le graphisme dans la violence

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Le graphisme dans la violence.


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Le graphisme dans la violence. Marion GĂźrcel, design graphique, mĂŠmoire de philosophie


Sommaire

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Introduction, p. 6 le graphisme est-il nuisible ? Le paradoxe entrela nature négative et positive de la violence.

Une négativité de la violence, p10 la violence du graphe la violence et l'écrit la violence et le corps la violence et la stigmatisation

Une positivité de la violence, p24 le bouc émissaire la résistance la transgression créative (la critique) la transcendance

La douceur et la violence contre la tyrannie de « cool », p36 l'apparition de la douceur l'extase la fin du "cool"

Conclusion, p44 Serait-ce la mort du graphisme ?

Bibliographie, p48


Introduction

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La base de chaque communauté est structurée par en ensemble de règles qui permettent de limiter le désir individuel, afin de permettre à chaque sujet de pouvoir se côtoyer en garantissant une cohésion globale. Empiriquement parlant, c’est un moyen de hiérarchiser les rapports humains, de fixer les tabous, et de normaliser les concepts de bien de mal. Pour fixer ces règles, certaines communautés ont éprouvé le besoin de leur appliquer une forme physique, inscrite, graver dans un support. Ce désir, a permit l’apparition du graphe, du glyphe, puis de l’écriture. L’écriture n’est qu’une forme particulière de hiérarchisation, appliqué aux glyphes. Ce désir, ou pulsion de vie et de mort, (analysé par Freud), est refoulé au bénéfice de la communauté, seulement, ce phénomène de refoulement ne peut être permanent, et ne doit pas l’être. Lorsqu’il n’est plus possible, le désir refoulé s’exprime par la mise en action de la violence. Elle éprouve la règle. La violence désobéit aux règles, soit en refusant d’appliquer ce qu’elles imposent, soit en se positionnant en opposition. C’est l’enjeu de la désobéissance graphique. Ne pas suivre les règles qui hiérarchisent le design graphique, faire ce qui est interdit, critiquer et détruire ce qui engourdit, réduit et uniformise le design. Afin de comprendre les enjeux de la désobéissance graphique, il faut comprendre qu’elle est mû par la violence. Alors comment un mouvement négatif, rejeté par le corps social comme l’est la violence, que l’on cherche constamment à désamorcer, parce qu’inenvisageable pour la raison et source de destruction, peut-il permettre aux règles de se mouvoir, et provoquer une impulsion créative ? Il y a un paradoxe a vouloir considérer une possibilité positive dans un acte destructeur.


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La violence pour la violence est une combinaison stérile et chaotique. Il y a donc une forme de violence qui ne tire pas la transgression (la désobéissance) vers le bas, mais qui au contraire l’ouvre et la sort d’elle même. Premièrement il faut comprendre la négativité de la violence. La violence est une donnée intrinsèque aux communautés (liées à l’humain) et le graphisme est indissociable de la violence parce qu’il la sert. Ensuite, parce que les mécanismes négatifs auront été identifiés, il sera possible de révéler la dimension positive de la violence. Enfin, il faut aller plus loin que la violence pour comprendre que la violence est positive lorsqu’elle fonctionne dans un rythme alternant violence et douceur. C’est grâce à cette complémentarité, qui créent une force, que le sujet atteint l’extase. Ce rythme est l’anéantissement de la tyrannie du « cool » qui tente de séparer ces deux mouvements, dans l’optique de conserver le pouvoir. Seule la prise en considération et l’intégration de la violence dans la douceur permet, la possibilité de la critique. Ainsi les règles sont toujours en mouvement et en adéquation avec la communauté.



Une nĂŠgativitĂŠ de la violence

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La violence négative, n’est qu’un jugement critique de la violence, on ne peut pas la défendre, par la raison, ni par la morale. Lorsqu’on parle de violence à l’état pure, on ne considère que l’acte, destructeur et négatif. Il enferme et est irraisonné, exclue le dialogue, il ne délibère plus. Hervé Vautrelle considère la violence comme la volonté d’une intention de nuire purement physique, limité à « l’usage individuel ou collectif de la supériorité physique sur autrui, à la contrainte exercée sur une personne par abus de la force »1. Il n’y a pas de violence autre que physique. La violence morale, celle des mots n’existe pas, c’est un glissement de sens qui confond violence avec mal et injustice, qui appartiennent au ressenti. La violence n’est pas non plus l’agressivité. Le mouvement agressif est une réaction et est relatif a un mécanisme d’autodéfense inconscient. C’est une pulsion 2 . Alors que la violence est un acte, donc toujours actif et décidé, même s’il est manipulé. L’« agressivité est une notion principalement corporelle tandis que la violence se rapporte à un état de conscience »3. En d’autre terme, la violence distingue l’Homme de l’animal. La violence est négative, elle est effrayante, parce qu’une fois en marche elle est incontrôlable, destructrice, irraisonnable, et rend le sentiment d’impuissance tragique. La première violence graphique au monde est la violence destructrice de l’écrit. L’écriture est une mort du signifié, en cela, elle n’a rien de plus violent. Le fondement de notre pensée est assujettie au mot défini par son écrit, notre pensée même, est née dans cet acte destructeur. L’écrit fixe le sens du mot, même lorsqu’il n’est que pensé ou prononcé parce qu’on se réfère à l’écrit comme étant une vérité unilatérale relative au son et au concept. Si l’on en croit Jack Goody, « (…) dans l’écrit, il faut fixer un signifié pour désigner 1. «  Qu’est-ce que la violence ?  » de Hervé Vautrelle, édition Vrin, 2009, p.7 2. voir Freud (« Malaise dans la civilisation, et le refoulement de l’agressivité »), «  Qu’est-ce que la violence ?  » de Hervé Vautrelle, édition Vrin, 2009, p24 3. -Idid., p25


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une chose. C’est là que réside, selon lui, la violence de l’écriture. À l’oral, le choix reste toujours entre différents signifiés. La tomate,… est parfois un fruit, parfois un légume, selon les classements choisis, mais l’écrit, en la désignant, la réduit immanquablement. Il y a une violence de l’écrit,… dans la mesure où l’écrit vient figer un sens à travers un signifié immuable. »1 Il faut en conclure que le drame du langage oral est de passer à l’écrit. Que dire alors du celte, dont on a perdu toutes traces ? L’anthropologue, Hélène Blaquière pose la question suivante : comment comprendre ce paradoxe entre la limitation que l’écrit apporte au sens par un signifié fixe et l’extension du pouvoir qu’on lui attribue ? Elle se base, en exemple, sur La Bible et les textes de loi. En effet comment un texte, qui est une succession de mots écrits, ayant perdu toute leur puissance lors de leur passage à l’écrit; comment ce texte ci peut-il avoir un tel pouvoir sur la communauté qui s’y réfère ? Hélène Blaquière avance une hypothèse selon laquelle « En raison de l’extension du sens que l’écrit produit à partir de l’énigme du signifiant… les signifiés que l’on a fixé ont perdu leur univocité. »2 Elle surenchérit en convoquant Lacan « le signifiant reflète le dernier mot du signifié »3. Ce qu’Hélène Blaquière avance est, plutôt que de figer le signifié, l’écriture s’aligne du côté du signifiant. Sans aller jusqu’à ses considérations religieuses concernant l’Autre, il me semble que la violence du passage à l’écrit s’effectue dans le signifié et dans le signifiant. Car les deux sont soumis à la dégradation du sens et du concept. Ils n’ont rien d’immuables et sont tributaires d’une communauté qui leur accorde une souveraineté totale. Mais ils sont aussi soumis à la volonté de la communauté qui s’accorde de la transformation du signifié et du signifiant. L’écrit fixe le signifiant et le signifiant d’une époque et d’une culture à l’autre. La violence du passage à l’écrit est d’imposer à la 1. Blaquière Hélène , « Jack Goody : Pouvoirs et savoirs de l’écrit », Pouvoir magique de l’écrit, Figures de la psychanalyse, 2009/1 n° 17, p. 209-212, Cairn.info 2. Ibid. 3. J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV (1956-1957), La relation d’objet, Paris, Le Seuil, p. 48


communauté actuelle, les valeurs et les sens de sa communauté antérieure. Au final la violence n’est pas exercée uniquement sur le mot mais aussi sur la communauté elle même, qui ne fait que subir les règles de la communauté antérieure et qui marque son pouvoir sur la suivante en transformant le signifié et parfois le signifiant. Pour s’en convaincre il suffit de constater l’évolution du vieux français au français contemporain, et des glissements de sens. Le « débile » qui pouvait désigner une incapacité motrice, n’a plus qu’une valeur péjorative sur les capacités intellectuelles et rentables d’un sujet. L’écriture est une superposition de concepts, de sens et de glyphes, cette accumulation conduit soit au contresens soit à la rupture. Ce qui rend la lecture des livres religieux politique et conceptuellement entravante à l’évolution de la communauté qui s’y réfère et qui n’a plus de lien avec la communauté qui en est à l’origine. Autres temps, autres mœurs, même le concept de dieu est tributaire de l’évolution de sa communauté. D’où les multiples interprétations, les schismes successifs de la communauté croyante et l’origine des guerres saintes. L’écrit fige la pensée et se transforme en vérité. Quant aux Celtes1, ils ne retranscrivent pas leurs pensées, ils ne retranscrivent pas leurs contes, mais les chantent2 et encore moins leur Histoire et leurs lois. De fait la culture celte n’ayant pas de traces écrites, elle est apparemment absente d’empreintes et d’influences sur notre communauté, comme effacée. Cette communauté a été commenté par les romains, et caractérisée comme violente. C’est ainsi qu’elle perdure dans les mentalités. Pourtant il s’agit peut-être de la plus douce des communautés occidentales passées. Parce qu’elle n’a pas figée sa pensée comme dogme à suivre, source de qui pro quo pour ses successeurs. La culture celtique, bien qu’ayant plus souffert de la chrétienté que des romains, est toujours présente dans notre communauté et ses réminiscences se sont modelées aux commu1. considérant le peuple celte de la préhistoire jusqu’au 8ème siècle de notre ère, il n’est fait pas allusion ici au droit celtique irlandais et ni au moyen-âge celtique qui a subit l’influence romaine et chrétienne. 2. c’est la chanson de gestes


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nautés suivantes. Mais elle n’a jamais disparue, son modelage est doux, et n’a pas souffert de rejet ou de violence. A l’inverse on peut parler d'intégration forcée des communautés écrites, tantôt intégrées, tantôt rejetées par les communautés successives, et toujours sources de violences. Le dogme écrit devient support voir prétexte à la violence. On part en croisades au nom des saintes écritures, mais surtout pour des motivations politiques beaucoup moins avouables. L’éloignement temporel des croisades chrétiennes n’a rien d’anecdotique, et l’on ne peut pas s’en détacher en prétextant une pensée grégaire et ancestrale. Les traités de la paix, les droits humains érigés par l’ONU sont aussi une violence écrite, justifiant l’intervention d’une force armée, s’autorisant la supériorité au nom d’une haute valeur humaine écrite par une communauté antérieure ayant vécu un traumatisme qui nous est étranger. Au final, l’écrit est une violence physique au signifié et une légitimation de violence physique au nom d’un signifié voire d’un signifiant, Allah, Yahvé, Dieu, Aton…l’écrit n’est plus ni moins qu’une traduction physique qui va au-delà de l’angoisse de mort, il rassure face à la peur de l’oubli, de la disparition, ou de la dissimulation. Les égyptiens ont attribué une importance mystique à la traduction écrite du nom d’un pharaon. Effacer la nom d’un pharaon ou d’un de sujet de sa sépulture, le condamnera a errer dans les limbes pour l’éternité, et l’éternité c’est long. Il ne trouvera jamais le repos, c’est une violence physique, une atteinte au corps fatigué du mort et une violence graphique sur un autre signe graphique. La violence conduit alors à l’exclusion du corps social et de la communauté. On peut alors considérer, par opposition, que la communauté celte est douce, elle n’a en rien disparue, par exemple la roue est une invention celte1, et sa douceur l’a bien « modeler » dans les communautés postérieures. 1. Venceslas Kruta, « Que sais-je ? Les Celtes », édition PUF n°1649, 2006


Il est important de faire une distinction entre modelage et intégration, ces deux sens sont ici considérées comme comportement physique, au même titre que l’est la violence. Le modelage est une transformation physique douce, alors qu’ intégration, implique une transformation physique violente, quoiqu’il en soit violence ou douceur sont vécues par celui qui l’exerce et par celui sur lequel elle est exercée. Les chrétiens ont été massacré et torturé, puis ils ont massacré et torturé à leur tour. Mais l’imagerie religieuse chrétienne souffre même au travers de son graphisme parce qu’il montre la souffrance physique et mentale. Les actes violents commis par les chrétiens sont directement liés à ceux subi par le christ, au nom de qui ils infligent cette violence. Les droits de l’Homme entre dans le même schéma, c’est une version laïque de la passion du Christ. On puni au nom des lois écrites par l’intermédiaire de jugement écrits. Ce qui place définitivement l’écriture du côté de la violence. Les celtes ont survécu jusqu’à ce qu’on écrive sur eux. L’écriture est mineure chez les celtes, elle est connu et pratiqué uniquement des druides et est apparue sous l’influence des romains. L’existence des celtes est bien plus longue que celle des romains, pour vivre longtemps vivons caché et l’écriture révèle. L’écriture est violente, c’est un signe graphique, faut-il en déduire que le graphisme est nuisible ? Il faut considérer le signe graphique comme une altération du support, elle grave, à la différence du modelage, la gravure est une entaille dans le matériau, un retrait de matière. L’acte scripturale1 est le résultat de la pression qu’exerce le stylet en grattant dans l’argile et laisse apparaitre un signe. L’écriture cunéiforme, n’est rien d’autre qu’une scarification. Le signe est donc l’altération physique et volontaire du support. Claude Lévi-Strauss, fait allusion au maquillage Kaduveo (ou 1. l’écriture


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Caduveo) présent sur les corps des femmes de cette tribu localisée sur la frontière entre le Paraguay et le Brésil. La particularité des maquillages caduveos, réside dans l’asymétrie des signes et de leur répartition par rapport au visage et au corps des indiennes. Bien que l'intégrité réel du visage ne soit pas altérée, « son apparence n’en est pas moins disloquée par l’asymétrie systématique grâce à laquelle son harmonie naturelle est démentie au profit de l’harmonie artificielle de la peinture […] cette peinture au lieu de représenter un visage déformé, déforme effectivement un visage…, la dislocation va plus loin que celle précédemment décrite »1. Le signe crée une autonomie propre, en rupture avec le support2 sur lequel il est appliqué. Les maquillages Caduveo sont l’expression de la société telle que la conçoivent les Caduveos, à la fois symétrique et asymétrique, égalitaire et hiérarchisée. Les maquillages sont le mélange d’un style géométrique et angulaire et d’un style curviligne et libre. Ces maquillages nient l’apparente symétrie du visage humain, ils dessinent des symétries là où elles sont absentes et vis versa. Alors pourquoi réaliser un maquillage qui ne suis pas les formes du visage, si ce n’est pour raconter autre choses de la spécificité de l’Homme. Ces signes graphiques nient le corps humain, ils sont une manière de détruire le corps personnel au profit du corps social. Lévi-Strauss identifie certains signes comme marquage d’une classe, d’une famille…soit ayant une signification social, mais l’anthropologue constate que tous ces signes ne sont pas signifiant et obéissant à une logique complexe. Pourquoi alors ne pas supposer qu’ils sont aussi l’expression d’une personnalité, les signes ayant ou non une logique propre à la porteuse. Le signe appliqué au visage est particulièrement intéressant dès lors qu’il souligne une volonté du porteur à rompre avec sa spécificité humaine. C’est une violence physique intéressant, 1. C. Lévi-Strauss, article « le dédoublement et la représentation dans les Arts de l’Asie et de l’Amérique » pour une revue américaine volume II et III 2. ici le corps


qui détruit le visage et ses lignes, c’est une rupture volontaire de l’importance attribuée à la recherche de la perfection des traits du visage et à la reconnaissance en temps qu’être humain. Le maquillage du personnage de Lisbeth1 survient au moment où elle décident de rompre avec sa capacité à l’empathie, et bascule dans la violence de manière consciente, elle est en guerre contre son père. Ce maquillage lui permet de se détacher du corps social, de ses règles et de ses tabous2 . L’attentat fait au visage détruit la symétrie rassurante dans laquelle on contraint et normalise le corps. Accepter une asymétrie du corps, c’est accepter la possibilité d’une perte de contrôle et de la possibilité de la violence, imprévisible. En réalisant ce maquillage Lisbeth indique qu’elle a basculé du côté de l'imprévisibilité. La raison pour la quelle la violence est une donnée considérée négativement dans notre communauté contemporaine est clairement identifiable dans ici. Lisbeth se venge, elle fait subir la violence qu’elle a subi, cette violence considère, la violence engendre la violence, comme une vérité destructrice et sombre. C’est la Dialectique de la maitrise de la servitude d’Hegel qui est ici illustrée. Les rapports humains ne sont pas constitués de fraternité mais d’hostilité « dans sa quête pour la reconnaissance, l’individu tend à ne pas tenir compte de la volonté d’autrui. Sans cette lutte, pas de communauté, car elle se forme après avoir dépassé en la conservant cette confrontation violente {…} l’Homme n’a ni nature sociale ni sociabilité spontanée »3. Il est important de comprendre le corps social violent, dans sa mise en place, cela permet de comprendre les enjeux de domination inter-humaine, rendu visible par la scarification, et les tatouages dans leur dimension réellement violente. Le signe graphique comme trace stigmatisante permet à un premier d’exercer sur un autre une puissance écrasante. Scarification, appartenance à un corps social indélébile, violence, 1. cf l’adaptation cinématographique du suédois Niels Arden Oplev de la trilogie « Millenium » du romancier Stieg Larsson, 2ème épisode « La Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette » 2. dont le meurtre et la torture 3. Hegel, « Dialectique de la maîtrise de la servitude », «  Qu’est-ce que la violence ?  » de Hervé Vautrelle, édition Vrin, 2009, p46


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altération du corps, appartenance, sous-entendent qu’il n’y a pas de rupture possible avec le groupe. Hobbes considère qu’il n’y a aucune sociabilité naturelle, l’état de nature (de l’Homme) est amoral, Hobbes appuie son affirmation sur un constat simple : « aucun homme n’est si faible qu’il soit battu à coup sûr ; et nul n’est assez fort pour ne craindre personne »1. Hobbes considère « trois passions naturelles »2 à l’origine et amorce « les mécanismes de la violence »3, la propension à la compétition se résume en une lutte interminable pour les mêmes biens matériels au nom de l’égalité, motivée par « la conscience narcissique et vaniteuse de la conscience de soi »4. Cette lutte, conduit immanquablement à ce qu’Hervé Vautrelle qualifie de « phobie de l’agression envieuse de la part des autres », soit la défiance. Il conduit le sujet à la violence par anticipation, comme seule possibilité de préservation de sa sécurité et de celle de ses biens, quelquefois amplifiée par un goût de la conquête, du sang et de la confrontation. Enfin la troisième passion établie par Hobbes est le désir de reconnaissance de sa valeur, la « gloire ». Vautrelle souligne que dans sa quête pour la gloire, « l’individu tend à ne pas tenir compte de la volonté d’autrui »5. Il considère cette lutte, entre individus, inévitable. Mais presque nécessaire à la formation d’une communauté, qui conserve cette confrontation violente comme ciment, mais la dépasse, par des lois qui la régissent, la hiérarchise. C’est en ceci que l’on peut considérer la scarification et le tatouage comme application graphique de la « violence sociale » humaine. Ces pratiques, dans leur but initial et non décoratif, visent à inscrire sur la peau des membres de la communauté leur rôle et leur place en son sein, régulant ainsi sa légitimité à l’expression des trois passions ci-devant énoncées. C’est une façon de nier l’égalité des uns et des autres, en considérant une valeur supérieure à certains individus. Les scarifica1.Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, commentaire du « Léviathan » de Thomas Hobbes, p97 2., 3., 4., Ibid. 5. selon Hegel, « Dialectique de la servitude », Hervé Vautrelle  «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p41


tions de femmes Mousgoum originaires du Cameroun indiquent leur appartenance à la tribu, leur famille, leur caste, voire leur âge et leur sexe1. Le corps appartient au groupe et l’esprit, en se soumettant aux douleurs infligées à son propre corps, accepte la domination de la communauté. Il faut également noter la présence d’une autorité religieuse ou politique (parfois réunis en une seule personne) lors du rituel de scarification ou de tatouage qui fait figure d’ordre et de domination. On peut considérer le phénomène de tatouage similaire à la scarification, le but est de graver dans la peau et le corps un glyphe, un signifiant2 . Ces rites violents sont inscrits dans une culture, on pourrait ainsi leur attribuer un caractère obsolète et tribal de manière à se galvauder d’un gain de maturité réconfortant de l’Homme moderne occidental. Se dire qu’il y a une nette amélioration dans les relations humaines contemporains où ces rites n’auraient plus qu’une valeur décorative, débarrassée de toute violence, dans une société dominée par le progrès. Seulement il y a soixante-dix ans les nazis tatouaient les juifs déportés. Cet acte outre sa fonction de classification déshumanisante du sujet, le classe en tant que juif déporté à vie. Une fois la guerre terminée, les porteurs de ce tatouage sont encore identifiés comme juifs déportés soumis à la domination nazie. Ils ne peuvent plus se détacher de cette communauté. Il en va de même pour les tatouages de gangs américains, qui n’envisagent aucune rédemption ultérieure, même sortie des activités du gang, le tatouage identifie son porteur comme membre du gang, qu’il soit actif ou non n’a pas d’importance. Le tatouage et la scarification stigmatisent et définissent sans compromis et de façon brutale. Il n’y a aucune échappatoire. De toute manière, il existe un graphisme violent, il n’a pas besoin d’être forcement accroché à la peau. Il suffit qu’il soit identifié de manière claire et sans équivoque, qu’il entraine une réaction nui1. Roberto Bosi, « Le grand livre des civilisations primitives au XX siècle », édition deux coqs d’or, 1984, chapitre Afrique. Wikipédia article, Mursis 2 . Dr Pales, article « les mutilations tégumentaires en Afrique noire, de l’ethnologie à la pathologie » journal des sociétés des africanistes volume 1946, remarque que la scarification est une pratique plus répandue en Afrique subsaharienne, où la pigmentation de la peau est plus sombre, à l’inverse, le tatouage est majoritairement pratiqué en Asie, Amérique et Europe, le pigment de l’encre souvent noire ou bleue est plus visible sur une peau claire, p.2


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sible à l’intégrité physique ou morale du sujet auquel il se réfère. En clair, l’exemple du Winkel, triangles de stigmatisation nazis1, démontre qu’il n’y a pas forcément besoin d’un acte physique douloureux pour exciter la violence. Le signe graphique sert ici à informer sur la victime, on est violent, et on sait précisément sur quoi on tape. La violence, par ce graphisme, est dédouanée de toute conséquence morale pour l’acteur violent et destitue son porteur de toute possibilité de recours juridique au sein de la communauté. C’est le même schéma que le tatouage ou la scarification des sociétés primitives. Telle caste peut revendiquer ceci et subir cela de telles autres castes, et, dans la mesure où il porte ce signe graphique, c’est qu’il s’est « volontairement » (ou qu’on l’y a aidé) soumis au signifiant utilisé par la communauté. Même dans le cas d’une fuite hors de la communauté référante, vers une autre communauté, le signe graphique aura toujours le même signifiant même s’il n’est pas utilisé par la seconde communauté. En graphisme pur, la codification peut avoir une volonté violente, et une recherche de stigmatisation. C’est d’ailleurs tout un courant de pensée. Jan Tschichold et le mouvement international suisse recherchent volontairement une épure, et une codification de l’information de manière à la rendre immédiatement traitable par le cerveau humain. Premièrement, un graphismechoc se veut dur et provoque une action de rejet 2 . L’acte violent isole de la communauté. C’est le graphisme que l’on peut trouver sur un paquet de cigarettes « fumer tue » etc., accompagné de ses images « chocs » qui ont plus à voir avec la répulsion. Il y a une volonté de nuisance (par le graphisme) en montrant une violence physique et destructrice provoquée par la consommation de cigarettes. L’image et le message dérangent, mais le paquet est rangé et l’image oubliée. La violence s’efface face à 1. The Design of the Nazi Triangle par John Brownlee, mai 2007, magazine Wired, d’après un essai de Steven Heller dans le Design Observer 2. cf Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p18-20


sa négation engendrée par le phénomène d’exclusion évoqué par Vautrelle. Cette violence peut être clairement qualifiée de négative et de stérile, elle n’apporte aucun effet notable sinon sa disparition. Elle ne porte pas à conséquence, personne n'arrête fumer à cause de ces informations, mais plutôt a cause de la hausse du prix régulier du tabac. Toutefois Vautrelle parle de violence organisée1, elle prend corps « dans les institutions et se développe dans les hiérarchies. Mais n’oublions pas que la violence est aussi l’incarnation du désir ». C’est de cette violence qu'il s'agit lorsqu’on parle de stigmatisation, le tatouage, la scarification ou encore le Winkel n’en sont que des applications graphiques. Elles sont mues par un désir de maitrise, dans le but d’éviter un quelconque malentendu, un sujet de discorde, une perte matérielle2… Pour en revenir au graphisme, l’organisation de l’information a été organisée par des théoriciens et des graphistes. Jan Tschichold en est une figure de proue, mais également Brockman-Müller et les fondateurs du Bauhaus et du mouvement international… Ils ont élaboré des codifications de mise en page, des pictogrammes… dans un désir de clarification de l’information, d’accessibilité et de pertinence. Là où le graphisme tombe dans la violence organisée, c’est lorsqu’il devient l’instrument de propagande. Cette propagande n’est pas forcément politique (nazie, bolchevique…), ce peut être une propagande des économies de marché. Une manière de programmer le désir, et de maintenir l’esprit dans un schéma d’exigence en adéquation avec un système politique ou économique3. Lorsqu’on standardise l’information, il faut quelques années pour éduquer l’œil à repérer et identifier un certain nombre de signes. Ainsi un journal quotidien d’information sera identifié par un format tabloïd ou approchant (à la berlinoise par exemple), par la qualité du papier (dite pauvre, d’une force faible, de couleur brune), sera attribué à une publication journalière peu cher, alors qu’un papier 1. Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p40-41 2. cf aux trois pulsions de l’état de nature définies par Hobbes 3. cf Naomi Klein, « No logo », édition Babel, 2000


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glacé justifie une publication plus racée. La présence ou non de couverture précise, classe le support d’information de journal quotidien et d’hebdomadaire à celui de magazine mensuel. Une quantité gérée de « gros titres » renforce la crédibilité du support, ainsi que leur hiérarchisation. Une abondance de gros titres anarchiquement posés décrédibilise irrémédiablement le support. Puis le choix de la typographie renseigne rapidement sur l’orientation politique du journal, ou de la cible du magazine, soit jeune fille en fleur, ados pré-pubère, ménagère ménopausée, homosexuel en rut. La couleur renseignera également sur le lectorat, rouge pour des tendances communistes ou révolutionnaires, par exemple. Ces signes évitent au lecteur de perdre du temps lors de l’achat, voire de multiplier l’achat, car il présuppose du contenu. Et le contenu n’a plus réellement d’importance, il suffit de lire les articles mis en avant et jamais l’intégralité du contenu. L’œil voue une confiance sans failles aux indications graphiques et il devient aisé de le manipuler, de lui faire associer une non-information à une source crédible. Au terme d’une bonne éducation, l’œil n’envisage pas de schémas différents et assimile un schéma approchant comme tel. Ce qui explique pourquoi le gratuit métropolitain est assimilé a un support d’information journalistique, dans la mesure où il en utilise les codes. Plus qu’une violence de l’écrit dont il était question avec Jack Goody et Hélène Blaquière1, il s’agit ici d’une violence de l’image et de la graphie, qui stigmatise l’information et la communauté qui s’y réfère. Il y a une simplification violente, dans la mesure où elle ampute la nuance pour ne garder que le signe identifiable. L’écriture et le signe graphique, sont des outils vers l'accession et le maintient du pouvoir. Seuls certains le manipulent et le comprennent. En résumé, on peut attribuer un pouvoir des1. Blaquière Hélène , « Jack Goody : Pouvoirs et savoirs de l’écrit », Pouvoir magique de l’écrit, Figures de la psychanalyse, 2009/1 n° 17, p. 209-212, Cairn.info


tructeur au signe soit parce qu’il détruit lui même la nuance soit parce qu’il appelle une réaction violente et destructrice en créant de l’ambiguïté et met en représentation les trois passions de l’état de nature humaine qui mènent indubitablement à la violence. Il existe deux types de violences, l’une, stérile, s’épuise elle-même : « c’est un déchainement chaotique et insensé, un acte aléatoire soumis a l’imprévisibilité de son jaillissement »1, la violence physique, seule forme de violence à part entière se signale par sa gravité, car elle peut aboutir à la mort et potentiellement, « elle met en cause l’ordre social »2 dont la première expression graphique est le gribouilli, comme nuisant physiquement à une forme visuelle. La seconde forme de violence est organisée, elle possède une structure et permet une forme de hiérarchisation, et intrinsèquement une forme de manipulation.

1. Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p 11 2. Ibid., p13


Une positivitĂŠ de la violence

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La violence est une rapport de domination destructive, seulement la violence est une composante inéluctable de la nature une humaine, met en relief cette part de l’humanité, il déconstruit le mythe qui voudrait que l’homme soit un animal social « le rapport à autrui n’est pas fait de douceur ni de fraternité mais d’hostilité »1, surtout qu’il considère cette donnée comme nécessaire à la constitution d’une communauté. C’est la raison pour laquelle G. Labica parle d’un fait culturel et non naturel. En fait c’est lorsque les individus se heurtent les uns aux autres, quand leurs règles érigent une culture que tous les membres de la communauté subissent, que la violence se met en action. Mais on aurait le droit de considérer la violence comme nature latente. Vue sous cet angle, il est possible de voir la violence comme « un mal nécessaire ». Il y aurait donc une positivité de la violence. Mais est-ce alors une destruction de la violence ? On pourrait naïvement par ailleurs, opposer la violence avec la raison et la spiritualité, comme des valeurs sûres venant à bout de ce « problème meurtrier ».. La violence est fédératrice Hegel la place en composante nécessaire à la communauté. Le cas du bouc émissaire est un phénomène intéressant à observer au regard de cette considération, parce qu’il est commun à toute forme de communauté humaine. Qu’il soit incarné en un être de chair et d’os ou qu’il ne soit qu’un concept, le bouc émissaire fédère la communauté contre lui. Elle y déverse la pulsion de mort présente en chacun de ses membres, et se sacrifie pour le bien de la cohésion du groupe. C’est un catalyseur qui régule la violence sans la détruire. Il existe parmi un grand nombre de graphistes, un rejet de la police de caractère Comic sans ms. Ce phénomène prend une ampleur telle que l’utilisation de cette typographie rime dans le monde professionnel avec un amateurisme absent de toute conscience esthétique. Des sites sont même dédiés à la lapidation graphique du comic, comme 1. selon Hegel, « Dialectique de la servitude », Hervé Vautrelle  «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009,


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temple du mauvais goût, destituant presque ce caractère de son noble statut de typographie1. C’est le pire qui puisse exister. Si bien que les étudiants dès le début de leur formation bannissent cette typographie de leur pratique comme une règle. Au final, cette ligue, fédère le monde du graphisme et lui permet de s’identifier contre un mal qu’il ne définit pas totalement et qu'il personnifie dans la comic sans ms C’est un premier début pour identifier la possibilité d’une positivité de la violence. Même si en soit cette typographie n’a rien de particulièrement laid, dans la mesure où il n’y a pas de mauvaises typographies, seulement des typographies mal utilisées tschichold parle d’un emploi juste des typographies2 . Si l’on se fit à l’expression se faire violence, on peut sousentendre, alors, qu’il y a une violence qui n’est pas que destruction pure et manipulation dans la recherche de la domination. Lorsqu’elle est liée à la force et rattachée à la pulsion de vie, la violence est un moyen de sortir d’une léthargie, de provoquer une réaction. Elle n’est plus une fin en soit, mais bien un outil, un « moyen » d’atteindre quelque chose de nettement supérieur. La violence sert des causes légitimes lorsqu’elle répond à une violence antérieure, c’est ce qu’on peut qualifier de contre-violence, contestataire face à l’oppression et à l’aliénation. Elle lutte contre diverses formes d’exploitation…et s’exprime lorsque la morale est mise en péril et que cette situation n’est plus tenable. C’est pourquoi l’on peut parler d’une temporalité de la violence. Elle survient avec l’urgence d’une situation3. Le graphisme joue ici encore son rôle, comme porte-étendard d’une violence légitime et salvatrice. Le graphisme devient alors illégal, il supporte la résistance et la critique. La façon la plus évidente d’éprouver la résistance du graphisme est d’observer le moment où celui-ci se heurte à la censure. 1.bancomicsans.com, kill comic sans, jeu qui tourne en école d’art, www. comicsansms.com, ils sont nombreux, il suffit d’inscrire comic sans ms dans un moteur de recherche 2. Jan Tschichold, «  Livre et typographie  », édition Allia, chapitre,  L’importance de la tradition p41-45 3. Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p39-41


La faute (d’orthographe ou syntaxique) peut également être un moyen « violent » de résistance. Par exemple le créole, parlé par les esclaves noirs, était un moyen de déjouer un peu leur servage, dans la mesure où bien que le français soit à la base de cette langue hybride, elle est incompréhensible pour le français métropolitain, tant sa construction syntaxique et grammaticale, semble improbable au regard de la structure du français. C’est également une atteinte mortifère de la langue française dans son bon parlé. La faute d’orthographe est une atteinte le plus souvent graphique, elle s’entend rarement à l’oral. Elle altère le mot dont la forme a été fixée par les règles orthographiques et la conjugaison. Et peut l’altérer jusqu’à en changer le sen,s voir sa lisibilité même. Les compositions typographiques de dada et des futuriste sont un moyen violent pour critiquer une forme d’aliénation (au nazisme pour les uns, au paternalisme pour les autres, à la construction normée de la phrase, cf « Zang Tumb Tumb », de Marinetti). Quoi qu'il en soit, ces mouvements avant-gardistes s’opposent à des tentatives de normalisation, qu’ils jugent intolérables et contre lesquelles on peut se révolter en les malmenant. Même les techniques d’expressions dada sont violentes. Le collage est une technique plasticienne violent : on prélève dans une image qui possède sa propre cohérence, on la détruit, puis on télescope différents éléments appartenant à des univers hétéroclites sur une même surface, de manière à produire une image qui crée son unité par l’absence d’unité des univers graphiques. Une pratique plastique en contre-pied total avec l’académisme picturale. La violence est alors du côté de la liberté créatrice. Vautrelle souligne, que bien que pouvant entrainer une réaction en chaîne dans l’engrenage du mal, la violence est un acte sur lequel il est impossible d’anticiper parce qu’elle est protéiforme : « sa forme est donc variable {…}. Le violent est donc du côté de l’imagination, le


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non-violent est fade comme le bien, le devoir est banal comme une évidence. L’homme de bien ne peut être original puisqu’il fait ce qu’il a à faire »1. Il n’y a qu’une façon de faire du bien à une personne qui se noie, on le sort de l’eau, alors qu’il y a une pluralité de possibilités de lui nuire : le regarder mourir, l’insulter, l’ignorer2 L’esthétique Punk se développe ainsi, faire ce qu’il convient de ne pas faire. Les journaux punks se traduisent souvent par une mise en page chaotique, des moyens de productions réduits à leur stricte minimum, sans parler des sujets abordés, relatifs aux cultures populaires, à la pornographie et à l’humour potache. L’univers punk à engendrer toute une génération de créatif, musiciens, graphistes et aussi stylistes. Vivianne Westwood, est une styliste anglaise qui a fortement participé à l'émergence de l’esthétique punk. Elle utilise le collage comme procédé de création, et accentue l’esthétique incohérente de ses collages au lieu d’uniformiser le vêtement. David Carson, graphiste dans les années 90 se sert de l’outil informatique pour élaborer des mise en page déconstruites et surtout irrégulières. Il déforme la typographie grâce à l’outil informatique et ne se formalise pas des enjeux de la codification élaborés par ses prédécesseurs pour faciliter l’accession à l’information d’un contenu. La violence de l’acte graphique mène à la complexification de la forme graphique. Ici la violence destructrice est un moyen pour le graphiste d’explorer les capacités de son nouvel outil (l'ordinateur), mais également, la maitrise de son outil, lui permet de repousser les limites de son métier. C’est la dialectique du maitre et de l’esclave (Hegel, et « La phénoménologie de l’esprit »). Asservi par les règles intrinsèques à son métier D. Carson s’en affranchit par la maitrise d’un nouvel outil. Il détruit la règle pour créer. Il complexifie la pratique 1. Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p3 2. Ibid., p37-38


même du graphisme en y introduisant une nouvelle donnée. Et cet acte ne se fait jamais dans la douceur, le corps social rejette celui qui fait acte de violence1, et david Carson a choqué (du moins en France), les classiques, favorisé l’émergence d’une nouvelle esthétique. Retour aux tatouages Caduveo, rappelons que certains signes ont une signification et renseignent sur la situation politique du sujet au sein de sa communauté, les autres sont soumis à l’imagination et à la créativité du porteur. Il est également possible de supposer que l’introduction d’une variable créative par un individu, si elle n’est pas définitivement rejetée par la communauté, est reprise et complexifiée par le reste de la communauté. Ce qui est rendu possible grâce à la disposition à la compétition et au besoin de reconnaissance de l’individu par sa communauté. Les rapports violents entre sujets ne sont pas uniquement destructeurs au sens négatif du terme, c’est aussi le moyen de détruire une constance linéaire au sein de la communication inter-humaine2 .La multiplication de signes, leur complexification sort la communication d’elle même, la modèle et la développe. La violence peut être créatrice, elle peut aussi permettre à l’individu de se dépasser. C’est ce qui est sous-entendu dans l’expression « se faire violence ». Pour que la violence soit positive, il faut qu’il y ait exposition du sujet à quelque chose qu’il ne maitrise pas, quelque chose qui le dépasse. C’est ce qu’on rapproche du sacrifice. « Le principe du sacrifice est bien la destruction » pour Bataille3, mais J-C. Goddard nuance, dans la mesure où « la destruction que le sacrifice veut opérer n’est pas l’anéantissement »4, ce qui confirme la place centrale du bouc émissaire. Le sacrifice du bouc émissaire n’est pas l’anéantissement des maux, mais leur maitrise, et le renforcement de la communauté. Pour en revenir au dépassement de soi, il faut d’abord comprendre le dépassement comme lié à la 1. Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p18-19 2. Gérard Donnadieu, théorie de la communication inter-humaine, parle de l’omniprésence de la communication au sein d’une communauté humaine, et de la complexité de ses formes ainsi que de leurs structures 3., 4., Jean Christophe Goddard, « Violence et subjectivité - Derrida, Deuleuze, Maldiney, édition Vrin, 2008


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transgression. La transgression nait de la constitution de l’interdit. L’interdit est « d’abord structurant »1 , l’interdit est révoltant pour l’esprit humain, parce qu’il le limite; l’interdit entretient un rapport d’ambivalence entre désir de transgression et peur de la sanction. L’Homme pour se définir, a besoin de se dissocier de la nature. La nature est un mouvement uniforme qui ne considère pas la transgression, elle est, empiriquement parlant. L’Homme ne peut se définir ainsi. Pour les raisons évoquées dans la première partie et parce que l’Homme est « séparé de la vie par le travail, et la conscience, a peur du sacré et de la mort »2 . Bataille insiste sur l’importance de la peur de la mort. L’Homme la raccroche au sacré et le sacrifice prend alors un sens centrale. L’animal n’a pas d’interdit, n’a pas de conscience de son état de nature. L’Homme en transgressant l’interdit, dépasse la nature et se détermine. Le sacrifice est une façon pour l’Homme de dépasser l’interdit en suivant un protocole qui légitimise la transgression de l’interdit en la rendant moralement acceptable. On ne foule pas les règles n’importe comment, c’est ce qu’entend Bataille lorsqu’il parle d’une sagesse conservatrice qui ordonne et limite la destruction. Le graphisme et l’art religieux font parti de cette « sagesse conservatrice » dont parle Bataille. Ils permettent de fixer des règles du jeux et des limites. Ils agissent comme « mode d’emploi » du sacrifice et du rite sacrificiel. Les icônes religieuses, sont des figures peintes découlants de la violence subie par le Christ ou les saints chrétien. Leur statut de martyrs donne la voie du sacrifice selon la religion à laquelle ils se rapportent. L’image du martyre, au sens stricte comme au sens religieux, ne présente pas la souffrance, mais la violence en temps que mouvement, parce que l’image du martyre est le martyre. Le visage du martyrisé est toujours empreint d’une profonde 1. Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, fait référance à Bataille, p.50 2. Jean Christophe Goddard, « Violence et subjectivité - Derrida, Deuleuze, Maldiney, édition Vrin, 2008, p38


douceur, et d’un calme extatique. Son sacrifice l'extirpe de la nature et le rapproche du divin. La violence de la mort comme acte irraisonné immaîtrisable échappant à la raison, devient le mouvement par lequel l’Homme prend possession de son état de nature, et devient Homme. C’est le don de soi. Dans les religions précolombiennes, notamment chez les Aztèques, les croyants faisaient don d’humain. Lors de grandes cérémonies sacrificielles, il a existé différents types de sacrifices, et différentes sortes de sacrifiés. Et même si le rapprochement entre le martyr chrétien et le sacrifice aztèques porte à controverse1, les similitudes en sont pour le moins troublantes. Et là encore le graphisme à son rôle à jouer. Dans le rite sacrificiel, le sujet se sacrifie au nom de la communauté dans un but qui le dépasse, son dieu. Comme il existe une codification graphique chrétienne, il existe une codification graphique aztèque : le codex, qui découpe le temps en périodes de rituels. L’iconographie y est importante, elle renseigne sur le déroulement du rite, les tenants et les aboutissants. Ce codex du rite sacrificiel, n’est pas sans rappeler les fresques des nécropoles royales égyptienne : le pharaon est l’incarnation du dieu sur terre, sa mort n’est que partie intégrante d’un rythme circulaire constitué d’ incarnations et de « dé-carnations »… Il peut être judicieux de parler de graphisme religieux et non d’art, peut être parce que la notion d’art religieux à l’époque où elle a été majoritairement constitutive de la pratique religieuse a plus à voir avec la définition du graphisme qu’avec la définition actuelle de l’art. Il y a un design graphique religieux. Il joue le rôle du support de communication de la pensée religieuse, non en temps que représentation religieuse (car il s’agirait alors d’art), mais en temps qu’outil nécessaire au déroulement du rite. Cette distinction est nécessaire dans la mesure où l’art (du moins dans sa considération contemporaine) pose une critique. Le design n’a aucune valeur 1. Bartolomé de Las Casas, La controverse entre Las Casas et Sepulveda, édition Vrin, p 192-193-196


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critique, puisqu’il ne se pose pas en temps qu’observateur de son sujet, mais en temps que support et constituant docile de ce dernier. En clair, l’icône religieuse ne pose pas la question du mal ou du bien, elle est l’expression de la violence subie par un tel martyr, et est un outil de prière. Le christ en croix dans l’église est un relais, il a une valeur de vérité pure sur la nature du Christ, et lui permet de se rapprocher de lui. Le religieux ni voit pas de mise en abîme de l’acte croyant et de ses symboles. Par contre, l’athée le pourrait, et considérer la symbolique chrétienne « violente ». Le graphisme religieux présente donc, une violence vécue pour permettre au croyant d’éprouver cette violence, mourir, et ainsi transcender son état de nature. Le graphisme n’a donc pas de dimension critique parce qu’il est le médiateur d’une pensée. Le Marquis de Sade,trouve une forme d’insoumission au travers de la pratique sadomasochisme et de l’écrit pornographique. Dans sa pensée l’interdit et surtout sa transgression, procure du plaisir. La jouissance est une violence, c’est la petite mort, l’instant où le corps est mort et oublié et que l’esprit passe outre les limites physiques du corps. Sade et l’iconographie religieuse ont en commun la sublimation par la violence dans la recherche de l’extase. La violence est subie par le corps du martyr, mais la sérénité se lit sur les traits de son visage. Comme si grâce à la violence, l’esprit parvenait à se détacher du corps et jouir ainsi de l’expression sans limite de l’esprit. En matière de design graphique contemporain, on peut observer la production d’Étienne Mineur1 et le livre photosensible, puis la production de Fanette Mellier2 et les Livres Bizarres. Objectivement parlant, ces deux productions bafouent les règles élémentaires du rôle du graphiste et de la fonction du livre, sans 1. volumique.com 2. fanettemellier.com


parler du devoir de lisibilité. La violence réelle est utilisée, en temps que nuisance subie par le livre dans son intégrité physique, mais aussi par la lettre et logiquement au confort de lecture. La confrontation au livre devient un supplice pour lecteur, parce qu’il est perdu dans l’ordre de lecture (dans le cas du livre photosensible) dans la mesure où il ne dispose que vingt minute avant que la surface photosensible du livre ne noircisse. Que lire en priorité pour connaître le contenu du livre ? Ou parce que le livre est produit un effet d’optique fatiguant pour les yeux (les livres bizarres, « bastard battle » la graphiste provoque des coulures d’encres, donnant l’impression que le mot saigne), le regard se brouille, est la lecture impossible. Cette violence formelle, permet à ces graphistes de questionner et de remettre en question le statut du livre, dans un contexte contemporain où la place du livre imprimé est de plus en plus indéfinie. La place du graphiste, ici peut se confondre avec celle de l’artiste. Elle implique une redéfinition de ce métier, parce qu’ici, le design graphique ne se positionne plus en temps qu’outil, mais en temps qu’objet critique d’un contenu. La violence produite pousse le graphisme à dépasser sa condition première, pour atteindre un stade conceptuel plus complexe. La spiritualité recherche la violence, car elle lui permet de se dépasser, de sortir de son tombeau corporel, et la raison cherche à comprendre la violence, même si la violence rejette la raison1. Et Vautrelle de souligner que si la violence « s’avère seulement accidentelle, elle doit pouvoir disparaitre », grâce au discours et au raisonnement. Platon considère la violence comme résultat d’un manque d’éducation et une erreur de raisonnement 2 . Seulement la raison ne met pas fin à la violence, en fait elles n’ont rien en commun. Et la raison échappe au graphisme, si l’on considère que le graphisme, extension du graphe, limite la raison, (cf première partie 1. Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p32-33 2. Ibid., p29-31


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et la violence de l’écriture). Comment la raison pourrait-elle être la fin de la violence alors que l’expression graphique par nature violente, limite le raisonnement philosophique ? La violence, « se rit du philosophe »1, elle l’exclue. Si la violence anéantie la raison, la réciproque n’est pas vrai. D’autant que la violence est capable de mener un raisonnement2 . Sans oublier que la raison peut également être source de mal et de douleur, le jugement est une forme douloureuse de la raison. Dans la mesure où faire du mal « ne se résume pas à faire mal (physiquement), violence et mal ne se confondent pas ». La raison est un autre moyen, « non-violent de faire du mal.… La violence précède le mal. La violence n’est pas forcément négative alors que le mal si. La violence n’est ni vraie ni fausse, c’est un acte, le mal peut être contre-dit car c’est un jugement ». Pour autant, même si le discours peut désamorcer ou amplifier la violence, ce n’est pas son mouvement contraire3. La violence est une force, le seul moyen de l’annuler est de lui opposer une force équivalente et inverse. De la même manière, il serait alors possible d’opposer le graphisme à autre chose, ainsi le basculement de l’un entrainerait l’apparition de l’autre. La douceur est semble-t-il, un bon, candidat si l’on considère la violence comme une facette d’un mouvement dualiste. Si la violence est le yin de la pensée confucianiste, la douceur en serait son penchant yang, l’excès de l’un provoquant immanquablement l’expression de l’autre.

1. Éric Weil, « Logique de la philosophie » p58, Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p33 2., 3., Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009,p.29-31



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La douceur et la violence contre la tyrannie de « cool »


La violence peut être négative et produire un graphisme violent et aliénant, parce qu’elle cherche une aliénation dépréciative. Elle peut également être un acte positif et transcendant, et produit alors, un graphisme qui guide le sujet hors de son aliénation. La violence si elle devient médium et non finalité ouvre les possibilités du domaine où elle s’exerce. Ce qui permet de considérer ces deux aspects de cette notion réside dans la capacité à envisager la violence comme un mouvement faisant partie intégrante d’une force basée sur un rythme bipolaire alternant violence et douceur. Si l’on s’en tient à cette hypothèse, le graphisme par nature violent, ne peut logiquement pas être emprunt de douceur. Il n’y a pas dans le graphisme de production de la douceur dans la mesure où, on l’a dit, l’acte graphique contraint la pensée. Une fois qu’elle est sous sa forme visuelle, la pensée est figée, et son évolution entraine parfois l’apparition d’une nouvelle forme. Le graphisme qu’il soit du côté de la violence négative ou positive, comme elle a été définie ci-avant, sert la violence, il sert la fascination. C’est un déchirement de l’esprit, dans la mesure où l’esprit doit se sectionner, s’amoindrir pour tenir dans un graphe. Toutefois le graphisme doit pouvoir voir son penchant dans la douceur. Comment se traduit la pensée lorsque l’on se trouve du côté de la douceur ? La violence est une exposition, on s’abandonne à la violence, on s’en remet à la violence comme on s’en remet à dieu dans la conception chrétienne, voir en désespoir de cause. Il en va de même pour la douceur. Si l’on veut pouvoir faire l'expérience de la douceur, il faut la laisser prendre possession de son corps. L’abandon à la violence ou à la douceur, n’implique pas ici la question d’une dichotomie du bien et du mal, c’est un état de fait. Le sujet s’expose complètement dans un cas comme dans l’autre,


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il ne se protège en rien. Ainsi le sujet ressent intensément, l’un comme l’autre, il est maitre et esclave de ces deux mouvements complémentaires. Dès lors un excès de violence, ne peut que s'essouffler, de même qu’un excès de douceur perd son charme, un bon équilibre de ces deux forces conduit le sujet à l’extase, monde d’énergie pure. Alors que privilégier l’un ou l’autre conduit à l’impuissance, l’impossibilité d’action, de pensée et d’expression, et provoque un sentiment d’angoisse culpabilisant. C’est ce qui est identifiable comme le « cool ». En d’autre terme une communauté qui aurait privilégiée la violence ou la douceur, sombrerait dans le mou, et vivrait dans la tyrannie du « cool ». C’est le chaos. Le « cool » tyran, cherche à séparer, à opposer la douceur et la violence. C’est notre communauté moderne. Le violent est assimilé au mal, à l’agressivité, délinquance, la destruction stérile, c’est le « paaas » cool. La douceur est conduite jusqu’à la léthargie, l’obéissance, l’absence de remous, et revêt une extrême fadeur, c’est le « coooool ». Le sujet se perd, le chaos génère de l’angoisse, cette angoisse conduit immanquablement au néant sans possibilité de dépassement, c’est une fin brutale. Le « cool » est un moyen d’instrumentaliser la culpabilité et d’alimenter les névroses. La tyrannie que met en place le cool, exacerbe le comportement d’autopunition, lié à la l’angoisse d’une culpabilité1 à vouloir rassembler violence et douceur dans un même mouvement. Le cool ne supporte pas que l’on place douceur et violence sur un pied d’égalité pure. Parce que la fusion de ces deux forces permet l’accession du sujet à l’extase, le rendant libre. Le cool perd de fait son pouvoir de domination sur le sujet. L’extase est une force extraordinaire, face à laquelle on ne peut rien faire d’autre que s’y abandonner, sans précautions. On éprouve la violence et la douceur dans l’art. Le premier recherche la fascination, le second, le charme. Hamlet est dans 1. à laquelle fait allusion H. Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009, p23, S. Freud, « Malaise dans la civilisation »


la fascination de l’humain, Shakespeare met en scène la violence, il la sublime, si bien que son personnage d’Hamlet ne peut plus que se laisser engouffrer dans ce mouvement, c’est la tragédie. Elle fascine parce qu’elle utilise ce principe terrible de fascination qui paralyse magnifiquement l’observateur et ouvre sur une réflexion de la nature de l’Homme. De même le charme poursuit le même but que la fascination : ouvrir sur une réflexion de la nature de l’Homme, mais le charme n’est pas terrible, il est enveloppant, il est sans douleur, vaporeux, c’est un coucher de soleil un soir d’été, une campagne endormie ou encore une ville sous la neige. Seulement l’Homme est incapable de produire la douceur, il est seulement apte à la reconnaitre et à l’éprouver, parce que la douceur vient de la nature (l’amour est du côté de la nature, si l’on considère l’homme dans sa définition grecque, stoïcienne et épicurienne1, il s’est affranchit de l’amour pour atteindre le bonheur et sortir de sa nature animale). L’extase approche de la compréhension de l’Univers, c’est la fusion de l’Homme et de la Nature2 mais elle n’est pas intelligible, parce qu’elle est en puissance. Raisonner sur l’extase reviendrait à la penser et à vouloir la transcrire, on retomberait dans la violence et dans l’humain. L’homme ne peut produire la douceur, mais paradoxalement l’artiste peut produire l’extase. Parce qu’il parvient à la synthèse de l’homme et de la nature. Il est le seul apte à cette fusion. Parce qu’il ne passe pas par l’écrit ni par le signifiant. Reprenons, l’Homme par la violence s’affranchi de l’animal, et peut ainsi s’accomplir dans la communauté, mais un excès de violence le conduit rapidement à vivre sous la tyrannie du cool (notre société actuelle). Plus l’homme sort de la nature, plus il s’éloigne de la douceur et plus il s’aliène au cool. Pour en sortir, il doit renouer avec la douceur, et pour se faire il doit vouloir la rechercher. L’artiste voue sa vie à la recherche du charme produit 1. Épicure, Maximes capitales, XXIX, XXX, Lucrèce, « De la nature des choses », fin du livre IV 2. sans l’humain


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par la douceur, parce qu’il est incapable de la produire, rare sont les artistes qui parviennent à appréhender la fusion de la violence et de la douceur. Parmi ceux qui y parviennent il y a la peinture impressionniste et fauviste et la musique romantique et le classique W.A. Mozart en Europe, et l’art de l’estampe japonaise en Asie. Ces artistes parviennent à l’extase lorsqu’ils s’affranchissent de la contrainte de la représentation fidèle du réel. Van Gogh ne montre pas la réalité, il est dans une translation du réel. Le spectateur est saisi par la Chambre à Arles, parce qu’elle supporte une sensation suffisamment étrange pour être à cheval entre le chaos et la plénitude. Elle « balaye l’individualité humaine », c’est le lieu « où l’homme n’est plus qu’un reflet »1 en réalité c’est le lieu de la cruauté, l’extase est cruelle. Ceux qui en était habité sont devenu fou (Artaud, Mozart, Van Gogh, Bacon…), les autres sont incapables de l'appréhender dans sa totalité, même s’ils en eu l’intuition et l’on produite… Malheureusement pour lui, le graphisme reste au stade de la violence, il est inscrit dans la ville, dans le travail et participe de la séparation de l’humain et de l’animal. Il n’y a pas de possibilité de graphisme de la douceur, pas plus que de graphisme au service de l’extase. Notre société actuelle est sous l’emprise du cool. Sa production artistique s’y enlise, elle tente de rompre avec l’indolence du cool en vénérant à outrance la violence afin de provoquer du mouvement. L’art contemporain cherche la provocation. Mais son erreur a été d’associer violence et provocation, et de rejeter dédaigneusement la douceur. Matisse a utilisé la douceur de la couleur et de l’instant amoureux où il est en présence de sa femme pour peindre la femme au chapeau, et la provocation a eu lieu, pas de violence ici autre que dans la rupture avec les codes de peinture classique. Il est d’ailleurs certain à l’heure actuelle, 1. Antonin Artaud « Le théâtre et son double », Jean Christophe Goddard, « Violence et subjectivité - Derrida, Deuleuze, Maldiney, édition Vrin, 2008, p13


que montrer de la violence dans l’optique d’obtenir une réaction ne permet d’obtenir au final, qu’un sentiment de lassitude de la part du public, il n’y a même pas de rejet. Pour autant cet art qui flirte dangereusement avec la stérilité, n’est pas méprisable, il reste un bon indicateur de la santé psychique de sa communauté. Orlan1, Ben Vautier et les KaiKai-Kiki, sont des représentants de l’art du « cool ». De la même manière, Antoine et Manuel 2 , sont les ambassadeurs de la mouvance cool en graphisme. Ce qui relit ces créatifs est leur statu d’icône du cool. Ils sont l’emblème d’une uniformisation volontaire et plus ou moins sporadique de leurs disciplines respectives. On ne sait plus si Orlan fait une apologie ou une réelle critique du dogme de la chirurgie esthétique. Son propos est en réalité devenu confus, parce qu’Orlan semble tourner en boucle dans une exhibition narcissique de la violence qu’elle s’inflige. Elle comme Ben Vautier utilisent une rhétorique épuisée, celle de la critique au moyen d’une ironie, d’esthétique « beauf » et volontairement potache. Ce qui marche pour les Deschiens n’est absolument pas valable pour ces artistes, parce que les Deschiens introduisent une fragilité en recherchant la douceur. Orlan et Ben ne sont que dans une forme d’esthétisation de la violence, ils sont dans une recherche du pouvoir artistique dominateur. Cette tendance est encore plus flagrante chez Ben, qui cherche à cumuler pouvoir artistique et pouvoir marketing, transformant son propos en slogan commercial. Antoine et Manuel, rendent visible, la dangerosité de la stagnation de la forme graphique, absente de violence et transgression. Le mouvement vectoriel, est le mou par excellence, il est complètement aseptisé et envisage dans sa graphie même toutes ses possibilités de variations, il ne porte aucune possibilité d’innovations de son langage. Si bien que toutes les productions de ce mouvement furent toutes similaires et uniformisées. Un 1. dans sa période récente à partir des interventions esthétiques, « réincarnation de Sainte Orlan », de 1990 à aujourd’hui 2. identité visuelle du CCNT de Tours lance la mode du graphisme vectoriel


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totalitarisme graphique, au service de la rentabilité, parce que facilement séduisant, c’est la définition du graphisme « cool ». Le cas des Kaikai-Kiki, ou génération otaku1, mené par l’artiste Murakami, est sensiblement différent. Ils témoignent d’une démission d’une partie des artistes contemporains et d’une partie de la société à envisager un échappatoire à la tyrannie du cool. Ils rendent compte d’une conscience totalement dépressive de l’enlisement de notre communauté dans le cool et la stérilité. Ils utilise des images et sont utilisées par le marketing kawaï. Ces artistes opère un repli sur eux-même, et refusent toute perspective d’avenir et son lot de responsabilités. De fait ils se réfugient dans un univers,(du manga) où toute identification du bien comme du mal devient flou, de même qu’il n’y a plus de considération de violence ou de douceur, leur univers est totalement dur. Cependant ils annoncent l’arrivée d’une nouvelle génération d’artistes, qui a laissé la dépression au profit d’un réenchantement faussement naïf, et cherche à réintroduire la douceur dans la pratique artistique. Marlène Mocquet, Allison Schulnik, Michel Huisman, font partie de cette nouvelle génération, on constate dans leur travail une forte parenté avec des artistes cinéastes comme le russe Youri Norstein, le tchèque Jan Svankmajer ou encore les frères anglais Stephen et Timothy Quay. Le travail de ces cinéastes, boudé par les institutions d’art contemporain, recherche depuis plus décennie à entretenir la relation fragile entre violence et douceur dans leur production. Ils se rapprochent sérieusement d’une fusion entre fascination et charme. Le Hérisson dans le brouillard, de Y. Norstein, travaille une esthétique vaporeuse et une atmosphère ambigu, entre le rêve et le cauchemar. Le format du cour métrage est parfaitement maitrisé par ces cinéastes, et leur permet une liberté de ton, qui n’est pas possible sur un format 1. Hiroki Azuma, « Les enfants de la postmodernité », édition Hachette Littérature - Haute tension, 2008


long métrage. En musique, on trouve Fever Ray groupe suédois, au tonalité chamanique qui n’est pas encore totalement affranchi du calibrage marchant de l’œuvre musicale, mais qui tend de plus en plus a s’en affranchir. Il retravaille, sur plusieurs année d’un seul morceau musical, en collaboration avec d’autres musiciens. Déroutante, cette démarche ne semble pas tout à fait répondre à une logique commerciale d’exploitation d’un titre dans des déclinaisons variées, mais plus à une vulgarisation de l’expérimentation musicale. Ces cinéastes et musiciens drainent avec eux un design graphique à la limite de la pratique artistique, pourtant, il ne fait que mettre en scène la douceur, il est incapable de l’exprimer. L’un ayant besoin de l’autre, le graphisme étant incapable de la produire, doit se tourner vers la douceur pour lui permettre de s’exprimer. Pour vaincre la tyrannie du cool, ce graphisme sort de la standardisation du format et du médium, en se greffant sur un médium qui remet en cause sa nature statique. Dans sa lutte contre le cool, le design graphique doit mettre le contenu en péril et se jouer de la dénomination du récepteur en temps que cible. Le graphisme approche de la douceur lorsqu’il mute, et qu’il s’ouvre à d’autre champs artistiques, comme a d’autre design. Maria Fischer et son Traumgedanken, est une jeune graphiste allemande qui qui se joue du fil de la pensée. Elle joue avec son support littéraire et oscille entre douceur de la rencontre ingénue du papier blanc et du fil de coton coloré et violence faite au médium livre en le perforant l’intégrité de la page et en mettant en place une logique forcée entre certain mots des pages successives du livre1

1. article, du paper blog, « Pensées sur les rêves de Maria Fischer », Publié le 03 janvier 2011


Conclusion

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En résumé, la violence est l’endroit où le graphisme prend naissance, sans parler de marketing qui nie l’humain dans son droit à la non rentabilité et qui dirige actuellement le graphisme, ce dernier contraint la pensée et sa liberté, en la fixant et en la structurant. Le graphisme est définitivement du côté de la violence dans sa définition actuelle parce qu’il cherche à susciter le désir, il est ancré dans un modèle industrielle particulier1. Pourtant, il tend vers autre chose lorsqu’il utilise la violence afin de mettre en critique son contenu et qu’il dépasse sa condition de relais2 . La survie du graphisme se joue aujourd’hui dans sa capacité ou non a dépasser la programmation du désir, et en la possibilité de véhiculer un nouveau schéma de communication hors du cool et du marketing, tel qu’il est appliqué dans la sphère mercantile dominante. Le graphisme sort de lui même, dans la mesure où la violence qu’il s’inflige, tend à tordre sa forme habituelle. Il sacrifie ses certitudes pour s’exposer à une transformation. En se mettant en danger, il peut expérimenter des formes incohérentes et absente de toute praticité. Ce n’est pas un danger anodin, en ce questionnant sur sa finalité, le graphisme envisage également la possibilité de sa disparition, au profit de quelque chose de plus grand, dans le bien de la communauté, il pourrait même envisager de se saborder, pour faire disparaitre un modèle économique qui stigmatise le sujet et l’aliène à un schéma de consommation. Sans graphisme, plus de consommation, on mettrait un terme à la nuisance du graphisme. Ce serait un sérieux coup asséné contre la tyrannie du cool. D’un autre côté, la destruction pure du graphisme, n’a pas de sens réel. Dans la mesure où il possède une réelle positivité, lorsqu’il permet au sujet de se dépasser, mais aussi lorsqu’il permet de sortir du monde, et permet de réintroduire de la spiritualité, au sens primitif du terme. La seule échappatoire au cool est la considération 1. Hélène Bouchardeau, « Bernard Stiegler et Ruedi Baur, Changer de modèle industriel », un entretien européen, Synthèse de l’entretien du 06 mars 2007 2. cf Étienne Mineur, volumique.com


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de la douceur, élan naturel, de la rapprocher de nouveau de la violence, et de permettre l’alternance de ces deux mouvements. Sans pour autant chercher à les fusionner. Au risque de chercher à s’approprier le pouvoir contenu dans l’extase, ou pire, de faire basculer la communauté dans la folie.

Quoi qu’il en soit, le problème actuellement dans ma recherche d’une expression de la désobéissance en graphisme, repose sur une difficulté à appliquer des principes observé et testé dans le cadre d’une réflexion personnelle et isolée. Je ne peux pas apporter une réponse seule simplement basée sur des possibilités mise à jour par une réflexion. Je dois ouvrir et confronter mon travail au débat, et à l’apport de sensibilités extérieures.



Bibliographie, Sitographie, Film

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Bartolomé de Las Casas, « La controverse entre Las Casas et Sepulveda », édition Vrin, 2007 Blaquière Hélène, « Jack Goody : Pouvoirs et savoirs de l’écrit », Pouvoir magique de l’écrit, Figures de la psychanalyse, 2009/1 n° 17 C. Lévi-Strauss, « le dédoublement et la représentation dans les Arts de l’Asie et de l’Amérique », et avec Nicole Belmont « Marques de propriété dans deux tribus sud-américaines », 1963 David Carson, « The End of print », édition Chronicle Books, 1995 Dr Léon Pales, article « les mutilations tégumentaires en Afrique noire, de l’ethnologie à la pathologie » Épicure, « Maximes capitales », XXIX, XXX Hélène Bouchardeau, « Bernard Stiegler et Ruedi Baur, Changer de modèle industriel », un entretien européen, Synthèse de l’entretien du 06 mars 2007 Hervé Vautrelle, «  Qu’est-ce que la violence ?  », édition Vrin, 2009 Hiroki Azuma, « Les enfants de la postmodernité », édition Hachette Littérature - Haute tension, 2008 Jan Tschichold, «  Livre et typographie  », édition Allia, réédition 2011 Jean Christophe Goddard, « Violence et subjectivité - Derrida, Deuleuze, Maldiney, édition Vrin, 2008 Lucrèce, « De la nature des choses », fin du livre IV Michel Gilonne, « L’avifaune dans le Codex Borbonicus » Journal de la Société des Américanistes n°64, 1977 Roberto Bosi, « Le grand livre des civilisations primitives au XX siècle », édition deux coqs d’or, 1984 Venceslas Kruta, « Que sais-je ? Les Celtes », édition PUF n°1649, 2006 // agora.qc.ca/dossiers/Violence ethnoarts.over-blog.com fabula.org fanettemellier.com labica.lahaine.org paperblog.fr redpsy.com revue-cantate.fr scribd.com volumique.com wikipedia.org wired.com // Niels Arden Oplev, « Millénium », triologie format télévision, 2009


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