Chroniques 13/14

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LA CHRONIQUE 13/14

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Chaque vendredi, Michel Desgranges, Président des Éditions Les Belles Lettres, vous propose une libre promenade autour de livres d’hier et aujourd’hui. Cette Chronique est diffusée hebdomadairement par courrier électronique. Pour les amis des Belles Lettres qui n’utilisent pas cette technologie, nous avons souhaité leur proposer ces textes sous forme imprimée. 13 octobre 2006

Haut et bas ; Le lac de Mnémosyne ; Uriner face au soleil ?

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Hermès Trismégiste La Table d’émeraude Aux sources de la tradition Préface de D. Kahn XXX-146 p. 1994. 19 e

rai, certain, sans nul doute. L’inférieur appartient au supérieur, et le supérieur appartient à l’inférieur. » Le même texte, dans une autre version transmise : « Vrai, vrai, indiscutable, certain, authentique ! Voici, le plus haut vient du plus bas, et le plus bas du plus haut. » En citant ces lignes, j’ai conscience de m’aventurer sur un terrain dangereux, et de m’attirer des reproches de légèreté simplificatrice, d’approximation, et plus généralement d’incompétence, mais comme cette chronique est datée d’un jour faste (pour le service public marchand monopolistique de diverses loteries qui le promeut comme tel, et jour qui peut se révéler néfaste pour une assez vaste majorité de parieurs), c’est d’une plume guillerette que je m’apprête à aborder la connaissance initiatique. En relève la phrase proclamant que le haut est dans le bas (en vient), et réciproquement ; elle ouvre le document nommé Table d’émeraude, d’abord connu en Occident dans une version latine, avant que n’en fussent découvertes d’antérieures (et meilleures) versions arabes fournies avec un Secret des secrets d’un pseudo-Aristote. Notre édition, due à l’érudition de Didier Kahn, contient, avec la traduction de textes médiévaux nécessaires à sa compréhension, tout ce que l’on peut raisonnablement dire de ces pages énigmatiques fondatrices de la tradition alchimique, et dont l’auteur se désigne ainsi : « j’ai été nommé Hermès triple en sagesse ». Cet « Hermès » a donné les vocables « hermétisme », « hermétique » qui sont en langue vulgaire des équivalents d’« obscur », « impénétrable » ou même « abscons », mais qui, proprement, désignent (ou s’appliquent à) une doctrine secrète réservée aux initiés. Et d’origine divine : la connaissance initiatique est une connaissance révélée. En bonne méthode, je devrais maintenant, pour montrer ce qui sépare cette connaissance de la religion, définir cette dernière catégorie – j’en suis bien incapable. Nous connaissons aujourd’hui un certain nombre de religions (que nous rencontrons quotidiennement dans les media, abordées avec hostilité ou faveur selon les intérêts du jour, ou même persécutées sous l’infamante appellation de « sectes » lorsqu’elles ont un faible poids électoral et/ou financier) ; elles ont pour caractéristiques communes (et je néglige volontairement ici les religions/spiritualités asiatiques telles que confucianisme, bouddhisme, taoïsme, jaïnisme, qui posent – encore ! – d’autres problèmes) d’être issues d’un Livre donné par le dieu (Livre sujet à interprétations divergentes, d’où leurs divisions) et d’être structurées par un clergé professionnel plus ou moins strictement hiérarchisé. Rien de semblable dans le monde gréco-romain : la religion n’est que ce qui, selon son étymologie latine, relie l’homme au dieu (aux dieux), par un système de culte et de rites s’insérant dans un ensemble de croyances (qui ont un tronc commun et bien des branches diverses – ce sont les mythes, transmis oralement puis fixés par l’écrit, et toujours malléables, comme le prouve le brillant essai d’Alain Moreau récemment cité, La fabrique des mythes), et formant un lien social, plus ou moins fort et contraignant. Cette religion protéiforme n’a pas de canon, mais elle est commune à l’ensemble d’un groupe humain (généralement, les citoyens) : c’est une religion publique (encore que..., puisqu’elle intègre des mystères réservés à des sous-groupes), et s’y oppose la Table d’émeraude où le dieu énonce un secret destiné à une poignée d’initiés, qui devront le conserver (et le transmettre à des générations futures) sans le divulguer.

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’une des découvertes archéologiques les plus fascinantes (i-e : autres que celle de débris de vaisselle ou épées rouillées) se produisit du début du XIXe siècle, et se poursuivit jusqu’à nos jours : La Chronique des Belles Lettres

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