« Guillaumin se définissait lui-même comme un jardinier et un systématicien (la systématique est la science de la classification). »
Henri Humbert était contemporain d’une autre figure de la botanique du Muséum au xxe siècle : André Guillaumin. Les deux botanistes se sont côtoyés au laboratoire de phanérogamie avant que Guillaumin rejoigne comme professeur la chaire de culture dont il fut le dernier titulaire. Guillaumin était l’homme de la Nouvelle-Calédonie ; non pas qu’il en était originaire mais il en était devenu le spécialiste incontesté, en se consacrant à la première véritable étude de cette flore dont les trois-quarts des espèces poussent uniquement sur ce territoire. De façon surprenante, Guillaumin avait d’abord développé cette connaissance sur les seuls spécimens d’herbier, ne se rendant en Nouvelle-Calédonie lui-même qu’en 1950 (il y récolta alors plus de 12 000 spécimens !). Mais il pouvait compter sur un sens de l’observation exceptionnel. À son bureau, en blouse blanche de professeur, le béret vissé sur la tête, un microscope à proximité, une loupe dans la main droite, il a ainsi examiné et comparé des milliers de planches d’herbier, se passionnant notamment pour l’étude de l’évolution des formes au cours de la vie des plantes. Même si les photos de Doisneau montrent Guillaumin avec des herbiers, la photo n’a pourtant pas été prise dans le bâtiment de l’Herbier national, mais de l’autre côté de la rue Buffon, au numéro 43, au service des Cultures chargé de cultiver les plantes vivantes des serres et jardins du Muséum. La confusion possible est significative des activités de Guillaumin qui apparaissent véritablement comme un trait d’union entre les collections de l’Herbier et les collections vivantes du Jardin des Plantes. Guillaumin se définissait lui-même comme un jardinier et un systématicien (la systématique est la science de la classification), mais il était également curieux de beaucoup d’autres disciplines telles que l’archéologie, l’ethnologie ou l’histoire. En appliquant cette ouverture scientifique à la chaire de culture, il s’était entouré aussi bien de morphologistes que de biochimistes, de palynologues (pour l’étude des pollens) et de caryologistes (pour l’étude des chromosomes) afin d’étudier les plantes de la façon la plus complète possible. Cette approche d’étude tout à fait avant-gardiste serait aujourd’hui qualifiée de botanique intégrative. Enfin il ne faut pas oublier que Guillaumin et les autres savants que Doisneau a rencontrés au Muséum en 1943, même s’ils étaient passionnés par leur métier, connaissaient comme chacun les difficultés de l’époque liées à la vie sous l’Occupation. Ainsi, durant cette période de restriction alimentaire, Guillaumin avait choisi de modifier son cours public au Muséum pour le consacrer aux cultures alimentaires de remplacement pour aider à pallier ces difficultés. Une initiative de nature à trouver un écho de sympathie chez Doisneau, lui qui avait admis sortir de sa visite du Muséum avec la faim au ventre et qui aimait rappeler que cette époque avait aussi été celle du « règne du rutabaga »…
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André Guillaumin, professeur. Laboratoire de culture, 1942 ou 1943.
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JEAN-PIERRE GASC
« Que va-t-il advenir de cet os
extrait d’un étrange colis, un parmi tant d’autres, alignés dans un fond obscur ? »
Est-ce là l’annonce du retour du docteur Mabuse ? Un inédit de Fritz Lang peutêtre ? Que va-t-il advenir de cet os extrait d’un étrange colis, un parmi tant d’autres, alignés dans un fond obscur ? Et ce personnage dont l’ombre inquiétante se dessine sur le pied d’un gigantesque parapluie, quel est son rôle ? À quelle mystérieuse armée appartient-il ? Lorsque Doisneau pénètre en profane avec son appareil photographique dans ce sous-sol de la galerie d’Anatomie comparée et de Paléontologie, il en saisit, en un seul cliché, à la fois toute l’ambiance insolite et intemporelle, mais aussi, sans le savoir, l’histoire et la finalité.
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FAIRE PARLER LES OS, LES PEAUX, LES CAILLOUX « Exhumation dans la crypte de paléontologie ». Sous-sol du bâtiment abritant les galeries d’Anatomie comparée et de Paléontologie. Jardin des Plantes, 1942 ou 1943.
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« La zoothèque construite en 1980 va signer le réveil du Muséum en recueillant les collections amassées dans la galerie de Zoologie. »
Mais voici qu’un gorille surgit d’une trappe pour gagner sagement sa place. Sur trois étages, la zoothèque construite en 1980 va signer le réveil du Muséum en recueillant les collections amassées dans la galerie de Zoologie et permettre ainsi leur conditionnement rationnel et leur consultation contrôlée. C’est le premier pas vers une rénovation de la grande galerie qui deviendra la « grande galerie de l’Évolution ». Il faudra aussi que le chanteur Renaud prenne l’initiative de financer un spectacle qui révélera à la fois le délabrement et le potentiel de cet établissement.
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« Le Grand Singe du Compactus ». Roland Manceau, chef taxidermiste. Zoothèque. Laboratoire des mammifères et oiseaux, 1990.
« Un gorille dans l’ascenseur ». Zoothèque. Laboratoire des mammifères et oiseaux, 1990.
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De retour au Muséum en 1990, Doisneau saisit ces nouveaux aspects, ce congrès de rapaces nocturnes, mais aussi le retour d’une autre jeunesse, ces passionnés de dessin campant dans la galerie de Paléontologie au milieu de créatures à jamais disparues, ce public qui demande une réponse à sa curiosité comme un support à son imagination, tel ce Tartarin qui a troqué un fusil contre un chevalet.
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« À gauche un dinosaure à cornes, à droite deux artistes peintres ». Galerie de Paléontologie, 1990.
« Zoo de Vincennes : peintre en tenue de brousse ». Parc zoologique de Paris, 1943.
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Si le « génie » des lieux retient peu l’œil du photographe, sauf peut-être dans la serre, le regard de Doisneau garde son actualité dans ce qu’il exhausse par des mises en images iconiques : l’engagement, la passion des femmes et des hommes qui servent aux jardins et zoos du Muséum. Servir le vivant est action de tous les jours et, sans cœur à l’ouvrage, la survie même des plantes et des animaux serait en jeu. Jardiniers, soigneurs, vétérinaires sont mus par la conviction formidable de la nécessité vitale de leurs missions…
AU JARDIN
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Des garçonnets se lancent des boules de neige devant la grande serre tropicale, peut-être après l’école ou un jeudi. Vêtus de culottes courtes malgré l’hiver, la tête protégée par des bérets, les gamins profitent de la neige fraîche. Aujourd’hui leurs descendants mieux couverts ne pourraient pas entrer dans le jardin enneigé qui serait fermé pour éviter les accidents. On distingue derrière eux une autre serre, érigée vers 1854, qui renfermait un bassin où flottaient des Victoria regia aux feuilles géantes. Elle sera détruite dans les années 1940. Il est doux de grelotter dehors et de souffler dans ses mains gelées quand on sait pouvoir se réfugier dans la chaleur des serres chaudes après le jeu dans le froid qui met le feu aux joues !
Jardin d’hiver, aujourd'hui serre des forêts tropicales, vue extérieure. 1942 ou 1943.
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Parc zoologique de Paris, 1943.
« Le Sourire de l’alligator ». Ménagerie, 1942 ou 1943.
« Le Parc zoologique de Paris a été conçu comme un zoo sans barreau dans lequel les animaux semblaient évoluer en liberté. »
LE PARC ZOOLOGIQUE DE PARIS Créé en 1934, à la suite de la grande Exposition coloniale de 1931, pour offrir à Paris un zoo moderne, le Parc zoologique de Paris a été conçu comme un zoo sans barreau dans lequel les animaux semblaient évoluer en liberté. Ce fut aussi une vitrine de l’empire colonial. Prise du Grand Rocher en direction du lac Daumesnil, cette photographie montre différents rochers, celui des antilopes, celui des rhinocéros et des hippopotames et celui dit « des bovidés », avec leurs parcs attenants. Ces rochers constituaient un décor et permettaient, avec les fossés, de séparer les animaux du public, mis ainsi à l’abri. On aperçoit des oryx et des autruches. Tous les rochers du zoo ont disparu lors de la rénovation/recréation du parc entre 2011 et 2014, sauf le Grand Rocher qui demeure le fanal du Parc zoologique de Paris.
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« Auscultation d’un chimpanzé fiévreux ». Parc zoologique de Paris, 1943.
Un chimpanzé est ausculté par un vétérinaire tandis que son soigneur le maintient tranquillement. Le vétérinaire n’a pas de stéthoscope, mais écoute l’animal directement en posant son oreille sur son dos, tout en utilisant une serviette ou le bas de sa blouse par mesure d’hygiène. Le vétérinaire inspecte la bouche et les dents d’un chimpanzé. Aujourd’hui, le vétérinaire et le soigneur porteraient des gants en latex. Le chimpanzé semble très docile. Est-ce une femelle ou un jeune ? À l’époque, de nombreux chimpanzés étaient apprivoisés dans les zoos, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Le chimpanzé reçoit une injection du vétérinaire avec une impressionnante seringue, tandis que son soigneur le maintient fermement.
Robert Laurent, soigneur et Paul Bullier, sous-directeur du zoo, soignant un chimpanzé. Parc zoologique de Paris, 1943.