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Vous avez dit architecture contemporaine ? 6 Ça commence quand ? 8 Forcément spectaculaire et/ou monumentale ? 12 Art, technique ou matière ? 16 L’architecte est-il une marque ? 20 Un métier d’homme ? 22 Un vecteur de communication ? 24 La loi des concours, un exemple français ? 28

Architecture, etc. 24 Les artistes occupent l’espace 26 L’architecture sur grand écran 28 L’architecte, un héros de cinéma 30 Les vitrines du luxe 32 Les styles anciens 34

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Collectif ou individuel ? 58 L’habitat collectif, un défi ? 60 Maisons d’hier et d’aujourd’hui ? 64

Une machine à rêver ? 128 Question de style : comment s’y retrouver ? 36 Modern for ever 38 Postmodernisme 42 Minimalisme 46 Néobaroque 50 Déconstructivisme 54 Écolo & co 50 Variation sur un même thème 52 L’œuf ou la poule ? 54

Vous avez dit culture ? 94 Culture toujours... 96 Les nouveaux jeux du stade 100

Toujours plus haut 142 Ils ont osé 150 20 architectes 156 Annexes 198

Vous avez dit public ? 104 Lieux publics, lieux communs ? 106 Lieux publics, lieux privés ! 108 Et dieu(x) dans tout ça ? 110

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Rejeter-adhérer

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Zaha Hadid, Chanel Mobile Art, Central Park, New York (2007) 4

a résistance au progrès, à l’invention, à l’imagination, aux fluctuations et aux évolutions de la langue (que celle-ci soit littéraire, musicale, artistique, cinématographique, chorégraphique, poétique...) est une constante très largement partagée, quelle que soit l’époque, quelle que soit la latitude. L’architecture, art qui s’impose autoritairement à tous, en est particulièrement victime. Une résistance tout à fait oublieuse en ce qu’elle joue toujours de la comparaison, de l’opposition avec ce qui constitue le patrimoine architectural, sans jamais prendre en compte que ce patrimoine a provoqué, en son temps, la même résistance, le même rejet, le même refus, ni admettre que ces joyaux du passé ont tous été, en leur temps, des moments de progrès. « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience », écrivait le poète René Char. Quant à Georges Bataille, il assénait : « La limite n’est donnée que pour être excédée. » Troubler les sensations, excéder le regard, peut-être trouve-t-on là la nature même de l’architecture ? D’autant que, la plupart du temps, au rejet succède l’adhésion. En 1887, à Paris, pour l’Exposition universelle, on inaugure la tour Eiffel. Instan­ta­né­ment est publié dans le journal Le Temps du 14 février, le manifeste des artistes, signé entre autres par François Coppée, Alexandre Dumas fils, Charles Garnier l’architecte de l’Opéra de Paris, Leconte de Lisle, Sully Prudhomme… « Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes de nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel… » Signataire du manifeste, Guy de Mau­pas­sant, qui venait souvent y dîner (« parce que c’est le seul endroit d’où on ne la voit pas »), s’employa tant contre la tour Eiffel que le manifeste des artistes fut rebaptisé « mani­feste Maupassant ». Quant à un autre écrivain, Léon Bloy, il qualifiait la tour de « lampadaire tragique ».

Aujourd’hui la tour Eiffel, devenue le symbole absolu de Paris, accueille près de sept millions de visiteurs payants par an, ce qui en fait, dans cette catégorie, le monument le plus visité au monde. Quatre-vingt-dix ans plus tard, en 1977, à la veille de l’ouverture du Centre Pompidou, la foule est dense, massée à ses abords. Pas de manifeste cette fois-ci, mais des manifes­tations qui s’enchaînent, et commencent à inquiéter sérieusement le personnel du centre qui tente de raser des murs impalpables pour rejoindre ses espaces. À l’extérieur, le mot qui revenait le plus fréquemment était celui de « Meccano ». Non pas Le Mécano de la General de Buster Keaton qui avait fait et faisait encore rire tous les cinéphiles, mais bien plutôt le Meccano des constructions hasardeuses, aléatoires et trop évidemment mécanistes. Jusqu’à ce qu’un petit malin, n’ayant probablement pas encore digéré la tour Eiffel, lance : « Après le derrick, voilà la raffinerie. » Pourtant, dès le lendemain, et comme pour la Tour Eiffel, la foule se pressait aux portes du Centre Pompidou pour le visiter, le découvrir et, peut-être, se donner le temps et la chance d’y adhérer. Les exemples de ce type abondent et jalonnent toute l’histoire de l’architecture. Ainsi, tout comme Paris, San Francisco a connu un double exemple de rejetadhésion. Au moment de son édification (1933-1937) le Golden Gate Bridge a fait l’objet d’un grand nombre d’oppositions de toute sorte; quant à la Transamerica Pyramid de William Pereira, elle a suscité une violente opposition en 1972. Aujourd’hui, le pont et la tour sont les deux symboles de San Francisco... Le cinéaste américain John Huston, qui s’y connaissait en choses de la vie, s’amusait à répéter : « Le point commun qui réunit les bâtiments, les putes et les cinéastes, c’est qu’ils deviennent respectables avec l’âge. »

Gilles de bure

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Ça commence quand  ?  8 Forcément spectaculaire et/ou monumentale ?  12 Art, technique ou matière ?  16 L’architecte est-il une marque ?   20 Un métier d’homme ?   22

Vous avez dit architecture

contemporaine ?

Un vecteur de communication ?   24 La loi des concours, un exemple français ?   28 6

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Forcément spectaculaire et/ou monumentale ?

Il en va parfois, souvent, de l’architecture comme des arts plastiques. Avec très peu d’action, l’art minimal, l’art conceptuel, le land art produisent une infinité d’émotions. Il en va donc de même de l’architecture qui tend, de plus en plus, à se libérer de sa lourdeur, de sa permanence, de son encombrement, à opter, aussi souvent que possible pour l’immatériel, le vide, le silence, le presque rien. S’organise alors un jeu dialectique subtil entre présence et absence, apparition et disparition, relations d’adhésion plutôt que d’obstruction.

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1 Terunobu Fujimori Maison de thé Tetsu Kiyoharu Shirakaba Museum, Yamanashi Japon, (2005). 2 Atelier Mobile Kinya Maruyama Extension de la crèche de Yuri Honjou Japon (2005).

Kawaï ! Certes, les Japonais ont le sens du presque rien, ici en forme de maison de poupée. Mais ce qui unit au mieux ces deux architectures, c’est un curieux mélange d’humour et de grâce, de tradition et de modernité, d’économie de moyens et de générosité d’imagination. 1

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Vous avez dit ARCHITECTURE  ?

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ette tentation, cette volonté du rien se révèle, souvent, d’une grande richesse et d’une grande complexité. Des univers se découvrent alors, infinis, paradoxaux, impalpables, qu’ils naissent du hasard (l’inspi­ration ?) ou de la nécessité (l’économie du projet). C’est bien souvent dans les « petites formes », les petits projets que l’imaginaire des architectes trouve le mieux à s’expanser. Le Japon est coutumier du fait en raison même d’un territoire exigu et d’une population en croissance constante. L’espace vital y est compté, mesuré et, dès lors, les interstices y sont la règle. Ainsi, en 2003, l’architecte Kinya Maru­yama est appelé à concevoir l’extension de la crèche Hikari à Yuri Honjou. Espace restreint, budget restreint, délai restreint. Résultat, une salle polyvalente, sorte de petit théâtre, dont on ne sait s’il est en forme de cerf-volant, de tête de coq, de samouraï agenouillé ou encore d’oiseau de légende aux ailes déployées, faisant face à la montagne du Chokaï. Avec des moyens qu’on pourrait qualifier de « bouts de ficelle », Maruyama réalise là un petit chef-d’œuvre de poésie et d’humour où se mêlent la complexité du jeu de Go et l’esprit surréaliste (le cadavre exquis), le goût de l’utopie et le sens de la nature. Toujours au Japon, Terunobu Fujimori réa­lise, en 2005, le Chashitsu Tetsu (maison de thé) du Kiyoharu Shirakaba Museum à Yamanashi : une cabane perchée sur un cyprès et dominant un parterre de cerisiers. Le tronc du cyprès, taillé, traverse la cabane comme une . . . 9


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colonne vertébrale et joue le rôle de stabilisateur en cas de tremblement de terre ou d’ouragan. Quoique largement ouverte sur l’extérieur afin de bénéficier de la nature et des cerisiers en fleur, et non pas repliée sur elle-même comme il est de tradition, cette maison de thé peut se lire comme un hommage au fameux « salon de thé d’or » édifié également dans un arbre par l’architecte Rikyu au xvie siècle. Ainsi, cohabitent ici mémoire, respect de la tradition, ouverture au monde, préoccupation environnementale. Dans ce même registre de mémoire et d’expérimentation, on pense au marché de Santa Catarina de Barcelone, rénové et expansé par Enric Miralles et Benedetta Tagliabue en 2004. S’extrayant de l’archi­tecture existante, le marché devient ouvert et couvert. Une longue toiture ondulante est ainsi posée sur une structure métallique très affirmée, très architecturée. Une longue vague, porteuse d’une composition mosaïque colorée et pixélisée, évoquant fruits et légumes et, peut-être plus encore, les célèbres mosaïques du parc Güell, chef d’œuvre du grand architecte catalan Antoni Gaudí. Au même moment en Suisse, à Boudry, la minimaliste passerelle, faite d’une structure en lames de sapin et de branchages parfaitement alignés, jetée sur l’Areuse par les architectes Geninasca et Delefortrie semble un hommage conjugué au land art et à l’arte

3 Geninasca et Delefortrie Passerelle sur l’Areuse Boudry Suisse (2002).

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4 Philippe Chiambaretta/ PC­­­­A Façade du Centre de création contemporaine Tours, France (2007). 5 Rem Koolhaas Villa Dall’Ava Saint-Cloud France (1991).

5 Il suffit d’un rien pour que soudain tout prenne consistance. D’un simple jeu de lignes, Chiambaretta transcende une façade, tandis qu’avec quelques branchages subtilement encadrés, Geninasca et Delefortrie tendent bien plus qu’une passerelle, et qu’avec quelques pilotis d’une extrême légèreté Koolhaas bascule un lieu dans la dimension du rêve.

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povera. Une sculpture aérienne en pleine forêt, à la simplicité, à la légèreté et à la grâce incomparables. Les exemples de cette puissance d’ima­gi­na­tion associée à des moyens et des objectifs limités se multiplient, à l’instar de la simplis­sime façade réalisée par Philippe Chiam­­ba­retta pour le Centre de création contemporaine de Tours (France). Là où les seuls constructeurs, selon les circonstances ou les con­ traintes, accumulent ad libitum ou bien réduisent, rétrécissent au minimum, les vrais architectes, quel que soit le problème posé et quels que soient les moyens engagés, consacrent toute leur imagination, tout leur talent, tout leur génie, toute leur énergie à faire œuvre. « Mettez des chaussons trop petits aux danseuses, elles inventeront de nouveaux pas », optimisait Paul Valéry. 11


Modern for ever  13 Postmodernisme 42

Minimalisme  46 Néobaroque   60 Déconstructivisme   64 Écolo & co   50

Question de style  : comment s’y retrouver  ?

Variations sur un même thème   52

L’œuf ou la poule   54

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QUESTION DE STYLE

Modern for ever

La Première Guerre mondiale touche à sa fin. En 1917, en Russie, la révolution d’octobre accouchera du constructivisme et des Vhutemas, célèbres écoles d’art. La même année, en Hollande, le peintre Piet Mondrian réunit quelques amis, artistes et architectes, et fonde De Stijl. En 1919, en Allemagne, Walter Gropius fonde le Bauhaus tandis qu’en France Le Corbusier et le peintre Amédée Ozenfant créent L’Esprit Nouveau.

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1 Le Corbusier Villa Savoye Poissy France (1931). 2 Ludwig Mies Van der Rohe Seagram Building, New York, États-Unis (1958).

Deux chefs-d’œuvre qui posent les fondements de l’architecture moderne et du style international.

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es avant-gardes du xxe siècle sont nées et plus rien, pense-t-on, ne sera jamais pareil. Les débauches de la guerre, celles de l’Art nouveau et de l’Art déco doivent laisser place au mouvement moderne qu’expérimentent déjà Alvar Aalto en Finlande, Adolf Loos (auquel on doit le célèbre « l’ornement c’est le crime ») en Autriche, Rob Mallet-Stevens et Auguste Perret en France... Le Corbusier y va de sa fameuse définition de l’archi­tecture : « Le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière. » Mieux, en 1926, en compagnie de son cousin Pierre Jeanneret, il théorise et publie sa vision de l’architecture moderne avec Les Cinq Points d’une nouvelle architecture. Soit les pilotis, qui transforment le rez-de-chaussée en espace dégagé et permettent au jardin de passer sous le bâtiment ; le toit terrasse qui peut ainsi servir de toit jardin, d’espace sportif, de solarium, voire de piscine ; le plan libre qui libère l’espace et le laisse respirer ; la fenêtre en bandeau et enfin la façade libre. Théorie qu’il mettra en pratique de façon brillante et convaincante aussi bien dans ses célèbres villas blanches (villa Savoye, 1931) que dans l’habitat collectif (Cité radieuse de Marseille, 1952). De son côté,

l’enseignement du Bauhaus (qui, en raison de la montée du nazisme, va se répandre dans tout le monde occidental et particulièrement aux États-Unis) préconise le décor minimal, la ligne géométrique, l’usage des techniques nouvelles, l’hygié­nisme, et affirme que « la forme découle de la fonction ». En 1929, le pavillon de l’Allemagne à la Foire internationale de Barcelone fait l’effet d’un geste fondateur. Signé Mies Van der Rohe, il s’agit d’un pur chef-d’œuvre de rigueur, de simplicité et d’élégance. En 1932, l’architecte Philip Johnson organise au musée d’Art moderne (MoMA) de New York l’exposition Modern Architecture et publie avec son collaborateur Henry Russel-Hitchcock un manifeste intitulé International Style. Les deux faisant la part belle aux nouveaux matériaux, le verre, l’acier et le béton, au service d’une expression favorisant les surfaces extérieures lisses, l’absence d’ornementation, les grandes portées, la régularité. C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que naîtront, principalement à New York et à Chicago, les purs chefs-d’œuvre de ce qu’il est convenu d’ap­peler, dorénavant, le style international. Parmi eux, le Lever Building (1952) de . . . 15


L’habitat collectif, un défi ?  38 Maisons d’hier et d’aujourd’hui ? 42

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Collectif ou individuel ?

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Rome, capitale de la chrétienté et donc du monde « civilisé » n’était, en 1630, que la quatrième ville d’Italie, après Naples, Palerme et Venise. Une Rome qui, malgré ses fastes et sa gloire, ses temples religieux et laïcs s’élevant de toutes parts, se dépeuplait. Tant et si bien que tout au long du Corso, les participants aux courses, fêtes et parades pouvaient voir accrochés aux façades des immeubles qui le bordaient quantité d’écriteaux annonçant « à louer » ! Les fluctuations des densités urbaines ne sont pas nouvelles. Sauf que depuis deux siècles, la tendance s’est inversée (avec une accélération phénoménale ces vingt dernières années), et les villes découvrent à grand rythme la réalité de la surpopulation.

1 Christian de Portzamparc Les Hautes-Formes, logements Paris, France (1979).

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Le Corbusier La Cité radieuse, logements Marseille, France (1952). 2

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L’habitat collectif, un défi ?

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utrefois, les choses étaient claires. L’espace urbain se divisait entre quartiers « hauts » et quartiers « bas ». D’un côté les palais, de l’autre les taudis. Puis vint Georges Eugène Haussmann, nommé préfet de la Seine par Napoléon III en 1853. Il allait remodeler Paris selon une vision utopique, l’ordre contre le désordre. Ordre social certes (lutter contre cette maladie urbaine faite de promiscuité, de manque d’hygiène, d’épidémies, de mortalité effrayante…), mais aussi politique (l’« image » déjà, faire de Paris la vitrine du pouvoir impérial), économique (spéculation, multiplication des immeubles de rapport…) et militaire si l’on peut dire (les révolutions de 1830 et 1848 sont encore dans les mémoires et le tracé de grandes avenue rectilignes autorisera charges de cavaleries et tirs au canon en cas d’émeutes). Rationalisant les règlements d’urbanisme, l’alignement, l’ali­men­ ta­tion en eau, l’hygiène publique, et imposant un nouvel ordre architec­tural, Haussmann invente l’urbanisme moderne et son modèle sera exporté dans le monde entier avec, naturellement, des variantes. À Berlin, Karl Friedrich Schinkel impose un autre modèle architectural, s’inspirant de l’architecture grecque classique par opposition au goût français très « romain », définissant une règle . . . 21


Collectif ou individuel ?

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de trois : socle, corniches, attique, encore en vigueur aujour­d’hui. À New York, l’esprit de rationalisation impose des alignements très stricts, mais c’est surtout l’économique (foncier, ratios, coûts techniques...) qui domine, sans préjugé de style. Bref, la France a fait exemple et continuera de le faire au xxe siècle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à l’heure où la reconstruction d’urgence donne naissance, dans toute l’Europe, à des litanies de barres et de tours, Le Corbusier propose une réponse nouvelle au problème du logement collectif dans sa double dimension urbaine et architecturale. Dès 1945, il développe un modèle de cité-jardin verticale innovant et avant-gardiste, dans lequel l’individuel et le collectif s’équilibrent. Soit des ensembles individuels insérés dans la logique d’une structure collective. Il invente ainsi un objet urbain, ni barre ni tour, dont la mesure, idéale à ses yeux, est une unité sociale de 1 600 habitants répartis en 337 logements de 23 types différents. Avec, côté collectif, la présence d’une école maternelle, d’un gymnase, d’un hôtel, de commerces et de bureaux. La première de ces unités d’habitation, il l’édifiera à Marseille en 1952 et la baptisera Cité radieuse. Immédia­tement rebaptisée par les Marseillais maison du fada, elle fait aujourd’hui la fierté de la ville et est devenue monument historique. Suivront quatre autres unités d’habitation,

à Rezé (1955), à Berlin (1957), à Briey (1960) et à Firminy-Vert (1969). Il faudra attendre 1968 pour voir naître un nouveau modèle aussi innovant. À Ivry-sur-Seine, dans la banlieue de Paris, Jean Renaudie réalise un ensemble de logements sociaux à la radicalité et à la générosité extrêmes : béton brut, formes acérées, végétation en cascade depuis les balcons qui équipent chaque logement, circulations collectives par les terrasses, mixité des fonctions… une autre manière d’envisager le monde, de considérer le logement social, d’en finir avec l’injustice, du « passé faire table rase ». Onze ans plus tard, en 1979, Christian de Portzamparc livre, à Paris, un ensemble de logements qu’il nomme les Hautes-Formes : un paysage subtilement fragmenté en sept petits immeubles reliés entre eux par des arcades et des portiques autour d’un passage ouvert et d’une petite place calme et lumineuse. Des jeux de volumes et de rythmes, de lignes et de percées qui créent des relations et des tensions capables de lier entre eux des objets disparates, de faire soudain vivre dans l’espace urbain des « blocs de sensation ». Voilà trente ans que les architectes du monde entier continuent de venir visiter cet exemple d’ouverture du logement urbain à la lumière. Paris encore et toujours, avec une succession de tenta­tives aux écritures architecturales très diverses mais avec toujours . . .

4 NeutelingsLakeside Housing Huizen, Hollande (2003). 5 Jean Renaudie, Logements sociaux Ivry-sur-Seine, France (1975). 6 Aldric Beckmann et Françoise N’Thépé, Logements, Paris, France (2009).

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le même souci d’expression majeure, de fonctionnalité maximale. Ainsi en va-t-il des lignes irrégulières et des reliefs mouvementés de Frédéric Borel à Belleville (1983), Oberkampf (1990) et Pelleport (1999) ; des vagues baroques de Massimiliano Fuksas à l’îlot Candie ; de la Tower Flower (2004) d’Édouard François aux balcons-pots de fleurs d’où jaillissent des forêts de bambous ; de la radicalité métallique d’Herzog & de Meuron sur les arrières de Montparnasse (2000) ; du béton si précieusement teinté dans la masse en brun chocolat et jaune d’or par Beckmann et N’Thépé en bords de Seine (2008), que leur immeuble semble être un monument de bronze passé par endroits à la feuille d’or… Tandis qu’à Nîmes, en 1987, Jean Nouvel livre un ensemble de 114 logements, sorte de monstre high-tech monté sur pilotis. Le parking ne sera donc pas enterré, mais laissé à l’air libre, sous les immeubles. Une économie conséquente qui permet à l’architecte de donner à ses logements sociaux des surfaces équivalentes aux immeubles bourgeois. Mieux, ce choix permettra à Nemausus, grâce à sa surélévation sur pilotis, d’échapper aux dégâts provoqués par les crues considérables de la Vistre. Partout dans le monde, les tentatives d’apporter la qualité architecturale au collectif se multiplient. À Miami, le groupe Arquitectonica joue de la couleur et de la fantaisie et, avec un immense vide pratiqué dans leur . . . 7 Arquitectonica, Atlantis, logements, Miami, États-Unis (1982). 8 Qingyun Ma, Campus universitaire Zhejiang Ningpo, Chine (2002)

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immeuble Atlantis (1982), fait participer le ciel à l’architecture. À Amsterdam, en 2003, le groupe MVRDV pose le long du port le Silodam, un bloc de dix niveaux monté sur pilotis, compacté comme une pile de containers auxquels il emprunte matières et couleurs, et surmonté d’une terrasse en teck comme le pont d’un bateau. À Huizen, toujours aux Pays-bas, le groupe Neutelings élève, en 2005, littéralement sur l’eau, cinq blocs de logements, armés de feuilles de métal argenté, comme prêts à appareiller. En 2005, dans le petit charmant et historique village de Geinhaussen, en Allemagne, les architectes Seifert et Stöckmann imaginent une forme traditionnelle entièrement habillée, sans la moindre transition entre les murs et le toit, d’une peau en aluminium blanc ; à cinq mètres de hauteur, jaillissant des flancs de l’immeuble, un living-room de 22 m² coulissant sur rails se transforme en un surprenant balcon-terrasse. À New York, dans le « bas de la ville », aux portes du Bowery, là où la brique est reine et l’orthogonalité de rigueur, Bernard Tschumi livre, en 2003, un élancement de verre à la tonalité bleue – d’où son nom Blue – avec lequel il joue des torsions et des porte-à-faux, mêlant ainsi cinétisme et déconstructivisme… L’art de la ville est, dit-on, une pensée qui chemine dans l’histoire. L’effarante concentration urbaine qui caractérise ce siècle nous réserve, à coup sûr, encore bien des surprises.

9 MVRDV, Silodam, logements Amsterdam, Hollande (2003).

10 Bernard Tschumi, Blue, condominium New York, États-Unis (2009)

Avec MVRDV, groupe d’architectes hollandais à l’humour corrosif, on va de surprises en surprises : immeuble-tiroir, immeuble-conteneur, immeuble-belvédère… sans fin l’imagination.

11 MVRDV, Wo Zo Co, logements Osdorp, Hollande (1997)

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Norman Foster  À main droite, le Causse de Saint-Affrique. À main gauche, le Causse du Larzac. Et tout en bas, profondément encaissé, le Tarn qui serpente, sinue, s’étire. Du haut du viaduc, le spectacle est saisissant de beauté sauvage. Depuis Creissels, là-bas, la vue n’est pas moins extraordinaire. Mais cette fois-ci, il convient de lever les yeux pour contempler l’ouvrage d’art qui se découpe sur le ciel. La beauté est là, évidente, péremptoire, acérée, une beauté structurelle si forte qu’elle en ferait presque oublier la qualité du dessin, de l’écriture architecturale. Architecture sans architecte à l’image du romain pont du Gard qui semble si naturellement procéder du paysage même ? Architecture d’ingénieur à l’instar du pyrénéen viaduc de Garabit signé Gustave Eiffel, à la puissance symbolique affirmée ? À Millau, à l’évidence, la symbiose est parfaite et l’entente totale entre nature et culture, entre architecte et ingénieur. Il en résulte une courbe longue et aérienne, posée sur sept piliers majestueux. Sept piles donc, supportant un tablier long de 2 460 mètres et large de 30 mètres. L’ensemble est dominé par sept pylônes arrimant 154 fils d’acier. Au total, 290 000 tonnes d’acier et de béton, et pourtant le sentiment d’une incroyable légèreté. Avec ce viaduc hors normes, Foster démontre une fois encore sa virtuosité technologique, le soin qu’il apporte au moindre détail, son goût de l’efficacité. À l’aplomb de Millau, l’équation s’est transmuée en nombre d’or.

Principales réalisations 1986 Siège de la Hong Kong and Shanghai Bank – Hong Kong (Chine) • 1998 Le Carré d’Art – Nîmes (France) • 1999 Dôme du Reichstag – Berlin (Allemagne) • 2002 Music Center – Gateshead (Grande-Bretagne) • 2004 Tour Swiss Re – Londres (Grande-Bretagne) • 2008 Aéroport de Pékin – Pékin (Chine)

Viaduc de Millau, Millau France, 2004. 30

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