LA CHRONIQUE 3
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Chaque vendredi, Michel Desgranges, Président des Éditions Les Belles Lettres, vous propose une libre promenade autour de livres d'hier et aujourd'hui. Cette Chronique est diffusée hebdomadairement par courrier électronique. Pour les amis des Belles Lettres qui n'utilisent pas cette technologie, nous avons souhaité leur proposer ces textes sous forme imprimée, et regroupés mensuellement. 6 janvier 2006
C’est mon mien ! Dangers de la connaissance ; Grivoiseries vaticanes.
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Lorenzo Valla La Donation de Constantin La Roue à Livres Préface de Carlo Ginzburg. Traduit et présenté par Jean-Baptiste Giard. 176 p. 1993. 17 e
out cela est à moi !, clamait l’Empereur, toutes ces terres et ces villes et ces peuples m’appartiennent, j’en suis le seul et unique souverain et... – Taratata !, interrompait le Pape, tu n’es qu’un vil imposteur et un impie scélérat ! Moi Pape suis le seul légitime possesseur de ces royaumes, et en voici la preuve ! Se baissant, le très saint Père attrapait sous son trône un somptueux parchemin portant pour titre Constitum Constantini (la Donation de Constantin), le tendait à un clerc humblement courbé et lui ordonnait de lire (en latin, car c’est en cette langue que s’exprimaient nos protagonistes antagonistes) ces quelques phrases, écrites au IVe siècle ainsi que l’attestait une tradition constante : « (...) voici que nous [l’empereur Constantin] livrons et abandonnons tant notre palais que la ville de Rome et toutes les provinces, localités et cités de l’Italie ou des régions occidentales au très saint pontife et universel pape Sylvestre ; (...) car là où le prince des prêtres (...) a été installé par l’empereur céleste, il n’est pas juste que l’empereur terrestre conserve le pouvoir. De plus nous avons décrété que tout ce que nous établissons et confirmons par cette charte impériale resterait intact et inébranlable jusqu’à la fin du monde ». L’Empereur maugréait, s’inclinait pour recevoir une bénédiction, tout en songeant à envoyer subrepticement quelque armée complice s’emparer des territoires contestés sans risquer l’excommunication, et cette saynète se répéta, avec des hommes différents mais occupant les mêmes trônes, et sous une forme sans doute plus violente que mon édulcoré récit, durant à peu près tout le Moyen-Âge, montrant que si le successeur (pour partie) de Constantin pouvait avoir pour lui la force, celui de Sylvestre avait en sa faveur le droit. Un droit qui établissait sans contestation possible le pouvoir temporel du Pape sur tout l’Occident, et un peu plus si l’occasion s’en présentait. La Donation de Constantin était un outil tellement pratique pour la papauté – et, à réfléchir au-delà de l’argument d’autorité, tellement étrange dans son contenu – que l’humaniste Lorenzo Valla (1407-1457) décida de l’examiner avec un esprit critique, ce qui le conduisit à publier en 1442 Sur la donation de Constantin à lui faussement attribuée et mensongère, ouvrage pugnace et ironique qui établissait par des preuves externes et internes (au texte) que la fameuse Donation était ce que l’on appelle aujourd’hui un faux (en fait, rédigé vers 750 pour appuyer les prétentions du pape Étienne II). Le travail de Valla dépasse largement son intitulé (il fut d’ailleurs, sur le plan politique, d’effet nul) car il fonde ce que l’on nomme philologie, analyse textuelle etc. ; j’ajouterai même : méthode historique. C’était la première fois qu’était entreprise cette tâche : montrer la possibilité de prouver, par l’étude du style, du vocabulaire etc., et du contexte, qu’un texte n’est pas ce que l’on prétend qu’il est. Les leçons de Valla demeurent valides pour quiconque souhaite ne pas prendre des vessies pour des lanternes (ou : se targue d’avoir l’esprit scientifique) mais je me garderai de les toutes dévoiler, renvoyant à la lecture de La Donation de Constantin, avec une préface de Carlo Ginzburg, et le texte, traduit, du fameux faux, qui fait bien rire quand on pense qu’il fut si longtemps tenu pour vrai. Valla avait ouvert une inquiétante boîte de Pandore d’où s’échappa aussitôt son nouvel ouvrage, encore plus dangereux, la Collatio Novi Testamenti, où il comparait le texte La Chronique des Belles Lettres
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latin de la Vulgate avec plusieurs manuscrits grecs, relevant, entre autres, 252 passages fautifs dans la version alors canonique de l’Évangile de Matthieu...
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abandonne Valla (qui finit heureusement ses jours au service du Pape Nicolas V...) pour m’arrêter sur l’évènement qui allait changer le cours de la pensée européenne : le retour du grec en Occident (par « grec » j’entends ici non la langue commune que parlaient les commerçants byzantins établis à Venise mais celle qu’écrivait Démosthène...). Comment et pourquoi le grec, et les auteurs « classiques » disparurent de la civilisation occidentale, et à quel point ils furent oubliés ou connus de troisième main, ce que l’on peut en dire ouvre le livre de Jean-Christophe Saladin La Bataille du grec à la Renaissance, dont le propos essentiel est de nous faire revivre ce retour du grec (la chute de Byzance n’y fut pas étrangère) et les conflits qu’il entraîna. Il est difficile aujourd’hui de se représenter l’impact de la (re)découverte des auteurs grecs classiques (dont, pour certains, quelque pensée avait survécu par les auteurs latins qui en avaient été influencés : Cicéron, Quintilien, Boèce..., mais de cette influence le lecteur médiéval était inconscient...). L’évènement est unique dans notre histoire, et fut même autre qu’une véritable « renaissance » puisque la rupture avait été moins totale que ne le prétendirent les humanistes, (et il faut nier fermement que le Moyen-Âge eût été une période d’obscurantisme intellectuel – Renan : « on a cessé (..) d’envisager le Moyen-Âge comme une époque illettrée et barbare (...) le travail intellectuel ne s’est jamais arrêté en Europe depuis les temps les plus reculés... ») disons seulement et prudemment qu’il se produisit une mutation des cadres et modes de pensée et que notre monde devint autre. Dans tous les domaines : intellectuels, scientifiques... et politico-religieux. À côté des clercs et de leur scolastique se trouvait désormais une classe d’hommes qui disposaient des textes, de la connaissance de la langue et d’une méthode critique (encore une fois : la philologie) ; ne nous étonnons pas que, sur les traces de Valla, une part de leur travail se portât sur les Écritures et que, de la contestation formelle d’une traduction fautive, certains passèrent à une « plus exacte traduction » (Érasme avec son Novum Instrumentum, 1516) qui, bien qu’ils s’en défendissent, modifiait le sens de la Révélation, et de la foi dominante. Le retour du grec ne suffit pas à expliquer le surgissement de la Réforme (puis les massacres extrêmes des guerres de religion, et la Contre-Réforme...) mais il en fut l’un des moteurs. Dois-je alors insister sur la nécessité de connaître l’histoire de ce retour si bien retracée par Saladin ? Ou dois-je ajouter un mot sur les effets de l’engouement humaniste pour Platon (un Platon mystique autant que philosophe, perçu à travers le prisme des néo-platoniciens, parfois quasi-chrétien) qui furent immenses autant dans les lettres que les arts (Vinci, parmi mille autres...) ou la science politique (sur ce dernier point : pour se débarrasser des miasmes totalitaires de Platon, il faudra attendre Karl Popper et son The Open Society and its Enemies, 1945, qui attend toujours une édition française correcte...) ? Et un aveu : sans Platon, je ne serais pas intellectuellement ce que je suis ; j’eus pour lui, vers mes 13-14 ans, un enthousiasme idolâtre (combien je fus épaté par la maïeutique, sans voir alors que c’était un truc de sophiste pour faire dire à un malheureux le contraire de ce qu’il sait être vrai...) qui fonda, avec les lectures d’Eschyle et Homère, ma passion de la culture gréco-romaine et même si je le regarde désormais avec une ferme hostilité, je ne nierai jamais ma dette envers lui.
Jean-Christophe Saladin La Bataille du grec à la Renaissance Histoire 544 p. 2000. 44 e
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es humanistes, donc, disposaient des textes des auteurs grecs – parce que, au prix d’un labeur admirable, ils avaient fait l’effort d’aller les chercher partout où ils avaient une chance de les trouver. L’un de ces fouineurs obstinés fut Poggio Braccioloni (1380-1459), en « français » le Pogge, qui, des années durant, parcourut l’Europe pour fouiller les bibliothèques des monastères (et il fallait aussi trouver des mécènes pour financer voyages et acquisitions). Savant prodigieux (et ennemi intime de Valla), le Pogge ne dédaignait pas le divertissement trivial et se réunissait dans une pièce retirée du Vatican avec les secrétaires pontificaux pour raconter des historiettes graveleuses qu’il rassembla dans le recueil des Confabulationes – les Facéties. Cet ouvrage eut un succès immense (Valla : « (il) a envahi, souillé, infecté la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre et tous les autres pays de langue latine. » ; Érasme : « Que d’impiétés, que de saletés, que de fléaux dans les écrits du Pogge ! Pourtant celuici est dans toutes les poches ») et fut l’un des premiers best-sellers de l’histoire (à ce propos : quand Henry James découvrit la première liste de best-sellers que publia le New York 2 La Chronique des Belles Lettres
Le Pogge Facéties / Confabulationes Bibliothèque italienne Traduction du latin, note philologique et notes de Stefano Pittaluga. Traduction française et introduction de Étienne Wolff. 496 p. 2005. 40 e
Times, il remarqua le solécisme ; best signifiant « le meilleur », il ne pouvait y avoir qu’un seul best-seller ; la faute perdura...). Qu’elles soient de son cru ou empruntées au folklore populaire, les Facéties du Pogge mettent en scène des moines lubriques, des femmes en chaleur et des maris trop naïfs, des nigauds et des avares ; pour ne pas heurter la bienséance ni fâcher les chers fantômes de Valla et Érasme, je me garde d’en citer des extraits, avouant seulement ma tendresse pour la Facétie intitulée Une vision de François Philelphe (que reprendra Rabelais), qui fournit aux maris jaloux un conseil de l’ordre de la technique. P. S. Notre édition (savante) des Facéties est bilingue ; les puritains se satisferont de la lecture du seul texte latin, d’où une confortable et hypocrite distanciation.
13 janvier 2006
Qui parle français ? Mais quel français ?
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es manifestations revendicatrices perturbent ma concentration intellectuelle. – Nous n’avons jamais demandé à suivre un régime, protestent les chats, peu nous chaut d’être trop gros, mais nous voulons de la grasse pâtée avec de la gelée voluptueusement grasse, et qu’est-ce que c’est que ça – vouloir faire notre bien contre notre gré, ce qui est contraire à tous tes discours !!! » J’explique, délaissant Damascius, qu’avec les humains existe un espoir de raisonner mais qu’un animal, même un félin, comprend avec difficultés certaines relations causales camouflées dans la durée, d’où la nécessité d’adopter avec eux une conduite, et des principes, autres, mais je ne suis pas entendu, ni même écouté. Y aurait-il une différence essentielle entre l’homme et l’animal ? C’était la question philosophique de la semaine.
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e ne parle pas chat. Je parle français, et c’est en cette langue que j’écris et publie. Je ne professe aucun amour pour elle – ce serait aussi bête que s’aimer soi-même –, cette langue fait partie de moi, et c’est par elle que je me connais, me pense, me vois, existe. Je ne ressens non plus aucune fierté en raison d’elle – le hasard me l’a donnée, et je n’y ai aucun mérite. Sauf, et ce n’est pas beaucoup, d’avoir fait quelque effort pour la pratiquer conformément à ses règles et usages, de grammaire et vocabulaire, tels qu’ils étaient à peu près fixés durant mes années d’apprentissage. Et je n’ai rien à dire sur ses qualités ou défauts car ce faisant je construirais avec ellemême un jugement sur elle-même, ce qui ne serait pas très sérieux. Mais j’ai eu la chance rare que cette langue fût utilisée par un nombre considérable d’humains qui eurent des choses remarquables à exprimer durant une période de quelque cinq siècles (si j’exclus la langue médiévale), d’où une masse immense de textes qui me furent directement accessibles (et j’en ai négligé beaucoup) et auxquels je dois ce que je sais et ce que je suis. Sur ce plan, tout semble parfait. Hélas, la finalité d’une langue dépasse le seul enrichissement cérébral de Michel Desgranges : à moins d’être un Robinson sans Vendredi, une langue ne sert pas qu’à se parler à soi-même, mais à communiquer avec autrui, un autrui qui la comprend, autant qu’il est humainement possible, exactement comme nous-même la comprenons. Là, les choses se gâtent. L’utilité d’une langue est exactement proportionnelle au nombre d’individus qui en usent (désignés aujourd’hui par le coquet néologisme de locuteurs) et, pour ce qui est du français, ce nombre diminue chaque jour. Je le constate concrètement (remarque intéressée) par la diminution constante des ventes de nos livres en pays étrangers : même dans les milieux universitaires, et les milieux spécialisés dans l’étude des lettres européennes, le refus a priori de seulement regarder un ouvrage écrit en français croît comme champignons par un automne pluvieux. Rejetons vite l’arrogance chauvine des discours officiels tenus par des individus à la crête gonflée de vanité comme s’ils avaient eux-mêmes créé les chefs-d’œuvre dus à leurs aïeux, et imposé eux-mêmes le français comme langue diplomatique des cours européennes en des siècles révolus, et leurs extases sur la beauté d’une langue qu’ils ne maîtrisent même plus, pour tenter humblement de savoir combien sont encore les locuteurs du français, et qui ils sont. La Chronique des Belles Lettres
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et état des lieux a été établi par Yves Montenay dans La Langue française face à la mondialisation (mea culpa : c’est un mauvais titre, mieux eût valu quelque chose comme : « Qui parle français dans le monde en 2005 ? »). J’apprécie beaucoup Yves Montenay : ingénieur (centralien), industriel, il a soutenu un doctorat en géographie humaine et quitté les « grosses entreprises » pour travailler avec de petites sociétés sur tous les continents, surtout en Afrique et au Proche-Orient, ce qui lui a permis de vivre et observer quotidiennement les réalités humaines que d’autres théorisent à Saint-Germain-des-Prés après avoir passé trois jours au bar d’un Hilton exotique. Une parenthèse : sa connaissance de l’Islam, tel qu’il est réellement pratiqué et vécu par des êtres humains, lui a permis d’écrire, avec Nos voisins musulmans, un ouvrage dont la lecture évite de penser et répéter trop d’inepties sur le sujet. Laissons l’Islam (je ne suis pas d’humeur polémique ce matin) et revenons à cette langue en laquelle vous avez l’indulgence de me lire. Yves Montenay rappelle la distinction fondamentale entre « langue outil » et « langue de culture ». Pour la « langue outil » (celle qui permet de demander son chemin, négocier un contrat, etc.) l’affaire est jouée : l’anglais l’a emporté, domine sans partage sur tous les continents et étend inéluctablement son emprise – ou plus exactement un anglais abâtardi et simplifié (surnommé globbish) qui ne permet pas, sans même évoquer Shakespeare ou Swift, de lire Dickens ou Naipaul, ou d’apprécier les dialogues subtils de My fair lady, de George Cukor (1964...), qui jouent sur les niveaux de langue, mais de trouver son chemin ou signer un contrat – quant aux nuances qui font la valeur de la pensée humaine, eh bien, on s’en passe. Et toute langue ayant un vocabulaire de cinq cents mots et une syntaxe rudimentaire aurait tout aussi bien fait l’affaire. Mais qu’en est-il de la langue de culture, celle qui permet de lire les textes qui ont justement fondé cette culture, et de s’exprimer autrement qu’en borborygmes et onomatopées ? Je vais m’écarter des analyses et conclusions de Montenay (que je suis loin de toutes partager, mieux vaut donc le lire pour un point de vue moins brutal) – pour moi, le français langue de culture est une espèce en voie de disparition. Mettons à part les étrangers qui nous font encore la grâce de connaître comme il convient notre langue, et dont nous pouvons espérer quelque salut, pour observer la langue de la majorité des Français d’aujourd’hui, et surtout mes cadets : ils disposent d’un vocabulaire de cinq cents mots qu’ils assemblent, avec une caricature de syntaxe, en caricatures de phrases. Et s’ils doivent écrire, la pittoresque graphie SMS leur vient tout naturellement. Plaisant résultat dont tout le mérite tient à l’école, dont le personnel se dénomme aujourd’hui enseignants (qui ne remarque pas qu’un participe présent n’est pas un substantif est mal parti pour enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, et qu’y avait-il de déshonorant à être maître d’école ou instituteur ? quant aux membres de cette corporation relevant de ce que l’on appelait au temps de Racine le sexe imbecille qui se sont vaillamment battues pour être désormais professeure, et enseigner sans sanction que la bataille de Waterloo a mis fin au Second Empire, rions).
J’ai l’extraordinaire bonheur de vivre entouré d’êtres humains de tous âges, dont
beaucoup sont professeurs, des deux sexes, qui maîtrisent merveilleusement le français langue de culture, qui me confient leurs manuscrits, et lisent de vrais livres ; ils ne sont pas très nombreux, et sans doute même de moins en moins nombreux, mais ils suscitent, par leurs cours, leurs travaux, leurs écrits, le goût et la saine pratique de cette langue : grâce à eux, le vieux grain fructifie.
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ue représentent-ils aujourd’hui, ces gens qui en France parlent et connaissent encore le français ? Trois pour cent de la population dirai-je, ce qui nous laisse quatrevingt-dix-sept pour cent d’analphabètes (ou quasi), mais est-ce si grave ? C’était la situation du temps de Descartes ou Voltaire et analphabètes, l’étaient certainement mes arrière-grands-parents, valets de ferme en Sologne ou Creuse, mais plus mon grand-père maternel, ouvrier lecteur de L’Humanité (de Jaurès), et encore moins ma mère, dont la grande fierté était d’avoir obtenu son certificat d’études (tôt orpheline, elle quitta l’école à quatorze ans pour travailler, ne faisait pas, horresco referens, de fautes d’orthographe ni ne commettait de solécismes et toujours dévora des livres...), diplôme qu’avaient précédé des prix. J’ai sous les yeux un bel in-quarto bien relié, portant au fer à dorer les armes de la Ville de Paris ; ce livre est Mémoires d’un éléphant blanc de Judith Gautier, sur la page de garde 4 La Chronique des Belles Lettres
Yves Montenay La Langue française face à la mondialisation Hors collection Préface d’Antoine Sfeir 320 p. 2005. 19 e
Yves Montenay Nos voisins musulmans. Du Maroc à l’Iran, 14 siècles de méfiance réciproque Hors collection 272 p. 2004. 17 e
est collé un carton où je lis : Écoles communales de Paris, école de jeunes filles, 3e classe, prix d’honneur décerné à – et le nom de ma mère ; je suppose qu’il n’y a plus d’écoles communales, ni de prix pour les filles d’ouvrier (ce serait discriminatoire, et il n’y a d’ailleurs plus d’ouvriers, ni sans doute de jeunes filles, puisque transformées en ados). Les analphabètes de jadis ou se fichaient de l’être (c’était conforme à l’ordre voulu par Dieu), ou voulaient apprendre, ou que leurs enfants apprissent ; ceux d’aujourd’hui sont bacheliers et des malfaiteurs les ont persuadés qu’ils connaissent ce qu’ils ignorent mais si, parmi ces malheureux, il s’en trouve encore quelques milliers qui ouvrent Balzac ou Diderot, soupçonnent qu’il y a en ces pages un sens qui embellira leur existence, et font l’effort d’apprendre véritablement la langue qui leur permettra de véritablement comprendre le texte, alors, la vie demeure belle. Et c’est parce que je crois à l’existence de ces héros de notre temps que je continue à publier. En français. P. S. Je n’ai pas abordé une question qui me turlupine : que peut-on légitimement qualifier de mot français ? Ce sera pour une autre fois, peut-être. Et pour terminer sur un point qui me fâche : quiconque construit après que avec le subjonctif, confondant ainsi une action accomplie avec une action possible ou souhaitée, montre qu’il ne comprend pas ce qu’il dit.
20 janvier 2006
C’est de l’art ! Et du bruit ; Ô modernité !
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uand naquit l’art moderne, cette activité ingénieuse qui a fait disparaître l’œuvre au profit (c’est le mot juste) de l’intention, dite geste créateur ? J’offre les dates des évènements fondateurs : * À l’Exposition des Arts Incohérents au profit des pauvres de Paris, qui se tint du 15 octobre au 15 novembre 1883 à la Galerie Vivienne, et accueillit 20 000 visiteurs, fut exposée (numéro 3 du catalogue) sous le titre : Récolte de la tomate, sur les bords de la mer Rouge, par des cardinaux apoplectiques une toile entièrement rouge. L’auteur de ce tableau, qui avait également exposé sous le numéro 4 du même catalogue : Terre cuite (Pomme de), l’artiste monochroïdal Alphonse Allais publia en 1897 l’Album primo-avrilesque où figuraient d’autres œuvres de cette même école, destinée à une enrichissante postérité, telles que : Manipulation de l’ocre par des cocus ictériques (à-plat jaune) ou : Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige (à-plat blanc). * Au fameux Salon dit Exposition des Artistes Indépendants de 1910 le public put admirer un tableau d’une rare audace formelle intitulé Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique... de Joachim-Raphaël Boronali (notice du Dictionnaire des Peintres de Bénézit, édition 1937 : « peintre né à Gênes au XIXe siècle, École italienne... ») et chef de l’École Excessiviste dont le Manifeste, genre très à la mode depuis le Romantisme et alors magnifié par Marinetti, affirmait les principes – extraits : « Brisons les ancestrales palettes et posons les grands principes de la peinture de demain. (...) Ravageons les musées absurdes. Piétinons les routines infâmes. (...) Vive l’Excès ! Réchauffons l’art dans l’étreinte de nos bras fumants ! » Pour la genèse de l’œuvre, je dois citer quelques passages du procès-verbal relatant sa création et rédigé le 8 mars 1910 par l’huissier Paul Henri Brionne : « En ma présence des peintures de couleurs bleu, verte, jaune et rouge ont été délayées et un pinceau fut attaché à l’extrémité caudale d’un âne appartenant au propriétaire du Cabaret du Lapin Agile. L’âne fut ensuite amené et tourné devant la toile et M. Dorgelès (NB : le futur auteur des Croix de Bois), maintenant le pinceau et la queue de l’animal, le laissa par ses mouvements barbouiller la toile en tous sens. (...) J’ai constaté que cette toile présentait alors des tons divers (...) et ne ressemblant à rien (je souligne pour montrer qu’en ce jour fut enfin clos un vieux débat sur l’imitation, M. D.). » Ainsi commença la belle et grande aventure de l’art du XXe siècle qu’aborde en quelques pages incisives Benoît Duteurtre dans Requiem pour une avant-garde, sans négliger la littérature, le cinéma ou l’architecture, mais dont le propos essentiel est de nous faire comprendre comment naquit et s’imposa officiellement la « musique moderne ».
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Benoît Duteurtre Requiem pour une avant-garde Hors collection 368 p. 2006. 21 e
enoît Duteurtre n’est pas seulement, avec Philippe Muray et Michel Houellebecq, l’un des très rares véritables romanciers actuels, (de lui, il faut impérativement lire, au moins, Les Malentendus, La Rebelle et La Petite fille et la cigarette, dans lesquels ce Swift contemporain nous venge de la stupidité de nos sociétés, sans oublier bien sûr le délicieux À propos des vaches qui contient, outre un roman, une touchante ode au brave ruminant), il est aussi profondément musicien : il compose, écoute, et aime, sans préjugés. La Chronique des Belles Lettres
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Peu importe que nos goûts diffèrent (après m’être tapé tout le répertoire classique, de Marin Marais à Philip Glass, je l’ai peu à peu rejeté au profit de Led Zeppelin, Black Sabbath et Judas Priest, pour ne plus guère écouter aujourd’hui qu’Illayaraja, R. D. Burman, Laxmikant-Pyareral et autres compositeurs indiens...), ce que j’admire, et envie un peu, chez Benoît Duteurtre, c’est son impeccable connaissance et compréhension des structures et évolutions de l’art musical. Comment en est-on arrivé à prendre du bruit pour de la musique ? Benoît Duteurtre formule l’affaire moins durement (et ne renie pas qu’il fut d’abord un adolescent provincial subjugué par le génie révolutionnaire de l’avant-garde parisienne des années cinquante) mais il en dévoile les origines et les avatars. De la volonté, bien légitime, d’explorer des voies nouvelles jusqu’aux jalousies d’écoles, influences mal assumées, confusion de la subversion sans risque avec l’originalité créatrice pour culminer en terrorisme politico-intellectuel (dont Benoît Duteurtre fut lui-même victime, et il nous en livre le dossier dans une annexe accablante pour les modernes chasseurs de sorcières non modernes), Requiem pour une avant-garde nous apprend comment une forme d’art auto-proclamée naît, croît et parvient à chasser toute autre forme d’expression : la leçon ne vaut pas seulement pour les amateurs de musique, elle éclaire aussi d’une vive intelligence le sort funeste des arts plastiques, et d’une grande part de la littérature. Arguant du fait (oublié par l’opéra) que les grandes douleurs sont muettes, mon cher Alphonse Allais publia en 1897 une Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd dont la partition ne comportait pas la moindre note de musique ; si ses confrères du XXe siècle avaient suivi son exemple, bien du vacarme discordant nous eût été épargné, mais nous n’aurions pas eu la joie de pouvoir lire Requiem pour une avant-garde...
Benoît Duteurtre À propos des vaches Hors collection 208 p. 2000. 14,48 e
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emeurons confortablement installé, comme alangui au creux d’un hamac que balance la tramontane, dans la Modernité. « L’imbattable ordonnance qui préside en géologie à la formation excentrique des îles en amour à l’obscurcissement de la volupté aussitôt les époques du squelette déterminées en métallurgie à l’épaulement des espaces », cette envolée lyrique a jailli sous la plume alerte du poète officiel et feu de l’actuelle république, ce croisement de Sully Prudhomme et d’Eugène Rimbault (qui nous a laissé ce distique tout imprégné de revendication identitaire : « Faut pas d’mander, mon bon, // Aux sots s’y sont de Lyon », in La Noce d’Adèle, 1907), le primesautier René Char. Faire passer du galimatias pour de la poésie (ou de la Philosophie, cf. l’indispensable Heidegger) relève de l’illusionnisme, dont les recettes nous sont expliquées par François Crouzet dans Contre René Char et ont pour ingrédients l’emploi systématique d’oxymores, métaphores incongrues et mots oubliés (sur ce point, Crouzet nous livre une admirable page d’Auguste Lumière, oui, l’inventeur du cinématographe..., écrite en 1920 : Le Méchef omineux d’un palot, qui ne contient que des mots retenus par Littré et demande une traduction). Crouzet est en colère mais plus encore que contre l’oracle pompeux Char, il s’en prend aux absurdités de ses exégètes et adorateurs, inventeurs du ridicule au carré, et nous régale de leurs délires. Crouzet était un amoureux de la poésie, toute la poésie, de son apparition à nos jours, et préparait une anthologie enthousiaste de poètes injustement méconnus ; sa mort, trop tôt survenue, nous en prive mais à défaut de l’ouvrage « pour » nous reste de lui ce « contre », né de la même passion pour le Beau. Et j’en finis avec la Modernité en citant son programme tel que le formula en 1913 Hégésippe Simon : « Les ténèbres s’évanouissent // Quand le soleil se lève ! ».
François Crouzet Contre René Char Iconoclastes 256 p. 1992. 12,04 e
P. S. Pour qui a oublié ce que furent la vie et l’œuvre d’Hégésippe Simon, réponse la semaine prochaine.
Usage des faux ; Surprenante découverte des ruines de Sparte ; Présence des Atlantes.
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ai une promesse à tenir et ne peux vous accompagner, dis-je à mon épouse, et la laissant pousser seule des brouettes de fourrage sous une pluie glaciale, je demeure bien au chaud pour, comme annoncé la semaine dernière, tout révéler sur ce géant de la pensée : Hégésippe Simon. 6 La Chronique des Belles Lettres
27 janvier 2006
Le 20 août 1913, cent députés du parti radical, choisis pour être les premiers selon l’impartial ordre alphabétique, reçurent une lettre signée d’un certain Paul Birault les priant d’être membre d’honneur du Comité d’initiative du centenaire d’Hégésippe Simon et d’assister à l’inauguration du monument érigé à la mémoire du grand homme, sur lequel était donné pour unique information le qualificatif de « éducateur de la démocratie ». Flattés, une quinzaine de parlementaires s’empressèrent de donner leur accord ; Paul Birault (en fait, un imprimeur parisien fort estimé d’Apollinaire) renouvela alors sa demande auprès d’un nombre égal de sénateurs, recueillit une vingtaine d’adhésions, puis révéla publiquement qu’Hégésippe Simon n’avait jamais existé et que toute l’affaire n’était qu’un canular. En bonne méthode, j’avancerai que le canular, comme l’imposture, la contrefaçon et l’escroquerie, appartient au genre philosophique nommé le faux, lequel soulève de vertigineuses questions proprement ontologiques car le faux (qui ici n’a rien à voir avec la catégorie « faux » opposée à la catégorie « vrai ») est un être qui n’est pas l’être qu’il est supposé être (et non pas, car je me refuse à contredire Parménide, un « non-être qui existerait »). Je sais bien que, dès que l’on effleure le délicat sujet de l’être, toute pensée a une fâcheuse tendance à osciller entre l’opacité et le verbiage, aussi laisserai-je lâchement mes lecteurs (et lectrices férues de logique) se débrouiller avec cette constatation : Hégésippe Simon n’ayant jamais existé en tant qu’être humain est un non-être sur le plan du réel, mais ayant existé en tant que fiction, il est un être de fiction qui, puisqu’il a eu une action sur le plan du réel (l’accord des parlementaires), existe dans ce même plan du réel. Ouf.
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Anthony Grafton Faussaires et critiques. Créativité et duplicité chez les érudits occidentaux Traduit de l’anglais par Marielle Carlier Histoire 176 p. 1993. 18 e
ers 1770, les bourgeois de Bristol se gonflèrent de vanité lorsque le jeune Thomas Chatterton commença la série d’une vaste publication de documents, textes et dessins, par lui miraculeusement retrouvés dans les combles désaffectés d’une église locale, attestant de l’ancienne gloire et richesse de leur cité. Écrits dans une langue impeccablement médiévale (ou du moins telle qu’un lecteur de Chaucer pouvait imaginer un vocabulaire et une syntaxe d’une antériorité faible, mais non précisée, aux Contes de Canterbury), rédigés sur des parchemins marqués de la patine du temps, les documents que fournit Chatterton, avec le nécessaire apparat d’érudition, apparurent d’une inattaquable authenticité, alors qu’il les avait forgés, avec un exceptionnel talent. L’affaire nous est narrée par l’historien Anthony Grafton dans Faussaires et critiques, ouvrage qui nous dévoile, de l’Antiquité au XIXe siècle, nombre d’impostures savantes qui, pour certaines, jouèrent un rôle capital dans les luttes politiques ou religieuses de leur temps. Il nous montre aussi, comme l’implique son sous-titre : « Créativité et duplicité chez les érudits occidentaux » comment le faux tombe à pic pour étayer certaines thèses, comment il fait progresser l’esprit et les méthodes critiques, d’où une amélioration du travail des faussaires..., et pourquoi ceux-ci sont toujours les premiers à se poser les questions fondamentales sur les critères d’authentification d’un texte, bref, et je simplifie, Grafton nous démontre pourquoi, si l’on veut connaître le vrai, il faut d’abord savoir (re)connaître le faux (ou pourquoi, j’ajoute, ce qu’a établi Popper pour la « science » vaut pour l’Histoire...). Encore une note personnelle : la découverte que l’œuvre d’Ossian était une forgerie de James Macpherson ne diminue en rien l’importance réelle du prétendu poème d’Ossian dans la construction de l’esprit romantique et je m’autorise de ce fait pour poursuivre cette chronique en compagnie du faux et ses compagnons.
«L
es larmes me vinrent aux yeux en fixant mes regards sur cette misérable cabane qui s’élevait dans l’enceinte abandonnée d’une des villes les plus célèbres de l’univers, et qui servait seule à faire reconnaître l’emplacement de Sparte, demeure unique d’un chevrier, dont toute la richesse consiste dans l’herbe qui croît sur les tombes d’Agis et de Léonidas ». Extraites de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, ces lignes préludent au récit de la découverte des ruines oubliées de Sparte en 1806 par Chateaubriand qui, marchant au-delà de la misérable cabane, reconnaîtra tour à tour les débris du temple d’Hélène et du tombeau d’Alcman parmi d’autres merveilles que ses yeux seuls avaient su identifier depuis des siècles, et peut-être même pour la dernière fois car, prévient-il plus loin : « Les destructions se multiplient avec une telle rapidité dans la Grèce que souvent un voyageur n’aperçoit pas le moindre vestige d’un monument qu’un autre voyageur a admiré quelques mois avant lui ». Prudence prémonitoire destinée à prévenir les critiques de jaloux qui mettraient en doute le talent archéologique du vicomte (et critiques qui arriveront effectivement dès la publication de l’ouvrage) et riraient de cette envolée : « Pour moi, j’ignore si mes recherches passeront à l’avenir ; mais du moins j’aurai mêlé mon nom au nom de Sparte qui peut seul le sauver de l’oubli. » La Chronique des Belles Lettres
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Mêler son nom est une chose, fouler le même sol que Léonidas une autre, et la pénible vérité est que Chateaubriand n’a même pas seulement vu le site de la Sparte antique. Et que son récit de la découverte des ruines est une pure fiction, comme le sont la plupart des évènements relatés avec autant de précision que de lyrisme dans l’Itinéraire. Dans Le Menteur magnifique, Michel De Jaeghere, comme nous en prévient son soustitre : « Chateaubriand en Grèce », ne traite que de la part hellène du voyage de son héros et, dans un récit d’une contagieuse allégresse, haletant comme un roman d’énigme où s’accumulent fausses pistes, rebondissements et coups de théâtre, nous montre que l’essentiel des aventures narrées par l’illustre voyageur ne doivent qu’à son imagination romanesque. Chateaubriand démasqué ? Sans doute, mais Michel De Jaeghere n’est pas un cuistre aigri à la Henri Guillemin, au contraire, il aime et admire l’inventif mémorialiste, et l’aime et admire un peu plus au fur et à mesure qu’il débusque ses impostures : le génie de l’écrivain importe plus que le vrai et le faux, et grâce à Michel De Jaeghere nous redécouvrons, non Sparte, mais un texte superbe aujourd’hui injustement négligé et la Grèce d’il y a deux siècles, à la fois telle qu’elle était, et telle que la rêvait l’Occident. Et il nous prouve que c’est à juste titre que ses contemporains surnommaient Chateaubriand « L’enchanteur » qui est, selon Littré, « celui qui produit une opération surnaturelle sur quelqu’un par des paroles magiques », définition qui est la plus belle louange que l’on puisse décerner à un écrivain.
Michel De Jaeghere Le Menteur magnifique. Chateaubriand en Grèce Hors collection 336 p. 2006. 19 e
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i j’écris : « abordons le mythe de l’Atlantide », ma formulation même trahit ma position (i-e : l’Atlantide n’a pas existé), alors que « abordons l’histoire de l’Atlantide » eût marqué la position inverse. En intitulant son ouvrage L’Atlantide. Petite histoire d’un mythe platonicien Pierre VidalNaquet ne tente pas de ménager la chèvre et le chou, mais annonce très exactement son propos (et dévoile même un peu l’origine de l’énigme). Le mythe, qu’il soit du faux un temps accepté pour vrai, ou du vrai transfiguré en cachant à la mémoire des hommes ses origines, a en effet une histoire, qui commence aux raisons qui l’ont fait naître, aux besoins de certains hommes d’y adhérer et se poursuit, en s’appauvrissant ou s’enrichissant, selon les mentalités des siècles ultérieurs. Le destin de l’Atlantide a oscillé entre faveur et défaveur, et même un quasi-oubli ; c’est à la chronique de ces développements, uniques en Occident, que s’est attaché Pierre Vidal-Naquet pour écrire ce qu’il se plaît à appeler « son meilleur livre » (pour ma part je pense qu’il en a écrit d’autres, sur la Grèce antique ou la période contemporaine, du même niveau d’excellence, mais étant et son ami et son éditeur, je ne le disputerai pas sur ce point, et nous avons de plus pittoresques sujets de désaccord...). Je lui accorde sans réserve que c’est là l’ouvrage qu’il a le plus longtemps porté en lui, puisque ses premières interrogations sur l’Atlantide ont près d’un demi-siècle, et c’est peut-être à ce long cheminement commun qu’il doit d’avoir pu aujourd’hui, avec la science rigoureuse qui est la marque de toute son œuvre, résoudre le mystère de la genèse du mythe, dans une démonstration qui emporte la conviction (et que je ne vais quand même pas révéler). Une fois résolu « comment et pourquoi l’Atlantide », Pierre Vidal-Naquet se fait le chroniqueur passionné de la survie du continent perdu, que d’originaux auteurs situèrent sur à peu près tous les lieux du monde connu (d’eux...), le plus souvent pour « prouver » l’antériorité, ergo : la supériorité, de leur peuple (et je décerne une mention pa ticulière à l’érudit Olof Rudbeck qui, étant suédois, plaça l’Atlantide en Suède...) ou l’utiliser, comme certains nationaux-socialistes (voir la prétention de Rosenberg à faire de Jésus un Atlante, donc un non-juif...), à des fins idéologiques et meurtrières. Je sais bien que ce livre n’empêchera pas d’obstinés rêveurs de toujours croire que les pyramides de Kheops et Khephren ont été bâties par des Atlantes jadis arrivés de Mars mais, pour qui n’a pas ces songes, sa lecture est un délice d’intelligence qui ne dédaigne pas l’humour. Michel Desgranges P. S. Hors toute considération morale ou scientifique, mon critère d’appréciation du faux sous toutes ses espèces m’est fourni par le vieux proverbe italien : Se non é vero, é bene trovato.
Pierre Vidal-Naquet L’Atlantide. Petite histoire d’un mythe platonicien Histoire 208 p. 2005. 18 e
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