LA CHRONIQUE 1
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Chaque vendredi, Michel Desgranges, Président des Éditions Les Belles Lettres, vous propose une promenade autour de livres d'hier et aujourd'hui. Cette Chronique est diffusée hebdomadairement par courrier électronique. Pour les amis des Belles Lettres qui n'utilisent pas cette technologie, nous avons souhaité leur proposer ces textes sous forme imprimée, et regroupés mensuellement. 11 novembre 2005
Existe-t-il une connaissance scientifique ? Les civilisations meurent-elles ? Pourquoi s’occuper de Byzance ?
J’
ai longtemps accepté pour admis la vérité de la connaissance scientifique (par opposition à l’arbitraire hypothétique de toutes les spéculations rapidement rangées au rayon « sciences humaines »), bien même après m’être intéressé à l’épistémologie et avoir été ébloui par le critère de réfutabilité établi par Karl Popper, sans doute parce que ma formation littéraire m’avait ancré dans l’idée que je vivais dans le domaine de la poésie (c’est-à-dire le réel transformé par l’imagination) alors que les autres, les savants, que l’on n’appelait pas encore « scientifiques », œuvraient dans le monde solide et ennuyeux du concret et ne pouvaient ainsi qu’énoncer des vérités, avec une petite marge d’erreur qui m’était une désinvolte revanche. En fait, ai-je fini par admettre à l’encontre de tout ce qui m’avait été enseigné, la science se trompe plus souvent qu’elle ne dit vrai, et essentiellement parce que ceux qui la produisent ne sont tout simplement pas capables de définir l’objet qu’ils étudient. (Je n’ignore pas qu’un logicien est en droit de me faire remarquer que mon reproche signifie qu’un savant devrait connaître cet objet alors même qu’il entreprend, justement, de le connaître, mais c’est un autre débat, pour ce qui est de mon propos actuel). D’où la question essentielle : comment fonctionne l’approche scientifique – comment des êtres humains (intelligents) qui cherchent à comprendre un fait peuvent-ils en toute bonne foi fournir une explication dont ils justifient le bienfondé, alors qu’elle nous paraît aujourd’hui inepte, et comment d’autres êtres humains sont-ils capables de prouver que ce qu’on leur a enseigné pour vrai n’est qu’erreur ?
Aucun texte ne répond mieux à cette question que l’ouvrage de Ludwik
Ludwik Fleck Genèse et développement d'un fait scientifique préface d'Ilana Löwy postface de Bruno Latour Médecine & Sciences Humaines XLII-280 p. 2005.
Fleck : Genèse et développement d’un fait scientifique où, pour montrer comment a été découverte la « réaction de Wassermann », l’auteur trace une fascinante histoire de l’étude de la syphilis, histoire de siècles d’erreurs insensées (pour nous, qui aujourd’hui savons) prises pour certitudes. Cette histoire n’est pas le propos essentiel de Fleck (que situent parfaitement les préface et postface enrobant la traduction française) mais elle est sans doute ce qui a été écrit de plus instructif, pour le non-spécialiste, sur le tortueux cheminement de la pensée dite scientifique. J’ai toujours eu la conviction que moins l’on voit de médecins, moins l’on écoute leurs propos, bref, plus l’on se tient à l’écart de tout discours médical La Chronique des Belles Lettres
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