Dominique Lanni ILLUSTRATIONS
Karin Doering-Froger
Conception et réalisation graphique : Karin Doering-Froger Photogravure : Reproscan © Flammarion, Paris, 2015 87, quai Panhard-et-Levassor 75647 Paris Cedex 13 Tous droits réservés ISBN : 978-2-0813-5210-0 N° d’édition : L.01EBNN000369.N001
SOMMAIRE « Ailleurs mythiques »
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Pour Stéfanie Pour Justine, Quentin, Pablo et Diego
europe
Et pour Cédric. Candie
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Cythère
14
Ogygie
16
Troie
18
Monomotapa
72
Pays des Mombouttous
76
Royaume du Prêtre Jean
80
Royaume de Saba
84
Sources du Nil
88
Terres de Bonne-Espérance
92
amériques
Araucanie
asie
98
Cibola
102
Eldorado
106
Pays des Amazones
110
Terre de Feu
114
Cathay
24
Cipango
28
Colchide
32
Empire du Grand Moghol
36
Golconde
40
Kâfiristân
42
Pays des Cimmériens
46
Nouvelle - Cythère
120
Taprobane
48
Terra australis
124
Tartarie
50
terres austr ales
marges afrique
Îles des Bienheureux
130
Barbarie
56
Jardin des Hespérides
132
Cap Bojador
60
Lémurie
136
Congo
64
Thulé
138
Méroé
68
5
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! » Joachim du Bellay, Les Regrets
AILLEURS MYTHIQUES
L’histoire des cartes traduit assez remarquablement l’évolution du savoir géographique. Dans sa conception matérielle même, avec ses déchirures opportunes, ses cartouches, elle donne aussi à lire les lacunes, doutes, interrogations et certitudes des hommes. Délimitant les contrées, indiquant les mers, les fleuves, parfois les habitants des lieux, les cartes gagnent en précision grâce aux rapports, mémoires et comptes rendus des voyageurs et explorateurs. « À beau mentir qui vient de loin », enseigne l’adage. Au sein même ou aux côtés de contrées réelles, surgissant des océans ou fabriqués de toutes pièces, sont apparus en divers points du globe et à des époques plus ou moins reculées, des pays, des terres, des îles ou des continents, des royaumes… nimbés d’une aura mystérieuse, entourés de légendes ou totalement rêvés. Le monde est-il fini ? Où se situent ses marges ? Ce sont ces questions qui animent les Anciens dont l’œcoumène – le monde connu – a pour limites la Barbarie, la Libye et l’Éthiopie au midi, la Colchide, le Pont-Euxin, le jardin des Hespérides à l’orient et ultima Thulé au septentrion. En Occident, des lieux comme les îles de Cythère, Ogygie et Candie ou la cité de Troie, ont très tôt et durablement accédé au rang de lieux rêvés. Théâtre d’une guerre qui n’a peut-être pas eu lieu, Troie a fasciné les poètes de l’Antiquité avant d’exciter puissamment les imaginaires des mythologues, des dramaturges et des archéologues. Cythère, île bénie des dieux, est longtemps passée pour être l’île des amours ; Candie, pour être
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celle des héros et de l’affrontement entre Thésée et le Minotaure. Quant à Ogygie, l’île
utopistes. Si les sources du Nil ont fait l’objet d’erratiques localisations durant des siècles,
de la magicienne Circé, sa quête et sa localisation ont fait accomplir de beaux voyages
c’est parce que longtemps, on a tenu un de ses affluents, le Gihon, pour un fleuve menant
à nombre d’hellénistes qui ont sillonné la Méditerranée l’Odyssée en main.
au paradis…
En Orient ont été placés la Colchide, le pays de la Toison d’or, le ténébreux pays des Cimmériens,
Plus que l’Afrique sans doute, le Nouveau Monde a été fertile en contrées légendaires, qu’il
habitants des galeries souterraines. Sur la foi des témoignages de Marco Polo consignés
s’agisse du pays des Amazones, de l’Eldorado ou des sept cités d’or de Cibola. Fièvre de l’or,
dans le Devisement du monde, qui font mention de maintes merveilles, de richesses infinies
quand tu nous tiens, que de folies et de crimes ne nous fais-tu pas commettre en ton nom...
et de palais tout en or, le Cathay, Cipango et les Indes ont fait rêver plus d’un voyageur. C’est
Pizarro, Orellana, Olid… Ce sont là les noms de quelques-uns seulement des conquista-
par ailleurs le rêve de l’un d’eux, allié à une formidable intuition, qui est à l’origine de l’une
dores qui ont mis ce quatrième monde dont l’Occident avait tant à apprendre en matière
des plus formidables et fécondes erreurs de l’histoire de la navigation et de celle des Grandes
d’astronomie, de mathématiques, de botanique… à feu et à sang pour s’emparer de cités
Découvertes. Sans Marco Polo, Christophe Colomb n’aurait jamais rêvé des Indes, et il n’aurait
d’or qui n’ont jamais existé que dans l’esprit de ceux qui les ont inventées.
jamais ouvert la voie à ces Indes qui, pour ne pas que le rêve colombien s’évanouît, furent
Du fait de leur extrême ou relatif éloignement, les marges ont également été investies d’une
baptisées les « Indes occidentales ». Enfin, jusqu’au xvii siècle, Taprobane passa pour le lieu où
fonction mythopoïétique : en Extrême-Occident, sur le mont Atlas, a été placé le jardin des
Adam et Ève vécurent et cédèrent à la tentation, l’empreinte du pied d’Adam visible sur l’un
Hespérides, aux limites du monde habité, les îles Bienheureuses, au nord Thulé et aux confins
des monts de l’île en apportant aujourd’hui encore l’irréfutable preuve au pèlerin sceptique...
des mers du Sud, le continent austral, supposé faire contrepoids par sa masse à la masse des
Semper aliquid novi est in Africa… dit le dicton. Si la Barbarie est un espace fantasmagorique
continents situés au nord de l’équateur, et la Nouvelle-Cythère, cette île enchanteresse dans
de l’imaginaire antique et médiéval, c’est parce qu’elle donne à voir une Afrique telle qu’on
laquelle Bougainville et ses hommes voulurent reconnaître le paradis terrestre…
ne l’imaginera plus avant le xviii e siècle : une Afrique riche, rayonnante et heureuse. En deçà,
C’est à une exploration de ces lieux et d’autres, dans le compagnonnage d’historiens, Hérodote,
le continent est longtemps demeuré méconnu, jusqu’à ce qu’ait été franchi le cap Bojador,
Strabon, Diodore de Sicile, de voyageurs, Marco Polo, Christophe Colomb, de conquérants,
le « cap de la peur », sous l’impulsion d’Henri le Navigateur. Alors l’Afrique a révélé une terre
Pizarro, Orellana, mais aussi de romanciers, polygraphes et érudits, Heinrich Schliemann,
chrétienne – le royaume du Prêtre Jean –, un empire flamboyant – Méroé –, de gigantesques
Victor Bérard, Jules Hermann, que convie cet atlas, invitation d’un voyageur à un voyage
territoires peuplés de sauvages et de monstres – le Congo, le Monomotapa, le pays des
en des lieux rêvés, parfois imaginés et imaginaires, mais tous, pour reprendre la formule
Mombouttous et un royaume aux sols percés de mines d’or – le royaume de Saba. Les terres
du poète-voyageur Henri Michaux au sujet de ses Ailleurs, Poddema, la Grande Garabagne
du continent noir ne sont pas les seules à avoir fasciné les voyageurs, les cosmographes et les
et le pays de la Magie, ô combien « parfaitement réels ».
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CANDIE Île heureuse CANDIE, TEL FUT, durant quelques siècles, le nom donné à la Crète. Il a pu faire oublier l’histoire
de cette île, qui mêle inextricablement les coutumes de ses habitants et les mythes auxquels elle est associée. Qui n’a pas en mémoire les fresques de Knossós ? Dauphins d’un bleu inaltéré, kouros aux lignes gracieuses ont émerveillé les esprits autant que les scènes de tauromachie, qui montrent des jeunes gens voltigeant sur des aurochs aux cornes gigantesques. La mythologie grecque ne laisse pas ces pratiques à la merci de l’usure des siècles : ainsi le taureau blanc offert par Poséidon à Minos, roi de Crète, sera-t-il vaincu par Héraclès. Mais pour ceux que l’histoire antique passionne, la Crète est la terre des héros, l’« île heureuse » où précise le cosmographe François de Belleforest « les Anciens avoient opinion que de cette île les héros avaient tous pris leur origine ». C’est sur cette terre fertile que Dédale construisit son fameux labyrinthe, sur ordre de Minos, pour cacher le monstre mi-homme, mi-taureau que Pasiphaé avait enfanté de son union coupable avec le taureau blanc. Cent fois envahie, cent fois libérée, cent fois reconquise, Candie passera au fil des siècles aux mains des Achéens, des musulmans, des Byzantins, des Turcs, des Vénitiens. Et c’est un des miracles de l’histoire que cette terre tant de fois violée nous apparaisse encore dans la plénitude de ce qu’elle fut quand Thésée la délivra du Minotaure, et quand Héraclès terrassa le taureau blanc qui, frappé de folie par Poséidon, semait la terreur sur tout son territoire. Mythe étrangement prophétique, d’ailleurs, et qui semble annoncer les rapts successifs que la Crète eut à subir, du fait de son isolement. Il en est souvent ainsi de ceux qui veulent demeurer libres : dans l’histoire de la Grèce antique, si les Crétois se trouvent quelquefois associés aux conflits du continent, ils gardent toujours une distance avec les Athéniens ou les Spartiates. Remarquables athlètes, on les trouve en effet rarement associés aux jeux Olympiques de l’Antiquité. Île aux richesses naturelles innombrables, expression d’un art de vivre millénaire, elle représente une manière de centre du monde. Et comme si toute beauté avait pour destin d’être salie, l’île sera au fil des siècles l’objet de la convoitise de tous les pays voisins.
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CYTHÈRE Plaisirs et beautés BAIGNÉE SUR SA CÔTE OUEST par la Méditerranée, et sur sa côte est par la mer Égée, Cythère
apparaît comme un point minuscule isolé entre le Péloponnèse et la Crète. L’exiguïté de ses proportions contraste avec l’ampleur des mythes grecs qui accompagnent sa naissance, nourrissant l’imagination des écrivains et des peintres occidentaux au fil des siècles. Les philosophes de l’Antiquité, Hésiode en tête, la font apparaître dès la fondation du monde. Il est remarquable que ce petit bout de terre ait été désigné par les Anciens comme le témoin de la naissance des Titans et de celle de la déesse de l’Amour, Aphrodite. Le promeneur qui ferait quelques pas sur la plage de Firi Ammos serait saisi par la splendeur des lieux, et comprendrait ce qui a pu embraser l’imagination des Grecs. Il pourrait peut-être deviner, en contemplant l’azur de cette mer qui vient cogner le sable rouge, qu’à quelques milles au large, les flots engloutirent le sexe tranché d’Ouranos. Et la beauté mirifique du paysage pourrait coïncider dans son esprit avec l’apparition d’Aphrodite, dans une méditation où ciel, amour, mer, sang et semence recréeraient un mythe mille fois écrit, mille fois transmis, mille fois raconté. Point de rencontre gigantesque entre Ouranos, Chronos et Gaïa, terre de convergence entre le Ciel, le Temps et la Terre, Cythère entre dans l’éternité des rêveries humaines en devenant l’île d’élection d’Aphrodite aux pieds nus. C’est pour célébrer cette divine naissance que les habitants de l’île auraient élevé un temple en l’honneur d’Aphrodite et lui auraient dédié un culte. Dans ses Enquêtes, Hérodote signale la présence de ce temple et en attribue la construction aux Phéniciens. Dans l’héritage romain, l’île, associée à la déesse Vénus, va des siècles durant demeurer l’île des amours et des plaisirs amoureux. Peintres et écrivains français classiques ont rivalisé d’imagination pour transmettre aux générations le tumultueux fantasme qui se rattache à Cythère. Qu’on observe l’Embarquement pour Cythère peint par Watteau qui ne fait l’économie de rien de ce qui est rattaché à la splendeur de l’île, et aux beautés de son mythe. Ne demeure que l’aspiration à l’amour, fantasme ultime qui en Cythère a trouvé son temple, pour le restant des siècles.
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OGYGIE Refuge de Calypso LE SORT PARAÎT s’être acharné sur certains lieux, afin de les préserver à jamais de la présence des
hommes. Et au cours des siècles, nul ne paraît avoir séjourné sur l’île d’Ogygie, sinon Ulysse et la belle Calypso. Lorsque le héros parvient sur l’île où réside la nymphe, fille d’Atlas, il ignore encore qu’il y restera sept ans. Bruegel l’Ancien a laissé de cette scène de l’Odyssée une peinture qui donne à penser ce que représentait cette île dans l’imagination des artistes. Calypso s’abandonne à l’étreinte d’Ulysse dans un camaïeu d’or et de verdure. Le bleu ineffable qui perce par les ouvertures de la caverne où vit la nymphe donne à l’ensemble une majesté et une douceur en harmonie avec l’amour qui unit les deux amants. « Il n’est pas d’immortel qui n’aurait les yeux charmés, l’âme ravie », chante Homère. Situer cette île est une autre affaire, qui relève du casse-tête. Si l’on en croit Homère, sa végétation pourrait être celle des côtes marocaines. Hérodote, lui, la place sur la côte africaine du détroit de Gibraltar. Si l’on s’en tient à ces hypothèses, il faut renoncer à ce qu’Ogygie soit une île. Chacun avancera son idée. Et puisque Ogygie est décrite comme une île du couchant, pourquoi ne serait-elle pas l’île de Gozo, dans l’archipel maltais ? Comme Ogygie, Gozo est percée de grottes et d’anfractuosités. Et sa végétation est semblable à celle que décrit Homère. Victor Bérard, et auteur de ce beau voyage littéraire que sont Les Navigations d’Ulysse, affirme qu’Ogygie et l’îlot de Perejil ne font qu’un. Son hypothèse a de quoi séduire : Perejil possède une calanque de dimensions suffisantes pour abriter un bateau. Chutes d’eau et futaies de cèdres et d’aulnes correspondent aux descriptions d’Homère. Située sur la pointe nord des côtes marocaines, elle n’est décelable que par les marins qui connaissent la région. L’endroit rêvé pour cette Calypso dont le nom signifie « cachée ». Au-delà de ces conjectures, un doute demeurera toujours. Comme si, au fond de soi, on tenait à garder secret, et pour l’éternité, ce lieu où vécut la plus belle des nymphes, afin de lui conserver à jamais un antre invisible aux yeux des hommes – l’antre de notre cœur.
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TROIE Trésor de Priam SI LES MYTHES ANTIQUES sont prodigues en récits propices à la rêverie, l’époque moderne
a eu souvent à cœur de chercher, au-delà de ces récits, les preuves qui donnent un peu de réalité à ces belles légendes. Lorsqu’en 1870, Heinrich Schliemann découvre sur le site d’Hissarlik les premiers vestiges d’une antique forteresse, il a la certitude d’avoir découvert cette Troie dont le souvenir hantait l’Occident depuis deux millénaires. Déjà en 1776, le voyageur français ChoiseulGouffier, aidé par Jean-Baptiste Le Chevalier, déclarait avoir localisé sous une colline proche de Burnabashi les ruines de la cité. Tandis qu’en 1801, deux archéologues anglais, Edward Daniel Clarke et John Martin Cripps, situaient Troie sur une colline élevée près d’Hissarlik. Schliemann, guidé par les quelques éléments topographiques laissés un siècle avant lui par Clarke et Cripps, a exploré cette région occidentale de la Turquie bien pauvre en indices. Le paysage est celui d’une paisible campagne. Quelques bouquets d’eucalyptus et d’oliviers jalonnent les vignobles, sous un soleil brûlant. La mer Égée n’est pas loin, les Dardanelles non plus, tout au plus à deux heures de marche. Dans le silence qui apaise le site, il est bien difficile de retrouver la mémoire des batailles, du sang versé, des incendies. Schliemann découvre plusieurs strates de vestiges enfouis au fil du temps. La rêverie reprendra ses droits sur l’esprit scientifique lorsqu’il mettra la main sur un étonnant trésor. Bijoux en or, boucles d’oreilles, bracelets, bagues, broches donnent à Schliemann la certitude que ce sont là les joyaux de la belle Hélène. Sans aucun doute, il vient d’exhumer le fabuleux trésor du roi Priam. Schliemann dissimulera son extraordinaire trouvaille aux autorités. Il devra pourtant restituer son butin. Qu’importe si les découvertes ultérieures viendront contrarier son l’hypothèse, Schliemann aura fait renaître de ses cendres la mythique Troie et redonné vie à ses héros.
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Darda, Trôs, Ilion… avant d’être connue sous le nom de Troie, la mythique cité va changer
par le feu. Parmi les cendres, on aurait aimé trouver les restes du cheval qu’Agamemnon
plusieurs fois de nom, comme elle changera aussi de place sur les cartes du monde avant
fit entrer dans la forteresse, entraînant la perte de ses habitants.
de se fixer en Asie Mineure, non loin de la mer Égée, aux portes de l’Hellespont. Troie ville
Au fil des siècles, les écrivains ont représenté Troie comme la civilisation la plus digne de res-
mythique, maudite par le destin après que son souverain le roi Laomédon a oublié de récom-
pect. Et c’est pour assurer plus de grandeur et de noblesse à la naissance de Rome que Virgile,
penser les dieux Apollon et
dans son Énéide, lui invente des origines troyennes. Un millénaire plus tard, Benoît de Sainte-
Poséidon qui l’avaient aidé à
Maure compose le Roman de Troie, une monumentale histoire de la prestigieuse cité. Le chroni-
entourer sa cité de hautes et
queur refuse que la guerre de Troie ne soit qu’une légende. Emboîtant le pas à Darès le Phrygien
épaisses murailles. Troie ville
et à Dictys de Crète, il décrit une Troie toute de splendeur, et un peuple aux mœurs raffinées.
guerrière, attaquée, assiégée
Nombreux sont, à l’âge classique et au siècle des Lumières, les voyageurs qui, lecteurs de
et qui succombera au xii siècle
l’Iliade, de l’Odyssée, et rêvant, comme Ulysse, de « faire un beau voyage », arpentent la région
avant Jésus-Christ à l’occasion
de Troie en espérant secrètement découvrir les murailles et les trésors de la mythique cité. Les
d’une guerre mythique contre
siècles ont avalé les atrocités commises par les Achéens, laissant au souvenir la mémoire des
les Achéens. Une guerre de dix
exploits et des amours funestes. Hommes et dieux ont pris possession une nouvelle fois de
longues années chantée, par
l’imagination des peuples. Et si les historiens contemporains ont apporté la preuve qu’il ne se
l’aède Homère, dans l’Iliade, le
passa à Troie qu’une rixe entre quelques groupes d’hommes aux mœurs brutales, on se plaît
fameux poème d’Ilion.
à imaginer Athéna volant au secours d’Achille, parmi le fracas des javelines, des boucliers
Nombreux sont, à l’âge classique et au siècle des Lumières, les voyageurs, lecteurs de l’Iliade, de l’Odyssée, rêvant, comme Ulysse, de « faire un beau voyage ». Ils arpentaient la région de Troie en espérant découvrir les murailles et les trésors de la mythique cité.
e
Bien que détruite, Troie continue de fasciner et nombreuses sont les épopées qui célèbrent avec
en peau de taureau, et des armures étincelantes, dont l’éclat aveugle autant que le soleil.
faste des descendants de héros troyens ou des rescapés de la cité. Loin de tarir l’imagination des
Tant pis si le cadavre d’Hector, attaché derrière le char d’Achille, a laissé autour des rem-
artistes, la découverte du site présumé de la cité redonne vie aux héros qui ont disparu avec elle.
parts une traînée de sang dont la vue fit défaillir Andromaque. Tant pis si les ossements
Planant au-dessus des amas de pierres, on imagine avec émotion les fantômes de Pâris et
de son jeune fils Astyanax, jeté du haut des remparts, viennent s’ajouter aux cadavres qui
d’Hélène, dont le rapt déclencha la fureur des Achéens. Et l’on se plaît à voir apparaître
parsèment la plaine embrasée. Les années ont tôt fait d’effacer le souvenir des horreurs.
en songe Priam, Andromaque et Cassandre, juchés sur les restes d’un rempart recouvert
Et les ruines de Troie, serties par les vignes, n’offrent plus aux visiteurs qu’une occasion
d’herbes folles. Les archéologues apporteront la preuve que la cité fut plusieurs fois détruite
nouvelle de perpétuer la magie des légendes.
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CATHAY Aux frontières du paradis DEPUIS L’ANTIQUITÉ , l’Extrême-Orient est célèbre pour la beauté de ses soieries. Dans leurs écrits,
Pline l’Ancien et Sénèque le désignent comme le « pays des Sères ». Au Moyen Âge, des voyageurs, en empruntant les routes mongoles, pénètrent dans une région dont les habitants se nomment les Khitans, ou Kitai : c’est de cet ethnonyme que sera forgé le nom de « Cathay » pour désigner leur terre dont l’étendue correspond à peu près à la Chine. À l’époque, géographes, cartographes et cosmographes s’accordent pour placer le paradis terrestre au nord de l’Asie. Fidèles à la tradition biblique, ils y situent volontiers les terres de Gog et Magog. Cette région du globe fascine. Certains savants s’autorisent même à penser que le Grand Khan et le Prêtre Jean ne seraient en fait qu’un seul et même homme. Au cours de son périple asiatique en 1254, le moine franciscain d’origine flamande Guillaume de Rubrouck rencontre des peuples fort différents. Ouïgours, Tangouts, Tibétains du Nord, sont l’occasion pour lui d’en livrer des descriptions aussi brèves que pittoresques. Si les Tibétains sont des « hommes très forts », les Coréens sont « de petite taille et basanés comme des Espagnols ». Vingt ans avant Marco Polo, il dresse le premier portrait des Chinois : « Ils sont de petite taille et nasillent en parlant. Comme tous les Orientaux, ils ont en général de petits yeux », observe-t-il. Ère du temps oblige, il se renseigne sur le Prêtre Jean : « J’ai traversé les pâturages, mais personne ne le connaissait. » Au tournant des
xii e
et
xiii e
siècles, Giovanni di Montecorvino, un autre moine franciscain,
originaire des Pouilles, séjourne en Arménie et en Perse avant de se rendre en Chine mongole en compagnie d’un frère prêcheur, Nicola de Pistra, et d’un marchand, Pietro de Lucalongo. Il connaît la langue tartare. Ayant découvert le Cathay, il y restera quarante ans, une éternité pour l’époque… Cependant, c’est grâce aux récits de Marco Polo que, de terre lointaine, le Cathay s’élèvera au rang de terre mythique. Dans le Devisement du monde, Rustichello, qui fut en quelque sorte son secrétaire, affirme : « Depuis que Notre Seigneur Dieu fit Adam notre
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premier père, il n’y eut jamais homme d’aucune race qui sût tant de choses et qui parcourût
S’étant porté au chevet de Marco Polo en 1323, Jacopo de Cequi lui confesse qu’ « il y avait
les diverses parties du monde à la recherche de ses grandes merveilles. »
beaucoup de choses étranges en son livre et qu’elles défiaient toute crédulité ». Le voyageur lui
Marco aime la démesure. Il s’extasie devant le palais démontable du Grand Khan, et
rétorque alors qu’il n’a pas révélé « la moitié de ce qu’il avait réellement vu ».
les toits en or de ces pagodes que Christophe Colomb prendra pour des palais, et qu’il
La fascination de l’Occident pour le Cathay
recherchera en vain dans les îles de la mer des Antilles.
ne s’amenuise pas avec la publication des
Évoquant la mer de Chine, Marco Polo note qu’elle est « si longue et si large qu’elle
voyages de Marco Polo, bien au contraire.
a, selon de sages pilotes et mariniers qui y naviguent et savent bien dire la vérité,
L’exploration de la Chine par Nicolo et
7 448 îles, dont la plupart sont habitées ».
Maffeo Polo, puis par Marco, constitue
Marco Polo n’a pas seulement recherché des merveilles ; il en a rapporté. Lorsque le neveu,
probablement la première en date des
le père et l’oncle reviennent à Venise en 1295, rares sont ceux qui veulent croire que ce sont
« Grandes
là les trois hommes partis vingt-quatre ans plus tôt. Ils rapportent de leur voyage au Cathay,
celle de l’Amérique. Le Cathay ne ces-
à Cipango et en Inde, des récits fabuleux. Et pour convaincre les incrédules, ils retirent
sera d’émerveiller. Et jamais Christophe
des doublures de leurs vêtements les joyaux, perles et diamants qu’ils ont ramenés, telles
Colomb n’aurait « découvert » l’Amérique
de précieuses reliques, de ces terres du bout du monde. Certains demeurent sceptiques.
– suivant la légende – s’il n’avait tenté
Découvertes »,
bien
avant
Pour convaincre les incrédules, ils retirent des doublures de leurs vêtements les joyaux qu’ils ont ramenés, telles de précieuses reliques, de ces terres du bout du monde.
d’atteindre les Indes, Cipango et le Cathay, en prenant la direction du couchant. Si, au cours de ses deux premiers voyages, il ne trouve pas les palais en or décrits par Marco Polo, Christophe Colomb ne doute pas d’avoir atteint les Indes. Il estime que le Cathay et Cipango ne sauraient être fort éloignés. C’est seulement lors de son troisième voyage qu’il se ravisera. Mais il est trop tard, sa fièvre de l’or a emporté nombre de ses pairs. Et que les terres qu’ils explorent ne soient pas le mythique Cathay, la légendaire Cipango et les fabuleuses Indes importe peu à Francisco Pizarro ou à Francisco de Orellana. D’autres mythes dorés ont pris le relais, et animent les rêves de conquêtes et de gloire : ceux de Païtiti, de l’Eldorado et des sept cités d’or de Cibola.
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CIPANGO Archipel du levant LA CIPANGO RÊVÉE de Marco Polo a très tôt perdu son beau nom d’empire du Soleil-
Levant, que le Vénitien tenait du chinois. Dès la découverte de l’île par les Portugais au
xvi e
siècle, on l’appela le Giapan. Très tôt, Cipango, à l’instar de l’Inde et du Cathay,
va représenter dans l’imaginaire collectif des Occidentaux tout ce que l’Orient a de plus fabuleux, et alimenter les rêves et les fantasmes des voyageurs, des marchands, des cartographes et des lettrés. Marco Polo l’avait rêvée : la description qu’il en fait lui avait été rapportée, jamais il n’y aborda. Deux siècles plus tard, Christophe Colomb, qui comptait traverser l’archipel dans sa folle idée de gagner l’Inde par l’ouest, trouva un continent en lieu et place d’une île – et l’on sait lequel ! Les voyageurs occidentaux du
xiii e
siècle Guillaume de Rubrouck et Giovanni di Pian
Carpino ont parcouru le Proche et le Moyen-Orient, traversant la vaste Tartarie. Odoric de Pordenone est même parvenu à Bornéo, où il décrit des peuples de cannibales armés de flèches empoisonnées. Mais aucun d’entre eux n’a atteint l’île de Cipango. Un des premiers Européens à rapporter une description de cet archipel, dont le hasard a voulu qu’il ressemblât à un arc, est donc Marco Polo. Dans son Devisement du monde, il relaye cette évocation d’une terre qu’il n’abordera pourtant jamais : « Cipango est une île du Levant en haute mer, éloignée par mille cinq cents milles de la terre ferme. C’est une très grande île. Les gens sont blancs et ont belle allure. Ils sont idolâtres et indépendants. Et je vous assure qu’ils ont une quantité infinie d’or car ils la trouvent dans leurs îles. Peu de marchands y vont parce que c’est si loin de la terre ferme. C’est pour cette raison que l’or y abonde outre mesure. » Il poursuit : « Et je vais vous décrire la merveille qu’est le palais du seigneur de cette île. Sachez qu’il a un grand palais qui est tout couvert d’or fin, à la manière dont nos églises sont couvertes de plomb, de sorte que cela est d’une telle valeur qu’on pourrait à peine le compter. Et tout le pavement du palais
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et des chambres est d’or, en blocs épais de bien deux doigts, et les fenêtres aussi, de sorte que
Selon la tradition, c’est au terme de son troisième voyage que Christophe Colomb, étonné des
ce palais est d’une richesse si démesurée que nul ne pourrait le croire […]. Ils ont aussi beau-
dimensions de la péninsule du Paria, aurait compris que cette terre ne pouvait être une île.
coup de pierres précieuses. Et je vous dis qu’en raison de cette grande richesse qui était dans
Il n’était pas face à Cipango, mais au seuil d’un continent inconnu dressé comme un obstacle
cette île, dont on avait fait le récit à Kubilaï Khan, il décida de la faire prendre. »
incontournable sur la route des Indes… Cosmographes et cartographes se rallieront à cette
Lorsqu’il embarque à Palos
hypothèse : ils dessineront à l’ouest une terre aux contours incertains, et à l’est l’Inde, du
de Moguer, sur le Río Tinto
Cathay à Cipango.
en Andalousie le 3 août 1492,
Cet agencement des continents et des îles sur les mappemondes, avec l’Asie sur la droite et
Christophe Colomb est hanté
l’Amérique nouvelle venue sur la gauche, s’imposera peu à peu. Il offre aux cartographes
par l’idée d’ouvrir une nou-
l’occasion rêvée d’escamoter la question de ce vide qui sépare le Cathay et Cipango des
velle route et de rallier les
terres nouvellement découvertes. Si bien qu’à l’aube du xvi e siècle, la question de la distance
Indes, le Cathay et Cipango
séparant les terres nouvellement découvertes des Indes, du Cathay et de Cipango n’est pas
par l’ouest : il s’agit de s’empa-
résolue. Contarini, dans sa tentative de synthétiser les sommes de connaissances acquises,
rer de leurs extraordinaires
place les Antilles non loin de Cipango. Tandis que Martin Fernandez de Enciso se fait
trésors. Aussi, lorsqu’il atteint les Antilles, et passe de San Salvador à Haïti par Cuba,
le relais de la confusion qui règne sur cette partie inconnue du globe en additionnant
est-il convaincu d’avoir atteint les Indes et de se trouver à quelques journées de naviga-
des distances établies en degrés par Ptolémée et les itinéraires en lieues des marins, sa
tion du Cathay et de Cipango. Certitude faussée par des erreurs de calcul, autant que par
mappemonde est une somme d’erreurs. Le Cathay est confondu avec Mangi, Java avec
la foi qu’il accorde aux récits de Marco Polo. Découvrant une nature luxuriante, et des
Sumatra, Champa avec Cipango. En 1566, sur la carte de Bolognino Zaltieri, Cipango
autochtones aussi affables que ceux décrits par le Vénitien deux siècles avant lui, il ignore
devient le Giapan.
encore que sa position est fausse : la latitude exprimée sur ses parchemins a pour réfé-
Le tracé des côtes de l’archipel, comme celui des côtes de Taprobane, se précise grâce
rentiel une étoile qui n’est pas la Polaire. Aussi pourrait-on dire que la véritable étoile
aux rapports des navigateurs portugais, qui ont mis le pied sur l’île en 1543. Les
qui guida Christophe Colomb, c’est Marco Polo. Il n’est pas le seul. Nombreux sont ceux
tracés des côtes et îles de cette partie du globe resteront cependant très approximatifs
qui, à l’instar du cartographe allemand Martin Behaim, estiment que « Ptolémée n’a pas
jusqu’à la fin du
décrit le monde plus loin [que le Gange] mais [que] Marco Polo l’a fait ».
livrera la première carte assez fidèle de l’archipel nippon.
Cipango va représenter dans l’imaginaire collectif des Occidentaux tout ce que l’Orient a de plus fabuleux, et alimenter les rêves et les fantasmes des voyageurs, des marchands, des cartographes.
30
xvi e
siècle. Et c’est à l’aube du siècle suivant seulement que Luis Teixeira
31
COLCHIDE Pays de la Toison d’or NUL NE CONNAÎT plus le nom de Colchide. Les siècles ont effacé de la mémoire des hommes
ce nom pourtant si doux à l’oreille. Il nous en est resté cette petite fleur – le colchique – qui apparaît à la fin du mois d’août, et qu’on trouve à profusion en Asie Mineure, et plus particulièrement en Géorgie, sur la rive est de la mer Noire. La Colchide aurait sans doute été définitivement effacée de l’imagination des hommes, si elle n’avait été le pays de la Toison d’or chantée par les Anciens. Qui n’a pas entendu parler du périple de Jason et des Argonautes ? Il y a deux mille ans, la Colchide apparaissait comme une des limites de l’œcoumène, le monde connu. La mer Noire, qu’on appelait Pont-Euxin, était le sujet de légendes terrifiantes. Pour accéder à la rive orientale du Pont-Euxin, il fallait passer par un détroit flanqué de falaises, qui se refermaient sur les navires engagés dans le passage : les Symplégades. Qu’on se souvienne : tyrannisés par leur marâtre Ino, Phrixos et Hellé, fils et fille du roi Athamas, implorent Zeus de les secourir. Le dieu des dieux leur envoie alors Chrysomallos, un puissant bélier ailé à la toison et aux cornes d’or. Le chevauchant aussitôt, les deux adolescents prennent la fuite. Mais tandis qu’ils survolent la mer, Hellé tombe et se noie à l’embouchure du Pont-Euxin : elle donnera son nom à l’Hellespont. C’est donc seul que Phrixos pénètre enfin en Colchide où il immole le bélier en l’honneur de Zeus avant de faire don de la Toison d’or au roi Æétès. Le mythe connaît plusieurs variantes. Et selon les sources, la Toison est suspendue aux branches d’un chêne, ou cachée dans une grotte gardée par un dragon. C’est là qu’intervient le fameux Jason dont la postérité a retenu le nom, et qui a inspiré peintres, dramaturges et cinéastes. Envoyé par son oncle Pélias, roi de Iolchos en Thessalie, il se rend en Colchide pour s’emparer de la Toison d’or. Un certain nombre d’épreuves l’attendent, imposées par
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Æétès. Il triomphe de chacune d’elles grâce à la complicité de la brûlante Médée, fille du
allèrent chercher pour Pélias la Toison toute d’or ! » se lamente la nourrice de la Médée
roi et ensorceleuse, qui a succombé à son charme et nourrit pour lui une passion dévorante.
d’Euripide. « Ma maîtresse Médée n’eût pas fait voile vers les tours du pays d’Iolchos,
La Toison enlevée, Médée rejoint Jason et les Argonautes à bord du navire Argo pour
le cœur blessé d’amour pour Jason. Elle n’eût pas persuadé aux filles de Pélias d’assas-
fuir la Colchide où, désormais traîtresse à son père, elle ne peut plus demeurer. L’équi-
siner leur père et n’habiterait pas ici en cette terre de Corinthe avec son mari et ses
page ne savourera pas longtemps sa victoire : les hommes périront pour expier, comme
enfants, où l’exilée s’est fait aimer de ceux qui l’ont chez eux accueillie. »
l’explique Sénèque, « le viol des lois du monde marin ». Le sort de Jason et de Médée
Longtemps la situation géographique de la Colchide et l’origine de son peuple furent
est scellé. « Plût aux dieux que le navire Argo n’eût pas volé par-delà les Symplégades
soumises au caprice des historiens. Si l’on sait aujourd’hui que c’est en Géorgie que
bleu sombre vers la terre de Colchide, que dans les vallons du Pélion le pin ne fût
se situe le cœur de cette terre mythique, et
jamais tombé sous la hache et n’eût armé de rames les mains des héros valeureux qui
que sa population est d’ethnie caucasienne, Hérodote lui attribue une origine égyptienne : il prétendait avoir croisé là-bas des hommes basanés, aux cheveux crépus. Il attribuait leur présence à une colonie de Sésostris. Cette hypothèse en a enchanté plus d’un : Voltaire lui-même la relaya ! Au
xvii e
siècle, Lambertini et Chardin lais-
seront ces étranges interprétations de côté, préférant s’en tenir à l’histoire de Jason et de la Toison d’or. Une manière de recon-
Aux limites du monde connu, la Colchide n’était accessible que par un détroit flanqué de falaises, qui se refermait sur les navires engagés dans le passage : les Symplégades.
naître que si les mythes appartiennent à l’imaginaire, ce dernier est plus fécond en vérité que les constructions de la raison – surtout quand, balbutiantes, elles tendent à rendre ces contrées plus étrangères encore que les mythes qui les ont portées.
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EMPIRE DU GRAND MOGHOL Pays des merveilles « C’EST LA PLUS BELLE et la plus magnifique contrée du monde. » Ainsi Marco Polo décrit-il
propres yeux ». Les indigènes de la côte de Malabar qu’il vient d’aborder par le sud-ouest
en quelques mots son impression en découvrant l’Inde. La nouvelle est d’importance pour la
de la péninsule ne sont, dit-il, « pas vraiment noirs, mais olivâtres ; ils sont très bien faits.
civilisation médiévale, et sans doute aussi surprenante que le furent pour nos contemporains
Ils marchent pieds nus, portant un pagne autour des membres honteux. Ils ne se rasent pas
les premiers pas posés sur la Lune. L’Inde est l’objet de descriptions fascinantes. Outre l’or qu’on
la barbe et se lavent beaucoup de fois par jour ».
y trouve en abondance, sa faune et ses habitants y sont tels qu’on n’en trouve pas d’équivalent
Strictement parlant, l’Inde ne fut l’Empire moghol que deux siècles durant, de 1500 à 1700,
dans le monde connu. Dans l’Antiquité, les suppositions les plus extravagantes allaient bon
période où elle subit la conquête musulmane turco-mongole. Marco Polo précéda de deux
train. Selon Hérodote, les animaux y étaient plus petits que chez nous ; selon Pline, ils étaient
siècles cette invasion, qui apporta des changements notables dans les habitudes des popula-
d’une taille monstrueuse. Quant aux arbres, leur taille rendait leur cime inaccessible aux jets
tions. Lorsqu’il arriva en Inde, il fut ébloui par la magnificence des pratiques religieuses de
de flèches. Pline fait mention de figuiers, qui couvraient la taille d’un « escadron de cavalerie ».
ses habitants. C’était bien avant l’imprégnation de la culture persane qui se produisit avec
Ctésias est encore plus imaginatif : les montagnes démesurées qui couvriraient l’Inde seraient
l’arrivée de Tamerlan, deux siècles plus tard, et qui eut pour effet l’apparition d’un syncré-
le pays de créatures cynocéphales. Un millénaire plus tard, de nombreuses enluminures médié-
tisme religieux fait d’islam et de brahmanisme. Marco Polo n’eut pas à observer les effets de
vales montrent de fait des hommes à tête de chiens, vêtus de toges blanches, se livrant au troc
la charia sur les coutumes locales. Il connaissait cela dit parfaitement les coutumes mongoles,
ou à la lecture d’ouvrages sibyllins.
en familier de Kubilaï Khan, petit-fils du grand Gengis Khan.
Jusqu’au Moyen Âge, l’Inde est cette immensité située à l’est, à l’extrémité de la terre où se lève
L’Inde fascine. On y situe le paradis terrestre. On dit que s’y échoua l’arche de Noé. Et dans
le soleil. On y décrit une chaleur étouffante, propice aux dérèglements les plus étonnants de
les traditions occidentales, on la désigne comme le pays d’origine des Rois mages. Les récits
la nature. Quantité d’animaux fabuleux, phénix et licornes, cynocéphales et sciapodes au pied
que fait Marco Polo de la chasse aux perles montrent une civilisation pacifique, douce, qui
unique évoluent sur cette terre mirifique riche en pierres précieuses.
répugne à la guerre, et qui, lorsqu’elle survient, a recours à des mercenaires pour la faire
Au xiii siècle, Guillaume de Rubrouck visite l’Asie. Rencontrant une ambassade envoyée auprès
à sa place. Et si quelque monstre marin vient à menacer les pêcheurs, la prière des prêtres
du Grand Khan, il tente de s’informer sur ce pays dont on connaît tellement peu de choses. On
suffit à l’écarter. Dans l’imaginaire de la Renaissance, les populations de l’Inde sont associées
lui indique la direction de l’Occident. Rubrouck voyage en compagnie de cette ambassade
à l’homme tel qu’en sa nature originelle paradisiaque. Les hommes y vivent nus, comme leurs
trois semaines durant, sans succès. Son confrère le franciscain Giovanni di Montecorvino
rois, parés seulement de pierreries dont l’éclat ajoute à la majesté ambiante. Les animaux décrits
aura plus de chance : il lui appartiendra le privilège tant convoité de décrire le premier
par Marco Polo sont à la mesure des merveilles racontées : « Les lions y sont tout noirs. Et il y a
portrait des habitants de cette étrange contrée, d’après ce qu’il a « vu et estimé de ses
des perroquets de diverses espèces, car il y en a de blancs comme la neige avec le bec et les pattes
36
37
e
vermeils. Et il y en a aussi de vermeils et des bleus qui sont la plus belle chose au monde à voir
Et c’est pour atteindre ces fameuses Indes par l’ouest que Christophe Colomb, animé du
[…]. Ils ont aussi de très beaux paons, plus grands que les nôtres et différents […]. Et ils ont
projet d’ouvrir une nouvelle route commerciale, suppliera la reine Isabelle de Castille
des fruits extraordinaires, et tout cela en raison de la grande chaleur qu’il y fait. » Marco Polo
de lui accorder le commandement d’une flottille. Le Génois ne découvrira pas les Indes,
mentionne également les quantités fabuleuses de poivre, de gingembre, de coton et d’indigo
mais, habité par ce désir tenace qui hantait les esprits occidentaux depuis l’Antiquité,
qui se trouvent dans la province du Gujarat. Lorsqu’il visitera l’Inde à son tour, le voyageur arabe
il restera attaché à la certitude que ce sont bien ces Indes fabuleuses qu’il a découvertes
Ibn Battuta n’apportera rien de neuf aux récits du Rubrouck, Montecorvino et Marco Polo.
lors de son premier voyage.
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GOLCONDE Royaume des bienheureux
TRÔNANT À PLUS de cent mètres au-dessus des plaines du Telangana, en plein cœur de l’Inde,
les restes de la ville fortifiée de Golkonda sont les derniers témoins de l’éphémère royaume dont elle fut la capitale, du xive siècle à l’avènement du xvie siècle. La toute première forteresse est édifiée au milieu du xiie siècle par la dynastie hindoue Kâkâtiya. Elle devient alors l’emblème d’une civilisation raffinée . Ahmadnagar et Bîdâr forment l’État du Dekkan. Le gouverneur turc de la province de Bahmanî fonde la dynastie Qutub Shahi qui va administrer la cité et le sultanat de Golkonda durant près d’un siècle. Sous cette dynastie, d’importants travaux d’agrandissement et de défense de la forteresse sont opérés. Le granit remplace la brique. Une immense muraille de pierre ceint la place forte et la protège de possibles assauts. À la toute fin du xvie siècle, Golkonda n’est plus capitale mais continue de prospérer grâce à ses mines de diamants, célébrant la douceur des mœurs de ses habitants et leur art de vivre dans ses fines miniatures. Cette opulence va attiser les convoitises : l’empereur moghol Aurangzeb assiège la forteresse huit mois durant avant qu’un traître ne lui permette d’entrer triomphalement dans la cité. Aurangzeb abandonne l’orgueilleuse Golkonda à l’état de ruines, ne laissant intacts que la Fath Darwâza, la « porte de la Victoire » et quelques autres édifices. Mais Golkonda survivra dans l’imagination de l’Occident. Portée par la vogue orientaliste que suscite la première traduction des contes des Mille et Une Nuits, Golkonda excitera l’imaginaire des écrivains des Lumières. Dans La Reine de Golconde du chevalier Stanislas de Boufflers, le narrateur décrit son séjour en cette contrée : « Je parcourus les différents royaumes qui partagent ce vaste pays [l’Inde], et je m’arrêtai en Golconde ; c’était alors le plus florissant État de l’Asie. Le peuple était heureux sous l’empire d’une femme qui gouvernait le roi par sa beauté et le royaume par sa sagesse. » Royaume prospère dans lequel le paysan cultive pour lui-même la terre et où les trésoriers ne perçoivent pas les impôts pour eux-mêmes, Golconde est, au siècle des Lumières, ce royaume mythique, utopique, qui associe l’opulence à la douceur de vivre, sous les bienveillants auspices d’une reine aussi charmante que sage.
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KÂFIRISTÂN Terre des rois LA SCÈNE EST D’ANTHOLOGIE : dans le bureau du rédacteur en chef du Northern Star,
Revenu dans le bureau du rédacteur en chef qui les avait accueillis avant leur folle équi-
Peachey Carnehan et Daniel Dravot, anciens soldats et francs-maçons, s’engagent par
pée, il pose devant lui la tête de Dravot enveloppée dans un linge, unique témoignage
contrat à devenir rois du Kâfiristân, à se garder de l’alcool et des femmes, et à demeurer
de son aventure.
loyaux l’un envers l’autre. Accoutrés en marchands, ils prennent la route. Deux années plus
Les lecteurs de l’époque savent qu’il y a loin des fabuleuses Indes dépeintes par Marco
tard, c’est un Carnehan en loques qui réapparaît dans le même bureau pour conter sa terrible
Polo aux Indes réelles. Mais elles continuent de fasciner et de susciter la convoitise.
aventure. Oui, lui et Dravot ont atteint le Kâfiristân. Ils en sont devenus les rois.
Au temps de l’impératrice Victoria, l’Angleterre ne cingle pas seulement toutes voiles
Immortalisée à l’écran par Sean Connery et Michael Caine, la nouvelle de Rudyard Kipling,
dehors sur les océans ; elle étend sa domination sur les continents et sur les terres nou-
The Man Who Would be King (L’homme qui voulut être roi), a fait connaître au grand public
vellement découvertes. Si l’Australie, réservée aux déportés et aux bagnards, est sa plus
ce pays situé aux confins des Indes, que traversa jadis Alexandre le Grand et qu’aucun
grande geôle, les Indes, avec ses
Européen n’a jamais atteint depuis.
métropoles frémissantes que sont
Kipling, qui se plaisait à croire en l’existence du Kâfiristân, déploie dans sa nouvelle, et
Delhi, Calcutta ou Bombay, sont
avec une virtuosité inégalée, un trésor d’imagination, où se mêlent la légende et les idéaux
ses joyaux. Dans leurs fictions,
les plus altiers de l’Angleterre coloniale. Ses deux héros, parvenus à destination, unifient
Joseph Conrad et Rudyard Kipling
les tribus, les arment, et combattent à leurs côtés. Une flèche a atteint Dravot, et s’est plantée
n’auront de cesse d’en chanter les
dans le cuir de sa cartouchière, sans le blesser : les indigènes tiennent désormais les deux
charmes et les splendeurs tout en
étrangers pour des diables ou des dieux. Ils leur seront désormais soumis.
louant la grandeur de l’Empire.
Les deux amis eussent pu demeurer et mourir rois si, désireux de fonder un empire et
Mais si les Indes fascinent encore,
une dynastie, Dravot n’avait voulu prendre femme. « Que peut apporter une mortelle
notamment
à des dieux ? » s’interrogent les prêtres et hauts dignitaires du royaume. La future
lettré comme Kipling, c’est parce
épouse choisie donne un baiser à Dravot en présence des prêtres et du peuple, puis
qu’une partie située à l’arrière-
elle le mord. Le sang coule. L’imposture est révélée. « Ni dieu ni diable : un homme ! »,
pays, dans les régions montagneuses, quasi inexplorée, demeure méconnue. Elle est
s’écrient les prêtres. Les deux rois sont poursuivis impitoyablement. Le règne de
le terreau qui continue d’alimenter fantasmes, mythes et légendes comme en témoigne
Dravot finit avec lui au fond d’un ravin, tandis que Peachey est crucifié mais survit.
la nouvelle de Kipling.
42
un
voyageur
fin
Si les Indes fascinent encore, notamment des voyageurs comme Kipling ou Conrad, c’est parce qu’une partie située à l’arrière-pays, dans les régions montagneuses, quasi inexplorée, demeure méconnue.
43
PAYS DES CIMMÉRIENS Terre de brume et de ténèbres CERTAINS RÉCITS ont plongé dans la nuit des siècles pour n’en plus sortir. D’autres ont fécon-
dé l’inspiration de nos contemporains avec obstination. Mythes antiques, fantaisies anglaises, jeux vidéo, films ont rendu familiers ces héros barbares, redoutables guerriers, mi-hommes, mi-dieux, et toujours à mi-chemin entre le mal et le bien, pour venger, détruire, réparer, anéantir. C’est sans doute la familiarité de ces peuples avec l’enfer qui inspira tant de poètes. Relisons Homère : Ulysse est invité par la magicienne Circé à gagner les Enfers où Tirésias lui révélera la route à suivre pour rejoindre Ithaque. Dans l’Odyssée, la route à suivre pour gagner le pays des morts passe par le pays des Cimmériens. C’est dire combien ce peuple est associé, depuis des millénaires, à Hadès. Les historiens de l’Antiquité situent ce peuple terrible autour de l’actuelle mer d’Azov. Ovide, dans ses Métamorphoses, décrit cette terre comme envahie par la brume et les ténèbres. « Jamais, ni à son lever, ni au milieu du jour, ni à son coucher, Phébus, de ses rayons, n’y peut avoir accès. Du sol s’exhalent des vapeurs engendrant d’épaisses ténèbres où flotte une incertaine lueur crépusculaire. » Relayée par les gravures et les peintures de l’époque romantique, avide elle aussi de brumes impénétrables, cette tradition seule inspira presque intégralement l’imagination d’un Wagner, d’un Liszt ou d’un Borodine. Une constante demeure cependant : l’attachement du pays des Cimmériens aux ombres et, par analogie, aux nuées, aux brouillards, aux brumes. Aussi les Anciens le localisent-ils fréquemment, à l’instar du jardin des Hespérides, dans l’Extrême-Occident, en Tauride ou dans ces lieux alors soupçonnés de communiquer avec les Enfers. Dans ses Enquêtes, Hérodote rapporte que les Cimmériens auraient subi la loi des Scythes et que, contraints d’abandonner leur patrie, ils auraient erré, telles des âmes égarées, avant de trouver refuge sur les rivages de la mer Noire. Strabon fait des Cimmériens un peuple vivant dans des mondes souterrains et qui guette la nuit pour se risquer au-dehors, renouant avec le riche imaginaire homérique du peuple des ombres et de la nuit.
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TAPROBANE Bout du monde TAPROBANE… C’est sous ce vocable enchanteur que l’île de Ceylan fut d’abord connue.
Que ce soit par le sanskrit tamraparni, « feuille de cuivre », ou par le cinghalais tambapanni, « mains rouges », il évoque aussi bien la forme de l’île que la couleur ocre de la terre pétrie par les premiers habitants originaires des contreforts montagneux du nord de l’Inde. Durant l’Antiquité, on raconte que les Égyptiens s’y rendaient en vingt jours à bord d’embarcations tressées en feuilles de papyrus. Pour les navigateurs grecs, elle est la terre du bout du monde, la « terre des Antichtones ». Au ive siècle avant Jésus-Christ, la flotte d’Alexandre le Grand atteint cette île qu’on ne connaissait que par des récits de marins. Un siècle plus tard, Mégasthène affirme que l’île recèle plus d’or et de perles que l’Inde, attisant aussitôt la convoitise des marchands grecs et romains. Pline évoque cet esclave affranchi d’Annius Plocamus qui, ayant passé six mois sur l’île, en a rapporté une description enchanteresse. Ludovico Varthema, les riches Vénitiens Cesare Federici et Gaspare Balbi, partis à la recherche de pierres précieuses et de gemmes, visitèrent l’île, profitant de leur périple pour découvrir d’autres lieux aux toponymes évocateurs de rêves et de richesses : Pegu, le Bengale, Negapatam, Sumatra, Java, Champa, etc. Mais l’appât du gain n’est pas le seul moteur de ces entreprises : si Taprobane fascine, c’est aussi pour ce qu’elle représente aux yeux de nombreux voyageurs érudits. En effet, depuis le voyage du négociant Suleiman au ixe siècle, puis plus tard dans les récits des aventures fabuleuses de Sindbad le marin, on raconte qu’après la chute, Adam et Ève y ont trouvé refuge. C’est ainsi que nombre d’auteurs chrétiens, soutenus et relayés avec fierté par les indigènes, se sont obstinés à faire de Taprobane le lieu même du paradis terrestre. Dans A Relation of Some Yeares Travaile Into Afrique (1634), le voyageur anglais Thomas Herbert s’en amuse : « Les habitants de l’île de Ceylan affirment que le paradis était chez eux et, pour autoriser leurs dires, vous montrent l’antique trace des pas d’Adam imprimée dans le sol sacré et préservée depuis par miracle. » Empreinte de pied qu’aujourd’hui encore, les autochtones montrent avec orgueil aux voyageurs.
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TARTARIE Terre des diables IL EN EST DES EMPIRES comme des glaciers qui couvrent le flanc des montagnes : ils
En 1254-1255, Louis IX – le futur Saint Louis – envoie à son tour en mission auprès du
grandissent ou s’amenuisent selon les âges. Celui que le Moyen Âge appelait Tartarie
Grand Khan un autre franciscain, le Flamand Guillaume de Rubrouck. À son souverain,
s’étendait au
siècle de l’Oural à l’océan Pacifique. Et si les Tartares désignent le
ce dernier promet : « Je vous écrirai tout ce que j’ai vu. Je vous décrirai leur vie et leurs
peuple mongol, leur territoire dépassait les frontières qu’on leur connaît actuellement :
mœurs aussi bien que je pourrai. » Il tiendra parole : il livrera des Tartares un por-
siècle, la chré-
trait similaire et aussi éloquent dans son Itinerario. Saint Louis aura d’ailleurs l’occa-
tienté s’interroge avec anxiété et effroi sur « cette race épouvantable d’hommes impies,
sion de juger par lui-même la véracité des descriptions de son ambassadeur. Lors de la
de monstres qui n’ont rien d’humain ».
VII e croisade, il recevra à Damiette les émissaires du Khan venus lui proposer leur aide
En 1227, à la mort de Gengis Khan, ses successeurs se partagent son vaste empire.
pour délivrer le tombeau du Christ.
Les ravages des hordes mongoles se répandent à la vitesse d’une traînée de poudre. Les
C’est à Marco Polo que reviendra le privilège insigne de faire disparaître la frontière invi-
avant-gardes des Tartares sont signalées aux portes de l’Italie, semant une terreur que
sible qui séparait l’Occident médiéval de cet empire du bout du monde. Parvenu auprès
décuple le sentiment d’inconnu.
de Kubilaï Khan, il en sera l’ambassadeur dix-sept années durant. Qu’on se représente ce
En 1245, le pape Innocent IV charge le franciscain Giovanni di Pian Carpino d’une mis-
Vénitien raffiné, rompu aux mœurs d’une Italie déjà saisie du frisson de la Renaissance,
sion pour le moins délicate : se rendre auprès du Grand Khan Guyuk afin d’« examiner
apprenant la langue de ses hôtes, adoptant leurs vêtements et leurs coutumes, et tirant
toutes choses avec soin ». C’est dans la région de la basse Volga que le moine pénètre
à l’arc d’une façon qui impressionna le chroniqueur Rustichello de Pise. Sous la dictée
dans le territoire des Tartares. Malgré une certaine appréhension, il est convaincu
de Marco Polo, le même Rustichello écrira : « Leurs vêtements sont le plus souvent de
de porter la bonne nouvelle au-devant de « nations barbares ». Obstacles et frayeurs
drap d’or et de drap de soie, fourrés de riches peaux, zibeline, hermine, écureuil, renard
diverses n’épargnent pas Giovanni. Il n’en côtoie pas moins durablement ses hôtes,
très luxueux. Leur équipement militaire est très beau et de très grande valeur. » Le faste
suffisamment en tout cas pour en livrer ce portrait dans son Histoire des Mongols :
exotique de la horde a eu raison des habitudes de l’Italien : trois siècles plus tard, en
« L’aspect des individus diffère de celui des autres hommes. Entre les yeux, en effet, et
1556, dans ses Navigationi e Viaggi, Giambattista Ramusio notera qu’à son retour à
entre les pommettes, ils ont plus d’écartement que les autres hommes. De plus leurs
Venise, Marco Polo ressemblait à un Tartare « par sa mine, ses vêtements et son langage ».
pommettes sont saillantes par rapport aux joues, ils ont le nez plat et petit, ils ont les
La découverte des mondes inconnus apporte son lot de merveilles, en témoigne ce prodige
yeux petits et les paupières tirées jusqu’aux sourcils. Ils ont, en général, la taille mince,
que rapporte Rustichello : « Ces enchanteurs, dont je vous ai parlé, font tant par leurs
sauf quelques-uns ; presque tous sont de stature moyenne. »
enchantements que, quand le seigneur a envie de boire, les coupes dont je vous ai parlé
xiii e
Gengis Khan les mena jusqu’aux portes de l’Europe. Au milieu du
50
xiii e
51
Tartarie se soulèvent de leur place sans que nul ne les touche et s’en vont devant le seigneur. »
le voyageur Sigismond de Herberstein a livré une riche description au siècle précédent,
Sous le règne du grand Kubilaï Khan, la Tartarie est sans doute à son apogée. Jamais
c’est encore une contrée méconnue. La majeure partie des sources provient des voyages
plus ensuite elle n’aura ce raffinement et cette grandeur qui ont conquis le cœur de
de Marco Polo… Sur la carte de la Tartarie de l’Atlas Maior de Joan Blaeu, composé au
Marco Polo, et à sa suite, celui de ses lecteurs.
tout début du xviii e siècle, dragons et diables sont dessinés sur le désert du Lop, à l’ouest
À l’avènement du xvii e siècle, la Tartarie s’étend de l’est de la Pologne jusqu’à l’Extrême-
de la Grande Muraille de Chine : comme pour rappeler le mythique et merveilleux passé
Orient, et de la mer Caspienne à l’océan Arctique. À l’inverse de la Moscovie pour laquelle
de cette fabuleuse contrée.
52
53
BARBARIE Aux portes de l’Afrique EN 1415, les troupes d’Henri, roi du Portugal, s’emparent de Ceuta. Les noms de Guinea,
Entre l’Atlas, l’Atlantique, la Méditerranée, les déserts de Libye et d’Égypte, la Barbarie
Sénégal, Tombouctou, font rêver le jeune souverain, amoureux des cartes, protecteur des
est avec la Numidie, la Libye et la Terre des Nègres l’une des quatre divisions de l’Afrique
marins. Lui qui ne quittera guère les côtes de l’Algarve et son fort de Sagres, recevra le sur-
proposées par Jean-Léon. Après lui, des géographes en proposeront d’autres.
nom de « Navigateur ».
C’est la partie « la plus noble d’Afrique en laquelle sont situées les villes et les cités des
Henri est un visionnaire, il pressent que la cité qu’il vient d’emporter n’est que le commen-
Blancs »… Elle se compose de quatre royaumes : le Maroc et Fez, chacun subdivisé en sept
cement d’une terre gigantesque, d’un monde, d’un continent plus vaste que ne le pensent
provinces ; Tlemcen, subdivisé en trois provinces, et Tunis, subdivisé en quatre provinces.
les cosmographes. Suivant la formidable intuition et l’inébranlable foi de leur souverain, les
Il y a dans ses royaumes et ses forêts quantité de bêtes farouches, ainsi que nombre de singes,
Portugais se désintéressent de la Barbarie pour partir à la conquête de l’Afrique, en suivant
de boucs sauvages, de lions, de tigres, de serpents venimeux et d’oiseaux de toutes sortes,
ses côtes occidentales. La Barbarie reste ainsi largement méconnue.
etc. Selon Jean-Léon, les habitants de la Barbarie se partagent entre les villes « exerçant
Olfert Dapper, dans sa Description de l’Afrique, expliquera que le nom de ce pays est dérivé
les arts manuels et cultivant la terre » et les campagnes, dans l’arrière-pays, « s’adonnant
de ber, « désert », « parce que cette contrée n’étoit guere peuplée avant que les Arabes s’y
au gouvernement et pâturage du bétail » tandis que la région côtière, avec ses « plaines et
habituassent : les habitans portent encore aujourd’hui le nom de Bereberes ». Il poursuit :
petits coteaux » propices aux cultures, s’oppose à l’Atlas « fort froide et stérile, produisant
« D’autres veulent que ce nom soit d’origine Latine, & que les Romains ayant conquis cette
peu de grains ».
Province l’aient appelée Barbarie par rapport à l’humeur farouche & barbare de ses habi-
Le royaume du Maroc est « fort abondant en froment et autres sortes de grains, bétail, eau,
tans. » Comme l’écrira plus tard Montaigne, « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son
fleuves et fruits comme dattes, raisins, figues, pommes et poires de toute espèce, et est cette
usage ». Jean-Léon l’Africain, musulman converti par Léon X, voyageur et géographe né à
province quasi tout en plaine comme la Lombardie ». C’est la partie riche et généreuse de
Grenade, va composer, en arabe, avant de le traduire en italien et en latin, l’ouvrage qui sera
l’Afrique car déjà en Libye, au milieu de terres ingrates, impropres aux cultures et balayées
longtemps tenu pour la vulgate sur l’Afrique. Il est censé y livrer une description précise de
par des vents gorgés de sable, le voyageur est tiraillé par la soif et la chaleur.
la Barbarie. En réalité, Jean-Léon n’a pas couvert toute l’Afrique, il l’a en partie traversée, du
Les habitants y sont de trois sortes : Africains natifs des lieux, Turcs venus y faire fortune,
Maroc à l’Égypte, jusqu’à la vallée du Niger. D’une intelligence prodigieuse, il a été chargé
Arabes des déserts. Au milieu des Africains, on trouve des Blancs, qui demeurent sur les
de nombreuses missions diplomatiques, a rencontré et échangé avec de nombreux mar-
côtes et dans les villes, des corsaires et des Noirs du midi. Enchantements et sortilèges com-
chands et dignitaires. Il a beaucoup lu. Les textes latins bien sûr, mais aussi les chroniqueurs
posent leurs méchantes coutumes faites d’incantations tirées de l’Alcoran par les sorcières,
et géographes arabes, parmi lesquels le grand Idrisi, ignoré à l’époque des Occidentaux.
de superstitions déployées par les devins et de simples des marabouts.
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Jean-Léon note que la Barbarie est florissante, que ses rois et seigneurs sont immensément riches, et
contrées dont proviennent les richesses qui se croisent à Anvers, un observateur anonyme place la
qu’outre leurs revenus, le nombre et la splendeur de leurs mosquées sont des marques de leur opulence.
Barbarie à égalité avec l’Asie, l’Afrique et l’Amérique : « Si je compte les singularités que l’Amérique,
Il relate que les marchands de Barbarie sont actifs, qu’ils commercent sur les bords du Niger, dans
le Pérou et tout le Nouveau Monde y envoient, les richesses que les Indes, la Guinée, la Barbarie,
les grandes cités jusqu’à la plus grande de toutes : Tombouctou, où ils viennent vendre des draps
l’Asie, l’Afrique et l’Europe y font tenir, je nomme Anvers la maîtresse des villes […]. » La Barbarie
acheminés depuis le nord de l’Europe, mais aussi des peaux de bœuf, des toiles de lin et de coton,
de Jean-Léon, qui couvre la moitié de sa monumentale description, apparaît donc aux xve et xvie siècles
des raisins, des dattes et des figues, etc. À l’avènement du
comme un royaume riche, heureux et prospère dans un continent mal connu des Européens.
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xvie
siècle, évoquant les opulentes
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CAP BOJADOR Cap de la peur LONGTEMPS CONSIDÉRÉ COMME LA LIMITE méridionale du monde connu, le cap Bojador
appui financier aux compagnies tentées par l’aventure. Appât de l’or, chasse aux esclaves,
resta longtemps pour les navigateurs portugais le « cap de la peur ». Qu’on se rappelle la
commerce des épices se mêlent aux velléités et à la croisade pour la « vraie foi » dans l’esprit
partition du monde telle qu’elle était conçue par les Anciens : les Grecs divisaient le monde
des aventuriers de tout poil. Cédant aux chants des sirènes, le Vénitien Alvise Ca’da Mosto
en cinq zones. Les géographes nommaient « zone torride » ou perusta, c’est-à-dire « brûlée »,
et le Génois Antonietto Usodimare, en quête de fortune, quittent la péninsule italienne pour
la région située entre les deux zones tempérées. Dans leurs encyclopédies, emboîtant le pas à
le Portugal, d’où ils embarquent pour les côtes africaines. Mais pas plus que leurs prédéces-
une tradition antique qui n’entachait pas la vision chrétienne du monde, Vincent de Beauvais,
seurs, ils ne se risquent à franchir le cap fatidique.
Sacrobosco et Brunetto Latini notent que les rayons du soleil s’y exercent avec une telle fu-
L’idée ne quittait pourtant pas le roi Henri. Les navigateurs lusitaniens passeront longtemps
reur que la zone est inhabitable : un Européen qui aurait le malheur de s’y égarer deviendrait
outre le désir de leur souverain. Gomes Eanes de Zurara, chroniqueur du royaume et conser-
aussitôt noir.
vateur de la Bibliothèque royale au palais d’Alcáçova, évoque les raisons pour laquelle « les
Limite entre la zone tempérée et la zone torride, le cap Bojador est ainsi décrit par la chro-
navires n’osaient pas aller au-delà du cap du Bojador ».
nique : « Il est clair qu’au-delà de ce cap, il n’existe ni hommes ni populations d’aucune sorte.
Dans sa Crónica dos feitos notáveis que se passaram na conquista de Guiné por Mandado do
La terre n’y est pas moins sablonneuse que celle des déserts de Libye, où il n’y a ni eau,
Infante dom Henrique, qui retrace la geste des Portugais depuis la prise de Ceuta en 1415
ni arbre, ni herbe verte. »
jusqu’au franchissement du mythique cap Bojador par le navigateur Gil Eanes en 1434,
Si Marco Polo affirme avoir sillonné plusieurs contrées de cette zone et en être ressorti
il évoque tour à tour cet océan symbole de l’inconnu, de la perdition, de l’avalement, de
indemne, le merveilleux prédomine dans l’imaginaire des Anciens, et la fameuse zone torride
l’engloutissement des corps et des âmes. Déterminés à ne pas se perdre corps et âme dans
reste infréquentable, tout à la fois repoussoir et fantasme des Européens.
les flots, les matelots refusent le saut dans l’inconnu. Louable prudence, héritée de leurs
Les premières tentatives pour franchir le cap maudit furent infructueuses, et leur issue
illustres prédécesseurs.
funeste. Ainsi, vers 1346, le Catalan Jaime Ferrer disparaît-il du côté du Río de Oro. Certains
C’est du même Gomes Eanes de Zurara que nous tenons le dénouement de l’histoire : après
voyageurs, pourtant, veulent pousser plus avant, comme le Français Gadifer de La Salle :
avoir enlevé Ceuta, les Portugais se lancent à l’assaut de l’Afrique, longent ses côtes. Galvanisés
il souhaite « d’avoir des nouvelles du Prêtre Jean et de s’approcher de ses territoires dont
par leur souverain visionnaire Henri le Navigateur, ils vont pour la première fois franchir le
tant de biens et de richesses viennent ». Dans « la tradition héroïque des champions de la
fameux cap, triomphant et de la mer, et de leurs propres peurs.
foi, pourfendeurs des Sarrasins, et soucieux de donner la main au Prêtre Jean », suivant
L’exploit est le fait d’un certain Gil Eanes. Il provoque la stupéfaction. Contrairement aux
le beau mot de l’historien Michel Mollat du Jourdin, le souverain lusitanien Henri donne son
écrits des Anciens, les voyageurs ne rencontrent ni bouillonnements infernaux ni montagnes
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magnétiques. Bien plus, ils découvrent des terres à la végétation généreuse ; et des habitants
beaucoup de bons enseignements sur la géographie, mais il est en défaut sur ce point. Ainsi,
qui ne sont rien moins qu’humains. En 1455, le pape Nicolas V « donne, concède et attribue
là où il supposait une région équinoxiale inhabitée par l’excès de la chaleur, les navigateurs
à perpétuité » au roi du Portugal la possession de toutes les terres au sud du cap Bojador et
portugais ont trouvé une région extrêmement peuplée, riche en arbres et en productions
ce jusqu’en Guinée.
végétales. » Le cap Bojador franchi, les Portugais ne s’arrêteront plus ; après le Cap-Blanc, le
En 1460, le navigateur portugais Diogo Gomes, se remémorant les frayeurs suscitées par le
Cap-Vert, le cap des Palmes, le cap des Trois-Pointes… ils contourneront l’Afrique, ouvrant
cap Bojador et la zone torride, écrira : « Sans doute le très illustre Ptolémée nous a transmis
une nouvelle route pour les Indes et enterrant pour jamais des siècles de frayeurs.
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CONGO Pays de cocagne « LE ROI JEAN II voulant découvrir les Indes orientales envoya plusieurs navires vers la côte
d’Afrique pour reconnaître la route. Ils découvrirent l’île du Cap-Vert et l’île de São Tomé puis, en continuant à longer la côte, ils virent le fleuve Zaïre. Voyant que le commerce était libre et les relations amicales, quelques Portugais s’installèrent pour apprendre la langue et traiter avec elles […] » C’est en ce récit épique que l’explorateur portugais Duarte Lopes retrace l’arrivée au Congo de ses compatriotes, dans les années 1480. En 1482, Diogo Cão érige un padrão sur la rive nord du fleuve Zaïre pour sceller la prise de possession des terres au nom du roi du Portugal. Le Zaïre divise le pays en deux royaumes : au nord, le Loango, au sud, le Congo. La présence portugaise porte les fruits spirituels attendus : le roi du Congo se convertira au christianisme en 1491. Les pérégrinations lusitaniennes au Congo, en Guinée et à São Tomé seront consignées dans diverses sommes d’importance : João de Barros leur consacrera le premier volume de ses Décadas. La Relatione del Reame di Congo de Filippo Pigafetta, rédigée à partir de notes prises par le voyageur portugais Duarte Lopes, paraîtra d’abord en italien à Rome en 1591, puis en latin dans la collection des voyages des frères De Bry en 1598 et en 1624. La carte générale de l’Afrique insérée dans ces volumes représente le Nil rejoignant un lac Zaïre que peuplent d’étranges « chevaux marins ». Les monts de la Lune du sud du Congo y jouxtent les montagnes dites « d’Or ». Voyageurs et lecteurs de ces ouvrages découvriront, fascinés, ces contrées jusqu’alors inconnues. La faune du Congo laisse rêveur. Poissons porc-épic, dotés de mains et d’une queue en forme de bouclier, torpedos ou poissons électriques, poissons volants apparaissent dans un florilège empreint de merveilleux. Almeida, faisant suite au récit du père Bohvar, évoque un oiseau monstrueux et s’interroge : ne s’agirait-il pas là du « rouch des Arabes, l’un des oiseaux qui sont décrits dans le roman de Sindbad » ?
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AFRIQU E
mk[m
Dans le second chapitre de l’utopie La Terre australe connue de Gabriel de Foigny, intitulé
et d’une faune aussi invraisemblable ? Les animaux
« Du voyage de Monsieur Sadeur au royaume de Congo », le royaume africain apparaît comme
y sont fabuleux, les fruits poussent miraculeusement,
un véritable paradis terrestre, le lieu de l’abondance et de tous les plaisirs. Une tradition
la luxuriance des plantes relève du prodige. Poursui-
a longtemps situé le paradis terrestre à l’est d’une Afrique mythique bordée par l’Indus.
vant son exploration des lieux, Sadeur fait halte sur le
Hérodote rappelle dans ses Enquêtes l’abondance qui caractérise les contrées tropicales.
Nil, puis remonte jusqu’à la source du fleuve Cuama –
Sadeur observe que le royaume du
vraisemblablement l’actuel Zambèze. Il compte
Congo est moitié moins peuplé
deux ruisseaux, qui « tombent des montagnes qui
que celui du Portugal : réfléchis-
regardent le midy, & que les Espagnols ont appelées
sant sur cette stupéfiante faiblesse
les montagnes de la Lune ». Évoquant les monstres
démographique, il établit une cor-
que les historiens placent dans ces lieux, Sadeur fait mention de ces « Sauvages qu’on ne peut
rélation entre le peu d’énergie que
humaniser » que « les Européens appellent Caffres, & les naturels Tordi ». Parvenus au terme
les autochtones déploient pour
de leur voyage, Sadeur et ses compagnons décident de revenir à Maninga en descendant
cultiver la terre et leur difficulté
la rivière de Cariza.
à assurer leur descendance. Pays
Englobant un vaste territoire excédant les limites de l’actuelle Afrique centrale, le Congo
mythique, le Congo de la Terre aus-
de Foigny est un lieu mythique par ses dimensions, la beauté de sa flore, la singularité de
trale connue l’est par la générosi-
sa faune. Toutes les relations des voyageurs et les descriptions des cosmographes insistent
té de son sol, lequel produit « des fruits en abondance sans qu’on se mette en peine de la
sur la générosité de la nature congolaise qui, par sa luxuriance, pourvoit en tout aux
labourer ». L’abondance y est telle qu’elle a rendu les hommes « negligens, paresseux, simples
besoins des autochtones. Certaines descriptions du Congo rappellent parfois celles des
& stupides ». Elle tend d’ailleurs à produire le même effet sur Sadeur et ses compagnons !
pays de Cocagne ou Schlaraffenland, le pays des Fainéants. Un paradis où l’homme n’a pas
Après être demeuré quelques jours à Maninga, la capitale du royaume, Sadeur obtient de son
à travailler pour vivre.
capitaine de pouvoir remonter le fleuve « Zair », l’actuel Zaïre, « jusqu’au lac du même nom ».
Plus tard, le mythe va changer de visage : de royaume d’abondance, le Congo va devenir
Ce qu’il découvre le frappe au point qu’il doute d’être cru par ceux à qui il rapportera son
le cœur des ténèbres et alimenter les fantasmes et peurs des voyageurs, lesquels vont le
témoignage. Qui pourrait en Occident soupçonner l’existence d’une nature aussi bienveillante
peupler d’animaux féroces et de tribus belliqueuses et hostiles aux Blancs.
Poissons porc-épic, dotés de mains et d’une queue en forme de bouclier, torpedos ou poissons électriques, poissons volants apparaissent dans un florilège empreint de merveilleux.
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MÉROÉ Chez les reines candaces C’EST ENTRE le
iii e
siècle avant Jésus-Christ et le iv e siècle de notre ère, à l’arrivée du chris-
tianisme, que s’est épanoui le royaume de Méroé, entre le Nil Bleu et l’Atbara. Dans l’Antiquité, dans les sources locales, bibliques et égyptiennes, Méroé est connu comme le « pays de Kouch ». Les historiens grecs et romains, quant à eux, désignent le territoire correspondant à ce royaume mais aussi l’ensemble des terres qui commencent avec lui comme étant l’Éthiopie ou le « pays des visages brûlés ». Sous ces vocables, les Anciens, Diodore de Sicile et Strabon notamment, englobent ce qu’ils nomment l’« île de Méroé », territoire immense dessiné par ces trois cours d’eau que sont le Nil à l’ouest, le Nil Bleu au sud-ouest et l’Atbara au nord-est. Dans ses Enquêtes, Hérodote rapporte que pour atteindre Méroé, il faut, depuis Éléphantine, « marcher douze schènes le long du fleuve puis, après avoir franchi l’île nommée Tachompso, suivre à pied le cours du Nil pendant quarante jours afin d’éviter les écueils pointus et les récifs à fleur d’eau et, enfin, naviguer sur le fleuve pendant douze jours pour atteindre la capitale des Éthiopiens ». Mais pour retracer la genèse de cette étonnante civilisation, il faut revenir au III e millénaire avant Jésus-Christ. Face au puissant empire d’Égypte se développe un royaume, Kerma, qui en dépit de sa taille modeste, a tôt fait de devenir florissant. La fière Égypte ne souffre pas que ce royaume puisse ainsi impunément prospérer à ses côtés. À force de conquêtes, elle finit par le soumettre et l’annexer. Au
viii e
siècle avant Jésus-Christ cependant, un pouvoir
indépendant fonde un nouveau royaume, plus au sud : Napata. Mais comme Kerma, Napata ne défie pas longtemps ses puissants voisins. Les Assyriens l’envahissent, contraignant sa population à se soumettre ou à partir. Optant pour le départ, les rescapés de Napata s’en vont fonder un autre royaume, encore plus au sud : Méroé. Sept siècles durant, il est l’une des plus brillantes civilisations de l’Antiquité. Fortement influencé par ses puissants voisins,
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l’Égypte des Ptolémée, la Grèce d’Alexandre, la
de Méroé. Il ignorait qu’un certain Giuseppe Ferlini ferait la trouvaille la plus fabuleuse qui
Perse, l’Empire romain, il édifie nombre de nécro-
soit. L’aventurier italien, médecin militaire à la solde de Méhémet Ali, se rendra sur le site
poles et de pyramides, atteignant son apogée au
de la capitale de l’ancien royaume méroïtique, caressant l’idée de trouver un trésor. Après
début du i siècle avant notre ère. Le royaume de
tout, Heinrich Schliemann avait bien trouvé celui du roi Priam ! Alors, pourquoi pas lui ?
Méroé est alors renommé pour la splendeur de sa
Suivant les plans et dessins levés par Cailliaud, dont l’aventurier avait emporté le livre,
culture et la sagesse de ses reines, lesquelles sont
Ferlini fait démanteler pierre par pierre plusieurs pyramides. Sans succès. Mais sa téna-
connues sous le nom de « candaces ». Le royaume
cité paie. N’hésitant pas à manier l’explosif, il met la main sur un trésor fabuleux : celui de la
suscite désormais la convoitise des Romains.
candace Amanishakhéto, la plus célèbre parmi toutes les candaces de Méroé ! Amanishakhéto
En 33 avant notre ère, la candace Amanishakhéto
la rebelle, Amanishakhéto la fière ! La femme qui a dompté les légions romaines et permis à son
refuse de se soumettre et envoie ses troupes défier les légions romaines dans le nord
peuple de vivre dans la paix durant
du pays. Repoussés, humiliés, les Romains renoncent à conquérir Méroé. Le royaume
plusieurs siècles ! Ferlini vend le
va perdurer encore quelques siècles, avant, à l’instar de nombre de civilisations,
trésor aux musées de Munich et de
de s’éteindre dans des circonstances mystérieuses.
Berlin, après avoir laissé derrière
Entre le Nil bleu et l’Atbara, le royaume de Méroé fut,sept siècles durant, l’une des plus brillantes civilisation de l’Antiquité.
er
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Au début du
xix
e
siècle, Frédéric Cailliaud, explorateur
lui, le rêve écartant tout scrupule,
devenu minéralogiste officiel du vice-roi d’Égypte Méhémet Ali, remonte la vallée du Nil.
un véritable champ de ruines.
Il sera l’un des premiers Européens à pénétrer en Éthiopie. En avril 1821, il aperçoit enfin
Méroé va continuer de fasci-
les vestiges de Méroé. « Qu’on se peigne la joie que j’éprouvai en découvrant les sommets
ner et d’attirer les pillards et
d’une foule de pyramides, dont les rayons du soleil, peu élevés encore sur l’horizon, doraient
aventuriers, mais également les
les cimes ! » écrit-il. Méroé, qui jusqu’alors n’apparaissait que dans la Bible et les textes des
archéologues, qui vont la sau-
Anciens, et qui passait pour un royaume légendaire, n’est plus une fable. De retour en France,
ver. Et à ce jour, la mythique
il rend compte de son extraordinaire découverte dans son Voyage à Méroé.
cité n’a pas livré tous ses secrets
Cailliaud s’était installé à Nantes pour y exercer les fonctions de conservateur adjoint du
puisque son écriture n’a pas en-
Muséum d’histoire naturelle. Sans doute croyait-il avoir découvert l’essentiel des merveilles
core été entièrement déchiffrée.
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MONOMOTAPA Royaume de l’or et des diamants SUR LES CARTES ANCIENNES, Monomotapa s’étale en larges majuscules sur l’Afrique
australe, c’est le nom donné par les cartographes, sur la foi des rapports de voyageurs, pour combler un immense vide au bas de la carte du continent noir. De tous les continents, l’Afrique est demeurée le plus longtemps le moins connu, les voyageurs n’ayant exploré que ses seules côtes. Immenses lacunes que les cartographes se sont appliqués à combler, d’abord en peuplant les terres de monstres, puis par l’évocation d’un royaume fabuleux : le Monomotapa. Lorsqu’ils contournent l’Afrique pour rejoindre les Indes, les Portugais jalonnent leur route de comptoirs. C’est ainsi que naissent Sofala, Quelimane, Mozambique, Mombasa et Malindi. Ayant eu connaissance par les indigènes de l’existence de mines d’or dans un fabuleux royaume lointain, les colons envisagent de le découvrir et vont le rechercher avec obstination des années durant. Cette terre, nommée Ophir, conduira à la découverte – ou à l’invention – du Monomotapa. En 1508, dans son Esmeraldo de Situ Orbis, Duarte Pacheco écrit : « La grande mine que d’aucuns croient être celle d’Ophir et qu’on appelle maintenant Sofala a été retrouvée par nos capitaines. » Mais l’or n’y est pas aussi abondant qu’on l’a espéré. Le mythique royaume d’Ophir est donc forcément ailleurs. Ils repartent. En 1514, le capitaine Antonio Fernandes, quittant Sofala, explore l’intérieur des terres et suit le Zambèze, convaincu de ce que ce fleuve est la voie la plus sûre pour pénétrer au cœur du continent noir, et atteindre le royaume d’Ophir. Plusieurs postes sont fondés le long du fleuve. Un demi-siècle plus tard, des missionnaires atteignent une contrée proche d’Ophir en bien des aspects. Le royaume d’Ophia été fondé par le roi Nyatsimba, dont le titre Mwene Mutapa fait référence à ses fonctions de chef militaire et religieux. Le terme de Mwene Mutapa, initialement employé pour désigner le souverain, déformé par les voyageurs, sera rapidement employé
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pour désigner le royaume lui-même. Marchands, missionnaires et chroniqueurs l’utili-
pays voisins, vers Sofala et les royaumes
seront dans un ensemble de récits, de lettres, et jusque dans les correspondances royales
d’Afrique, et l’on dit que ce serait de
et religieuses. En 1660, les missionnaires portugais rencontrent Matopo, fils de Nyatsimba,
ces régions qu’on aurait apporté à
héritier d’un royaume dans lequel ils découvrent de l’ambre, de la gomme, de l’ivoire et de
Salomon l’or du temple de Jérusalem
l’or. Pour autant, le Monomotapa ne sera pas un nouveau Pérou, au grand dam du jeune
[…]. Dans la contrée du Monomotapa
souverain Sébastian ! En outre, les sujets du Monomotapa n’entendent pas se laisser
on trouve de nombreux édifices anciens,
dépouiller si facilement, et livrent farouchement bataille. Mais les Portugais ne renoncent
monuments témoins d’un grand travail
pas à leurs rêves d’or et continuent de dépêcher des expéditions pour localiser les mines
et d’une savante architecture […] qu’on
recelant le précieux métal jaune, explorant les contrées voisines du Monomotapa – qui
ne voit pas dans les régions voisines […].
n’a décidément pas fini de faire parler de lui.
L’Empire est vaste, ses habitants sont
Au Portugal, l’historien João de Barros est un des premiers à faire mention du
nombreux, païens et peu civilisés. Ils
Monomotapa dans le dixième livre de ses Décadas. Le nom n’étant pas encore vraiment
sont noirs, ardents au combat […] et rapides à la course. De nombreux rois sont vassaux du
arrêté, Barros le nomme « Benomotapa ». Il loue son système politique, son souverain
Monomotapa […]. L’Empire confine vers le sud aux domaines du cap de Bonne-Espérance. »
polygame et le respect dont il est l’objet. Le jésuite Luis Frois, se fondant sur une lettre
Missionnaire dominicain dépêché aux Indes, João dos Santos prend la route de
que lui a adressée un ami du souverain, décrit, avec le luxe de détails qui caracté-
l’Afrique australe où il va séjourner de 1586 à 1597. De retour au Portugal en 1600,
rise d’ordinaire les cérémonies des grandes cours, le protocole en usage à la cour du
il s’attelle à l’écriture de son œuvre maîtresse, un volume mêlant son expérience et ses
Monomotapa. Elle devient l’égale des plus grandes cours d’Europe. Mais ce sont les
lectures. Bien que l’ouvrage soit intitulé Ethiopia Oriental, c’est bien au Monomotapa
témoignages de Filippo Pigafetta et de João dos Santos qui vont faire du Monomotapa
qu’il est consacré. João dos Santos se veut exhaustif. Il aborde pêle-mêle topographie,
l’une des contrées les plus fascinantes du continent noir. Chambellan pontifical, c’est
population, mœurs, pratiques religieuses, faune, flore, richesses diverses. À sa suite,
en italien que, se fondant sur les notes du voyageur portugais Duarte Lopes, Filippo
les cosmographes n’hésiteront pas à surenchérir. Ils seront intarissables sur la splen-
Pigafetta rédige la Relatione del Reame di Congo, qui sera publiée à Rome en 1591. Il écrit :
deur de la Cour et la profusion des mines d’or. Si bien qu’aux
« Entre les deux fleuves Magnice [Limpopo] et Cuama [Zambèze] s’étend l’empire du
Monomotapa se verra l’héritier de tout ce qui caractérisait le royaume du Prêtre Jean
Monomotapa, où se trouve un grand nombre de mines d’or ; on exporte l’or vers tous les
à la fin du Moyen Âge.
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On exporte l’or vers tous les pays voisins, vers Sofala et les royaumes d’Afrique, et l’on dit que ce serait de ces régions qu’on aurait apporté à Salomon l’or du temple de Jérusalem.
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xvie
et
xviie
siècles, le
PAYS DES MOMBOUTTOUS Au cœur des ténèbres LE CONGO , le Monomotapa, le royaume de Saba et les terres de Bonne-Espérance ne
sont pas les seules contrées à exciter l’imaginaire des voyageurs occidentaux. Le pays des Mombouttous connaîtra lui aussi son heure de gloire à la fin du xixe siècle, au plus fort de la colonisation. Les Mombouttous, dont le fondateur serait le roi Nabiembali, seraient originaires de Nubie. À la suite d’alliances conclues avec les Mbuti, ils se seraient établis dans l’actuel Congo au
xvii e
siècle. C’est sous l’autorité du souverain Mounza qu’au
xix e
siècle,
ils auraient chassé les Arabes et seraient entrés en conflit avec leurs voisins les Niams-Niams – les célèbres hommes à queue. C’est à l’avènement de la seconde moitié du xixe siècle, au tournant des années 1860-1870, que le voyageur et naturaliste Georg Schweinfurth les rencontre et séjourne parmi eux. Financé par la Fondation Humboldt, il explore le bassin supérieur du Nil et entre à la cour de Mounza, roi des Mombouttous. Le redoutable monarque s’est fait connaître en chassant hors de son pays les Arabes et les Niams-Niams. Comme le stratège zoulou Chaka, Mounza soumet ses ennemis et ses sujets à la même terreur et à la même cruauté. Son palais, édifié dans les arbres au cœur d’une épaisse forêt, va fasciner Schweinfurth, dont le récit, Im Herzen von Afrika, envoûtera bien des lecteurs.
La chair humaine constitue pour eux un repas habituel, avec l’éléphant, le chien et les gibiers à plume.
Lorsqu’il pénètre chez les Mombouttous, accompagnant le chef arabe Abd-es-Sâmate, Schweinfurth est comme ses pairs en quête des mythiques sources du Nil. Le pays des Mombouttous ne constitue pour lui qu’une halte. Mais l’insigne privilège d’être le premier Blanc à être introduit à la cour du roi Mounza ne porte pas
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les fruits attendus : le tyrannique souverain, décidé à conserver son monopole commercial
noir de la peau en un gris livide. Quelques jours après je remarquai, dans une maison, un
sur le cuivre avec la Nubie, n’autorise pas son hôte à poursuive sa route vers le midi. Cet arrêt
bras d’homme qu’on avait suspendu au-dessus du feu, évidemment pour le boucaner ».
va fournir au jeune explorateur l’occasion de découvrir les mœurs locales, pour le moins dif-
Ces orgies donneront à Schweinfurth l’occasion
férentes des habitudes occidentales : les Mombouttous sont anthropophages. Schweinfurth
de se constituer une extraordinaire collection
fait de leurs orgies, auxquelles ne participent que les hommes, des descriptions minu-
de crânes dont héritera le musée de Berlin.
tieuses. La chair humaine constitue pour eux un repas habituel, avec l’éléphant, le chien et
Au terme de trois semaines passées parmi les
les gibiers à plume. Les territoires de leurs ennemis leur sont autant de terrains de chasse :
Mombouttous, Schweinfurth prend le chemin
« Les corps de ceux qui tombent dans la lutte sont immédiatement répartis, découpés en
du retour, contraint de mettre un terme à sa
longues tranches, boucanés sur le lieu même et emportés comme provisions de bouche. »
quête des sources du Nil. Le royaume et la cour
Prisonniers et enfants, considérés comme friandises et destinés au roi, sont réservés pour
des Mombouttous tels que les a vus et décrits
plus tard. Pour autant, ces pratiques des Mombouttous n’émeuvent pas outre mesure
l’explorateur allemand ne vont guère perdurer. En 1873, le tyrannique Mounza est renversé
Schweinfurth. Et c’est sans états d’âme apparents qu’il décrit une assemblée de femmes
et assassiné, son palais livré aux flammes et son royaume morcelé. Cependant, son règne et
occupées à « échauder la partie inférieure d’un corps humain, absolument comme chez
la magnificence de sa Cour vont demeurer dans les mémoires, grâce à l’irremplaçable té-
nous on échaude et l’on racle un porc, après l’avoir fait griller. L’opération avait changé le
moignage de Schweinfurth, mais grâce aussi à ses épigones – parmi lesquels est un certain
Prisonniers et enfants, considérés comme friandises et destinés au roi, sont réservés pour plus tard.
Jules Verne. Dans ce qui est probablement l’un de ses Voyages extraordinaires les moins connus, La Grande Forêt, le romancier raconte la vie d’un peuple de la forêt, les Wagddis. Dansant au son du Freischütz de Schubert, cet avatar des Mombouttous serait le fameux chaînon manquant tant recherché par les naturalistes des xviii e et xixe siècles. Emboîtant le pas à Jules Verne, et à grand renfort de littérature, des générations d’anthropologues partiront en Afrique à la recherche des descendants des Mombouttous et des Niams-Niams, dans l’espoir de rencontrer les derniers peuples anthropophages d’Afrique centrale. En vain. Si cette pratique a peut-être été courante du temps du roi Mounza, elle relève surtout du mythe et de l’imagerie du mauvais « sauvage » chère aux colonisateurs occidentaux.
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ROYAUME DU PRÊTRE JEAN Mystérieuse terre chrétienne EN 1441, au concile de Florence, sont introduits des représentants d’un mystérieux royaume
chrétien situé à l’est du continent africain. Les pères conciliaires sont en plein débat sur les questions schismatiques qui secouent chrétiens d’Orient et d’Occident. Comme si les vifs débats ne suffisaient pas, voilà que des hommes venus d’une contrée que l’on croyait acquise aux idolâtres rapportent l’existence de fidèles du Christ, au cœur de la terre de Cham ! L’information, si elle est avérée, serait incroyable ! En 1447, un marchand génois de noble extraction, Antonio Malfante, parvient à Honaïn. Puis il gagne Sijilmasa, cité du désert saharien, avant de s’engager sur les traces du voyageur arabe Ibn Battuta jusqu’au Touat. Parvenu à Tamentit, il adresse à son supérieur Giovanni Mariono un rapport sur son exploration de la région. Il confond le Niger et le Nil, erreur fréquente à l’époque. Dans sa lettre, il écrit : « À ce que j’ai pu comprendre, ces gens sont voisins des Indiens. Des marchands indiens viennent en ces régions et se font comprendre par des interprètes. Ces Indiens sont des chrétiens, adorateurs de la croix. » Pour Giovanni Mariono, le doute n’est plus permis : il existe bien un mystérieux royaume chrétien dans ces parages. En 1450, à Naples, Pietro Rambulo se présente auprès du dominicain Pietro Ranzano, comme ambassadeur d’un certain Prêtre Jean, dépêché auprès du roi d’Aragon. Son récit est pour le moins rocambolesque : établi de longue date à la cour du Prêtre Jean, il aurait épousé une Éthiopienne dont il aurait eu sept enfants, tous élevés « à la manière latine et dans la religion catholique ». Ce serait le Prêtre Jean lui-même qui, après l’avoir chargé de missions au Cathay, en Inde et à Ceylan, l’aurait envoyé auprès du souverain d’Aragon. Pietro Ranzano reste stupéfait par la description que lui fait Rambulo du royaume de l’étonnant Prêtre Jean. Son empire se trouverait en Abyssinie. Il régnerait sur douze royaumes gouvernés par des princes, des prêtres et des marchands. Dans cet État soli-
R -
Royaume
du Prêtre Jean 80
dement hiérarchisé, on parlerait le chaldéen. Ses habitants, tous chrétiens baptisés,
cour du Prêtre Jean, investi d’un nombre impressionnant de missions parmi lesquelles
seraient marqués au fer rouge. Et pour couronner ce témoignage déjà effarant, Rambulo
figurent la reconnaissance d’une nouvelle route commerciale, l’intégration de l’Église
affirme que le Prêtre Jean serait descendant direct de la reine de Saba, et qu’il comman-
du royaume chrétien africain dans le giron de l’Église romaine et la négociation d’une
derait une armée de plusieurs centaines de cavaliers et six mille éléphants. Un effectif bien
alliance contre les Turcs. Vaste programme !
supérieur à celui de l’armée d’Hannibal ! Rambulo fait don au dominicain d’une carte défi-
En 1540, Francisco Alvares, revenu au Portugal, fait paraître une véritable somme sur le
nissant le meilleur itinéraire pour gagner
royaume du Prêtre Jean : Ho Preste Joan das Indias. Se fondant sur les matériaux réunis
le fabuleux royaume chrétien depuis la
par Pero da Covilhan ainsi que sur ses propres observations, Alvares livre une description
cité d’Alexandrie en Égypte…
riche et précise du royaume du Négus. Bien que critiquée par João de Barros, sa relation,
Décidé à découvrir ce gigantesque et lé-
réimprimée et abondamment traduite, demeurera un temps l’unique document sérieux
gendaire royaume chrétien d’Afrique, le
sur le royaume du Prêtre Jean.
souverain portugais Jean II y dépêche un
Mais c’est la Relatione del Reame di Congo de Filippo Pigafetta, en partie inspirée de
corps expéditionnaire. Et qu’importe si
la somme de João de Barros, qui connaîtra la fortune la plus remarquable, et inscrira le
l’Éthiopie se trouve éloignée de la route
royaume du Prêtre Jean dans les horizons mythiques des voyageurs, en en livrant une
commerciale qui mène aux Indes : Jean II
description mirifique : « Il nous faut maintenant mentionner l’empire du Prêtre Jean,
saisit l’occasion et charge un de ses capitaines, Pero da Covilhan, de trouver une route
le prince le plus grand et le plus riche de toute l’Afrique. Son État est limité vers […]
pour atteindre l’océan Indien par la mer Rouge.
le Levant par la plus grande partie de la mer Rouge, vers la Tramontane par l’Égypte, les
Parti d’Aden, Covilhan gagne Calicut, puis Ormuz et enfin Sofala. Parvenu à la fabu-
déserts de Nubie, et vers le sud par le Monomugi ; l’empire de ce roi chrétien doit compter
leuse cour du mythique Prêtre Jean, il restera son hôte jusqu’à sa mort qui advien-
approximativement quatre mille milles de tour […]. Les habitants sont de diverses couleurs :
dra après 1520. L’entreprise a porté ses fruits : des relations sont enfin tissées
blancs, noirs et métis, de belle taille et de bon air […]. Ils sont chrétiens mais ont conservé
entre le Prêtre Jean et Emmanuel le Fortuné, le successeur de Jean II sur le trône du
certaines cérémonies hébraïques […]. La ville où il réside le plus souvent et où se tient
Portugal. Entre-temps, une partie du mystère de l’énigmatique Prêtre Jean a été levée :
la Cour s’appelle Belmachi et domine de multiples provinces qui ont chacune un roi. L’État
il n’est autre que le Négus, empereur monophysite d’Abyssinie. En 1520, l’ambassadeur
est riche et bien pourvu d’or, d’argent, de pierres précieuses… » Le mythe du royaume
Rodrigo de Lima, accompagné du dominicain Francisco Alvares, se rend à son tour à la
du Prêtre Jean hantera les esprits jusqu’à la fin du xvi e siècle.
Voilà que des hommes venus d’une contrée que l’on croyait acquise aux idolâtres rapportent l’existence de fidèles du Christ, au cœur de la terre de Cham !
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ROYAUME DE SABA L’or de la reine LE MYTHE DU ROYAUME DE SABA rejoint en de nombreux points celui du Prêtre Jean, et
bien sûr, celui des mines du roi Salomon. Vers 1400, un jeune Sicilien, Pietro Rambulo, quitte Messine pour découvrir le monde, en commençant, car il faut un commencement à tout, par la péninsule italienne, le sud de la France et l’Espagne. Parvenu à Venise, il embarque pour la Barbarie et sillonne trente années durant le nord du continent africain. Vers 1430, il rencontre au Caire un ambassadeur du Négus, l’empereur d’Éthiopie, celui en qui la chrétienté voudra reconnaître le souverain d’un immense royaume chrétien en terre de Cham : le Prêtre Jean. L’ambassadeur l’invite à se rendre à la cour du Négus. Pietro Rambulo, riche de sa formidable expérience et de son excellente connaissance de nombreuses langues, s’attire aussitôt les bonnes grâces du Négus, qui le nomme ambassadeur et le charge de missions au Cathay, en Inde, à Taprobane, puis en Aragon et à Naples. C’est là qu’en 1450, il rencontre un dominicain, sicilien comme lui, à qui il va peindre un riche tableau du fabuleux royaume et du vénérable monarque dont il a l’honneur d’être l’ambassadeur. Pour le moine, nul doute que le royaume décrit par son compatriote est ce fameux royaume chrétien en terre de Cham, que des voyageurs ont évoqué sans jamais le localiser de manière précise. Et il acquiert la certitude que son souverain est le non moins fameux Prêtre Jean. Pietro Rambulo lui livre aussi quelques informations sur une autre figure légendaire : la reine de Saba. Arguant de ses connaissances de la région, Rambulo soutient que le roi de la terre « appelée Habbas par les Sarrasins, Habbassia par les Latins » – c’est-àdire l’Abyssinie –, le Négus, est un descendant direct de la reine de Saba. Qui est cette reine ? Nombreuses sont les traditions qui en parlent. Selon la Bible, elle serait une
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femme d’une beauté extraordinaire qui aurait rendu visite à Salomon en Israël, et lui
Conjuguant le mythe de la reine de Saba et
aurait fait don de parfums, de pierres précieuses et d’or. Salomon lui aurait ouvert son
celui de Salomon, ils en déduisent immédia-
palais, sa Cour et son royaume. Conquise, elle serait revenue dans son royaume, louant
tement que c’est de là que proviendrait l’or
Dieu d’avoir placé sur le trône d’Israël un homme d’une aussi grande sagesse que Salomon.
apporté à Salomon pour édifier son temple à
Le Coran livre de la légende une version très proche, ajoutant qu’à l’issue de sa visite, la reine
Jérusalem.
se serait convertie « à la foi du Dieu unique ».
Les légendes des mines du roi Salomon et du
Dans certaines traditions, la reine de Saba apparaît en tentatrice de Salomon, tout à la fois
royaume de Saba auraient sans doute disparu de
magicienne et ensorceleuse, Circé ou Calypso noire. C’est ainsi qu’elle est représentée sur
l’imagination populaire si, à la fin du xixe siècle,
siècle. Jusqu’au xve siècle,
un romancier anglais, Henry Rider Haggard,
dans l’iconographie de l’Allemagne rhénane, la reine de Saba sera tantôt noire aux
ne s’en était emparé pour composer un roman
cheveux blonds, tantôt blanche, magicienne, tentatrice et porteuse de démons. Mais toutes
à succès : King’s Solomon Mines (Les Mines du roi
les traditions sont d’accord pour lui accorder une incommensurable richesse. Des décen-
Salomon).
nies durant, sur la foi de voyageurs plus ou moins bien informés, son royaume va faire
Haggard, profitant du mystère qui entoure
l’objet de recherches sur toute la partie du continent noir située au midi de la Barbarie,
encore une Afrique méconnue, raconte les
de la Numidie, de la Libye et de la Terre des Nègres.
aventures d’un groupe d’explorateurs partis à
Aussi, à l’avènement du xvii siècle, lorsqu’on découvre quelques mines et les vestiges de ce
la recherche d’un parent disparu en Afrique.
qui fut le royaume du Zimbabwe, les explorateurs sont-ils convaincus d’avoir atteint Ophir,
Au cours de leurs recherches, ils découvrent les fameuses mines du roi Salomon.
le royaume de Saba. Parfums, pierreries, or, ivoire, esclaves, singes et paons sont décrits
Si le roman et les adaptations cinématographiques qui seront tirées de ce récit ro-
avec un luxe de détails dans le « Premier livre des rois » de la Bible. Dans ses Décadas,
mantique fascineront des générations de lecteurs et de spectateurs, ce sera moins
João de Barros affirme que les ruines découvertes sont les vestiges des magasins dans
pour l’intrigue – somme toute assez commune pour l’époque – que pour la capacité
lesquels la reine de Saba conservait ses richesses. Et dans sa Relatione del Reame di Congo,
de son auteur à avoir su enchanter un public que l’or et les diamants d’un continent
Filippo Pigafetta, traitant du Monomotapa, assure que l’or y est extrait dans de telles
inexploré continuent de faire rêver renouant avec les légendes fabuleuses d’un roi et
quantités qu’on en exporte l’excédent dans les contrées et les royaumes voisins.
d’une reine d’un autre temps.
un retable de l’abbaye de Klosterneburg datant de la fin du
xii e
e
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Des décennies durant, sur la foi de voyageurs plus ou moins bien informés, ce royaume va faire l’objet de recherches sur toute la partie du continent noir située au midi de la Barbarie,
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de la Numidie, de la Libye et de la Terre des Nègres.
SOURCES DU NIL Les voies du ciel... ON SAIT COMBIEN le Nil émerveille. Dispensateur de vie au milieu d’un des déserts les
plus arides de la planète, il a vu s’épanouir la plus fascinante des civilisations. Et parmi les mystères qui ont longtemps excité l’imagination des voyageurs, des cosmographes et des cartographes figurent assurément les sources de ce fleuve dans lequel fut plongé Moïse, et que frappa Yahvé. Comment s’étonner dès lors que, riche d’une histoire qui semble reliée à l’histoire de Dieu lui-même, le Nil soit supposé mener au paradis terrestre ? Aussi, localiser les sources de ce fleuve va-t-il devenir pour des générations d’explorateurs et de savants le sésame capable de gagner l’Éden biblique. Si la mappemonde de Martin Behaim comporte son lot d’erreurs, le cosmographe allemand a le mérite de n’occulter aucun lieu dont la localisation est problématique, qu’il s’agisse de l’Islande, de Saint-Brendan, du Cathay et Cipango, du Cap-Vert, du cap de Bonne-Espérance ou des montagnes de la Lune – et des sources du Nil, qu’il place dans la vaste Éthiopie. En 1540, Francisco Alvares, compagnon de l’ambassadeur Rodrigo de Lima, publie Ho Preste Joam das Indias, une relation sur son séjour au royaume du Prêtre Jean qu’il situe à proximité des sources du Nil, sans toutefois être en mesure de les fixer de manière précise. Dix ans plus tard, Jean-Léon l’Africain livre dans son « Africa », paru dans Primo volume delle navigationi de Giambattista Ramusio, une description circonstanciée de l’Afrique qu’il divise en quatre grandes parties : la Barbarie, la Numidie, la Libye et la Terre des Nègres. C’est dans cette dernière qu’il aborde à son tour l’énigme des sources du Nil. Jean-Léon explique que le pays des Noirs est traversé sur toute son étendue par le Niger, lequel puise sa source dans un grand lac situé à l’est du continent : c’est dans ce même lac que le Nil puise ses sources, avant de se détourner vers le ponant pour se jeter dans l’océan Atlantique.
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À la même époque, d’autres auteurs estiment que « le Niger est un bras du Nil, lequel se
et finit par déduire qu’elles seraient
perdant sous terre, vient surgir en ce lieu-là, formant ce lac ».
dans le voisinage des sources du
En 1578, Duarte Lopes explore le Congo puis l’Angola, probablement dans le but de re-
Zambèze, du Congo et du Gihon,
joindre le Zambèze. S’étant interrogé sur l’origine des grands fleuves africains, il tente
connu à l’époque pour être un des
de recueillir des informations sur les sources du Nil, sujet de nombreuses controverses.
quatre fleuves du paradis.
Dispensateur de vie au milieu d’un des déserts les plus arides de la planète, le Nil a vu s’épanouir la plus fascinante des civilisations. Et parmi les mystères qui ont longtemps excité l’imagination des voyageurs, des cosmographes et des cartographes figurent assurément les sources de ce fleuve dans lequel fut plongé Moïse, et que frappa Yahvé.
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À l’instar de ses contemporains,
En 1618, le père Páez publie une
Duarte Lopes nourrit la certitude
Historia de Etiopia. Lorsqu’il couche
qu’une source est commune à tous
son récit sur le papier, il ignore qu’il
ces fleuves, située sans aucun doute
est l’un des premiers voyageurs euro-
dans une région de grands lacs. Il
péens à avoir atteint et décrit le lac
ne dispose d’aucune information
Tana ainsi que les sources du Nil Bleu.
précise, et échoue dans sa tentative
Dans son Introductionis in universam geographiam, tam veterem quam novam libri VI
pour la localiser.
paru après sa mort en 1626, le géographe allemand Philippe Cluvier, ou Cluverius, s’applique
En 1607, le missionnaire dominicain
à retracer l’évolution de chaque partie du monde depuis l’Antiquité. Il aborde les énigmes de
João dos Santos fait paraître son
l’Atlantide, des Hyperboréens – et les fameuses sources du Nil. Sans succès.
Ethiopia Oriental qui porte princi-
Pour résoudre cette épineuse question, géographes, cartographes et cosmographes
palement sur le Monomotapa. Son
finissent par représenter au cœur de l’Afrique un unique et immense lac, ou une mo-
témoignage est précieux en ce que
saïque de lacs, d’où s’échappent tous les grands fleuves du continent noir : le Zambèze,
l’homme de Dieu a vécu dix ans à
le Zaïre, le Niger et le Nil. Les utopistes ne sont pas en reste. Ainsi Gabriel de Foigny
Sofala entre 1585 et 1595. Comme
dans sa Terre australe connue attribue-t-il au fleuve Cuama les mêmes sources qu’au Nil
ses pairs qui écrivent sur la région,
en le faisant naître dans un immense lac au cœur du continent noir. Il faudra attendre
il pose l’incontournable question
1863 pour que le mystère des sources du Nil soit enfin levé par l’Anglais John Speke,
des sources du Nil. Il se documente
Samuel et Florence Baker.
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TERRES DE BONNE-ESPÉRANCE Cap des tempêtes AU XIV e SIÈCLE , on ne connaît de l’Afrique que la Barbarie, la Libye, l’Éthiopie, soit les
contrées découvertes par les Romains autour de la Méditerranée. Et si les marchands arabes, relayés par leurs érudits, ont fait connaître l’Égypte et l’Abyssinie, la zone torride du sud du continent reste inconnue. On imagine des contrées écrasées de soleil, et tout bonnement invivables. On rêve d’animaux fabuleux et de races monstrueuses : blemmyes, sciapodes, monoculi, cynocéphales. Lorsque, sous l’impulsion de leur souverain Henri le Navigateur, passionné de cartographie, les marins portugais partent à la découverte des côtes occidentales du continent africain, ils rivalisent de prudence, redoutant d’être engloutis par des flots infestés de monstres marins, tremblant à l’idée de voir leur voilure s’embraser. Cap après cap cependant, ils progressent, décidés à ouvrir une nouvelle voie pour atteindre les Indes. En 1434, Gil Eanes franchit sans encombre le cap Bojador, jusqu’alors tenu comme le point au-delà duquel il n’était pas possible de s’aventurer, sous peine de n’en jamais revenir. L’exploit dissipa l’enchantement qui retenait encore les navigateurs portugais. En 1488, Bartolomeu Dias de Novaes atteint un cap que domine une montagne au sommet plat comme une table. Le vent souffle en rafales déchaînées. Il le nommera « cap des Tempêtes ». Ayant atteint le point le plus méridional de l’Afrique, il entreprend de remonter en les longeant les côtes orientales du continent. Mais son équipage, saisi de terreur par l’inconnu au-devant duquel il se porte, le contraint de rebrousser chemin à hauteur du Río do Infante et de rentrer au Portugal. Son périple n’aura pas été vain. Le roi Jean II, fermement convaincu de ce que les Indes sont toutes proches, décide de donner au « cap des Tempêtes » un nom à la mesure de sa vision. Il le baptisera « cap de Bonne-Espérance ». Cependant, c’est son successeur
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Manoel I er qui confie à Vasco de Gama la mission de « circuire » l’Afrique afin d’atteindre
mène au paradis, et au royaume de la reine de Saba où sont les mines gorgées d’or du roi
les Indes. Épices et pierres précieuses ne sont pas les seuls objets de convotise. Il s’agit
Salomon ? Les terres de Bonne-Espérance n’ont pas volé leur nom : elles redonnent vie
aussi de gagner le mythique royaume du Prêtre Jean et de sceller avec lui une alliance
aux fantasmes et aux mythes que l’exploration du Congo par les Portugais avait exténués.
contre le peuple du Croissant fertile. En 1497, à la tête de quatre navires, Vasco de Gama
Dans l’iconographie de la fin de l’âge classique et de l’avènement des Lumières, les terres
quitte le Tage. Il mouille au cap de Bonne-Espérance pour faire provision d’eau potable,
de Bonne-Espérance donnent à voir une Afrique opulente et prospère, qui contraste avec
et poursuit sa route. Il s’acquittera de sa
les diverses représentations qui livrent du continent noir, de ses peuples et de ses rois,
mission et atteindra Calicut, aux Indes.
l’image d’une terre abandonnée aux ténèbres dont les habitants idolâtres sont voués aux
À l’inverse du Portugal, les Provinces-Unies
superstitions et au cannibalisme pour survivre. Dans son Mémoire sur le pays des Cafres
ne voient pas seulement dans les terres de
et la terre de Nuyts paru au début du
Bonne-Espérance une escale technique et
à se lancer dans la colonisation des terres de Bonne-Espérance, Jean-Pierre Purry en livre
entreprennent d’y fonder une colonie pla-
une description idyllique. Cependant, il faut attendre la fin du siècle pour que la première
cée sous l’autorité de Jan Van Riebeeck, dès
expédition d’exploration de l’intérieur des terres australes du continent noir, confiée
Si la colonie et ses immédiats alentours sont bien connus, l’arrière-pays reste à la merci des rêveries les plus tenaces.
1652. Composée à l’origine d’un fort et d’un jardin, la colonie entretient avec les autoch-
à François Levaillant, soit dépêchée.
tones, les Hottentots, d’excellentes relations, qui inquiètent le Conseil des XVII : cette
De manière cruelle, cette expédition
autorité de tutelle s’offusquera du nombre croissant d’unions mixtes. La colonie gagnera
va venir mettre un terme aux rêves et
une prospérité qui va susciter la convoitise des grandes nations européennes. Les navires
fantasmes engendrés par la colonisa-
faisant route vers les Indes y font halte, et nombreux sont les voyageurs qui vont rendre
tion des terres de Bonne-Espérance.
compte de cette escale dans leur journal de voyage, mentionnant la profusion de légumes
Levaillant traversera l’arrière-pays des
et fruits frais, et la qualité du lien noué avec les indigènes. Si la colonie et ses immédiats
terres de Bonne-Espérance, parcourra
alentours sont bien connus, l’arrière-pays reste à la merci des rêveries les plus tenaces.
une nature hostile, mais ne décou-
Voyageurs, cartographes et utopistes y verront l’antichambre des mythiques royaumes
vrira pas plus les monts de la Lune
du Congo, du Monomotapa et du Butua, affirmant que se situent là les monts de la
que les sources du Nil ou le royaume
Lune et les sources du Nil. Ne dit-on pas que l’un des affluents du fleuve, le Gihon,
de la reine de Saba.
94
xviii e
siècle, rédigé afin d’encourager son souverain
95
ARAUCANIE Terre d’épopées DIEGO DE ALMAGRO, compagnon de Francisco Pizarro lors de la conquête du Pérou, sera le pre-
araucan, en Araucanie. Le fait inspira à Alonso de Ercilla le « seul poème héroïque et exotique du
mier conquérant du Chili austral. En juillet 1535, à la tête de trois colonnes expéditionnaires, Diego
Siècle d’or » : La Araucania. Car, faut-il le souligner, la conquête de l’Araucanie n’a rien de commun
de Almagro quitte la cité de Cuzco. Au terme d’une marche harassante au travers des hauts plateaux
avec la soumission et la destruction de l’Empire inca.
des Andes, il traverse la cordillère et pénètre au Chili par la vallée du Río Aconcagua. Si Almagro se
Composée de 1569 à 1589, avec une genèse couvrant vingt années, La Araucania raconte les épi-
lance à corps perdu dans un tel périple, c’est parce qu’il a l’intuition que c’est là qu’il faut rechercher
sodes de la résistance héroïque opposée par les Araucans aux troupes du conquistador Pedro de
les merveilleuses cités d’or. En vain. En lieu et place des richesses dorées espérées, il ne trouve que les
Valdivia. Si les vers de La Araucania sonnent si juste, c’est probablement parce que leur auteur a
restes des plantations que les Incas avaient laissées pousser, un siècle plus tôt. Après avoir massacré
participé à cette guerre, composant les premières stances de son poème sur le champ de bataille
les autochtones, ajoutant encore un peu plus de sang à la légende noire de la conquête espagnole,
même, suivant la légende. Dans la lignée d’Homère, de Virgile et de Lucain, Alonso de Ercilla en-
Almagro et ses trois colonnes reprennent le chemin du Pérou. Almagro fait prisonnier et décapité
tend composer un poème fondateur. Fait peu courant pour l’époque, Alonso de Ercilla décrit soi-
par Pizarro peu après son retour, c’est Pedro de Valdivia qui reprend le flambeau et entreprend
gneusement les mœurs, coutumes et valeurs de ses adversaires et loue le courage de ces hommes
de mener à terme la conquête de l’Araucanie, son but étant de gagner les terres les plus australes
qui défendent avec panache et fierté leur sol natal. Il excelle dans la peinture des scènes de bataille
du continent, depuis « Valparaiso jusqu’au détroit de Magellan ». Valdivia dépêche deux expéditions
– multipliant les renvois aux batailles de Saint-Quentin et Lépante –, des défilés et des cérémonies.
pour mener à bien sa mission : l’une par terre, l’autre par mer. L’expédition maritime atteint « une
À l’instar de Torquato Tasso dans sa Gierusaleme Liberata, et de Ludovico Ariosto dans son Orlando
forêt d’îles, l’archipel des Chonos, ainsi que de nombreuses baies et criques », affronte les Chonos,
furioso, Ercilla mêle allègrement l’histoire, la fiction et le merveilleux.
et pénètre dans un détroit « barré par des cimes enneigées, qui paraissait être la sombre entrée
Cette région désolée du continent sud-américain va de nouveau enflammer l’imagination
du détroit de Magellan ». Affrontant les flots agités jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus résister aux tour-
d’un original. En 1860, le Français Orélie-Antoine de Tounens, avoué de profession, pénètre
mentes, l’expédition fait route vers le Chili « sans autre résultat que le mérite de l’obéissance et la
en Araucanie où les Indiens l’accueillent en libérateur et le proclament « roi d’Araucanie et
reconnaissance des archipels de Chiloé et des Chonos ». L’expédition terrestre se heurte à la résis-
de Patagonie ». Mais son règne est de courte durée. Deux années plus tard, le roi est contraint
tance farouche des Araucans. La conquête de cette région prendra trois siècles.
de quitter son royaume pour rejoindre son Périgord natal. Le souverain déchu ne s’avoue
Si le royaume du Portugal peut s’enorgueillir d’avoir vu ses navigateurs et explorateurs célébrés
toutefois pas vaincu. Il multiplie les souscriptions pour sauver son royaume et s’embarque
par les vers de plusieurs gestes ou la prose épique de monumentales histoires, il n’en est pas de
à plusieurs reprises pour reconquérir son trône. En vain… Interpellé à chaque fois, il est
même de l’Espagne. Ses conquêtes n’ont fait l’objet d’aucune épopée, à l’exception d’un événe-
expulsé et renvoyé manu militari par les autorités chiliennes en sa contrée, où il meurt
ment « insignifiant » au regard de son histoire maritime et coloniale : la soumission du cacique
en 1878, sans avoir pu reconquérir son fief.
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A MÉR I QU E
Araucanie
CIBOLA Pays des sept cités DES MERVEILLES, DES RICHESSES, DES RUBIS , mais surtout de l’or à profusion… Telle
est la promesse faite à son équipage par Christophe Colomb, lorsqu’il embarque sous pavillon espagnol à la tête de la Santa Maria, de la Pinta et de la Niña pour atteindre par l’ouest les fabuleuses Indes, le Cathay et Cipango. Il quitte le port de Palos de Moguer en 1492. Lorsqu’il atteint les Antilles, Christophe Colomb persuade ses hommes que les Indes sont toutes proches. La fièvre de l’or qui avait eu raison des réticences de ses marins tombe : rien n’est découvert des richesses promises. Amère déception ! De retour en Espagne, le Génois n’a pas le cœur d’avouer son échec aux Rois Catholiques, ni à Isabelle, qui avait soutenu son entreprise, ni à Ferdinand, qui s’était rangé à l’avis de sa royale épouse. Aussi décrit-il les cités d’or rêvées comme s’il les avait réellement vues. Une seconde expédition est engagée. Elle compte dix-sept navires. Plusieurs îles sont découvertes et explorées – mais l’or reste introuvable. On interroge les Indiens. Ils gardent un silence qu’ils paieront de leur liberté : des centaines d’entre eux sont réduits en esclavage. Le spectacle de ces hommes enchaînés révolte les Rois Catholiques. Auprès d’eux, c’en est fini : Christophe Colomb perd tout crédit. Mais les Espagnols ne renoncent pas à l’idée de découvrir les merveilleuses cités d’or décrites par Marco Polo. C’est alors que va naître le mythe des sept cités d’or de Cibola, dont il faut rechercher les origines à Mérida, en Espagne. En voici la genèse. Au
viii e
siècle, quand le chef arabe Moussa Ibn Noçaïr s’empare de la ville de Mérida, la
capitale de l’Estrémadure, l’archevêque, six évêques et leur suite prennent la fuite chacun à bord d’un navire en recommandant leur âme et leur salut au Très-Haut. Ils sont décidés à sauver à tout prix des mains des infidèles plusieurs reliques sacrées. Au terme d’une navigation périlleuse, ils auraient – dit-on – traversé l’océan et atteint l’Amérique du Sud, a £ a
bAmi6 102
bien avant Colomb et les conquistadores. Chacun y aurait édifié une cité fondée sur la
Il n’en faut pas plus pour qu’en 1540, le vice-roi Antonio de Mendoza charge
justice, l’équité, dans le sillage des grandes utopies de Platon et Thomas More. Grâce à
Francisco Vásquez de Coronado de prendre la tête d’une expédition de plus de trois
la découverte des richesses du continent, et notamment du métal doré, les cités, au nombre
cents hommes afin de faire main basse sur les fameuses sept cités. Coronado quitte
de sept, seraient devenues prospères.
Culiacán en avril. Au terme de plusieurs semaines d’infructueuses explorations,
En 1527, une expédition emmenée par Pánfilo de Narváez quitte Sanlúcar de Barrameda en
Francisco Vásquez de Coronado fait
Espagne pour le Nouveau Monde. En 1536, seuls quatre survivants atteignent la Nouvelle-
avouer à Marcos de Niza qu’il n’a
Espagne, l’actuel Mexique : Alonso del Castillo Maldonado, Andrés Dorantes, Álvar Núñez
jamais atteint les cités d’or et que Cibola
Cabeza de Vaca – et l’esclave noir Estebán. L’expédition est un désastre. Si Cabeza de Vaca
n’est qu’une chimère. La croyance en
revient sur les circonstances du naufrage et ses funestes conséquences dans un rapport
l’existence de cités d’or ne s’effondre pas
détaillé, c’est le récit d’Estebán qui va retenir l’attention, parce que l’esclave, se fondant
pour autant. Les mythes d’Eldorado,
sur les dires des Indiens, décrit l’existence de plusieurs cités d’or. Un nom revient
d’Antillia, de la cité des Césars ou
constamment dans son récit : Cibola. Les Espagnols sont alors convaincus que l’expédi-
de Païtiti prendront tôt le relais de
tion s’est aventurée non loin des sept cités fondées par les évêques de Mérida.
celui des sept cités d’or. Cibola va
En 1539, le moine franciscain Marcos de Niza, persuadé d’avoir emprunté la route qui mène
néanmoins continuer de faire long-
aux sept cités, embarque à destination du Pérou, où il rejoint Francisco Pizarro en 1530.
temps rêver lecteurs, voyageurs et
Les mirages des sept cités d’or ne sont pas sa seule obsession, et n’entravent pas ses devoirs
explorateurs. Hugo Pratt donnera à
de chrétien. Ayant dénoncé les crimes et exactions auxquels Pizarro et ses conquista-
son héros Corto Maltese le privilège
dores se sont livrés, il gagne l’Équateur, le Guatemala, le Mexique et le Nouveau-Mexique,
de reprendre le funeste flambeau, et
où il séjourne parmi les Indiens zuñis. De retour à Mexico, il livre dans sa Relación […]
de partir à la recherche de Cibola.
a la provincia de Culuacan en Nueva España, un récit circonstancié de son périple et fait à
Les indications pour localiser les sept
son tour mention de l’existence de sept cités d’or et de Cibola. Dans son récit, il évoque
cités figureraient sur une peau arrachée à un moine par les Indiens, une relique
une cité plus étendue que Tenochtitlán, dont les habitants usent de plats d’or et d’argent,
qui serait conservée dans le couvent franciscain de l’île de Saint-François du
et possèdent perles, gemmes et émeraudes.
Désert située dans la lagune de Venise…
104
De merveilles, des richesses, des rubis et surtout de l’or à profusion… Telle est la promesse faite à son équipage par Christophe Colomb, lorsqu’il embarque sous pavillon espagnol à la tête de la Santa Maria, de la Pinta et de la Niña pour atteindre par l’ouest les fabuleuses Indes.
105
ELDORADO Royaume doré AVEC PAÏTITI et les sept cités d’or de Cibola, Eldorado est l’une des grandes contrées
mythiques cherchées par les conquistadores espagnols. Les monts et les cités d’or décrits avec un luxe de détails par Christophe Colomb au retour de sa première expédition ont embrasé l’imagination de tous, voyageurs et historiens. Parmi ces derniers, Francisco López de Gómara et Garcilaso de la Vega émettent l’hypothèse qu’à l’arrivée des Espagnols, les derniers Incas auraient fui en emportant toutes leurs richesses. Ils auraient alors fondé au sud-est du continent un nouveau royaume : Païtiti, doté d’une capitale, Manoa. En 1534, le capitaine Sebastián de Belalcázar, l’un des seconds de Francisco Pizarro dans la sanglante conquête de la Nouvelle-Grenade et du Pérou, s’empare de la cité inca de Quito. À la recherche de Païtiti et des fabuleuses cités d’or, il écoute avec intérêt un étonnant récit que lui font les Indiens : lors de la fête du Soleil, le grand Inca s’immergerait tout entier dans une mer dorée, rituel qui lui aurait donné le nom de « Doré ». Cette coutume n’est pas une fable. Chaque année, le cacique des Indiens chibchas, oint d’huile et de senteurs parfumées, couvert de poudre d’or, plongeait dans le lac tandis que les membres de sa tribu jetaient à l’eau des objets d’or. L’appellation de « Doré », que les Espagnols vont traduire mot pour mot par « El Dorado », va ainsi d’abord désigner celui qu’ils imaginent être un souverain inca ou un grand prêtre, avant de nommer la fameuse mer dorée dans laquelle il s’immerge. Cette mer existe : c’est le lac Parimé. Les conquistadores l’imagineront gorgé d’or, avant de conférer cette fabuleuse particularité à tout le royaume. Sur la foi des témoignages des Indiens, Sebastián de Belalcázar entreprend de rechercher le royaume d’Eldorado, non pas au sud-est du continent, mais au nord. Il fonde Santiago de Cali en 1536 et les villes de Pasto et Popayán en 1537. L’Eldorado reste introuvable.
106
Le mythe ne s’évanouit pas pour autant. Nombre d’explorateurs se lancent dans l’aventure.
années, j’avais appris par des té-
Parmi eux, Francisco de Orellana descend le Río Napo, le Río Negro, puis l’Amazone,
moignages l’existence de ce puis-
couvrant près de cinq mille kilomètres. Tous vont sillonner le continent sud-américain
sant, riche et magnifique empire
de long en large à la recherche du royaume doré. Avec la parution de la relation du
de Guyane et de cette grande cité
voyage d’Orellana par le missionnaire Gaspar de Carvajal, le mythe, qui recoupe celui
dorée que les Espagnols appellent
des sept cités d’or de Cibola, rencontre un formidable écho chez les conquistadores.
El Dorado et les indigènes Manoa. »
Ils reprennent espoir. L’Eldorado est alors
Mais pas plus que ses prédécesseurs,
localisé quelque part entre les fleuves
Walter Raleigh ne va découvrir le
Orénoque et Amazone, sur les actuels
royaume doré. Sa description idyl-
territoires du Brésil, du Venezuela et des
lique de la Guyane convainc cepen-
Lors de la fête du Soleil, le grand Inca s’immergerait tout entier dans une mer dorée,
Guyane.
dant la reine de ne pas mettre un terme aux explorations anglaises. À défaut d’avoir siècle, d’innom-
été découvert, l’Eldorado devient l’une des contrées de prédilection des utopistes à l’âge
brables expéditions sont dépêchées de
classique. Il inspire d’éloquentes pages à Fénelon et à Denis Veiras. Et si, au retour de
toutes les cités espagnoles implantées
sa descente du fleuve Amazone effectuée dans les années 1743 et 1744, le naturaliste
sur le continent pour le découvrir enfin,
français Charles-Marie de La Condamine entend ruiner une fois pour toutes le mythe
toutes se soldent par des fiascos. La localisation du royaume où l’or coule à flots reste confuse.
en affirmant qu’il ne se trouve dans les parages du fleuve ni lac Parimé, ni cité dorée de
Qu’importe ! À défaut de trouver le pays, les conquistadores recherchent le lac. Mais sans
Manoa, ni royaume tout en or, l’Eldorado va continuer de fasciner, inspirant à Voltaire
plus de succès. Sur les cartes et dans l’imaginaire des explorateurs, toutefois, une constante
deux chapitres de son Candide. On trouve de longues pages relatives à la conquête du
demeure : l’Eldorado se situerait au nord du continent sud-américain. L’explorateur
Pérou dans son monumental Essai sur les mœurs.
Walter Raleigh se lance à son tour à la recherche du royaume perdu, mandaté par la reine
C’est encore sur les traces d’un explorateur en quête lui aussi du fabuleux royaume disparu
Élisabeth I re d’Angleterre. Dans The Discovery of the Large, Rich, and Beautiful Empire
que se lance Corto Maltese, le héros créé par Hugo Pratt. Ayant exprimé ses doutes à son
of Guiana, with a Relation of the Great and Golden City of Manoa (which the Spaniards call
compagnon Jeremiah Steiner, ce dernier lui répond : « Justement pour trouver ce que les
El Dorado), récit de son périple effectué en l’an 1595, il écrit : « Depuis de nombreuses
autres n’ont pas trouvé… L’Eldorado… L’homme doré… La légende de ce continent… »
Si, tout le long du
rituel qui lui aurait donné le nom de « Doré ».
108
xvi
e
109
PAYS DES AMAZONES Domaine des guerrières QUI SONT LES AMAZONES ? Ces splendides et redoutables créatures ont une bien longue his-
continuent d’exercer leur puissante fascination sur les historiens, les géographes et les
toire. Dans les Enquêtes, Hérodote rapporte que les Scythes les appellent oiorpata : les « tueuses
cosmographes. Leur contrée, qu’on la nomme « Amazonie » ou « Féminie », réunit tous les
d’hommes ». Si les hypothèses varient quant à l’étymologie du nom « Amazone », tous les
attributs des utopies. Marco Polo et Christophe Colomb, s’emparant à leur tour du mythe,
récits et descriptions des Anciens s’accordent pour voir en elles de redoutables combat-
évoquent chacun des « Isles femmes ». Et le Vénitien d’assurer que sont aux confins de l’Inde
tantes entièrement dédiées à l’art de la guerre, au point de n’utiliser les mâles qu’à seule fin
deux îles, « l’une Masle et l’autre Fémenie pour ce qu’en l’une ne demeurent que hommes
de perpétuer l’espèce femelle. « Chez les nouveau-nés, raconte Diodore de Sicile, les garçons
et en l’autre ne demeurent que femmes ». L’étymologie de leur nom, les fonctions dédiées
étaient mutilés des bras et des jambes, donc rendus inaptes aux fonctions militaires, tandis
aux hommes, le sort réservé aux nouveau-nés font l’objet de nombre de supputations et
qu’aux filles on brûlait le sein droit afin que cette proéminence physique ne les gênât pas
débats. Mais pour tous, les Amazones demeurent des cavalières intrépides, d’habiles chasse-
au cours des combats. »
resses et des guerrières émérites… Des trois mondes, le mythe des Amazones se transporte
Le pays des Amazones se déplace au fil du temps. Ainsi, c’est en Libye, où elles dominent
dans le quatrième, grâce à l’explorateur Francisco de Orellana. Gaspar de Carvajal, le moine
les Atlantes, les Numides et les Éthiopiens, que les Amazones imposent d’abord leur loi,
franciscain qui l’accompagne, tient le journal de son expédition. Il y rapporte qu’après
avant de migrer en Colchide, puis de s’établir sur les rivages du Thermodon d’où elles
avoir descendu le Río Negro, l’explorateur et ses hommes se seraient engagés sur un large
soumettent les peuples voisins. Leur chef, qui s’est donné le nom de fille d’Arès, sera vaincue
fleuve où ils auraient été attaqués par de vaillantes et belliqueuses combattantes. C’est parce
par Héraclès. Euripide rapporte la glorieuse campagne du héros en ces termes dans son
qu’ils n’auraient vu aucun homme parmi leurs assaillants qu’Orellana aurait identifié ces guer-
Hercule furieux : « Contre l’escadron belliqueux des Amazones, près de la Maeotide où se
rières comme étant des Amazones. Il aurait tout naturellement donné ce même nom au fleuve.
jettent tant de fleuves, il marcha, traversant les flots soulevés de l’Euxin. Quelle troupe ne
Cherchant l’or tous azimuts, quelques conquistadores, après avoir échoué à découvrir
forma-t-il pas de ses amis venus de Grèce, pour conquérir, d’entre les voiles de la fille d’Arès,
Païtiti, l’Eldorado et les sept cités d’or de Cibola, se mirent en tête que l’or était aux mains
le pharos brodé d’or, baudrier funeste ! La Grèce reçut les fameuses dépouilles de la fille
des Amazones. Pour quelle autre raison défendaient-elles aussi farouchement l’accès à leur
barbare. On les garde à Mycènes. » Pour Hérodote, le séjour des Amazones se situe dans
territoire aux hommes ? Dans ses Singularitez de la France antarctique, c’est en ces termes
les marges de l’œcoumène, sur les rivages du Pont-Euxin. Le mythe croisant l’histoire, Arrien
que le cosmographe André Thevet stigmatise leur cruauté : « Elles font guerre ordinairement
rapporte que le prince macédonien Alexandre les aurait rencontrées avant de s’unir avec
contre quelques autres nations, et traitent fort inhumainement ceux qu’elles peuvent prendre
leur reine. Si Diodore accorde quelque crédit à cette fable, nombre d’historiens la réfutent,
en guerre. Pour les faire mourir, elles les pendent par une jambe à quelque haute branche
parmi lesquels Plutarque, dans sa Vie d’Alexandre. Tout au long du Moyen Âge, les Amazones
d’un arbre ; pour l’avoir ainsi laissé quelque espace de temps, quand elles y retournent,
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111
si le cas forcé n’est trépassé, elles tireront dix mille coups de flèches ; et ne le mangent comme
des Amazones vient porter un sérieux coup d’arrêt aux divagations des explorateurs espagnols
les autres sauvages, ains le passent par le feu, tant qu’il est réduit en cendres. » Le mythe des guer-
et anglais venus rechercher dans le bassin du fleuve une survivance de l’antique société
rières impitoyables va demeurer, mais leur royaume reste introuvable, et nombreux sont ceux
matriarcale des Amazones. Sur les cartes et mappemondes ainsi que dans l’iconologie, long-
qui, au xviie siècle, vont s’obstiner à le rechercher. En vain. Dans les années 1743-1744, le natu-
temps toutefois, l’Amérique sera représentée sous les traits d’une splendide femme aux seins
raliste français Charles-Marie de La Condamine descend à son tour le fleuve Amazone. Il n’est
nus portant flèche et carquois, veillant l’Amazone et lançant comme un avertissement à l’adresse
pas surpris de ne trouver aucune trace des belliqueuses femmes-soldats. Son Voyage de la rivière
des conquérants, conquistadores et autres pilleurs de temples dénués de scrupules.
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113
TERRE DE FEU Labyrinthe de fjords, de récifs et d’écueils C’EST POUR REJOINDRE les Moluques où sont les épices odoriférantes, notamment le clou
de girofle, fort prisé dans les cuisines et sur les nappes des Cours, que Fernand de Magellan entreprend de rejoindre cet archipel en prenant la route de l’ouest. En août 1519, à la tête de cinq caraques, il quitte Séville. Après une brève escale dans l’archipel des Canaries, la flotte est, en décembre, en vue des côtes brésiliennes, et relâche dans la baie de Santa Lucia, aujourd’hui Rio de Janeiro. Elle reprend sa route toutes voiles au sud afin de contourner le continent et de gagner les Moluques. À mesure de la descente, le froid se fait vif. Magellan décide de faire hiverner son équipage dans l’estuaire de San Julián. Jugeant les vues de leur commandant hasardeuses, trois de ses capitaines, Juan de Cartagena, Luis de Mendoza et Gaspar de Quesada fomentent une mutinerie, rapidement enrayée par Magellan, grâce à l’appui des marins qui lui sont demeurés loyaux. Afin de localiser un passage permettant de déboucher de l’autre côté du continent, Magellan envoie en reconnaissance une de ses caraques : le Santiago. Mais le navire s’échoue, périssant corps et biens. Magellan décide alors de partir lui-même à la recherche du fameux passage à la tête du reste de la flotte. À la fin d’octobre, celle-ci pénètre dans un détroit auquel Magellan donne le nom d’Estrecho de todos los Santos et que la postérité rebaptisera de son nom. C’est un véritable labyrinthe de fjords, de récifs et d’écueils qui bordent des falaises tombant à pic et des côtes escarpées. À plusieurs reprises, au cours de la traversée du chenal, par des nuits glaciales, les marins aperçoivent provenant de la terre de grands feux que prolongent d’épaisses volutes de fumée. La contrée va d’abord être baptisée Tierra del Humo avant d’être rebaptisée Tierra del Fuego. Mais qu’est-ce au juste que cette terre ? Une île ? Un archipel ? Un promontoire ?
114
Fernand de Magellan, qui est tout occupé à mener à bien sa mission, s’en moque : il poursuit sa
En 1581, c’est une armada de vingt-cinq navires qui quitte les côtes espagnoles pour fon-
route, finit par sortir du détroit. Dans l’immensité océane et par un calme olympien, il met le
der une colonie en Terre de Feu. C’est au terme de plus de deux années de péripéties, de
cap à l’ouest. Hélas, quelques mois plus tard, sur une plage des Philippines, Magellan tombe
naufrages, d’errances et de pertes que les trois cents premiers colons du détroit foulent le
sous les lances des indigènes. De l’orgueilleuse expédition, seul un navire, à bord duquel sont
sol désolé de la Terre de Feu. Après avoir jeté les fondations d’une première cité, Nombre
dix-neuf marins, parvient à regagner l’Espagne. Peu après son retour, le roi Charles Quint
de Jesús, où demeurent quelques-uns des leurs,
arme une nouvelle flotte de six caraques qu’il envoie suivre la route inaugurée par Magellan.
les colons prennent le chemin d’un lieu abrité
Si elles ne rencontrent aucun obstacle lors de leur traversée de l’Atlantique, les caraques vont
qu’ils atteignent au prix de terribles efforts. Ils
connaître des fortunes diverses une fois lancées dans l’infernal détroit, plusieurs s’abîmant,
entendent fonder leur colonie qu’ils baptisent
l’une sombrant, l’autre s’égarant. De haute lutte, quatre d’entre elles parviennent à s’engager
Ciudad del Rey Felipe. La destinée se montrera
dans le détroit. Au plus noir de la nuit, les hommes aperçoivent des feux sur les deux rives,
cruelle à l’égard des colons des deux cités. Isolés
repèrent un canot, des côtes de baleine, un harpon, puis distinguent une présence humaine.
dans une nature hostile, ne pouvant compter que sur un approvisionnement par la mer,
« Ces Indiens brandissaient des tisons, et quelques-uns d’entre nous pensaient qu’ils allaient
les colons vont dépérir. Ceux qui vont tenter d’abandonner les cités à bord d’embarca-
mettre le feu aux navires. Ils n’osèrent avancer, et nous ne pûmes les poursuivre en chaloupe
tions de fortune en remettant leur salut au Très-Haut vont sombrer dans l’un des coudes
parce qu’ils nous devançaient avec leurs canots. » Les navires poursuivent leur route mais,
du détroit. Lorsqu’en 1586, la vingtaine de survivants de Ciudad del Rey Felipe rejoignent
de nouveau, un seul rentrera à bon port.
à pied Nombre de Jesús, leur route est jalonnée par les cadavres de deux cents des leurs
En 1534, une nouvelle expédition est dépêchée. La Terre de Feu porte décidément malheur.
qui les avaient quittés plus tôt.
Lors d’une descente à terre effectuée avant le détroit, la famine se déclare et une mutine-
Dans la baie de Nombre de Jesús, dont tous les colons ont trouvé la mort, sont ancrés les
rie éclate. Les rescapés trouvent refuge au Brésil « après avoir mangé les cuirs qui fourraient
trois navires du corsaire Cavendish. Ce dernier offre de convoyer les misérables au Pérou,
les vergues ». En dépit des témoignages des rescapés de ces trois expéditions, la Terre de
mais un seul accepte. Les autres mourront à Nombre de Jesús, abandonnés de tous et du
Feu demeure une énigme. Certains estiment qu’au sud du détroit se trouve un continent,
Seigneur. À Ciudad del Rey Felipe, Cavendish, mesurant l’ampleur du désastre face aux
hypothèse que défend le cartographe allemand Schöner. Durant près d’un demi-siècle, la
cadavres de ces hommes « qui sont morts comme des chiens », rebaptise la baie Port-Famine.
couronne espagnole multiplie les expéditions pour reconnaître et cartographier le détroit,
C’est le nom qu’elle porte encore à ce jour, offrant aux rafales les vestiges de ce qui eût dû être
et en barrer l’accès aux navires étrangers.
la plus moderne, la plus splendide et la plus somptueuse des cités du Nouveau Monde.
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117
En dépit des témoignages des rescapés, la Terre de Feu demeure une énigme.
NOUVELLE-CYTHÈRE Paradis terrestre AU TERME D’UN LONG SÉJOUR de trois mois et demi à Montevideo, la Boudeuse et l’Étoile
traversent le détroit de Magellan, « débouquent » dans le Pacifique et accostent sur une île enchanteresse et édénique. Dans le premier volume de ses journaux, Louis-Antoine de Bougainville, dépêché par Louis XVI afin d’explorer les mers du Pacifique à la découverte de terres nouvelles, rapporte sa découverte de cette île qu’il pense inconnue. Mais l’île ne l’est pas. Elle a été « découverte » une année auparavant par le navigateur anglais Samuel Wallis, à la tête d’un navire dépêché pour observer le passage de Vénus, et il l’a baptisée en l’honneur de son souverain île du Roi-George. Se remémorant ses lectures des Aventures de Télémaque de Fénelon, notamment l’épisode qui voit le héros blâmer les excès des habitants de l’île de Cythère, l’île des amours et des plaisirs, Bougainville, commentant non sans fierté sa « découverte », écrit : « Aussi l’ai-je nommé la Nouvelle-Cythère et l’égide de Minerve y est aussi nécessaire que dans l’ancienne pour se défendre contre l’influence du climat et des mœurs de la nation. » C’est que, sur cette île, les mœurs et coutumes des habitants ne sont pas sans rappeler au navigateur et à ses hommes celles de la mythique Cythère. En effet, le climat y est doux et tempéré, l’air et les cieux y sont d’une absolue pureté, le sol et les arbres procurent des fruits en abondance. « Les principales productions de l’île, note le navigateur, sont le coco, la banane, le fruit à pain, l’igname, le curassol, le giraumon et plusieurs autres racines et fruits particuliers au pays, beaucoup de cannes à sucre qu’on ne cultive point, une espèce d’indigo sauvage, une très belle teinture rouge et une jaune. » Les habitants y sont fort grands : de six à six pieds et demi de hauteur, pour les hommes comme pour les femmes. Mais surtout, fait étrange, ils sont blancs et de bon sang. Tous sont beaux. Leurs dents sont blanches, leurs traits fins et réguliers, leurs chevelures soyeuses, qu’elles soient noires,
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brunes, blondes... ou rouges. Les qualités spirituelles sont à la mesure de leur beauté phy-
c’est même un des devoirs de l’hospitalité de les y inviter. » Sur le chapitre de leurs croyances
sique : ils sont bons, affables et généreux. Leurs mœurs, en harmonie avec le climat, sont
et de leur religion, Bougainville éprouve par ailleurs toutes les peines du monde à s’en
simples et douces. « Le caractère de la nation nous a paru être doux et bienfaisant, pour-
représenter une idée exacte. « Nous avons vu chez eux des statues de bois que nous avons
suit Bougainville. Il ne semble pas qu’il y ait dans l’île aucune guerre civile, aucune haine
prises pour des idoles ; mais quel culte leur rendent-ils ? » s’interroge-t-il.
particulière, quoique le pays soit divisé en petits cantons qui ont chacun leur seigneur
Désir obstiné de s’adonner à l’amour et aux plaisirs, douces superstitions, mode de gouverne-
indépendant. Il est probable que les Tahitiens pratiquent entre eux une bonne foi dont ils
ment fondé sur la concorde, abandon
ne doutent point. Qu’ils soient chez eux ou non, jour ou nuit, les maisons sont ouvertes.
total à la générosité et à la luxuriance
Chacun cueille les fruits sur le premier arbre qu’il rencontre, en prend dans la maison
de l’île... Bougainville et ses hommes
où il entre. Il paraîtrait que pour les choses absolument nécessaires à la vie, il n’y a point
auraient-ils abordé le paradis ter-
de propriété et que tout est à tous. » « Tout est à tous » : dans son Supplément au voyage de
restre ? Cet Éden recherché par tant
Bougainville, le philosophe Denis Diderot saura s’en souvenir.
de voyageurs et localisé en tant de
Les marins sont tout particulièrement sensibles aux charmes et attraits des femmes. Le
lieux par les Anciens, serait-il dans
naturaliste Philibert Commerson écrit dans sa lettre Sur la découverte de la Nouvelle Île de
quelque île du Pacifique ? « Jason mo-
Cythère ou Taïti : « Nés sous le plus beau ciel, nourris du fruit d’une terre qui est féconde
derne », Bougainville sera tenu pour
sans culture, régis par des pères de famille plutôt que par des rois, ils ne reconnaissent
un intrigant, un audacieux et un plu-
d’autre Dieu que l’Amour ; tous les jours lui sont consacrés, toute l’île est son temple,
massier. Sévère, le navigateur anglais
toutes les femmes en sont les idoles, tous les hommes les adorateurs. Et quelles femmes
Dalrymple écrira dans ses Voyages :
encore ! Les rivales des Georgiennes pour la beauté, et les sœurs des Grâces sans voile. » Les
« Bougainville, ambitieux du suffrage
insulaires ne connaissent pas la pudeur et, cédant volontiers à leurs désirs, s’accouplent
des femmes, oublia ce pour quoi il
librement et joyeusement à la face du ciel et de la terre. Sur ce chapitre, Commerson
était parti si loin, et se dépêcha de
écrit : « L’acte de créer son semblable est un acte de religion ; les préludes en sont encou-
revenir pour amuser les Européens
ragés par les vœux et les chants de tout le peuple assemblé, et la fin est célébrée par des
avec ses histoires des enchantements
applaudissements universels ; tout étranger est admis à participer à ces heureux mystères ;
de la Nouvelle-Cythère. »
122
Les habitants y sont fort grands : de six à six pieds et demi de hauteur, pour les hommes comme pour les femmes. Mais surtout, fait étrange, ils sont blancs et de bon sang. Tous sont beaux. Leurs dents sont blanches, leurs traits fins et réguliers, leurs chevelures soyeuses, qu’elles soient noires, brunes, blondes... ou rouges.
123
TERRA AUSTRALIS Utopie aux antipodes DE TOUTES LES TERRES MYTHIQUES qui ont été inventées avant d’être découvertes, la Terra
australis demeure sans doute celle qui a engendré le plus grand nombre de spéculations. Pour faire contrepoids aux terres septentrionales, les anciens cosmologues postulent l’existence, par-delà la zone torride, d’une terre à la masse égale à celle de ces terres, l’Antichtone. Ne sachant pas si elle est habitée ou habitable, ils l’estiment néanmoins suffisamment vaste pour mériter le nom de continent. Dans un dialogue fictif écrit d’après les Philippiques d’Élien, Théopompe de Chios fait mention de l’existence d’un continent antipodique situé hors des marges de l’œcoumène. Les Machimoi, êtres belliqueux, y vivent en guerre perpétuelle contre les Eusèbes, des êtres pacifiques. Dans son dialogue, l’Europe, l’Afrique et l’Asie sont présentées comme des îles qu’entoure le grand océan : la terre antipodique y figure comme le seul continent. Au
iv e
siècle avant Jésus-Christ, Evhémère raconte dans sa Chronique sacrée son fabuleux
voyage à l’île de Panchaïe, dans les marges orientales de l’œcoumène. Panchaïe, cité à la géométrie sublime, reflète la perfection de ses institutions et la perfection morale de ses habitants, divisés en trois classes égales. Selon Evhémère, Panchaïe doit sa perfection à son absence totale de contact avec le monde connu. Diodore de Sicile décrit la cité du Soleil évoquée par Iambule dans le récit de son périple dans l’océan Indien. Au terme de quatre mois de dérive, Iambule et un compagnon atteignent l’île du Soleil, disque d’une circonférence de cinq mille stades. Ses habitants, les enfants du Soleil, ainsi nommés parce qu’ils vouent un culte à l’astre roi, sont d’une remarquable beauté et noblesse, et leur système vocal leur permet de tenir deux conversations simultanément. Au terme de sept années passées en cette cité, Iambule et son compagnon, jugés imparfaits, sont exclus. Iambule retrouve le monde connu après quatre nouveaux mois d’errances.
124
Dans son Histoire véritable, Lucien donne à son tour naissance à une utopie australe mais
et la découverte d’un quatrième monde repoussent définitivement les marges de l’œcou-
à des fins parodiques et satiriques, pour tourner en dérision le genre et ouvre son récit par
mène et rendent de nouveau envisageable l’existence d’un continent austral.
ces mots : « Je vais donc vous dire des choses que je n’ai jamais vues ni ouïes, et qui plus est,
Au
ne sont point et ne peuvent être ; c’est pourquoi, qu’on se garde bien de les croire » ! Après
d’Oronce Fine et sur le planisphère de Mercator, et revêt la forme de l’île de la « Grande
une tempête et un naufrage, les voyageurs atterrissent sur une île aérienne où les accueillent
Java » sur les cartes des géographes dieppois.
des hippogriffes. Ils remportent une bataille aux côtés du roi de l’île, Endymion, contre
Tandis que des voyageurs comme Nicolas Durand de Villegagnon, Jean de Léry ou André
Phaéton, le roi d’une île voisine. Au terme de nombreuses péripéties, les voyageurs atteignent
Thevet croient découvrir cette fameuse terre et la désignent des noms d’« Indes méridio-
une île baignant dans une mer de lait. Rhadamante, le roi qui la gouverne, leur indique
nales » et de « France Antarctique », Thomas More dans son Utopie en 1516, Rabelais dans
le chemin à suivre pour atteindre le fameux continent austral : « Quand vous aurez quitté
son Pantagruel en 1532, Joseph Hall dans son Mundus alter et idem en 1605, mais surtout
ces îles, vous rencontrerez un continent massif, situé en face du vôtre ; et après que vous
Gabriel de Foigny avec La Terre australe connue en 1676 et Denis Veiras avec l’Histoire des
aurez souffert beaucoup de peines, traversé plusieurs nations, et demeuré parmi des
Sévarambes en 1677-1679 renouent avec l’imaginaire utopique du continent austral en
xvi e
siècle, le continent austral apparaît, gigantesque masse, sur la mappemonde
hommes méchants, vous atteindrez
donnant à lire des relations de voyage fictives dans des contrées idéales.
enfin l’autre continent. »
Les découvertes des terres de la Nouvelle-Guinée, des îles Salomon, puis de la terre de Van
La tradition utopique des Anciens
Diemen (Tasmanie) et de la Terre des États (Nouvelle-Zélande) par les navigateurs bataves
et l’existence d’un continent austral
dans l’océan Indien ravivent le mythe de ce continent avant de le déplacer, toujours plus
vont être vivement critiquées par
au sud, dans les parties du globe ignorées des cartes.
Origène, Lactance, saint Augustin.
Au xviii e siècle, c’est entre autres pour explorer les mers du Sud et découvrir ce fameux conti-
Les Pères de l’Église ne peuvent
nent austral que les navigateurs Samuel Wallis, James Cook et Louis-Antoine de Bougainville
admettre la mention d’une terre
sont dépêchés par leurs nations respectives. L’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont
qui n’est pas nommée dans la Bible,
découvertes dans la mouvance de ces explorations, n’ayant rien d’utopique ni d’idéal,
confortés en cela par Ptolémée. Dans le même temps toutefois, nombre de savants
mettent de manière temporaire fin au mythe du continent austral. Pour l’imaginaire cepen-
continuent d’en affirmer l’existence. Pierre d’Ailly le confirme dans son Imago mundi
dant, ces voyages n’ont pas été vains puisque c’est de la « découverte » de Tahiti qu’est né
en 1410. Cependant, la circumnavigation de l’Afrique par les Portugais à la fin du xve siècle
un autre mythe appelé à connaître aussi une belle fortune : celui de la Nouvelle-Cythère.
Ses habitants, les enfants du Soleil, ainsi nommés parce qu’ils vouent un culte à l’astre roi, sont d’une admirable beauté et noblesse.
126
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ÎLES DES BIENHEUREUX À l’écart du monde et des hommes DANS L’ANTIQUITÉ , il existe des îles qui, dit-on, accueillent ceux qui se sont distingués au
cours de leur existence par la justesse de leurs actions : ce sont les îles des Bienheureux. Platon dans son Gorgias et Hésiode dans sa Théogonie les situent dans le fleuve Océan, dans les marges de l’Occident, dans le royaume de Kronos, la terre du Soleil nocturne. D’autres auteurs les situent dans les parages des Champs Élysées. Dans ses Thrènes, Pindare décrit en ces termes la vie dans ces îles : pour les Bienheureux « resplendit la fougue du soleil / Pendant la nuit ici-bas, / dans des prairies cramoisies de roses leur avant-ville / Sous le poids […] de baumiers ombreux / Et d’arbres aux fruits d’or croule. Certains aux chevaux et aux sports, / D’autres aux jetons, / D’autres aux lyres prennent joie, auprès d’eux / Efflorescent tout bonheur s’épanouit. » Dans ses Olympiques, le poète écrit encore : « Un soleil toujours pur éclaire nuit et jour la paisible demeure des justes. Là ils coulent des moments heureux : leurs bras ne fatiguent point les flots, leurs mains n’y déchirent point la terre pour en arracher la pauvre nourriture des mortels. / Près des amis des dieux vivent en paix ceux qui crurent à la sainteté du serment : jamais les larmes n’altèrent leur bonheur, tandis que les parjures sont consumés par d’horribles supplices. / Et vous dont les âmes habitèrent successivement trois fois le séjour de la lumière et trois fois celui des Enfers sans jamais connaître l’injustice, bientôt vous aurez parcouru la route que traça Jupiter, bientôt vous parviendrez au royaume de Saturne, dans ces îles fortunées que les zéphyrs de l’océan rafraîchissent de leur douce haleine : là des bosquets odorants ombragent le cours des ruisseaux et les prairies sont émaillées de mille fleurs d’or. » À l’écart du monde, des cités et des hommes, les îles des Bienheureux sont chez les Grecs cette « cité à venir » que souhaite de ses vœux et annonce Platon dans ses Lois. Dans la mythologie, l’île des Bienheureux est aussi celle de Leucé, également surnommée l’île Blanche. Située dans le Pont-Euxin, à l’embouchure de l’Ister, elle est une des portes des Enfers que veillent les ombres d’Achille et d’Hélène.
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JARDIN DES HESPÉRIDES Les pommes de la discorde OÙ SE SITUE le fameux jardin des Hespérides ? Comme nombre de lieux mythiques, sa loca-
lisation fluctue au gré des écrits et des époques. Le savant grec Strabon dans sa Géographie et le poète lyrique grec Stésichore localisent le jardin des Hespérides non loin de la cité de Tartessos, dans le sud-ouest de la péninsule ibérique. D’autres auteurs le placent au cœur des îles Fortunées. Certains croient le reconnaître dans les monts d’Arcadie, au centre de la péninsule du Péloponnèse, aux confins de la mer Égée. Pour Apollodore de Rhodes, le mythique jardin se trouve chez les Hyperboréens, sur le mont Atlas. Diodore de Sicile le voit sur Hespera, île du lac Tritonide, en Cyrénaïque – non loin des Amazones de Libye. « Dans les temps primitifs, il y eut, dit-on, en Libye, des Amazones » note Diodore dans sa Bibliothèque historique. « Et on assure, au surplus, qu’il a existé en Libye plus d’une nation de femmes belliqueuses et puissantes, telles que furent aussi les Gorgones. Les Amazones habitaient, aux dernières limites du monde, dans l’île Hespera, ainsi appelée à cause de sa situation occidentale ; cette île se trouvait dans le lac Tritonide, au voisinage de l’Éthiopie et du mont Atlas ; île grande, fertile, couverte d’arbres, de fruits et de troupeaux, semée d’escarboucles, de sardoines et d’émeraudes. » Par leur étymon, les Hespérides renvoient à la tombée du jour, au crépuscule, aux contours de la nuit. Ce sont les gardiennes des portes qui séparent le Jour de la Nuit et la Nuit du Jour. Métaphoriquement, ce sont les gardiennes des portes séparant la Vie de la Mort. Les Hespérides sont de jeunes vierges aux voix cristallines. Dans sa Théogonie, Hésiode en parle comme de filles de la « Nuit ténébreuse ». Ce sont des guerrières qui, à l’instar des Amazones – et de là vient que les Anciens les qualifient d’« Amazones de Libye » – se tiennent loin de la compagnie des hommes. Elles sont au nombre de trois et sont liées à deux autres trinités féminines, les Kères, filles de Nyx, apparentées aux Furies, et les Moires, qui tissent ces fils
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Jeunes vierges, les Hespérides assurent la garde des pommes d’or, qui vont susciter bien des convoitises et seront à l’origine de la guerre de Troie.
dont chacun représente la vie d’un mortel et dont
Pour ce faire, Héraclès offre au géant de soutenir le poids du ciel pour lui. Atlas ac-
la rupture provoque le trépas. Ce sont elles qui, si
cepte, s’en va cueillir les pommes et s’en revient auprès d’Héraclès. Cependant, ayant
l’on accorde foi à nombre de traditions, assurent la
goûté aux plaisirs de la liberté, le géant refuse de reprendre sa place. Le rusé Héraclès
garde des pommes d’or, qui vont susciter bien des
lui demande alors de bien vouloir reprendre le ciel, le temps de se coiffer d’un bandeau.
convoitises et être à l’origine de la guerre de Troie
Atlas accepte et dépose les pommes le temps qu’Héraclès puisse nouer son bandeau.
Rappelons l’épisode mythologique : le roi d’Argolide
Une fois libéré de son poids, Héraclès abandonne le naïf Atlas à sa charge, se saisit des
Eurysthée convainc Héraclès de s’emparer des
pommes et s’en va rejoindre Eurysthée.
pommes d’or du jardin des Hespérides. Mais ce der-
Selon une variante du mythe, Héraclès atteint, au terme d’un long périple, le jardin des
nier ignore où se trouve le jardin. Aussi se rend-il sur
Hespérides dont l’entrée est veillée par le dragon Ladon. Héraclès le tue de ses flèches
le rivage du fleuve Éridanos chez les Illyriens. Les
et s’empare des pommes. Puis, raconte le poète Apollodore, « il les porta à Eurysthée qui
nymphes du fleuve lui désignent l’endroit où som-
en fit cadeau au héros lui-même. Héraclès les donna ensuite à Athéna, mais la déesse
meille le dieu marin primitif Nérée, le « Vieillard
les restitua aux Hespérides, parce qu’il n’était pas permis, de par la loi divine, que
de la mer ». Héraclès parvient à s’en saisir et le force à lui révéler la localisation du fabuleux
les pommes fussent placées quelque part ».
jardin. Pour échapper à l’étreinte du héros, Nérée lui indique le chemin à suivre, qui est long
Quels que soient le lieu et la manière dont elles ont été cueillies – et par qui –,
et semé d’embûches.
les pommes d’or du jardin des Hespérides vont être, dans la tradition, symboles de
La Libye enlevée, Héraclès est contraint de défier et d’affronter le géant Antée qui puise ses
querelle et de désastre. Dans L’Enlèvement d’Hélène, le poète grec Collouthos raconte
forces de la terre. Héraclès l’étouffe en le soulevant et en l’étreignant. C’est l’Afrique fabuleuse
la colère d’Iris, qui, furieuse de n’avoir pas été invitée au festin des noces de Pélée et
des Anciens que parcourt Héraclès pour gagner le jardin : celle des Pygmées, qu’il défait, celle
Thétis, jette sur la table des convives la pomme qui va semer la zizanie entre les déesses
du souverain Busiris et de son fils Amphidamas. Puis l’Asie. Et enfin l’Arabie où il affronte
– et déclencher une guerre. Son stratagème fonctionne au-delà de ses espérances ; tour
et tue Émathion, un des fils d’Éos, la déesse de l’Aurore. À bord d’une barque d’or, il vogue sur
à tour subjuguées par la pomme jetée en pâture, Héra et Aphrodite s’entredéchirent.
la mer et abat l’aigle qui, sur le mont Caucase, dévore le foie de Prométhée.
Et c’est encore une des pommes de ce fameux jardin que le jeune Pâris choisit d’offrir
C’est sur les recommandations de ce dernier, reconnaissant, qu’Héraclès demande et
à la déesse Aphrodite pour obtenir Hélène, qui va être à l’origine de la guerre de Troie
obtient du géant Atlas qu’il s’acquitte de la cueillette des trois pommes d’or à sa place.
et inspirer à Homère ses deux grands poèmes : l’Iliade et l’Odyssée
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LÉMURIE Monde perdu AU XIXe SIÈCLE, le zoologiste Slater raconte qu’il y eut au commencement un continent à l’ori-
gine de tous les autres et le baptise d’un nom dérivé d’une variété de singes malgaches : Lémuria. À sa suite, plusieurs érudits reprennent cette hypothèse, nommant ce continent tantôt la Lémurie, tantôt Mu. Pour tous, ce continent est non seulement à l’origine du monde habité, mais aussi aux sources des sciences et des arts. Les savants qui le peuplaient avaient tout consigné sur des tablettes quand un grand cataclysme aurait englouti le continent en 12000 avant notre ère. C’est pour en retrouver les vestiges que Walter Scott-Elliot et James Churchward sillonnent des années durant l’océan Pacifique et l’océan Indien. À force de chercher, ils finissent par trouver des signes, marques et symboles que les êtres extraordinaires de ce continent primitif ont laissés, et dont les géants de l’île de Pâques sont les vestiges les plus stupéfiants. S’inspirant des thèses développées par Walter Scott-Elliot, James Churchward et Helena Blavatsky, Jules Hermann, un érudit réunionnais, s’empare à son tour de ce mythe du continent perdu. Il explique la configuration originelle de ce continent unique formé de l’Afrique et de terres englouties, dont seules émergent les pointes qui forment les îles des Mascareignes : Maurice et La Réunion. Dans son traité des Révélations du Grand Océan, la Lémurie était peuplée de géants, les Lémuriens qui, outre les sciences et les arts, avaient inventé une langue parfaite qu’ils étaient parvenus à répandre à peu près partout sur le globe avant le grand cataclysme. Pour étayer ses dires, il tente de reconstituer cette langue et se propose d’expliquer son fonctionnement. Mais surtout, il fait des Lémuriens les ancêtres des Européens. Dans ces géants, il reconnaît en effet « cette race océanienne d’où sont partis les premiers Européens ». Si Jules Hermann tient tant à voir dans ses lointains parents les ancêtres des Européens, c’est de manière inconsciente pour se rapprocher de cette Europe si éloignée qui le fait tant rêver. Croisant les fables, légendes et mythes liés à l’Atlantide et à Mu, la Lémurie va continuer de fasciner et de faire rêver les voyageurs et les écrivains, inspirant à plusieurs d’entre eux quelques-unes de leurs plus belles rêveries.
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THULÉ Pays de nulle part PYTHÉAS N’EN CROIT PAS SES YEUX. L’île qui apparaît devant lui ne ressemble à aucune
nature connue. Il la nommera Thulé. Le paysage, indéfinissable, semble osciller entre les mondes liquides et solides. Noyée dans la brume glaciale, l’île de Thulé n’a rien de commun avec ce que les explorateurs ont pu rencontrer dans le monde méditerranéen. Lui qui s’est embarqué à Massalia, l’actuelle Marseille, à bord d’un frêle Kytéria, pour partir à la découverte des océans du septentrion, a déjà découvert plus qu’il n’en faut pour bousculer les connaissances de son temps. Il a franchi les Colonnes d’Hercule, que les Anciens considéraient déjà comme la porte de la civilisation. Il a fait route vers le nord, passant au large de l’embouchure de la Gironde. Fasciné, il a découvert le mécanisme des marées, qu’il associe rapidement au cycle lunaire. Passé l’île d’Ouessant, il a fait une mesure étonnamment exacte des côtes de l’Angleterre. Ses calculs, élaborés il y a quelque deux mille trois cents ans, sont d’une précision extraordinaire. Mais c’est six jours après avoir quitté les côtes de la Grande-Bretagne, en direction du nord, qu’il découvre la fameuse île. Les jours et les nuits y sont comme abolis : le soleil décrit une discrète sinusoïde à fleur de terre. Brillant esprit scientifique, Pythéas sera le premier à donner une explication au soleil de minuit. Dans son ouvrage De l’Océan, il décrit cette île étonnante qui lui apparaît, selon le mot de Strabon, comme un « poumon marin ». Ni terre ni océan. Baignée par ce soleil qui semble ne pas vouloir s’élever au-dessus de l’horizon, l’île de Thulé définit une nouvelle frontière au monde visible. Les commentateurs grecs de Pythéas auront la dent dure. Pour beaucoup, il n’est qu’un affabulateur. Ni Strabon ni Polybe ne le prennent au sérieux. Les mers septentrionales sont très mal connues des Anciens. Au ii e siècle avant notre ère, Ptolémée et Hipparque se perdent en
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Baignée par ce soleil qui semble ne pas vouloir s’élever au-dessus de l’horizon, l’île de Thulé définit une nouvelle frontière au monde visible.
conjectures sur la situation réelle de Thulé qu’un seul des leurs prétend avoir aperçue. Tacite, rapportant le témoignage de l’explorateur Agricola, la situe près de l’Écosse. Procope de Césarée, au
vi e
siècle, y voit la
Norvège ; cinq cents ans plus tard, Adam de Brême l’identifie à l’Islande. Si l’on s’en tient à la description de Pythéas, le terme de « poumon marin » évoque la consistance d’une méduse. Les scientifiques
connaissent ce phénomène qui accompagne la transformation des eaux en glace. La mer prend alors cet aspect mouvant et visqueux qui pourrait bien être à l’origine de la description de l’explorateur, et pourrait situer l’île légendaire du côté du Groenland, ou bien entre la Scandinavie, l’Islande et l’Angleterre – dans l’archipel des îles Féroé. Au xvii e siècle, le cartographe Joan Blaeu fera table rase de toutes les conjectures, et laissera un vide à l’emplacement présumé de l’île. Les nombreuses citations et hypothèses diverses qui émaillent les écrits antiques contribuent à assurer pourtant la vitalité du mythe de Thulé. Et dans l’imaginaire des navigateurs, des cartographes et des cosmographes, Thulé demeurera longtemps le point ultime du bout du monde, l’île de la perpétuelle pénombre, des sonorités harmonieuses, la terre des mânes des morts sans sépulture – le pays de nulle part.
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REMERCIEMENTS
Au terme de ces pérégrinations en terres mythiques, je remercie vivement mon éditrice Valérie Dumeige pour m’avoir offert d’accomplir ce beau voyage dans le temps et dans l’espace, et pour s’être tant investie dans ce beau projet. Je souhaite également remercier Karine Do Vale, pour sa collaboration, toujours aussi efficace que précieuse, et Karin Doering-Froger pour son superbe travail de création. Tous mes remerciements enfin à Stefanie pour sa présence à mes côtés au quotidien, ses sourires et ses encouragements permanents. Merci à toutes les quatre ; sans vous, ce livre ne serait tout simplement pas.
Achevé d’imprimer en septembre 2015 par Grafos. Dépot légal : octobre 2015