LA CHRONIQUE 3
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Chaque vendredi, Michel Desgranges, Président des Éditions Les Belles Lettres, vous propose une libre promenade autour de livres d'hier et aujourd'hui. Cette Chronique est diffusée hebdomadairement par courrier électronique. Pour les amis des Belles Lettres qui n'utilisent pas cette technologie, nous avons souhaité leur proposer ces textes sous forme imprimée, et regroupés mensuellement. 6 janvier 2006
C’est mon mien ! Dangers de la connaissance ; Grivoiseries vaticanes.
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Lorenzo Valla La Donation de Constantin La Roue à Livres Préface de Carlo Ginzburg. Traduit et présenté par Jean-Baptiste Giard. 176 p. 1993. 17 e
out cela est à moi !, clamait l’Empereur, toutes ces terres et ces villes et ces peuples m’appartiennent, j’en suis le seul et unique souverain et... – Taratata !, interrompait le Pape, tu n’es qu’un vil imposteur et un impie scélérat ! Moi Pape suis le seul légitime possesseur de ces royaumes, et en voici la preuve ! Se baissant, le très saint Père attrapait sous son trône un somptueux parchemin portant pour titre Constitum Constantini (la Donation de Constantin), le tendait à un clerc humblement courbé et lui ordonnait de lire (en latin, car c’est en cette langue que s’exprimaient nos protagonistes antagonistes) ces quelques phrases, écrites au IVe siècle ainsi que l’attestait une tradition constante : « (...) voici que nous [l’empereur Constantin] livrons et abandonnons tant notre palais que la ville de Rome et toutes les provinces, localités et cités de l’Italie ou des régions occidentales au très saint pontife et universel pape Sylvestre ; (...) car là où le prince des prêtres (...) a été installé par l’empereur céleste, il n’est pas juste que l’empereur terrestre conserve le pouvoir. De plus nous avons décrété que tout ce que nous établissons et confirmons par cette charte impériale resterait intact et inébranlable jusqu’à la fin du monde ». L’Empereur maugréait, s’inclinait pour recevoir une bénédiction, tout en songeant à envoyer subrepticement quelque armée complice s’emparer des territoires contestés sans risquer l’excommunication, et cette saynète se répéta, avec des hommes différents mais occupant les mêmes trônes, et sous une forme sans doute plus violente que mon édulcoré récit, durant à peu près tout le Moyen-Âge, montrant que si le successeur (pour partie) de Constantin pouvait avoir pour lui la force, celui de Sylvestre avait en sa faveur le droit. Un droit qui établissait sans contestation possible le pouvoir temporel du Pape sur tout l’Occident, et un peu plus si l’occasion s’en présentait. La Donation de Constantin était un outil tellement pratique pour la papauté – et, à réfléchir au-delà de l’argument d’autorité, tellement étrange dans son contenu – que l’humaniste Lorenzo Valla (1407-1457) décida de l’examiner avec un esprit critique, ce qui le conduisit à publier en 1442 Sur la donation de Constantin à lui faussement attribuée et mensongère, ouvrage pugnace et ironique qui établissait par des preuves externes et internes (au texte) que la fameuse Donation était ce que l’on appelle aujourd’hui un faux (en fait, rédigé vers 750 pour appuyer les prétentions du pape Étienne II). Le travail de Valla dépasse largement son intitulé (il fut d’ailleurs, sur le plan politique, d’effet nul) car il fonde ce que l’on nomme philologie, analyse textuelle etc. ; j’ajouterai même : méthode historique. C’était la première fois qu’était entreprise cette tâche : montrer la possibilité de prouver, par l’étude du style, du vocabulaire etc., et du contexte, qu’un texte n’est pas ce que l’on prétend qu’il est. Les leçons de Valla demeurent valides pour quiconque souhaite ne pas prendre des vessies pour des lanternes (ou : se targue d’avoir l’esprit scientifique) mais je me garderai de les toutes dévoiler, renvoyant à la lecture de La Donation de Constantin, avec une préface de Carlo Ginzburg, et le texte, traduit, du fameux faux, qui fait bien rire quand on pense qu’il fut si longtemps tenu pour vrai. Valla avait ouvert une inquiétante boîte de Pandore d’où s’échappa aussitôt son nouvel ouvrage, encore plus dangereux, la Collatio Novi Testamenti, où il comparait le texte La Chronique des Belles Lettres
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