Quand un n° 1...

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FEDERER

La dernière conquête Becker Edberg Lendl MENSUEL - N° 451 - AVRIL 2014 - 5,80 V

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Héros d’hier vrais-faux coaches d’aujourd’hui Alizé CORNET

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l STAGES À L’ÉTRANGER UN RÊVE : FRANCE-SUISSE POUR UN SALADIER ! l SPÉCIAL


DOSSIER LES ANCIENS CHAMPIONS : VRAIS OU FAUX COACHES ?

Quand un n°1... ... d’hier rencontre un n°1 d’aujourd’hui, qu’est-ce qu’ils peuvent bien se raconter ? Des histoires de n°1, vous l’aurez deviné ! Mais que peuvent apporter ces légendes à des champions dont le palmarès n’a rien à leur envier ? C’est toute la question... Une certitude : les années 80-90 sont plus tendances que jamais. Ces derniers temps, en effet, le tennis a pris une tournure très vintage. Ainsi, deux « monstres sacrés », Stefan Edberg et Boris Becker, mais aussi Michael Chang, Sergi Bruguera ou encore Goran Ivanisevic ont fait leur retour sur le circuit à l’Open d’Australie, aux côtés de leurs « homologues » d’aujourd’hui. C’est Ivan Lendl qui a été le pionnier en s’engageant aux côtés d’Andy Murray il y a deux ans. Mais c’est à l’intersaison que le mouvement a pris de l’ampleur avec des associations entre Cilic-Ivanisevic (en novembre) Gasquet-Bruguera (fin novembre), Nishikori-Chang (mi-décembre), et surtout celles, qui ont fait l’effet d’une « bombe », de Djokovic avec Becker puis de Federer avec Edberg (fin décembre) ! Quel peut-être le « plus » de ces anciens très grands joueurs, par rapport à un entraineur classique ? Et pourquoi ces gloires du tennis d’hier ont-elles choisi de reprendre la vie du circuit ? Avec le témoignage des uns et des autres, Tennis Magazine fait le point sur ces duos d’hier et d’aujourd’hui.

DOSSIER RÉALISÉ PAR JEAN COUVERCELLE, RÉMI BOURRIÈRES, ANNE CHAMPOMIER ET JEAN-BAPTISTE BARETTA Entre les deux légendes du tennis que sont Roger Federer et Stefan Edberg, le parallèle est souvent fait, surtout en matière de tennis offensif. A-t-on vu à Dubaï (là où tout avait justement commencé entre les deux hommes) les premiers effets de cette association ?

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ncontestablement, avoir Ivan Lendl à mes côtés a été un vrai bonus », reconnaissait volontiers Andy Murray après sa première victoire en Grand Chelem, à l’US Open 2012, neuf mois après le début de sa collaboration avec le Tchèque. Le binôme, intrigant au départ, avait été concluant. Entre les deux, le parallèle de leurs expériences respectives est évident : comme son coach, Andy Murray a fini par s’imposer en Grand Chelem après quatre échecs en finale. « Je savais ce qu’il traversait et toute la frustration qu’il pouvait ressentir », expliquait Ivan Lendl. Que des anciens champions se mettent au coaching, rien de très nouveau. Certains n’ont pas laissé un grand souvenir dans ce rôle. Mats Wilander avec Paul-Henri Mathieu et Marat Safin, Jimmy Connors avec Andy Roddick et Maria Sharapova par exemple ont tenté des expériences pas vraiment réussies. Mais ce qui est surprenant aujourd’hui, c’est le nombre élevé de ce type de collaborations intervenues pratiquement au même moment. Alors simple coïncidence ou effet de mode ? « Le tennis est un sport où la mode a toujours largement cours. Il y a deux ans, il fallait manger comme Djokovic et les trois quarts des joueurs se sont retrouvés "allergiques" au gluten. Aujourd’hui, ça fait bien d’avoir son ex-n°1 ou n°2 à côté de soi quand on est dans le top 10… ». Critique, Patrick Mouratoglou se méfie de la nouvelle tendance. Alors, quelle peut être la contribution réelle de ces légendes d’hier envers celles d’aujourd’hui ? L’expérience de ces champions est évidemment leur première qualité. Les plus grands joueurs cherchent une sorte d’alter ego, quelqu’un qui, comme eux, a connu la tension des rendez-vous au sommet. « Je cherchais quelqu’un qui avait connu des situations similaires, et j’ai pensé à Boris », explique ainsi Novak Djokovic. Même discours chez Marin Cilic, qui a vu en son compatriote Goran Ivanisevic, la personne idéale pour l’emmener dans le top 10 : « C’est important d’avoir cette aide de la part de quelqu’un comme lui. Il m’apporte toute son expérience, et toutes les choses qu’il a vécues dans sa carrière. » Tout comme Richard Gasquet qui a trouvé en Sergi Bruguera, un champion qui a connu le très haut niveau avec deux victoires en Grand Chelem (à Roland Garros 1993 et 94), Andy Murray explique en quoi l’aide de quelqu’un « qui est passé par là » peut être bénéfique : « Tous

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DOSSIER LES ANCIENS CHAMPIONS : VRAIS OU FAUX COACHES ?

ces joueurs savent l’état d’esprit qu’il faut pour les grandes finales. Et peut-être que, connaissant eux-mêmes la situation, ils comprennent mieux certaines décisions prises sur le court, sous la pression, alors que c’est plus difficile à saisir pour quelqu’un qui ne l’a jamais connue. » Pour Sam Sumyk, entraîneur de Victoria Azarenka, (et ancien 3/6 à son meilleur classement), l’expérience du très haut niveau est un atout indéniable : « Ils ont

un bagage tellement plus important que le nôtre, que le mien par exemple. Ils ont un atout en plus qu’un entraîneur lambda n’a pas : c’est l’anticipation. Ils comprennent mieux ce qui va se passer, ils ont plus l’instinct pour savoir comment le joueur va réagir à différentes situations. »

le même langage et apporter un éclairage différent, ou au contraire renforcer des positions. » Patrice Hagelauer, ancien DTN, et coach de Yannick Noah lors de sa victoire à Roland Garros en 1983, l’exprime aussi : « Les anciens champions voient les choses et les analysent avec beaucoup de recul. Ils ne sont pas dans l’émotion comme peut l’être un entraîneur qui vivra ces situations pour la première fois. » (suite p.52)

Pour Patrick Mouratoglou, malgré ses réserves, il y a un lien particulier qui unit toutes ces légendes : « Ils peuvent parler

E

> Stefan dberg

Roger FEDERER « Edberg était une de mes idoles d’enfance. Il n’était pas très sûr mais était très flatté, il est venu à Dubaï et on a passé une semaine ensemble. Je suis très content qu’il ait trouvé le temps et l’envie de travailler avec moi. Il est très excité de le faire. Je suis sûr qu’il peut apporter un point de vue différent. Je ne le vois pas dans le rôle de coach, mais plus comme une inspiration, une légende passant du temps avec moi et discutant

avec mon coach Severin Lüthi et moi. Je n’ai plus quinze ans, je ne vais pas révolutionner mon jeu. Je n’ai pas engagé Edberg pour ça. Pour moi, c’est plus autre chose, un truc global : c’est une inspiration, une motivation de pouvoir l’écouter et parler avec lui. C’est intéressant aussi de voir ce qu’il a à dire sur l’évolution de mon jeu vers l’avant. J’ai essayé beaucoup de choses, j’ai quelques idées mais je ne

GEORGES DENIAU

(ancien entraîneur des équipes française et suisse de coupe Davis)

Que peuvent apporter ces anciens n°1 aux supers champions d’aujourd’hui ? 1- Sur leur système de jeu en général : un avis plus ou moins méthodique mais pointu car leur vision est celle des sommets de notre sport. Et elle est, à ce niveau-là, tout en nuances. Il ne peut s’agir que de faire un peu plus ou un peu moins telle ou telle chose (en fonction de leurs

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Stefan Edberg était aux premières loges aux côtés de Mirka, la femme de Roger Federer, et de Severin Lüthi, son autre entraîneur, lors de l’Open d’Australie.

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suis pas sûr de pouvoir les réaliser en match. C’est intéressant de voir s’il est possible d’enchaîner les service-volée sur les surfaces plus lentes, ou s’il y a d’autres manières pour moi de me rapprocher du filet. Vous pensez que si je ne monte pas au filet, il va me laisser tomber ? »

LEURS TITRES EN GRAND CHELEM Roger Federer : 17 ; Stefan Edberg : 6 Novak Djokovic : 6 ; Boris Becker : 6 Andy Murray : 2 ; Ivan Lendl : 8

qualités, de la surface, du temps, de leur adversaire, etc.) et de tout prendre en considération dans la palette des possibles (coups, secteurs de jeu, durée des échanges, initiatives, variations, improvisations, adaptations diverses, pourcentage). Avec leur œil forcément averti, cela peut apporter sur un point précis un petit plus décisif ! 2- Sur la technique personnelle, il est peu probable qu’ils aient à intervenir. Peut-être sur un détail, avec le coach en place et le souhait du joueur lui-même bien sûr. 3- Pour l’entraînement proprement dit, ils ont eu des

« Ça a été une vraie surprise quand j’ai reçu un coup de fil de Roger pour me proposer de l’aider. J’étais tellement loin de la planète tennis. Mais Roger est quelqu’un de si spécial sur le court et en dehors, une personne que je respecte tellement que je me suis dit « ok réfléchissons-y ! » Mais c’est une telle opportunité d’être à ses côtés... Peut-être que je peux apporter quelque chose pour lui permettre de rester dans le tennis aussi longtemps que possible car il est extraordinaire pour notre sport. Tant qu’il est en bonne santé, motivé, il a le potentiel de faire de grandes choses. Le chemin va être très long, mais je crois encore qu’il est suffisamment bon pour battre n’importe qui. Je le fais car je pense que je peux vraiment apporter un petit quelque chose. Et peut-être que ce petit quelque chose peut l’emmener là où il se trouvait il y a quelque temps. C’est Roger qui est sur le court, mais peut-être qu’entendre une voix différente, un discours différent, de la part de quelqu’un qui a connu dans le passé cette situation, sera efficace car il y a toujours des choses sur lesquelles on peut travailler, des détails à ce niveau, qui peuvent être décisifs. »

habitudes différentes. Ils peuvent toutefois suggérer et apporter un nouveau souffle avec enthousiasme et passion, les ingrédients nécessaires à l’efficacité. 4- Dans le domaine du mental où ces trois cracks (Djokovic, Federer et Murray) sont au top du top, avec Nadal, c’est un challenge supplémentaire. Se prouver, prouver à leur clan, et aux sceptiques qu’ils ont eu raison. Tout excès de zèle pourrait avoir l’effet inverse : le doute. Ce ne sera pas le cas. Un « détail » aura peut-être fait la différence. Et dans ce cas, ce ne sera plus un simple « détail »...


Novak DJOKOVIC

« Il y a de nombreux aspects de mon jeu sur lesquels Boris peut m’aider : au niveau du service, du retour, du jeu au filet et vers l’avant. Mais aussi sur le plan mental. Il sait ce que je ressens, ce à quoi je suis confronté, les challenges que je traverse dans les moments difficiles. Je cherchais quelqu’un qui avait connu des situations similaires, et j’ai pensé à lui. Bien sûr, le tennis a évolué, et le jeu aujourd’hui est basé sur la ligne de fond de court. Mais je pense qu’avec son jeu, ses volées et le style agressif qu’il développait, il peut m’aider à ce niveau-là.

> Boris C’est la collaboration la plus surprenante : Novak Djokovic est désormais accompagné une grande partie de l’année par Boris Becker.

Quand on change quelque chose dans la vie, c’est toujours risqué, mais je ne veux pas raisonner comme ça. J’ai choisi de ne pas être dans la peur du changement. Ce sont des sentiments négatifs. Je suis aussi très heureux de voir toutes ces anciennes légendes revenir comme coach. C’est très positif pour notre sport. Ils ont remporté à eux tous tant de tournois du Grand Chelem, ils ont tous été numéro un mondial, ils ont été champions, ils savent ce par quoi nous passons tous dans certains moments, particulièrement dans les Grands Chelems. Ils peuvent s’identifier à nous. »

Becker

« Je ne vais pas rentrer dans le détail des choses sur lesquelles nous travaillons. Mais parce que j’ai atteint dix finales de Grand Chelem, je sais exactement ce que ressent un joueur une fois qu’il se retrouve dans les toutes dernières étapes d’un tournoi. Comme il a déjà été n°1 mondial et compte six titres à son palmarès, je ne vais pas lui enseigner comment faire un revers ou un coup droit. Mais je pense que tactiquement, stratégiquement et mentalement, il y a de la place pour progresser, et c’est pour ça qu’il a fait appel à moi. »

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Si l’on peut comprendre cette démarche pour des joueurs qui cherchent à accéder au très haut niveau, comme Gasquet, Nishikori ou Cilic, c’est un peu plus obscur pour des Federer ou Djokovic, qui ont au moins autant, si ce n’est plus, d’expérience du haut niveau que leur propre entraîneur, et un palmarès déjà exceptionnel : « Même si c’est déjà un très beau record, Novak n’est pas satisfait avec six tournois du Grand Chelem. Il en veut plus, et il veut la meilleure équipe autour de lui pour s’améliorer », estimait Boris Becker à Melbourne. La décision de Novak Djokovic a surpris. Comment interpréter que le n°2 mondial bouleverse son équilibre avec Marian Vajda, son entraîneur historique, alors qu’il se trouvait sur une pente ascendante après une fin d’année canon. Novak Djokovic évacue la notion de risque et veut voir plus loin : « Quand on change quelque chose dans la vie, c’est toujours risqué, mais je ne veux pas raisonner comme ça. J’ai choisi de ne pas être dans la peur du changement. » Novak Djokovic, qui ne s’est plus imposé

la technique d’un coup droit ou d’un revers, il y a plein de paramètres qui rentrent en jeu. Le tennis se joue souvent sur pas grandchose, donc l’aide que peut apporter Edberg à Federer ou Becker à Djokovic se situe certainement sur des précisions. Ça peut être dans tous les domaines : la technique, le mode de pensée, ou l’état d’esprit. » L’ancien champion et coach de Lendl, le Polonais Wojtek Fibak, est plus direct : « ce qu’ils apportent, c’est leur présence. C’est tout, mais ce n’est pas rien. » Stefan Edberg, lui, pense aussi que son aide va se situer dans les détails : « Je crois que je peux vraiment apporter un petit quelque chose. Et peut-être que ce petit quelque chose peut l’emmener là où Roger Federer se trouvait il y a quelque temps. » Une phrase prononcée avant le tournoi de Dubaï, où Federer a battu Djokovic pour la 1re fois depuis presque deux ans. A ce niveau, la différence se fait donc sur des choses parfois infimes, bien difficiles à définir : « Plus on monte, plus il faut débloquer des choses qui sont difficiles à percevoir, à ressentir », estime pour sa (suite p 54)

Michaël Chang s’occupe de Kei Nishikori depuis trois mois avec déjà une victoire, à Memphis, à leur compteur.

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Depuis l’automne dernier, Marin Cilic s’est adjoint à temps plein les services de Goran Ivanisevic (au centre). Avec succès : il a disputé 3 finales en 2014, pour 2 titres à Zagreb et Delray Beach.

(entraîneur de Lucas Pouille et Mathias Bourgue)

Kei NISHIKORI

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« Goran m’a donné beaucoup de conseils sur le service. Il m’a dit de simplifier mon geste : « lance la balle en l’air et frappe ! » Avant, je réfléchissais beaucoup trop avant de servir. Mais on a beaucoup travaillé dessus, et ça a l’air de marcher. Goran sait ce sur quoi je dois travailler pour y arriver. Il m’apporte aussi toute son expérience, et toutes les choses qu’il a vécues dans sa carrière. »

EMMANUEL PLANQUE

« Michael Chang connaît très bien les joueurs. Il me donne de très bons conseils sur le plan tactique ainsi que beaucoup de confiance. Mon jeu ne va pas être fondamentalement bouleversé. Michael a fait partie du top 10 pendant de nombreuses années. Faire partie du top 10 c’est mon rêve. J’espère pouvoir apprendre beaucoup de lui. » en Grand Chelem depuis l’Australie 2013, ou encore Roger Federer, à la recherche de sa gloire d’antan, veulent voir en ces nouvelles collaborations l’occasion de s’améliorer encore, ou de revenir au top. « Même des champions de la trempe des Federer ou Djokovic peuvent encore s’améliorer et changer des choses dans leur jeu, souligne Sam Sumyk. C’est l’avantage du haut niveau, ce n’est pas juste

Marin CILIC

« Il faut faire une distinction entre coach et entraîneur. Les Edberg, Becker, Lendl... sont des coaches. Moi, par exemple, je suis entraîneur. D’ailleurs, Federer, Djokovic et Murray ont un coach et un entraîneur. Pour moi, l’entraîneur de Federer, c’est Severin Lüthi. Stefan, lui, fait du conseil. Pareil pour Murray dont Daniel Vallverdu est l’entraîneur, Ivan ayant plus un rôle de conseiller. Idem pour Djokovic qui a Marian Vajda comme entraîneur et Boris Becker comme coach. Leurs palmarès leur donnent une crédibilité naturelle. Lendl, qui a gagné des Grands Chelems après avoir perdu plusieurs finales, a transmis ce vécu à Murray. Edberg, qui a gagné des Grands Chelems en jouant un tennis ultra-offensif, a probablement des choses à dire à Roger, qui essaie d’aller dans cette voie. L’apport du joueur de haut niveau va essentiellement se limiter à la dimension mentale et tactique, pas à la dimension physique ni à la dimension technique. La grande différence entre l’entraîneur et le coach est que le coach a une énorme expertise sur le plan du jeu, il connaît parfaitement le jeu et la dimension mentale. L’entraîneur connaît lui aussi le jeu mais il est capable d’élaborer des contenus pour permettre à son joueur de progresser. »

QUI AVEC QUI ? 1. Nadal : entraîné par son oncle Toni depuis ses débuts. 2. Djokovic : Marian Vajda depuis 2006 et Boris Becker depuis décembre 2013. 3. Wawrinka : Magnus Norman depuis avril 2013. 4. Ferrer : Jose Francisco Altur depuis janvier 2014. 5. Del Potro : Franco Davin depuis mars 2008. 6. Berdych : Tomas Krupa depuis janvier 2009.

7. Murray : Ivan Lendl depuis janvier 2012. 8. Federer : Severin Lüthi depuis 2007 et Stefan Edberg depuis décembre 2013. 9. Gasquet : Sébastien Grosjean, avec Riccardo Piatti, depuis 2011 et avec Sergi Bruguera depuis décembre 2013. 10. Tsonga : Thierry Ascione et Nicolas Escudé depuis novembre 2013.


PATRICE HAGELAUER

(ancien coach de Yannick Noah et ancien DTN)

« A la base, tout part d’un besoin qu’éprouvent ces champions d’être rassurés. Ils recherchent la confiance et la sérénité qu’ils ont plus ou moins perdues, et ont besoin de se confier à ces champions, qui sont en quelque sorte leur égal. Je ne le vois pas comme un travail de coach, pour moi ça relève plus de la psychologie, car ça se situe plus au niveau des émotions que du jeu proprement dit. Avec des « légendes », les champions de la trempe de Federer et Djokovic peuvent parler librement et se livrer. C’est très différent du travail d’un entraîneur qui est là toute l’année à l’entraînement et qui n’a pas cette expérience. Federer ne recherche pas quelqu’un qui l’accompagne sur le court, il a envie de quelqu’un pour l’aider à se sentir bien. Des fois, un champion a besoin simplement d’un autre discours, ou des mêmes choses dites d’une autre manière. Car tout ça se situe vraiment dans le domaine de la communication. Les anciens champions voient les choses et les analysent avec beaucoup de recul. Ils ne sont pas dans l’émotion comme peut l’être un entraîneur lambda qui vivra ces situations pour la première fois. Toutes ces expériences me font penser à Yannick Noah, qui avait de nombreuses discussions avec Arthur Ashe, quand je m’occupais de lui. C’était des moments essentiels pour Yannick, car Arthur avait une valeur de modèle. C’était un personnage qui rayonnait sur le court et en dehors. Les discussions qu’ils avaient et qui pouvaient être très intimes ont vraiment déclenché beaucoup de choses chez lui au niveau de la confiance, de l’estime de lui-même. Pour moi aussi, dans mon travail de coach, ça m’apportait beaucoup. Ça me confortait dans mon approche. »

Paul-Henri MATHIEU

(entraîné par l’ancien n°1 mondial Mats Wilander entre janvier et septembre 2008)

En 2008, Mats Wilander s’est occupé pendant plusieurs mois de Paul-Henri Mathieu.

« La grosse différence de discours avec ces anciens joueurs, c’est qu’ils ont l’habitude des événements importants et qu’ils savent très bien à quoi s’attendre. C’est quelque chose dont on ne peut pas discuter avec un entraîneur qui n’a pas vécu ces grands rendez-vous. Dans l’approche des matches, c’était intéressant pour moi d’avoir l’avis d’un ancien très grand joueur. Au début de mes entraînements avec Mats, et surtout pendant les matches, je ressentais le besoin de l’impressionner car ce n’était pas n’importe qui quand même ! J’avais un peu peur au départ

WOJTEK FIBAK

(ancien champion polonais, longtemps coach et conseiller de Lendl, il a « accompagné » Djokovic lors de l’US Open)

Arthur Ashe, qui a découvert Yannick Noah, en était toujours resté très proche. Ensemble, ils ont beaucoup échangé.

YANNICK NOAH

« J’ai été surpris de voir revenir Boris et Stefan. Mais tout ça a du sens. Ils peuvent apporter, échanger. Boris a vécu des choses incroyables… Et ils sont dispos. Pour en avoir parlé à Boris, je peux vous dire que je le sens vraiment motivé. »

Pour moi, les cas de Becker, d’Edberg et de Lendl sont très différents. Djokovic, quand il a commencé à travailler avec Boris, était à son meilleur niveau. Techniquement, tactiquement, et physiquement. Il n’avait plus perdu depuis quelques mois. La seule chose qu’il fallait attendre de Becker, c’était qu’il ne change rien, ne gâche rien. Le plus, pour Djokovic, c’est d’avoir une star dans sa loge, et de l’avoir pour ami. Ce n’est pas un besoin, c’est plus une mode, aujourd’hui, qu’une nécessité... Edberg, lui, est venu aux côtés d’un Federer en crise, ou au sortir d’une crise. Mais il est comme tous les Suédois, à l’exception de Wilander : autant Becker est ouvert, vivant et drôle, autant Stefan est timide, et ne parle pas beaucoup. Mais Federer est un peu « amoureux » de lui, c’est son idole. Edberg apporte sa présence et peut rendre Federer un peu plus agressif. Ça a marché en Australie jusqu’à Nadal. Mais Federer ne peut le battre ni en montant au filet derrière son service, ni en cours d’échange. Alors... Becker et Edberg sont indépendants financièrement. Avec eux, c’est plus une histoire de plaisir et d’amitié que de

de son regard, peur d’être jugé, mais ce sentiment part au bout de quelques semaines. Ce qui est indéniable c’est que les grands champions ont un bagage en plus par rapport à un autre entraîneur. Mais ça ne suffit pas, sinon ça serait trop facile, tout le monde prendrait un ancien joueur ! Ce qui est difficile quand on devient entraîneur après avoir soi-même été un grand joueur, c’est de trouver le juste milieu et de se rappeler qu’on est entraîneur et plus joueur. Certains anciens le comprennent très bien et d’autres vont avoir du mal à s’adapter, et à se mettre à la place du joueur. Entraîner c’est autre chose, c’est un métier à part entière. Entraîneur ce n’est pas juger les autres, c’est aussi se nourrir de son joueur. Les anciens champions qui s’investissent sont conscients de cela et en général ça se passe bien. Mais ce n’est pas évident. Tout le monde n’est pas capable de se lancer dans une nouvelle carrière, car ça demande du temps et de l’énergie. Avec Mats, notre collaboration s’était arrêtée car j’avais besoin de quelqu’un à plein temps et lui avait d’autres obligations. »

véritable coaching. Lendl, lui c’est très différent. Murray a eu besoin d’Ivan sur le plan mental, physique et tactique. Il a tout amélioré. Pour Djokovic et Federer, quels changements pourraient-ils y avoir ? Mais je suis très content de cette mode. C’est formidable : c’est l’histoire du tennis au présent !

HAUTE FIDÉLITÉ Il est rare – mais ça arrive ! – qu’un joueur passe l’essentiel de sa carrière avec le même entraîneur. Rafael Nadal, qui travaille avec son oncle Toni, est une exception aujourd’hui. Peu d’anciens n°1 mondiaux ont travaillé pendant toute leur carrière avec la même personne. On se rappelle aussi de Juan Carlos Ferrero resté avec son coach des débuts Antonio Martinez Cascales, de Gustavo Kuerten resté avec Larri Passos quasiment jusqu’au bout, comme auparavant, Björn Borg avec Lennart Bergelin, Stefan Edberg avec le Britannique Tony Pickard et Mats Wilander avec Jon-Andres Sjogren. www.tennismagazine.fr

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part Arnaud di Pasquale. Là-dessus tout le monde tombe d’accord, Roger Federer ne va pas révolutionner son jeu et jouer le service-volée permanent pour « plaire » à Stefan Edberg, tout comme Novak Djokovic d’ailleurs. Mais le Serbe estime que les apports de Boris Becker peuvent être multiples : « Il y a de nombreux aspects de mon jeu sur lesquels il peut m’aider à progresser : service, retour, jeu au filet. Mais l’aide la plus importante se situe surtout au niveau du mental. » Roger Federer, comme Fibak, préfère parler d’inspiration que de mental, dans la présence de Stefan Edberg, son idole de jeunesse, à ses côtés. « Je n’ai pas engagé Edberg pour qu’il m’explique comment monter à la volée. Pour moi, c’est autre chose, un truc global. Je ne le vois pas dans le rôle de coach, mais plus comme une inspiration, une légende passant du temps avec moi. » Au-delà de l’aspect technique, tactique ou physique, l’aide se situerait donc plutôt, en général, au niveau psychologique. « A la base, tout part d’un besoin qu’éprouvent ces champions d’être rassurés, explique Patrice Hagelauer. Ils recherchent la confiance et la sérénité qu’ils ont parfois perdues, et ont besoin de se confier à un champion, qui est en quelque sorte leur égal. Je ne le vois pas comme un travail de coach, ça relève plus de la psychologie. » Là on est bien loin du rôle de l’entraîneur, au sens strict du terme mais plus dans le statut de conseiller. « C’est une force supplémentaire de s’entourer de quelqu’un

SAM SUMYK

(coach de Victoria Azarenka)

« Comme je suis quelqu’un de curieux, toutes ces expériences m’intéressent. Il va falloir être patient avant de tirer un vrai bilan. Le tennis se joue souvent sur des détails, donc l’aide que peut apporter Edberg à Federer ou Becker à Djokovic se situe certainement sur des précisions. Ça peut être technique ou dans le mode de pensée. Ça peut juste être échanger sur le jeu, ou faire des petites modifications dans tous les paramètres du jeu. C’est l’avantage du haut niveau ce n’est pas juste la technique d’un coup droit ou d’un revers, il y a plein de paramètres qui rentrent en jeu. Tous ces champions ont tellement vécu de choses, ils sont passés par tellement d’émotions. Ils ont un bagage beaucoup plus important que le nôtre, que le mien par exemple. Ils ont un atout en plus qu’un entraîneur lambda n’a pas : c’est l’anticipation. Ils comprennent mieux ce qui va se passer. Ils sentent mieux les choses, ils ont plus l’instinct de comment le joueur va réagir à différentes situations. Même des champions de la trempe des Federer ou Djokovic peuvent encore s’améliorer et changer des

(DTN)

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choses dans leur jeu. Il n’y a jamais de limites, tout est histoire de volonté. Les joueurs ont le droit de tenter l’aventure, si ça leur permet de s’améliorer. Quand on s’engage dans une certaine voie, on ne sait pas toujours ce qui va se passer. On est toujours un peu dans le doute, mais c’est positif, ça permet d’avancer. Avec Vika, on avait tenté l’expérience avec Amélie Mauresmo, il me semblait intéressant d’avoir une femme avec nous, d’avoir un avis extérieur, quelqu’un de son expérience, quelqu’un que Vika allait respecter. Ça valait le coup, et c’était très enrichissant. Tout le monde en a profité : Vika a pu échanger avec Amélie, mais j’ai trouvé ça aussi intéressant pour moi. » Sergi Bruguera a fait ses grands débuts aux côtés de Richard Gasquet en février. Il partage sa mission avec Sébastien Grosjean.

ARNAUD DI PASQUALE « Je ne crois pas qu’on puisse parler d’effet de mode. D’une part, il faut faire attention : faire appel à un « grand ancien », ce n’est pas la solution miracle non plus. Le haut niveau, ce n’est pas une science exacte. Ce qui est vrai, c’est que plus on monte, plus il faut débloquer des choses qui sont difficiles à percevoir, à ressentir. L’idée, à mon avis, pour ces joueurs est d’avoir un conseil plus qu’un entraîneur. Ils attendent un discours, un apport psychologique plus qu’un apport technique. D’ailleurs, il semble qu’ils font appel à ces anciens plutôt sur des périodes ponctuelles. Souvent, il y a déjà un entraîneur qui est là pour travailler sur la durée. Ne pas avoir été un immense champion n’est pas une carence dans le métier d’entraîneur. C’est juste une force supplémentaire de savoir s’entourer de quelqu’un qui a connu le plus haut niveau. Mais l’apport du grand champion ne remplace pas le rôle de l’entraîneur. Et, à la question de fond qui est de savoir si on peut apprendre à faire tel ou tel coup si on n’a pas soi-même su le faire à très haut niveau, je réponds clairement oui. Le système français le prouve. Dans l’efficience des coups, il y a quand même beaucoup de théorie. »

En 2012, Victoria Azarenka avait bénéficié des conseils d’une coach de luxe, Amélie Mauresmo, venue donner un coup de main à la demande de Sam Sumyk.

qui a connu le plus haut niveau, mais l’apport du grand champion ne remplace pas le rôle de l’entraîneur », précise Arnaud Di Pasquale.

« Il ne faut pas oublier que coach est avant tout un métier à part entière », rappelle Patrick Mouratoglou. Car sans rien retirer à l’expérience des grands champions, un excellent joueur ne donne pas forcément un bon entraîneur, tandis que la plupart des entraîneurs n’ont pas été n°1 mondiaux ou vainqueurs en Grand Chelem. « On peut apprendre à faire tel ou tel coup si on n’a pas soi-même su le faire à très haut niveau, le système français le prouve », ajoute Arnaud Di Pascale.

Emmanuel Planque, entraîneur fédéral, fait lui la distinction entre le coach et l’entraîneur. « Ce sont deux métiers bien différents. Le coach a une énorme expertise sur le plan du jeu et sa dimension mentale. L’entraîneur connaît lui aussi le jeu mais il est capable d’élaborer des contenus pour transmettre un certain nombre de choses pour permettre à son joueur de progresser. » Le débat est ouvert. Mais c’est sur la durée – s’il y a lieu ! – que l’on pourra résumer l’impact de la présence de ces anciens champions auprès de ceux d’aujourd’hui. Avec une évidence : difficile de comparer les cas d’un Federer et d’un Djokovic et ceux d’un Cilic, ou d’un Nishikori, qui sont encore assez loin du sommet. Et le métier d’entraîneur à part entière n’a rien à voir avec le rôle que peut jouer un Edberg ou un Becker. Et puis, n’allons pas chercher une réponse unique à des situations par nature très différentes. Sinon, comment expliquer la réussite de joueurs qui gardent le même entraîneur très longtemps, sinon toujours ? Comme Rafael Nadal, par exemple... l A.C.


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