Extrait Double rencontre

Double rencontre

Re i n e M i m ra n

Des amies de longue date…

Justine monte à toute v itesse les marches du métro et se retrouve dehors, dans l’air humide de la fin de fév r ier.

Il fait nuit ; elle est en retard au rendez-vous. Tous les mardis, elle dîne avec trois anciennes copines de lycée. C’est maintenant une habitude. Leurs professions différentes ne les ont pas séparées ; quelque chose les unit encore : le plaisir des fo u s r i re s par tagés.

Elle pousse la por te de la b r a s s e r i e et cherche ses amies. Elles sont déjà là, assises, comme tous les mardis, à la même table !

Caroline la voit la première.

– Justine, enfin ! Tu es en retard !

– Désolée, un coup de téléphone de ma mère !

– Tout va bien ?

– Oui, oui, mais vous connaissez ma mère. Elle me pose et me repose toujours les mêmes questions : « Est-ce que tu vas bien ?

Qu’est-ce que tu manges ? Est-ce que tu dors bien ? et… quand estce que tu vas te m a r i e r … ? »

– Ah, ah, ah ! Oui, oui, on sait… Pendant des années, nos mères nous ont répété : « Étudiez, tr availlez, exercez un métier, gag nez

u n ( e ) a m i ( e ) d e l o n g u e d a t e : un(e) ami(e) qu ’ on connaît depuis longtemps, ancien(ne).

u n f o u r i re : rire qu ’ on ne peut pas arrêter.

u n e b r a s s e r i e : grand café restaurant.

s e m a r i e r : s ’unir par le mariage (union légale de deux personnes).

votre v ie ! » Nous tr availlons, nous avons un métier, nous gag nons notre v ie et aujourd’hui, elles ne nous disent plus : « Tr availlez ! » mais « Mar iez-vous ! »

– D’accord ! Mais avec qui ? Où est la « p e r l e r a re » ? Parfois, on rencontre un garçon et on pense : « Ah, celui-là est parfait. » Et puis on découv re que le jeune homme est avare, égoïste ou que c ’est un don Juan…

Justine sour it tr istement. Elle pense à Félix, son der nier p e t i t a m i ; intelligent et sy mpathique, c ’est v r ai ; gentil, c ’est v r ai, oh oui, gentil, s i gentil avec elle… et avec toutes les femmes… ! Elle a passé beaucoup de soirées, seule. Elle l’attendait, elle écoutait le br uit de l’ascenseur, elle consultait la m e s s a g e r i e toujours mu e t te de son téléphone por table et elle pleur ait.

Maintenant, c ’est ter miné. Elle n ’ a plus de « petit ami » et elle a une v ie tr anquille, enfin… un peu trop tr anquille !

Elle regarde ses trois amies. Caroline, g r ande, br une, mince, dynamique qui tr availle dans une boutique de mode. Adeline, petite rousse gaie, optimiste, qui prépare son doctor at d’Histoire. Et puis, il y a Constance, la psychologue, q u i p o r te b i e n s o n n o m , Constance, toujours prête à écouter, à consoler… Leurs amis masculins eux, sont tous par tis. Nicolas est mar ié et v it à Lille. Guillaume tr availle à Londres, dans la finance, et Raphaël, le plus intelligent, le plus énerg ique, Raphaël est quelque par t dans le monde avec une ONG.

– Alors, mesdames, vous commandez ? demande le garçon.

l a p e r l e r a re : personne parfaite et difficile à trouver.

u n ( e ) p e t i t ( e ) a m i ( e ) : compagnon/compagne ; amoureux/amoureuse s i : (adverbe d’intensité) tellement

l a m e s s a g e r i e mu e t te : une messagerie sert à laisser un message sur un portable ; ici, elle est muette (silencieuse) parce que son ami ne laisse pas de messages.

q u i p o r te b i e n s o n n o m : qui a un nom en harmonie avec son caractère, sa manière d’être.

– Alors, mesdames, vous commandez ? demande le garçon.

Elles passent leur commande et continuent à bavarder. Adeline dans un g r and é c l a t d e r i re annonce :

– J’ai fait quelque chose que vous ne dev inerez jamais.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu as fait ? Allez, r aconte !

– Je me suis inscr ite sur un site de rencontres Inter net.

Les trois autres ouv rent de g r ands yeux et disent seulement :

– Mais pourquoi ?

– Je fais comme tout le monde ! Et vous savez, beaucoup de gens ont répondu. Des jeunes, des v ieux, des beaux, des m o ch e s …

– Et alors ?

– Je b av a rd e avec eux, c ’est tout.

– Tu n ’ as pas peur des d é t r a q u é s sexuels ? demande Constance.

Adeline ne répond pas. Elle dit seulement à Justine :

– Essaye, toi aussi, et tu oublier as Félix !

– Tu crois ? Peut-être, pourquoi pas ?

Les amies sont sur pr ises. Justine, si r aisonnable, si timide, Justine n ’ a pas dit non ! C’est incroyable !

– Tu ne le fer as pas, affir me Caroline.

– Mais si, je le fer ai, moi aussi je veux essayer.

– Mais tu dis toujours : « Je connais quelqu’un quand je vois son v isage, ses yeux, ses expressions ! », dit Constance.

– Oui, tu as r aison. Et sa nuque aussi. Un philosophe a dit : « la nuque d’une personne peut être aussi expressive que son v isage. »

Ses amies r ient.

– Philosophiquement peut-être, mais amoureusement… hum, hum, j’en doute ! dit Caroline. Mais sur Inter net, il n ’ y a pas d’expressions, pas de… nuque.

Constance ajoute :

u n é c l a t d e r i re : rire spontané et très fort.

u n m o ch e ( f a m . ) : homme qui n ’est pas beau.

b av a rd e r : parler.

u n d é t r a q u é : déséquilibré.

À une table voisine, Justine en est sûre, un homme les écoute.

– Et puis, tu dis toujours que le hasard joue un rôle impor tant dans les rencontres amoureuses.

– Mais il y a aussi le hasard sur Inter net. J’ai quitté Félix, il y a un an et d e p u i s , je suis seule. J’adore nos dîners, j’adore parler, sor tir avec vous mais i l m e m a n q u e q u e l q u e ch o s e .

Ensemble, les copines demandent, cur ieuses :

– Quoi donc ? L’émotion, le f r i s s o n délicieux des premiers rendez-vous « amoureux ». Le p i m e n t de la v ie, q u o i !

Elles éclatent de r ire toutes les trois. Justine r it aussi.

– Justine, tu e s v r aiment f l eu r b l eu e !

Justine, tout à coup, a une impression b i z a r re . À une table voisine, elle en est sûre, un homme les écoute. Elle le dit à ses amies

d e p u i s : à partir (de ce moment)

i l m e m a n q u e q u e l q u e ch o s e : je ne suis pas complètement satisfaite

u n f r i s s o n : léger tremblement

l e p i m e n t : ici, ce qui donne du goût, de la saveur (à la vie).

q u o i ! ( f a m . ) : employé comme interjection, ici au sens de pour résumer, en conclusion.

ê t re f l e u r b l e u e : être romantique.

b i z a r re : étrange, qui provoque la surprise.

qui jettent des coups d’œil curieux vers l’homme. Il est de dos , il a fini de dîner et il lit.

Caroline le regarde et murmure :

–Il a une belle nuque ! Il va te plaire, Justine !

–Tu dis des bêtises ! Bon, je bois mon café et je vous quitte. J’ai du travail. J’étudie avec mes élèves La princesse de Clèves. Et jeudi, nous expliquons un passage important : Monsieur de Nemours déclare son amour à Madame de Clèves.

Les trois amies disent ensemble :

–Ah, l’amour ! L’amour !

Et elles rient.

Justine quitte la brasserie et se dirige vers le métro. Elle a de nouveau une impression bizarre. Quelqu’un est derrière elle et la suit. Elle se retourne brusquement mais ne voit rien. Elle se dit qu’elle devient paranoïaque. Elle descend dans la station. Vite, le métro est là. Quelques minutes plus tard, elle est chez elle. Quel désordre ! Il y a des vêtements sur le lit, dans la salle de bains… Dans la cuisine, il y a encore la vaisselle du petit-déjeuner. Avec Félix, c’était différent !!! Mais elle ne veut plus penser à Félix.

Elle reprend le texte de Madame de La Fayette. Le duc de Nemours, le plus bel homme de la cour, déclare son amour à Madame de Clèves, mais Madame de Clèves, qui l’aime, le repousse ;elle pense que les hommes ne peuvent pas être fidèles . Elle lit et relit ce magnifique texte et, un peu plus tard, elle s’endort avec cette question : « Est-ce que Madame de Clèves a raison ? »

de dos : contraire de de face, c’est-à-dire qu’on voit seulement son dos. une bêtise : ici, chose stupide.

la cour : ensemble de personnes qui entourent le roi.

repousser : rejeter, refuser, ne pas accepter (son amour).

fidèle : qui a des relations amoureuses uniquement avec son mari/sa femme, son compagnon/sa compagne.

Jeune professeur de lycée, Justine découvre, grâce à une amie, les sites de rencontres sur Internet. Elle entre ainsi en contact avec un jeune homme qui a les mêmes passions qu ’elle. Les échanges de mails se multiplient…

Quel avenir aura cette relation virtuelle ?

La Collection Découver te, c ’est :

● Des fictions originales et des adaptations de grands classiques

● Des histoires s’adressant aux adolescents, aux grands adolescents et adultes

● Des activités de compréhension

● Des notes explicatives

À découvrir seul ou en classe.

■■ Intro

■■■ Niveau 1

■■■■ Niveau 2

■■■■■ Niveau 3 ■■■■■■■

Cette lecture est enregistrée sur un CD Audio vendu séparemment (code 032625)

ISBN : 978-2-09-031400-7