LE PATIO DE LA MAISON OCCIDENTALE CONTEMPORAINE, ENTRE CONCEPTION INTROVERTIE ET EXPÉRIENCE EXTRAVERTIE, LE REFLET D’UN PARADOXE AU XXIÈME SIECLE
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Avant propos Ce mémoire de fin d’études en architecture propose de nous montrer jusqu’où nous pouvons pousser l’analyse architecturale et comment elle diffère selon les points de vue : professionnel de la construction, habitant, spécialiste en sciences humaines etc.
lequel les futurs architectes commenceront à exercer. L’analyse s’intéresse tout autant à la lecture constructive que l’on peut faire d’un espace qu’à sa lecture symbolique et subjective de l’architecture. Que peuton lire dans les murs? Qu’ont-ils à nous apprendre sur la manière de concevoir et de vivre l’architecture en 2020?
Ce travail de recherche cherche à s’inscrire dans le plus vaste domaine de la compréhension du langage de l’architecture. En tant qu’architecte en devenir, il me paraissait intéressant d’analyser un archétype d’espace encore utilisé au XXIème siècle afin de mieux comprendre les problématiques et enjeux actuels : en d’autres termes, comment mieux comprendre le monde architectural dans
ÉTUD. MOLES-ROTA Marine UNIT E0932B - MÉMOIRE 3 - MÉMOIRE INITIATION RECHERCHE
SRC
DE.MEM TUT.SEP
NOWAKOWSKI F. FIORI S.
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MARCH ARCH
S10 DEM AMTH 19-20 Promo
Ce travail est une invitation de lecture pour tout ceux qui chercherait à aller au delà de la compréhension objective, matérielle et physique du plan architectural, et qui s’intéresserait à des questions plus philosophiques, sociologiques et subjectives concernant l’art de concevoir l’espace.
Fig. 1 : première de couverture, oeuvre d’art «Courtesy of Nature» , une installation artistique contextuelle d’ Anouk Vogel et Johan Selbing au Jardin de Grand Metis au Canada. Cette oeuvre encadre la vie végétale existante dans un espace clos. Au lieu de créer un nouvel objet à placer sur les terrains d’exposition existants, c’est l’espace d’exposition qui est conçu autour d’éléments vivants tels que les arbres et les fougères. Cette installation artistique invite à repenser le lien avec la nature. -inhabitat.com © ENSAL
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SOMMAIRE GÉNÉRAL DU MÉMOIRE
VIVRE DANS LE PATIO : UNE RÉINTERPRÉTATION SUBJECTIVE DES BESOINS HUMAINS analyse anthropologique d’un lieu de vie sensible à l’extérieur
ORGANISATION DES IDÉES ET PAGINATION
p. 42-61
2.1 HABITATION ET RECONNECTION: QUELS OUTILS ?
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INTRODUCTION : LE PATIO COMME SUJET DE RECHERCHE
p.08-19
a) Définition de la science des sens : la phénoménologie b) Pourquoi étudier la phénoménologie avec l’architecture ?
- Justification du choix du sujet
2.2 LA RECONNECTION SENSIBLE ET SYMBOLIQUE
- Retour sur les origines de l’archétype d’espace «patio»
a) Le rôle de la nature : entre bien-être et thérapie b) Les matériaux bruts : les stimulis primaires
- La nouvelle définition contemporaine du patio -Le patio face au contexte occidental du XXIème siècle
2.3. LA RECONNECTION À NOTRE HUMANITÉ
-Annonce de la problématique choisie et des sous-questionnements
a) Le patio comme lieu de face à face b) Le patio comme une pièce de vie supplémentaire c) Le choix d’aménagement des habitants : entre évasion et souvenirs
-Premières hypothèses de réponse - Corpus d’études : choix des disciplines étudiées -Annonce du plan d’analyse suivi
2.4. LE PATIO RACONTÉ : ENTRETIENS ET VISITES
a) Le patio, un lieu d’épanouissement entre souvenirs et projections b) Le patio raconté et dessiné par ses habitants
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LE PATIO ET SON RAPPORT AU LIEU : analyse architecturale d’un espace complexe
p. 20-41
1.1 L’ANALYSE CONSTRUCTIVE D’UNE ARCHITECTURE INTROVERTIE
a) Pourquoi l’envie d’introversion pour les habitants du XXIème siècle ? b) Les techniques de mise à distance proposées par le patio : concevoir un lieu intime c) Entretiens d’architectes et d’habitants comme compléments d’analyse
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RETOUR CRITIQUE : ENTRE ESPACES CONÇUS & VÉCUS
3.1. LE PARADOXE PETIT ESPACE ET GRANDE OUVERTURE D’ESPRIT
a) Fermer l’espace pour mieux se projeter dedans et au dehors b) Le patio : un espace hétérotopique ?
1.2. QUAND L’EXTRACTION PERMET LA LIBERTÉ , L’ORIGINALITÉ ET L’EXPÉRIENCE
a) Le patio comme point de départ constructif de la maison b) Originalité d’organisation spatiale : une mise en mouvement centrifuge c) Le ressenti d’un espace centrifuge sur les habitants : l’expérience de vie atypique 1.3. RECRÉER UN MICROCOSME MINIATURE IDÉAL ET ACCESSIBLE
a) Un environnement naturel à expérimenter à sa portée b) L’art de l’exposition dans le patio : analogie au terrarium idéal
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3.2. IMPACT DU CONTEXTE CONTEMPORAIN : LES LIMITES
a) Le mauvais usage du verre : l’effet vitrine b) La maladresse de la manipulation végétale 3.3. LES LEÇONS À TIRER D’UNE TELLE ARCHITECTURE
a) Apprendre à laisser de coté le dualisme en architecture b) Respecter un microcosme pour ensuite mieux respecter le monde c) Le patio encourage une nouvelle éthique du « care » 5
p.62-85
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CONCLUSION : LE PATIO COMME EXPÉRIENCE
p. 86-97
- Bilan de l’analyse constructive et de l’analyse anthropologique - Réponse finale à la problématique - Ouverture proposée : analogie à la cabane autour de l’arbre -Remerciements
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ANNEXES
p. 98-118
- Études de cas bourguignonnes - Bibliographie Fig.2
- Table des illustrations
archdaily.
com
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INTRODUCTION : LE PATIO COMME SUJET DE RECHERCHE Justification du patio comme sujet d’étude
Pour aborder la question de l’architecture des maisons contemporaines à patios, il convient de retracer un court historique sur l’origine du patio. Nous reviendrons ensuite sur le fait que le patio est encore présent dans nos architectures contemporaines occidentales du XXIeme siècle. Nous poursuivrons donc avec une présentation du nouveau contexte d’utilisation du patio : celui de l’ère contemporaine pour enfin définir une nouvelle définition du patio. S’en suivra ensuite l’énonciation de la problématique choisie ainsi que la méthode de travail suivie. Dans un mémoire liant l’architecture à l’humain et à son mode d’habiter, il semblait intéressant de pouvoir analyser des phénomènes contemporains, accessibles par études de cas directes, où les habitants pouvaient s’exprimer, enrichissant ainsi
L’architecture, c’est ce qui a toujours fait et qui continuera de faire ce lien entre l’homme et l’environnement. Le métier d’architecte, même s’il doit avoir une connaissance du passé constructif extrêmement poussée, est un métier de terrain où l’on doit sans cesse ré-interroger ce qui est fait et ce qui doit être fait. Être architecte, c’est en ce sens répondre aux besoins humains. C’est un métier fait par des hommes et pour des hommes. Il paraîtrait même que l’on peut lire l’histoire des hommes et de leurs temps à travers l’architecture de leur maison : « La géométrie est un outils pour analyser le monde » 1 disait Heidegger, un philosophe allemand du XXème siècle. La question sociologique est, elle, indissociable du métier d’architecte. Dans une profession qui évolue de jour en jour et qui tend vers une forme de pluridisciplinarité, ce mémoire de recherche se propose donc de mener une réflexion liant deux points de vue d’analyse. Nous ferrons donc appel au point de vue constructif de l’architecte créateur d’espaces et de géométries et au point de vue anthropologique du sociologue analysant « l’habiter ». Ces analyses seront menées au travers un exemple d’archétype d’espace où la part de création de l’architecte est finalement tout aussi forte que la part de création de l’habitant : le patio. Le choix du « patio » comme objet d’analyse révèle d’un premier constat quant à son rapport au site. À l’école d’architecture, les étudiants apprennent à intégrer soigneusement leurs bâtiments. Le patio avec son caractère «fermé sur lui-même» semble évoquer tout le contraire d’une intégration contextuelle!
Retour sur les origines de l’archétype d’espace «patio»
Le mot « patio » est d’origine espagnol et nous vient du XVe siècle. Il serait issu du latin “patere”, qui signifie “être ouvert” 2 . Le patio se définit de manière universelle comme un «archétype d’espace intérieur à ciel ouvert, de plan carré, au centre d’une habitation, ayant un rôle fonctionnel et principalement de représentation. Il est en général bordé d’une galerie ouverte de circulation. » 2 Ses origines architecturale sont ancestrales : des vestiges d’espaces centraux ouverts ont été relevés il y a déjà près de 6.000 ans en Mésopotamie.
La Grèce et la Rome antique adoptent ce modèle avec deux sortes d’espaces extérieurs découverts: le péristyle et l’atrium des villas 3. Mais c’est véritablement à la chute de l’empire romain, que l’on découvre d’autres sortes d’espaces extérieurs dans le sud de la Méditerranée et autour de l’Espagne qui sont plus proches de l’appellation «patio». C’est principalement le besoin d’aération qui justifiait l’emploi du patio auprès des civilisations méditerranéennes. La configuration spatiale du patio en forme de cuvette génère une sorte de microclimat. L’air frais qui s’y rassemble la nuit repousse l’air chaud vers le haut, autrement dit vers l’extérieur. Ainsi, l’été, une température agréable est conservée pendant un long moment, d’autant plus que la cour est protégée de l’ensoleillement une bonne partie de la journée grâce aux ombres portées des murs périphériques. Il lutte contre le phénomène des îlots de chaleur et permet un confort plus agréable avec ses possibilités multiples de ventilation.
Fig.3
Ce type d’espace a généré et configuré l’habitat autour de lui. Distributif pour les autres pièces de la maison, le patio renvoi à l’esprit communautaire de ces peuples mauresques et espagnols centrés sur le partage des tâches, et de la vie en groupe. Le patio hispanomauresque est devenu un véritable espace de vie appartenant à l’habitation et représentatif de la manière d’habiter. C’est le lieu où l’on se repose, où l’on prépare le repas ou encore où l’on entrepose des biens de la maison. Véritable lieu de bien-être qui rassemble les habitants, le patio s’est vu doté de bassins, de citronniers afin d’apporter de la fraicheur et de la convivialité. «On y fait toutes les activités de l’eau : vaisselle, lessive, c’est là que se trouve la réserve d’eau autrefois remplie par les porteurs d’eau ou dans les puits à citerne.
On y cultive des plantes grimpantes parfumées dans des bacs, on s’y repose aux heures chaudes sur des matelas faciles à installer, on peut y faire de la musique.» 3 Cet espace représente également toute l’importance qui est donné à l’intimité familiale mais permet surtout de protéger les femmes des regards des étrangers, une nécessité dans la culture marocaine. Le patio central protège des regards extérieurs en proposant peu d’ouvertures et donc une véritable introversion constructive. Le patio est une forme d’espace qui a su répondre aux coutumes des populations locales tout en luttant contre un climat rigoureux. Nous verrons par la suite que si son rôle climatique s’est perdu au XXIème siècle, ses qualités constructives ont perduré les siècles.
1. Bonicco-Donato C. Heidegger et la question de l’habiter : Une philosophie de l’architecture. Marseille: PARENTHESES; 2019. 205 p. 2. Encyclopédie unniverselle - https://www.universalis.fr/
3. Abdulac.S. Les maisons à patios :Continuités historiques, adaptations bioclimatiques et morphologies urbaines- ICOMOS Paris 2011 Fig.3 : photographie personnelle. Les Jardin de l’Alcazar, Séville, Espagne
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Les patios historiques ont quelque peu perdu de leur fonction avec le temps. Les progrès techniques et architecturaux concernant la ventilation des maisons, mais aussi la hausse du tourisme ont dénaturé l’authenticité des édifices. Aujourd’hui, il reste encore quelques patios traditionnels au sud de l’Espagne et au nord de l’Afrique. Au XVIII et au XIXème siècle, l’habitat à patio reste une bonne solution architecturale à mettre en place dans les pays à climat méditerranéen afin de construire de manière dense tout en faisant profiter aux habitants d’un espace extérieur. Des architectes et urbanistes modernes comme Écochard on continué de développer cette forme. L’habitat à patio est devenu en quelque sorte, un type d’habitat universel répandu dans une diversité de régions géographiques, de climats, de sociétés et de cultures.
Dans la société occidentale, en Europe centrale et du Nord, les architectes modernes ont vu un intérêt dans son réemploi malgré un type de civilisation nouveau et pour des solutions autres. Le patio géométrique a apporté des solutions fonctionnelles à la desserte de l’espace et a permis de jouer le contraste entre extérieur et intérieur. Son coté modulaire attire dans une société en perpétuel changement : « L’architecture d’aujourd’hui doit être modulable, évolutive, et l’ambiguïté fonctionnelle du patio comme espace supplémentaire dans la maison, est un véritable moyen d’expression de nos nouveaux modes de vie. » 5 disait l’architecte catalan José Luis Sert . Le patio permet également de s’ouvrir sur les questionnements modernes : le lien avec l’extérieur, la recherche de continuité entre intérieur et extérieur qu’ont traité des architectes comme Tadao Ando ou encore Mies Van Der Rohe… La question des ambiances est aussi une notion qui apparait, et qui devient un centre d’intérêt des architectes : le patio devient un objet de questionnement esthétique. Au XXIème siècle, plus au nord de l’Europe, la forme « patio » est visible un peu partout dans le monde et notamment en France. Cet objet patrimonial continue de vivre, et même si les formes et les usages divergent, le patio transmets encore des valeurs de bien-être. Nous verrons que, bien que datant de plusieurs millénaires ancestraux, le patio continue d’être une source d’inspiration à notre adaptation au monde d’aujourd’hui et de demain. Si le modèle architectural a été réinterprété, réadapté à la société moderne pour répondre à la recherche d’intimité, aux performances d’ambiance demandées , aux besoins d’utiliser des matériaux contemporains et écologiques, le patio continue de transmettre une certaine fascination quant aux idées qu’il véhicule.
Fig.4
« Certains Nordiques, séduits par l’idée du patio, ont tenté de le transporter dans leur climat. Las ! On en revenait au cloître, tant la plupart des saisons interdisaient de vivre l’espace de plein air. On en revenait à vitrer la circulation, on tournait autour de la cour. » 4 Cette citation tirée d’André Ravéreau, vient perturber la réalité historique du patio. Il critique ainsi la réinterprétation moderne et contemporaine de cet espace qui a perduré au travers des siècles.
Ainsi ce travail se proposera pas d’étudier le patio en tant que patrimoine hérité
4. Ravéreau A, Roche M. Le sens et l’équilibre : Chapiteaux du monde méditerranéen. Bez-et-Esparon: Etudes & Communication Editions; 2004. 165 p. 5. BORRAS ML. Sert, arquitectura mediterranea. Barcelona: Barcelona, Ed. Poligrafa,; 1975. Fig. 4 : La trame Ecochard de Michel Écochard, architecte et urbaniste français, dans les Carrières Centrales à Casablanca. archnet.org
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de l’Europe méridionale ou encore de vanter ses qualités bioclimatiques, mais de comprendre « qu’est-ce que le patio » à l’ère contemporaine occidentale. Pourquoi est-il encore présent des situations géographiques lointaines de son bassin de naissances et à une époque ou la ventilation ne nécessite pas son utilisation? Que signifie-t-il pour les constructeurs et pour les habitants ? Pour quelles raisons fascine-t-il au point d’en faire un sujet de recherche ?
PATIO : « patio : cour intérieure à ciel ouvert d’une maison espagnole ou de type espagnol. » 8 PATIO : « Cour intérieure d’une maison de style andalou, à ciel ouvert, souvent entourée d’arcades, dallée avec un bassin central. » 9 PATIO : « Espace découvert clos autour duquel sont disposées, et sur lequel s’ouvrent les diverses pièces d’une habitation. » 10
La nouvelle définition contemporaine du patio Aujourd’hui, au XXIème siècle, en Europe central, et plus précisément en France, le contexte est bien différent. Les valeurs traditionnelles de l’habiter se sont généralisées, les techniques d’isolation et de ventilation ne rendent plus le patio indispensable à une bonne aération de l’habitat. Pourtant il continue de se manifester sous des formes moins vernaculaires mais toujours présentes. Si les valeurs hispanomauresques ne sont plus transmises, peut-on encore le nommer patio? Qu’est-ce qui définit le patio au XXIème siècle ? Comment le distinguet-on de la cour ?
COUR: « Espace bâtiments ». 11
découvert
entouré
de
Il est intéressant de noter qu’aujourd’hui il n’existe pas UNE mais DES définitions du patio dans les dictionnaires. Selon les sources, les explications varient et finalement aucune ne semble vraiment définir le terme d’une manière claire et efficace. Très souvent la notion de cour est utilisée pour définir le patio, or s’il existe deux termes différents, c’est bien que les deux archétypes d’espaces ne présentent pas les mêmes caractéristiques :
Ainsi, le patio tire son origine de l’organisation bien spécifique de la cour espagnole comme nous avons pu le voir plus haut. Ainsi, d’un point de vue strictement géométrique et constructif : le patio semble encore être aujourd’hui une pièce de vie à l’extérieure. Sa petite taille et son aspect privé le distingue de la cour classique : en effet, ce sont souvent les murs d’un même et unique propriétaire qui encercle le patio. Il y a une réelle continuité des murs. Cette position plus ou moins centrale provoque une organisation particulière qui se manifeste par un plan dit « centrifuge » : toutes les pièces de l’habitation semblent s’organiser autour, ou en fonction de lui, principalement pour l’apport lumineux qu’il apporte. C’est un vrai cœur domestique.
COUR : « Espace découvert, entouré de murs, de haies ou de bâtiments. Ce qui est attenant a une maison ou à un édifice. » 9 COUR : « Espace découvert, entourés de murs ou de bâtiments, faisant partie d’une même habitation, d’un édifice administratif, scolaire etc. qui souvent, s’ordonne autour d’elle. » 10
PATIO : « Cour intérieure fermée d’une maison individuelle ; le patio est en principe de plan carré, et souvent bordé d’une galerie d’accès aux différents locaux d’habitation. Syn. ancien : atrium » 7
7. Jean de Vigan, Dicobat , « dictionnaire général du bâtiment » Disponible sur http://data.rero.ch/01-R005424735 8. Le petit Robert 9. CNRTL 10. Larousse 11. La langue française . Disponible sur «https://www.lalanguefrancaise.com/»
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Si nous avons pu définir le patio en tant qu’objet isolé en faisant appel à sa géométrie il est aussi important de retenir que le patio touche à l’habitat, au domestique, à l’intimité et donc au « subjectif ». Au fur et à mesure du travail, on se rend compte que dans la description d’un espace, la géométrie et les caractéristiques physiques sont finalement toute aussi importantes que l’ ambiance du lieu. En effet, le patio incarne des idéologies propres à la phénoménologie. Le rapport au ciel et à l’extérieur naturel provoque de nombreuses réactions personnelles. Il y a une idée d’intimité propre à chaque individu. C’est souvent le côté « petit, privé, intime, zen » qui ont distingué le patio de la cour pour ses habitants. Enfin d’après des connaissances personnelles ainsi qu’un solide socle de définitions théorisées par la langue française, nous pourrions donc définir le patio comme :
Le patio face au contexte occidental du XXIème siècle Mais alors, dans quel contexte prend place cette forme contemporaine de patio? Si le mémoire ne peut pas se permettre d’analyser tous les phénomènes sociaux, sociétaux et architecturaux de notre ère, il est quand même primordial de faire un brève constat sur les éléments clés du XXIème siècle qui semble en lien plus ou moins directs avec le forme d’habitation à patio. Ces éléments contextuels seront confirmés dans la suite du mémoire : soit par leur influence sur la géométrie constructive, soit par leur influence sur la manière de vivre le patio. Nous verrons que le patio émet une forme de réaction par rapport à ces éléments de contexte. Notre société actuelle se montre tiraillée par des vices tout droits sortis de l’Epoque Moderne ( comme l’hégémonie visuelle, la société de consommation), mais aussi par des besoins contemporains : le besoin de revenir à quelque chose de plus humain, d’artisanal, de végétal dans un début de transition écologique. L’homme contemporain vit dans une société dichotomique où il cherche à évoluer, à se surpasser… Le patio répond-il à cette envie de surpasser une architecture contemporaine peu appropriable et figée dans du béton blanc? Finalement sont-ce ces constats contemporains qui influent notre perception du patio? Quelle est la véritable signification de l’utilisation du patio au XXIème siècle? Qu’est-ce que ce petit espace a à nous dire?
‘’ Un espace de vie, intimiste, à ciel ouvert, le plus souvent végétal, clos par les murs d’un même propriétaire et sur lequel s’ouvrent les pièces de l’habitation. C’est cette dernière caractéristique qui différencie le patio de la cour intérieure : la nature de sa fermeture. Le patio est délimité par des pans de murs, vitrés ou non, qui appartiennent au même propriétaire qui recrée donc ce côté intime, cocon, une ambiance indispensable à la nomination « patio » ‘’.
Cette définition synthétique choisie dans ce travail de mémoire, aura un premier impact sur le choix des études de cas mais pourra venir se renforcer et se compléter au fur et à mesure du travail. En effet, il a paru intéressant de demander à chaque personne rencontrée, leurs points de vue quant à la qualification de l’espace « patio » afin de généraliser et de confirmer cette première hypothèse de définition.
• La recherche d’échelle humaine et d’accessibilité. C’est une notion en vogue en ce moment dans les mondes urbains : l’échelle et la métrique du pas humain. L’humain cherche à renouer avec les qualités primaires de l’habitation mais aussi à participer à sa mesure au processus de construction. L’Homme primitif a toujours utilisé son corps comme une mesure pour construire. En architecture cela s’est traduit chez Le Corbusier avec l’utilisation de son modulor 12 . «Le corps sait et se souvient. Nous sommes le diagramme des fonctions d’habiter une maison.» disait l’architecte moderne. 12
Aujourd’hui les habitants d’une ville, d’une maison, se sentent bien dans des constructions dites «à leur échelle». Dans les nouveaux quartiers des villes occidentales du XXIème siècle : on voit de plus en plus de bâtiment R+1 ou R+2 apparaître. On parle de logements intermédiaires et non plus de grandes barres de logements collectifs. Des éco-quartiers voient le jour : limitant les grands déplacements et incitant aux pratiques écologiques, ils replacent l’habitant en position d’acteur. Le patio, en apportant un « extérieur » à la portée de ses habitants, semble s’inscrire dans cette démarche d’une architecture dite « plus humaine », à petite échelle, plus contrôlable. Mais est-ce vraiment parce que le regard est cadré entre les murs protecteurs du patio que cela le rend accessible et protecteur? Le patio n’a-t-il été créé que dans le but d’apporter un extérieur dont ses habitants puissent connaitre les limites et en faire le tour en quelques pas pour se sentir maîtres des lieux ?
Fig.5
semble proposer le patio en proposant un apport végétal, écologique à ses habitants… Cependant nous observerons que ce geste n’est pas aussi bienfaisant qu’il semble l’être. En effet, depuis le commencement de son aventure terrestre, l’homme a construit des abris. Il se réfugiait dans des grottes pour échapper à une nature subie, et vue comme brutale. Au fil des siècles, l’exode rural et certaines formes d’architecture ont éloigné l’homme de cette nature. Il l’a alors enfermés dans des formes préfabriqués, artificielles, prévisibles… « Eloignée, manipulée et maîtrisée par la technologie et la technocratisation de la vie, la nature a été reléguée aux confins de la vie , réduite aux paysages champêtres, aux forêts, aux parcs, aux réserves naturelle» 14. Ce qui correspond finalement à de « l’anti-naturel ». Le mot «naturel»se caractérisant par ce qui est produit de manière autonome, par opposition à ce qui est fait artificiellement par l’homme. 15 Dans le patio, à travers la matérialisation d’un extérieur, pourrait-on alors parler d’une forme d’assouvir une forme de domestication et de supériorité sur la nature? Ou d’un simple souvenir d’un prétendu âge d’or où l’Homme vivait en harmonie avec elle?
• La crise écologique et le besoin de nature et de reconnexion au site : En parlant de lieux et d’extérieurs : l’autre élément qui contextualise ce travail de recherche est la question fondamentale de la nature. Nous sommes des êtres urbains à 80 % en France en 2017 d’après les données de la banque mondiale du peuplement.13 « Nous sommes aujourd’hui des êtres éminemment urbains transportant notre urbanité partout même dans la forêt » 14 disait Marco Cesario, écrivain et philosophe. Cependant, la question de la nature en ville revient en force avec les questions de l’écologie et de l’éco-construction posées en ces temps de crise écologique dès le début du XXIème siècle. La question d’un retour aux racines, aux énergies moins polluantes et primaires fait surface. C’est la solution que
12. Corbusier L, Claudius-Petit E. Vers une architecture. S.l.: Editions Flammarion; 2008. 253 p. 13. Donnée disponible sur : «http://banquemondiale.org/» 14. M.Cesario, ‘‘Nature et architecture: le sens phénoménologique de l’habiter’’ in Younes C. Perception - Architecture - Urbain. Gollion: Infolio; 2014. 348 p. 15. D’après le Dictionnaire de l’académie française. Disponible sur «academie.atilf.fr» Fig.5. Installation artistique contextuelle d’ Anouk Vogel et Johan Selbing au Jardin de Grand Metis au Canada.Image disponible sur Inhabitat.com
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Aujourd’hui avec l’avènement de la transition écologique et les mesures prises dans la construction autour des matériaux durables, on assiste à des transformations internes de l’architecture et de l’urbanisme. Façades et toits terrasses végétalisés, potagers urbains, jardins partagés apparaissent. Dans ce processus, on commence à faire de nouveau face au premier rôle de l’architecture : mettre en relation l’homme et son environnement. Mais jusqu’à quel point cela peut-il aller? L’Homme peut-il mettre de la nature partout ? Finalement en voulant apporter de la nature, l’homme ne «dé-nature-t-il pas»? L’architecture contemporaine actuelle est une architecture qui se détache de son site, de son lieu, de son contexte expliquait Céline BoniccoDonato, auteure et maître de conférence à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble. Elle énonce qu’aujourd’hui on a d’un coté les starchitectes plus soucieux de faire un geste artistique spectaculaire avec des projets sculpturaux dupplicables dans le monde et de l’autre : des bâtiments identiques formatés par différentes normes et indifférents au contexte dans lequel ils s’implantent. 16 La maison à patio rentret-elle dans l’une de ces catégories ? Finalement quels liens un bâtiment centré sur son patio, donc introverti, entretient avec son site ? Le patio est-il un morceau du site naturel réinséré à l’intérieur de la maison ou une totale dé-contextualisation?
du visuel dans la société occidentale.17 Ses idées datent d’il y a presque un demi-siècle, pourtant cet auteur est visionnaire puisqu’on retrouve les mêmes préoccupations aujourd’hui : la société contemporaine est toujours en proie a l’hégémonie du sens visuel et ceci se retrouve dans l’architecture. Le développement proéminent du sens visuel ne date pas de la modernité. Dans la Grèce ancienne, les grecs avaient l’habitude de se fier à leurs yeux. Le philosophe Grec Heraclitus a d’ailleurs écrit « Les yeux sont de plus fidèles outils que les oreilles pour témoigner de la réalité » 18 . Petit à petit, la vision a infiltré les habitudes de perception, de pensée et d’action de la civilisation occidentale. Le premier temps fort a été lors de l’invention de la perceptive, qui a centré les attentions autour de la vue, innovant avec des illusions et jouant de cette nouvelle possibilité trompeuse et esthétique. Juhani Pallasma parle même de « l’institution d’un paradigme occulo-centré » 19. La vue associée à la lecture, était vue comme le sens noble, tandis que le toucher, l’odorat et le goût étaient associés aux sens primaires et pauvres. Ensuite, à l’ère moderne, avec l’arrivée de la télévision, de la publicité, le monde fait face à un nouveau mode de consommation d’image. Heidegger disait : « L’événement fondamental de l’âge moderne est la conquête du monde comme image » 20 en parlant de la production d’images de masse et de la manipulation photographique. David Harvey confirmait ce sentiment de société de consommation aussi visible dans le monde des médias en citant que «les avalanches d’images vues dans les moyens de communication numériques écrasaient les lieux, les rendant accessibles à tous». 21 L’usage des lieux et des espaces deviennent tout aussi disponibles aux usages éphémères que n’importe quel autre produit. Aujourd’hui nous sommes tous capables de reconnaitre l’exactitude face à
• L’hégémonie visuelle et son impact dans l’architecture : Par cette indifférence au paysage ou au contraire la volonté de vouloir le surpasser, se manifeste un autre problème contemporain datant déjà du siècle dernier : celui de l’omniprésence du contrôle visuel et de l’oeil dans la société. Juhani Pallasmaa est un architecte et philosophe finlandais de la seconde moitié du XXème siècle passionné par la signification et la symbolique du matériau ainsi que par la phénoménologie en architecture. Dans « Le regard des sens », il analyse l’influence
16. Bonicco-Donato C. Heidegger et la question de l’habiter : Une philosophie de l’architecture. Marseille: Parentheses; 2019. 205 p. 17. Pallasmaa J. Le regard des sens. Paris: Editions du Linteau; 2010. 18. Heraclitus/Kahn. The Art and Thought of Heraclitus: An Edition of the Fragments with Translation and Commentary: Cambridge University Press; 1981. 354 p. 19. Pallasmaa J. Le regard des sens. Paris: Editions du Linteau; 2010. 20. Heidegger, « La question de la technique », dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, 2008. 21. Harvey D. The Condition of Postmodernity: An Enquiry into the Origins of Cultural Change. Oxford England , USA: Wi-
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ces exemples concrets tirés de la vie quotidienne : l’emballement esthétique pour les publicités, la culture du spectacle ou du tourisme comme consommation des lieux, l’accroissement de la méfiance face au non-visible (développement des cameras de surveillance)... En effet, ce sens visuel matérialise cette envie de contrôle, cette volonté de pouvoir. Il y a, dans la vision, une forte tendance à saisir, à figer, à sécuriser, à contrôler... La consommation télévisuelle, informatique, numérique a explosé ces dernières années : 3h30 passées en moyennes sur les écrans par jour en France et 7h aux USA… 21. L’architecture contemporaine dite d’avant gardes, consiste davantage à satisfaire l’oeil plutôt qu’à répondre aux questions humaines existentielles, créant ainsi une sorte d’autisme architectural. Outre l’architecture, la société contemporaine elle-même dérive vers une sorte de distanciation. Elle perd de sa sensualité : les œuvres parlent d’intelligences conceptuelles plutôt que de parler à nos sens. Dans le monde occidental nous commençons à prendre conscience de ces sens négligés. Cette conscience nouvelle est aujourd’hui mise en avant avec force par de nombreux architectes du monde entier qui tentent de re-sensualiser l’architecture en jouant de la matérialité, la texture, le poids, la densification de l’espace et la lumière.
Fig.6
On assiste à un véritable bouleversement chez l’homme du XXI ème siècle : l’habitant cherche à renouer avec quelque chose à sa portée, à sa mesure, quelque chose qu’il pourrait contrôler. Il cherche à bénéficier d’une vie en ville tout en possédant un extérieur ( le jardin s’associant à l’idée d’une bonne condition de vie). Ce besoin de nature et de revenir aux valeurs fondamentales, intervient après le pic de société de consommation et de société visuelle. Finalement dans l’architecture de la maison à patio, l’architecte propose-t-il une architecture à taille humaine qui offre un extérieur végétal en toute circonstance ? Le patio se révèle-t-il être une solution en recréant un environnement idéal contrastant ainsi avec un contexte qui n’est plus en adéquation avec ses besoins?
D’après les premiers éléments énoncés: l’accessibilité, la matérialisation du site et l’hégémonie du sens visuel : ne pourrait-on pas voir le patio comme une vitrine donnant sur un extérieur formalisé ? Le patio serait un archétype d’espace purement visuel donnant finalement plus de plaisir à l’œil qu’aux autres sens?
21. Harvey D. The Condition of Postmodernity: An Enquiry into the Origins of Cultural Change. Oxford England , USA: Wiley-Blackwell; 1991. 392 p. Fig. 6 Montage photographique critique du photographe contemporain Victor Henrich. Critique de la place trop intrusive de l’oeil en architecture et des façades faites pour plaire esthéthiquement parlant. - Disponible sur : www.archdaily.com/780381/vic- tor-enrichtransforms-archi tectural-images-into-optical-illusions. 2013
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D’autres sous-questions permettront de structurer le travail et de limiter le corpus disciplinaire :
Annonce de la problématique choisie et des sous-questionnements Le questionnement général de ce travail de recherche interroge le nouveau rôle du patio contemporain mais aussi la fascination qu’il peut exercer. Si l’espace du patio est encore une réponse technique à un besoin de lumière, quelles manières d’habiter suggère-t-il ? Quelles vertus anthropologiques pouvons-nous donner au patio qui justifierait son utilisation encore très présente aujourd’hui ? Sa présence au sein d’une architecture contemporaine introvertie, pose indéniablement la question d’un nouveau rapport au contexte, à la société et même au monde. Cet archétype architectural semble influencé par la société contemporaine. À moins que l’architecture de la maison à patio ne semble vouloir lui échapper en se fermant sur ellemême... Le but de la recherche est de mettre en évidence le paradoxe autour du patio : petit espace introverti par sa géométrie, le patio se révèle être grand par l’objectif que ses habitants lui fixent.
- Comment expliquer le paradoxe autour de l’introversion physique, petitesse géométrique mais l’extraversion symbolique pour les habitants du patio de la maison contemporaine? - Notre société dichotomique actuelle avec ses vices sur l’hégémonie visuelle et en pleine transition écologique, émet-elle un certain jugement ou soumet-elle une influence quant à la manière de concevoir ou de vivre l’architecture à patio? - Quelles sont les caractéristiques de cet espace qui peuvent nous faire voir le patio comme objet caricatural, reflet d’une société très visuelle ou encore comme une réponse sensorielle mise à disposition dans une époque en quête d’expérience et d’accessibilité?
Dans ce mémoire nous allons analyser la nature de la relation entre la forme physique (indispensable lorsque l’on veut analyser un espace) et la liberté de l’appropriation habitante : soit le lien entre forme concrète et réaction inconsciente humaine. La problématique que nous vous proposons de suivre au fil de ce mémoire, sera la suivante :
- Qu’a-t-il à nous dire sur les besoins des Hommes à propos de l’architecture contemporaine? Hypothèses de réponse
Pour répondre à cette problématique et à ces questionnements qui émergent d’une telle question, plusieurs hypothèses de réponses sont nées, liées à des suppositions mais aussi à des connaissances personnelles. De part son inventivité et sa créativité d’aménagement, le patio semble être un véritable microcosme propre à chaque habitation. On serait tenté de répondre que par sa première fonction de puits de lumière, le patio rend sa pertinence et sa fonction indispensable. Ce statut « structurant » dans la construction le met en position de fascination : les pièces sont connectées à lui dans une valeur presque spirituelle. Ensuite, d’un point de vue plus subjectif, sensoriel et habitant, le patio pourrait être une réponse « vivante » à une architecture contemporaine
Au XXIème siècle occidental, en pleine transition écologique et à l’heure où l’humanité cherche à redonner du sens à sa manière de concevoir et de vivre, dans quelles mesures concevoir un espace paradoxal tel que le patio dont sa géométrie laisse penser le contraire de ce qu’il est réellement ?
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en manque de sens et de sensation. Ainsi, en ce sens le patio pourrait-être, par sa géométrie, un objet révélateur des problèmes du siècle et par sa manière de le vivre, il pourrait être une solution proposant une nouvelle manière d’habiter au XXIème siècle.
La prise en compte du discours d’architectes connus mais aussi d’architectes plus modestes permettra de conserver une neutralité et d’émettre un propos à la fois technique destiné à des spécialistes de la construction ainsi qu’un discours plus accessible. De plus, les analyses concernent aussi bien les constructions neuves que les réhabilitations contemporaines ( le facteur «nouvelle construction» n’étant pas exclusif dans ce travail de recherche).
L’habitation à patio semble finalement être la matérialisation architecturale d’une reconnexion sensorielle pour aider l’homme contemporain à retrouver sa place dans le monde. Finalement, une géométrie aussi intime est peut être nécessaire pour mettre en place une sorte « d’expérience sensorielle »… Le rapport «forme - usage» est peut-être plus important que l’on ne le pense dans l’architecture des maisons à patio! Cette hypothèse sera la principale réponse que nous tenterons de confirmer afin de comprendre dans quel mesure concevoir un espace paradoxal.
Dans une approche humaine et anthropologique, il est aussi indispensable de laisser la parole à des sociologues et des philosophes pour parler des notions comme l’habiter ou encore la phénoménologie : cette science philosophique qui analyse les phénomènes perçus. De plus, mener des enquêtes auprès des habitants a semblé indispensable pour vérifier leur rapport quant à la manière d’habiter le patio, leur rapport avec l’environnement... Ce travail de recherche sur l’habitat domestique s’appuiera donc sur quatre études de cas dans la région Bourguignonne. Ces familles ont volontairement accepté d’ouvrir les portes de leur habitation et de répondre à un questionnaire. Par le biais de visites commentées, il s’agit de mettre en comparaison plusieurs patios et d’observer s’ils répondent aux hypothèses formulées précédemment. Ils ont été choisis car ils présentent chacun une forme d’originalité : le premier patio rendant possible une réhabilitation, le second permettant la réalisation d’une construction neuve, le troisième s’identifiant à un jardin artificiel et le dernier recréant toutes les conditions d’un jardin méditerranéen.
Corpus d’études : choix des disciplines étudiées Pour répondre aux questionnements et vérifier ces hypothèses : il convient de mener une véritable analyse de l’archétype d’espace « patio ». Cette première étude observerait la morphologie , la géométrie et le rapport au lieu existant. Il conviendrait aussi de mener une analyse concernant les ambiances conçues, vécues et les modes d’habiter. Ces analyses seront organisées sous deux parties : une première forme d’analyse partant de l’extérieur pour aller vers l’intérieur ( du monde vers le patio) et une autre forme d’analyse qui partirait du patio pour aller au-delà des murs et s’étendre vers la relation à l’extérieur. Cette méthode choisie permet de nuancer le propos en évitant une vision comparative trop dualiste, qui opposerait deux points de vue : geste architectural à propos du patio VS appropriation habitante. En parlant des points de vue, pour ce travail il est important de faire appel à des textes théoriques d’architectes des XX et XXI siècles qui pourront nous faire part de leurs intentions dans la conception architecturale.
Les points de vue «habitants» sont fondamentaux car ils sont témoins d’une expérience de l’architecture. S’interroger sur sa manière d’habiter l’espace est dans la capacité de tous. Le philosophe Heidegger disaient qu’habiter et bâtir prennent place parmi les choses « qu’on mérite qu’on y pense » 22 : c’est à dire que ce sont des objets philosophiques. Ceci justifie donc l’appel à un corpus pluridisciplinaire pour ce mémoire.
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Annonce du plan d’analyse suivi
Afin de mener à bien le travail de recherche, le mémoire s’organise en trois parties. Les deux premières réinterrogeront l’archétype «patio» face à son site dans un premier temps, ainsi qu’ à ses habitants dans un second temps afin de terminer vers une mise en confrontation plus générale du patio face aux problèmes du siècle et un retour sur son coté paradoxal.
Finalement dans une dernière partie, le mémoire mettra en évidence que c’est par le juste équilibre entre la technique géométrique de l’architecte et la possibilité totale d’appropriation sensorielle et symbolique habitante, que le patio justifie et démontre la pertinence de son paradoxe. Cette dernière partie proposera également un retour critique sur les limites des caractéristiques physiques du patio. Cellesci énoncées en première partie, si elles sont poussées à l’extrême, peuvent complètement nuire aux effets sensoriels bénéfiques du patio. Nous arriverons finalement à l’idée que le patio est un objet qui nous extrait du monde pour finalement mieux nous reconnecter à lui. Cela passe par la re-création d’un microcosme propre à chaque individu : le patio. L’analyse de cet espace ouvre des nouvelles perspectives vers une conception de l’architecture pluridisciplinaire et résolument faite avec ses habitants. L’architecture de la maison à patio est un exemple d’une architecture qui se voudrait plus ludique et plus expérimentale en proposant une oasis vivante dans une construction parfois trop figée…
Plus précisément, le mémoire interrogera d’abord ce qui semble être le plus évident d’un point de vue constructif : le rapport au lieu de construction. Cette première partie cherchera à comprendre comment le patio, archétype d’espace se manifestant dans une architecture introvertie, gère-il le rapport à l’extérieur ? Ce premier point aidera à justifier puis à expliquer la mise en place d’une telle extraction contextuelle. Ce questionnement va mettre en évidence le fait qu’aujourd’hui l’utilisation encore technique du patio comme puits de lumière, répond également à un besoin anthropologique plus délicat à démontrer. Il ferme et cloisonne de l’environnement, pour finalement offrir un tout nouvel espace libre d’interprétation... Ce vide blanc que représente le patio dans le plan, exprimerait-il la possibilité de s’essayer à la conception d’un environnement idéal? Ensuite, nous observerons dans une seconde partie que si l’on s’intéresse de plus près à cet idéal, on se rend compte que dans bien des cas le patio répond aux besoins humains du siècle : la quête de sens physique, d’expérience , la reconnexion avec la nature , mais aussi la quête de sens symbolique. L’idéal imaginé au cœur du patio n’est donc pas si utopique. D’objet introverti, réponse au besoin d’intimité, le patio apparait ensuite comme un objet d’extraversion subjective libérant les imaginaires. Peut-on alors parler du patio comme d’un lieu hétérotopique?
Fig.7
Fig.7 : La «Patio house» de OOAK Architects sur les falaises bordant la mediteranée en Grêce. Image disponible sur : https://www. archdaily.com/911722/patio-house-ooak-architects
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Ce mémoire de fin d’études est une invitation à la seconde lecture que nous pouvons faire de l’architecture. Par une approche constructive, anthropologique et sociologique, il questionne la nature de la relation entre la forme construite et les réactions habitantes dans le cas de l’architecture du patio. À travers l’analyse de la maison occidentale contemporaine, le mémoire cherche à interroger la raison pour laquelle concevoir un espace paradoxal tel que le patio dont sa géométrie peut laisser penser le contraire de ce qu’il est réellement. Avec la complexité de son approche constructive, et l’originalité de l’habitat engendré, le patio apparaît au XXIe siècle comme un espace engagé fonctionnant en interdépendance entre une géométrie introvertie et un usage habitant extraverti. Le patio fait une critique, mais dévoile également un enseignement sur l’architecture d’aujourd’hui et son nouveau rapport au contexte. Opérant comme un microcosme, le patio révèle les dysfonctionnements de notre siècle par sa géométrie hermétique tout en proposant une solution pour améliorer nos manières d’habiter. Le rapport classique « forme-usage» prend une tournure fascinante : petit espace géométriquement introverti, le patio se révèle finalement être grand par l’objectif que ses habitants lui fixent. Cet archétype d’espace qui a traversé les millénaires, est toujours d’actualité et semble nous rappeler la manière dont l’architecture se doit, encore et toujours, d’être au service des besoins humains. Marine Moles-Rota
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