Statue colossale d’Hâpy. Granite rose. H. 540 cm. iv e s. av. J.-C. Héracléion. Musée maritime d’Alexandrie (SCA 281) – Fouilles IEASM. Une expression de quiétude se dégage du visage idéalisé de cet homme gras, aux seins proéminents. Au-dessus de sa coiffe, le bouquet de papyrus – la plante emblématique de la Basse-Égypte – était tout particulièrement associé à Hâpy, personnification divine de la crue du Nil.
11. J. Conrad, Jeunesse, 1902. 12. Duval 1999, 23 avec citations de Platon ; trad. Chambry 1950, 260 . 13. Épigramme grecque de Poseidippus XVII ; trad. Chamoux, 1997, 27-28. 14 . Pitte 1997, 17. 15. Extrait de la réponse de F. Braudel à la question : « Qu’est-ce que la Méditerranée ? » 16. Paul Valéry, Cimetière marin. 17. Yoyotte & Chuvin 1983, p. 54.
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Ici, à l’image des eaux saumâtres dans le limon du Nil, « la mer s’infiltre dans la vie de la plupart des hommes 11 », comme bien de subsistance, comme un ailleurs. Pour ceux qui partaient en mer et non sur les eaux calmes des lacs côtiers, ils s’embarquaient sur un huis clos flottant, un espace et un temps de vie autarciques où, pour leur survie, ils ne devaient compter que sur leurs propres forces à l’exclusion de tout concours extérieur. Une vie soumise à des codes spécifiques. Deux vies successives, l’une en mer, l’autre à terre. Et le risque toujours présent. Risque physique, social et psychologique. « Tout entiers à la merci de la fortune », ces marins, depuis toujours, étaient en marge du monde, « dans un entredeux », « ni morts, ni vivants » écrivit Platon, plus tout à fait vivants et pas encore morts, « car l’homme est fait pour la terre 12 ». Entre terre et mer… La contemplation n’avait peut-être pas sa place. Chaque départ était un périple. Les croyances permettaient de se protéger de la mer et l’œil apotropaïque peint depuis des millénaires à la proue des bateaux éloignait les dangers et garantissait la bonne navigation. Entre crainte et espoir du retour, entre histoire réelle et récit imaginaire, « aussi longtemps que les vaisseaux du Nil emprunteront les chemins de la mer13 ». Ici, pas de Léviathan des origines, de Charybde et Scylla déchaînés, ni de chant de sirènes, mais un autre microcosme de la mer Méditerranée « fait de puissance et de sensualité […], de couleurs et de saveurs, du caractère affirmé des hommes et des femmes qui habitaient sur ses rives14 ». « Mille choses à la fois ! 15 », un monde, une réalité, des gestes et des intonations. Plus loin, l’écume des vagues, le cimetière marin d’une civilisation perdue, « Midi le juste y compose de feu / La mer, la mer toujours recommencée / Ô récompense après une pensée / Qu’un long regard sur le calme des dieux 16 ». Les marais septentrionaux défendaient un tant soit peu l’Égypte des pharaons. En mer, courants et vents contraires faisaient de cette côte un parcours mal-aimé des navigateurs, « glacis protecteur où il était difficile d’accoster, il se prêtait parfaitement à la surveillance des gardecôtes et des naufrageurs. Les marins ne se risquaient guère à jeter l’ancre sur un sol aussi mouvant. Ils devaient se méfier des “fausses bouches” propices à les faire pénétrer dans un labyrinthe d’îlots flottants, d’impasses, de lacs et de chenaux sans issue. La navigation à vue était rendue difficile par les forêts de végétation, les colonnes de papyrus et les touffes de roseaux 17. » Les hauts-fonds boueux menaçaient les navires d’échouage. Les bateaux ne pouvaient en effet pénétrer dans le delta que par les bouches principales du Nil, celles de Péluse à l’est ou de Canope à l’ouest.
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Pharaon debout en couronne-kheprech Bronze à patine brune. H. 20,5 cm. XXVIe-XXIXe dynastie. Héracléion. Musée maritime d’Alexandrie (SCA 1305)1 – Fouilles IEASM. Dans le courant du Ier millénaire av. J.-C., les effigies royales en bronze se multiplient et, au-delà de la modestie de leurs dimensions, offrent parfois de réels chefs-d’œuvre2. Enrichissant la série, une remarquable statuette de pharaon debout, quasiment intacte, provient des niveaux de destruction du téménos d’Amon Géreb d’Héracléion. Torse nu, le pharaon en pagne-chendjyt plissé, couronné d’un haut kheprech à cercles pointés, s’avance dans l’attitude classique de marche « apparente », tandis qu’en ses poings serrés apparaissaient autrefois des insignes du pouvoir maintenant disparus (canne d’apparat, symboleânkh…). Sous l’uræus ondulant en une boucle symétrique, son visage d’un ovale ferme, aux grands yeux proches de la fine racine du nez, devient plus charnel grâce à une bouche pulpeuse et un menton enrobé. De proportions harmonieuses, son corps élancé paraît « fondre » sa musculation par un subtil modelé, mais préserve de fins détails et des traits réalistes comme la saillie des clavicules, des genoux ou des tibias. Conformément à une pratique fréquente, son nom gravé s’inscrivait sur le fermoir de ceinture du pagne, mais les signes incisés demeurent difficiles à déchiffrer. À l’intérieur de l’ovale d’un cartouche (?), on distingue trois « hiéroglyphes » adaptables par leur structure ternaire aux protocoles de plusieurs rois de la dynastie saïte. La lecture la plus apparente serait en faveur de Neferibrê, nom de couronnement de Psammétique II, troisième pharaon de la XXVIe dynastie (595-589 av. J.-C.) dont garde mémoire le « portrait » récemment identifié du musée Jacquemart-André MJAP-S 8733, mais sans pouvoir exclure celles de Ouahibrê renvoyant à Psammétique Ier et Apriès, Ouhemibrê à Nekao ou Khenemibrê à Amasis, bien attesté sur le site de Thônis-Héracléion. Pourtant, déjà difficile sur la base des seuls critères stylistiques, l’attribution à l’un des souverains de la première moitié du vie siècle av. J.-C. serait contredite par la présence d’une particularité iconographique rare, considérée souvent comme post-perse, à savoir dans le dos de cette représentation, la présence d’un ruban axial descendant du bas de la couronne à la ceinture du pagne. Une typologie attestée par d’autres bronzes royaux de qualité, mais en posture agenouillée : les statuettes Kansas City, Nelson-Atkins Mus. 53-13 (inscription « pseudohiéroglyphique »), attribuée le plus souvent à Khenemmaâtrê, Achôris (XXIXe dynastie « mendésienne » ; 393-380 av. J.-C.)4, BM EA 64369 et Tanis OAE 3412 anépigraphes, datables des ve-ive siècle av. J.-C.5 Réalisé dans un matériau de prix, le pharaon de Thônis-Héracléion s’inscrit par sa qualité dans le floruit de l’art du métal, inauguré par la Troisième Période intermédiaire et poursuivi par la créative « Renaissance éthiopienne ». Incarnation de la puissance royale, son élégante et dynamique apparence illustre le rôle du souverain dans l’accomplissement des rituels du temple pour un dialogue constant avec la divinité. J.B.-K.
1. Publication en cours par
J. Berlandini-Keller. 2. Bothmer 1960 ; Hill 2004 ; Perdu 2012, 14, 176-179. 3. Perdu 2012, 14, 188-189, n° 93. 4. Bothmer 1960, 88-89, n° 71, pl. 67, fig. 172-173. 5. Hill 2004, 96-97, 107, 166-167 n° 32, 212 n° 193, 238 n° 292 (LPPt-22), 350, pl. 65 (LPPt-20), pl. 68 (LPPt-23).
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«
d’emmailloter les barques de papyrus avec leur équipage de divinités qui étaient ensuite ensevelies ou immergées. Mais, au regard des sources, la navigation du 29 Khoiak paraît bien une spécificité de la région canopique. Osiris Sokaris, le grand dieu qui prend place dans la chapelle mystérieuse, Sokaris qui repose dans la barque d’apparat, c’est la momie vénérable de Celui qui est dans son lit d’apparat, l’âme sacrée de Celui-dont-le-cœur-est-fatigué, dont la représentation secrète est dérobée aux dieux réunis, le dieu excellent, le seigneur de l’éternité […], le grand souverain du Pays sacré […], celui dont les apparitions sont belles dans le tabernacle de la chapelle mystérieuse, celui qui accomplit “le parcours de la ville” dans le Sanctuaire où est enseveli Osiris15. »
Étant donnée la distance à parcourir – environ 3,5 km entre Héracléion et Canope –, l’embarcation du dieu ne ressemblait certainement pas aux frêles esquifs en papyrus d’une coudée et deux palmes tels qu’ils sont décrits dans le rituel de Dendara. D’après les deux déterminatifs employés dans la version démotique du Décret de Canope pour décrire la barque d’Osiris, celle-ci était vraisemblablement en bois plaqué d’or. Or, au sortir du téménos d’Amon dans le grand canal qui unissait les deux villes, fut mise au jour une barque d’une dizaine de mètres de long, intégralement construite en bois de sycomore et dont les bordés étaient assemblés à l’aide de tenons et mortaises.. L’esquif, daté du ive siècle av. J.-C., était indéniablement une embarcation fluviale, son profil rappelant celui des barques gravées sur les bas-reliefs des temples. Est-ce à dire que cette épave pourrait être à l’origine l’embarcation d’Osiris assurant la navigation du dieu depuis Héracléion jusqu’au sanctuaire de Canope ? Rien ne permet de le certifier. Mais il est permis de le penser d’après les indices recueillis lors de la fouille archéologique. D’abord, la forme de l’embarcation : il s’agit de la seule barque de ce type découverte sur le site, parmi plus de 60 épaves. Ensuite, sa localisation : coulée dans la voie d’eau entre Héracléion et Canope, associée à des objets qui comptent des simpula dont on connaît le rôle important dans les cérémonies osiriennes. Enfin, le matériau utilisé pour sa construction : le bois de sycomore (nehet), en relation avec Osiris comme le laisse penser un passage des Mystères d’Osiris qui mentionne que la momie d’Osiris Sokaris reposait sur les branches d’un sycomore. Ces dernières assuraient symboliquement la régénération ou plutôt la « regestation » d’Osiris dans le sein de sa mère Nout, conçue comme un sycomore, l’« arbre de vie » par excellence, depuis les Textes des pyramides.
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Un archéologue effectue le relevé d’architecture navale, tandis qu’un autre photographie les détails de construction de l’épave 11 datée du ive s. av. J.-C. découverte dans le canal jouxtant le temple d’Amon Géreb d’Héracléion. Voir la photomosaïque de l’épave p. 228-230.
15. Chapelle osirienne de Dendara est n° 1, Dend. X, 18 ; trad. Cauville 19971a, 10.
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Statuaire d’Osiris « éveillé ». Gneiss (anciennement peint), avec or, électrum, bronze pour la couronne. L. 55,5 cm. XXVIe dynastie, règne d’Apries (?). Horbeit (ég. : Chedenou, grec : Pharbaïtos). Musée égyptien du Caire (CGC 38424).
16 KHOIAK
Quant au 16 Khoiak […], on commence à faire le travail avec le moule de Sokaris, pour y faire entrer le dieu8 . Le placer dans le moule oint d’huile douce de moringa. Le poser sur le lit, à l’intérieur de la chambre du lit9. On lui fait tous les rites de ce jour10 . L’oindre de myrrhe sèche et d’eau quatre fois jusqu’à ce que vienne le 19 Khoiak 11 . Quant au coffre reliquaire, dans lequel on introduit ce dieu à la nécropole divine, c’est un coffre mystérieux posé sur une barque. Sa longueur est d’une coudée, 2 palmes (67,5 cm) […]. Il y a un chacal couché sur lui. Il est fait en bois doré. La barque qui est placée sous lui est en bois doré pareillement […]. Lors de l’ouverture du sanctuaire, il sort avec Anubis […] le 16 et le 24 Khoiak. Il parcourt le temple et la nécropole divine ; il entre et parcourt la vallée 12 . 19 KHOIAK
«
On retire Sokaris du moule le 19 Khoiak […]. On le place sur un socle d’or […]. On le fait sécher en l’exposant au soleil tout le jour […]. On l’oint de myrrhe sèche et d’eau chaque jour, jusqu’à ce que vienne le 23 Khoiak […]. On lui fait l’étoffe de ce jour13 . LA PLEUREUSE : “ Joie depuis le ciel jusqu’à la terre ! ” quatre fois. Elle frappe du tambourin chaque fois. “ Notre maître est dans le sanctuaire, Il n’a rien à craindre14 .” » (Veillée du dieu. Première heure de la nuit. Chapelle osirienne de Dendara)
20 KHOIAK
La pièce d’étoffe d’un jour, elle, est tissée du 20 au 21 Khoiak, ce qui fait vingt-quatre heures pour y travailler, de la 8e heure de la nuit à la 8e heure du jour. Sa longueur est de 9 coudées 1/3 (490 cm), sa largeur, de 3 coudées (157,5 cm) 15 . 21 KHOIAK
8. Dend. X, 40 ; trad. Cauville 19971a, 23. 9. Dend. X, 31 ; trad. Cauville 19971a, 17. 10. Dend. X, 45 ; trad. Cauville 19971a, 26. 11. Dend. X, 45 ; trad. Cauville 19971a, 26. 12. Dend. X, 39 ; trad. Cauville 19971a, 22. 13. Dend. X, 31 et 47 ; trad. Cauville 19971a, 17 et 26. 14. Chapelle osirienne est n° 2, Dend. X, 127 ; trad. Cauville 19971a, 69. 15. Dend. X, 34 ; trad. Cauville 19971a, 19. 16. Dend. X, 43 ; trad. Cauville 19971a, 25.
On enlève les joncs qui sont sur [le moule de Khentymentyou], chaque jour, afin de les remplacer. Recueillir les humeurs qui s’écoulent de lui dans le vase-senou du jour. Ces joncs sont transportés à la nécropole divine pour y être enterrés16 . On retire ce dieu de l’intérieur du moule en ce jour et l’on met de la myrrhe sèche […] sur chacune des parties dont il se compose. Placer l’un sur l’autre les deux flancs. Lier avec quatre cordelettes de papyrus, à savoir : une à sa gorge, l’autre à ses jambes, l’une à son cœur, l’autre à la boule de la couronne blanche, afin qu’il advienne une momie à tête humaine coiffée de
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UNE LÉGENDE RACONTAIT COMMENT LE ROI ÉGYPTIEN BUSIRIS TUAIT LES ÉTRANGERS SUR L’AUTEL DE ZEUS (AMON) JUSQU’AU JOUR OÙ HÉRACLÈS SE CHARGEA DE LUI FAIRE SUBIR LE MÊME SUPPLICE 1 . Il semblerait que cette
Je découpe l’oryx pour la barque d’apparat d’Osiris-Sokaris, je fais la protection de celui qui est dans son sarcophage. (Chapelle osirienne de Dendara) 1. Apollodore, Parthika 2, 5, 11,
d’après Strabon, Géographie XVII, 1, 19. 2. Diodore, Géographie historique I, 88
et 45 ; Strabon, Géographie XVII, 1, 19.
histoire dérive d’exécutions rituelles des fauteurs de troubles, c’est-à-dire des complices de Seth, l’assassin d’Osiris, son frère. Ces exécutions se produisaient à proximité d’une « Maison d’Osiris », une Per-Ousir, transformée par les Grecs en Bousiris, en latin Busiris, « où était le tombeau d’Osiris 2 ». On pense spontanément à la « Maison d’Osiris » de Canope, à proximité de la frontière, où il est possible que des étrangers aient été arrêtés et exécutés, faits dont la légende conserverait la trace… non loin de l’endroit où Héraclès avait posé le pied en Égypte. Des témoignages archéologiques pourraient fournir les preuves de rites d’exécration des ennemis d’Osiris de Busiris, seigneur des terres fermes de la zone marécageuse du delta, abattu lors des cérémonies des Mystères. Sur le site de Canope, le secteur « T » – d’après la forme de l’anomalie magnétique détectée lors des prospections géophysiques – se présente comme un alignement de vestiges jonchant le sol, pêle-mêle, avec peu d’évidence de structures en place. Des fûts brisés de colonnes lisses de granite rose sont associés à des blocs de construction calcaire, ainsi qu’à d’autres éléments architecturaux (chapiteaux, linteaux, entablements, etc.). À cet endroit, la fouille a révélé une double faille dans le substrat d’argile et de tourbe, formant des cavités par un phénomène de liquéfaction des argiles. Une fois le sable dunaire de comblement dégagé, imprimées dans l’argile, les empreintes de sabots de grands ruminants – très certainement de bovins –, et d’autres de taille inférieure associées à des ossements d’antilopes ont été mis au jour. Les empreintes préservées sur le fond argileux montrent que les animaux ont dérapé sur le sol et tenté d’escalader, sans succès apparemment pour certains, la pente du talus. Empreintes et ossements pourraient constituer autant de témoignages de l’élevage ou du parcage de bêtes capturées puis mises à pâturer dans les marécages – hors du biotope naturel des antilopes – jouxtant le temple d’Osiris-Sérapis, à des fins sacrificielles. Les mises à mort des gazelles, des grandes antilopes telles l’oryx et celles du taureau sauvage – incarnation du dieu Seth, meurtrier d’Osiris et ennemi de l’ordre royal –
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Déesse Thouéris Grauwacke. H. 96 cm. XXVIe dynastie, Psammétique Ier (664-610) av. J.-C. Musée égyptien du Caire (CGC 39145). D’un poli remarquable, cette statue figure la déesse Thouéris sous forme d’hippopotame dressée sur ses pattes postérieures. La déesse s’appuie sur le nœud magique, symbole de protection. Sur le pilier dorsal, il est demandé à Thouéris de prendre soin de Nitocris, la fille de Psammétique Ier. L’hippopotame exprime l’ambivalence des croyances égyptiennes. Dans une société résolument agricole, cet herbivore à l’appétit insatiable était un redoutable ennemi pour les plantations. Il était également l’animal de Seth, ce « lourdeau » que les rites d’exécration mettaient à mort ; comme Horus, le roi aidé des harponneurs sacrés terrassait l’assassin d’Osiris. Mais seuls les pachydermes mâles, de complexion rouge, étaient considérés comme néfastes. Pacifiques, sauf lorsqu’elles défendaient leur progéniture, les femelles à la peau laiteuse et aux mamelles pendantes symbolisaient la maternité et la fécondité. Ainsi en était-il de Thouéris la « Blanche », Thouéris, la « Grande ». La déesse vivait dans le Nil et était assimilée au limon noir fertilisant les terres. Lorsqu’elle émergeait au milieu des papyrus et des nénuphars des berges du Nil, elle symbolisait la renaissance après la mort, d’où les nombreuses amulettes à son effigie placées dans les tombeaux aux côtés des défunts. Thouéris était, dans le ciel nocturne, la constellation qui, sous forme d’hippopotame femelle, tenait la jambe du taureau Seth (notre Grande Ourse) pour l’empêcher de nuire à son frère Osiris, figuré par les étoiles Orion et Canope.
La constellation du Dragon sous la forme d’un hippopotame retient la Grande Ourse, patte de taureau représentant Seth, pour l’empêcher de nuire à son frère Osiris-Orion. L’héritier Horus détruit la puissance néfaste de la constellation en perçant l’animal de sa lance. Pronaos du temple d’Hathor de Dendara, travée ouest III. D’après le dessin de B. Lenthéric.
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L’autre personnage qui fut choisi par les Ptolémées comme dieu dynastique n’était autre qu’Héraclès, qui avait été assimilé à Khonsou, dieu-fils d’A mon. Si Khonsou était devenu plus populaire que son père à Thônis – d’où la cité tire son nom d’Héracléion –, Amon, grand dieu d’état, conserva une position élevée dans le panthéon. Amon Géreb révèle par cette appellation la forme particulière du dieu spécialisée dans la transmission au nouveau pharaon de l’inventaire de son royaume terrestre et céleste. Son sanctuaire était un lieu où s’exerçaient les rites de fondement du pouvoir du nouveau souverain sur l’univers créé, pour assurer ainsi la continuité dynastique. Les rois Ptolémées, qui se disaient descendants « du côté paternel d’Héraclès, fils de Zeus, et du côté maternel de Dionysos, fils de Zeus », couvrirent ce temple de leurs bienfaits. Pharaons d’origine étrangère, ils trouvèrent dans ces liens mystiques tissés entre les cités de la région canopique et dans le jeu de l’interpretatio graeca et de l’interpretatio aegyptiaca qui avait assimilé Zeus à Amon, Héraclès à Khonsou et Dionysos à Osiris, un formidable moyen de légitimation du pouvoir. Alors, Héracléion et Canope constituaient deux places religieuses toutes indiquées pour servir de supports à la propagande royale et au culte
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Ci-dessus. Pharaon debout en couronnekheprech au moment de sa découverte. Bronze à patine brune. H. 20,5 cm. XXVIe ou XXIXe dynasties. Héracléion. Musée maritime d’Alexandrie (SCA 1305) – Fouilles IEASM.
Ci-contre. La reine de pierre noire, Cléopâtre III (?). Granite noir. H. 220 cm. iie s. av. J.-C. Héracléion. Musée national d’Alexandrie (SCA 283) – Fouilles IEASM. De style « gréco-égyptien » d’époque ptolémaïque, la reine de pierre noire est revêtue de la traditionnelle robe qui identifie les souveraines à Isis.
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