Moyen Âge — Commençons par la fin des temps
COMMENTAIRES DE L’APOCALYPSE SELON SAINT JEAN Beatus de Liébana « Un ange avec un livre », 775 (copie de 1109), bibliothèque du monastère de Saint-Laurentde-l’Escurial, San Lorenzo de El Escorial.
Le Beatus de Liébana est ensuite largement repris et enrichi. Il subsiste aujourd’hui vingtsept exemplaires enluminés de façon similaire dans les ateliers du nord de l’Espagne et du sud de la France. On est frappé par la cohérence de ces enluminures aux contours déliés, aux aplats vivement colorés, à la gamme restreinte. L’utilisation des bandes horizontales aux couleurs saturées se retrouve au viie siècle dans le mystérieux Pentateuque de Tours. Les bordures oscillent entre les entrelacs celtiques et les arabesques orientales. Les influences apparaissent multiples : carolingiennes, wisigothiques et mozarabes (pour désigner les chrétiens sous occupation musulmane). Mais ce foisonnement n’altère en rien l’unité stylistique et la force des représentations. L’image doit continuer de remplir cette fonction particulière : elle est faite pour être méditée. Elle s’inscrit dans une pratique méditative et transmet un spectacle plutôt réjouissant ; elle dévoile des événements que l’on ne peut pas observer mais qui tous constituent un enchaînement, un prolongement du récit jusqu’après la fin du monde, c’est-à-dire jusqu’à l’établissement d’un règne divin. C’est sans doute pourquoi l’Apocalypse paraît joyeuse lorsque l’on observe les images qui en sont faites au Moyen Âge.
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LE JUGEMENT DERNIER Notre monde sensible est transitoire. Au Moyen Âge, cette croyance est communément admise. Il y a une vie après la mort et un jugement qui doit survenir à la fin des temps. Les modalités sont d’ailleurs à peu près les mêmes dans les trois monothéismes, laissant à Dieu le soin de trancher tous les cas un seul et même jour : le jour de la sonnerie dans le judaïsme, le jour de la rétribution dans l’islam, le jour du Seigneur chez les chrétiens. Mais le Jugement dernier n’est pas un thème très répandu dans l’art roman. Il ne connaît pas encore le développement auquel les artistes vont le conduire durant l’époque gothique et renaissante, sur le tympan de la cathédrale Notre-Dame de Paris ou le plafond de la chapelle Sixtine, par exemple.
« Et ainsi je vis les chevaux dans la vision, et ceux qui les montaient, ayant des cuirasses couleur de feu, d’hyacinthe et de soufre. Les têtes des chevaux étaient comme des têtes de lion ; et de leurs bouches il sortait du feu, de la fumée et du soufre. » Apocalypse, 9, 17
Moyen Âge — Commençons par la fin des temps
CODEX ALTONENSIS « Première apparition de Lucifer », chant XXXIV, neuvième cercle, xive siècle, Bibliotheca Gymnasii Altonani, Hambourg.
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Pour comprendre cette image tronquée, il faut préciser que, selon la légende, Lucifer est tombé du Ciel du côté de l’hémisphère austral. La Terre s’est retirée par horreur et a laissé place à ce colosse émergeant à mi-corps d’un lac glacé. Quand il accède au neuvième et dernier cercle de l’enfer, Dante confie avoir perdu tous ses moyens face à l’apparition monstrueuse de Lucifer : « Oh quel étonnement ce fut pour moi quand je vis que sa tête avait trois faces […]. Sous chacune des trois partaient deux grandes ailes à la mesure d’un si grand oiseau. Je n’ai jamais vu en mer voiles pareilles 5. » Chacune des bouches de Lucifer est occupée à broyer un pécheur. Il s’agit en l’occurrence de Judas Iscariote au centre, Brutus et Cassius de chaque côté. Les trois têtes sont souvent interprétées comme l’antithèse de la Sainte Trinité. « Les poètes remontent de l’autre côté de la Terre », chant XXXIV.
« Et celui-ci, comment tient-il, planté à l’envers ? » demande Dante à Virgile. Toujours selon cette légende, le niveau des hanches de Lucifer se trouve au centre de la Terre et ses jambes émergent du côté de l’hémisphère boréal. Cette drôle de posture coïncide avec l’apparition de la montagne du purgatoire. Dante et Virgile cherchent à y accéder pour ensuite rejoindre le paradis et retrouver Béatrice, la bienaimée. Nous sommes à la fin du dernier chant du premier livre et l’auteur s’étonne d’avoir changé d’hémisphère. Il est surpris du grand renversement et ravi de revoir le ciel étoilé. « Ici s’achève la première partie de la Comédie de Dante Alighieri où il est parlé des Enfers. »
5. Dante, L’Enfer, chant XXXIV.
Moyen-Âge — Les monstres et les merveilles
PSAUTIER ET HEURES DE BONNE DE LUXEMBOURG Attribué à Jean Le Noir et son atelier « La Plaie du Christ », avant 1349, tempera, grisaille, encre et or sur papier vélin, Metropolitan Museum, New York.
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Ce riche manuscrit a été réalisé à Paris pour la princesse Bonne de Luxembourg, épouse de Jean le Bon, futur roi de France. Il a été composé par Jean Le Noir et comprend 150 psaumes, un calendrier et le texte de la Passion. Les marges servent de perchoirs pour une quarantaine d’oiseaux précisément représentés : on reconnaît ici le pinson, le chardonneret, le hibou et la huppette. En bas de l’image, autour des armoiries combinées de Luxembourg et de Valois, deux femmes se tiennent à califourchon sur un renard et un chien. Sur le coin supérieur gauche, un homme laissant deviner des ailes sous son habit porte l’échelle qui sert à dépendre le Crucifié. Les quelques drôleries nous détournent à peine de cet ovale rouge fendu qui s’impose au centre de la page comme une origine du monde. L’image clôt le cycle de la Passion ainsi que le livre. Sur la page précédente, le Christ en croix montrait ses stigmates. Dans cette dernière enluminure, on voit les armes du Christ – la lance de centurion, les clous, la tenaille – et sa plaie grandeur nature, soit 5,5 cm de haut.
LA VIE DANS LES MARGES L’art gothique et l’art antique partagent un même goût pour l’exotisme, ce que Jurgis Baltrušaitis montre bien dans son Moyen Âge fantastique 8. Les chimères et les créatures imaginaires viennent de très loin : elles sont persanes, arabes et extrêmeorientales. Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien avait réuni sous le vocable de « grylles » les têtes sur patte, les combinaisons de troncs à deux faces, les animaux à tête d’homme… Ces figures composites ressurgissent à l’époque gothique principalement dans les arts précieux, quand l’ornementation des tissus ou des carreaux de pavement joue de l’illusionnisme et fait apparaître des êtres fantastiques. Ce phénomène est également sensible dans les marges des manuscrits enluminés. Au xiiie siècle, les artistes venant des villes jusqu’aux monastères forment des groupes semiprofessionnels qui gravitent autour des moines copistes. La laïcisation du métier d’enlumineur est favorisée par l’université et par la cour. La haute bourgeoisie cherche à posséder des livres de dévotion ; la demande ne fait que croître. Une nouvelle esthétique voit le jour avec l’apparition de « drôleries » ou babewyns (littéralement des « singes »), qui envahissent les marges des manuscrits à Paris, dans le nord de la France, en Angleterre puis en Italie, en Espagne et en Allemagne. Il s’agit de motifs très variés dont le répertoire fait référence à la chasse, mais aussi à l’amour courtois, aux jongleries et aux scènes de la vie religieuse. La codification de leur usage par les ateliers parisiens coïncide avec le gothique rayonnant. Les drôleries empruntent aux bestiaires illustrés, aux pièces de monnaie, aux tissus, tout en apportant une touche spontanée : les figures hybrides ne correspondent pas forcément à un animal répertorié. Elles sont des allusions politiques et plus généralement sexuelles. Dans l’essai de référence qu’il consacre aux manuscrits gothiques, Jean Wirth nous renseigne sur le fait
8. Jurgis Baltrušaitis, Le Moyen Âge fantastique (1955), Paris, Flammarion, « Champs Arts », 2008.
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« Il est dit qu’en Inde une créature extraordinaire apparaît semblable à un ours de par sa forme et son pelage, mais avec un visage d’homme. Elle a une immense bouche faite de deux horribles mâchoires à l’intérieur de laquelle on peut voir trois rangées de dents. » Bartholomaeus Anglicus, De proprietatibus rerum, livre 18
Renaissances — À l’ombre de la Renaissance
PIETÀ Cosme Tura Vers 1460, bois, 48 × 33 cm, Museo Correr, Venise.
Cette œuvre paraît composite à première vue. La perspective n’est pas unifiée, le pagne n’est pas traité de la même manière que la robe, le corps du Christ semble une anatomie, la Vierge monumentale écrase l’arrière-plan… Pourtant l’ensemble révèle une grande cohérence de style et l’on reconnaît bien l’atelier ferrarais : la tension nerveuse, l’expression extatique, l’aspect criard. Cette Pietà a pour décor un sarcophage sculpté et un Golgotha onirique, peuplé de soldats en faction qui tournoient comme les nuages et le sable au sol.
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FERRARE LA BIZARRE L’atelier ferrarais a produit une esthétique reconnaissable entre toutes – âpre, « expressionniste », pour reprendre le qualificatif de Daniel Arasse. Cette école a subi l’influence conjointe de Piero della Francesca, de Mantegna et du Flamand Rogier Van der Weyden (1399-1464), qui ont séjourné à Ferrare et favorisé l’éclosion d’un style singulier, hallucinatoire, plutôt dérangeant : l’aspect général est sec, les couleurs jurent, les corps sont amaigris, les visages émaciés ont des expressions douloureuses. On retient les noms de Francesco del Cossa (1436-1478), Ercole Roberti (1450-1496) ou Cosme Tura (1430-1495), qui répondent aux commandes du pape et de la famille des Este. Dans une ville toujours attachée aux principes de la féodalité et s’adonnant volontiers aux divertissements et aux danses, les scènes de la vie citadine, les triomphes mythologiques et surtout les allégories de saisons, témoignent du goût prononcé des mécènes pour l’astrologie, cette force obscure, cette forme bizarre : le dangereux ennemi – selon l’historien d’art Aby Warburg – de la création artistique libre 4.
LÉONARD DE VINCI
LE GÉNIE INDÉPENDANT Si l’on met de côté les conventions, le bon-vouloir des commanditaires et la dynamique des corporations, on peut se demander ce qui préside à la naissance d’une œuvre ? Quelle est la part de liberté, la part d’obsession, la place laissée au hasard ? Léonard de Vinci (1452-1519) permet d’aborder pleinement cette question. Lui qui a cultivé l’indépendance vis-à-vis des mécènes et choisi la plupart de ses sujets, sa recherche systématique des lois qui régissent le monde – le mouvement de l’eau, la forme des pierres, l’épaisseur de l’air – lui a fait découvrir de nouvelles représentations possibles. Ses études sur le vol des oiseaux se prolongent de façon fantasmagorique en machine volante
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4. Aby Warburg, Art italien et astrologie internationale au palais de Schifanoia à Ferrare, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 1982, p. 39-51.
Renaissances — Mais ces figures n’existent pas
LA MÉLANCOLIE Lucas Cranach l’Ancien 1532, huile sur bois, 51 × 97 cm, Statens Museum for Kunst, Copenhague.
La jeune femme ailée pèle une baguette de bois sans trop se concentrer sur son ouvrage. Elle cohabite dans un espace géométrique ouvert avec un chien, une sphère, deux perdrix et trois chérubins. Dehors, la perspective du paysage est construite par le dégradé des couleurs du ciel. L’horizon se trouve obturé par une nuée noirâtre, un vol de sorcières. Les personnages du tableau semblent indifférents à la sombre déferlante. Selon Luther, il convient de lutter contre la mélancolie, cette séductrice à l’apparence trompeuse.
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Moderne et contemporain — Jusqu’au-boutisme
SOUVIENS-TOI DE L’ONCLE AUGUSTE, LE MALHEUREUX INVENTEUR (UNE VICTIME DE LA SOCIÉTÉ) George Grosz 1919, huile, crayon, papiers et cinq boutons collés sur toile, 49 × 40 cm, musée national d’Art moderne – Centre Pompidou, Paris.
L’antimilitarisme d’aprèsguerre prend ici une tournure particulièrement virulente. Comme Otto Dix, Grosz témoigne pour ceux qui ont cru en la science et qui l’ont vue se retourner contre l’humanité, avec les bombes, les gaz mortels et les avions de guerre. Souviens-toi de l’oncle Auguste, le malheureux inventeur est sous-titré « Une victime de la société ».
italien, Man Ray (1890-1976) américain. Le caractère cosmopolite du mouvement favorise son impact international.
CABARET VOLTAIRE Le cabaret Voltaire reprend l’idée parisienne du Chat noir et celle berlinoise des cabarets. C’est au départ un lieu de divertissement animé par le poète allemand Hugo Ball, où les jeunes artistes zurichois sont invités à venir faire des propositions de spectacle. On y chante (Emmy Hennings), on y montre des marionnettes et de la pantomime. Jean Arp et Tristan Tzara font partie du noyau dur. Pour la mise en scène des spectacles, on a recours à des masques primitifs (confectionnés par Sophie Taeuber [1889-1943] et Marcel Janco [1895-1984]) et à des costumes géométriques. Les chants et les danses permettent de surmonter le trac. Le masque présente cet avantage de dicter des attitudes et de favoriser l’improvisation. Le cabaret Voltaire constitue une utopie bruyante, un non-lieu préservé du conflit. C’est aussi une revue dont le premier numéro regroupe Apollinaire, Kandinsky et Marinetti (1876-1944) ; Arp en dessine la couverture. Le terme « Dada » apparaît alors – choisi au hasard à l’aide d’un coupepapier dans un dictionnaire pour son côté abscons, absurde.
« Les idéaux culturels et artistiques – pris comme programme de variété – c’est là notre façon de faire du Candide contre l’époque. » Hugo Ball, dans Dada, cat. exp., Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2005
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« Ce que nous appelons Dada est une bouffonnerie issue du néant et toutes les grandes questions y entrent en jeu ; un geste de gladiateur ; un jeu avec de misérables résidus ; une mise à mort de la moralité et de l’abondance qui ne sont que postures. » Hugo Ball, La Fuite hors du temps, 1921
Moderne et contemporain — Mécanique burlesque
« Ce n’est pas la peine d’avoir vingt siècles de civilisation derrière soi, ou plus, comme les Japonais, pour en arriver là […]. Je veux bien que le mouvement Gutaï relève de la fête, mais il ne relève pas de l’art à mes yeux. » Georges Matthieu, cité par Marcella Lista, dans Critique d’art [en ligne], no14, 1999
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HAPPENING Déjà en 1947, l’Américain Jackson Pollock (1912‑1956) avait mis fin à l’utilisation du pinceau, lui préférant la projection de peinture sur la toile (le dripping) ou la coulure directement à partir du pot percé ou d’un bâton (le pouring). La toile était posée à plat, le dessin et la couleur se confondaient, le sujet s’effaçait au profit de la gestuelle. Les critiques étaient partagés : le Time attaqua l’œuvre ; « Pollock est-il le plus grand peintre vivant ? », titrait en une, et non sans ironie, le magazine Life en 1949. Les photographies et les films montrant Pollock en action furent diffusés à travers le monde. Ils participèrent à la consécration du peintre et à une réflexion nouvelle aux États-Unis, en Europe comme au Japon sur l’acte de création et l’action en art. L’idée a fait son chemin. Dix ans plus tard, sur le campus du Douglas College (New Jersey), un homme en costume blanc de tennisman assis sur une chaise rouge reste silencieux, tandis que des enregistrements diffusent des propos désynchronisés. L’homme se lève vers un miroir, il frotte des allumettes et les éteint en soufflant dessus. Il reprend sa place. Allan Kaprow vient de réaliser son premier happening en public. Il a retenu la leçon de Pollock et mentionne également Gutaï dans ses écrits. Kaprow prône l’acte artistique et son aspect éphémère.
FLUXUS Au début des années 1960, de jeunes artistes qui comme Allan Kaprow sont marqués par l’enseignement du compositeur John Cage (19121992) à la New School for Social Research de New York, adoptent le nom de « Fluxus ». Le terme luimême est inventé par George Maciunas : il s’agit d’un flux, d’un écoulement, d’un changement aussi, une circulation entre les disciplines, entre la musique, la sculpture, le théâtre et la danse, entre l’art et la vie, entre les sciences et les techniques. Fluxus est une nébuleuse qui s’active avec pas mal d’humour. Parmi les personnalités les plus
KAZUO SHIRAGA PEIGNANT DANS SON ATELIER 1963, courtesy Amagasaki Cultural Center.
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Moderne et contemporain — Mécanique burlesque
La carrière de McCarthy trouve un réel écho à partir des années 1990. La société a changé et son œuvre atteint des dimensions hollywoodiennes. Ses performances prennent la forme de joyeux capharnaüms, de champs de bataille. Il fait référence à la piraterie, à l’univers de Disney. On y croise un Pinocchio, un pirate des Caraïbes, une Heidi ou un Santa Claus aux organes sensoriels démesurés et qui évoluent dans des architectures sexualisées, des boyaux, des orifices. McCarthy épingle les excès de l’Amérique avec une férocité jubilatoire. Certaines de ses figures ont l’air tellement abruti qu’elles en deviennent irrésistibles. L’effigie de George W. Bush (Mechanical, 2003) est à ce titre une réussite totale, celles de Ben Laden et d’Obama font grincer les dents. Dans ses performances grand-guignolesques, l’artiste scénarise l’extase économique, la débauche occidentale, l’abêtissement généralisé de la société du spectacle… Mais on peut y voir aussi, plus prosaïquement, des provocations sadiquesanales qui continuent de rendre furieux les tenants de l’ordre.
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POST HUMAIN
11. Jeffrey Deicht, « Post Human », Flash Art, n° 167, 1992.
« D’ici deux cents ans, je pense que les gens continueront d’étudier l’art pour mieux comprendre ce qu’a été notre vision du monde à la fin du xxe siècle 11. » Lorsque le marchand d’art Jeffrey Deicht organise à Lausanne, à Turin, à Athènes, puis à Hambourg l’exposition « Post Human », il dresse l’inventaire des nouveaux outils mis à la disposition de ceux qui voudraient modifier leur image (la chirurgie, le culturisme, le bronzage…) et montre des œuvres représentatives de cette nouvelle logique « posthumaniste ». Un public curieux découvre les membres en cire de Robert Gobert (né en 1954), le mannequin disproportionné de Charles Ray (né en 1953, Mannequin Fall 91), les silhouettes démantelées photographiées par Cindy Sherman (née en 1954). Le corps tel qu’il est présenté par les artistes est un matériau. Il n’énonce plus une vérité, comme cela avait pu être le cas dans la performance,
CAPTAIN BALLSACK (ORIGINAL) Paul McCarthy 2001-2009, argile, tapis, fauteuil, bois, acier, mousse et fibre de verre, 297 × 335 × 356 cm.
Les promeneurs du boulevard Raspail à Paris sont toujours surpris par le Balzac de Rodin, ce bronze monumental réalisé à partir d’un moulage de robe de chambre et de quelques coups de ciseau dans la terre glaise. Le Ballsack de McCarthy n’est pas un hommage à Rodin, mais un géant composite lui aussi. Personnage ubuesque, dégoûtant, accumulation progressive d’argile, de mousse et de fibre de verre, couronné par un fauteuil sanglé, Captain Ballsack (« Capitaine Scrotum ») s’impose comme un défi au goût et à la pesanteur : mesurant trois mètres de haut, il tient sur deux jambes ridiculement frêles.