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Dans un appartement new-yorkais.


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Meurtres, suicides, anthrax, Ebola… Partout où la mort frappe à New York, les techniciens de Bio Recovery sont prêts à intervenir. Après le passage des urgences, des pompiers, de la police, du légiste, vient leur tour: celui de tout nettoyer. Mais la tache la plus dure à enlever demeure peut-être le passé de leur patron. PAR MAXIME ROBIN, À PATCHOGUE (NEW YORK) / PHOTOS: SEBASTIÁN MONTALVO GRAY

L’

équipe sait peu de choses sur son client du jour. À part cette bonne nouvelle: le corps de John Schulaski a été découvert peu de temps après son décès. Ses fluides corporels ne devraient donc pas avoir imbibé le parquet. Schulaski vivait seul avec deux chats dans un petit meublé de Farmingdale, à une heure de New York ; les odeurs de vieille litière couvrent celle de sa mort. Ce vétéran de l’armée semblait avoir perdu la notion de l’hygiène. Vaisselle sale empilée, dépôt huileux sur le comptoir de la cuisine. Sur le sol du salon, des livres sur les armes à feu et des croquettes éparpillées. À l’évidence, avant de mourir, Schulaski a marché pieds nus dans son sang –les traces de pas mènent de la salle de bain à la chambre à coucher. Roy et Mike débattent sur les probabilités qu’un animal de compagnie mange son maître post mortem. “Un chat mangera son maître sans trop hésiter, estime Mike, alors qu’un chien attendra d’être totalement affamé, il aura des scrupules.” “Écoute, répond Roy. Je ne peux pas me mettre dans la tête d’un chien. Mais les chiens te bouffent pas, ils te lèchent! Ils t’aiment. C’est leur manière de dire:

‘Réveille-toi!’ Lick, lick, lick. Leur salive a une action préventive.” Puis, il se tourne: “C’est plus propre quand on arrive sur les lieux et que le mort avait un chien.” Roy et Mike sont deux Blancs baraqués de Long Island. Ils se sont levés à 5h. “Le matin, on préfère, quand il ne fait pas encore trop chaud.” Leur employeur, Bio Recovery, est une société privée spécialisée dans le nettoyage de morts violentes –meurtres, suicides– ou particulièrement difficiles, comme ces corps retrouvés des semaines plus tard, que l’on appelle aux États-Unis unattended deaths. Rien ne se perd, tout se transforme: chaque mort recèle un contrat potentiel. Après le passage des pompiers, de la police, du légiste, Bio Recovery contacte les proches, les flics ou les compagnies d’assurances pour décrocher le marché. Car le death cleaning est un secteur d’activité comme un autre à New York, avec ses entreprises, ses employés et ses tarifs: de 200 à 2 000 dollars selon que les lieux sont plus ou moins “souillés”. Dès qu’il y a manipulation de sang ou de déchet médical, les particuliers doivent en effet passer par un cadre légal. “Prenons l’exemple d’un

matelas sur lequel quelqu’un est mort, avec du sang. Tu ne peux pas jeter ce matelas. On arrive, on coupe la partie avec du sang, on l’emmène et ce sera incinéré. C’est le protocole. Si un membre de la famille veut le faire lui-même, il coupe, met la partie dans un sac, et on emporte le sac”, explique Sal Pane, le directeur de Bio Recovery. D’après les employés, les endroits les plus à risque dans une maison sont le lit et les toilettes. “Quand tu chies, tu contractes, tu déplaces beaucoup d’organes. C’est très commun d’avoir une attaque cardiaque aux chiottes. Sérieusement, les chiottes sont les endroits les plus dangereux au monde.” Depuis l’envoi d’enveloppes contaminées à l’anthrax à différentes rédactions newyorkaises fin 2001, Bio Recovery s’est aussi diversifiée dans la stérilisation d’espaces en contact avec des virus ou des bactéries dangereuses. En octobre dernier, en pleine épidémie d’Ebola, l’annonce d’un NewYorkais diagnostiqué porteur du virus avait entraîné une psychose médiatique d’envergure. Bio Recovery avait alors parfaitement exploité l’opportunité, décrochant un contrat avec la mairie de


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“Il y a de la vie dans la mort, mais nous, on ne voit que ça, la mort, tous les jours. Faut être équilibré” Roy, employé de Bio Recovery

New York d’un demi-million de dollars pour nettoyer les zones à risque: l’appartement de Harlem où résidait le patient en question, le Dr Craig Spencer, ainsi que le bowling de Brooklyn où il s’était rendu la veille de son hospitalisation. Sal Pane avait multiplié les interviews dans les médias américains, vantant son expertise. “C’est notre moment Michael Jordan. Notre quatrième quarttemps”, avait-il résumé à USA Today. “Il a fallu stériliser toutes les pistes, chaque trou de doigt des boules de bowling, se souviennent de leur côté les nettoyeurs. Le job le plus chiant de notre vie.”

“On en a chié comme dans Pulp Fiction” Roy et Mike sont techniciens: dans l’entreprise, le bas de l’échelle. Payés 20 dollars de l’heure, ils sont appelés par les managers à toute heure du jour et de la nuit. Avant de nettoyer et vider le petit meublé, le duo étudie les derniers gestes de Schulaski, mort anonyme et solitaire. Simple curiosité développée au fil des missions. “Pour le sport”, comme dit Roy. Selon le rapport du légiste, Schulaski, 66 ans, est mort d’une hémorragie due à une fracture ouverte de la jambe. La voisine de palier, venue demander combien de temps leur camion resterait garé devant chez elle, renseigne qu’il était gros, “dans les 100 kilos”, “pas très sympa” et qu’il avait un genou et une hanche artificiels. “Un faux mouvement, sans doute.”, devine Roy. “Le type devait beaucoup s’appuyer sur sa jambe valide, elle a craqué sous son poids dans la salle de bain”, enchaîne-t-il en enfilant un masque à gaz et des gants de vaisselle pardessus une combinaison intégrale blanche. “Il a dû ensuite marcher jusqu’à sa chambre et s’est écroulé ici, sur la moquette.” Sa voix, à travers le masque, devient nasillarde, comme si un kazoo lui bouchait les lèvres. “Je pensais qu’il y aurait davantage de mouches.” Les nouveaux bureaux de Bio Recovery sont situés à une demi-heure de voiture de Farmingdale, sur la côte sud de Long Island, à mi-chemin entre New York et les Hamptons. Un poster des New York Jets et des coupures de presse sur la crise Ebola

sont encadrés aux murs. Salvatore ‘Sal’ Pane, le patron, est d’excellente humeur. Il porte un sweat à capuche aux couleurs de l’entreprise –un logo Biohazard vert– et des claquettes. Cheveux bruns mi-longs, barbe de trois jours, lunettes Oakley derrière la nuque: la panoplie du surfeur italo-américain de la côte est. Hard rock au premier étage, ambiance start-up masculine. À part la secrétaire, latino, les employés présents sont des hommes blancs, la jeune trentaine. Deux managers, Jim et Dean, montrent sans se faire prier des photos gore compilées dans leurs smartphones: le nettoyage d’une Jeep après un suicide par balle –“On en a chié comme dans Pulp Fiction”– ou cette riche résidente des Hamptons aux seins refaits retrouvée morte dans son bain au bout de plusieurs semaines. L’action de l’eau l’avait totalement décomposée: deux prothèses mammaires flottaient dans l’eau orange. Roy, qui a nettoyé, se rappelle que le légiste avait dû ramasser ses restes “avec la passoire de la cuisine”. Dans l’idéal, Bio Recovery cherche des profils diplômés dans le secteur de la santé: “biologie, infirmerie… Avec des notions d’hygiène”, précise Sal Pane. À l’opposé du profil des candidatures qu’il reçoit: “Huit sur dix viennent de tarés, et on n’a que des Blancs. En revanche, devine le ratio de candidatures femmes/hommes? Neuf contre un! Des filles gothiques, pour la plupart.” Mais Sal considère que beaucoup candidatent pour de mauvaises raisons: “Aimer les films d’horreur, le sang, c’est pas une bonne raison. J’avais une étudiante en art de Soho qui, le deuxième jour, collectait des objets ensanglantés pour en faire de l’art.” Pane, lui, n’est “pas morbide”. Même s’il a acheté sur eBay une œuvre d’art d’un serial killer qu’il “aime bien”: Richard Kuklinski, connu sous le nom “Ice Man”, qui, au crépuscule de sa carrière, revendiqua au moins une centaine de contrats pour la mafia et autant de meurtres pour le plaisir. “Il avait dédicacé son dessin à un type nommé Sal, comme moi! J’ai sauté sur l’occasion.” Chaque journée de Sal Pane démarre avec un coup de fil de Madame Murray, “la dame aux chats”. Une petite vieille qui l’appelle

“tous les matins” à heure fixe, à l’origine de la “pire mission de sa carrière”, il y a un an. “J’ai nettoyé des tas de trucs dans ma vie: des entasseurs compulsifs, de la cervelle, de la merde humaine et de la merde de rat, des toxicos, Ebola. Mais mon pire job, c’étaient les chats crevés de Madame Murray.” Après que son fils est mort du sida, Madame Murray s’est mise à collectionner les chats. “Elle en avait juste deux au début ; à la fin, elle en avait plus de 100 dans son mobil-home. On est en Amérique, ici. C’est le pays de la liberté, tu as le droit d’avoir 100 chats.” Mais la situation est devenue hors de contrôle. “Elle passait tout son fric dans les croquettes et le sol était devenu une gigantesque litière. Parfois, elle enlevait une crotte avec une petite pelle, et elle jetait ça dans le jardin.” Prévenue par les voisins, la SPA a été la première à passer la porte. “Il y avait un cadavre de chat sur la gauche. Puis un sur la droite. Et un dans le couloir.” En tout, 26 chats morts. “Dans le cas d’un ou deux chats plutôt frais, la SPA les ramasse avec des gants, les met dans un sac plastique, etc. C’est le protocole. Chez Madame Murray, les chats étaient décomposés, collés au sol. On a rempli un tonneau entier de chats morts.” L’odeur? “Y a rien de comparable sur cette planète. À cause des quantités d’ammoniaque très élevées dans le système digestif des chats. Nos masques avec filtres spéciaux au charbon actif (un matériau utilisé dans l’agroalimentaire et dans les abris antiatomiques en cas de contamination, ndlr) étaient sans effet. T’as l’impression de mourir. Je préférerais nettoyer un charnier qu’une pension pour chats.” Depuis, “on aide Madame Murray à stabiliser son nombre de chats, autour d’une vingtaine, et on lui rend régulièrement visite, gratuitement.” Sal déclinera une visite de journalistes à Madame Murray, “parce qu’elle est mentalement instable”.

“J’ai un passé, tout le monde a un passé” Nettoyer les morts est un business où la partie relations publiques tient une place importante. Il faut des contacts pour décrocher les contrats: flics, infirmiers, légistes, compagnies d’assurances. “Je suis 100% de Long Island, born and raised. Je connais des gens ici. On a le marché, les connections, l’appui politique.” Sans qu’on lui demande, Pane emploie le mot “corruption”, pour dire que, justement, son boulot ne s’apparente pas à de la corruption, mais qu’il faut savoir serrer les bonnes mains, rendre les bons services. “Il y a ce politicien, récemment, sa femme s’est suicidée. Il nous a appelés, on a nettoyé sa femme gratuitement. On ne fait pas payer les flics non plus quand leurs proches se suicident. Leur travail est déjà assez dur comme ça.” Pane dit avoir des bureaux dans tous le pays, en Californie, au Texas, dans le Maryland. “Il y a seulement deux territoires où l’on n’a pas accès,


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“Il faut gratter et, parfois, couper le plancher à la scie.”

la Nouvelle-Angleterre et Chicago. À Chicago, il y aurait sûrement beaucoup de travail… Mais l’environnement est très compétitif. Une compagnie tenue par un ex-flic décroche tous les contrats. On a essayé de négocier, sans succès. Il faudra attendre qu’il meure, ah ah!” Sal et ses managers sont branchés en permanence sur un scanner de la police pour savoir qui meurt et quand –écouter les patrouilles est une activité légale aux ÉtatsUnis. Bio Recovery paye Google “un million de dollars par an” pour rester en tête des résultats de recherche, avec des mots clés comme “Crime+Scene+Cleanup”. Chaque clic coûte cher, “autour de 68 dollars”, parce qu’il est décisif: “En général, le client ne fait pas de comparatifs comme pour acheter une paire de chaussures.” Bio Recovery a aussi une entrée sur Yelp, avec un seul commentaire dithyrambique, assorti de la note maximum de cinq étoiles. Au total, Pane dit avoir 1 000 employés. Même si le vrai chiffre serait plus proche des 60… Car Sal déforme beaucoup. Une habitude. Il a déjà été entrepreneur avant Bio Recovery, mais ça s’est très mal terminé. En fait, il a déjà eu plusieurs vies et aimerait que l’on tire un trait sur chacune d’elles. La première l’a emmené en prison neuf mois en 2010 pour plusieurs faits de délinquance routière.

Selon son dirigeant, ”neuf candidatures sur dix” reçues par Bio Recovery proviennent de femmes.


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L’un des procès-verbaux affirme qu’il avait donné aux agents une fausse identité, avant de tenter de les attendrir en jurant que son père était mort dans les attentats du 11-Septembre. Sal Pane avait terminé par menacer la patrouille en disant qu’il avait de “grosses relations” dans le milieu politique de Long Island. Le tribunal a eu la main lourde à cause du mensonge et de la fréquence des délits. Sa deuxième vie, récente, reste la plus difficile à nettoyer. En 2007, Sal Pane crée une entreprise de consulting financier, Amerimod. On raconte

“Aimer les films d’horreur, le sang, c’est pas une bonne raison pour faire ce job. J’avais une étudiante en art de Soho qui, le deuxième jour, collectait des objets ensanglantés pour en faire de l’art” Sal Pane, patron de Bio Recovery qu’à cette époque, Pane se déplaçait dans les bureaux en Segway, une canette de Red Bull à la main. À chaque nouveau contrat signé, l’employé méritant frappait un gong situé au milieu de l’open space. Amerimod a compté jusqu’à 400 employés, payés à la commission pour conseiller en crédit les propriétaires étranglés. La trajectoire et l’environnement de Long Island rappellent Le Loup de Wall Street. Le business plan d’Amerimod,

d’après la plainte de l’État de New York de 2009: contacter par téléphone des petits propriétaires menacés par la banqueroute et s’engager à négocier un allègement de crédit avec les banques. Une fois le contrat paraphé, Amerimod encaissait de gros frais de départ –plusieurs milliers de dollars par foyer– puis ne répondait plus aux coups de fil de ses clients. Bref: de l’escroquerie. Pane a beau assurer que ce qu’il faisait était “tout ce qu’il y a de légal”, Amerimod a coulé à la suite d’une enquête du FBI. Après avoir essoré plus de 3 000 foyers. Pane ciblait surtout les propriétaires hispaniques qui ne comprenaient pas les termes des contrats, rédigés seulement en anglais. Jugé en appel en 2013, l’homme doit aujourd’hui plus de 7,5 millions de dollars à l’État de New York. Amerimod –il ne prononcera jamais le nom de l’entreprise durant les entretiens– était, à l’écouter, moitié une erreur de jeunesse, moitié une cabale politique contre lui. “Je haïssais cette vie de banquier. Le costard, la Rolex, me raser tous les jours. Ce n’était pas moi. J’ai un passé, tout le monde a un passé, ce qui est fait est fait.” Pour expliquer qu’il a changé avec Bio Recovery, il utilise la métaphore des cheeseburgers: “Je suis comme un fast-food. Tous les burgers doivent être cuits à la perfection, sinon mon business est foutu. On peut me traiter d’escroc, d’alcoolique, de crevure, ce que tu veux: j’ai jamais eu un seul client mécontent avec Bio Recovery.” En pleine crise d’Ebola, la mairie de New York n’a pas fait le rapprochement entre le Pane d’Amerimod et le Pane de Bio Recovery. D’autant que sur plusieurs documents administratifs, Pane avait changé son nom de famille en “Pain” pour passer entre les gouttes. Lui affirme qu’il a mis ce nom à cause d’une embrouille de jeunesse entre alcooliques: “Un voisin me harcelait, il a

tiré au fusil sur mon chien. Il était employé de la compagnie d’électricité, il avait accès à toutes les adresses de Long Island: je n’aurais pas pu me débarrasser de lui sans changer de nom.” Quand elle s’est rendu compte que Monsieur Pain et Monsieur Pane étaient la même personne, la mairie l’a finalement publiquement désavoué et a mis fin au contrat. Tout en reconnaissant malgré tout qu’il avait fait du bon travail.

“Le savon à l’eucalyptus, ça couvre bien l’odeur” Retour au meublé de Farmingdale. “Putain, le sang s’est mélangé à la graisse et aux poils, ça part pas.” À quatre pattes sur le carrelage de la salle de bain, Roy évalue le temps de nettoyage chez Schulaski à huit heures. “Les scènes de crime sont sûrement romantiques pour les médias, mais c’est pas ce qui nous demande le plus de travail, parce que le corps est relativement frais. Les vraies purges, ce sont les morts en état de décomposition avancée: une mamie qui passe l’arme à gauche toute seule, au quatrième étage d’un immeuble, et qu’on ne retrouve pas avant huit semaines. Tout l’appartement est envahi de mouches mortes et d’asticots. Au fil des jours, les fluides coulent d’étage en étage, comme une fuite de salle de bain, et terminent au rez-de-chaussée...” Il explique le processus de décomposition d’un corps: “Ça démarre de l’intérieur. Ton corps se liquéfie en graisse et en huile. Au bout de trois, quatre jours, tu éclates comme un pop-corn par les yeux, le nez, les oreilles, le trou de balle. Les fluides s’échappent et imprègnent ta peau, qui se craquelle, et les bactéries font leur boulot. Si ta main était plongée dans l’eau pendant plus de deux semaines, elle commencerait à se décomposer ; c’est un peu la même chose.”

REDUX / REA / CRAIG RUTTLE – AP / SIPA / RICHARD DREW

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Sal Pane (ci-dessus) et ses employés nettoient l’appartement du New-Yorkais atteint d’Ebola en octobre 2014.


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“Il y avait un cadavre de chat sur la gauche. Puis un sur la droite. Et un dans le couloir. Les chats étaient décomposés, collés au sol. On a rempli un tonneau entier de chats morts”

Ensuite, le mélange de peau et de graisse coule et imprègne le sol, “et là, ça devient de la colle assez puissante. Il faut gratter et, parfois, couper le plancher à la scie.” Le boulot de nettoyeur rend Roy philosophe: “On meurt. On redevient poussière, pas vrai?” L’aspect religieux de la mort l’intéresse “mais c’est différent de la voir en vrai. Il y a de la vie dans la mort, mais nous, on ne voit que ça, la mort, tous les jours. Faut être équilibré. Rentrer le soir à la maison, oublier ce qu’on a vu dans la journée.” Dans la chambre de John Schulaski, Mike découpe des carrés de moquette pour examiner si le parquet est souillé de sang. C’est le cas. Il part chercher la perceuse dans le camion pour enlever des lattes, pendant que Roy défend son gagne-pain. “Faut avouer que c’est plus intéressant que d’avoir son cul posé devant un ordinateur. On n’a pas de pression, on n’est pas surveillés par des connards stressés”, comme c’était le cas dans son ancien job de contremaître dans le textile. Reste qu’à Bio Recovery, huit techniciens sur dix jettent l’éponge avant six mois. “Peut-être qu’ils n’ont pas la patience”, dit Roy. “Peut-être qu’ils peuvent pas encaisser l’odeur”, dit Mike. Les locaux de Patchogue sont aménagés pour que les techniciens puissent laver leur linge et prendre leur douche sur place. “Ils reviennent

du boulot, ils ont leur vestiaire. Je veux pas qu’ils lavent leurs fringues à la maison”, insiste Sal. À la gauche des machines, il désigne la “douche décontaminante” qui ressemble en tous points à une douche lambda. “Il faut parfois se doucher trois, quatre fois avant que l’odeur ne parte. On utilise du Irish Spring à l’eucalyptus, ça couvre bien l’odeur. Il faut insister sur les poils –cheveux, sourcils, poils de nez– parce que c’est là qu’elle s’imprègne.” Aujourd’hui, Sal Pane se dit aussi clean que ses employés après quatre douches à l’Irish Spring. “Je ne bois plus une goutte d’alcool, je ne prends jamais de vacances, dit-il en sirotant à la paille un Yoohoo, le Cacolac local. Je mange un repas par jour, à 21h, généralement de la merde.” Ce qui le motive dans ce job, c’est “la satisfaction du client”. Pratiquement sa raison de vivre. Il raconte son premier nettoyage, le jour de son anniversaire, le 16 novembre 2009. Un suicide par balle. Il a “nettoyé de la cervelle”, puis la veuve l’a remercié en le prenant dans ses bras. “Une vraie étreinte. J’ai senti son cœur qui battait… Elle m’a proposé un billet de 20. ‘C’est pas grand-chose, mais c’est ce que j’ai.’ J’ai refusé, bien sûr. Je n’avais jamais rien ressenti de pareil avec un client. J’aime les familles. J’aime ce job.” TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR MR

L’usage de gants de vaisselle est obligatoire chez Bio Recovery.


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