Modes de vie, modes d’habiter Evolution des identitÊs et conception du logement Etude de cas : la population mahoraise Marie Dano
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Mémoire de fin d’études
Modes de vie, modes d’habiter Evolution des identités et conception du logement Etude de cas : la population mahoraise Marie DANO
Suivi de mémoire : Christophe CAMUS Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne Semestre 1 de l’année universitaire 2015-2016
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“At the end of the day, it isn’t where I came from. Maybe home is somewhere I’m going and never have been before.” Warsan Shire, 2012
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AVANT-PROPOS
Comment peut-on dessiner l’habitat sans connaître l’habitant qui y habitera ?
Bien que présent dans mon esprit depuis un certain temps, le sujet Le fait de vivre pour la première fois pendant un an dans un pays que je ne connaissais pas, en tant qu’étrangère, et de suivre un enseignement nouveau m’a amené à faire la somme des connaissances emmagasinées et à remettre en question ce que j’ai appris, et sortir du point de vue que j’avais adopté jusqu’ici. J’ai pu partager avec les mexicains des valeurs communes, et en découvrir d’autres radicalement différentes. Avec l’atelier de projet, j’ai eu la chance d’aborder une autre approche de la conception de l’architecture et notamment de l’habitat.
Il me semble qu’il est essentiel en tant qu’architecte d’être curieux, de toujours réévaluer son opinion, de sortir du cadre et accompagner les changements de la société. Prendre en compte les évolutions de l’environnement culturel signifie repenser les bases de ce que l’on connaissait du dessin de l’habitat : dessiner un logement qui peut s’adapter à des modes d’habiter aléatoires, qui met en valeur l’identité culturelle de chacun et aide à préserver la diversité des héritages, un logement évolutif, qui dure dans le temps et change avec ses habitants.
Les questions que je m’étais déjà posées au cours de voyages ou de lectures ont été reconsidérées : Comment puis-je proposer une architecture adaptée aux habitants d’un pays que je commence à peine à connaître ? Qu’est-ce qui nous rend différent les uns des autres dans nos modes d’habiter, qu’est-ce qui nous rapproche ? Ces différences sont-elles si importantes ? Dans un contexte où les populations sont devenues aussi mobiles, notre société n’aurait-elle pas évolué en conséquence, et cette même question d’adaptabilité du logement n’est-elle pas valable dans notre propre pays ? Les typologies des nouveaux logements sont-elles suffisamment diversifiées, pour répondre aux diversifications des modes de vie ? L’offre correspond-elle au parcours résidentiel de chacun : étudiants, jeunes adultes, personnes âgées, célibataires ou en couple, familles nucléaires, familles recomposées… familles immigrées ? Comment les acteurs de la production du logement, architectes, bailleurs, promoteurs, collectivités, se saisissent-ils de ces problématiques ?
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SOMMAIRE AVANT-PROPOS................................................................................................................................................................................................................. 5 SOMMAIRE ...........................................................................................................................................................................................................................7 00 / INTRODUCTION......................................................................................................................................................................................................... 9 A / Une culture « sans bavures » ........................................................................................................................................................................... 10 B / La remise en question du modèle occidental universel............................................................................................................................... 12 01 / VERS L’INTERCULTURALITE ................................................................................................................................................................................. 15 A / Mayotte : une île métissée, une histoire compliquée .................................................................................................................................. 18 B / Une remise en cause de l’identité.................................................................................................................................................................... 22 C / La rencontre interculturelle, du déni à l’acceptation ...................................................................................................................................26 02 / ETUDE DES DECLINAISONS DE L’HABITER....................................................................................................................................................... 31 A / Karibou Maore (bienvenue à Mayotte) ............................................................................................................................................................ 32 B / Répercussions de l’évolution des modes de vie sur les modes d’habiter ................................................................................................40 03 / PISTES POUR LE DESSIN D’UN HABITAT INTERCULTUREL ......................................................................................................................... 47 A / L’intimité relative : vivre ensemble, mais séparément ................................................................................................................................48 B / Le lien avec l’extérieur .......................................................................................................................................................................................54 C / Evolutivité du logement...................................................................................................................................................................................... 57 D / La participation de l’habitant ............................................................................................................................................................................62 04 / CONCLUSION ..........................................................................................................................................................................................................69 SOURCES ........................................................................................................................................................................................................................... 72 Bibliographie ............................................................................................................................................................................................................... 72 Table des figures ........................................................................................................................................................................................................ 74 Extraits d’entretien .................................................................................................................................................................................................... 78
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" Car c’est exactement ce que les responsables ont toujours voulu promouvoir : une culture unique, unanime, à laquelle tout le monde puisse se référer et participer. Une culture neutre, propre, ignorant les débats, les affrontements qui rappellent désagréablement les luttes de classes, les combats idéologiques. Une culture sans bruits, sans bavures.” DOUGIER H., VERBUNT G., Menacés d’expulsion… ils parlent collectivement (Dougier, 1977, p. 3)
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00 / INTRODUCTION Selon Marion Segaud et Françoise Paul-Lévy, l’espace, ou « l’ensemble des relations qui unissent les individus à leur environnement » 1, a été désigné de deux manières différentes au cours de l’histoire.
La première manière, l’originale, est celle qui subsiste aujourd’hui de par les traditions : « l’espace est fait d’un jeu raffiné de renvois et de correspondances entre les multiples composantes de la nature et de la culture, de l’individu et de la société, jeu à chaque fois original et dont l’originalité qualifie cet espace en le différenciant des autres, fondant et exprimant ainsi l’identité d’un groupe. » Vient ensuite la seconde : « en ses deux moments fondateurs – "miracle" grec et Renaissance – l’histoire occidentale rompt avec cette façon d’être et fait émerger un nouveau type d’espace, abstrait et continu, homogène et vide, à prétention universelle. » Dans le premier cas, chaque élément constitutif de l’espace est donc justifié et soigneusement disposé selon des éléments contextuels et culturels (orientations selon « l’axe des fleuves et des vents, le parcours du soleil, les saisons et les éléments… »), aucun n’est « neutre » contrairement au second : « on pourra construire identique, en tous lieux, dans toutes les directions ».
De tout temps, les valeurs des sociétés ont été inscrites dans l’habitat qu’elles produisaient. Les représentations des logements au cours des siècles sont autant d’informations sur les normes culturelles et sur les rapports entre individus qui définissaient la culture d’une société à un moment donné. Cependant, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et la période de Reconstruction de la France, les valeurs culturelles ont commencé à perdre au change dans la composition de l’habitat.
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(Paul-Lévy F., Segaud M., 1983, pp. 8-11)
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A / Une culture « sans bavures »
« La course au prestige dépasse les emprunts éventuels à des systèmes locaux pour se mesurer internationalement, dans des formes comparables, et toujours plus visibles de loin »
« Vers 1950, il fallait construire vite, mal et beaucoup : c’est fait. »
(De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, p. 15).
(Kroll, 1983, p. 94)
Dans la période d’après-guerre, le besoin de construire rapidement et peu cher, la recherche d’une architecture internationale pensée pour un homme universel et la volonté de prendre part à la mondialisation par l’industrialisation des techniques de construction a engendré des bâtiments qu’on pourrait qualifier d’uniformes, sans identité propre, car ils s’affranchissent du contexte pour pouvoir s’implanter en tout lieu. Le maître mot : l’architecture doit se suffire à ellemême. « La forme ne révèle plus la fonction, le programme ne dicte pas l’aspect extérieur, la symbolique s’efface au profit d’une neutralité qui tend vers l’immatérialité. » Marion Segaud à propos du supermodernisme (Paul-Lévy F., Segaud M., 1983)
L’unité humaine utilisée 2 est quelque peu arbitraire : considérer que l’on crée une architecture pour un homme universel, c’est rester dans ce que Richard Hyman appelle très justement 3 l’« universalisme particulariste » , c’est-à-dire omettre d’adopter le point de vue de l’autre. Car, en réalité, ce lieu est universel uniquement pour l’architecte, homme occidental, qui croit son savoir bénéfique et applicable à tous les citoyens peu importe leur diversité4 et impose ses valeurs, parfois même sans s’en rendre compte, et déprécie ainsi celles des autres.
A l’heure de la mégalopole, on oublie de penser à l’échelle première de l’architecture, celle de l’homme, qui a évolué. Avec la mondialisation, cet homme est de plus en plus mobile. Les cultures se croisent et s’entrechoquent (Figure 1). La rencontre est parfois difficile, comme l’expose Angela Giglia, en parlant de « crise de l’espace public » 5. Elle la définit comme « la difficulté croissante expérimentée par des sujets hétérogènes à gérer et vivre collectivement l’espace public urbain. Nous nous référons aux formes de fragmentation socio-spatiale et aux phénomènes d’autoségrégation, d’insécurité et de prolifération d’espaces thématiques, monofonctionnels, fermés. » Certains cherchent alors à recréer en tout lieu « une uniformité sécurisante pour des individus de plus en plus mobiles », des espaces où l’on se sent chez soi pour encourager le tourisme de masse. Le lieu devient « non-lieu », objet de consommation universel car neutre. Il n’évolue plus, car il est plus facile de reproduire les normes établies et maintenues par les maîtres d’ouvrage sans se poser de question et de toute façon il y en a trop pour pouvoir proposer quelque chose d’original… Peu osent défier les usages et inventer des expressions architecturales du logement originales, par peur d’être rejetés à chaque concours pour non-conformité. Les maîtres d’ouvrage ayant des demandes très normées, les architectes ont finalement peu de liberté. 6
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On pense notamment au Modulor du Corbusier. (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007) 4 « the colonial impulse of educating those ‘less’ civilised remains » (Awan, 2006) 3
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(De Villanova) op. cit. (Eleb M.; Simon P., Août 2012).
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« On sait ce qui résulte de l’instrumentalisation des territoires par les stratégies du politique et de l’économique érigés en équivalents généraux : écrasement des vitalités intérieures, quadrillages disciplinaires, zonings fonctionnalistes, sérialisation des individus, hémorragie des identités, insignifiance des lieux et des produits qui en deviennent interchangeables, imposition universelle des mêmes modèles. Bref, un grand nombre des maux dont nous souffrons. » (Paul-Lévy F., Segaud M., 1983)
FIGURE 1 – DU COCA COLA JUSQUE DANS LA TOMBE
En niant l’importance des contextes socio-culturels et environnementaux d’une architecture, on arrive vite à une sorte de course au prestige, durant laquelle des architectes idéalisés réalisent le marketing urbain des villes en construisant des bâtiments phares, internationalement reconnus et admirés, mais parfois en décalage avec la culture architecturale du lieu. Les opérations sont alors implantées brutalement, sans aucune délicatesse, et en rupture avec le tissu urbain, que ce soient les tracés des quartiers pavillonnaires qui s’affranchissent des cadastres historiques, ou les opérations qui s’imposent sans consulter les habitants… Les maîtres d’ouvrage préfèrent souvent imaginer l’ensemble des usagers comme uniforme plutôt que de commencer à réfléchir à la complexité de ses déclinaisons.7
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(De Villanova) op. cit.
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B / La remise en question du modèle occidental universel « Tout ce que l’homme est et fait est lié à l’expérience de l’espace. Notre sentiment de l’espace résulte de la synthèse de nombreuses données sensorielles, d’ordre visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et thermique. Non seulement chaque sens constitue un système complexe mais chacun d’entre nous est également modelé et structuré par la culture. On ne peut donc échapper au fait que les individus élevés au sein de cultures différentes vivent également dans des mondes sensoriels différents. » (Hall, 1978)
La première étape dans le dessin d’un habitat interculturel est sans doute d’accepter qu’il existe des différences fondamentales entre les individus induits par la culture. Il faut sortir de notre point de vue stéréotypé pour prendre le temps de découvrir ces différences et parler d’identité culturelle : langage, habitudes alimentaires, religion, musique, art, style vestimentaire, architecture, et beaucoup d’autres… Des architectes ont commencé et continuent à se mobiliser pour une analyse critique de la modernité et de l’architecture.8 On réalise peu à peu que le modèle occidental n’est pas universel, que son exportation n’a pas que des effets positifs, et est au contraire toxique lorsqu’il commence à prendre le pas sur un autre modèle culturel.
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Selon les partisans du « régionalisme critique », c’est le contexte qui donne sa puissance à l’édifice, en opposition à une architecture dénuée de personnalité. Cependant cette architecture privilégia une sorte d’individualisme qui encourage la compétition à l’internationale, et eut du mal à se conformer aux normes du logement. R. De Villanova, A. Miranda, Actualités de l’interdisciplinaire, (De Villanova, 2007)
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Comment pourrait-on définir la culture aujourd’hui ? La culture est définie par l’ORIV comme « ensemble de systèmes de significations propres à un groupe ou à un sous-groupe, ensemble de significations prépondérantes qui apparaissent comme valeurs et donnent naissance à des règles et à des normes que le groupe conserve et s’efforce de transmettre et par lesquelles il se particularise, se différencie des groupes voisins ».9
Auparavant considérées comme « monolithiques, isolées et séparées dans l’espace et dans le temps », les cultures sont maintenant admises comme résultantes de nombreuses additions, et en constante évolution. Il était en effet plus facile et plus valorisant de définir un ensemble homogène (« bloc ») appuyé par des points précis plutôt qu’un entre-deux (« interstice »), toujours déprécié. Selon « la conception classique de la culture », chaque personne porte une identité issue de sa communauté, reconnue par « des marqueurs d’identité, tels que les coutumes, la langue, des rites, des institutions, des valeurs… ». Il s’agit d’un héritage unique témoignant de la communauté à laquelle on appartient : « les enfants sont socialisés dans une seule culture, chaque membre du groupe hérite de la culture de son groupe, ce qui détermine son comportement. ». C’est une notion « immuable », qui doit être préservée dans son entièreté par respect pour ses aïeux : «°il est interdit d’y toucher. Il faut faire ce que nos ancêtres ont toujours fait et nous ont enseigné. » 10 Mais ces principes sont aujourd’hui dépassés. L’identité n’est pas une notion arrêtée, mais qui a toujours évolué et qui évolue toujours, de par la
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(ORIV (collectif), février 2012) Serge Gruzinski, (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007) 10
mobilité des individus, l’isolement à la culture d’origine et la découverte d’autres modes de pensée qui conduisent à des situations différentes : contexte, opportunités, relations… « L’identité est une dynamique, non un état. » (ORIV (collectif), février 2012)
On peut donc se demander ce qui entraîne cette mobilité, et quelles sont ses conséquences sur l’identité culturelle et les modes de vie. A Mayotte, sujet de notre étude, l’importation du modèle occidental a pu s’observer depuis la colonisation jusqu’à aujourd’hui. Bien que l’intervention française ait permis notamment une amélioration de la qualité de vie pour une large partie de la population qui vivait dans des conditions sanitaires désastreuses, elle a aussi eu énormément de conséquences négatives sur les modes de vie des mahorais. Au-delà de ces changements observables sur l’île, les échanges avec la métropole ont été favorisés, et le nombre d’habitants y immigrant est de plus en plus important. Comment se déroule ce changement de vie pour ces personnes quittant ce qu’ils connaissent pour habiter un lieu aussi différent ? Comment concevoir un logement interculturel pouvant répondre aux besoins de ces populations ?
Nous verrons premièrement comment le modèle culturel universel évoqué peut être remis en cause pour favoriser l’interculturalité. Nous changerons ensuite de point de vue en analysant la conception du logement mahorais en relation avec l’évolution des modes d’habiter. Enfin nous tenterons de comparer cet habitat avec les typologies existantes afin de penser l’habitat mahorais en métropole.
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« Toute société est déjà en soi le résultat d’entités mêlées qui renvoient à l’infini l’idée d’une pureté originelle. » Jean-Loup Amselle, dans (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, p. 127)
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01 / VERS L’INTERCULTURALITE
Quelles peuvent être les causes de la mobilité internationale ? Gilles Verbunt avance que les personnes issues de l’immigration proviennent souvent de pays reposant sur des systèmes d’autorités très fortes, à tous les niveaux : gouvernement, famille, travail, religion… 11 Selon Robert Berthelier, il existe un immigré « type » : le plus souvent d’origine rurale, venant de milieux encore très traditionnels, il appartient à une couche sociale défavorisée, et ne parle pas ou peu la langue du pays d’accueil.12 Il faut cependant relativiser et actualiser ces propos : les migrations (comme la culture) ne sont aujourd’hui plus monolithiques.
FIGURE 2 – THE REFUGEE PROJECT, ORIGINE DES REFUGIES DANS LE MONDE ET EN FRANCE
« Le phénomène migratoire est d’ampleur mondial et constitue désormais une question internationale majeure. Il toucherait un être humain sur 7, si l’on additionne les 740 millions de migrants internes aux 214 millions de migrants internationaux comptabilisés par les Nations Unies. »
Selon le site gouvernemental France Diplomatie, on ne considère plus cette mobilité comme venant seulement des pays en développement vers les plus riches pour des « raisons économiques ». La mobilité étant de plus en plus facilitée, ces tendances se complexifient. Aujourd’hui sur la planète, la proportion d’individus se déplaçant du sud au nord est la même que du sud au sud ou du nord au nord, c’est-à-dire un tiers environ. Les migrations les plus importantes s’observent surtout « le long des grandes lignes de fractures géographiques » 13, c’est-à-dire des frontières qui divisent deux zones « aux caractéristiques politico-économiques fortement distinctes » : « la Méditerranée, la frontière américanomexicaine, ou celle entre la Russie et la Chine ».
(Musée de l'histoire de l'immigration, 2013)
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Gilles Verbunt, Une culture pour le folklore ou pour la lutte ? dans (Dougier, 1977, p. 7) 12 Robert Berthelier, Acculturation à tout prix ou compromis culturel ? dans (Dougier, 1977, p. 70) 13 (France Diplomatie, 2013)
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Les pays enregistrant les départs les plus massifs ne sont pas les plus démunis, mais « à revenu intermédiaire tels que le Mexique, les Philippines, la Turquie ou la Chine ». Certaines tendances s’inversent, des pays de départ devenant pays d’accueil (telle l’Europe du Sud) et inversement (Amérique latine). D’autres types de migrations peu étudiées jusqu’ici commencent à être prises en compte, comme « la migration circulaire » (déplacement sans sédentarisation) et « les migrations qualifiées » (déplacement de personnes hautement qualifiées) 14. Cette immigration est nécessaire pour maintenir le fonctionnement économique de nombreux pays, comme la France. A titre d’exemple il serait possible en atteignant un taux d’immigration 2 à 4 fois plus important qu’aujourd’hui de contrer le vieillissement de la population européenne, et donc le « rapport entre le nombre d’inactifs pour un actif ». Grâce à leur départ, les migrants contribuent au développement économique de leur pays d’origine en transférant à leurs familles des sommes ou des objets venant du pays d’accueil, et aussi par des « ressources immatérielles » qu’ils ont pu y acquérir : « leurs compétences (intellectuelles, techniques ou relationnelles) et sur un plan plus large, des normes (comme l’égalité des genres), des valeurs civiques (respect du cadre collectif) ». En ce moment en transition démographique, l’Afrique subsaharienne observe déjà une croissance démographique très importante. Selon les Nations Unies, elle atteindrait un décuplement de sa population entre 1950 et 2050, de 180 millions d’habitants à plus de 1,7 milliard. Cette explosion démographique a des conséquences bien connues : l’exode rural (la population urbaine est passée de 21 millions d’habitants en 1950 à 232 millions en 2000), des besoins en infrastructures, en ressources alimentaires, naturelles, en emploi…
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Ibid.
Connaissant aussi une croissance démographique fulgurante et des besoins résultants, l’île de Mayotte suit un schéma comparable sous certains aspects. Les migrations issues de pays en développement ne sont pas aléatoires. Le pays de destination est choisi en fonction de facteurs identitaires qui peuvent le relier au pays d’origine. Souvent, ils trouvent leur origine dans un passé commun, comme ici une ancienne appartenance. En effet, l’immigration vers l’ancien pays colonisateur permet de retrouver des repères culturels, comme la langue, ou une communauté déjà présente. Nous évoquerons donc maintenant les conditions de l’immigration mahoraise en France, immigration dont les origines remontent à la colonisation de l’archipel des Comores.
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FIGURE 3 – FLUX MIGRATOIRES HORS ET VERS LA FRANCE
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A / Mayotte : une île métissée, une histoire compliquée L’île de Mayotte, petit bout de terre de 374 km entre l’Afrique et Madagascar, ressemble à un hippocampe nageant dans le canal du Mozambique. Elle est française depuis plus de 160 ans. Mais avec une culture à ce point métissée, comment ce territoire est-il devenu français ? Un retour sur son passé nous permettra de mieux comprendre le présent.
« La période coloniale introduit dans la société centralisée un effet égalisateur. La situation sociale ne reposera plus sur l’hérédité, mais sur l’accès à la propriété. Les différences culturelles s’estompent : tous ont accès aux mêmes ressources, aux mêmes services et ont les mêmes obligations. Les minorités malgaches et africaines vont s’intégrer, ce qui sera facilité par l’adoption de l’islam au travers du mariage. Un mélange ethnique va s’opérer. » (Richter, 2005)
La sociologue Monique Richter15 nous apprend que les premiers vestiges de civilisation de l’île sont datés du IXe siècle. Par la suite, s’enchaînent les migrations sud arabiques, persanes, malayopolynésiennes, arabo-perso-bantoues de la côte Nord-est de l’Afrique )… Le mélange des cultures en résultant est surtout influencé par la population africaine arrivée vers 1600 via Madagascar : des références aux mondes shirazi et malgache, qui s’observent dans les deux langues parlées majoritairement (même si le français fait finalement office de langue officielle), le shimaore (apparenté au swahili), et le shibushi (dialecte malgache de Mayotte). L’histoire du rattachement de Mayotte à la France débute en 1841, quand le sultan Andriantsouli vend l’île à cette dernière, qui cherchait un poste dans l’Océan Indien après la perte de l’île Maurice. La colonisation continue en 1886, quand la France s’approprie Grande Comore, Anjouan et Mohéli (les trois autres îles de l’archipel des Comores), sous la forme d’un protectorat, qui deviendra annexion en 1912, et territoire d’Outre-Mer en 1946, à la fin de la guerre. En 1958, dans le cadre d’une politique de décolonisation et de l’amendement d’une nouvelle constitution, la France se voit forcée de laisser le choix à l’archipel : rattachement, ou indépendance. Lors du référendum, la population choisit de conserver ses liens avec la France, c’est un oui unanime des quatre îles. La capitale est alors déplacée de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore), décision mal supportée par Mayotte qui perd son statut privilégié parmi ses trois sœurs, ce qui fera par la suite pencher la balance lors du vote de 1974.
FIGURE 4 – MIGRATIONS HISTORIQUES VERS MAYOTTE
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(Richter, 2005)
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FIGURE 5 – LES QUATRE ETOILES DU DRAPEAU COMORIEN
FIGURE 6 – KWASSA KWASSA SURCHARGE
Cette année-là, un autre référendum d’autodétermination des Comores est organisé. Mayotte refuse alors l’indépendance à 63,8%, contrairement aux autres îles. Pour confirmer ce choix, une deuxième consultation prend place en 1976 : Mayotte devient alors collectivité territoriale française à titre départemental avec l’accord de 99,4% de sa population, pendant que le reste des Comores choisit l’indépendance… La France a longtemps été critiquée pour avoir disloqué à tort l’archipel, et la République Fédérale Islamique des Comores revendique toujours la réintégration de sa quatrième île : il suffit d’observer le drapeau comorien, arborant toujours quatre étoiles, symbole de chacune des îles (Figure 5). Depuis ce déchirement, les Comores ont subi une succession de coups d’états plus dévastateurs les uns que les autres, pendant que Mayotte se rapprochait de la France en se fermant totalement à ce qui se déroulait à quelques centaines de kilomètres. L’île, auparavant sous développée, sous équipée, et abritant une population dans une situation sanitaire difficile, souffrant de malnutrition et sous-scolarisée, entame alors un développement fulgurant et une monétarisation de son économie après les adoptions successives de statuts de Collectivité territoriale (2000) puis de Département d’Outre-Mer (2010), appuyée par les investissements de la métropole.16 Inévitablement, cette croissance attire les populations des autres îles comoriennes, notamment celle d’Anjouan, la plus proche. Chaque jour des hommes, des femmes, des enfants cherchent à échapper à la misère de leur île, voyant Mayotte comme une porte d’entrée vers la métropole, et embarquent sur les kwassa kwassa (« ça secoue »), embarcations de fortune surchargées, avec autant de chance de se noyer que de terminer la
FIGURE 7 – IMMIGRATION COMORIENNE VERS MAYOTTE
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Ibid.
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traversée, ne sachant pas nager pour la plupart (Figure 6). L’Observatoire de l’émigration clandestine anjouanaise recense 183 morts ou disparus dans 17 accidents entre le 1er juillet 2000 et le 31 décembre 200117, et il faut prendre en compte le fait que ce chiffre ne dénombre pas la totalité des accidents. Ceux qui survivent au voyage vivent ensuite à Mayotte de manière clandestine, en essayant d’obtenir des papiers, souvent sous le mépris de la population locale : travail sans horaires pour un salaire minable, sévices corporels et psychologiques… Les immigrés représentent aujourd’hui une proportion très importante des habitants de Mayotte. Selon l’INSEE, ils constituent au moins 40% de la population totale au recensement de 2007, contre 34.5% en 2002. La part comorienne des immigrés est largement en tête, représentant près d’un tiers des étrangers.18
FIGURE 8 – SITUATION GEOGRAPHIQUE DE MAYOTTE
La population mahoraise connaît une croissance phénoménale depuis les années 60 : de 23 364 habitants en 1958, elle passe à 160 225 en 2002, et 212 600 en 201219, les chiffres officiels étant en deçà des chiffres réels. La croissance démographique au cours de ces années dépasse souvent les 5%, alors qu’elle évolue autour de 0.4% en métropole. Ce boom démographique est surtout dû à une très forte natalité (presque 4.7 enfants par femme en 2002) et une augmentation de la durée de vie grâce à l’amélioration des conditions sanitaires, mais également à l’immigration comorienne. Il nous faut également évoquer les jeunes femmes comoriennes qui tentent d’accoucher à Mayotte, où les infrastructures médicales sont en meilleur état, et où leurs enfants peuvent obtenir la nationalité française grâce au droit du sol. FIGURE 9 – ETUDIANTS MAHORAIS DE BRETAGNE
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Lettre d’information OECA, 4-8 février 2002, dans (Grisot, 2003/2004) 18 (J. Balicchi, J.-P. Bini, V. Daudin et al., 2012) 19 Ibid.
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Mais Mayotte n’est pas seulement une terre d’accueil, c’est aussi une terre de départ, dans une telle proportion que le solde migratoire officiel est négatif depuis une dizaine d’années. Des mahorais en grand nombre partent vers la Réunion, première destination (6600 individus y vivent, sur 22735 vivant en France hors Mayotte), mais aussi vers la France métropolitaine, dont la popularité augmente rapidement : « Le nombre de natifs de Mayotte vivant à La Réunion a été multiplié par trois durant les deux dernières décennies (presque exclusivement entre 1990 et 2000) et par huit en métropole »20 Les régions du sud-est sont les plus plébiscitées (28% des Mahorais hors Mayotte), notamment la région Paca (12%). L’Ouest est également apprécié : 6% en Bretagne et 5% en Pays de Loire, l’’Ile-deFrance n’arrive qu’ensuite avec 5% également. Alors que la Réunion attire plutôt des femmes non diplômées venant avec leurs enfants, les départs vers la métropole concernent en majorité de jeunes hommes, étudiants ou diplômés et sans enfant. « Les trajectoires de migration semblent se faire majoritairement de Mayotte directement vers la métropole ou vers La Réunion. Cependant une installation à La Réunion est plus souvent précédée d’un passage en métropole que l’inverse. »21
C’est le cas pour M. F, homme mahorais installé à Rennes, travaillant dans le commerce et membre de l’association REMB (Réseau des Etudiants Mahorais de Bretagne) (Figure 9), qui a souhaité quitter Mayotte puis la Réunion pour accéder à un meilleur niveau d’études supérieures. « J’ai commencé mes études à l’université de la Réunion, et j’ai voulu avoir la licence dans une autre université, j’ai fait les deux premières années de licence à la Réunion et puis la L3 à Rennes. J’ai décidé de venir à Rennes juste parce qu’il y avait mon frère. »22 Selon le même article23, en 2010, 40% des 18-25 ans nés à Mayotte et habitant toujours en France (métropole et Outre-Mer) vivraient hors Mayotte. C’est donc une part phénoménale de jeunes mahorais qui quittent leur île. Les auteurs concluent que la part des habitants partant de Mayotte pour aller à la Réunion devrait se stabiliser d’ici quelques années, les conditions de vie dans les deux îles ayant atteint le même niveau. Les migrations vers la France continueront alors à s’intensifier, le but étant la « promotion sociale ». Et si certains décident de revenir à leur terre de naissance, « une partie importante de ces natifs, une fois diplômés, choisissent de rester en métropole, pour des raisons économiques mais aussi culturelles ». Il ne faut en effet pas oublier que c’est une population jeune qui arrive en métropole, et qui peut vouloir y demeurer pour échapper à certaines traditions dures à vivre, mais encore très importantes pour leurs aînés.
Après avoir compris les raisons du départ des mahorais vers la métropole, nous allons maintenant étudier les conditions de leur arrivée.
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(D. Breton, C. Beaugendre, F. Hermet, 2014) 21 Ibid.
Extrait d’entretien (D. Breton, C. Beaugendre, F. Hermet, juin 2014 (n°186)) op. cit.
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B / Une remise en cause de l’identité Dès arrivée dans le pays d’accueil, l’immigré, peu importe son origine, doit constamment réévaluer son mode de pensée face à des schémas culturels qu’il ne connaît pas. Il est en apprentissage continu 24 , confronté à un certain nombre de contradictions entre les valeurs qu’il découvre et celles qu’il appliquait25...
« Pour reconstituer leur identité, morcelée ici ; pour parler leur langue entre eux ; prendre conscience de leur force, avant d’aller au mariage avec la culture française, les migrants ont besoin, d’abord, d’une première étape de mise à part. » Pietro, migrant italien, cité dans Pour être tolérés, il faut rester minables !, (Dougier, 1977, p. 17)
FIGURE 10 – COURS DE LANGUE, DANSE TRADITIONNELLE SUR L’ESPACE PUBLIC, STANDS D’EXPOSITION : RENCONTRE INTERCULTURELLE
24
Marie-Antoinette Hily, La résistance à l’assimilation, dans (Dougier, 1977, p. 90) 25 Robert Berthelier, Acculturation à tout prix ou compromis culturel ?, dans (Dougier, 1977, pp. 80-81)
23
L’apprentissage de la langue Dès le début, le but principal de l’immigrant est dans la majorité des cas l’obtention de meilleures conditions de vie. La recherche de l’identité culturelle est donc parfois mise au second plan. L’apprentissage du langage est réduit au strict nécessaire par manque de temps, d’argent… Certaines personnes restent parfois à ce stade, continuent à s’exprimer dans la langue maternelle dès que possible et la recherchent dans leur vie quotidienne. 26 La principale difficulté est donc le manque de temps pour l’apprentissage. Malgré la difficulté à obtenir des informations, on remarque beaucoup de participation à des cours de langue et d’intégration socioéconomique (très appréciés par ailleurs). En France, 68% des personnes issues de l’immigration disent avoir des difficultés à apprendre la langue alors que 46% ont participé à des cours (taux le plus haut des 15 pays européens interrogés) 27 . Or, le fait de ne pas maîtriser la langue du pays dans lequel il habite place l’individu dans une détresse quotidienne. Il ne peut s’exprimer par lui-même et doit donc toujours être représenté : par un interprète, par ses enfants... « Chaque population, ici, voudrait faire connaître ce qu’elle est. Et ce qu’elle souffre. Pas par personnes interposées. Directement. C’est cela s’exprimer. »28 En outre, le problème dépasse la maîtrise de la langue elle-même, car il englobe la compréhension des bases et des subtilités culturelles d’une population.
26
Gilles Verbunt, Une culture pour le folklore ou pour la lutte ? dans (Dougier, 1977, p. 9) 27 (Huddleston T., Dag Tjaden J., avec le soutien de Callier L. (trad. Flamme M.), 2012, p. 6) 28 Diallo, Mario (migrants sénégalais et portugais), cités dans Pour être tolérés, il faut rester minables !, (Dougier, 1977)
« La langue, en effet, est le véhicule de la culture ; mots et expressions comportent ainsi une connotation symbolique (ou fantasmatique) inconsciente qui renvoie à l’histoire propre de l’individu et, au-delà, à sa culture d’origine. » Robert Berthelier, Acculturation à tout prix ou compromis culturel ? dans (Culture immigrée, intégration ou résistance : des immigrés parlent de leurs tentatives d'expression culturelle, 1977, p. 80)
Dans le cas des mahorais, la langue est souvent maîtrisée au moins de manière basique, surtout chez les jeunes, car apprise à l’école. Cependant elle reste une seconde langue, et il y a toujours un fossé important entre les étudiants arrivant de Mayotte et le reste des élèves. Les exigences scolaires étant moins hautes qu’en métropole, une grande partie d’entre eux est en échec scolaire ou en grande difficulté dans leurs études supérieures. Des associations peuvent aider à l’insertion des mahorais dans le système d’apprentissage français, comme le REMB déjà évoqué précédemment. M. F. nous explique que cette association a été fondée en 2011 avec le but d’accompagner les étudiants dans leurs démarches et leur scolarité (Figure 10). Toute démarche communautaire est exclue. Le but est la rencontre interculturelle et l’échange (l’association, au départ destinée aux mahorais, aide également des étudiants en provenance d’autres destinations, notamment Maghreb et Afrique noire). L’aide commence dès l’accueil, à la gare ou à l’aéroport d’arrivée, et se poursuit avec la recherche d’un logement provisoire puis fixe, l’accompagnement dans les démarches administratives (bourses, études, travail…), etc.
24
Conditions sociales : problèmes administratifs, difficultés à trouver un emploi Selon le rapport d’enquête sur les citoyens immigrés publié par la Fondation Roi Baudouin et le Mixation Policy Group en 201229, une grande majorité des personnes venues s’installer en France (80-95%) expriment leur désir de rester sur une longue durée. La plupart réalisent la demande de résidence longue durée 5 ans après leur arrivée. Ils expriment en effet le souhait de participer à la société dans laquelle ils vivent (élections, associations) et ainsi augmenter la diversité en politique. 21% connaissent une organisation d’immigrants et seulement 6% y sont affiliés. Avec cette envie de s’installer définitivement vient le besoin évident d’obtenir un travail stable. Or la sécurité de l’emploi est un des principaux problèmes rencontrés : 67% à 69% des personnes interrogées ont déclaré avoir du mal à trouver un emploi en France. Dans le Sud de l’Europe, cette difficulté est due à un manque de contrats. Dans le Nord, une méfiance concernant l’équivalence des qualifications entraîne une surqualification non valorisée (25-33% des immigrés en Europe). Les foyers ne sont finalement que rarement séparés lors de l’immigration, et regroupés assez rapidement. Ceux qui ne le sont pas n’en ont généralement pas fait la demande, cette dernière étant peu refusée. Mais il arrive parfois qu’une personne arrive seule, sans possibilité (pour des raisons financières ou autre) de faire venir ses proches.
L’isolement à la terre d’origine Lors de la séparation avec la terre d’origine, l’individu quitte parfois un milieu rural, solidaire, avec un sens fort de la communauté (comme à Mayotte) pour s’installer dans un milieu urbain et largement individualiste. L’attachement aux traditions peut alors créer une disparité culturelle non seulement avec les habitants du pays d’origine mais aussi entre ancienne et nouvelle générations, car les identités évoluent. Les jeunes ne se reconnaissent pas dans l'image projetée par leurs aînés : « Hence the importance placed on tradition in diasporic communities can lead to an alienation of the younger generation that cannot see themselves reflected within the image of the culture performed by their elders. »30 Les enfants, personnalités en puissance, n’ont pas toujours acquis les valeurs d’identité culturelle du pays de leurs parents, nécessaires pour appréhender toute la complexité de leur identité. Pour ces «jeunes peu imprégnés de l’une et de l’autre culture » 31 , partagés entre des valeurs contradictoires, il est alors difficile de « se trouver ». Par exemple, les jeunes femmes immigrées peuvent être tiraillées entre l’obligation de conserver les règles d’une culture très stricte et la confrontation constante confrontées à un environnement plus libéré (la question du mariage, le port du voile…) 32. S’il ne respecte pas l’ensemble des coutumes, l’individu peut être rejeté par les deux communautés 33 . Cette cohabitation de deux identités distinctes en une seule personne est
30
H. Babha cité dans (Awan, 2006, p. 15) + trad Andrée Chazalette, Pour les jeunes, une coexistence douloureuse, dans (Dougier, 1977, p. 93) 32 Robert Berthelier, Acculturation à tout prix ou compromis culturel ?, dans (Dougier, 1977, pp. 83-84) 33 Saadia, animatrice L.P.S., citée dans Passants, dans des cités… de transit, dans (Dougier, 1977, p. 22) 31
29
(Huddleston T., Dag Tjaden J., avec le soutien de Callier L. (trad. Flamme M.), 2012)
25
également introduite par Robert Berthelier, sous le nom de « biculturalisme »34. La meilleure solution serait peut-être d’offrir plus de possibilités futures grâce à un apprentissage équitable de la culture maternelle et de la culture d’accueil. L’école rabaisse parfois la culture maternelle, elle participe à un dégoût de l’enfant pour celle-ci (« destruction du milieu familial »)35. La culture de l’autre doit avoir une plus grande part dans l’enseignement. L’auteur avance que des études réussies représentent la meilleure possibilité d’intégration à la culture française. Elles permettent un apprentissage de la culture d’accueil et un approfondissement des connaissances sur la culture maternelle lorsque l’identité est déjà bien définie... Beaucoup de jeunes adoptent la culture du pays dans lequel ils vivent, et reviennent plus tard à leur pays d’origine pour en apprendre davantage sur la culture de leurs parents36. Dans un extrait de notre conversation 37 , M. F. expose cet échange culturel (Figure 10) entre Mayotte et la métropole : adaptation de ses pratiques (surtout religieuses), échange d’expériences…
On peut donc s’accorder à dire qu’il est important de reconstituer son identité et de s’affirmer, avant d’accepter une autre identité, sous peine de se perdre en chemin.
34
Robert Berthelier, p. 85, op. cit. Andrée Chazalette, op. cit. 36 Andrée Chazalette, page 94-95, ibid 37 Voir en annexe : extrait 1 ? 35
26
C / La rencontre interculturelle, du déni à l’acceptation « Désormais on observe dans le monde entier un double mouvement dans les relations culturelles : - d’un côté il y a l’impératif de l’adaptation à la mondialisation, la prise en compte de la multiplication des échanges - et de l’autre le besoin d’affirmer des identités régionales, la résistance à la confusion des cultures. » (Verbunt, 2011)
En plus des difficultés déjà évoquées, la réaction de la société dans laquelle une personne va s’intégrer peut grandement varier. Gilles Verbunt38 dénombre quatre issues possibles à une rencontre entre deux cultures : -
-
le déni (« tolérer dans le silence ou faire comme s’il n’y avait pas de différences culturelles »), l’assimilation forcée (« Les convertir à notre culture. Exiger d’eux qu’ils s’intègrent. ») le multiculturalisme (« organiser un cadre de vie commune qui réduit le contact culturel au strict minimum ») et enfin l'interculturel (« processus entre cultures différentes dans lequel dominent les qualités de communication, de négociation, d’interdépendance et de relation »).
« française » soit la seule existante chez chaque citoyen, sans aucun compromis possible (assimilationisme).40 « D’un autre côté, en France, beaucoup d’exemples s’appuient sur la référence, formulée ou implicite, au territoire politique national unique, à l’identité dans une perspective substantialiste. Composée de référents stables, sa conception s’opposerait à la pluralité et à la variabilité des références constitutives de l’identité. » (De Villanova, Espace de l'entre-deux ou comment la mobilité des immigrés recrée du territoire, dans "L'Homme et la société", 2007)
Parfois il est alors difficile pour l’immigré de manifester son refus, son mécontentement, en raison d’une sorte de culpabilité ressentie (ou qu’on lui fait ressentir) vis-à-vis de la « bonté » de son pays d’accueil. On remarque parfois une situation de « dépendance » par rapport aux français. On peut par exemple considérer le « don » d’un emploi comme gage d’obéissance et promesse d’adoption du style de vie local. 41
Le plus « extrême » de ces comportements consiste à considérer sa propre culture comme supérieure, dominante, les autres étant définies par rapport à celle-ci (« ethnocentrisme » 39 ). Les différentes identités sont alors totalement ignorées, comme si elles n’avaient aucune raison d’exister, ou forcées à évoluer ou à disparaître pour que la culture
38
(Verbunt, 2011) ethnocentrisme : « vue des choses selon laquelle notre propre groupe est le centre de toute chose, tous les autres groupes étant mesurés et évalués par rapport à lui » (ORIV (collectif), février 2012), voir aussi C. Caniglia et A. Signorelli (De Villanova, 2007, p. 138) 39
40
Assimilationisme : « les cultures des autres ont besoin d’évoluer, mais pas la nôtre » (Verbunt, 2011) 41 Gilles Verbunt, Une culture pour le folklore ou pour la lutte ? dans (Dougier, 1977, pp. 8-9)
27
L’approche multiculturaliste 42 bannit cet irrespect pour la culture de l’autre, mais induit une mise à distance des communautés, les isolant les unes des autres. Ce « mouvement » est à l’origine initié par des « minorités » du Royaume-Uni et de l’Amérique du Nord dans le but de faire reconnaître leur culture et d’exiger le respect de leurs valeurs. Appelé là-bas le political correctness, il désigne le désir de préserver l’identité de la communauté en la refermant sur elle-même et en la protégeant d’influences extérieures des groupes culturels voisins. Elle valorise le criticisme post-colonial 43, qui consiste à encourager les populations issues du colonialisme (de manière plus ou moins lointaine) à chercher à redéfinir leur identité culturelle et à ne pas aider le processus de colonisation en adoptant des modes de vies en contradiction des leurs. Il y a donc dans ce cas une coexistence (relativement) respectueuse, mais pas d’interaction entre les groupes : « Le multiculturalisme pose les communautés côte à côte, dans une relation minimaliste ne demandant aucunement aux communautés d’évoluer. »44 Cette cohabitation forcée, fuyant les rencontres, entraîne un nombre de problèmes au quotidien. Si la culture de l’autre est reconnue et respectée, cela ne signifie pas forcément qu’elle est comprise. Les enfants d’immigrés rencontrent des difficultés lors de l’éducation car ils se sentent « tiraillés », au milieu du conflit entre deux cultures.
42
FIGURE 11 – LA RENCONTRE INTERCULTURELLE
La notion de multiculturalisme est à ne pas confondre avec celle de multiculturel. Cette dernière désigne « un ensemble de plusieurs cultures dans un même espace donné » sans préciser le type d’interactions entre ces cultures, contrairement à la première qui inclut une absence d’ « interaction entre des groupes, des individus, de cultures différentes » (ORIV (collectif), février 2012)
43
44
(Awan, 2006) (Verbunt, 2011)
28
Par ailleurs, les rencontres « spontanées » sont également rendues plus difficiles par la ségrégation spatiale des individus : les milieux fréquentés sont différents. Certaines communautés aisées s’isolent volontairement dans des résidences fermées (gated communities), quartiers enclavés où elles se pensent plus « en sécurité » par rapport à la ville « dangereuse » et « chaotique ». Ce phénomène exclut tout brassage de population : les habitants en sortent seulement en voiture, d’un point A à un point B.45 La communication s’établit plus facilement dans les campagnes. Les villes étant plus petites, la proximité est plus importante, voire « forcée », et on connaît mieux les autres habitants.46
L’inconvénient de ce type de rencontre est qu’elle n’a jamais vraiment lieu… Avec cette noncompréhension de l’autre vient son lot de stéréotypes47. Les individus sont enfermés dans des idées immuables : « mode de catégorisation rigide et persistante (résistant au changement) de tel ou tel groupe humain, qui déforme et appauvrit la réalité sociale dont il fournit une grille de lecture simplificatrice et dont la fonction est de rationaliser la conduite du sujet vis-à-vis de groupe catégorisé ».48 Pour aller au-delà de ces obstacles, il est nécessaire de réussir à prendre du recul sur son propre système de valeurs, afin de pouvoir pour un instant adopter le point de vue de l’autre, tout en restant neutre, sans idées préconçues.
Une « reconnaissance mutuelle » est nécessaire : la « prise en compte de la différence de l’autre, de son individualité, dans un rapport égalitaire ».49
En décomposant le mot interculturel, on peut isoler le préfixe « inter » (entre), indiquant « une mise en relation et une prise en considération des interactions entre des groupes, des individus, des identités ». Associé au « culturel », il induit donc une idée de « rapports », d’« échanges entre cultures».50 C’est ce qui constitue la principale différence avec les possibilités évoquées précédemment : une vraie rencontre et une écoute. Comme nous l’explique M. F., cet échange est un premier pas vers la compréhension de l’autre et la fin des stéréotypes, de la catégorisation51. « Donc jusqu’à maintenant ici mes amis ce sont ma promo de classe, des français, des africains, des maghrébins, des asiatiques. Et ce qu’on a réussi à faire, c’est l’échange de culture, à travers les projets associatifs. Maintenant, nous sommes tous différents, et pour qu’on puisse accepter ces différences sans s’imposer, il était nécessaire de faire cet échange culturel pour que chacun comprenne l’autre. Tu acceptes les différences sans vouloir imposer, parce qu’il n’y a pas une culture qui est supérieure à l’autre. » 52 La notion d’interculturel met en valeur l’identité singulière, celle de l’individu, plutôt que l’identité communautaire. Chaque personne est capable par elle-même de confronter ses différentes identités et apprentissages pour réaliser une « synthèse entre culture d’appartenance et culture d’accueil » dans la
49 45
R. de Villanova, Espace intermédiaire et entre-deux dans (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, p. 240) 46 Gilles Verbunt, Une culture pour le folklore ou pour la lutte ? dans (Dougier, 1977, p. 8) 47 Aussi nommés ethnicisation 48 (ORIV (collectif), février 2012)
Ibid. Ibid. 51 Catégorisation : classer et donc à regrouper au sein de catégories, des individus, des groupes ou bien des événements, et ce en exagérant les ressemblances entre les éléments classés, et ce àl’intérieur d’une même catégorie. Tajifel et Wilkes (1963) cité dans (ORIV (collectif)), op. cit. 52 Extrait d’entretien 50
29
définition du soi. C’est cet « entre-deux » que l’on retrouverait dans le choix de l’habitat…53
« Dans ces exemples, l’entre-deux serait une construction ou reconstruction matérielle et symbolique d’unités domestiques à partir de ce que la société tend à séparer et opposer (populaire/savant, local/étranger) et qui serait aussi créatrice de nouvelles formes. » R. de Villanova, Espace intermédiaire et entre-deux dans (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007)
Selon T. Hadjiyanni54, on peut représenter l’identité culturelle de manière simplifiée sous la forme de sphères concentriques, dont les limites sont de plus en plus fines lorsqu’elles s’agrandissent. Le cœur représente les personnes qui s’identifient de manière forte à des éléments qui fondent un aspect de leur culture. Cette association diminue en s’éloignant du centre, et en s’approchant d’autres sphères voisines dont on commence à ressentir l’influence… Dans un contexte d’accélération d’évolutivité culturelle, l’architecte doit comprendre quels marqueurs culturels sont pérennes et lesquels risquent de changer, voire de disparaître : « A person might be more likely to drink Coca-Cola than to change religion »55
« Le propre des monographies des ethnologues est de nous donner accès à la spatialité des autres cultures, dans leur unité, leur totalité, supposée close. Elle nous parvient alors comme un fait massif. Certains l’ont considérée indécomposable, et on sans raison : le sens de telle construction, de tel dispositif spatial renvoie au symbolique interne de cette même culture, évidemment. Mais pas seulement. En rester à ce stade c’est renoncer à toute anthropologie générale, à toute reconnaissance transversale aux cultures diverses, c’est renoncer à l’unité de l’homme et même la dénier en quelque sorte. C’est renoncer à percevoir les similitudes derrière la diversité, les récurrences, les objets spatiaux fondamentaux, irréductibles à des cas particuliers, que produisent et mettent en œuvre les sociétés pour générer l’espace qu’elles habitent. S’il en était ainsi dans d’autres champs de la culture, aucune théorie linguistique n’aurait été possible, aucune théorie de la parenté non plus, aucune science des religions, etc. Pourquoi une théorie de la spatialité seraitelle interdite ? » P. Bonnin , Notes pour un abrégé de topologie humaine, (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, pp. 282-283)
53
(De Villanova) op. cit. (Hadjiyanni, s.l.n.d) 55 Ibid. 54
30
« Non qu’il s’agisse de revenir globalement en arrière […] ni d’y piocher – pour l’architecture par exemple – des recettes formelles, esthétisme volontariste contre lequel les auteurs nous mettent justement en garde. Mais de nous familiariser avec un regard anthropologique sur nous-même et sur nos œuvres, regard qui, en ne dissociant pas la technique, le social et le symbolique, nous aide à inventer de nouveaux espaces plus humains. » (Paul-Lévy F., Segaud M., 1983, p. 12)
31
02 / ETUDE DES DECLINAISONS DE L’HABITER Au XXe siècle, le terme de logement qualifiait une habitation ouvrière, et donc un espace relativement réduit par rapport aux maisons individuelles et appartements bourgeois. Aujourd’hui on ne marque plus cette différenciation : ce terme réunit tous les types d’habitat.56 « C'est un local utilisé pour l'habitation, séparé, c'est-àdire complètement fermé par des murs et cloisons, sans communication avec un autre local si ce n'est par les parties communes de l'immeuble (couloir, escalier, vestibule); indépendant, à savoir ayant une entrée d'où l'on a directement accès sur l'extérieur ou les parties communes de l'immeuble, sans devoir traverser un autre local (…) Les logements sont répartis en quatre catégories : les résidences principales et les résidences secondaires, les logements occasionnels et les logements vacants. » (Définition du logement selon l’INSEE (2012))57
auquel on revient et qui fait partie de notre identité (nombre de nos souvenirs y sont attachés). C’est un endroit intime, où l’on exprime ses valeurs sans restriction, sans crainte du regard d’autrui, un espace approprié, qui représente la personne qui y habite : le lieu par excellence de l’habiter.
Principalement basés sur les travaux de Jon Breslar, ethnologue américain ayant étudié la population mahoraise dans les années 70, les descriptions de l’habitat mahorais doivent aujourd’hui évoluer pour être en phase avec les transformations des modes d’habiter, dus en grande partie à l’influence de la métropole : nouveaux matériaux, nouvelles techniques de construction, changement des politiques du logement social, évolution des modes vie, explosion démographique… Les modes d’habiter se sont en partie occidentalisés, mais pas jusqu’à pouvoir se confondre. Les usages traditionnels définissent encore largement le logement mahorais.59
Nous nous intéresserons maintenant à ces usages et à leur évolution.
Au-delà de cette définition officielle, le logement est un espace qui fait office de point de repère, qu’on ne traverse pas seulement mais qu’on expérimente longuement. Selon G. Bachelard dans La poétique de l’espace58, la maison est « notre coin du monde », « notre premier univers », « notre cosmos », « le premier monde de l’être humain », ou encore « un grand berceau ». Elle représente donc l’ancrage le plus fort à un lieu
56
(Eleb M.; Simon P., Août 2012)
57
Ibid. Cité dans ibid.
58
59
(Grisot, 2003/2004, p. 38)
32
A / Karibou Maore (bienvenue à Mayotte) Bien que centrée sur l’intérieur, l’étude de l’habitat ne peut se permettre d’ignorer celle de son environnement. Pour comprendre les fondements de cet espace, il faut en effet pouvoir appréhender le contexte, la société dans lequel il a été pensé et construit.
La compréhension des usages mahorais relève de l’anthropologie. Cette discipline est définie par l’Association française des anthropologues comme « l’ensemble des sciences qui étudient l’homme dans ses différentes dimensions. » Quatre disciplines sont reconnues par l’IUAES60 : « l’anthropologie sociale et culturelle, l’archéologie et la paléoanthropologie, l’anthropologie biologique (autrefois qualifiée d’anthropologie physique) et la linguistique. » 61 La mission de l’anthropologie sociale actuelle, telle que la décrivent Georges Balandier et Marion Segaud, est de repenser cette ancienne définition de la société comme établie et fixe et de réfléchir sur l’apparition de nouvelles cultures, résultantes des modes de vies présents.62
Afin de mieux construire cette rencontre culturelle, essayons d’avoir un aperçu d’un autre point de vue.
60
IUAES : Union Internationale des Anthropologiques et Ethnologiques 61 (Association Française des Anthropologues) 62
Sciences
Marion Segaud, Pour une anthropologie spatiale de la civilisation (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, p. 128)
« Ainsi, dépassant l’opposition entre processus d’homogénéisation engendrés par la globalisation et variations locales, une anthropologie architecturale pourrait étudier les nouvelles formes de spatialité nées de contextes d’interaction culturelle plutôt que de cultures propres localisées » R. De Villanova, A. Miranda, Actualités de l’interdisciplinaire dans (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007)
33
L’importance du chez-soi parmi la communauté Traditionnellement, la société mahoraise, « système polyethnique », se répartit en plusieurs catégories de populations. Les identités de chaque groupe sont définies, et sont acceptées mutuellement. Le « Peuple Mahorais », « assimilation de plusieurs groupes ethniques différents (arabes, bantous, malgaches) », est majoritaire. Les Français métropolitains, appelés m’zoungous, vivent souvent à l’écart, dans des résidences séparées. Les Comoriens ne sont encore pas considérés par les mahorais comme part de la société, ne trouvent pas leur place dans ce système malgré leur importance tant numérique que dans le fonctionnement de la communauté. Ils sont fréquemment exploités car leur situation irrégulière les rend vulnérables. Avec l’influence de la métropole, droit musulman et droit français coexistent. L’islam pratiqué est spécifique aux coutumes locales, essentiel dans la vie quotidienne, et assez tolérant. Il est très largement dominant sur l’île : 98% des Mahorais sont musulmans. Les enfants pratiquent la religion très tôt. Ils doivent aller à l’école coranique le matin avant l’école laïque dès leurs 4 ou 5 ans.63
L’une des caractéristiques essentielles de cette société est son rapport à la famille, qu’il est primordial d’expliquer car très différent du modèle français.
famille « proche ». Dans le mraba64, la réussite n’est socialement acceptée que lorsqu’elle est partagée avec les autres membres du groupe. Les relations sociales se basent sur des principes de dépendances et de « réciprocité » au sein de la communauté. Des services se rendent mutuellement de façon quotidienne. Ils sont vus comme des investissements car ils signifient que l’autre vous doit quelque chose en retour. Les personnes âgées ont le plus de pouvoir décisionnel. Elles sont considérées comme expérimentées et donc plus sages. Comme il apprend à penser aux autres avant de penser à lui-même, le mahorais a généralement une très faible « individuation », c’est-à-dire « peu d’indépendance et d’autonomie affective ». La notion de famille est ici beaucoup plus étendue : « Udjuma » regroupe tous les individus ayant un lien de parenté avec une personne, sans vraiment de limite. Les oncles, tantes et cousins peuvent avoir pour l’enfant le même statut que père, mère, frères et sœurs. Les enfants sont souvent élevés par d’autres membres de la famille tout autant que par leurs parents.
FIGURE 12 – SYSTEME MAHORAIS DE REGROUPEMENT DES PARCELLES
Les décisions dans la vie d’un mahorais sont toujours prises en fonction de l’ensemble de la communauté, avant de l’être pour soi-même ou sa 64
Il désigne « la clôture qui borne invariablement l’enclos familial et la famille elle-même » et représente dans un sens plus allégorique l’entité familiale, l’intériorité, formant la limite avec l’extérieur. 63
(D. Breton, C. Beaugendre, F. Hermet, juin 2014 (n°186))
34
L’unité fondatrice de la vie sociale est celle du village, « cadre de la vie sociale, religieuse et politique ». Les habitants se répartissent entre wonyej (natifs du village, ils ont un droit légitime à y posséder un terrain) et wadjen (individus extérieurs au village qui n’y ont pas de droit d’office à la propriété). On est d’office membre du village si on y naît, à condition de remplir ses devoirs communautaires, c’est-à-dire une participation financière pour l’entretien et la construction des mosquées, de bonnes relations sociales…65 Ce mode de vie permet à l’individu de se sentir en sécurité dans une société où les relations conjugales sont aléatoires, nombreuses et fragiles. Comme son identité est définie avant tout par rapport à celle du groupe d’appartenance, sortir de sa communauté le rend plus vulnérable. La vie en société et le partage sont donc très importants. Malgré le fait que l’individu ait une importance très faible parmi le groupe, il est essentiel pour lui de pouvoir moduler cette implication continue, et de conserver quelque peu d’intimité. La possession d’une terre, d’une maison est pour lui essentielle. L’attachement à la terre est profond, et marque l’identité.
Aujourd’hui, en cohérence avec le modèle européen, la société s’individualise. Les familles sont moins élargies (on observe plus de familles nucléaires). L’accès à la scolarisation (de 45 % fin années 70 à 100% fin années 80) favorise l’occidentalisation de la nouvelle génération : ils accèdent à des nouvelles valeurs, et remettent en cause les traditions. Certains relient cet oubli des valeurs et la désertion de l’école coranique (qui inculquait des valeurs de respect aux enfants) à l’augmentation de la délinquance des jeunes. 66
65 66
(Richter, 2005, p. 17) Ibid. p.200
L’homme et la femme : des statuts très différents. Dans la société mahoraise, la femme a un rôle de stabilité face à des relations sociales rapidement changeantes, liées à la tradition polygame et aux absences fréquentes du père. La femme a un comportement relativement sédentaire. Elle a des relations centrées sur les gens de son quartier. L’homme est lui beaucoup plus mobile (visites dans ses différentes familles, travail, amis). C’est logiquement qu’elles conservent la propriété de la maison et s’occupent des cultures vivrières (l’homme peut loger dans plusieurs endroits différents). Le terrain familial est ensuite transmis de mère en fille. La femme reste aujourd’hui propriétaire du logement dans la majorité des cas. Cependant cette matrilocalité n’est pas le témoignage du respect de la femme, mais plutôt un gage de sécurité, tenant compte du fait que les relations de couple sont assez incertaines. La culture polygame est encore largement répandue. Les maris ont souvent plusieurs femmes et habitent chez l’une ou chez l’autre. A titre d’exemple, une femme a en moyenne entre 2 à 4 maris au cours de sa vie, mais un homme peut avoir beaucoup plus de femmes (toutes légitimes). Le mari peut divorcer sans avoir à se justifier, mais il a le devoir moral de répondre aux besoins de ses enfants (bien que dans les faits tous ne respectent pas ce devoir).67
Comme le veut la tradition, le père a toujours le devoir de trouver un terrain à sa fille et d’y construire un logement dans le même village que sa mère. Cette responsabilité est cependant de plus en plus dure à respecter de par la raréfaction du
67
(Richter, 2005)
35
foncier. Lors de la musada, il réunit les hommes de la famille pour pouvoir mener à bien ce chantier.
n’acceptent plus de vivre cloîtrées chez elles jusqu’au moment du mariage. »70
La densification de l’habitat est intensifiée par le modèle de transmission du patrimoine foncier. Cette transmission passe par les femmes. Elles répartissent leurs biens de manière équitable entre leurs filles. La parcelle familiale fait les frais de « division[s] successive[s] »68, afin que chacune ait un terrain et une case. C’est ce qui engendre cette forme urbaine caractéristique des villages mahorais : parcelles étroites en lanières et case construite en bordure de parcelle pour libérer plus d’espace. Après plusieurs générations on remplit inévitablement la parcelle et il faut alors trouver un terrain vierge à construire.
Les jeunes femmes, qui accèdent à de nouvelles valeurs, remettent en question la tradition polygame et la différenciation des rôles entre les hommes et les femmes. Auparavant domaine de la femme, la maison n’était que peu investie par leurs maris. De nos jours la séparation s’atténue. Ainsi les hommes partagent plus leur espace avec le reste de la famille, même s’ils restent encore peu sédentaires.71
« Si la femme reste bel et bien au cœur de l’organisation de l’habitat mahorais, le développement économique de l’île mais aussi l’importance des vagues migratoires ont assoupli le système. » 69
Aujourd’hui les critères de propriété et d’héritage deviennent moins rigoureux. Une part des hommes commencent à réaliser l’importance de l’acquisition du foncier. Après avoir logé leur(s) fille(s), ils trouvent un terrain pour eux (parcelle familiale ou non) et deviennent propriétaires, au détriment des femmes qui n’ont plus cette sécurité de posséder le logement qu’elles habitent. Les femmes venues des autres îles comoriennes n’ont logiquement pas de parcelle familiale et vivent souvent chez leurs maris. « Les jeunes filles quant à elles n’acceptent plus les modes de comportement de la tradition. Elles sont contre la polygamie, elles voient d’un mauvais œil l’indépendance des jeunes adolescents qui vivent dans leur banga, elles
La tradition du « parpaing-épargne » L’extension progressive en autoconstruction a toujours été une coutume à Mayotte. Les maisons jamais vraiment terminées attendent éternellement un dernier coup de pinceau. Cette méthode est radicalement différente de celle que l’on connaît, mais répandue dans de nombreux autres pays (la même habitude est observable au Mexique). Au lieu de construire, ou d’acheter et d’emménager une fois le logement terminé, la famille mahoraise va commencer la construction avec l’argent qu’elle a, puis continue à accumuler du matériel jusqu’à pouvoir poursuivre le chantier. Les nouvelles pièces apparaissent en fonction des moyens du propriétaire et de l’agrandissement de la famille. On a donné à cette méthode le nom de « parpaingépargne »72, en raison de la collecte de parpaings en tas devant la maison, réserve qui s’accroît peu à peu.
70
(Richter, 2005, p. 232)
71
(Grisot, 2003/2004)
72
Ibid.
68
Telle « la mitose des cellules vivantes », Ibid. 69 (Grisot, 2003/2004, p. 48)
36
A cette fin les nouveaux logements sont immédiatement construits avec une toiture plate, les armatures en acier laissés apparentes en attente de l’étage futur. Si ce dernier est érigé, on adjoint à la case un escalier extérieur, qui permet l’indépendance de l’étage par rapport au rez-dechaussée. « Le parpaing est pour la population mahoraise le matériau par excellence, la référence en termes de construction en dur. » (Richter, 2005, p. 32)
Néanmoins cette façon de faire a ses désavantages. Bien que vus par les mahorais comme « symbole de réussite sociale », les parpaings utilisés sont souvent de mauvaise qualité. Laissés dans les intempéries, ils se désagrègent durant la saison des pluies. D’autre part, pour fabriquer en béton, on utilise le sable des plages, ce qui représente un danger pour l’équilibre écologique du lagon et produit un bâti fragile, de qualité médiocre.
FIGURE 13 – EN ARRIERE-PLAN : LA TRADITION DU « PARPAING-EPARGNE »
« Il y a une chose qu’il faut comprendre à Mayotte, c’est que là-bas les gens ne vont pas voir les banques, ils ne vont pas faire des crédits immo. pour construire. C’est rare. Donc on peut remarquer que toutes les constructions sont semblables. Et pourquoi ils font ça en fait ? Parce que dans notre culture, dans la famille, quand il y a une fille c’est à ses parents de lui construire, lorsqu’elle va avoir son mari. Donc c’est pour ça que la bas tu as des constructions en béton, pour anticiper, pouvoir construire par-dessus. Et après c’est dessus qu’on va travailler sur une architecture plus ou moins séduisante… Mais quand tu vois ça comme ça, ça ressemble de loin ou de près aux favelas brésiliennes, mais moi personnellement j’aime pas, je me dis on peut mieux faire, tu vois. »73
73
Extrait d’entretien
FIGURE 14 – DENSIFICATION URBAINE
37
Un taux de logements toujours sur les talons de la croissance démographique Avec l’explosion démographique déjà évoquée, la demande de logement est de plus en plus importante. Malgré une croissance de plus de 30% du parc entre 1997 et 2002, le taux d’habitations « en dur » est toujours insuffisant. Il restant stable, autour de 50% du parc. Par contre les cases précaires en tôle poussent dangereusement sur toutes les collines de l’île, et l’habitat traditionnel, souvent en terre, est oublié. La croissance récente force l’île à s’urbaniser trop rapidement. Les centres urbains (m’jini) attirent de plus en plus d’habitants par rapport au monde rural (liju). On peut citer notamment la zone autour de Mamoudzou, ville la plus importante, qui se construit à toute vitesse. Cela pose de nombreux problèmes : bidonvilles (habités en grande majorité par des clandestins), érosion des sols, manque d’infrastructures, dangers sanitaires…74
également d’un manque d’attention en dépit des besoins croissants.76 L’urgence dans la requalification du parc de logements a éclipsé les questions d’aménagement des espaces publics et paysagers, considérées moins pressantes. Il n’y a presque pas de commerces, d’aménagements... Ces espaces sont pourtant indispensables au renforcement des liens entre les communautés et à la cohésion globale de la société. A cause de la densification intensive des parcelles, les pratiques de fêtes familiales et de cérémonies religieuses ont maintenant du mal à trouver leur place. L’absence d’espaces publics renforce encore le besoin de valoriser l’habitat mahorais. Quels sont les besoins actuels des mahorais en matière de logement ? Comment densifier l’habitat, tout en respectant les coutumes locales, en prenant en compte le foncier de plus en plus rare et cher, et les nouveaux modes de vie de la population ?
Au début des années 2000, les pouvoirs publics s’obstinent toujours à ignorer ce problème. Ils espèrent que le seul renforcement du contrôle des flux migratoires pourra à la longue atténuer le phénomène. Aucun guide n’est mis en place pour diriger l’urbanisme de ces quartiers et aider ces populations en situation d’extrême précarité. Cependant l’effet contraire se produit, et ces quartiers se maintiennent et se pérennisent. Ce phénomène est appelé durcification (amélioration progressive de l’habitat).75 La raréfaction du foncier accentue le problème du logement mais n’est pas seule responsable de l’échec des aménagements mis en place. Il souffre
74 75
(Grisot, 2003/2004) Voir extrait d’entretien 02
76
(Grisot) op. cit.
38
en bon état, sans mauvaises herbes (et d’ailleurs sans autres types de plantes). C’est pourquoi au lieu de frapper à la porte de la case comme on le ferait à l’occidentale, on entre directement dans la cour, en appelant au passage Odi ? (« il y a quelqu’un ?) et en attendant un Karibou ! (Bienvenue !) pour pénétrer dans l’espace familial.
FIGURE 15 – CASE TRADITIONNELLE MAHORAISE
Organisation spatiale traditionnelle de l’habitat mahorais (Nous basons les descriptions de cette sous-partie sur les travaux de S. Grisot (2003-2004) et M. Richter (2005))
Le shanza (1) est la parcelle traditionnelle d’une famille mahoraise, partie du mraba77 et entièrement clôturée. 78 Il possède aux moins deux entrées, une donnant directement dans la case, l’autre sur la cour. La vie se déroulant beaucoup en extérieur, le shanza est l’espace de vie par excellence, maintenu
77
Définition p.33 Le terme shanza, en plus de désigner l’ensemble de la parcelle, désigne également par extrapolation l’espace de la cour, sens que nous emploierons ici. 78
On y trouve habituellement la nyumba (3), case construite en front de rue. L’espace intérieur avant la maison, sur la rue, est très fermé. On protège du regard les activités qui s’y déroulent (repas…), ou on les pratique à l’arrière. On utilise plutôt cet espace pour discuter, prendre l’air, étendre le linge, ou comme espace de représentation à s’approprier (fleurs…), et à montrer, à l’avant de la maison. Nombre de fonctions que l’on retrouve dans les logements en métropole ne sont pas situées dans le nyumba, qui répond surtout aux fonctions de sommeil et de réception, mais dans d’autres parties du shanza. La nyumba est traditionnellement constituée de deux pièces, habituellement appelées « chambres » malgré leur usage polyvalent. Les pièces sont de taille similaire et permettent de disposer au moins deux lits, une table et des chaises. Chacune de ces pièces possédant un accès séparé, il est donc possible de cohabiter dans la même maison sans avoir à passer par l’espace de vie (chambre, salon) de quelqu’un d’autre. Dans les habitations relativement anciennes, le salon/séjour n’est pas considéré comme indispensable et on y dédie une pièce spécifique seulement lorsqu’une chambre se libère. On entre traditionnellement dans la case par la Fuko la m’trubaba (4), littéralement chambre de l’homme. Malgré son nom, cette pièce n’est pas uniquement réservée aux hommes, mais sert de lieu de réception en journée et de chambre à coucher pour le couple la nuit. Contrairement aux habitudes occidentales, c’est une des pièces les plus intimes du logement, la chambre du couple, qui accueille les invités. Ces derniers ne vont pas jusqu’à occuper le lit, préférant s’installer sur d’autres sièges.
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Une porte intérieure relie cette pièce à la fuko la m’trumama (5), la « chambre de la femme », espace plus privé qui sert en général de chambre pour les enfants. Ces deux pièces donnent sur la cour intérieure. Faisant office de transition entre l’intérieur et l’extérieur, la varangue (6) (ou baraza) est un espace couvert mais ouvert, souvent les plus fréquenté de la maison : à l’avant, lieu de réception des invités, à l’arrière rendez-vous pour une sieste ou préparation des repas. Dans un climat comme celui de Mayotte, on comprend que des espaces comme la varangue aient une fonction essentielle, de par sa relative fraîcheur. Pour permettre la circulation de l’air, mais aussi décorer la façade, des claustras sont mis en place au-dessus des ouvertures. De nombreux espaces répondant à des usages variés peuvent être implantés sur le shanza, par exemple sous forme de bangas (case à une seule
FIGURE 16 – LE SHANZA
pièce souvent en tôle), comme la cuisine, ou banga laopishia (7). On peut également y trouver un poulailler (dao la kuhu) (10), un petit grenier (kanya) (9), un potager…. C’est également en ce lieu que l’on fait sa toilette intime, dans le mraba wa sho (8). On se glisse dans cet espace à ciel ouvert par une chicane pour découvrir une dalle en ciment, espace pour se laver ainsi qu’un trou creusé à même le sol donnant sur une fosse sèche qui fait office de toilettes. Le WC, la salle de bains, la cuisine sont donc extérieurs ou, à défaut, donnent directement sur la cour. Il s’agit d’endroits intimes, qui sont un peu à l’écart, et doivent être bien ventilés pour éviter l’arrivée d’odeurs ou de fumées dans la maison. Même si on a une cuisine intérieure, on préférera souvent préparer les repas dans la baraza arrière.
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B / Répercussions de l’évolution des modes de vie sur les modes d’habiter
La surdensification de la parcelle Avec la densification importante de l’habitat, le shanza autrefois au cœur des usages mahorais perd également peu à peu de son importance, et de son potentiel social, englouti par les espaces bâtis. L’usage de la varangue évolue aussi. De lieu de réception elle passe à lieu de circulation et de distribution des pièces, dans le but de rentabiliser tous les espaces extérieurs. On assiste à des agrandissements sauvages des maisons, encouragés par l’augmentation des salaires et réalisés sans permis de construire. Malgré la normalisation du foncier réalisée ces dernières années, les mentalités perdurent.79 C’est également ce manque d’espace au sol qui va logiquement pousser la population à « prendre de la hauteur » 80 en construisant les étages. La parcelle est donc d’abord densifiée à l’extrême horizontalement, avant de considérer la densification verticale. Mais comme ce type d’extension est encore nouveau, il est souvent réalisé de manière « anarchique », entrant en conflit avec la trame urbaine. Cette construction remplace un espace traditionnellement libre ayant le rôle d’une place intérieure et vient remettre en cause le fonctionnement entier de l’habitat mahorais : dans quel espace peut-on mettre en place un rituel religieux, recevoir des amis ou organiser une fête familiale quand on n’a pas plus de place dans les espaces publics que chez soi ? Il faut donc maintenant réfléchir à ces nouveaux usages inévitables, afin de gérer au mieux l’extension dans le milieu urbain, appelée à atteindre le R+3 dans les zones les plus denses. L’agrandissement vers le haut
FIGURE 17 – CASE TRADITIONNELLE, PROJET CONTEMPORAIN AVANT SIM, CASE SIM EN BTC 79
(Abdil-Hadi K., Châteauneuf M., El Mounir M. et al., 2014, p. 68)
80
(Grisot, 2003/2004)
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ne serait donc finalement qu’une suite logique dans l’évolution de l’habitat mahorais. Auparavant isolés en fond de parcelle, les espaces de toilette intimes et la cuisine se sont petit à petit joints au corps principal du bâti jusqu’à en faire partie, parfois en dépit de la ventilation. La cuisine intérieure apparaît dans les usages, mais sert surtout à la cuisson. La phase de préparation est toujours réalisée dans la varangue. L’évolution de ces espaces est largement freinée par le manque d’aménagement des réseaux de la ville. On a encore en grande majorité recours à l’excavation de fosses sèches pour l’évacuation des eaux usées. (Grisot, 2003/2004)
FIGURE 18 – DENSIFICATION MAXIMALE DE LA PARCELLE : DISPARITION QUASI-TOTALE DES ESPACES EXTERIEURS, PLACE CENTRALE DU SEJOUR
Intériorisation des usages et individualisation Les relations entre individus ont tendance à être moins essentielles dans le développement de l’individu. Les conflits intergénérationnels sont de plus en plus fréquents ; il y a des différences de plus en plus marquées dans le mode d’habiter, de penser… Avant seulement partagées avec la famille, les bangas ou les extensions sont maintenant loués à des parents éloignés voire des inconnus dans le but de rentabiliser la parcelle (Figure 20). Le mahorais, qui auparavant connaissait chacun de ses voisins, cohabite donc plus souvent avec des inconnus. La peur d’habiter dans du collectif est fréquemment présente, justifiée par le fait qu’on ne connaît pas ses futurs voisins et par la crainte de nuisances sonores. On ressent ce besoin d’indépendance des différents membres du foyer entre eux et avec des « locataires » éventuels dans l’organisation des logements. Avec l’arrivée de l’électricité, est également venue la télévision, événement qui contribue à diminuer l’importance de la shanza et à cloîtrer les gens chez eux. L’individualisation des pratiques et le repli vers l’intérieur se traduit dans les logements actuels. On remarque par exemple la démarcation systématique d’une pièce de réception. Dans les cases traditionnelles à deux pièces, la pièce de « tout le monde », ancien rôle de la chambre matrimoniale, est devenue la chambre des enfants, ce qui permet de renforcer l’intimité du couple. Dans les logements construits aujourd’hui, le salon est intégré d’office (Figure 18). Il devient présent dans chaque logement et remplace le shanza comme lieu de réception. La chambre parentale conserve son importance, et est encore plus intime, plus grande et avec des fonctions privées comme salle de bains et dressing.
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Intimité et regard de l’autre. Bien qu’ayant un lien très fort avec sa communauté, il est également essentiel pour le mahorais de préserver l’intimité de son foyer (Figure 19). C’est pourquoi la délimitation de sa parcelle, de sa propriété va être si importante, tout comme l’image qu’il renvoie aux autres habitants. Cette limite du shanza se fait systématiquement par une clôture. Les parpaings ou le grillage seront aujourd’hui privilégiés, car considérés plus solides, et plus opaques ont remplacé le bambou et les feuilles de cocotier autrefois privilégiés. La clôture devient ainsi ornement, peinte et décorée de pièces métalliques. L’importance de l’entrée perdure, mais s’est « occidentalisée », devenant portail 81 . Un soin tout particulier est apporté aux couleurs, à l’intérieur comme à l’extérieur. Tout doit être assorti : le carrelage au sol, la faïence dans la salle de bains…
FIGURE 19 – CASE EN PREFABRIQUE, TRES PEU OUVERTE
Dans les maisons les plus chères, on observe le retour de la cour, mais sous une forme différente : le jardin. Le gazon remplace la terre, préféré pour son côté esthétique et pratique lors de la réception : « c’est plus agréable, plus aéré, et plus commode pour un éventuel voulé »82. Dans les foyers les plus aisés, on commence à observer une mise en valeur de l’espace extérieur et de la ventilation. Certains marquent une opposition entre la ville bruyante et chère, et la campagne plus calme, spacieuse et offrant plus de liberté.
Comme nous l’avons déjà évoqué, le parpaing est actuellement largement plébiscité comme matériau de construction par les habitants de Mayotte.
FIGURE 20 – RENTABILISER L’ESPACE GRACE A LA LOCATION DE BANGAS 81 82
(Abdil-Hadi K., Châteauneuf M., El Mounir M. et al., 2014) Ibid. p. 68
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Après cette durcification du bâti dans les années 8090 et l’augmentation du pourcentage de construction en parpaings (construction privée) et en moindre mesure en BTC83 (logement social), on assiste maintenant à une recrudescence des constructions en tôle : de 12% en 1997 à 14,4% en 2002. Selon M.F., les cases en tôle renvoient pour les mahorais une image de pauvreté, et sont de nos jours en majorité habitées par les clandestins. « Tout en tôle, de moins en moins. Il y a par exemple des villes où ça commence à se développer et les maisons en tôle ont pratiquement disparu. On retrouve ça dans les, excuse-moi du terme, les ghettos, les territoires où il y a une immigration clandestine massive, donc on a des taudis. C’est là où on voit que ça continue. »84 Malheureusement avec la popularité du bâti en parpaings, nombre de connaissances traditionnelles acquises par les « bâtisseurs » dans la conception du bâti naturel ont été perdues. Quelques typologies ancestrales persistent dans les villages, parmi les types dénombrés par Jon Breslar en 1978, comme les constructions en trotro (« torchis de terre sur un treillis de bois ou de bambous ») surtout pour les bangas, ou encore le torchi (« technique constructive qui consiste à garnir le treillis de bois non pas de terre mais de cailloux, avec un crépis au mortier de ciment»).85 La construction en terre a aujourd’hui une mauvaise image, et reviendrait à un retour en arrière pour beaucoup de mahorais, qui préfèrent des maisons plus « modernes ». La maintenance des toitures végétales en « chaume ou feuilles de cocotier tressées » est vue comme trop contraignante. On les remplace en général par de la tôle, au détriment de la fraîcheur à l’intérieur de la case.
La SIM, avec son programme de logements en briques de terre crue, a eu le rôle principal dans la déstigmatisation et la repopularisation de la construction en terre. La filière BTC s’est appuyée sur un développement économique local, fondé sur l’utilisation de matière première trouvée sur place. Ainsi, grâce à la construction de nombreuses briqueteries, la terre employée est très peu transportée. Cette filière a été à l’origine de nombreuses formations dans le domaine de la construction naturelle. Elle a restauré des techniques traditionnelles, qui ont pu être transmises non seulement à d’autres professionnels, mais également au reste de la population, et encourager ainsi une autoconstruction qualitative. « Parce que aussi il ne faut pas oublier que à Mayotte il y a un système avec la société SIM, la société immobilière de Mayotte. Elle permet en fait aux familles les plus modestes d’acquérir une maison. Ça pourrait être deux chambres, maintenant même ils font des choses un peu plus élaborées, niveau architecture, au niveau de l’espace, et c’est très intéressant. »86 Une palette de couleurs a été développée en collaboration avec Girard, peintre installé à Mayotte, qui a pris comme point de départ les nombreux tableaux de paysages peints sur l’île. Le simple fait de peindre le logement et de laisser le choix de la couleur au futur habitant a immédiatement rendu ces maisons plus attractives. L’aspect « terre » qui ne plaisait pas a été masqué. Finalement, les habitants réalisent le confort de ces maisons et la brique de terre crue commence à se faire un nom, bien qu’elle soit encore loin de détrôner le parpaing dans l’industrie du bâtiment mahorais.
83
Brique de Terre Crue Extrait d’entretien 85 (Richter, 2005) 84
86
Extrait d’entretien
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Le banga, habitat interculturel ? « … les deux cultures, traditionnelle et occidentale, fusionnent dans une dynamique interculturelle singulière, faisant du Banga un élément essentiel du patrimoine mahorais dans sa double appartenance, comorienne et française. » (Gaillat, 5,6 novembre 2014)
Le banga (« tiens-toi prêt »), case en terre généralement d’une seule pièce, représente traditionnellement l’étape de la puberté pour le jeune homme mahorais, c’est-à-dire une transition entre la vie avec les parents et celle avec la future épouse. Lorsqu’il atteint l’âge de 11 à 12 ans, ce jeune garçon construit son banga à la périphérie du village de leurs parents. Au départ, il s’agit d’éviter la promiscuité forcée entre adolescents de sexes opposés, vivant dans le même espace. C’est pourquoi les filles restent avec leurs parents jusqu’au mariage. Les femmes de la famille ne délaissent pas pour autant les garçons. Le banga est un espace à lui où ils dort, étudie et reçoit, mais ils rentrent avec leur famille pour manger, laver son linge… L’aspiration principale de l’adolescent à ce moment de sa vie concerne la rencontre de la femme qui deviendra son épouse. Une fois construits, ces bangas sont donc recouverts d’inscriptions plus étranges les unes que les autres qui ont pour objectif d’attirer l’attention : « Apparitions d’Inscriptions sans équivoque, issues des cours d’anglais ou d’espagnol… et en français, pas de caractères arabes, très peu de mots en shimaoré »87. On retrouve dans ces écritures la marque de l’occidentalisation : utilisation de langues étrangères, référence à des marques américaines, européennes, à des personnages de TV ou bande dessinée (Asterix, Tintin…), des joueurs de foot, le la musique et des films…
87
(Gaillat, 5,6 novembre 2014)
FIGURE 21 – LES DECORATIONS DU BANGA
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« Le principe du Banga est simple…. La décoration extérieure sert à attirer les filles, et la décoration intérieure à la retenir » Youssouf, jeune mahorais, cité dans (Gaillat, 5,6 novembre 2014)
Cette étape de la vie représente donc pour les jeunes hommes une opportunité formidable de s’exprimer, à un âge où ils en ont grandement besoin. Les bangas sont la matérialisation exubérante des goûts, des passions, des fantasmes, des souhaits de leurs habitants, sous forme d’images affichées au mur, de décoration intérieure, de peintures (énoncés ou dessins…). Ils sont une sorte de symbole de l’affirmation de l’identité propre du mahorais au sein de sa communauté. Ces logements sont éphémères. Ils durent en général 2 voire 3 ans, que ce soit à cause de leurs modes de construction précaires, ou bien de la lassitude des occupants, qui traverse une période de sa vie où ses besoins et ses envies sont en constante évolution. A cause de l’urbanisation, et notamment du dessin du cadastre, cette pratique formatrice tend à se raréfier. Avec la densification des centres et l’étalement urbain, les terrains en périphérie de village se font rares. Cet exemple nous montre comment la densification à l’extrême peut nuire à l’expression des modes d’habiter traditionnels, une autre raison de chercher une solution à ce problème.88
FIGURE 22 – LES DECORATIONS DU BANGA
« Cette gestion sociale de l’adolescence particulièrement efficace qui passait par une prise d’indépendance précoce est remise en cause par la densification des parcelles en milieu urbain, qui laisse de moins en moins de place pour les libertés adolescentes. » (Grisot, 2003/2004)
88
(GBWI Association, s.d.n.l.)
46
« Quels mécanismes vont faciliter et rendre possible la création de cet espace commun nouveau, transculturel et hybride ? » B.S. Llopart, Un espace hybride de communication, (Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, p. 160)
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03 / PISTES POUR LE DESSIN D’UN HABITAT INTERCULTUREL Le savoir que l’on a acquis sur le groupe en question va maintenant nous permettre, en concordance avec les modes d’habiter des usagers, de déterminer les éléments culturels qui doivent être mis en valeur et les espaces correspondants qui doivent être proposés. Nous allons donc confronter ces réflexions aux travaux réalisés sur les évolutions du logement en France89 dans le but de penser l’habitat mahorais, et plus largement l’habitat interculturel en métropole. Les problématiques d’actualité dans la conception du logement mahorais sont-elles transposables en France ? Quels projets tentent problématiques ?
de
répondre
Comment produire un logement adaptable, évolutif et transculturel ?
89
à
ces
abordable,
Et surtout le travail remarquable de Monique Eleb et Philippe Simon (Eleb M.; Simon P., Août 2012), lié aux changements des modes de vie et d’habiter des français : vieillissement de la population, diminution de la taille des foyers (personnes vivant seules ou famille monoparentale), « internalisation » des activités due aux nouvelles technologies et diminution du temps de travail qui font que l’on passe plus de temps chez soi, individualisation de chaque membre du foyer qui vient à des rythmes différents, cohabitation intergénérationnelle…
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A / L’intimité relative : vivre ensemble, mais séparément « Comment réaliser une cohabitation à la fois créatrice de lien social et préservatrice d’intimité ? » (Baillon Q., Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, 2012)
Dans le chapitre précédent, nous avons présenté le fonctionnement de la communauté mahoraise, l’importance des relations sociales et l’individualisation qui a pu être remarquée ces dernières années. Or ce besoin de valoriser la place de l’individu dans un logement de plus en plus réduit n’est-il pas également au cœur des problématiques françaises ? Depuis les débuts de leur construction, la surface des appartements des logements collectifs n’a cessé de diminuer. De 68 m en moyenne entre 1949 et 1981, elle a été réduite à 64 m entre 1982 et 1992, pour aujourd’hui se stabiliser à environ 60m .90 On se retrouve aujourd’hui à acheter un bien immobilier pour le même prix, mais avec une surface moins importante. Comment pourrait-on augmenter la surface du logement, ou en optimiser le confort tout en gardant le même prix ? Cet espace réduit nous laisse-t-il suffisamment de possibilités de plans différents ?
FIGURE 23 – PRINCIPE DE CO-RESIDENCE, ESPACES COMMUNS DESSERVANT LES UNITES D’HABITAT
90
(Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 99)
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Un lieu de vie commun pour une rentabilisation de la surface du logement « Le logement collectif représente un mode de vivre ensemble que je défendrai toujours par rapport au tout individuel et à ses ravages sur le territoire. Mais il est utile d’écouter ce que signifie le désir affiché des Français pour l’habitat pavillonnaire. Ce n’est pas simplement un terrain et une maison loin des autres, c’est un jardin où l’on se repose, où l’on mange, un bout de ciel privé, un espace flexible où les cloisons peuvent bouger, appentis possible. Certains de ces aspects sont transposables dans le collectif. Il reste à ce niveau beaucoup à inventer » Edith Girard citée dans (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 104)
Selon Edith Girard (ainsi que nombre d’architectes), la solution optimale à la densification est la création d’espaces partagés et leur bonne gestion, permettant de transposer les désirs individuels dans l’habitat collectif. La création d’espaces communs qualitatifs encourage les habitants à se les approprier et favorise les rencontres. On peut penser que ce principe de gestion s’applique également aux nécessités de la population mahoraise. La disparition des espaces vastes dans le logement et le manque d’espaces publics pour pratiquer leurs traditions peut être compensé par la création de ces espaces communs, partagés, non pas avec des dizaines de personnes, mais avec quelques voisins proches, et où pourrait être pratiquée la vie en communauté, tout en permettant l’accès à des logements individuels à chaque foyer.
« Je vivais dans un palace ! Faut dire les choses telles qu’elles sont… A Mayotte j’étais dans une grande maison, bien spacieuse, il n’y avait rien qui m’embêtait… Je sais pas, à peu près cent et quelques mètres carrés… […] Puis à La Réunion c’est là que j’ai connu cette galère qui est les chambres universitaires. J’ai dû m’y adapter, et à un moment ça ne m’a pas plu et j’ai pris un 73m . Parce que je ne me voyais pas vivre dans une chambre aussi petite que ma salle de bains à Mayotte. C’est bête la comparaison mais je suis chez moi, dans ma salle de bains, j’ai de l’espace alors que ici dans sa propre chambre c’est comme ça… »91
Les parties privées permettent au couple ou à la famille de s’isoler un instant tandis que les espaces communs proposent les fonctions habituellement réalisées en groupe, moins intimes, comme la cuisine, la réception, ou encore les événements religieux, les fêtes92.
« On peut se risquer à dire qu’il existe une tendance […] à valoriser la solidarité dans une vie commune où les espaces partagés ne signifient pas un partage de vie de couple. On ne miserait plus tout sur celui-ci, vu comme trop fragile et on peut observer l’apparition d’une tendance, celle de familiariser les rapports d’amitié, dans des espaces qui le permettent, avec lieux communs partagés mais intimité protégée. » (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 18)
91
Extrait d’entretien Les moments où l’on vit le plus comme au pays sont les moments de fête : « La fête c’est sacré. » ; « les fêtes sont des fêtes religieuses qui subsistent quoi qu’il arrive. Elles sont des moments privilégiés pour vivre ensemble une certaine authenticité culturelle […] on s’affirme et on se sent plus libre, on vit sa propre identité » Saadia et Leonel, animateurs L.P.S. cités dans Passants, dans des cités… de transit, (Dougier, 1977, p. 23)
92
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Recréer des seuils Afin de créer une réelle qualité dans ces espaces partagés, il est essentiel de marquer la transition du public au privé. La question du seuil reste primordiale de nos jours, tant pour la population française que mahoraise. On a remarqué la disparition progressive d’une entrée démarquée dans les typologies d’appartements (Figure 24). Souvent matérialisée à Mayotte par une varangue à l’avant de la case, tampon entre intérieur et extérieur, cet espace préserve l’intimité en évitant la vue directe vers le cœur du logement et l’infiltration malvenue de l’étranger dans l’intimité de l’habitant. Lorsque l’entrée est absente, l’habitant finit fréquemment par la recréer, grâce à une armoire, un paravent…93
FIGURE 24 – UN SEJOUR OUVERT ET DISTRIBUTIF, SANS ENTREE DEMARQUEE NI SEPARATION AVEC LA CUISINE
L’isolation visuelle par rapport à l’environnement peut également passer par l’attention portée à la maîtrise du vis-à-vis, parfois compliquée dans des cas d’habitats groupés (). Un logement protégé des vues extérieures paraît tout de suite plus qualitatif pour l’habitant. Le projet de la Maison Radu date de 1996. Le but était la mixité sociale, seulement une « hiérarchie non prévue »94 s’est installée. En effet la superposition des typologies induisait des vues d’une terrasse à l’autre, et finalement les habitants se considérant les mieux lotis étaient ceux avec les terrasses les plus privées, sans lien avec le mode d’accès au logement. C’est donc l’intimité du logement qui faisait ici gage de valeur…
FIGURE 25 – DIFFICILE D’EVITER LE VIS-A-VIS DANS L’HABITAT COLLECTIF… 93
(Baillon Q., Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise, 2012) 94 (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 67)
51
« Si chacun s’habitue à sa situation, l’un affirme qu’il lui serait impossible de vivre dans tel autre logement, alors que lui-même est confronté à des vis à vis que d’autres trouvent gênants ». Guy Tapie et al., Cahier III, op. cit. p. 30. cité dans (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 82)
Nous n’avons pas tous le même rapport à l’intimité, c’est pourquoi des vis-à-vis vont gêner certains usagers tandis que d’autres y seront indifférents.
La place de la chambre du couple dans le logement est également discutée. Lorsqu’elle est attenante au séjour plutôt que regroupée avec les autres chambres comme dans la disposition jour/nuit (la plus répandue aujourd’hui), elle permet l’intimité des parents par rapport aux enfants, et laisse la possibilité d’évoluer en bureau, salle de jeux, salon attenant, salle à manger, etc. Cependant cette disposition peut causer une gêne par rapport aux invités, rapprochant la vie intime de la vie sociale. La grande distance avec la salle de bains peut aussi être un problème car il faut traverser le séjour pour y accéder.
La protection de l’intimité passe également par une séparation acoustique performante, point le plus mis en avant par les mahorais concernant leur « peur » du collectif. Il est important, pour se sentir « chez-soi », de ne pas entendre ce qui ce passe chez l’autre… mais également de pouvoir s’isoler dans son propre logement, dans la mesure où des individus ayant des rythmes de vie différents cohabitent sous le même toit (vie privée des parents…). Or l’isolation phonique est encore trop souvent oubliée. 50% des personnes interviewées sont insatisfaites de l’isolation acoustique de leur logement 95 . Dans le cadre de la rénovation énergétique du quartier du Blosne, plusieurs tours ont été isolées par l’extérieur. Cependant on a oublié de prendre en compte l’isolation intérieure de l’immeuble, qui est devenu une véritable caisse de résonnance, ce dont se plaignent aujourd’hui les habitants.
FIGURE 26 – ENTRER DANS SON LOGEMENT
95
Source
52
L’autonomie à l’intérieur du logement « Pour être bien ensemble, il faut pouvoir être bien seul. » (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 20)
Des changements dans les modes de vie comme le vieillissement de la population (induisant une cohabitation intergénérationnelle plus fréquente), ou le retour des enfants au domicile parental (conséquence de la crise économique) ont mis en exergue le besoin d’indépendance de chaque habitant au sein d’un même foyer.
maison, et qu’il n’y a pas de place par exemple, les enfants on peut les aménager pour que l’invité ait sa place. »96 Des typologies pouvant répondre à ce type de besoins existent déjà. Des projets proposent par exemple une chambre indépendante à l’entrée de l’appartement, avec une salle de bains, voire une cuisine, que l’on pourrait parfois même considérer comme un studio à part entière.
Dans la culture mahoraise, l’accueil des invités et de la famille chez soi fait partie des coutumes les plus fondamentales, c’est pourquoi il est avantageux de disposer d’un espace pouvant fonctionner de manière autonome tout en étant relié au corps du logement. Pour fonctionner, l’espace partagé doit être un choix et non une contrainte (il y a des moments où l’on choisit d’être seul et des moments où l’on choisit d’être social, et il faut pouvoir maîtriser ces moments).
« La famille… et surtout, les mahorais pensent toujours aux amis. La chambre des amis. Quand mon papa il a construit une grande maison, parce que il avait les moyens aussi, mais c’est quelqu’un qui accueille beaucoup de gens, donc il a construit en fonction de ça. Il est connu, des amis le demandent de partout. Et là-bas il y a des valeurs religieuses, qui font que, enfin si je peux citer des références… Les textes disent que celui qui croit en Dieu et au jugement dernier, alors qu’il honore son invité. Donc ça c’est vraiment quelque chose qui est ancré dans les mentalités et les principes des gens. Donc quand tu as quelqu’un qui arrive à la maison, même juste de passage, tu fais le maximum pour que cette personne soit honorée. Y compris quand il y a quelqu’un qui doit passer à la
FIGURE 27 – SEPARATION DES ESPACES INTIMES
96
Extrait d’entretien
53
L’agence Erick van Egeraat Associated Architects propose, dans le projet du Monolithe de Lyon, un duplex avec terrasse comprenant une partie que l’on peut rendre autonome : une « chambre et ses annexes » accessible dès l’entrée. Les deux unités « intimes » sont séparées par l’espace séjour cuisine, ce qui renforce encore l’individualisation des habitants. Rue des Maraîchers, l’agence Badia-Berger a construit des logements modulables sous forme d’appartements avec un studio connexe, qui peut être intégré, vendu ou loué à part. On accède aux logements depuis le hall commun, mais aussi par une seconde porte qui relie les deux appartements. Cependant, les vendeurs peu habitués à ce type de logements, n’ont pas saisi le but de cette proposition et ont fini par vendre les appartements et les studios séparément, coupant court à cet essai…
FIGURE 29 – STUDIO DANS UN APPARTEMENT HAUSSMANIEN
FIGURE 30 – AUTONOMIE ET USAGES
FIGURE 28 – APPARTEMENTS + STUDIOS CONNEXES
Au cours de réhabilitations d’appartements, on observe de plus en plus fréquemment la création d’un accès séparé à une partie du logement afin que les différents habitants puissent choisir leurs moment de sociabilité ou d’isolement (les typologies haussmanniennes se prêtent particulièrement bien au jeu : cf. Figure 29)
54
B / Le lien avec l’extérieur Tout en mettant en valeur le besoin d’intimité, le mahorais valorise l’ouverture du logement vers l’extérieur et la ventilation naturelle. Bien qu’il faille prendre en compte la différence évidente de climat entre Mayotte, située dans l’Océan Indien, et la métropole, on peut constater que les envies des habitants sont souvent concordantes : qualité de l’air, envie de grandes « baies vitrées »97…
Pouvoir respirer dans tous les espaces La ventilation naturelle est aujourd’hui au cœur des préoccupations des professionnels du logement, qui valorisent ses bienfaits sur la qualité de l’air intérieur. Les logements traversants sont plébiscités, mais pas toujours faciles à mettre en place. La distribution en est plus compliquée : si elle est intérieure, elle ne peut se permettre de prendre de la place en façade et, si elle est extérieure, il faudra veiller à l’intimité par rapport aux vues des usagers.
Les configurations actuelles de logement se faisant souvent avec une surface réduite, il est difficile de maintenir le lien à l’extérieur dans toutes parties de l’habitation, particulièrement dans le collectif. Ce sont donc souvent la salle de bains et les toilettes qui se retrouvent au centre des appartements. Cette disposition est pourtant en contradiction avec une logique de renouvellement de l’air. Dans l’architecture mahoraise traditionnelle, on fait très attention à la disposition des pièces susceptibles de renvoyer des odeurs (cuisine, toilettes) dans les espaces communs. Parmi les typologies de cuisine proposées aujourd’hui en France, deux s’affrontent : une cuisine fermée, plus intime, et une cuisine ouverte sur les espaces de vie, un espace qui « se montre » 98, qui est mis en valeur, mais qu’il est impossible de fermer pour empêcher la circulation des odeurs ou des bruits, ou encore pour cacher aux invités le désordre laissé par la préparation des repas.
FIGURE 31 –CUISINE, A LA FOIS OUVERTE ET CACHEE ET SALLE DE BAINS ECLAIREE ET VENTILEE NATURELLEMENT
97
Extrait d’entretien
98
(Eleb, 2011)
55
Pour passer d’une vie dehors à une vie dedans : les espaces semi-extérieur « De même, le thème de la double façade qui permet cette distance et cette transition entre intérieur et extérieur, est devenu commun à de nombreux projets, jouant sur deux avantages complémentaires, le confort thermique et l’usage d’un espace privatif extérieur. » (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 153) FIGURE 32 – USAGE D’UNE VARANGUE A MAYOTTE
FIGURE 33 – DES BALCONS-RANGEMENTS
FIGURE 34 – JARDIN D’HIVER/BALCON
Dans un contexte de plus en plus urbanisé l’habitant fait souvent apparaître le désir de garder un contact avec l’extérieur, le jardin, la vue etc. Le retour de la petite fenêtre associé au développement durable, ne plait donc pas forcément aux français, avides de baies vitrées et de soleil. On a donc recherché des moyens pour offrir une pièce semiextérieure, qui fait partie du logement et conserve l’intimité. Le balcon est souvent un espace peu utilisé, car trop étroit, tentative d’extériorité pas vraiment aboutie. Pour beaucoup d’usagers il devient un espace dépotoir, ou de rangement (beaucoup d’appartements manquent de placards). Il est parfois inconfortable, à cause de la densité des bâtiments, la faible insolation, les courants d’airs… Afin qu’il devienne vraiment appropriable, il faut lui donner des dimensions suffisamment généreuses pour qu’il se transforme alors en terrasse, loggia… Pour le protéger, refermons donc ce balcon : nous obtiendrons un jardin d’hiver (ou véranda). « Des rideaux thermiques translucides permettent en effet de protéger du froid les terrasses et les logements largement vitrés. Il serait possible d’obtenir quelques degrés en plus par rapport à la température extérieure, ce qui permet en théorie d’envisager des usages de type « pièce en plus » pour cet espace qui peut également se soustraire à la vue depuis l’extérieur. » (Eleb M.; Simon P., Août 2012)
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Le jardin d’hiver a un rôle de tampon thermique, mais également acoustique, qui isole partiellement des bruits de la rue. Ce dispositif est souvent acclamé en été (fraîcheur, lumière indirecte) mais décrié en hiver (atmosphère lourde, pas assez lumineuse…). Autre espace semi extérieur intime, typique des années 60 : le patio, qui permet un apport de lumière depuis l’intérieur du logement. C’est une manière d’« optimiser l’emprise bâtie » et de « trouver un juste équilibre avec les espaces extérieurs ». La serre entre deux corps de bâti est également une solution pour continuer à vivre à l’extérieur quel que soit le climat. On peut noter qu’il est de plus en plus compliqué d’ajouter un espace extérieur. Le règlement PMR99 et celui concernant les ponts thermiques présentent des normes contradictoires. Pour avoir un accès adapté à un fauteuil roulant, il faut un seuil de porte de moins de 2cm de haut, mais avec cette faible hauteur il est difficile d’éviter l’infiltration des eaux…
« Nous l’avons vu, la modification des rapports intérieur/extérieur dans le logement produit des espaces ayant un rapport immédiat, visuel et physique avec l’extérieur (balcon, terrasse, loggia, cour, jardin), Et c’est souvent aujourd’hui la seule innovation des logements ou encore c’est souvent l’espace qui paraît avoir été le plus étudié dans une opération. Patrick Descadilles maître d’ouvrage social à Nancy insiste sur ce plaisir d’avoir un extérieur à donner aux habitants : "La cellule c’est bien mais il faut que le logement présente une caractéristique spécifique[…]Le luxe vient de l’espace, de la surface en plus et non des prestations. ») » (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 157)
99
PMR : Personnes à Mobilité Réduite. La règlementation accessibilité est disponible sur http://www.accessibilitebatiment.fr/
FIGURE 35 – SERRE, JARDIN D’HIVER, PATIO
57
C / Evolutivité du logement « Plus l’extérieur est 'beau', plus ils en veulent à l’architecte des problèmes internes. Si elle peut être l’objet de fierté, la beauté d’un immeuble est importante mais pas décisive. Les gens achètent de l’affreux. Ce qui leur importe, avant tout, c’est la localisation. C’est pourquoi il faudrait aujourd’hui retravailler sur la flexibilité pour pouvoir adapter son habitation aux turbulences de la vie. » (Eleb, 2011)
L’adaptabilité du logement est une question peu évoquée par les habitants lors de la planification du logement, car ils voient dans ce dernier une certaine immuabilité. Elle est pourtant essentielle pour assurer la pérennité du bâti. Face à des populations très mobiles, le futur du logement est incertain. Quand l’action décidée se concrétisera-t-elle ? La population visée sera-t-elle toujours là à ce moment ? Quels seront les prochains occupants ?
« Cette diversité, même artificiellement acquise, veut ne pas être une esthétique fermée : elle vise à se prolonger par l’activité des habitants, par des ajouts d’abord imperceptibles puis de plus en plus démonstratifs. Il est évident qu’une porte d’entrée retravaillée par l’habitant dans une rangée de maisons identiques est un geste politique dur et peu familier mais lorsque tout se différencie en continu, les interventions timides s’inscrivent avec gentillesse et assurent les relais ; le processus de complexification est déclenché, comme dans un organisme biologique. » (Kroll, 1983)
FIGURE 36 – QUELQUES POSSIBILITES D’EVOLUTION DU LOGEMENT
58
Le plan neutre Le concept du plan neutre100 revient à concevoir des pièces interchangeables, de dimensions similaires, en général 15-16m , qui permettent à l’habitant de choisir la disposition des espaces. On retrouve déjà ce type d’organisation spatiale dans les logements traditionnels mahorais : les deux pièces fondatrices, qualifiées génériquement de chambre, peuvent être interchangées, autonomisées...
Ce rééquilibrage des surfaces semble logique, car on passe aujourd’hui de plus en plus de temps dans le logement, et surtout dans la chambre. Dans le cas où un foyer « non conventionnel » de type colocation, habite l’appartement, il est intéressant de proposer des chambres de même taille et suffisamment grandes pour répondre au besoin croissant d’un espace d’intimité, les espaces communs étant partagés avec plus de personnes.
Selon ce même principe, Florence Champiot choisit de revaloriser l’espace de la cuisine, ainsi que celui de la terrasse, en leur donnant la même surface que le salon (Figure 38). Il est en effet de plus en plus fréquent aujourd’hui d’utiliser l’espace de la cuisine pour de nombreuses autres fonctions que la préparation des repas. Cette pièce est aujourd’hui le lieu de discussion en famille, des devoirs en rentrant des cours…
100
Terme venant de suisse, mais concept déjà utilisé par Henri Sauvage en 1907, boulevard de l’hôpital à Paris (Eleb M.; Simon P., Août 2012)
FIGURE 37 – CASE MAHORAISE AVEC REPARTITION EQUITABLE DE LA SURFACE DES PIECES
FIGURE 38 – DES SURFACES EQUIVALENTES POUR LE SEJOUR, LA CUISINE ET LA TERRASSE
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Décloisonnement et modularité des espaces La « mode » est aujourd’hui aux espaces libres et vastes de type « loft », qui attirent au départ pour leurs grands volumes et leur souplesse, mais qui se révèlent vite peu pratiques quand appliqués à des surfaces réduites. Tous ces dispositifs pour favoriser le décloisonnement deviennent alors autant de stratagèmes pour réduire la surface de chaque pièce… comme dans le projet de Bernard et Marie Bühler, qui regroupent la cuisine (réduite à un simple « placard ») et le séjour afin de ramener les surfaces au minimum admissible.
FIGURE 39 – « CUISINE-PLACARD », SURCHARGEE ET PEU FONCTIONNELLE
L’ouverture des espaces nuit à l’intimité. Dès que plusieurs personnes vivent ensemble, les fonctions se réalisent toutes dans un contexte restreint.
Pour éviter le cloisonnement tout en gardant cette ouverture, il faut la moduler. On peut par exemple jouer sur les cheminements. Ainsi, l’utilisation de demi-niveaux permettra de créer la sensation d’un espace plus vaste et de catégoriser l’espace, d’augmenter la hauteur de plafond par endroits (x1.5), tout cela sans les désagréments d’une double hauteur complète (chauffage et ventilation, mobilité dans l’appartement…). Cette possibilité est néanmoins contrainte encore une fois par les normes PMR : on doit offrir au moins une chambre, un séjour, une cuisine et une salle de bains en continuité de sol. FIGURE 40 – UNE ENTREE MISE EN EXERGUE GRACE A UN DEMI-NIVEAU
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Modularité des typologies
tout le logement. On peut saluer cette attention envers les habitants, mais aussi se demander si elle n’a pas occasionné un surcoût trop important…
Le concept de modularité offre cette même liberté tout en garantissant un cloisonnement réglable des espaces. Dans le plan intérieur, l’élimination de contraintes comme les murs porteurs va permettre à l’habitant de « déplacer » les cloisons et réinventer les pièces comme il le souhaite. Ainsi Nicolas Michelin regroupe les murs porteurs en façade, dans un noyau central de circulation et entre les appartements, afin de laisser une possibilité de réagencement maximale à l’intérieur de ces derniers.
« Il n’y a aucun point porteur dans le logement. Même les logements qui atteignent 120m2, il n’y a aucun poteau dedans. Donc à tout moment on peut bouger les cloisons, faire une chambre de 30m2 si on veut, une plus petite, un bureau ; et j’ai pris des dispositions pour qu’on puisse mettre les salles de bain absolument partout. Donc les gaines sont dans les parties communes et en surabondance, si bien que celui qui veut 4 salles de bain ou la cuisine à tel endroit, parce qu’il estime que pour bien vivre, c’est mieux d’avoir la cuisine dans sa chambre, et bien il peut le faire ».
Prenons un autre exemple. Lucien Kroll a développé dans l’Université catholique de Louvain un système de cloisons mobiles grâce à un plan libéré. Il a très peu servi au départ du projet (seulement pour transformer le secrétariat et un bureau en classe). Dix ans plus tard, le système se montre finalement utile : deux nouvelles classes doivent être créées, sans budget pour faire une extension. « La mobilité allait enfin servir… »101
E. François cité dans (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 114)
La principale limite de ce système est l’obligation de déterminer la position des pièces d’eau lors de la conception des plans, et ceci pour des raisons techniques évidentes : arrivée et évacuation des eaux, prises électriques, ventilation, éclairage… La mobilité des pièces est donc rapidement contrainte : la position de la cuisine peut déterminer celle du séjour et de la salle à manger, celle de la salle de bains force celle des chambres…
FIGURE 41 – DES MURS PORTEURS AU CENTRE ET EN FAÇADE, POUR UN PLAN LIBERE
Edouard François tente de résoudre ce problème en proposant un plan totalement libre pour chaque logement et surtout un atout essentiel : la salle de bains et la cuisine sont déplaçables au même titre que les autres pièces, car les techniques traversent
101
(Kroll, 1983, p. 68)
FIGURE 42 – LOGEMENTS 100% MODULABLES
61
En allant plus loin, on peut proposer des cloisons facilement mobiles qui permettent une évolution quotidienne du logement et une adaptabilité très rapide. Cependant les habitants sont en général peu convaincus par les propositions de ce type, car ces parois ne permettent pas une isolation acoustique suffisante. Il faut aussi faire face au refus des maîtres d’ouvrages, ces solutions étant souvent plus coûteuses et plus difficiles à gérer. Par conséquent, assez peu de constructions de ce type sont à dénombrer en France.
Dans la majorité des cas, on peut noter que les habitants favorisent une séparation visuelle des espaces, qui permet de « choisir de montrer ou cacher, ouvrir ou fermer selon les circonstances ».102
FIGURE 43 – CLOISONS MOBILES QUI PERMETTENT DE SCINDER L’APPARTEMENT EN PLUSIEURS UNITES
102
(Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 107)
62
D / La participation de l’habitant Penser le logement avec l’habitant « L’habitant s’approprie l’espace pour l’adapter à ses besoins et l’accorder avec des modèles socioculturels, moyennant l’introduction de diverses transformations. L’habitant développe sa capacité créatrice dans l’espace qu’il habite, et c’est seulement dans sa manière d’habiter qu’on peut découvrir ses possibilités. L’espace créé par l’architecte est recréé par l’habitant. L’habitant assume cette tâche d’adaptation comme inhérente au fait même d’habiter. On peut toujours « améliorer » le logis, et seulement de cette façon cet espace peut être « parfait » dans le sens d’une adaptation optimale. Mais ce n’est pas un but à atteindre, c’est un processus qui ne finit jamais, puisque les besoins de l’habitant changent. » B.S. Llopart, Un espace hybride de communication (De Villanova, 2007, p. 155)
savoirs et une interdisciplinarité. Le citoyen réalise qu’il est compétent et que son avis a de la valeur.103 A Mayotte, en prévision de son opération de logements, la SIM a effectué une longue série d’études anthropologiques sur l’habitat local. C’est en grande partie ce qui a permis de comprendre l’évolution des usages et des besoins, et de proposer des typologies cohérentes qui ont été facilement adoptées et appropriées.
Inclure les futurs habitants dans le processus de réflexion permet de réévaluer certains stéréotypes présents de manière systématique dans la conception : « l’individualisme, l’exclusion de " l’anormalité ", la sur-réglementation de l’espace et la désolidarisation du corps social ». Cette « philosophie d’intervention » permet de prendre en compte le bilan des expériences passées des habitants, pour ne pas proposer un logement standardisé mais une variété de propositions, une multitude d’options. On peut ainsi proposer un habitat « hors-normes » à toute la population (et pas seulement ceux qui ont les moyens de se l’offrir), et notamment dans le parc social. (cf vente sur plan, Patrick Bouchain).104
Malgré toutes les bonnes intentions que l’on peut avoir lors d’une expérimentation architecturale, on a de grandes chances de se retrouver face au rejet des futurs habitants si on ne prend pas en compte leur opinion.105
FIGURE 44 – ATELIER DE CONCERTATION
L’architecture d’aujourd’hui suppose un travail en complicité entre l’architecte et l’habitant, un allerretour qui donne une architecture singulière, unique pour chaque édifice. L’architecte prend le rôle de médiateur, pour une mutualisation des
103
Avant-propos de Paul Blanquart, directeur du CCI dans (Paul-Lévy F., Segaud M., 1983) 104 (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 36) 105 Ibid pp. 77-78
63
Laisser des moyens d’appropriation, encourager et rendre possible l’autoconstruction L’idée développée ici est celle de livrer un projet brut, « prêt à finir », c’est-à-dire vivable mais où on laisse à l’habitant le soin d’apporter les finitions et/ou la possibilité d’une future extension. « Il faut que ce soit quelque chose qui prenne de l’histoire et qui aille vers un futur, vers autre chose. Quand on fait une maison, je crois qu’il faut s’arrêter au bon moment, il ne faut pas aller trop loin. On livre des projets bruts avec des matériaux qui pourraient suffire tels qu’ils sont. Après, les gens font ce qu’ils veulent. La maison, elle n’est pas pour nous, elle est pour les gens et c’est à eux de l’habiter, c’est à eux de la vivre. Donc il faut leur laisser les moyens de s’accrocher au projet, d’intervenir sur le projet que l’on a fait." A. Lacaton et J.P. Vassal, Une maison particulière, conférence à l’école d’architecture de Grenoble, 1996, cités par A. Debarre, La réhabilitation du pavillonnaire, (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, p. 227)
Il s’agit de proposer un logement « non fini », « non pas au sens où il serait mal fini mais plutôt ouvert pour être terminé ». En plus de laisser des éléments d’appropriation, on pourrait ainsi diminuer son coût. 106
Un logement évolutif et adapté à l’habitant peut aussi être un logement offrant une possibilité d’extension : une pièce extérieure que l’on pourra refermer, une charpente démontable ou un toit plat avec étanchéité amovible pour gagner en hauteur, une dent creuse que l’on pourra remplir (voir le projet d’Elemental ci-contre)… Ce type
FIGURE 45 – L’AUTOCONSTRUCTION ET L’APPROPRIATION DE LEUR LOGEMENT PAR LES HABITANTS
106
52)
P. Bouchain cité dans (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p.
64
d’agrandissement par l’habitant existe dans de nombreuses cultures. Comme nous l’avons déjà vu, à Mayotte une maison n’est jamais vraiment finie…
Il peut également s’agir d’une « pièce en plus »107, laissée libre lors de la conception des plans, dont chacun pourra choisir l’affectation. Les pièces qui ne sont pas aux normes peuvent ainsi être appropriées : « La contrainte de l'inondabilité dégage des espaces à rezde-chaussée qui ne peuvent pas être des pièces à vivre ordinaires. Y bâtir une pièce revient alors à ne pas lui donner d'usage préétabli. Dans les sept maisons et les deux appartements d’angle de Florence Champiot aux Diversités à Bordeaux, outre une grande terrasse qui fait serre (entre 8 et 12m2), les habitants disposent d’un espace à rez-de-chaussée qui peut devenir une buanderie, un espace de bricolage ou de musique (le fameux garage des adolescents) assez vaste d’ailleurs pour y avoir plusieurs activités (il mesure 45m2 pour les T3 et 60m2 pour les T4). »108
travers l’absence de hiérarchisation et l’inventivité de ses auteurs. »109 L’autoconstruction se base sur la mémoire individuelle et collective de l’individu, et la concrétise. Elle est l’expression la plus évidente de l’hybridation des cultures, un moyen de laisser l’habitant nous dire ce dont il a besoin. Ainsi la ZAC de l’Union à Tourcoing présente aujourd’hui des maisons à faible valeur immobilière. Cependant leur requalification au cours des années par des générations d’habitants en a fait des biens à haute valeur culturelle.
Une pièce au rez-de-chaussée en zone inondable peut être rentabilisée. Un espace qui est trop petit pour une chambre peut être adapté à d’autres activités. Officieusement, les garages et les combles deviennent habitables (Cité Manifeste de Mulhouse, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal). Il s’agit de laisser à l’habitant la liberté de s’approprier les espaces dont l’architecte n’a pas pu maîtriser l’aménagement : encore une manière de contourner les règles du jeu… « L’autoconstruction comme processus d’incorporation et de transformation des influences multiples. L’autoconstruction apparaît favoriser le métissage à FIGURE 46 – AUTOCONSTRUCTION D’EXTENSIONS EN COURS A MAYOTTE
107 108
(Eleb M.; Simon P., Août 2012, pp. 147-149) Page ? (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 149)
109 R. de Villanova, Espace intermédiaire et entre-deux, (Eleb M.; Simon P., Août 2012, pp. 240-244)
65
« Nous nous sommes imposés de mêler tous les types de logement. Ainsi nous échappions aux programmes homogènes qui font les villes nouvelles. »
« Les menuiseries, et quelques autres agencements, sont oranges, couleur affichée de l'optimisme architectural, le mur de béton brut est lasuré en vert, couleur qui recouvre également les volets métalliques, et couleur référence des nouvelles valeurs écologiques »
Lucien Kroll parlant de la Mémé
A propos de L. Paillard (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 23)
Une mixité respectueuse
Nous en arrivons donc au dernier point de notre raisonnement qui est sans doute le plus important. Quel meilleur moyen pour l’’architecte de garantir la satisfaction de l’usager que de proposer des logements sous toutes leurs déclinaisons possibles et imaginables : typologies, couleurs, matériaux, orientations, illumination… Si l’on offre le choix parmi des milliers d’options plutôt que de chercher à réglementer, standardiser et catégoriser, on échappera à une architecture uniforme aux plans et façades ennuyeuses, pour arriver peut être à rendre possible une mixité sociale.
FIGURE 48 – PALETTE DES COULEURS DES CASES SIM
FIGURE 47 – COULEURS D’UN QUARTIER SIM
Au premier abord la diversité passe peut être par la couleur, qui dans sa variété donne un caractère différent à chaque logement. Comme nous l’avons déjà évoqué, les variations de couleurs des logements SIM ont permis d’encourager la personnalisation tout en conservant un cadre, car devant suivre une palette déterminée.
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FIGURE 51 – MIXITE DES MATERIAUX FIGURE 49 – UTILISATION RAISONNEE DE LA COULEUR
Autre exemple, les combinaisons de couleurs vives et variées des espaces de rangement donnent un rythme à la façade de l’immeuble « à vélos » de Hérault Arnod Architectes, et identifient les logements. Les larges coursives optimisent les déplacements et encouragent les rencontres.
Rue des Vignoles, à Paris, Edouard François met en place une réelle mixité : typologique (immeuble type « barre », maisons neuves, ou réhabilitées, toitures à hauteur variable et plans différents), matérielle (« terre-cuite, bois, zinc, béton, etc. »). La disposition en face à face le long d’une venelle induit la proximité visuelle et physique, et procure un certain calme à l’intérieur de l’îlot pourtant en centre urbain. L’unification de l’ancien et l’existant s’opère grâce à l’enveloppe, aucune partie du projet n’est délaissée. Cette opération est un succès car le même soin est accordé à la conception de chaque logement. « Il est irrationnel d'imposer des éléments identiques à des habitants divers ; cela les rend identiques, amorphes ou révoltés. » Lucien Kroll
FIGURE 50 – DEUX TYPOLOGIES BIEN DISTINCTES
Un autre projet est témoin de la coexistence de différentes typologies : 50 logements, répartis dans un immeuble blanc de 6 étages (appartements simplex), et au-dessus des maisons de 2 ou 3 étages construites en briques rouges, avec terrasse et/ou patio. La densité très importante (100 logements à l’hectare) permet de rendre ce complexe accessible au niveau du coût. La diversité dans les typologies est ici un atout pour éviter les vis-à-vis causés par une telle densité : les plans ont été très diversifiés (16 plans différents pour 20 logements).
FIGURE 52 – « À LA MEME, POUR ETRE SURS DE N'AVOIR AUCUNE REGULARITE, NI AUCUNE HIERARCHIE, NOUS AVONS TIRE AUX CARTES QUEL CHASSIS DEVAIT VENIR A COTE DE TEL AUTRE. » LUCIEN KROLL
67
68
« Laissons donc la liberté à chacun de se construire un chez soi. » (Grisot, 2003/2004)
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04 / CONCLUSION La notion de respect des cultures peut être très ambigüe. Comment peut-on décider d’accepter certains aspects, mais d’en faire passer d’autres à la trappe ? (« minorisation des femmes », « gérontocratie », « excision », « peine de mort », « crimes d’honneur », des traditions qui peuvent contredire des valeurs « françaises », qui pourraient être la « laïcité », la « monogamie », l’égalité entre tous les citoyens…) La conception du logement ne devrait-elle pas tendre vers un « respect des autres » plutôt que vers un « respect des cultures » ? « Cultural identity is an adaptable organism, varying both within individuals and communities. » (Hadjiyanni, s.l.n.d)
La culture n’est pas le marqueur du groupe mais de l’individu. Ce dernier n’en a pas une seule mais plusieurs : « religieuse, nationale actuelle, nationale passée, politique, syndicale, professionnelle, locale ou régionale », etc. Il lui est essentiel de pouvoir se définir non par la seule appartenance à un groupe culturel, mais par tous les aspects de sa personnalité et de ses relations : « Pour survivre je dois mettre un peu de cohérence dans cette multiplicité d’appartenances. La façon dont je fais la synthèse de mes appartenances multiples définit mon identité individuelle. » N’avons-nous pas tous des valeurs communes, qui nous permettent de cohabiter ? Marion Segaud se pose la question du « minimum culturel » : « Qu’y a-t-il de commun entre un deux-pièces cuisine à Hong Kong ou à Pékin et le même à Londres ou à Paris ? Le « quelque chose » de commun n’a rien
d’évident » 110 . En rédigeant ce mémoire, j’ai pu remarquer de nombreux points communs entre des civilisations ayant des racines culturelles totalement différentes. En venant habiter à l’étranger, les individus s’adaptent, et exploitent la diversité des typologies qu’on leur propose. « Ce sont des personnes et des groupes humains qui se rencontrent, qui peuvent se battre ou dialoguer et évoluer. Certes, les personnes et les populations sont porteuses de cultures, mais elles ne sont pas enfermées dans la culture comme dans un carcan. » 111 Ce ne sont pas les valeurs culturelles qui nous rendent différents mais notre parcours, notre âge, notre taille, notre caractère, notre situation familiale, économique, nos goûts… Il est bon d’introduire une mixité architecturale afin que chacun dans sa diversité puisse vraiment s’approprier son logement. Cette diversité peut fonctionner à condition que tous les habitats soient aussi qualitatifs les uns que les autres. Quand le logement respecte la personne, les habitants sentent qu’ils sont traités dignement, et surtout de façon égalitaire, sans discriminations. « Le problème en France est qu’il y a une accumulation de normes qui mène à une superposition des textes. Malheureusement, cela crée parfois des contradictions qui n’ont pas beaucoup de sens, entre l’acoustique et le thermique, par exemple. Il y a aussi un phénomène de surreprésentation de certains groupes sociaux, comme avec les personnes en fauteuils roulants par exemple, alors qu’il y a beaucoup de manières différentes d’être handicapé. Il y a une sorte de travail de simplification qui s’effectue. Ce qui me semble dangereux, c’est la compréhension du développement durable trop restreinte aux problématiques thermiques et énergétiques. Or, un logement durable ne se résume pas à cela. On a oublié certaines caractéristiques liées au confort, je pense aux
110
M. Segaud, Pour une anthropologie spatiale de la civilisation, (De Villanova, Conjuguer la ville : Architecture, anthropologie, pédagogie, 2007, p. 125) 111 Ibid.
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placards, au cellier, etc. Il s’agit de ne pas maltraiter les gens juste afin d’économiser 3m . Il en résulte des difficultés d’appropriation du lieu. On peut faire beaucoup de choses sur 3m . » S. Benderimad dans (L’habitat face aux évolutions des modes de vie en Europe: quels enseignements ?, 2012)
Les normes PMR ont apporté de nombreuses modifications. Elles ont requalifié l’organisation du logement sans prendre en compte le confort. L’entrée « inutile » ou trop étroite est supprimée, les pièces d’eau sont agrandies au détriment des pièces de vie, l’obligation de disposer d’une chambre accessible fait réduire la surface des autres, les toilettes et la salle de bains ont fusionné en une seule et même pièce pour économiser de la place, tout comme la cuisine ouverte sur le salon, ce qui réduit la taille des deux pièces, etc. Et ceci ne prend en compte qu’une partie du handicap (« handicapé moteur avec fauteuils large »), soit environ 100 000 à 200 000 personnes en France. « Ces propositions ont valeur de mise en garde contre la normalisation généralisée de la société, contre la paupérisation et impliquent une transformation radicale des façons de produire et de valoriser le logement. Transformation qui, il faut bien le dire même si on le déplore, ne concerne aujourd’hui que quelques cercles militants. » (Eleb M.; Simon P., Août 2012, p. 52)
Avec le développement du projet « bâtir le grand ensemble » de l’association Notre Atelier Commun, Patrick Bouchain souhaite « dénormer le logement social » en faisant « parrainer la réalisation d’habitations par des structures culturelles » et en passant par « l’individualisation des logements », car il considère que chacun est différent. Cependant on pourrait avancer que les règles, les normes qui ont été établies symbolisent l’égalité entre tous les habitants, et qu’il est contre nos valeurs de les différencier. Il faut alors trouver un moyen de les adapter sans qu’elles perdent leur valeur symbolique, les « mettre à plat » afin de pouvoir
mieux les adapter. Il faut encore aller plus loin dans ces expérimentations. La question est de convaincre les opérateurs et de demander les idées au grand public. Il faut diffuser ces exemples qui existent, donner confiance aux opérateurs et informer le public « Quand on a vécu dans un appartement extrêmement petit on ne rêve que d’une pièce en plus, et c’est déjà très bien, mais on ne rêve pas d’une autre configuration, et ces autres configuration, dès qu’on les propose aux habitants, ils adorent ça. […] La plupart des habitants ont envie de changer ce mode de vie qui les contraint. » (Dominique Perrault Architecte Urbaniste, Agences Elizabeth et Christian de Portzamparc, MVRDV avec AAf et ACS et al., 4 juillet 2013)
L’avenir de l’architecture du logement dépendra de la capacité des architectes à contourner les normes et les stéréotypes, à expérimenter et surtout à écouter. « La diversité entraîne la créativité, la répétition l’anesthésie. Lorsque l’architecture est homogène, soit parce que son modèle est simplement répété, soit parce qu’elle est issue d’une volonté centrale qui veut la distinguer de son contexte, soit parce qu’elle est « trop bien faite », trop fermée, trop « architecture d’architecte », les usagers s’ajoutent difficilement à elle. Et nous perdons cet immense potentiel de créativité populaire qui transforme lentement l’espace et son expression et maintient l’un et l’autre en vie. Des quartiers nouveaux se construisent ainsi, (parfois admirablement dessinés, mais c’est rare), sans surprise, sans vie perceptible, ennuyeux. Ce sont pourtant les habitants qui font les villes plus que les urbanistes ». (Kroll, 1983)
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Kwaheri, Marahaba mengi ! Au revoir, merci beaucoup !
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Gaillat, T. (5,6 novembre 2014). Le Banga : patrimoine interculturel mahorais ? Colloque PATREC (Patrimoine et échanges : Approches plurilingues et interculturelles en contexte de formation. Saint Denis, La Réunion: Université de la Réunion, Dept FLE. GBWI Association, N. B. (s.d.n.l.). Bangas : Self-Built Houses in Mayotte. Mimar : Architecture in Development(n° 26, pages 12-19). Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Hadjiyanni, T. (s.l.n.d). Culturally Sensitive Housing : Considering Difference. Implications (University of Minnesota), 1-6. Hall, E. (1978). La dimension cachée. Paris: Points, collection Essais. Huddleston, T., Dag Tjaden, J., avec le soutien de Callier, L. (trad. Flamme, M.). (2012). Enquête sur les citoyens immigrés - Comment les immigrés vivent-ils l'expérience de l'intégration dans 15 villes européennes. Bruxelles: Fondation Roi Baudouin et Mixation Policy Group. J. Balicchi, J.-P. Bini, V. Daudin et al. (2012). Mayotte, département le plus jeune de France. Récupéré sur Insee: http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1488#inter7 Kroll, L. (1983). Faut-il industrialiser l'architecture ? Bruxelles: Soa. Liétard V., Betoux C. (mars 2014). Construire en terre mahoraise. Maison de l'architecture en Ile-de-France, Paris: ART.TERRE Mayotte. Musée de l'histoire de l'immigration. (2013). Culture et diversité. Récupéré sur Etablissement public du Palais de la Porte Dorée / Musée de l'histoire de l'Immigration: http://www.histoireimmigration.fr/histoire-de-l-immigration/questions-contemporaines/culture-et-diversite ORIV (collectif). (février 2012). Actualités sur... L'intégration, la promotion de l'égalité et la ville. Bulletin d'information de l'Observatoire Régional de l'Intégration et de la Ville d'Alsace. Paul-Lévy F., Segaud M. (1983). Anthropologie de l'espace. Paris: Centre Georges Pompidou, collection alors :. Richter, M. (2005). Quel habitat pour Mayotte ? : architecture et mode de vie. Paris: L'Harmattan. Verbunt, G. (2011). Penser et vivre l'interculturel. Aix en Provence: Rendez vous de l'international. Verdier, T. (2009). Guide pour la rédaction du mémoire en architecture. Montpellier: Ecole nationale supérieure d'architecture de Montpellier.
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Table des figures Couverture : Montage photo de l’auteur inspiré par le projet Genius Loci d’Anastasia Savinova : http://www.anastasiasavinova.com/genius-loci--collages.html Source des images : https://fr.pinterest.com/ Figure 1 – Du Coca cola jusque dans la tombe .............................................................................................................. 11 CdA Figure 2 – The refugee project, origine des refugiés dans le monde et en France................................................. 15 www.therefugeeproject.org/#/2012 (Capture d'écran) Figure 3 – Flux migratoires Hors et vers la france ...................................................................................................... 17 http://migrationsmap.net Figure 4 – Migrations historiques vers Mayotte .......................................................................................................... 18 Documentation photographique n° 8031 : L' outre-mer français en mouvement (auteur : Jean-Christophe Gay) Figure 5 – Les quatre etoiles du drapeau comorien..................................................................................................... 19 www.drapeauxdespays.fr Figure 6 – Kwassa kwassa surchargé............................................................................................................................. 19 http://www.la1ere.fr/2015/04/21/anjouan-mayotte-la-mer-mediterranee-n-est-pas-le-seul-cimetieremaritime-de-migrants-249613.html Figure 7 – Immigration comorienne vers mayotte ..................................................................................................... 19 https://echogeo.revues.org/7223 Figure 8 – Situation géographique de Mayotte ........................................................................................................... 20 https://echogeo.revues.org/7223l Figure 9 – Etudiants mahorais de Bretagne ................................................................................................................ 20 http://remb.asso-web.com/ Figure 10 – Cours de langue, danse traditionnelle sur l’espace public, stands d’exposition : rencontre interculturelle................................................................................................................................................................... 22 http://remb.asso-web.com/ Figure 11 – La rencontre interculturelle ........................................................................................................................27 CdA Figure 12 – Système mahorais de regroupêment des parcelles ................................................................................ 33 Richter, M. (2005). Quel habitat pour Mayotte ? : architecture et mode de vie. Paris: L'Harmattan. Figure 13 – En arrière-plan : la tradition du « parpaing-épargne » ..........................................................................36 Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Figure 14 – Densification urbaine .................................................................................................................................. 36 Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Figure 15 – Case traditionnelle mahoraise....................................................................................................................38 Richter, M. (2005). Quel habitat pour Mayotte ? : architecture et mode de vie. Paris: L'Harmattan. Figure 16 – Le Shanza........................................................................................................................................................39
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Besombes et Perrot, Habitat Mahorais Tome 3, 1982, page 16 dans Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Figure 17 – Case traditionnelle, projet contemporain avant sim, case sim en btc.................................................40 http://archnet.org/system/publications/contents/754/original/FLS0764.pdf?1384748611 Figure 18 – Densification maximale de la parcelle : disparition quasi-totale des espaces extérieurs, place centrale du sejour ............................................................................................................................................................. 41 Richter, M. (2005). Quel habitat pour Mayotte ? : architecture et mode de vie. Paris: L'Harmattan. Figure 19 – Case en préfabriqué, très peu ouverte ...................................................................................................... 42 http://bahari.canalblog.com/ Figure 21 – Rentabiliser l’espace grâce à la location de bangas ................................................................................. 42 Richter, M. (2005). Quel habitat pour Mayotte ? : architecture et mode de vie. Paris: L'Harmattan. Figure 21 – Les décorations du Banga ........................................................................................................................... 44 GBWI Association, N. B. (s.d.n.l.). Bangas : Self-Built Houses in Mayotte. Mimar : Architecture in Development(n° 26, pages 12-19). Figure 22 – Les décorations du Banga .......................................................................................................................... 45 GBWI Association, N. B. (s.d.n.l.). Bangas : Self-Built Houses in Mayotte. Mimar : Architecture in Development(n° 26, pages 12-19). Figure 23 – Principe de co-résidence, espaces communs désservant les unités d’habitat .................................. 48 Dominique Perrault Architecte Urbaniste, Agences Elizabeth et Christian de Portzamparc, MVRDV avec AAf et ACS et al. (4 juillet 2013). Modes de vie et typologies - Quelles nouvelles "formes d’habiter" pour répondre aux attentes des grands parisiens ? Colloque Habiter le Grand Paris : six grands sujets en débat. Paris: Carrousel - Maison de Production. Récupéré sur http://www.ateliergrandparis.fr/expohabiter/themes/modes.php Figure 24 – Un séjour ouvert et distributif, sans entrée démarquée ni séparation avec la cuisine.................... 50 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 25 – Difficile d’éviter le vis-à-vis dans l’habitat collectif…............................................................................ 50 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 26 – Entrer dans son logement .......................................................................................................................... 51 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 27 – Séparation des espaces intimes ................................................................................................................. 52 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 28 – Appartements + studios connexes ............................................................................................................ 53 http://www.badia-berger.com/carre-philidor-paris/ Figure 29 – Studio dans un appartement haussmanien ............................................................................................ 53
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Dominique Perrault Architecte Urbaniste, Agences Elizabeth et Christian de Portzamparc, MVRDV avec AAf et ACS et al. (4 juillet 2013). Modes de vie et typologies - Quelles nouvelles "formes d’habiter" pour répondre aux attentes des grands parisiens ? Colloque Habiter le Grand Paris : six grands sujets en débat. Paris: Carrousel - Maison de Production. Récupéré sur http://www.ateliergrandparis.fr/expohabiter/themes/modes.php Figure 30 – Autonomie et usages .................................................................................................................................... 53 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 31 –Cuisine, a la fois ouverte et cachée et salle de bains éclairée et ventilée naturellement ...................54 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 32 – Usage d’une varangue à Mayotte ............................................................................................................... 55 http://bahari.canalblog.com/ Figure 33 – Des balcons-rangements ............................................................................................................................. 55 Baillon Q., Agence d’urbanisme pour le développement de l’agglomération lyonnaise. (2012). L’habitat face aux évolutions des modes de vie en Europe: quels enseignements ? Lyon: Olivier Frérot (dir.). Figure 34 – Jardin d’hiver/balcon ................................................................................................................................... 55 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 35 – Serre, jardin d’hiver, patio ..........................................................................................................................56 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 36 – Quelques possibilités d’évolution du logement....................................................................................... 57 Dominique Perrault Architecte Urbaniste, Agences Elizabeth et Christian de Portzamparc, MVRDV avec AAf et ACS et al. (4 juillet 2013). Modes de vie et typologies - Quelles nouvelles "formes d’habiter" pour répondre aux attentes des grands parisiens ? Colloque Habiter le Grand Paris : six grands sujets en débat. Paris: Carrousel - Maison de Production. Récupéré sur http://www.ateliergrandparis.fr/expohabiter/themes/modes.php Figure 37 – Case Mahoraise avec répartition équitable de la surface des pièces ...................................................58 Richter, M. (2005). Quel habitat pour Mayotte ? : architecture et mode de vie. Paris: L'Harmattan. Figure 38 – Des surfaces équivalentes pour le séjour, la cuisine et la terrasse.......................................................58 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 39 – « Cuisine-placard », surchargée et peu fonctionnelle ............................................................................59 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 40 – Une entrée mise en exergue grâce à un demi-niveau ............................................................................59 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer.
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Figure 41 – Des murs porteurs au centre et en façade, pour un plan libéré ...........................................................60 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 42 – Logements 100% modulables .....................................................................................................................60 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 43 – Cloisons mobiles qui permettent de scinder l’appartement en plusieurs unités ............................. 61 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 44 – Atelier de concertation................................................................................................................................ 62 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 45 – L’autoconstruction et l’appropriation de leur logement par les habitants ........................................ 63 L'entrée surnommée : Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Figure 46 – Autoconstruction d’extensions en cours à Mayotte ............................................................................... 64 Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Figure 47 – Couleurs d’un Quartier SIM ....................................................................................................................... 65 Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Figure 48 – Palette des couleurs des cases sim............................................................................................................. 65 Grisot, S. (2003/2004). La case SIM : vie d'un modèle d'habitat adapté. Aix en Provence: Institut d'Aménagement Régional. Figure 49 – Utilisation raisonnée de la couleur ........................................................................................................... 66 http://herault-arnod.fr/projets/ Figure 50 – Deux typologies bien distinctes ................................................................................................................. 66 Eleb M.; Simon P. (Août 2012). Entre confort, désir et normes : le logement contemporain (1995-2010). Paris: Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de la Mer. Figure 51 – Mixité des matériaux: ................................................................................................................................ 66* http://www.edouardfrancois.com Figure 52 – « À la Mémé, pour être sûrs de n'avoir aucune régularité, ni aucune hiérarchie, nous avons tiré aux cartes quel châssis devait venir à côté de tel autre. » Lucien Kroll ................................................................................. 66 http://strabic.fr/Kroll-Bouchain-etc Figure 53 – Plan dessiné par M. F. durant l’entretien ................................................................................................ 79 CdA
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Extraits d’entretien
pas travailler dans le milieu bancaire mais développer autre chose.
01
-
« Alors, bien sûr qu’au niveau de la culture ça ne sera pareil. Tout simplement parce que du fait que je ne sois plus dans le même environnement, je côtoie d’autres personnes qui ont d’autres cultures donc forcément je dois m’adapter. Il y a des pratiques que je n’ai pas ici, comment dirais-je, l’espace pour les pratiquer, et également certains aspects de la culture mahoraise qu’on ne peut pas se permettre de mettre en avant ici, au risque que les autres ne nous comprennent pas.
-
Tu penses à quelque chose en particulier ?
Alors, là-bas on a ce qu’on appelle les dahira, c’est-àdire que ce sont des chants, des poésies, qui sont chantés et dansés en plein air. Tu fais ça ici, tu as la police derrière toi tout de suite : « Ecoute, qu’est-ce que tu me fous là… »! Et même souvent la tenue : quand je vais à la mosquée là-bas le vendredi, je suis bien habillé, comme les Saoudiens. Ici tu peux constater qu’en allant à la mosquée par exemple, on est soft, sans rien, comme ça, un jean, voilà on est habillé normalement comme ça.
-
D’accord, et ça c’est ton choix à toi, ou c’est tout le monde ?
Non, c’est un choix parce que des fois je vais comme ça, mais quand tu es un dans tous tu te repères très vite. Du coup c’est juste pour ne pas attirer le regard, donc je me fonds dans la masse…
-
Du coup tu penses plutôt rester en métropole, retourner à Mayotte ?
Non, enfin la métropole c’est une étape. Ma destination elle est ailleurs… que ça soit à Mayotte, peut-être à proximité… mais ici je suis de passage. C’est ici que j’ai été formé. Dès que j’ai fini mes années de master, je suis de suite parti travailler làbas, dans une filière de la Société Générale. Donc maintenant je suis de retour, pour emmagasiner le maximum d’expérience, et puis repartir, et même
Tu as déjà des projets ?
Oui oui, beaucoup de projets, il y en a qui sont déjà sur les rails. On aide aussi des chefs d’entreprise, des commerçants à Mayotte à se structurer, on les aide à importer, justement des matériaux de construction, comme par hasard ! »
02 « L’occidentalisation de Mayotte est conditionnée par une autre chose, qui est la pression démographique. Et la pression démographique, ce n’est pas la population de Mayotte elle-même, mais ce sont les populations issues de l’immigration. Donc face à ce flux migratoire, on doit avoir les structures pour permettre à ces gens-là de vivre dans des conditions dignes. C’est ce qui nous a poussé en quelque sorte à adopter le modèle occidental. Mais ce modèle il est dangereux, parce qu’il dénature l’île. Quand tu quittes l’Europe pour aller à Mayotte, ce n’est pas pour revoir les mêmes choses ! Mais c’est plutôt pour voir le côté sauvage de l’île, tout ce qui fait son charme, sa beauté. Donc trop d’occidentalisation peut amener a moins de… tu vois ce que je veux dire. Donc c’est l’île qui perd de son sens en quelque sorte.
-
En fait il faudrait trouver le moyen d’accueillir ces populations, avoir un équilibre, tout en respectant les modes de construction plus traditionnels ?
Voilà… enfin après les constructions traditionnelles, chacun peut construire comme il l’entend comme il le souhaite, une belle maison, avec les normes européennes, occidentales, mais ça reste une maison individuelle. Mais pas des gros bâtiments, des grosses tours pour accueillir tout le monde. A un moment, quand tu vas à Mayotte ce n’est pas ce que tu as envie de voir. Tu as envie de voir le ciel bleu, le soleil, et puis du vert partout. Des belles plages, et pas de construction autour. Voilà, en tout cas, c’est ça ma vision. La question de
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l’occidentalisation de Mayotte, elle est à double tranchant. »
03 « - Et avant d’arriver… tu étais aussi dans un appartement ? Je vivais dans un palace ! Faut dire les choses telles qu’elles sont… A Mayotte j’étais dans une grande maison, bien spacieuse, il n’y avait rien qui m’embêtait… Je ne sais pas, à peu près cent et quelques mètres carrés…
-
Tu sais si c’était une maison en parpaings, tôle… ?
C’était en parpaings oui, en dur, béton. Puis à La Réunion c’est là que j’ai connu cette galère qui est les chambres universitaires. J’ai dû m’y adapter, et à un moment ça ne m’a pas plu et j’ai pris un 73m . Parce que je ne me voyais pas vivre dans une chambre aussi petite que ma salle de bains à Mayotte. C’est bête la comparaison mais je suis chez moi, dans ma salle de bains, j’ai de l’espace alors que ici dans sa propre chambre c’est comme ça et…
grand salon ici, la cuisine ici, et, bon alors à peu près comme ça, mais ici, il y avait un hall ici, avec des baies vitrées pour avoir vraiment la vue, ce qui fait que quand on rentre ici, là il y a une porte d’entrée, il y a un couloir qui mène directement dans le hall. Là aussi une entrée, couloir… Bon ici c’est un petit espace où il y avait les escaliers pour aller à l’étage. Puis là tu longes aussi un grand couloir, qui rejoint un hall. Voilà. C’est pour ça que je dis, j’avais un palace.
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C’est sur après quand tu arrives dans la chambre étudiante, ce n’est pas la même chose !
Ah oui, ah oui ! Là j’avais la salle de bains déjà qui faisait plus de dix mètres carrés hein ! Et puis on arrive là-bas avec ça… »
Chambre
Chambre
WC
Entrée côté rue
Chambre
(…)
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Et avant à Mayotte tu avais un grand jardin, des grands espaces extérieurs ?
Alors nous, c’est un modèle un peu à l’occidentale. Une grande maison, mais il y avait un grand hall, meublé, ce qui fait que quand on n’était pas chacun dans sa chambre ou au salon, tout le monde se retrouvait dans le hall. C’est même pas à l’occidentale, c’est à la française, parce que ici je n’ai pas vu ça.
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Ça te dérange de me faire un petit dessin pour m’expliquer ?
Alors, faut que je me souvienne de la maison, bon je ne suis pas architecte hein… Alors là par exemple on avait une chambre… et tout de suite encore une à maman, un petit couloir ici. Donc là j’avais une salle de bains, un petit machin ici, deux chambres encore ici, un petit couloir encore. Et puis là il y avait un
SDB
Chambre Séjour
Cuisine
Entrée côté jardin Chambre
FIGURE 53 – PLAN DESSINE PAR M. F. DURANT L’ENTRETIEN
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