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perdus dans les grands espaces
La tombe d’un couple indien dans le désert du Nouveau-Mexique : la religion catholique reste dominante dans les nations indiennes
Route 66, mile 1338. Au Nouveau-Mexique, les réserves indiennes n’ont qu’une alternative : développer les énergies renouvelables ou tenter de toucher le jack-pot en ouvrant un casino.
L
a terre craquelée des Indiens Jemez, au nord d’Albuquerque, est trop isolée des grands axes routiers pour investir dans un casino. Et les réserves indiennes se divisent en deux catégories : celles qui dirigent des casinos et les autres. La tribu Jemez, qui fait partie du peuple des Pueblos et vit à Jemez Pueblo, souhaiterait créer une nouvelle catégorie : celle qui mise sur l’énergie renouvelable. Leur projet, médiatisé en 2010 parAssociated Press, annonçait une première usine solaire d’un coût total de 20 millions de dollars, financée en partie par le gouvernement fédéral ; une possible issue heureuse pour leur communauté. Sur le perron de l’office de tourisme, quelques dames vendent des colliers et des poteries. Le gardien porte un uniforme d’employé des eaux et forêts. Étonnant, il n’a “jamais entendu parler” de la construction d’une usine solaire. Pas plus que le caissier de la station-service, seul magasin et unique source de revenus pour la communauté. Les rares jeunes Indiens venus faire le plein ne sont pas au courant non plus. Leur look se rapproche de celui des latinos de L. A. Être jeune dans une réserve indienne n’est pas plus facile que vivre à South Central : les statistiques
26 les inrockuptibles 31.10.2012
Jemez Pueblo, 2 000 habitants : par croyance, les Indiens refusent d’être pris en photo
Le Fire Rock Casino, en terre navajo, rapporte près de 50 millions de dollars par an : ce sont les Indiens eux-mêmes qui viennent y perdre leur argent
du Bureau du travail et de la santé dépeignent les réserves comme des ghettos rongés par l’illettrisme, l’alcool, la violence domestique et sans aucune perspective professionnelle. Dans les rues, la pauvreté se manifeste par des maisons jamais terminées, des caravanes rouillées. Une centrale de 14 850 panneaux solaires aurait donc dû enchanter les Jemez. Elle ne verra jamais le jour. Le conseil tribal a dû rendre les bourses fédérales allouées à la construction de l’usine. Au lieu des panneaux qui devaient “rapporter un million de dollars par an” aux 2 000 habitants, quatre terrains de base-ball seront construits. L’idée était pourtant aussi limpide que géniale. Sous l’administration Obama, le potentiel énergétique des 334 réserves indiennes du territoire est mis en avant dans plusieurs rapports. Leur capacité de production en solaire et éolien “dépasse la demande annuelle d’énergie des États-Unis”, selon une étude de la Washington & Lee Law Review de l’an dernier. Les plus enthousiastes parlent d’une capacité incroyable, quatre fois supérieure aux demandes du pays. La terre des Jemez bénéficie d’un taux d’ensoleillement exceptionnel, pourquoi ne pas en profiter ? Le solaire permet en outre de s’affranchir des casinos :
une industrie rentable, mais aux effets pervers encore mal connus. Depuis que les Native Americans ont obtenu la légalisation des casinos sur leurs terres en 1988, ceux-ci ont poussé comme des champignons. Au NouveauMexique, on en compte vingt-quatre. De nombreux panneaux publicitaires tentent d’attirer la cible principale : les routiers. Mais au Fire Rock Casino, situé en terre navajo, la plus vaste réserve des États-Unis où 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le constat est frappant : neuf joueurs sur dix sont des Indiens. On joue pour tromper l’ennui dans le seul lieu de sociabilité à des kilomètres. Résultat, les Indiens sont la population dont l’addiction au jeu a le plus augmenté depuis 2006, selon le département de la santé du Nouveau-Mexique. De l’usine solaire de Jemez Pueblo, ne reste qu’un Power Point imaginé par Greg Kaufman. “On ne m’a jamais demandé pourquoi le projet a coulé”, soupire cet agent territorial des Pueblos. Pourtant, notre expérience pourrait être utile pour les autres tribus.” Problème : “Personne n’a voulu acheter notre énergie. Or c’est dur d’arriver dans une banque et de dire : ‘financez notre projet’ quand on n’a pas de clients.”
Trois clients s’offraient aux Jemez, tous ont dit non, dont deux par manque de volonté politique. D’abord le service public du Nouveau-Mexique, “qui veut développer son propre projet, sans traiter avec les Pueblos”. Le laboratoire national de Los Alamos, situé à 50 kilomètres et à qui l’humanité doit l’invention de la bombe atomique, aurait pu être “un excellent destinataire, poursuit Greg Kaufman. Mais je suis sûr que c’est pareil en France : si vous dites au gouvernement ‘venez, on va essayer quelque chose de nouveau’, c’est compliqué et ça prend beaucoup de temps”. Dernière possibilité, une coopérative électrique locale qui fournit en électricité les tribus isolées. Mais elle doit déjà “plusieurs millions de dollars” aux Jemez, car ses fils électriques passent par leurs terres. Le coût du kilowatt-heure aurait aussi coûté 4 ou 5 cents de plus que le prix du marché. Difficilement viable sans un coup de pouce du gouvernement, “comme en Californie ou dans le New Jersey. Mais la gouverneure du Nouveau-Mexique, Susana Martinez, soutient les énergies fossiles”… Première femme latino élue gouverneure, Susana Martinez est une star du camp républicain. Son nom a circulé comme colistière de Mitt Romney. Les compagnies pétrolières et minières ont financé son
élection à hauteur de 215 000 dollars – plus de la moitié de son budget de campagne. Les Jemez ont capitulé. D’autant plus “frustrant”, selon Greg Kaufman, que le projet veillait à ce que le conseil tribal ait le contrôle de l’usine. Dans les centrales de charbon alentour, les accords entre compagnies minières et tribus mettent ces dernières en position de simples loueurs de terre, pas d’investisseurs. Les richesses du sous-sol vont dans d’autres poches. “Pour un dollar gagné, 77 centimes sortent de ma tribu”, assure Jerry Benally, un Navajo d’Albuquerque qui a plaqué son job d’infirmier pour se lancer dans la planification de villes en territoire navajo. Jerry a passé son enfance à Shiprock, au nord-ouest du Nouveau-Mexique. Il essaie de changer les choses mais ne reviendra pas vivre dans une tribu. “Même si tu reviens avec un diplôme de Harvard, tu ne trouveras pas d’emploi. Les quelques jobs se refilent entre cousins. L’électricité et l’eau courante sont un luxe. Il n’y a pas la culture d’entreprendre. Et rien à faire : ni job, ni café, ni resto. Juste une énorme mine de charbon.” Le projet solaire des Jemez était visionnaire, il a fait fiasco. Leur prochaine tentative : convertir la chaleur d’une source d’eau chaude en électricité. “Notre projet de centrale géothermique est en stage final
de planification, détaille un agent de développement. Si on trouve de l’eau chaude à 120 degrés, nous la convertirons à un prix moins cher que les énergies fossiles.” Si l’eau se révèle moins chaude que prévu, entre 80 et 100 degrés, “nous l’utiliserons pour le chauffage central, une ferme piscicole ou des serres. Les Jemez sont d’excellents fermiers.” Ils viennent de recevoir 5 millions de dollars d’aides fédérales, et commenceront le forage le mois prochain. Établis au Nouveau-Mexique il y a plus de huit cents ans, les Jemez veillent sur leur confetti de terre aride, en espérant qu’il devienne enfin bankable. “Les énergies propres devraient devenir la nouvelle machine à sous des nations indiennes”, assure dans un e-mail Richard Tall Bear (Grand Ours), ancien promoteur de casinos reconverti dans une start-up de l’énergie solaire. Les volontés ne manquent pas, mais les Indiens n’attendent rien de la Maison Blanche. Aucun État à forte minorité indienne n’est une priorité pour les deux candidats. Les Indiens restent les grands oubliés de cette cinquante-septième élection américaine. Et des cinquante-six précédentes. texte et photo Maxime Robin retrouvez ce reportage en photos sur inrocks66.tumblr.com 31.10.2012 les inrockuptibles 27