise dans l’esprit des hommes ; il est décrit, représenté sur les cartes, catalogué dans ses formes : il devient « réel ». Ce processus va contribuer à chasser les anciens mythes sur le monde, mais aussi à en fabriquer des nouveaux, tel que le mythe du voyage dans des régions exotiques. De nos jours, avec le phénomène de la mondialisation, cet ailleurs mythique est à nouveau en crise. Le sentiment que le monde devient uniforme partout s’installe. Les lieux de passage –les non-lieux– et les destinations sont maintenant façonnés par la machine touristique à l’image du stéréotype et de l’idéal de confort contemporain. L’ailleurs et l’ici se différencient à peine : le confort du chez soi est retrouvé à chaque étape du voyage touristique encadré ; les informations du web permettraient même d’anticiper les déplacements sur le détail le plus infime. Notre époque a été témoin aussi de la multiplication des navigateurs GPS intégrés aux dispositifs nomades. Grâce à l’analyse qu’il fait des données satellites, le GPS est en mesure de fournir des renseignements exacts sur la localisation de l’individu qui l’utilise et même sur celle d’autres objets dans l’espace. Finis les mythes ; on pourrait penser que ce « savoir confus »96 dont parle Yi-Fu Tuan par rapport à l’espace serait voué à la disparition. L’émergence d’Internet a participé à la démocratisation des ressources cartographiques, jusqu’à sa banalisation. Jamais il n’y avait eu une telle explosion des cartes et des photographies satellites. Le monde ne cache plus ses mystères ; on peut maintenant avoir accès aux coins les plus éloignés de la planète à travers l’écran de son ordinateur sans avoir à bouger un millimètre de chez soi. L’ailleurs n’est plus identifiable au futur, à l’inconnu, à un quelconque savoir confus ou au mythe ; il devient explicite et immédiat, ou du moins on en a l’impression. Comment concilier alors cette manière contemporaine d’établir des rapports avec l’espace et la manière de sentir le corps et l’espace familier que traduit mon propre projet ? Comment relier l’expérience dans le territoire localisé avec celle du territoire immatériel du réseau ? L’espace mythique –ce qui veut dire un espace qui est rêvé, désiré, construit poétiquement– appartient-il 94. Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, p. 161. 95. Ibid. 96. Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 92.
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12. Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz, Hole in space, transmission satélite croissée et diffusée durand trois jours depuis deux vitrines situées dans les villes de New york et de Los Angeles, 1980.
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à un temps révolu ? Est-ce une relation avec l’espace qui appartiendrait plutôt à une époque antérieure à l’avènement de nouvelles technologies de l’information et de la communication ? Le doux embrouillement sémantique qui génère le déplacement de termes appartenant au régime de la spatialité vers l’univers de l’Internet cherche à apporter une sensation de stabilité et de sécurité dans ce nouvel espace virtuel (au sens d’espace possible). Les contenus auxquels on a accès dans le réseau sont dans un site ; entre le site géolocalisé et le site web proprement dit, l’ambiguïté reste. Pour un peu plus d’ambivalence, le site a son home et son adresse, son portail, ses colonnes, son nom – comme dans une villa de banlieue – et d’autres composants architecturaux ; il ressemble un chez soi97. Comme signale Anne Cauquelin, « le site web a franchement adopté l’aspect sécurisant du terme géographique »98, en s’appropriant d’anciennes valeurs reconnues. Le site web est assimilé au lieu ou « site » – « son substitut moderne »99 – pour conjurer, en quelque sorte, le déroutement que provoque cette nouvelle forme de relation avec l’espace100 : un espace délocalisé, éloigné et en même temps plus proche. Le réseau rend diffuse la notion de distance ; mais celle-ci est une notion qui s’était déjà modifiée avec le développement des moyens de transport et la réduction du temps de déplacement que cela a représenté. Le vrai changement des habitudes spatiales il faut le voir dans l’effacement des frontières entre les États. Le lieu éloigné n’est plus un là-bas, il devient un ici, car en y ayant accès en temps réel, il est actuel, il appartient à notre temps présent. Pensons sinon à cette étrange sensation que produisent ces sites, du type www.earthcam.com, où l’on accède à des endroits filmés par des caméras web aux quatre coins de la planète. Que ce soit une image ne change rien à notre perplexité, car de par notre culture visuelle nous y sommes très sensibles. En 1980, une œuvre d’avant l’Internet, comme Hole in space, de Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz, fascinait les spectateurs des deux villes qu’elle reliait à travers une transmission satellite ; quinze ans plus tard, en 1995, Le tunnel sous l’Atlantique, de Maurice Benayoun, qui reliait le Centre Georges Pompidou et le Musée d’Art Contemporain de Montréal, captivait aussi. Il faut dire, cependant, qu’au fur et à mesure que la pratique du 97. Anne Cauquelin, La conjuration du site. In : Daniel Parrochia (dir.) Penser les réseaux, p. 123. 98. Anne Cauquelin, Le site et le paysage, Paris, PUF, 2002, p. 26. 99. Tacita Dean, Jeremy Millar, op. cit., p. 16. 100. Anne Cauquelin, La conjuration du site, p. 123.
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13. Maurice Benayoun, Le tunnel sous l’Atlantique, installation interactive et télévirtuelle reliant le Musée d’Art Contemporain de Montréal et le centre Georges Pompidou à Paris,1995.
web s’installe dans les mœurs, et que la vitesse d’échange des données augmente, l’étonnement en est un de moins en moins. En raison de sa multiplication en images, l’ailleurs se transforme ainsi en global, et le fait qu’il soit à quelques clics de chez nous tend à devenir normal. Encore une fois on assiste à la démystification de l’ailleurs par trop proche, trop connu ou trop accessible. Mais il s’agit d’un ailleurs duquel on a seulement une expérience sonore et visuelle médiatisée ; on n’en a pas l’expérience par l’odorat ou le toucher, par exemple, deux sens très importants qui, combinés à la vue et l’ouïe, construisent la relation émotionnelle avec les lieux. Une relation sensorielle et subjective complète avec l’espace en question demeure absente. L’ailleurs-global reste une image, un ensemble de bits : c’est le Cyberespace. La numérisation croissante du monde et sa distribution via les réseaux signifient-elles la fin du territoire ? Serions-nous plus proches du global virtuel que du territoire géolocalisé qui nous entoure ? Des activités d’apprentissage, des rencontres, des démarches administratives, des découvertes, des activités professionnelles, bref des activités qui nécessitaient auparavant un territoire géolocalisé pour se développer, sont aujourd’hui assumées par le Cyberespace. Blaise Galland considère que le temps de la distance et le temps du corps humains, ce qui différencie le « monde des bits » du « monde des atomes », ne sont pas abolis pour autant101 : Les frontières du temps et de l’espace sont effectivement pulvérisées (au niveau planétaire) pour tout ce qui peut être digitalisé, transformé en bits, mais notre corps a des raisons qui sont inscrites, pour longtemps encore, dans un temps et un espace qui n’est pas celui de l’électricité ; ils ne sont pas électroniques, ils sont anthropologiques102.
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On serait toutefois face à un processus de changement des paradigmes spatiaux : le global devient le centre car accessible et proche, tandis que le local – notre ancien centre – devient une partie de la périphérie du global103. La question qui se pose maintenant est si cet ailleurs-global numérisé – fabriqué de bits – nous fait encore rêver. Bachelard dit que l’image cosmique de la rêverie est immédiate parce qu’ « elle nous donne le tout avant les parties […] D’une image isolée peut naître un univers. »104. Les espaces lointains auxquels on a accès à travers le réseau nous seraient donnés eux aussi sans délai, ou presque. Mais là, il ne s’agit plus de l’immédiateté d’une révélation poétique, dans le « monde des atomes » ; c’est l’immédiateté de la vitesse de la lumière dans le « monde de bits », une immédiateté qui laisserait une place assez modeste à l’exercice de l’imagination... Le monde lointain du réseau est déjà tout fait, prêt à la consommation ; le monde rêvé de la rêverie doit être construit par l’imagination dans un processus de relation sensible avec l’espace géographique. 101. Blaise Galland, Espaces virtuels : la fin du territoire ? [en ligne] In : Jacques Theys et al. (coord.), Des TIC et des territoires, publié dans Techniques, territoire et sociétés, n° 37, 2005, p. 39. Disponible sur : <http://portail.documentation.developpement-durable.gouv. fr/dri/document.xsp?id=Drast-OUV00001521> (consulté le 04/01/2013) 102. Ibid. 103. Ibid., p. 40. 104. Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, p. 150.
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Or, les lieux imaginés se construisent à partir des lieux représentés par des images – photographies, vidéo, cinéma – et aussi par la littérature et les récits oraux, les lieux de l’expérience personnelle, à partir des vieux mondes105 ; à partir des lieux présentés par les médias, dont le réseau ne fait pas moins partie. Autant des formes construites du lieu qui ne gagnent en profondeur signifiante que lorsqu’un lieu intègre une expérience de vie. C’est le passage du lieu à identité collective ou partagé au lieu qui se singularise dans le contact vital. pour revenir au centre
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pour revenir au centre
Il semble qu’un des messages principaux du réseau en tant que média soit, comme on le dit trop souvent (je viens de le faire moi-même), l’abolition des frontières et la réduction des distances physiques. C’est l’un des sujets qui suscite les plus de commentaires lorsqu’on évoque les NTIC. On s’était demandé précédemment si un tel état de choses représenterait la fin d’une relation avec l’espace où tous les sens du corps se voient impliqués, où le territoire géographie est appréhendé par l’expérience vitale. C’est justement cette relation-là qui appelle le territoire dont il est question dans mon projet. La démarche y serait à l’opposé de celle de Telegarden, de Ken Goldberg. Dans cette œuvre on trouve aussi un jardin, un tout petit jardin qui rappellerait les jardins privés des maisons, si ce n’est les pots des fleurs des balcons ; mais ce jardin est, au contraire du jardin de mon projet, délocalisé par rapport aux personnes qui vont interagir avec. Il est démultiplié, explosé en un nombre non défini d’utilisateurs, tout en restant un seul jardin qui est partagé à distance par tous. Si dans Le monde entre deux rivages le petit jardin abrite le monde à l’intérieur, dans Telegarden, ce sont les différents sujets qui sont repartis dans la planète. Dans le jardin de mon projet, le sujet rêve d’une planète supposée être derrière l’horizon ; dans Telegarden les multiples sujets « rêvent » d’un jardin supposé être quelque part dans la planète. Ces réflexions, plutôt qu’à faire une énumération de ce qui n’a rien à voir (qui ne mènerait nulle part) cherchent à m’éclairer et à me questionner sur certains points de mon propre projet. Pourquoi la question de la relation subjective à l’espace géographique rêvait-elle autant d’important à mes yeux ? Quel est le lien entre cette manière d’expérimenter l’espace et les lieux et l’espace spécifiques auxquels fait référence le projet ? Qu’est-ce qu’un contexte socioculturel donné peut ajouter à la manière dont le monde est construit ? Pour moi cette façon de sentir l’espace apparaît tout naturellement ; c’est-à-dire peut-être, elle apparaît en partie comme le résultat de mon appartenance à ce contexte particulier. Je trouve que l’idée de déterritorialisation qui serait souvent associée au développement du réseau (Telegarden en est un exemple) demeure difficilement concevable. Tout d’abord vis-à-vis du contexte technologique de mon pays (je pense à la connectivité limitée au réseau de réseaux), puis à l’égard des idées que nous (moi ou quiconque de mes compatriotes) pouvons concevoir sur l’insularité ou la manière de sentir le monde, un monde géographique qui reste essentiellement lointain. C’est peut-être pour cela que j’insiste sur un sujet qui est enraciné à un territoire et sur un jardin qui est ancré à ce même territoire, tout comme l’île est fixée à la terre. Le sujet de ce monde est un sujet qui expérimente l’espace directement à partir de son propre corps et pour lequel l’accès à distance à des lieux lointains constitue encore une abstraction. En effet, lors105. Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, p. 139.
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les deux extrémités du monde
14. Ken Goldberg, Telegarden, installation intercative via Internet, Ars Electronica Museum, Linz Austria, 1995-2004.
qu’on dit, se laissant trop aisément emporter par l’euphorie technologique, que les NTIC ont aboli les frontières et que les distances se sont réduites, on oublie, trop facilement aussi, que l’accès aux réseaux est loin d’être généralisé à tous les habitants de la planète106 et qu’il existe encore des îles, voire des continents entiers, où l’ailleurs commence toujours au-delà de l’horizon et non pas sur un écran d’ordinateur. L’analyse de cette fracture numérique n’est pas, bien entendu, l’intérêt de ce mémoire. Ce signalement cherche à diriger l’attention vers l’existence de conditionnements par rapport à la manière dont l’espace est ressenti. Les médias sont, comme l’a dit Marshall McLuhan, des extensions des sens107 que l’humain utilise dans la construction du monde, et des mondes individuels également. Chaque nouvelle technologie – ou prolongement de notre corps – implique ainsi un changement d’échelle dans la façon dont l’individu appréhende son environnement108. L’arrivée de NTIC a sans doute représenté un bouleversement dans les relations de l’homme avec son territoire, plus intensifié peut-être par le fait qu’il ne s’agit que d’un seul média, mais des médias multiples. Toutefois, c’est un phénomène qu’il faut contextualiser et relativiser, car il sera plus ou moins notoire en fonction justement de l’accès à ces nouvelles technologies. Mon projet est aussi le fruit du contexte auquel il réfère : de mon espace de vie, de ma manière de sentir et de construire le monde. La construction du monde se verrait influencée aussi 106. cf. The Global Information Technology Report 2013 [en ligne]. Disponible sur : <http://reports.weforum.org/global-information-technology-report-2013/> (consulté le 02/01/2014) 107. Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, Paris, Seuil, 1977, p. 40. 108. Ibid., p. 25.
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pour revenir au centre
bien par la culture et l’histoire personnelle du sujet, que par les extensions technologiques à la portée de son corps. Ces remarques ne visent pas à donner à la déconnexion le caractère d’une tragédie, qui serait d’ailleurs la tragédie de la plupart de la population mondiale ; ce n’est pas le but de mon projet non plus. Il s’agit juste d’un constat : dans le monde contemporain de NTIC, l’isolement technologique pourrait contribuer au redoublement de l’« isolement insulaire ». Nonobstant, même dans un monde totalement connecté, l’espace et le temps de l’homme appartiendront pour longtemps à ce territoire géolocalisé que les activités biologiques humaines – manger, dormir, se protéger des rigueurs du climat, se reproduire – précisent109. Rappelons-nous que ce sont ces activités basiques qui ont été à l’origine de la construction des lieux en tant que centres de valeur. L’espace du territoire géolocalisé n’est autre que cet espace dont le sujet est le centre, et ce centre constitue le point à partir duquel son monde prend sens. Mythique, rêvé ou vécu, l’espace qui conforme la géographie vitale est l’expression des besoins humains fondamentaux de symbolisation des affects.
109. Blaise Galland, op. cit., p. 39.
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glossaire des mots clés du projet Espace / Lieu
On a tendance à confondre les notions d’espace et de lieu ; pourtant le lieu apparaît comme conséquence d’une différenciation qualitative que le sujet effecttue dans l’espace. Le lieu est un centre de valeurs110 pour le sujet : centre de mémoire et d’affection. Cela ne veut pas dire que l’espace reste neutre ; il est lui aussi qualifié en fonction des ressentis du sujet qui évolue et vit dans l’espace111 et est l’objet d’une codification sociale et culturelle. Expérience
le monde entre deux rivages
Selon Dewey, elle est l’accomplissement de l’être vivant dans son interaction constante avec l’environnement de son existence. L’expérience véritable « est une forme de vitalité plus intense (…) elle signifie un commerce actif et alerte avec le monde »112. L’expérience est ce à travers lequel le sujet construit du sens dans le monde. Ce processus implique la mobilisation du corps et de ses organes sensoriels, sans exclure bien entendu son intellect113.
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Jardin
Jardin comme conteneur d’un cosmos : l’hétérotopie du jardin (Foucault donne l’exemple de l’ancien jardin persan) superpose en un seul lieu plusieurs espaces : « Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde. »114 | Jardin comme paysage idéal ou nature idéalisée : fondé in situ, mais tendant toujours vers l’architecture et le paysage. Il est ainsi en rapport étroit avec les questions de l’habiter et de la mémoire, ce qui fait de lui le « lieu d’un transport métaphorique » 115. | Jardin ordinaire116 : jardin de maison, jardinet privé, par opposition aux beaux jardins, surtout publics. Il est inséparable de l’univers de la maison et comporte très souvent une clôture qui établit clairement l’espace d’intimité. Avec un statut ambivalent entre intérieur et extérieur, il devient le point zéro de l’expérience du sujet dans le monde. La relation entre le sujet et son jardin se noue par les affects et la mémoire. | Jardin et clôture : jardin (xiie siècle) du francique gart, gardo, « clôture »117 ; « (…) ce qui sépare l’enclos du reste du monde, c’est sa clôture, à la fois
contour et frontière, moyen tangible de refouler l’un à l’extérieur, de contenir l’autre à l’intérieur et de représenter la ligne de tension instable par laquelle ils s’accolent (…) »118 ; le jardin est un espace de transition vers l’extérieur qui dialogue avec le paysage à travers sa clôture. | Jardin et soi : « Notre corps est le jardin, notre volonté le jardinier qui le cultive. »119 ; « jardin secret » : domaine des sentiments, des pensées les plus intimes d’un individu ; « jeter une pierre dans le jardin de quelqu’un » : (phrase apparue au xve siècle) le jardin représentant l’individu, « y jeter une pierre, c’est briser le bel agencement du jardin, donc attaquer la personne et son intégrité, chercher à la déstabiliser »120 ; espace des « (…) rapports multiples entre le lieu de l’habiter et le lieu de la psyché » […] “jardin” comme lieu de l’âme »121 | Jardin, lieu imaginal : il est « la mise en scène (…) d’un lieu imaginal entre lieu et image »122 ; « le bout du monde et le fond du jardin contiennent la même quantité de merveilles »123 ; espace pour la rêverie créatrice de mondes.
110. Yi-Fu Tuan, op. cit. 111. Abraham Moles, Elisabeth Rohmer, op.cit., p. 53. 112. John Dewey, L’art comme expérience, p. 54-55. 113. Ibid., p. 59. 114. Michel Foucault, op. cit. 115. Philippe Nys, Le jardin exploré, une herméneutique du lieu. Vol I., Paris, éditions de l’imprimeur, 1999, p. 12. 116. Anne Cauquelin, Petit traité du jardin ordinaire, Paris : Payot et Rivages, 2005 ; Françoise Dubost, Les jardins ordinaires, Paris : L’Harmattan, 1997. 117. Le Nouveau Petit Robert de la langue française [CD-ROM], Paris, Le Robert, 2001. 118. Isabelle Auricoste, « L’enclos enchanté ou la figure du dedans », Mythes et art, Paris, Sgrafitte, 1983, p 83-88. Cité par Hervé Brunon, Monique Mosser dans L’enclos comme parcelle et totalité du monde : pour une approche holistique de l’art des jardins [en ligne]. In : Milovan Stanic (dir.), Ligeia. Dossiers sur l’art, dossier Art et espace, no 73-76, janvier-juin 2007, p. 59-75. Disponible sur : <http:// halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00167922> (consulté le 02/10/2013) 119. William Shakespeare, Othello ou le maure de Venise. Acte premier, scène III. 120. Reverso, portail d’outils linguistiques [en ligne]. Disponible sur : <http://dictionnaire.reverso.net/francais-definition/une%20pierre%20 dans%20le%20jardin%20%28de%20quelqu%27un%29> (consulté le 12/04/2014) 121. Philippe Nys, op. cit., p. 20. 122. Ibid. 123. Christian Bobin, Tout le monde est occupé, Paris, Mercure de France, 1999, p. 46.
Géographie de l’expérience qui se construit lors des interactions vitales avec l’environnement. On pourrait dire qu’elle est le fruit d’une cartographie subjective du territoire où vit le sujet. Mer
Mer et insularité : la mer abordée en relation étroite avec la notion d’insularité est un élément clé dans les questionnements identitaires cubains. Ainsi, la présence de la mer a été ressentie comme un bonheur, dans la vision lezamienne (La mar violeta añora el nacimiento de los dioses, / ya que nacer es aquí una fiesta innombrable, / un redoble de cortejos y tritones reinando124), mais aussi comme une malédiction dans la vision piñerienne (La maldita circunstancia del agua por todas partes / me obliga a sentarme en la mesa del café. / Si no pensara que el agua me rodea como un cáncer / hubiera podido dormir a pierna suelta125). | Mer comme frontière : le bord de mer qui dessine la forme de l’île. | Mer comme horizon : possibilité, inconnu, promesse, ailleurs.
Monde
« Le monde est une synthèse de nos sensations, de nos perceptions et de nos souvenirs »126. Il est à la fois particulier – propre à chaque sujet – et multiple, en raison de différents sujets. Le sujet n’est donc pas seul dans le monde, mais y vit en société, ce qui souligne l’aspect partagé de certaines idées à son propos qui sont déterminées par un ensemble de croyances, de connaissances et d’une culture communes. Mario Ceruti distingue dans ce sens la relation symétrique (partagée) et la relation asymétrique (subjective)127. Le monde ne pourrait pas être envisagé comme étant indépendant ou à l’extérieur du sujet qui le pense et qui le construit subjectivement. « (…) la substance dont notre tableau du monde est fait provient exclusivement des organes des sens en tant qu’organes de l’esprit, de telle sorte que le tableau du monde de chaque homme est et reste toujours une construction de son esprit et (…) on ne peut pas prouver qu’il a quelque autre forme d’existence que ce soit (…) »128.
Perspect
« (...) de perspicio, voir avec attention, en détail, ce qui est à côté de soi »129. Il réfère au fragment. C’est l’approche mise en place à l’intérieur du jardin. Prospect
« (...) de prospicio, voir au loin »130, l’opposé du perspect. Il convoque le paysage, le lointain, l’horizon, le dehors, la totalité, « les trouées, des échappées, ouvertures ou « prospects » dans la végétation de la clôture (…) ce qui devient alors paysage »131. Rêverie
« Un monde se forme dans notre rêverie, un monde qui est notre monde »132. Il s’agit d’une rêverie cosmique. La rêverie éveillée n’est pas un phénomène de détente et d’abandon, mais de construction133 de mondes par le biais de l’imagination.
124. « La mer violette souhaite la naissance des dieux, / puisque naître est ici une fête innommable, / un roulement de tambours et des tritons régnant » (traduction de l’auteur). José Lezama Lima, Noche insular: jardines invisibles. In : José Lezama Lima, Enemigo rumor, 1941, La Habana, Ucar, García, 1941. 125. « La maudite circonstance de l’eau partout / m’oblige à m’assoir à la table du café. / Si je ne pensais pas que l’eau m’entoure comme un cancer / j’aurais pu dormir à poings fermés » (traduction de l’auteur). Virgilio Piñera, La isla en peso. In : Virgilio Piñera, La isla en peso, Barcelona, Tusquets, 2000, p. 37. 126. Erwin Schrödinger, L’esprit et la matière, Paris, éditions du Seuil, 2011, p. 191. 127. Mario Ceruti, El mito de la omnisciencia y el ojo del observador. In : Paul Watzlawick, Peter Krieg (comps.), El ojo del observador, Barcelona, Gedisa, 1995, p. 32. 128. Erwin Schrödinger, op. cit., p. 239-240. 129. Anne Cauquelin, Petit traité du jardin ordinaire, Paris, Payot et Rivages, 2005, p. 21. 130. Ibid. 131. Ibid. 132. Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, p. 6. 133. Ibid., p. 9.
glossaire des mots clés du projet
Géographie vitale
53
54
2
55
56
description du dispositif et de l’espace de l’installation
première projection, la transition d’un thème à l’autre sera effectuée par fondu enchaîné ; dans la deuxième à travers un chroma key. Les projections diffuseront au moins un de thèmes vidéo constamment, sauf lorsque le spectateur dépassera la zone du tapis, action qui arrêtera la diffusion de la vidéo. Les dimensions de la salle devront être adaptées à la taille de la projection sur chaque mur, dont la largeur déterminera la largeur minimale de la surface de projection en question. En raison de la distance entre le projecteur et le mur de projection, l’espace nécessaire à l’installation doit mesurer non moins de 16 m de long et 2,75 m de haut. L’espace peut être une grande salle qui sera divisée en deux par une cloison, ou bien il peut comporter déjà un mur. Idéalement, la cloison devrait être une surface de projection en tissu permettant le visionnement de la première projection des deux côtés, mais le concept est susceptible d’être adapté si les conditions de l’espace imposent une surface non translucide du type mur solide. 8m
15
15. Modélisation 3D de l’espace de l’installation sous sa forme idéale.
≈5
m
2,75
Le monde entre deux rivages est une installation vidéo interactive qui compte deux projections sur deux murs opposés. Une première projection est prévue sur un mur comportant une entrée vers l’espace où se trouvera la deuxième projection. Les deux projections ne seront pas face à face, mais se succèderont l’une à l’autre. L’entrée sur le mur de la première projection serait située idéalement au centre, pour que l’image vidéo d’une clôture de jardin avec un portail central coïncide avec la propre entrée de l’espace d’exposition ; mais il est possible également que cette entrée soit déplacée à gauche ou à droite selon les caractéristiques du lieu. Le sol de l’espace intérieur rectangulaire, immédiatement après le seuil, sera recouvert de par un tapis de pelouse artificielle ou éventuellement par un tapis ou moquette de couleur verte. Le tapis occupera à peu près 2/3 de l’espace. Il constituera la zone de détection dont dépendra la deuxième projection. Les thèmes vidéo de deux projections seront activés de manière semblable, selon la localisation du spectateur dans l’espace. Quand il se situera au plus loin, un thème sera joué, et au fur et à mesure qu’il s’en approchera un deuxième thème apparaîtra. Dans la
m description du dispositif et de l’espace de l’installation
8m
57
1
Caméra web
2
Haut-parleur
3
Haut-parleur
4
Spots
5
Tapis
6
Haut-parleur
7
Haut-parleur
8
Carte son
9
Ordinateur
1
Deuxième Espace 3 2 4
10
Vidéo projecteur
11
Caméra web
12
Haut-parleur
5 7
6 11
10
9 8
12
13
Spots
14
Haut-parleur
15
Vidéo projecteur
16
Ordinateur
13
14
Premier Espace
15
16
description fonctionnelle et technique
16.Croquis de l’installation avec tous ses composants dans l’espace prévu pour la soutenance (deux salles, Pétale).
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structure du dispositif et ensemble de composants
Le fonctionnement du dispositif s’opérera à travers un programme informatique réalisé avec le logiciel Max et sa bibliothèque Jitter pour le traitement vidéo en temps réel. L’analyse de la détection sera également réalisée sous Max/Jitter, au moyen de la bibliothèque cv.jit, dédiée à la vision par ordinateur. Un même programme (patch) tournera sur deux ordinateurs indépendants qui seront reliés à leur tour à deux caméras web respectivement. Placées sur le mur de chaque projection, elles
seront utilisées comme capteurs pour la détection de présence et de mouvement. Chaque ordinateur aura donc ses propres programmes et vidéos ; celles-ci ne seront pas identiques pour autant. Les composants de l’installation incluent : un tapis ou moquette verts (idéalement de pelouse artificielle), deux ordinateurs, deux caméras web, deux projecteurs, une carte son, six paires d’enceintes et deux bandeaux d’éclairage avec quatre spots halogènes chacun.
16
le contenu (images et sons)
Les vidéos qui composent l’installation sont regroupées sur trois thèmes principaux :
17
/ le contenu (images et sons)
Thème du jardin : il correspond à des vidéos de petits jardins privées. La caméra fera des travellings dans le jardin avec un certain ralenti crée en postproduction, mais ils resteront très fluides, car les images seront originalement filmées en 50p. Il y aura une alternance entre des vues un peu plus générales du jardin, qui situeront le contexte filmé, et des images en très gros plan des plantes et du terrain du jardin. Les rushes ne seront pas montés (je garderai le plan-séquence), mais uniquement séparés pour leur donner une durée déterminée. De cette sorte, par moments, on aura l’impression que la caméra plonge dans le jardin. Les images du jardin cherchent à donner l’impression d’un espace qui s’élargit à l’intérieur du petit jardin de maison.
structure du dispositif et ensemble des composants
Thème de la clôture : il s’agit des images de clôtures de petits jardins privés en vue frontale. Thème de la mer (le bord, l’horizon) : Ce sont des images de la côte de mon pays natal (Cuba) : des vues de bord de mer filmées dans un cadre général fixe.
59
17
La première projection réunit le thème de la clôture et le thème de la mer, tandis que la deuxième réunit le thème du jardin et encore le thème de la mer. Il y a pourtant un troisième thème dans la deuxième projection qui est créé par la fusion du thème du jardin et du thème de la mer ; autrement dit, il ne sera pas constitué par des images vidéo préexistantes, mais créé lors d’un processus que l’on pourrait appeler de montage en temps réel. Cette fusion apparaîtra lors du passage du thème du jardin vers le thème de la mer, et vice-versa, et sera réalisée au moyen d’une incrustation ou chroma key. Dans la première projection, l’intégration entre les images sera réalisée à partir d’un fondu enchaîné et ne formera pas de thème à part entière.
Le thème du jardin est constitué par des sous-thèmes qui correspondent à l’association de ces images avec divers paysages géographiques tels que des forêts, déserts, montagnes… Le son d’origine du thème du jardin sera remplacé par du son spécifique en relation avec l’espace géographique connoté par chaque sous-thème, mais dans le but de créer de lieux particuliers il sera construit à partir de plusieurs extraits sonores. Le son des images de la mer sera celui de la bande-son d’origine. La bande-son de chaque thème fera l’objet d’un fondu enchaîné lors du passage d’un thème à l’autre.
le point de vue du spectateur (interactions)
description fonctionnelle et technique
18
60
Le spectateur doit faire l’expérience de l’installation pour découvrir l’œuvre. La diffusion des images dépend de son déplacement (vers l’intérieur, vers l’extérieur) dans l’espace d’exposition et de sa localisation précise. Sur chaque projection, il y aura toujours un thème vidéo qui sera diffusé ; les autres seront déclenchés justement en fonction des déplacements du spectateur. La cloison sur laquelle est diffusée la première projection, ainsi que le tapis au sol de l’espace intérieur, construisent une représentation du jardin, mais également, du territoire délimité de l’île et du territoire subjectif. Le spectateur fera donc l’expérience d’un bord, d’une frontière, en approchant le seuil et sur le bord du tapis. En traversant le seuil, l’expérience sera celle de l’espace intérieur d’un jardin
rapproché dont les images et les sons le situeront dans un monde très divers et captivant. Il aura l’impression d’un jardin en expansion, un ailleurs illimité où les relations d’échelle par rapport à sa taille ne feront que renforcer cette sensation. Chaque espace traversé étant délimité dans son contenu, les zones d’interaction constitueront en elles-mêmes des frontières à franchir. Du bord de mer à l’entrée du jardin pour la première projection ; du jardin rapproché au bord de mer (une fois encore) pour la deuxième projection. Comme dans l’espace géographique de l’île (une île qui est très étroite et allongée) le spectateur traverse l’installation d’un rivage à l’autre. À travers le dispositif interactif, les zones parcourues deviennent ainsi des représentations des espaces géographiques vécus.
Thème de la mer Thème de la clôture Thème du jardin
17. Croquis de différentes zones de captation du dispositif et ses thèmes associés.
61
le point de vue du spectateur (interactions)
Thème de la fusion (temps réel)
description fonctionnelle et technique
18. Modélisation 3D de l’installation : scénarisation des comportements de base du dispositif.
62
le comportement du dispositif (dynamique)
pace, le dispositif intègre une spatialisation du son qui va accentuer ce sens de passage par le biais d’un déplacement du son (d’une paire de haut-parleurs à l’autre) en fonction du propre déplacement des spectateurs. Les images déclenchées par la zone du tapis la plus proche du seuil (thème du jardin) sont l’expression d’une approche fictionnelle ou imaginaire de l’espace du jardin ; les images des bords de mer parlent pour sa part de limites en rapport avec la géographie politique, mais aussi sur les limites d’un espace familier, d’un territoire connu. C’est une frontière bien précise – frontière conventionnelle – ou bien une frontière plus vague, frontière culturelle, avec une signification qui est partagée par un grand nombre de sujets. Ainsi, lorsque plus d’un spectateur se trouve dans la salle, les vidéos du thème de la mer ne sont diffusées que s’ils se situent ensemble sur le bord du tapis. L’approche imaginaire du jardin est, quant à elle, plus subjective et pour ce même elle ne coïncide pas forcement avec d’autres éventuelles visions du jardin.
21
19
le programme, le système de captation
caméra web utilisée comme capteur envoie l’image de l’espace dans chaque patch, où elle est binarisée et analysée par deux objets de la bibliothèque : [cv.jit.blobs.centroids] et [cv.jit. blobs.bounds]. Cela permet d’obtenir des données sur la position sur l’axe des y des zones blanches de l’image (blobs). Pour le patch de la première projection, les seuls blobs qui vont intéresser le programme sont ceux qui se trouvent le plus en bas de l’image (valeurs les plus élevées de y), ceux
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le comportement du dispositif (dynamique)
Le traitement vidéo en temps réel a été réalisé avec Max/Jitter, logiciel commercialisé par Cycling ‘74. Deux patchs ont été conçus à cet effet : un pour la première projection et un autre pour la deuxième. Ils sont chargés de la reproduction continuelle des vidéos et de leur manipulation graphique (chroma keys, fondus enchaînés). L’analyse de détection du mouvement dans l’espace d’installation est faite également sous Max à l’aide de la bibliothèque cv.jit. Une
/ le programme, le système de captation
Les variations dans l’état du dispositif seront perçues par les spectateurs comme des comportements du dispositif lui-même. Partant de ce principe, on peut dire que le comportement du dispositif est essentiellement celui d’un espace comportant des frontières marquées, comme une île. Le bord et le seuil en tant que limites se trouvent parmi les éléments clés de son comportement. Un exemple éloquent de ce comportement qui marque des limites apparaît au moment où un spectateur dépasse le bord du tapis (seulement si le thème de la mer a été diffusé auparavant). Un autre élément important dans le comportement du dispositif est représenté par la partie avant du tapis, chargé de déclencher le monde du jardin et auquel on a accès en traversant le seuil des images de la clôture. Les deux projections soulignent également l’espace du jardin en tant que passage d’une rivière à l’autre, comme une métaphore du passage qui constitue le jardin entre le monde extérieur et la maison, et comme allusion à un espace insulaire en particulier. Pour le deuxième es-
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19. Modélisation 3D de l’installation : scénarisation des comportements pour plus d’un interacteur en utilisant une moyenne des valeurs de y (deuxième projection).
description fonctionnelle et technique
33
64
qui correspondront aux pieds des spectateurs qui se trouveront le plus près du mur de la première projection et du seuil d’entrée au deuxième espace. Le fonctionnement de ce patch se déroule comme suit : deux thèmes vidéo tournent toujours en même temps, mais seul un d’eux est diffusé, selon les règles établies préalablement : à savoir que ce sont les informations sur la localisation du spectateur qui se trouve le plus près de la projection qui vont déterminer le thème diffusé. Les déplacements des spectateurs provoquent ainsi la transition d’une vidéo à l’autre (d’un thème à l’autre) par fondu enchaîné. Pour le patch de la deuxième projection, ce ne sont plus les valeurs le plus élevées de y qui sont prises en compte, mais des valeurs moyennes. Cela a été fait avec l’objectif de faire participer dans cette partie de l’installation un plus grand nombre de personnes, et pas uniquement la personne qui est devant. Le déplacement de n’importe quel spectateur fera ainsi varier les valeurs de y. Ces valeurs moyennes ne correspondent pas exactement à la moitié, mais à des valeurs proches aux zones de l’image où il y aura le plus de blobs, donc le plus de personnes. Le choix d’utiliser les valeurs moyennes apporte en plus un comportement supplémentaire au dispositif qui renforce le discours
conceptuel du projet : pour que le thème de la mer soit diffusé, il est nécessaire que tous les spectateurs se situent vers la limite du tapis. Cela appuie l’idée du bord comme l’espace symbolisant le partage de connaissances, d’un héritage socioculturel. Pour un seul spectateur, il n’y aurait à peine de différence par rapport au comportement du premier patch. En marchant vers le bord du tapis, certaines zones de l’image deviendront transparentes – c’est le quatrième thème vidéo, crée en temps réel– et laisseront entrevoir la vidéo de bord de mer qui tourne au-dessus. Le principe de la moyenne n’a pas été employé dans le premier patch, car de cette façon le spectateur qui ira vers l’avant incitera les autres à se déplacer. Qui plus est, dans la première projection il est recherché un effet immédiat de correspondance entre le bord de mer et le petit jardin ; par conséquent, le fondu enchaîné durera moins longtemps que la transition par chroma key de la deuxième projection. Pour le correct fonctionnement des patchs, les ordinateurs doivent avoir, au minimum, les caractéristiques suivantes : processeur de 2.20 GHz ; 6 Go de mémoire RAM ; carte graphique Nvidia ou similaire, 1180 MHz, 3072 Mo. Les caméras web utilisées pour la détection sont des petites caméras d’une résolution maximale de 640 x 480.
scénographie, circulation et sources d’énergie
Tout l’équipement technique sera dûment dissimulé de la vue du public de par la hauteur de son emplacement et la relative obscurité de la salle. Dans la deuxième salle, les enceintes seront cachées derrière les cloisons en tissu. À cause de leur petite taille, les caméras web resteront très discrètes ; elles seront placées au-dessus des projections respectives. Les projecteurs et tout le câblage seront eux aussi placés par-dessus l’aire de projection. Pour son fonctionnement le dispositif nécessite d’énergie électrique. Il sera directement branché au secteur. Treize prises électriques seront requises pour effectuer toutes les connexions.
20. Modélisation 3D de l’installation dans l’emplacement prévu pour la soutenance, premier espace (a) et deuxième espace (b).
scénographie, circulation et sources d’énergie
Pour la soutenance, l’installation se situera dans deux salles (Pétale). Elle devient de la sorte une installation in situ en raison de son adaptation aux contraintes de ces espaces. Le mur divisant les deux salles, composé d’une porte qui restera ouverte, permettra l’accès entre les deux salles. Il sera utilisé pour la première projection. La deuxième salle sera aménagée avec deux cloisons en tissu noir, à droite et à gauche de l’entrée, dans le but de faire l’espace moins large et lui donner les dimensions souhaitées ; sur le mur du fond se situera la deuxième projection. Ce mur étant constitué en réalité de trois surfaces inclinées, les vidéos devront être adaptées pour qu’elles puissent s’y ajuster comme dans un mapping. Cette surface résulte propice par ailleurs, car elle apporte une dimension panoramique à la projection – traditionnellement plate – en rapport avec le contenu (espace qui s’élargit) des images vidéo. Les murs de projections seront de couleur blanche pour une meilleure définition des images projetées). L’environnement de la pièce sera plutôt obscur. Cependant, un minimum d’éclairage à environ trois mètres de chaque projection, bien que doux, sera fondamental pour la détection des mouvements. Deux bandeaux d’éclairage (un pour chaque zone), chacun avec quatre spots halogènes de 50 W, seront utilisés. L’accès au dispositif se fera par la seule porte d’entrée correspondant à la salle de la première projection. Pour une expérience optimale et un comportement stable du dispositif, le nombre de spectateurs présents ne devra pas dépasser les dix personnes, notamment dans le deuxième espace de projection, plus petit.
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identification des tâches
Les actions à mener pour la réalisation de ce projet sont envisagées dans une logique de conception, fabrication, validation et exposition. Ces différentes actions incluent à leur tour des tâches qui seront détaillées à continuation. Du tournage au développement du programme informatique, en passant par la mise en forme préalable des images et du son, toutes les opérations concernant la fabrication du dispositif seront réalisées par moi-même. Quant au montage et au démontage du dispositif, je serai également en capacité de l’assumer. A) Conception
que tel, mais d’une sélection et d’un ajustement de leur durée, d’un ralentissement des séquences du jardin filmées à 50p, ainsi que d’une conversion du format vidéo originel à un des formats gérés par Max (.mov dans ce cas-ci). T5 Sélection du son : sélection du son qui remplacera celui des images du jardin. T6 Mixage audio : travail d’harmonisation des différentes sources son, retouche du son et exportation finale de pistes sonores intégrées dans les vidéos. T7 Écriture du programme : réalisé sous Max/Jitter, le programme informatique pour le fonctionnement du dispositif inclut le traitement d’image (transitions par chroma key et fondu enchaîné) et la détection de présence et mouvement qui influencera le comportement de l’image vidéo.
identification des tâches
T1 Recherche conceptuelle : études, lectures et travail de rédaction réalisés en parallèle du projet et visant à l’argumentation conceptuelle du projet, ce qui constitue la première partie du présent C) Validation mémoire. Cette tâche inclut également T8 Test du dispositif : test du dispositif en l’écriture des deuxième et troisième parties. fonctionnement sous sa forme accomT2 Spécification des comportements : plie, test de deux patchs du projet. analyse générale des comportements du dispositif et des différents cas de figure D) Exposition d’interaction selon le nombre de spectaT9 Design graphique : mise en page du teurs. mémoire, réalisation de croquis et de B) Fabrication simulations 3D. T10 Montage du dispositif : installation du T3 Tournage : enregistrement des images dispositif en vue de son exposition. T11 Démontage du dispositif : désinstallation vidéos du jardin et des bords de mer. T4 Sélection des rushes : le projet ne précicomplète du dispositif. se pas d’un montage des rushes en tant
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calendrier
TÂCHES
août
octobre
novembre
décembre
S1 S2 S3 S4
S5 S6 S7 S8
S9 S10 S15 S16
S13 S14 S11 S12
2
5
CONCEPTION T1 / Recherche conceptuelle T2 / Spécification des comportements
4
4
3
2
2
2
5
5
5
2
5
5
2
2
5
5
4
2
35 35
FABRICATION T3 / Tournage
15 15 15 15
T4 / Sélection des rushes
2
2
2
2
T5 / Sélection du son
2
2
2
2
2
2
T6 / Mixage audio T7 / Écriture du programme
5
VALIDATION T8 Test du dispositif EXPOSITION T9 Design graphique T10 Montage du dispositif
2
T11 Démontage du dispositif
1
conduite du projet
total / heures
68
21 21 20 19
4
4
4
4
7
7
5
10
16 17 35 35
janvier
février
mars
avril
mai
juin
S13 S14 S15 S16
S17 S18 S19 S20
S21 S22 S23 S24
S25 S26 S27 S28
S29 S30 S31 S32
S33 S34 S35 S36
15 15
5
5
5
5
5
5
5
5
10 10
10 10 5
t/h
218
5
27
60 8 1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
5
5
10 10
7
7
25 20
23 23
135
19 19 19 19
2
2
7
7
7
7
123
5
5
5
5
10 10
5
25 25 10
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2
13 13
Ce projet étant en quelque sorte la suite du projet commencé en Master 1, il y a une grande partie du travail qui était déjà avancée, notamment la conception (recherche conceptuelle, pour la partie théorique ; choix du système de détection et analyse des transitions
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35 35 35 35
2
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1
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10
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2
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2
3
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-
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entre les images, pour la partie technique) et élaboration du patch. Le calendrier présente dans le temps (août 2013-juin 2014) les tâches qui ont été accomplies pour la finalisation du projet. Chaque cellule contient le nombre d’heures consacrées à la tâche par semaine.
calendrier
1
69
conduite du projet
21. Modélisation 3D de l’installation : la projection s’éteint seulement si le thème de la mer a été diffusé auparavant (deuxième projection).
70
budget
DÉPENSES
RECETTES
quant.
nbr / j
PU
total
nature
total
Tournage
Ø
9
300 €
2 700 €
autofinancement
2 700 €
Montage vidéo
Ø
2
380 €
760 €
autofinancement
760 €
Mixage audio
Ø
20
380 €
7 600 €
autofinanc. / partn.
7 600 €
Écriture du programme
Ø
18
390 €
7 020 €
autofinancement
7 020 €
Design graphique
Ø
7
300 €
2 100 €
autofinancement
2 100 €
Impression du mémoire
4
Ø
29,45 €
117,80 €
autofinancement
117,80 €
Montage / démontage dispositif
Ø
4
300 €
1 200 €
autofinancement
1 200 €
Ordinateur
2
Ø
1 500 €
3 000 €
autofinanc. / partn.
3 000 €
Caméra web
2
Ø
15,90 €
31,80 €
autofinancement
31,80 €
Vidéo projecteur
2
Ø
649,21 €
1 298,42 €
partenariat
1 298,42 €
Carte son
1
Ø
464 €
464 €
partenariat
464 €
Paire d’enceintes
3
Ø
129,90 €
389,70 €
partenariat
389,70 €
Bandeau d’éclairage halogène
2
Ø
37,94 €
75,88 €
autofinancement
75,88 €
Câble USB répéteur (12m)
2
Ø
20,80 €
41,60 €
autofinancement
41,60 €
Câble VGA (15m)
1
Ø
24,95 €
24,95 €
autofinancement
24,95 €
Rallonge électrique (10m)
8
Ø
17,65 €
141,20 €
partenariat
141,20 €
Multiprise
5
Ø
5,74 €
28,70 €
partenariat
28,70 €
Tapis pelouse artificielle (40mm)
28 m2
Ø
21,90 €
613,20 €
partenariat
613,20 €
Tissu
56 m2
Ø
3,375 €
189 €
autofinancement
189 €
Autres
Ø
Ø
Ø
107,98 €
autofinancement
107,98 €
PRESTATIONS
MATÉRIEL Composants électroniques
Structure de l’installation
27 904,23 € budget
27 904,23 €
71
72
droit de la propriété intellectuelle
possession. C’est pourquoi j’ai utilisé, dans une grande majorité, des sons provenant du site www.freesound.org, que j’ai ensuite retravaillé. Il s’agit d’un site de partage gratuit de sons, ce qui règle la question des droits d’auteur concernant ces productions, bien que les sons dont je me suis servie constituent uniquement une matière première et non pas une œuvre de l’esprit en tant que telle. Les droits patrimoniaux, quant à eux, regroupent des droits relevant de l’usage qui sera fait de l’œuvre, moyennant ou non une rémunération. À la différence du droit moral, qui est à vie, ils sont limités dans le temps (70 ans après la mort de l’auteur) et n’appartiennent pas forcément à l’auteur, qui peut les céder. Ils comportent quatre prérogatives : le droit de représentation, le droit de reproduction, le droit de suite et le droit de distribution. Le projet Le monde entre deux rivages a été réalisé dans le cadre du master Création Numérique ; donc, en raison du droit de représentation, qui appartient à l’université aussi bien qu’à l’auteur, sa divulgation devra toujours inclure la mention de ce fait. Max/MSP/Jitter étant un logiciel payant, son utilisation pour la réalisation du patch du projet doit faire l’objet d’une licence, que j’ai en ma possession. Par contre, l’emploi du patch final dans un espace d’exposition ne nécessite pas de licence Max. Le fichier peut être exécuté avec Max Runtime, même après l’expiration (30 jours) de la version d’essai.
droit de la propriété intellectuelle
Ce projet, comme n’importe quelle œuvre de l’esprit (originelle, qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur) est assujettie au droit de la propriété intellectuelle. La protection de l’œuvre concerne deux attributs essentiels : les attributs intellectuels, reliés au droit moral, et les attributs patrimoniaux, qui concernent les droits patrimoniaux ou d’exploitation, notamment commerciale (mais pas seulement) de l’œuvre. Le droit moral est attaché à la personne, que ce soit l’auteur ou ses ayants droit, et comporte un caractère perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il s’agit d’une spécificité du droit français, qui voit l’œuvre comme une production de l’esprit qui dépasse sa seule valeur d’objet matériel. Il comprend quatre branches principales : le droit de divulgation, le droit de retrait et de repentir, le droit à la paternité et le droit au respect de l’œuvre. Le droit moral protège donc l’œuvre, dans ce cas-ci Le monde entre deux rivages, de manière automatique, sans qu’il soit nécessaire d’engager une procédure particulière. Il protège l’auteur des contrefaçons, pourvu que toute poursuite en justice soit tentée dans la limite des 5 ans après l’infraction (art. 2224 du Code civil). Tous les éléments qui constituent ce projet ont été créés par l’auteur, à l’exception des prises sonores. Le projet demande des sons naturels en provenance de différents endroits de la planète que je n’ai pas intégralement en ma
73
74
3
75
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le master création numérique
La période de stage implique une responsabilité tripartite : l’université (et en particulier la formation du master), l’étudiant et l’institution qui l’accueille pour la réalisation du stage. Dans cette dernière partie du mémoire seront abordés ces trois éléments, en insistant davantage sur l’aspect de la réalisation du projet. Le master Création Numérique est une formation diplômante (niveau 1) de spécialistes dans le domaine de la création numérique. Il permet le développement de pratiques innovantes, en relation avec les problématiques contemporaines et anticipe sur les métiers émergents, dans les domaines de l’art, de l’industrie, de la recherche et du développement. Le master intègre la pratique du son en amont des projets et est ouvert aux pratiques de l’image, in situ ou à distance via réseau, de l’objet, de l’installation et du spectacle vivant. Il propose en M1 des cours en imagerie numérique 2D, 3D, montage virtuel, intégration multimédia, gestion d’événements interactifs en temps réel, technologies capteurs et son. Il intègre en M2 la 3D en temps réel, la robotique et la téléphonie mobile. Fort de ses dimensions technologiques et d’ingénierie, le Master Création Numérique s’inscrit dans une démarche de création-recherche-profession qui articule : -formation universitaire, scientifique, artistique et technique -échanges avec des professionnels -pratique de stage au sein d’entreprises ou d’institutions Objectifs : -transversalité, polyvalence et compétences multiples -articulation art, sciences et technologies -savoirs et savoir-faire
le master création numérique
Le master vise à former des professionnels créatifs, rapidement opérationnels, qui aient des capacités d’analyse, des méthodes, qui maîtrisent les contraintes techniques, budgétaires, culturelles et juridiques. Ils seront aussi capables d’appréhender un projet dans sa globalité, de sa conception à sa réalisation, et seront à même d’utiliser les outils numériques, d’en problématiser les usages et de souligner les enjeux plastiques, esthétiques et sociétaux.
77
curriculum vitæ de l’étudiante
María Victoria PORTELLES DE LA NUEZ Née en 1979, à La Havane, Cuba FORMATION 2012-2014 Master 2 Création Numérique, Université Toulouse-Jean Jaurès 1999-2004 Instituto Superior de Arte (ISA), La Havane 1994-1999 Academia de Bellas Artes « San Alejandro », Spécialité Gravure, La Havane Expérience Professionnelle Expositions et pratique artistique 2013 Résidence au Centre de Création Numérique ART3000-Le Cube, Issy-Les-Moulineaux / Traverse vidéo, histoire(s), Lycée des Arènes, Toulouse 2012 You and Eye, Casa de Cultura de Plaza, Collatéral à la 11e Bienal de La Habana Pabellón Cuba, La Havane 2010 El extremo de la bala, un decenio de arte cubano, Cuba, 10e Bienal de La Habana / 2009 Tales from the new world, Pabellón Número Cero, revue de la 2e Trienal Poli/gráfica de San Juan: América Latina y el Caribe 2008 Mirando el mundo, salle Manuel Galich, Casa de las Américas, La Havane / Colloque Esthétiques, situations et pratiques, en lien avec le paradigme d’un art comme expérience. 76e Congrès de l’ACFAS, Québec, Canada 2006 Lauréat du Concours de Projets d’Arts Visuels 2006, Agence Espagnole de Coopération Internationale 2005 Résidence Batiscafo e(Triangle Arts Trust, Hivos, British Council), La Havane 2004 Common Property, 6 Werkleitz Biennale,e Halle, Allemagne 2003 Experiencia de Acción : 30 días (DIP), 8 Bienal de La Habana / Double Séduction, salle Amadís, Madrid / Sens Commun, Galerie Habana, La Havane
curriculum vitæ de l’étudiante
2001-2004 Membre fondateur du Departamento de Intervenciones Públicas (DIP), ISA : réalisation d’interventions, collaboration artistique dans la sphère de l’art public Autres 2014 Stage au GMEA, Centre National de Création Musicale d’Albi-Tarn : participation à l’organisation des Journées électriques : communication, médiations et sensibilisabilitation du public. 2013 Stage à Artilect, FabLab de Toulouse : médiation et accompagnement du public dans l’utilisation des machines ; création de signaletiques pour l’atelier. 2004-2007 Professeur estagiaire, Département de Gravure, Faculté d’Arts Plastiques, ISA : cours de 2 année de la spécialité 2006 Enseignante invitée pour un mois, Université Paris 8 : direction de l’atelier d’interventions urbaines Sortir Dehors pour les étudiants de Licence en Arts Plastiques de Acción : 30 días (DIP), rencontre 2003 Membre du comité organisateur d’Experiencia internationale d’interventions publiques, 8e Bienal de La Habana : commissariat, programmation et design graphique
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le gmea
stage au gmea, centre national de création musicale d’albi-tarn
22. Vue de l’immeuble du GMEA à Albi.
L’histoire du Centre National de Création Musicale d’Albi-Tarn, GMEA, où j’ai réalisé mes trois mois de stage, remonte à 1977, date à laquelle il n’est encore qu’un atelier de musique électroacoustique fondé par un groupe de compositeurs (Groupe de Musique Électroacoustique d’Albi-Tarn). À l’époque, ce travail collectif était notamment motivé par le partage des moyens techniques très onéreux. Les productions musicales étaient très attachées à des structures telles que la Maison des Jeunes et de la Culture d’Albi, et se faisaient grâce à du matériel mis à disposition par la DRAC. Cette pratique amateur demeure jusqu’en 1981, année où leur activité est professionnalisée et le groupe devient une structure pour la création et la diffusion – mais aussi la formation – des pratiques sonores contemporaines. Cette évolution vers le statut professionnel s’intègre dans une politique de soutien à la création musicale dans les régions engagé par le Ministère de la Culture, sous la direction de Maurice Fleuret, alors directeur de la Musique. En 2008, le centre se voit attribuer le label « national »134, qui reconnaît un travail incontournable dans la promotion des musiques liées aux nouvelles écritures du son et des dispositifs technologiques, et dont le rayonnement dépasse déjà les seules frontières régionales. Les missions du GMEA, en tant que Centre National de Création Musicale d’Albi-Tarn, se définissent ainsi : • création et production d’œuvres nouvelles • diffusion du répertoire musical contemporain • recherche appliquée et développement de lutheries et de dispositifs d’informatique musicale nouveaux • formation professionnelle et formation dans l’enseignement supérieur • poursuite de ses travaux d’application des pratiques électroacoustiques au service d’une pédagogie de l’écoute comme complémentaire à l’enseignement musical • sensibiliser les publics, en s’investissant dans le champ de l’action et du développement culturel en liaison avec la diversité des acteurs culturels implantés en région et autour des créations et des productions menées par le centre • conservation des fonds (numérisation), des lutheries et plus généralement des machines de studio nécessaires à l’interprétation du répertoire contemporain • fonctionner en tant que pôle structurant en matière de création musicale : travail de promotion, de sensibilisation des publics, de constitution de partenariat, centre de ressources, etc. Le GMEA occupe un immeuble à trois étages (400 m2) dans la ville d’Albi. Il compte un studio de composition, un studio d’enseignement et d’informatique musicale (aménagé selon les besoins), un studio analogique, un petit auditorium et des salles techniques et des bureaux. Une petite équipe très soudée135 se charge du fonctionnement du centre et des projets de recherche. Mon intégration au sein de l’équipe s’est très bien déroulée, et ce dès mon arrivée. Accueillant et toujours de bonne humeur, le personnel du GMEA a orienté mes activités, aussi bien au profit de la structure que de l’avancement technique et conceptuel de mon projet de master. J’ai eu 134 Cinq autres centres existent comme lui en France : GMEM à Marseille, Cirm à Nice, Grame à Lyon, la Muse en circuit en île de France, Césaré à Reims. 135. Thierry BESCHE, directeur ; Amandine PETIT, chargée de la production et de l’administration ; Benjamin MAUMUS, création, réalisation et régie son ; Julien RABIN, chargé de la recherche et des chantiers d’expérimentation ; Théo DE LA HOGUE, chargé de la recherche et du développement informatique ; Virginie VIALADE, comptable ; Malika BAHAIDA, entretien.
80
136. La Semaine du son est un événement qui existe dans une cinquantaine de villes en France, ainsi qu’à Genève, Montréal et Athènes, en Argentine, au Mexique, en Colombie et à Bruxelles. Le projet est né à Paris et cherche à sensibiliser « le public et tous les acteurs de la société à l’importance des sons et de la qualité de notre environnement sonore » à travers de conférences, débats, ateliers, événements sonores, concerts, projections, actions pédagogiques à accès gratuit. Site officiel de la Semaine du son. Disponible sur : <http://www.lasemaineduson.org/?lang=fr> (consulté le 06/05/2014) 137. Proposé par Pasacale Criton et Hugues Genevois (Art&Fact), l’atelier d’écoute par le toucher a été réalisé en collaboration avec : l’équipe Lutherie-Acoustique-Musique (LAM), le laboratoire d’Acoustique de l’Université du Maine – CNRS (LAUM), l’École Nationale Supérieur d’Ingénieurs du Mans (ENSIM), l’Institut National des Jeunes Sourds (INJS).
23. Atelier d’écoute par le toucher durant la Semaine du son à Albi : tables sonores (a) et stations d’écoute solidienne (b et c).
23
le gmea
en plus la chance de passer ma période de stage avec deux autres étudiants du Master Création Numérique, Carlos Rojas Valencia et Léonard Ménut, ce qui m’a permis de collaborer avec eux dans les différentes missions qui nous ont été assignées. Le premier jour on nous expliqué ce qu’on allait être amené à faire, plus précisément pour les Journées Électriques, un festival annuel organisé par le GMEA qui cherche à promouvoir la création sonore de notre époque, après le bouleversement survenu avec l’invention de l’électricité. Avec Thierry Besche, directeur du centre, on a établi un accord pour que l’on se consacre d’abord au travail d’organisation des Journées Électriques durant les deux premiers mois de stage, puis à la finalisation de notre projet personnel de master. Lors de ce premier entretien, il nous a fait également une introduction sur le fonctionnement et l’histoire de la structure, et sur les objectifs et les enjeux du travail du GMEA. La première semaine de stage a coïncidé avec la Semaine du son136, un événement auquel le GMEA s’implique activement et qui nous a permis de nous immerger dans la dynamique de son action de sensibilisation à l’écoute auprès des publics. Parmi les activités proposées cette année il y avait un atelier d’« écoute par le toucher »137, avec des tables sonores équipées d’un dispositif capable d’émettre des sons sous forme des vibrations de la matière en bois des tables, en plus de « stations d’écoute solidienne », des dispositifs permettant de percevoir les sons par conduction osseuse. Les deux expériences cherchaient à mettre en avant une écoute à travers tout le corps en contact avec les dispositifs. Le grand intérêt de l’atelier était de proposer non pas seulement une expérience d’écoute inhabituelle, mais de faire aussi réfléchir aux formes diverses que peut prendre le son, et donc de contribuer au développement d’autres capacités d’écoute. Cela est encore plus vrai surtout si on tient compte des médiations mises en place pour les écoliers pendant la Semaine du son, une action dans laquelle le GMEA joue un rôle décisif. Les activités de cette première semaine ont anticipé donc, en quelque sorte, la nature du stage qui venait de commencer et les nouveaux apports qu’il allait supposer pour ma propre perception de l’univers sonore. Ce fut également un avant-goût du travail de diffusion et de création de nouveaux publics auquel je participerais moi-même, ainsi que sur les possibilités de l’utilisation des nouvelles technologies dans la création artistique.
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les journées électriques
stage au gmea, centre national de création musicale d’albi-tarn
/ les journées électriques
24. Affiche des Journées électriques 2014 avec l’œuvre Nocturnes 2 : Tumbleweed, des Baltazars.
Les Journées Électriques constituent l’événement majeur que développe le GMEA pendant l’année. Réalisées à Albi et dans le territoire du Tarn, elles sont l’occasion de montrer au public un panorama de la création sonore contemporaine, ainsi que de faire connaître les créations qui voient le jour dans le centre. Le festival est très varié, avec une programmation riche de concerts, de spectacles et d’installations sonores et visuelles. Le nom, Journées Electriques, vient rappeler l’intérêt fondateur du GMEA pour la musique électroacoustique, un courant de la création musicale qui apparaît avec l’avènement de l’électricité au début du xxe siècle. Cependant, le festival va au-delà du phénomène strictement musical et englobe des œuvres explorant de nouveaux territoires de la création qui brouillent les frontières entre les manifestations artistiques. De par leur vocation de transdisciplinarité, les Journées Électriques créent le cadre pour la diffusion de pratiques émergentes s’intéressant aux nouvelles écritures du son. Il s’agit de pratiques intermédias qui intègrent les nouvelles technologies de l’informatique et de l’électronique, ainsi que les arts visuels, les arts de l’espace ou du spectacle au service des créations sonores. Les Journées Électriques parient ainsi sur le concept plus élargit de « son » au lieu de celui de musique. Les Journées Electriques 2014 ont présenté des œuvres à mi-chemin entre théâtre et arts plastiques, comme c’est les cas de Nocturnes 2 : Tumbleweed (d’Aurélie et Pascal Baltazar), un spectacle pour les sens où les artistes manipulent la temporalité du récit visuel à travers un dispositif qui produit du brouillard, des lumières et du son, et qui est joué par les propres artistes en temps réel. D’autres installations, comme Concert prolongé et Voix prolongées (réalisées par le GMEA) proposaient des expériences d’écoute en relation aux espaces où le son avait été enregistré. Une œuvre comme Apertures (par la fenêtre), de Mathieu Chamagne, portait sur la question de l’instrument qui produit le son et sur l’influence du geste individuel et collectif au cœur du dispositif numérique interactif. Dans d’autres œuvres (Elektric Botanic Ensemble, de Basile Robert et Jardin, de Frédéric Le Junter) le son était « sculpté » par des machines sonores… Les œuvres exposées amenaient donc souvent au questionnement sur le phénomène sonore, comment il se produit, comment il est ressenti : est-il joué par quelqu’un, par des automates, est-il produit ou influencé par les éléments (architecture, air, matière), par les mouvements et gestes du corps ? L’intention était de développer une écoute intelligente, ce qui était renforcé par les actions de médiation qui accompagnaient les visites guidées des installations. Et au bout du compte, le public se voyait invité à concentrer son attention sur l’objet sonore, en privilégiant une « écoute réduite »138, pour mieux saisir l’expérience. 138. C’est l’écoute qui se centre sur le son en soi, sur ses qualités et formes indépendamment de ce qui l’a produit et les connotations que cela peut ajouter au son. Selon le concept élaboré par Pierre Schaeffer et abordé par Michel Chion, op. cit., p. 28-29.
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25. Voix prolongées, installation sonore interactive réalisée par le GMEA. 26. Concert prolongé, installation sonore interactive réalisée par le GMEA.
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27. Apertures (par la fenêtre), de Mathieu Chamagne.
stage au gmea, centre national de création musicale d’albi-tarn
28. Apertures (par la fenêtre), de Mathieu Chamagne, avec trois interacteurs.
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les missions
29. Invitations réalisées pour les vernissages des expositions des Journées électriques 2014 (expositions à Albi et expositions dans le Tarn).
30
les missions
Les deux premiers mois de stage, les autres stagiaires et moi, nous avons travaillé de manière continue dans l’organisation des Journées électriques 2014. Durant le premier mois, il s’agissait du travail préparatoire ; peut-être celui qui est le plus important pour l’organisation d’un événement, ce qui inclut la programmation, la communication, la logistique. Une fois que toute cette partie est achevée de la meilleure manière possible, le déroulement de l’événement n’a qu’à suivre (ou presque) ce chemin tracé préalablement. Quand nous sommes arrivés au GMEA, une grande partie de cette première étape était déjà avancée. Nous avons collaboré notamment au volet communication, une tâche capitale de l’organisation de l’événement, car c’est cela qui fige son identité et construit le public pour lequel il est destiné. Ce public ne se trouve pas dehors en attente de l’événement qui leur sera proposé ; au contraire, il est créé par l’événement lui-même lors de sa phase d’organisation. Cela suppose un travail de diffusion auprès des publics susceptibles d’y assister. Donc, pour garantir l’assistance des visiteurs aux expositions et aux concerts, il est nécessaire de bien cibler les groupes potentiellement intéressés, en leur fournissant des informations détaillées sur les activités qui auront lieu et en réalisant un travail de persuasion – dans le but d’entraîner l’enthousiasme des personnes atteintes – non moins important. Le GMEA vise tout particulièrement sur les jeunes publics – élèves du primaire et du secondaire –, un choix qui rejoint la volonté du centre de créer un impact au niveau local à travers la sensibilisation aux nouvelles pratiques du son. De ce fait, je me suis occupée, avec le concours des autres stagiaires, de la réalisation d’un dossier pédagogique à destination des écoles qui présentait les activités des Journées Électriques. Dans ce dossier les enseignants avaient accès à des informations concernant ce qui sont le GMEA et les Journées électriques, sur les différentes installations et leurs auteurs, ainsi que sur la date et l’heure, les tranches d’âge adaptées selon le cas et les démarches à effectuer pour coordonner la visite guidée des classes. Les dossiers, imprimés en quelques dizaines d’exemplaires, ont été ensuite envoyés par courrier ou bien déposés directement sur place. Cependant, afin de mieux garantir le résultat espéré, c’est-à-dire une plus grande affluence de visiteurs, il ne fallait pas se contenter que d’un envoi par la poste. Il nous a été demandé aussi d’effectuer des appels téléphoniques aux écoles pour contacter directement les enseignants (parfois s’y rendre personnellement) et de leur commenter les différentes activités qui étaient en train de s’organiser pour éveiller de l’intérêt chez eux. En parallèle, je m’occupais de gérer le planning des réservations pour les médiations de chaque exposition, qui commençait petit à petit à se remplir.
85
30. (En haut et page ci-contre) Dossier pédagogique sur les Journées électriques à destination des écoles.
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stage au gmea, centre national de création musicale d’albi-tarn
29
25, 26
La communication a compris, en plus, la réalisation d’un site web événementielle (le site est encore consultable sur http://www.gmea.net/JE_2014/), duquel Léonard Menut s’est chargé entièrement étant donné sa formation en design web. Nous avions décidé de nous répartir les tâches de manière équitable et en tenant compte des compétences de chacun. Cependant, il nous arrivait souvent de collaborer (bien que l’on soit responsable d’une tâche en particulier) et de participer au travail de chacun, que ce soit en rassemblant et retouchant les images qui seraient utilisées, pour accélérer et faciliter la tâche, ou en échangeant des avis sur le résultat à chaque étape du processus de réalisation. Ce travail en équipe, fonctionnant comme une machine d’horlogerie, nous permettait de réduire les délais (en général pas très longs) et installait une dynamique qui nous stimulait dans l’accomplissement de nos missions. Durant ce premier mois, j’ai réalisé aussi les panneaux (mentionnant le titre de l’œuvre, l’artiste et une brève introduction de la démarche) qui seraient accrochés dans toutes les expositions des Journées Électriques. À cela s’ajoutent les invitations pour les vernissages des expositions, aussi bien la version imprimée pour l’envoi postal, que la version PDF pour l’envoi électronique. Parmi les travaux que nous les stagiaires avons réalisés (pas toujours très édifiant, mais indispensable pour la mise en marche de l’événement) était aussi la préparation des enveloppes contenant ces invitations. Tout le long de l’année le GMEA développe des projets de recherche qui interrogent l’écriture du son et les relations que l’on établit avec le phénomène sonore, de manière à créer des formes innovantes de mise en relation par le biais de dispositifs numériques interactifs. Dans un esprit de pédagogie et de manière à assurer une application pratique, le centre intervient avec des groupes scolaires pour mettre en place des dispositifs issus de ces recherches. Les Journées Électriques étant aussi l’occasion de montrer les projets pédagogiques réalisés pendant l’année, l’un de ces dispositifs a été exposé durant le vernissage d’Aperture (par la fenêtre). Il s’agissait d’un dispositif interactif pour la réalisation duquel notre groupe de stagiaires avait collaboré, en participant aux discussions préliminaires du projet139, en préparant le matériel graphique requis (Carlos Rojas Valencia) et en installant les maquettes du projet dans le lieu d’exposition. Deux installations exposées aux Journées Électriques 2014 comme Concert prolongé et Voix prolongées témoignent plus largement de ces travaux de recherche développés par le GMEA. Ce sont deux œuvres que nous avons suivies de manière particulière, car les stagiaires étaient 139. Le projet comprenait une première partie où des enfants diphasiques avaient réalisé des maquettes représentant différents paysages (marin, savane africaine, etc.). Puis, dans l’interface interactive réalisée par Julien Rabin, développeur au GMEA, ces paysages ont été enrichis avec des sons pour chaque univers, ainsi que pour chaque élément présent dans les maquettes. L’utilisateur avait ainsi la possibilité de faire jouer ces éléments (animaux, objets) en les déplaçant avec la pointe du doigt sur un écran tactile (le son était joué seulement lorsque le doit restait en contact avec la surface de l’écran).
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chargés d’en faire l’accueil du public deux fois par semaine. Cela fait partie du travail que nous avons réalisé pendant le deuxième mois de stage, lorsque l’événement avait déjà était officiellement inauguré. Ainsi, nous occupions-nous de recevoir les visiteurs, de leur commenter les œuvres exposées et de répondre aux questions qu’elles pouvaient susciter chez eux. La production du Concert prolongé140 a été soutenue par la plateforme de recherche OSSIA, qui est à son tour coordonnée par le GMEA et financée par l’Agence Nationale de la Recherche. Cette plateforme de recherche « vise à concevoir des outils génériques pour le développement de logiciels d’écriture de scénarios interactifs »141. Faisant un lien entre recherche et création, le Concert prolongé est illustratif de ce travail consacré à l’écriture numérique, dans ce cas-ci du son. L’idée ici était de « refaire » un concert (enregistré au préalable) à travers une interface permettant de se déplacer virtuellement (par le biais d’un écran tactile) dans le lieu du concert, et donc de l’appréhender d’une façon normalement impraticable pendant le vrai concert. Se déplaçant sur un plan de l’Abbaye de Noirlac (lieu d’enregistrement du concert), l’interacteur pouvait se confronter de manière consciente à l’acoustique des espaces et aux influences que cela signifie pour l’expérience sonore. Un nombre presque illimité de points d’écoute devenait alors accessible : en se situant tout près des musiciens, en se mettant au fond du cloître ou bien en sortant et écoutant le concert de l’extérieur. Le Concert prolongé partageait le lieu d’exposition avec une autre installation utilisant elle aussi une interface à écran tactile. Pour Voix prolongées les improvisations de deux chanteuses avaient été enregistrées dans différents espaces d’Albi (choisis par ses caractéristiques sonores) ; puis les extraits sonores avaient été intégrés dans une interface interactive permettant de jouer les sons avec tous les doigts de la main. Comme pour le Concert prolongé, l’expérience sonore de l’utilisateur devenait encore plus captivante grâce à la restitution du son en hexaphonie142, une technique qui avait été employée aussi lors de la prise de son. La dernière mission dans le cadre des Journées Électriques 2014 a consisté à la réalisation des médiations pour l’œuvre Apertures (par la fenêtre), de Mathieu Chamagne. Installée à la Maison de Jeunes et de la Culture d’Albi, cette installation a eu un grand succès auprès du jeune public, qui pouvait visiter l’exposition en permanence. Les médiations étaient conçues, cependant, pour des groupes constitués ayant fait la réservation d’une visite guidée à l’avance, une tâche dont j’ai assuré l’entière coordination.
27, 28
les missions
140. Il a été lauréat de l’appel à projets 2012 du Ministère de la Culture sur les services numériques culturels innovants. 141. Site officiel du GMEA. Disponible sur: <http://www.gmea.net/activite/recherche/OSSIA/> (consulté le 09/05/2014) 142. Dans l’exposition en plus des six haut-parleurs entourant l’interacteur, il y avait deux autres haut-parleurs à côté de la projection vidéo qui diffusaient en stéréo.
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stage au gmea, centre national de création musicale d’albi-tarn
31. Deux des panneaux élaborés pour les expositions des Journées électriques 2014.
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La tâche consistait à faciliter le décryptage du sens de l’installation et de son fonctionnement technique, à commenter la démarche de l’artiste et à gérer l’exploration du dispositif, étant donné le nombre élevé de visiteurs. Mais surtout, ce travail de sensibilisation était voué à déclencher chez le public une écoute attentive du riche univers sonore proposé par l’œuvre. Les groupes étaient très variés ; la grande majorité du public était composé d’élèves du primaire (voire de la maternelle), du collège et du lycée, bien que nous ayons eu aussi des enfants et des adultes rencontrant certains handicaps, comme ce fut le cas avec un groupe d’enfants malentendants. C’est pourquoi le langage employé pour chaque tranche d’âge et pour chaque spécificité groupale devait être adapté selon le cas. Pour la première médiation, nous avons eu le privilège de compter avec la présence de l’artiste, ce qui nous a beaucoup aidés pour comprendre sa démarche et le fonctionnement détaillé du dispositif. L’installation est constituée de trois cadres suspendus en forme de triangle. Chaque cadre devient une ouverture vers un univers sonore donné, ou paysage, qui est construit par les gestes que l’interacteur effectue avec ses mains. Le titre et la forme du cadre pourraient nous faire penser à l’idée d’Alberti de « tableau comme fenêtre ouverte au monde » ; en fait, l’artiste parlait de « tableaux » pour nommer les différents univers sonores qui pouvaient être joués (en appuyant sur un bouton situé au sol, il était possible en plus de changer ces « tableaux »). Cependant, il préférait souligner plus précisément l’idée de « sculpture sonore », en insistant davantage sur l’action de l’interacteur qui donnait forme au son avec ses mains. Quoi qu’il en soit, les cadres offraient trois points de vue sur un même « paysage sonore » créé par les trois participants. Le dispositif, équipé de petits capteurs leap motion capables de registrer les mouvements les plus subtils, rendait possible la création de toute une gamme de sonorités extrêmement diversifiées. Les mouvements des interacteurs modulaient de surplus des jeux de lumière au-dessus de leurs têtes. À la fin de ces deux premiers mois de stage, nous étions parvenus à suivre de très près une bonne partie de l’organisation et mise en route des Journées Électriques, en enchaînant quelques-unes des missions indispensables à la construction d’un événement à grande échelle. De manière générale, agir dans les coulisses des Journées Électriques nous permit de donner une réponse concrète et pratique à la question de comment s’organise un événement. Et qui plus est, le travail de sensibilisation des publics, comme dans toute activité à caractère pédagogique, se changea à la longue en enrichissement pour nos propres perceptions du son.
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34 travail sur le projet de master
Le dernier mois de stage a été consacré exclusivement à la finalisation de mon projet de master, ainsi que de ceux des autres stagiaires. Nous avons travaillé chacun individuellement, mais dans la même salle, que l’on convertit dans une sorte d’atelier. Là, nous faisions nos tests dans un environnement plus proche de celui de l’œuvre installée. Travailler ensemble, comme pour les autres étapes du stage, était très propice aux échanges de savoirs, mais aussi de trouvailles. Bien que nos projets soient différents, il y avait des points de contact au niveau des patchs, c’est-à-dire par rapport à des opérations qui pouvaient être génériques et donc communes pour tous les trois. Nous avons compté sur le soutien de Julien Rabin, développeur au GMEA, qui avec une attention particulière nous a aidés à surmonter les écueils techniques auxquels nous étions très souvent confrontés. L’un des avantages de ce stage au GMEA a été justement ce soutien technique pour le développement informatique avec le logiciel Max de Cycling ’74, utilisé dans les dispositifs de trois stagiaires. Les projets de recherche du GMEA sont eux aussi développés sous Max, ce qui fait du centre une référence dans l’application professionnelle de ce logiciel. Le patch de mon projet était déjà assez avancé, puisque j’avais travaillé dessus pour le projet de Master 1, dont celui de cette année est la suite en quelque sorte. Cependant, le patch de l’année dernière contenait les comportements généraux du dispositif, mais nécessitait un travail plus fin pour améliorer quelques imperfections dans son fonctionnement. Il fallait gérer la diffusion des vidéos au moyen d’une liste de reproduction, ainsi qu’ajouter toute la partie correspondant au comportement du son en synchronie avec l’image. Pour la partie son du patch, j’avais aussi un peu avancé lors des cours de Max en décembre dernier, mais comme pour l’image des imprécisions persistaient encore. La première tâche a donc consisté à créer une liste de reproduction pour les vidéos, car si je les avais laissées toutes ensemble dans un seul le fichier vidéo (comme dans mon premier patch) celui-ci aurait été énorme, vu la durée totale de presque 1h et la qualité souhaitée. Ensuite, j’ai réalisé un sous-patch pour contrôler les couleurs qui allaient être chromées pour chaque vidéo, étant donné que chaque vidéo ne comporte pas les mêmes tonalités et qu’une seule couleur commune à toutes ne fonctionnariat pas aussi bien dans tous les cas. À cela s’ajoutent d’autres sous-patchs visant à manipuler l’image qui serait projetée, de manière à l’ajuster à la surface de projection143. Visant à augmenter la performance du patch et de la reproduction des vidéos, j’ai effectué encore un grand nombre de petites tâches comme celles-ci (je n’en ferai pas l’inventaire exhaustif), ce qu’à ce jour je continue d’améliorer davantage. Je fais mention des deux dysfonctionnements du patch qui ont été réglés pendant le stage : le patch présentait quelques clignotements au niveau de la transition du bord de mer vers le noir, en raison des fluctuations des valeurs liées à l’apparition et disparition des blobs ; il avait aussi d’autres petits problèmes avec le volume du son, qui devait descendre à zéro au moment du passage au noir, mais qui ne le faisait pas en synchronie avec l’image. J’ai pu donner solution à ces difficultés grâce à l’aide de Nicolas Carrière, collaborateur au GMEA et spécialiste de Max, qui est venu expressément pendant une journée et demie pour nous aider à mettre au point les dispositifs. 143. Comme j’ai déjà décrit dans la deuxième partie de ce mémoire, la surface de projection de l’espace envisagé pour la soutenance est composée de trois murs.
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32. Patch principal du projet, deuxième projection (version de la fin du stage).
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33. Sous-patch chargé de la captation, deuxième projection (version de la fin du stage). On peut observer le comportement de la moyenne (ligne rouge, « chromakey ») par rapport au nombre de blobs : la moyenne tend toujours vers le nombre le plus grand des blobs. Noter la différence à l’égard de l’analyse qui est faite pour « éteindre la vidéo », où la moyenne se situe plus au centre (ligne bleue). Cette valeur n’est d’ailleurs pas utilisée.
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34. Avec Nicolas Carrière, lors du workshop au GMEA.
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144. Cela uniquement dans le cas de la deuxième projection ; pour la première j’avais déjà expliqué le comportement, cf. p. 65-66.
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Lors de ce workshop avec Nicolas Carrière, j’ai installé le dispositif dans un espace un peu plus grand (l’auditorium du GMEA) que celui où j’avais travaillé jusqu’à ce moment-là (la salle des réunions). C’était une condition indispensable pour tester correctement le fonctionnement du dispositif, sachant qu’à chaque fois qu’il est installé de nouveaux réglages des valeurs minimales et maximales doivent être faits. La taille de l’espace influençant décisivement, j’ai pu alors constater que la caméra web (capteur) placée sur le côté opposé de la projection envoyait une image trop proche des spectateurs, et par conséquent les blobs devenaient trop grands, et les écarts entre les déplacements réels dans l’espace et les déplacements des valeurs trop restreints aussi. Il n’était pas souhaitable d’éloigner un peu plus la caméra, car de cette façon la captation serait perturbée à cause des aléas de la perspective. La solution aurait été de la placer bien plus haut, mais cela n’était pas possible non plus, puisque la hauteur de l’espace d’installation pour la soutenance mesure 2,75 m maximum. Avant de continuer, il faut que j’explique brièvement pourquoi pendant la période de stage j’ai pris la décision (dans le cas du patch du deuxième espace) de déplacer la caméra web du côté de la projection (version initiale) vers le côté opposé, au dos du spectateur. Le patch tel qu’il avait était conçu l’année dernière, prenait en compte uniquement la personne qui était devant (valeurs les plus élevées de y). Dans ces conditions, le fait de changer la caméra de place avait une incidence sur la manifestation de ce comportement sur l’image (sans avoir à faire de modifications du patch), car la personne prise en compte était alors celle de derrière par rapport à la projection. Cela impliquait des modifications importantes : pour que le thème de la mer puisse être diffusé, il fallait alors que tous les participants se situent sur le bord, et non comme avant où il suffisait que l’un d’entre eux le fasse. Sur le plan conceptuel, ce nouveau comportement cherchait à souligner mon idée du bord comme espace symbolisant des connaissances et de conceptions sur le réel partagées par l’ensemble des sujets. Ces décisions par rapport au comportement du dispositif m’avaient amenée ensuite, avec le tutorat de Julien Rabin, à repenser l’expérience que proposait le dispositif à l’ensemble des participants. La question qui se posait était de savoir comment faire participer le plus grand nombre. C’est ainsi que l’utilisation d’une moyenne des valeurs de y s’imposa comme solution. Ce ne serait plus un seul interacteur qui influencerait le comportement du dispositif, mais les déplacements de n’importe lequel d’entre eux144. L’emploi d’une moyenne ne modifierait en rien le comportement prévu à cause du changement de l’emplacement de la caméra : il serait toujours nécessaire que les interacteurs soient sur le bord pour que l’image du bord de mer puisse être diffusée. C’était le stade du patch au moment du workshop avec Nicolas Carrière, lorsque j’ai compris que je n’allais pas pouvoir maintenir la caméra du côté opposé à la projection. Cependant, j’ai vite compris aussi que je
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35. Deuxième espace : en haut, simulation de la vue de la caméra web (placée du côté de la projection) et en bas, de son image binarisée. La linge rouge représente la valeur moyenne ; en bleue la valeur la plus élevée de y, celle qui était utilisée dans le patch de l’année dernière.
n’avais plus besoin non plus de déplacer la caméra, car avec l’utilisation d’une moyenne cela ne faisait absolument aucune différence pour le comportement souhaité. Les problèmes de captation ont été arrangés donc en remettant la caméra là où elle était avant, c’est-à-dire en dessus de la projection. Le travail pour l’avancement du projet de master a compris également la modification du patch en vue de son utilisation dans la première projection. Globalement, ils sont presque les mêmes tous les deux, à cela près que le patch de la première projection utilise un fondu enchaîné comme transition entre les deux thèmes vidéo et que l’analyse pour la captation ne comprend pas de moyenne. Pour ce qui est du traitement du son, j’ai travaillé sur la mise en place d’une spatialisation sonore145 pour le deuxième espace, de manière à ce que le son se déplace entre les deux paires de haut-parleurs en fonction des déplacements des interacteurs (valeurs moyennes de y). En réalité, le seul son qui va se déplacer sera celui du thème du jardin ; le son du thème de la mer sera diffusé exclusivement sur les haut-parleurs les plus proches de la projection, et donc de la zone de captation associée à ce thème. Au-delà de la réalisation des patchs du dispositif, la période de stage m’a aussi permis de réfléchir au travail sonore que je devais effectuer pour mon projet. Le contact avec les artistes et les œuvres sonores pendant les Journées Électriques, ainsi que les discussions auxquelles je participais fréquemment, ont contribué à l’analyse de la manière dont je voulais exprimer les contenus du projet par le son. Plus précisément, les discussions avec Thierry Besche ont été très profitables, notamment celle que nous avons eue le dernier jour de stage à propos du son dans mon projet. Les avis qu’il m’a donnés m’ont beaucoup aidée dans la détermination de la forme sonore qui conviendrait le plus au thème du jardin, compte tenu de mes intentions. J’avais déjà commencé le mixage des sons de quelques vidéos appartenant à ce thème ; donc, notre échange se basa sur ce qui était déjà fait. Les conseils de Thierry Besche ont porté surtout sur la nécessité de créer une sensation plus grande d’espace à partir du son. Il m’a recommandé d’utiliser un peu moins les sons dont les prises étaient trop rapprochées, car pour créer une ambiance il faut créer de l’espace, et cela n’est pas possible avec des sources sonores trop proches. Dans ce sens, si j’employais de manière insistante des sons de ce type, je risquerais d’être redondante par rapport à l‘image, qui montrait déjà un gros plan. En outre, il pensait qu’il n’existait pas suffisamment de décalage entre l’image et le son pour qu’un imaginaire se mette en marche ; on n’arrivait pas à rêver, car le son, disant la même chose que l’image, ne le permettait pas. Il m’a recommandé d’aller au-delà de ce que l’image pourrait « logiquement admettre » comme son ; ce que j’ai compris comme la nécessité de créer un effet d’étrangeté ou une surprise qui amène ailleurs – dans un espace autre – les possibles associations. 145. Edwige Armand avait aussi largement insisté lors des cours de Max pour je fasse cette spatialisation sonore, qui s’est montrée très pertinente au bout du compte pour l’expérience proposée par le dispositif.
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travail sur le projet de master
36. Lors des tests du dispositif au GMEA.
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37. Patch principal du projet, première projection (version de la fin du stage). L’objet [jit.xfade] est utilisé pour réaliser la transition par fondu enchaîné entre les deux thèmes vidéo.
N’ayant à peine réalisé de travaux impliquant le son auparavant, du moins pas dans une pareille dimension, la partie correspondant au son du projet a été celle pour laquelle je me suis sentie le moins à l’aise146. C’est pourquoi cette discussion avec Thierry Besche a été pour moi si enrichissante. Mon seul regret reste de ne pas avoir pu multiplier, manque de temps, les échanges de ce type. Le bilan de mon stage au GMEA s’est avéré très satisfaisant, tant pour l’avancement de mon projet personnel que pour l’expérience en contexte professionnel qu’il représenta. À la fin du stage, le projet était quasi finalisé, bien qu’il reste encore à faire les tout derniers tests dans l’espace réel d’installation. Les liens crées avec le personnel du GMEA ont été dans ce sens très positifs et j’ai même pu continuer à bénéficier du soutien technique de Julien Rabin bien après la période de stage. Un des points positifs que je peux tirer du stage est celui du travail en équipe. Le stage a été une occasion formidable pour travailler dans un environnement d’équipe, où l’on pouvait partager tâches et savoir-faire dans le but d’avancer individuel et collectivement. Il ne faudrait pas oublier non plus le fait d’avoir collaboré à l’organisation d’un projet de la taille des Journées électriques, impliquant un grand nombre de partenaires et qui est présenté dans plusieurs endroits de la région du Tarn en même temps. Cela m’a permis de me confronter de manière pratique à l’importance de la communication et de la construction d’un public pour qu’un événement devienne un succès ; cela a été aussi une façon d’appliquer les connaissances acquises lors des cours de Gestion de projet. Mais surtout, le stage a signifié pour moi une ouverture d’esprit quant aux expériences d’écoute et à la compréhension que je pouvais avoir du phénomène sonore jusqu’à présent. 146. Mais aussi, car j’ai été confrontée à des difficultés pour me procurer certains sons dont j’avais besoin ; pour cela l’aide de Thierry Besche a été une fois de plus inestimable.
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travail sur le projet de master
géographie vitale et géographie de l’installation en guise de conclusion
:
le monde entre deux rivages
Bachelard dit que la rêverie nous libère de la fonction du réel147. On se créerait ainsi un monde à l’abri de l’animosité qui nous entoure. Il est vrai que dans le jardin, extension de la maison, on se sent en sécurité. Et c’est nécessaire, car comment rêver en se sentant menacé ? La rêverie implique un se laisser aller avec le monde. Le rêveur entre en communion avec ce qui l’entoure, c’est pourquoi pendant la rêverie l’interaction avec l’espace qui l’a déclenchée est continuelle, tout en construisant notre monde à nous. Le rêve éveillé n’est donc pas échappatoire du monde, c’est une construction du monde. Impossible de séparer le monde du rêve du monde qui est rêvé : ils sont un seul. Le monde imaginé ou fictionnel n’est synonyme ni de fausseté ni d’irréalité. Si fuite il y a, ce serait dans une dimension temporelle. Le temps de la rêverie est doux, non contingent. Le temps « normal » de la vie quotidienne s’arrête, ou prend plutôt une autre allure. Ce n’est pas un temps social : « les rêveries nous placent dans un monde et non pas dans une société »148. Elles constituent des états d’introspection à l’intérieur de nos mondes. C’est un départ vers nous-mêmes dans le monde. À l’intérieur du jardin, nous partons vers ce monde que nous créons ; alors le jardin devient immense. Si l’on continue d’avancer – c’est le temps de l’installation –, on arrive à la côte : le jardin se transforme en île. Les îles sont des jardins ancrés à la terre qui pendant la rêverie s’autorisent le départ. Le jardin est localisé dans le territoire d’une géographie vitale. Il marque le centre d’où commence l’expérience du monde : le point zéro de l’expérience. C’est le monde qui est rêvé dans le jardin, mais c’est aussi celui qui s’étend au-delà de la clôture et au-delà de l’horizon de la mer. Dans le projet, cette ambivalence entre le monde rêvé et le monde dit objectif demeure. L’espace de notre vie est construit par l’expérience de notre corps dans l’espace et dans les événements quotidiens de l’expérience ordinaire. Dans ce processus vital, les lieux sont connotés en tant que centres de valeur pour le sujet, ce qui veut dire qu’on leur accorde une signification émotionnelle. Les lieux peuvent comporter aussi des significations collectives ou partagées. Il y a des lieux comme des points sur une carte, et il y a en plus des lieux plus grands, comme à l’échelle de l’île. Ce sont des lieux que l’on construit de manière collective, sans pour autant effacer l’expérience individuelle. L’espace insulaire qui intègre l’île comme lieu – comme entité symbolique – est un espace socioculturel accompagné d’une mémoire historique et personnelle. De toutes ces idées à propos de l’espace et du lieu se dégage une compréhension de la géographie où le sujet a une place centrale. L’espace n’est pas indépendant du sujet qui le vit dans le continuum des événements émotionnels et affectifs qui constituent la vie humaine. L’espace se construit dans l’expérience de l’espace ; c’est ainsi qu’il se transforme en lieu. Le corps – et ses sens – est donc la condition indispensable pour faire l’expérience du monde149. Quel futur pour une géographie vitale avec l’avènement des NTIC ? On assume couramment que les frontières réelles disparaissent et que les distances se réduisent. L’ailleurs est rendu tout proche, perdant de la sorte son ancien caractère mythique. Dans une relation à distance avec l’espace, que deviennent le corps et tous ses sens ? D’une part, on pourrait se demander si cette transition d’un régime à l’autre en est vraiment une, car cherchant une assise au sein de son espace immatériel, le langage du web s’approprie le langage du territoire. L’espace virtuel du réseau est, de ce fait, choyé par nos vieilles notions géographiques et spatiales, auxquelles il serait difficile de renoncer. D’autre part, l’espace de notre vie reste encore l’espace dont le corps 147. Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, p. 12. 148. Ibid., p. 13. 149. Yi-Fu Tuan, op. cit., p. 92.
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géographie vitale et géographie de l’installation
: en guise de conclusion
humain a besoin, l’espace de nos souffrances, de nos besoins et de nos passions, et de l’expérience qui convoque le corps comme un tout. Dans le projet nous devons distinguer deux espaces : d’un côté la géographie vitale ; de l’autre côté la géographie de l’installation. Ainsi, le jardin et le territoire à l’origine du projet restent loin pour le public. Ce territoire de la géographie vitale, mais surtout l’expérience particulière de ce territoire est en quelque sorte perdue dans l’installation, même si elle y fait référence. La difficulté permanente à communiquer une expérience devrait être contournée – ou du moins problématisée – grâce au dispositif interactif, ce qui s’avère être l’un des enjeux du projet lui-même. Le monde entre deux rivages ne propose pas pourtant une simulation de l’expérience du territoire par le biais des technologies du numérique. Dans ce sens, il serait impropre de parler de virtualité créée par le dispositif, car son existence ne cherche pas à interfacer la relation avec le territoire physique invoqué. Le propos n’est pas de médiatiser l’accès à l’expérience du territoire, mais d’en créer une nouvelle. Par ailleurs, les comportements du dispositif n’ont pas par but non plus la reproduction (plus ou moins fidèle) de situations du réel, extérieures à l’univers de l’œuvre, mais soulignent le caractère symbolique qui construit une démarche artistique. Bien que l’expérience vécue dans le territoire soit transposée de manière symbolique à l’espace d’exposition, il est évident que déjà par ce geste elle devient autre pour l’interacteur. L’œuvre propose donc en réalité une nouvelle expérience à vivre. C’est là tout l’intérêt du dispositif interactif dans mes questionnements sur les relations subjectives avec un territoire donné ; autrement dit, la question posée est celle de comment faire pour communiquer l’expérience dans un territoire, compte tenu de l’ineffable de toute expérience. Il est toujours possible de se faire une idée de l’expérience de l’autre, mais pour l’essentiel elle doit être vécue par soi-même, ce qui signifie que chaque expérience devient singulière. Les lieux de l’existence se situent autour du sujet comme un centre, symbolisé dans le projet par le petit jardin. Autour, la mer de cette géographie particulière. Ou dirait-on de chaque côté, sur chaque rivage ? La mer poursuit le spectateur, qui la retrouve à l’intérieur même du jardin : l’horizon du monde du jardin. Les différentes significations qui se dégagent de l’interaction du spectateur avec le dispositif lors de ses déplacements explicitent mon intérêt pour les relations spatiales qu’établit l’individu avec sa géographie vitale. Le dispositif en est une métaphore : c’est par l’expérience du spectateur que le sens géographique de l’œuvre émerge. L’expérience reste la réponse à toutes les questions que je puisse me poser. Que puis-je dire alors de celle qui a été l’expérience de réalisation de ce projet ? Déjà, comme l’on pourra déduire de ce que je viens d’exposer plus haut, il y a le bouleversement qu’a signifié pour ma pratique artistique l’utilisation du numérique, sous la forme notamment du dispositif interactif. Cela vient à élargir ma réflexion sur les relations subjectives avec un territoire au cours d’un processus de cartographie subjective, et sur la question de comment faire partager ces expériences. Pour cela, la formation pendant ces deux années de Master a joué un rôle essentiel, étant donné que la pratique du numérique a représenté un virage pour ma pratique artistique en général. Cette année surtout, le travail de la partie sonore du projet m’a demandé une attention supplémentaire, avec des remises en question sur la manière dont le son devait être incorporé au projet. La période de stage, ainsi que les échanges que j’ai pu effectuer sur ce sujet ont contribué
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le monde entre deux rivages
/ géographie vitale et géographie de l’installation : en guise de conclusion
à l’élaboration d’une idée plus claire sur la forme que cette partie sonore devait prendre. Il est difficile cependant d’établir une évaluation précise du résultat au moment où j’écris ces lignes, car je continue à y travailler, spécifiquement sur le son du thème du jardin, qui est celui qui est différent du son enregistré avec la vidéo. Je n’exclurais pas à ce stade que le son du projet puisse être enrichi quant à sa mise en forme par des expérimentations et des réflexions futures, voire après la présentation pour la soutenance. Au-delà de ce projet, les acquis de cette année seront sûrement exploitables pour d’ultérieures expériences. D’un point de vue artistique, la période de stage contribua à développer en moi une sensibilité renouvelée de l’univers sonore ; d’un point de vue professionnel, elle permit de me confronter à une pratique concrète d’organisation d’un projet à grande échelle. Mais l’apport majeur a été sans doute celui opéré au sein de mon propre processus de création. C’est une nouvelle perspective de travail qui s’ouvre pour moi dans cette intégration du numérique, du son et de l’image.
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table des illustrations
6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. * 15. 16. 17. 18.
couv. p. 4 p. 11 p. 14-15 p. 23 p. 31 p. 32 p. 33 p. 34 p. 43 p. 43 p. 43 p. 43 p. 49 p. 50 p. 52 p. 56-57 p. 59 p. 60 p. 63 p. 64
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/ table des illustrations
4./5.
M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, capture d’écran (détail).................. M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, photogramme vidéo (détail).......... M. V. Portelles, modélisation 3D de l’installation........................................................ M. V. Portelles, photographie de mon jardin............................................................... M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, photogrammes de la vidéo........... Catherine Jourdan, Rennes vue par les enfants du Blosne. Carte subjective de Rennes, 2010. Disponible sur : <http://www.geographiesubjective.org/Geographie_subjective/Carte_Rennes.html> (consulté le 25/12/2013).................................. Catherine Jourdan, réalisation d’une carte subjective avec des enfants de la ville de Nantes, 2009. Disponibles sur : <http://www.geographiesubjective.org/Geographie_subjective/Projet_Nantes.html> (consulté le 25/12/2013)............................ Site officiel de l’Atelier de géographie parallèle : www.unsiteblanc.com (capture d’écran, détail) Disponible sur : <http://www.unsiteblanc.com/> (consulté le 25/12/2013)........................................................................................................................ Stalker, Planisferio Roma, 1995. Photographie. Impression sur polyester 90 x 90 x 0,1 cm. Coll. Laboratoire Stalker. In : Thierry Davila, Marcher, créer, éditions du Regard, Paris, 2002..................................................................................... Joachim Joachim Mogarra, Le lever de soleil en montagne, de la série Paysages Romantiques, 2004. Photographie noir et blanc, encre, 100 x 150 cm. Disponible sur : <http://print.photographie.com/?evtid=103619> (consulté le 26/12/2013)....... Joachim Mogarra, Paysage métaphysique, de la série Paysages Romantiques, 2004. Photographie noir et blanc, encre, 100 x 150 cm. Disponible sur : <http:// fiac.ilynet.com/artist.html?ar=2396> (consulté le 26/12/2013).................................... Joachim Mogarra, En vue de la Sierra Nevada, de la série Sur la route, 2009. Photographie noir et blanc, encre, 174 x 112 cm. Disponible sur : <http://www. telerama.fr/scenes/heureux-qui-comme-joachim-mogarra,67082.php> (consulté le 26/12/2013).................................................................................................................... Joachim Mogarra, Le temple des Incas, de la série Images du monde, 1985. Photographie noir et blanc, encre, 60 x 50 cm. Disponible sur : <http://www. lyc-monnet-lqly.ac-versailles.fr/spip.php?article276> (consulté le 26/12/2013)........ Kit Galloway et Sherrie Rabinowitz, Hole in space, 1980. Disponible sur : <http:// 18thstreet.org/residents/electronic-cafe-international> (consulté le 26/12/2013)..... Maurice Benayoun, Le tunnel sous l’Atlantique, 1995. Disponible sur : <http:// histoire3d.siggraph.org/index.php?title=File:TunnelUnderTheAtlantic.jpg> (consulté le 26/12/2013).......................................................................................................... Ken Goldberg, Telegarden, 1995-2004. Disponible sur : <http://goldberg.berkeley. edu/garden/Ars/> (consulté le 26/12/2013)................................................................... M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, photogramme de la vidéo............. M. V. Portelles, modélisation 3D de l’installation........................................................ M. V. Portelles, croquis de l’installation........................................................................ M. V. Portelles, croquis de l’installation........................................................................ M. V. Portelles, modélisation 3D de l’installation........................................................
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M. V. Portelles, modélisation 3D de l’installation......................................................... (a), (b) M. V. Portelles, modélisation 3D de l’installation............................................ M. V. Portelles, modélisation 3D de l’installation........................................................ M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, capture d’écran (détail).................. M. V. Portelles, autoportrait, photographie personnelle.............................................. Site officiel du GMEA. Disponible sur: <http://www.gmea.net/structure/gmea/ lieu.htm> (consulté le 09/05/2014)................................................................................. a) Pascale Criton et Hugues Genevois (Arts&Fact), atelier d’écoute par le toucher (Semaine du son à ALbi) : tables sonores. Disponible sur : <http://www. revue-et-corrigee.net/?v=wwh&a=2013&n=4&PHPSESSID=1e01957609d9fda1ca64af08adfb2d6a> (consulté le 09/05/2014) / (b) Pascale Criton et Hugues Genevois (Arts&Fact), atelier d’écoute par le toucher (Semaine du son à Albi) : stations d’écoute solidienne. Disponible sur : <http://www.bonsauveur-edu.org/ spip.php?article391&debut_article_actuel=5> (consulté le 09/05/2014) / (c) Pascale Criton et Hugues Genevois (Arts&Fact), stations d’écoute solidienne. Disponible sur : <http://www.pascalecriton.com/en/node/230> (consulté le 09/05/2014)........................................................................................................................ Mathilde Delahaye, affiche des Jounées électriques 2014. Disponible sur : <http:// www.gmea.net/JE_2014/> (consulté le 09/05/2014).................................................... Voix prolongées, réalisation du GMEA. Fotographie : Carlos Rojas Valencia........ Concert prolongé, réalisation du GMEA. Fotographie : Carlos Rojas Valencia...... Mathieu Chamagne, Apertures (par la fenêtre). Fotographie : Carlos Rojas Valencia...................................................................................................................................... Mathieu Chamagne, Apertures (par la fenêtre). Disponible sur : <https:// www.flickr.com/photos/101123547@N05/sets/72157641120698113/> (consulté le 09/05/2014)........................................................................................................................ M. V. Portelles, invitations réalisées pour les Journées électriques 2014............... M. V. Portelles, dossier pédagogique des Journées électriques 2014..................... M. V. Portelles, panneaux réalisés pour les Journées électriques 2014................... M. V. Portelles, patch du projet, impression écran..................................................... M. V. Portelles, patch du projet, impression écran..................................................... Workshop avec Nicolas Carrière. Fotographie : Carlos Rojas Valencia.................... M. V. Portelles, modélisation 3D du projet................................................................... Test du dispositif au GMEA. Photographie : M. V. Portelles.................................... M. V. Portelles, patch du projet, impression écran..................................................... M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, capture d’écran (détail).................. M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, photogramme vidéo (détail).......... M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, photogramme vidéo (détail)........... M. V. Portelles, Le monde entre deux rivages, capture d’écran (détail)..................
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