Vers une architecture logo - Mémoire Master 2

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Vers une architecture

o log Mathilde Cochard memoire de master 2 ENSA Paris Val de seine ///////// Fevrier 2016

Seminaire " Diffuser l'architecture " - Martine Bouchier


De gauche à droite & de haut en bas :

Casa da Mùsica - Porto /////////// Rem Koolhaas Centre Georges Pompidou - Paris ///// Renzo Piano / Richard Rogers Opéra de Sydney //////// John Utzon Fondation Louis Vuitton - Paris ////////////////////////// Frank Gehry Musée Guggenheim - Bilbao ////////////////////// Frank Gehry Musée Guggenheim - New-York ///////////////// Frank Lloyd Wright

Musée du Louvre - Abu Dhabi /////////////////////////// Jean Nouvel


 Sagmeister Inc.

 Jean Wimder

 Inconnu

 Marrow Melow

 Roosterization  Frederico Cerdà

 Philippe Apeloig



Vers une architecture logo ď Ą OMA-Simplicity - Lectures - http://oma.eu/lectures/simplicity


Som mai re Introduction

1

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Définition du sujet L’appétit d’architecture, « gratin mondial » des élites 13

////////////////////////////////////// L’architecture reconnaissance

1.1

Logo // Emblème // Icône - définitions des empreintes du monde

13

1.2

Un monde d’esthètes : le tourisme ou la recherche du beau

20

1.3

Les Dreamlands ou architectures de l’oeil

31

2

« Archicouture » La fondation Louis Vuitton, nouvelle griffe de Frank Gehry 43

/////////////////////////////////// L’architecture tendance

2.1 2.2 2.3

Le système de la mode dans un parallèle avec l’univers des maîtres bâtisseurs

44

L’objet singulier, une pratique du design à l’échelle métropolitaine : un nouvel art total

54

« La branding architecture » ou comment la singularité suscite le logo

64

4


3

L’architecture, le nouveau bijou médiatique du politique 79

//////////////////////////////////////////////// L’architecture adhésion

3.1 3.2

L’architecture est un instrument de séduction : étude de deux cas particuliers, classique et contemporain

80

Les pouvoirs, metteurs en scène du théatre urbain

95

Conclusion

107

Bibliographie

112

Table des illustrations

116

/////////////////////////////////////////////////////////////////


I

ntroduction

2

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l'architecture semble dotée des composantes du système marketing propre aux grandes enseignes. J'observe, à travers mes expériences d'apprentie architecte, mes visites touristiques, mes sorties, une nouvelle forme d'urbanité où l'architecture s'expose. De ce fait, j'ai pu voir la naissance d'un nouvel appétit d'architecture, initié par le post-modernisme peut-être, où la forme architecturale qui se donne en spectacle devient plus accessible, un art plus populaire et plus ludique. A l'exposition universelle de Shanghai, nous avons pu constater l'approche sensible à travers des formes architecturales jusqu'alors méconnues, mais aisément lisibles et compréhensibles par tous. Pour résumer, l'exposition universelle fut une synthèse du phénomène architectural contemporain : ce fut le point de convergence et d'échéance de la compétition entre nations, le monde comme une grande manifestation populaire, un " Disneyland " de vulgarisation architecturale où le mot d'ordre est de séduire par les formes et l'espace. De manière générale, le monument célébrait le peuple, commémorait son dieu, consacrait son roi. Il a été un outil de transmission, et d'enseignement, vecteur de l'identité populaire. Aujourd'hui le monument n'est plus un fait rare dans le tissu urbain, il devient un objet, une icône banalisée servant de repère dans un territoire mondialisé. Dès lors, nous pouvons nous poser la question suivante : ces architectures sont-elles des monuments ? Les villes contemporaines font appel à un logo, une figure singulière dans un contexte de concurrence entre les territoires. Ces édifices ne sont plus seulement vus comme des objets d'art, manifestes d'un nouveau design, mais comme une réelle destination (susceptible d'être) positionnée sur la carte mondiale du tourisme. L'architecture, qui demeurait comme une discipline opaque aux yeux de la plupart des individus semble avoir trouvé sa place à travers les composantes de l'art du spectacle et du divertissement. L'architecture est maintenant facteur d’événements et la ville la met en scène. En parcourant les images des villes, - sur internet, en feuilletant les guides touristiques, je m'aperçois que ce phénomène réducteur des villes à une image, qui la plupart du temps se réfère à un emblème, n'est pas nouveau. Athènes et son acropole, Pise et sa tour, Moscou et le Kremlin, Le Caire et ses pyramides, Paris et sa tour Eiffel … et plus récemment Sydney et son Opéra (John Utzon), Barcelone et sa tour (Jean Nouvel), Porto et la Casa de la Musica, Pékin et le bâtiment de la CCTV3 (Rem Koolhaas)...

3. De l'anglais " China Central Television ", le réseau national de télévision chinois.

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Bien que ce phénomène primaire de symboles fédérateurs autour d'une même pièce architecturale ne soit pas récent, il semble bien plus important dans l'esprit des architectes contemporains. Une course à l'inédit s’opère dans une époque d'intersubjectivité généralisée et ceci se ressent dès les premières heures de la conception d'un quelconque projet public. Ces édifices iconiques ne concernent plus seulement des programmes d'ordre spirituel ou du pouvoir - comme c'était souvent le cas auparavant -, mais touchent à la banalité programmatique, aux équipements urbains les plus communs : bibliothèques, musées, gares, ... Cependant, pour prétendre à être une icône, la ville doit faire la part belle entre la banalité (ou bien l'homogénéité) de son tissu urbain et l'extraordinaire de sa nouvelle vedette architecturale. Ces nouvelles pratiques et nouvelles modes ont bouleversé les fondements traditionnels de l'architecture " puisqu'il n'y a plus de cause, pas de systèmes de valeurs général, pas d'autorité philosophique plus grande et plus noble que le simple travail architectural sur lesquels appuyer son point de vue " 4 - l'architecte, du moins la minorité qui a pu accéder au rang de star impose son bâtiment comme orchestrateur d'un nouvel ordre urbain. J'essaierai, le temps de ce mémoire, de déceler les mutations de la profession, de ces références, du statut de l'architecte créateur de pièces rentables, mais aussi d'analyser les réactions que cela engendre. Je tenterai alors de comprendre comment la ville parvient à hiérarchiser ses valeurs. Pourquoi a t-on recours à l'image primaire du logo, visible dans tous les esprits ? Cette architecture logo semble être une réaction violente à l'internationalisation du modernisme accusé de produire de l'uniformisation et d'appauvrir le cadre de vie local. Elle est porteuse d'une constante quête d'identité, miroir de notre société du paraître où l'on cherche constamment qui l'on est. L'architecture se dévoile comme une étiquette, un produit dont la valeur s'élabore en fonction du nombre de visiteurs ou de publications, elle engendre un "label territorial". Elle fait figure de publicité, d'événement, produisant de l'étonnement : elle se refuse à l'ennui. Cependant, une contradiction subsiste dans ce contexte d' " hyper-singularité " architecturale, de signatures sacralisées – le monde se pense davantage en villes mondiales qu'en pays, la

4. François Chaslin, Un état Critique, Espace et société, parler d'architecture n°60, L'Harmattan – ERES Éditions, 1990, p. 74

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mondialisation a peu à peu engendré l'aliénation des territoires, alors peut-on alors concevoir une forme à la fois locale et globale ? Ne risquons-nous pas dans ce cas le pastiche ? (comme c'est le cas en Chine) Cette nouvelle forme d'architecture franchissant les frontières du design, de la sculpture et de l'art a transformé l'image de la ville et du monde, si l'on peut considérer le "nouveau monde global" comme une mégalopole et ses monuments comme destinations. Comment l'internationalisation de cette architecture-objet transforme-t-elle l'espace public en véritable espace d'accrochage ? Comment les architectes, à l'allure de PDG de grandes marques, élaborent-ils leurs stratégies concurrentielles ?

Je m'exprimerai en trois parties. En première partie, je définirai la notion d'architecture logo, dans une rétrospective des clichés et stéréotypes architecturaux à travers le monde, en tentant de comprendre ce terme utilisé par chacun de nous et depuis combien de temps celui-ci s'exprime dans nos esprits. Comment cette notion, propre aux langages du graphiste apparaît-elle dans un mémoire d'étudiante en architecture ? L'architecture est-elle désormais totale : objet de design hors échelle, figure de proue des publicitaires, du marketing ? Notions d'identité, de cultures globalisantes, de monument. Notion de la signature architecturale, starisation d'une minorité d'architectes extrêmement mobiles dans le monde contemporain. De plus, je souhaiterai faire un parallèle à travers la notion de "Dreamlands", mondes clos et merveilleux qui semblent avoir conditionné l'imagerie artistique, architecturale et urbanistique contemporaine. Du Disneyland de Walt Disney, à Las Vegas de Venturi en passant par les expositions universelles et le Dubaï d'aujourd'hui, ces univers tendent à modifier nos rapports à la géographie, à l'histoire, aux notions d'original et de copie. En deuxième partie, je me concentrerai sur l'étude d'un nouveau logo architectural: la fondation Louis Vuitton, inaugurée en 2014. Nous verrons ainsi en premier lieu comment et pourquoi l'architecture empreinte les principes du système de la mode des grandes maisons comme Louis Vuitton. En quoi celle-ci a contribué à changer les pratiques architecturales dans nos sociétés contemporaines ? J'exposerai sa dimension d'architecture spectacle, notion tabou pour son auteur, Frank Gehry. Par la fondation Louis Vuitton, je me pencherai sur le domaine du mécénat qui ne touche plus uniquement l'art mais aussi l'architecture – une tendance à interpénétrer l'art et l'architecture 9


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comme un art total, entre sculpture et objet habité. Quelle est la nouvelle fonction aujourd'hui de l'architecture-objet ? Comment cet objet écrit-il un nouveau récit de l'espace environnant ? Une attention particulière sera ainsi portée sur l'ouvrage d'Hal Foster Design & Crimes, une référence en matière de critique de la société contemporaine et ses "outsiders" spectaculaires tel que Frank Gehry. Nous découvrirons la volonté de conceptualisation des architectes d'aujourd'hui afin d'assurer leur cohérence intellectuelle de leurs bâtiments : les édifices contemporains sont plus que jamais porteurs de sens et de références, images empiriques propres à l'architecte. Une architecture iconique qui tend de plus en plus à l'exotisme, dans une nécessité contradictoire de se distinguer et de s'intégrer dans le tissu urbain environnant. Enfin, nous nous poserons la question de l'image à la fois culturelle et économique, l'architecture vue comme nouvel outil communiquant pour les industries.

En troisième partie, j'y verrai les conséquences d'un tel acte architectural. Les mutations économiques et politiques dans la ville, jusqu'au monde perçu comme un marché d'art. Mais aussi la valorisation de la ville par l'architecte-artiste... le rôle et le processus de hiérarchisation des valeurs architecturales par les décideurs locaux. Les nouvelles notions de marketing urbain sont-elles des manifestes tributaires de notre société de consommation ? Les architectes qui font des "coups" sont-ils vraiment libres et autonomes ? La monumentalité est-elle devenue une norme pour se faire une place dans le marché international ? Comment expliquer ce phénomène de singularités peuplant nos grandes villes ? Comment accède t-on à la commande aujourd'hui, quel processus, par quelles épreuves doiton passer pour obtenir le premier rôle ? Comment séduire le commanditaire d'aujourd'hui ? Je dresserai un succinct bilan de cette nouvelle forme ou pratique d'architecture au sein des villes face au spectacle architectural et son impact urbanistique.

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1

Définition du sujet L’appétit d’architecture, « gratin mondial » des élites

////////////////////////////////////////////////////////////////////// L’architecture reconnaissance

1.1

,

LOGO

, 2008

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Mais c'est réellement dans la mouvance de l'industrialisation, par le développement de l'économie de marché et la naissance d'un nouvel environnement concurrentiel que s'étend cette pratique. Il fut alors nécessaire de distinguer les produits de ceux de la concurrence au regard des illettrés, encore nombreux au XIXe siècle. Il s'agit de marques, dessins, symboles extrêmement primaires pour une authentification immédiate de l'enseigne. Peu à peu, cette pratique s'étend à divers domaines tels que l'architecture. Or, l'architecture n'a t-elle pas toujours été cette écriture extrêmement lisible comme un moyen de médiation de la société pour sa masse populaire ? Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris, en 1831, qui se présente comme le fervent admirateur de la pierre où l'Homme y dédie son âme et ses passions, n'échappera à aucun de ces romans à l'éloge de l'architecture. L'architecture est, selon lui, support de langages au même titre que l'écriture. "Jusqu'à Gutenberg, l'architecture est l'écriture principale, l'écriture universelle". " Ainsi, durant les six mille premières années du monde, depuis la pagode la plus immémoriale de l'Hindoustan jusqu'à la Cathédrale de Cologne, l'architecture a été la grande écriture du genre humain" 6 Ainsi, Victor Hugo a parfaitement saisi la portée de l'architecture, particulièrement gothique, dont témoignent de nombreux réquisitoires disséminés dans ses œuvres à l'accent combatif, du monument national ou plus largement, du patrimoine. Victor Hugo s'exprime par le roman comme moyen de questionner et dessiner par les mots l'art architectural. C'est ainsi que l'on observe cette confusion entre les deux langages fondateurs de notre condition humaine que sont l'architecture et l'écriture.

Un parallèle s'élabore entre les notions d'écriture et sa

calligraphie puis l'imprimerie et sa stylisation par la typographie des lettres frappées sur le papier et l'architecture. De tout temps et tous âges, son style changeant exprime ses diverses doctrines, marque et démarque les époques et civilisations. L'écriture-architecture demeure aux yeux d'Hugo l'expression la plus achevée, résultat de l'union d'une forme et d'une idée. Cet enchevêtrement du domaine de l’écriture et de l'architecture, introduit d'une certaine manière par Victor Hugo, devient plus que jamais concret dès le XXe siècle. C'est par l'avènement du modernisme, ses principes de standardisation, aux questionnements de l'ornementation, l'autorité du fonctionnalisme que le graphisme et logotype deviennent les éléments majeurs du paysage marchand puis urbain. L'architecture et l'écriture trouvent leurs points de convergence dans le graphisme, un terme propre au XXe siècle, désignant la manière de présenter par une configuration visuelle 6. Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Édition Garnier-Flammarion, 1831, p. 203

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composée de signes picturaux, spatiaux. C'est ainsi la matière signifiante d'une situation, un média communiquant où son histoire suit les traces de l'Homme, chevauchant tout autant les notions d'art, d'écriture, et d'architecture. " L'architecture ne sera plus l'art social, l'art collectif, l'art dominant. Le grand poème, le grand édifice, la grande œuvre de l'humanité ne se bâtira plus, elle s'imprimera." 7 Nous remarquons qu'au même titre de l'écriture, figurant la parole de l'Homme sur le papier l'architecture s'inscrit sur un territoire pour témoigner. Rien n'est alors plus humain que l'écriture et l'architecture. Le logotype, dans le sens de l'artialisation8 du monde, est ainsi ce phénomène de stylisation de notre environnement qui nous distingue du monde animal, où le beau est un principe de l'Homme qui ne peut être façonné sans prendre compte des "lois de la beauté", comme le déclarait Marx dans ses écrits de jeunesse. Le logotype, au fil des années et de son évolution introduira une certaine vulgarisation du beau, et une évolution des valeurs esthétiques dans une confusion de l'esthétique et de l'utilitaire commercial.9 Plus qu’esthétique, le logotype acquiert une importante valeur caractérisante et identitaire. Qu'il soit dessin ou écriture stylistique, ou une combinaison de ces deux derniers, le logotype relate une identité par le moyen primaire de l'image. Il emboîte peu à peu le pas sur les codes de son ancêtre, l’emblème.

EMBLEME

//

L'emblème fait référence à l'histoire chevaleresque et seigneuriale. En effet,

la reconnaissance des armées médiévales s'évaluait par un système héraldique – notamment nommé science du blason – dès le XIe ou XIIe siècle10. L'emblème fait figure d'empreinte historique, dépendant, et ne pouvant se définir sans une compréhension de l'héraldique. Initialement, l'emblème, - ici dénommé armoirie et vraisemblablement apparu au milieu du XIe siècle se compose d'une ou plusieurs figures ou assemblages de formes géométriques symboliques, initialement appliquées sur les écus lors des nombreuses batailles et croisées de l'Ancien Régime. La distinction fut alors immédiate entre chevaliers lourdement équipés par le biais d'un système sémiologique naissant et qui s’avérera particulièrement efficace au regard de tous les sujets, du moyen-âge à l'époque moderne. Ce fut en premier lieu, l'objet pictural majeur d'identification des armées, au sein d'une société

7.Victor Hugo, Op. cit., p. 296 8. Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L'esthétisation du monde, vivre à l'âge du capitalisme artiste, Paris, Éditions Gallimard, coll. "Hors série Connaissance" 9. Hal Foster, Design & Crime, Édition Les prairies ordinaires, Londres, 2002 , p. 32 10. La Chanson de Roland, au XIe siècle, évoque déjà les "connoissances" (Chant CCXXXV, vers 3090), que nous pouvons définir par signes de reconnaissance sur les boucliers - "et leurs écus bien ouvrés sont parés de maintes connaissances"

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généralement dépourvue d'écrits. Il se diffusera peu à peu aux champs familiaux de la noblesse, de la bourgeoisie, mais aussi des institutions politiques et religieuses, du clergé au seigneur. Plus tard, l’emblème s'affiliera de manière systématique aux corporations de métiers, aux villes puis plus aux régions et pays.

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L’emblème se définit ainsi dans une

dimension nouvelle de promotion patriotique, le blason tout d'abord, arbore aux yeux d'une masse la patrie, c'est un signe rassembleur des ignorants au plus instruits. Il est le fruit synthétique des diverses caractéristiques fondamentales composant un groupe, de la religion, de la civilisation, de la société. Michel Pastoureau12, historien médiéviste, nous éclaire sur l'importance de ce système héraldique

jugé désuet et négligé, à son grand regret, par de nombreux historiens,

intellectuels et critiques de notre temps. Car, effectivement, ce support, dans une confusion entre les notions d'emblème et de symbole, lourds de sens par un maniement judicieux du blason et des couleurs, demeure le moyen imparable "de situer ces objets et ces monuments dans l'espace et dans le temps, pour en retrouver les commanditaires, ou les possesseurs successifs, pour en retracer l'histoire et les vicissitudes." 13 Il est ainsi vecteur d'identité, il devient une marque de propriété, mais aussi un ornement décoratif. Par ailleurs, nous comprenons ainsi par Pastoureau, comment cette science apporte de multiples indices dans le champs de l'Histoire sociale d'une nation, comme peut l'attester l'étude des fréquences et des raretés des couleurs permettant à un historien de disposer de nombreux éléments pour comprendre l'origine du goût par leur choix méticuleux. C'est un caractère essentiel pour comprendre les spécificités des enjeux culturels et idéologiques ainsi que leurs évolutions. En effet, l'héraldique européenne - par les armoiries, se plient à un petit nombre de règles fortement prescriptives par l'usage strict de 6 ou 7 couleurs unies, dites "absolues" où leur nuance n'influera en rien à leur symbolique. Par une combinatoire rigoureuse, les couleurs séparées en deux groupes, s'organisent comme une grammaire, ses conjugaisons et ses déclinaisons afin former une syntaxe intelligible aux yeux du plus grand nombre. "L'armoirie

11. Démilitarisées, les armoiries colonisent très rapidement divers domaines de la vie sociale - des murs aux vitraux des églises, puis aux monuments, bâtiments, apparats militaires comme civils, meubles, étoffes, ouvrages et documents officiels, sceaux, monnaies, objets d'art et de la vie quotidienne. Elles sont le témoin d'une civilisation qui accorde de plus en plus de soins à l'aspect matériel, où l'emblème devient omniprésent à partir du XV ème siècle, nous informe Michel Pastoureau p. 119 dans le Dictionnaire des couleurs de notre temps, symbolique et société, Paris, 1999. 12. Michel Pastoureau, Dictionnaire des couleurs de notre temps, Symbolique et société, Paris, Christine Bonneton Éditions - p. 118-123 13. Ibid., p. 119

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est une image qui est faite pour être vue et qui est vue."

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Selon Pastoureau, "l’héraldique est

surtout remarquable par les nombreux codes qui en sont issus et qui régissent toute notre symbolique sociale, depuis les drapeaux et les uniformes jusqu'aux étiquettes des bouteilles de vin ou boites de fromage en passant par les logotypes des partis politiques et les maillots des clubs de football." 15 Aujourd'hui, nos vies sont inconsciemment guidées par l'emblème, fidèle à cette science sémiotique ancestrale, celui-ci reste fortement ancré dans nos sociétés. Ce sont incontestablement des repères : cachets d'appartenance à un groupe, du bâtiment à l'habit, ou codes fluviaux et routiers, ils obéissent encore aux principes de l'héraldique. C'est ainsi qu'ils véhiculent, par le jeu savant des couleurs, les valeurs communes et spécificités du groupe. A présent, l'emblème a recours à un plus large périmètre sémantique, pouvant se détacher du système héraldique initial pour embrasser le sens plus large du symbole, il est tout de même davantage utilisé pour désigner un territoire donné. Représenté par ses valeurs historiques, ou originelles il invite au souvenir, faisant appel à sa mémoire par un élément fédérateur et connu de tous.

ICÔNE

//

L'icône, est le "signe qui est dans un rapport de ressemblance avec la réalité

extérieure", lit-on dans le dictionnaire Larousse. De l'icône à l'idole religieuse, politique ou sociale, les deux termes sont parfois confus tant ils sont proches. Elle est également symbole graphique et représentation pictographique d'un programme informatique de nos sociétés numériques actuelles. A sa source, l'icône se définit, comme une représentation artistique religieuse de l’Église d'Orient, longtemps attribuée aux religions anciennes de la fin de l'antiquité, elle deviendra une composante majeure du culte chrétien.16 Il s'agit généralement d'une image d'une divinité présentée sur une multitude de supports : de la peinture, des mosaïques, au tissus et à l’orfèvrerie. Elle est motif d'adorations, objet sacré et vénéré où se signer devant l'icône et la contempler s'avère aussi important que d'écouter l'évangile et lire ses écrits. Le moine SaintBernard, nous fait remarquer Élie Faure17, blâme la pauvreté avec laquelle s’exécute le culte de la religion au Moyen-âge, au moyen de l'image omniprésente, peuplant de formes raides

14 Michel Pastoureau, Op. cit., p. 119 15. Ibid., p. 120 16. Nous retrouvons tout de même, le même succès de l'icône à la fin de l'ère Antique dans les Indes. Certains avancent sa probable naissance dans le culte hindouiste, jaïnisme, bouddhisme ou même védisme tardif, où "l'icône matérielle fut l'objet d'un consensus social" comme l'annonce Gérard Colas, Penser l'icône en Inde ancienne, Paris, Brepols Publishers, Bibliothèque de l’École Pratique des Hautes Études - Sciences Religieuses, 2012. 17. Élie Faure, L'esprit des formes - Tome 2, 1927, Le Livre de Poche, Série Art, 1976, p. 209

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"partout prises dans la gangue du dogme le plus arrêté" 18qui détourne l'attention les moines de leurs ouvrages et de la bible : " Si nombreuse, si étonnante apparaît partout la variété des formes, que le moine est tenté d'étudier bien plus les marbres que les livres et de méditer ces figures bien plus que la loi de Dieu". Des écrits théologiens nous indiquent que l'usage de l'icône remonterait dès le II e siècle (voire le Ier), cependant elle ne connaîtra qu'une réelle floraison à partir des IVe et Ve siècles, sous Constantin Ier qui contribua à l'essor de l’Église et plaçant cette dernière au dessus de tous les pouvoirs.

L'icône,

amplement

présentée

dans

l’Église

Byzantine,

se

répandra

considérablement dans la culture populaire occidentale dès le VI e siècle et se diffusera au delà du corps ecclésiastique

pour envahir l'habitat, dans l'intimité des pratiquants.

L'évangélisation, puis ensuite le catéchisme se faisait par le biais de l'icône ou l'image de l'idole comme peut le définir Élie Faure dans l'Esprit des formes. L'orthodoxie de Byzance, de la Grèce puis le catholicisme de l'Italie et de la France, étaient guidés par une religion avant tout iconolâtre et visuelle19 à visée séductrice et instructive d'un peuple encore ignorant et candide. L'icône aujourd'hui s'aborde, de part son histoire, dans la contemplation et doit susciter l'émerveillement, alors toujours dotée du rôle unificateur analogue à celui du concept de Dieu. Bien que sa définition ait évolué et embrassé de nombreux domaines, l'icône est toujours signe, "un représentamen, c'est quelque-chose qui tient lieu pour quelqu'un de quelque-chose sous quelque rapport ou à quelque titre. Il s'adresse à quelqu'un, c'est à dire crée dans l'esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Ce signe qu'il crée, je l'appelle l'interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque-chose : de son objet"

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nous enseigne la théorie Peircienne. Les cours de Saussure avancent que l’icône

provient d'un énoncé ou d'une configuration visuelle élaborée en signes et devenant un matériel signifiant d'une situation de communication, explicite ou implicite; il relèvent du plan de l'expression ou de la matérialité du signe. 21 Par ces savantes définitions, issues de théories sémiotiques, l'icône est alors perçue comme objet, matériau, instrument ou outil palpable et matériel. Après cet examen, en terme d'architecture, nous pouvons qualifier la cathédrale d'icône du monde chrétien de l'Europe occidentale au grand malheur des fondateurs de l’Église. Les

18. Élie Faure, Op. cit., p. 209 19. Élie Faure, Ibid., p. 208 20. Peirce - 2.228, traduction et commentaire par G. Deledalle (Peirce , 1978 : 121) dans Pascal Sanson, La redécouverte du sens des espaces de la ville, Les annales de la recherche urbaine n°85 p. 202 21. Pascal Sanson, La redécouverte du sens des espaces de la ville, Les annales de la recherche urbaine n°85 p. 202

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iconophobes Saint-Paul, Saint Augustin, désireux de briser22 ce processus de représentation idolâtrique nourrissant les idées folles d'un peuple mal averti, tel un instrument de perversion, auquel Jésus lui même n'avait évoqué pour "émouvoir les cœurs" 23. Contre tout attente Élie Faure, en 1927, résume cela en "un miraculeux équilibre entre la religion abstraite venue du cerveau des prophètes modelé par le désert et l'amour des formes charmantes qui caractérisent le sol dans l'Europe occidentale, l'idée puissante d'un symbolisme universel exprimant l'unité de l'âme par la multiplicité des aspects de ce sol".24 L'icône, dans son sens large, se présente essentiellement matériellement, dès l'antiquité, par la religion : temples, tombeaux, colosses, pylônes, pyramides, obélisques élèvent la vérité spirituelle dans une puissance constructive au temps de l'age d'or égyptien, par exemple. Il ne s'agit pas là d'icônes mais d'édifices iconiques, c'est-à-dire relatif à l'image, propre à la définition peircienne. Ce bâti singulier retranscrit l'âme de l'Homme, à la fois catégorique et subtil, où se conjuguent finesse et géométrie. Les icônes s'étendent alors sur de multiples échelles, de l'objet au monument. Nous avons pu voir par le développement précédent que, graduellement, les frontières s’abolissent entre ces trois mots - logo, emblème, icône, - où dès le XIXe siècle et la naissance d'économies de marché puis d'une mondialisation grandissante, l'esthétique devient plus que jamais une valeur marchande et touristique. Définir chacun de ces trois termes, devient un exercice difficile tant ils sont, de nos jours, appliqués indifféremment. De ce fait, le logo est un emblème, l'emblème est une icône, une icône est un logo, et ainsi de suite. En architecture, ils sont alors tous repères et lieux signifiants, symbole, et souvent monument.

22. Comparable à l'Islam, dépourvu de toute icône et idole mais aussi dénué , de tout langage liant l'univers spirituel sacré immatériel avec la réalité matérielle du commun des mortels, Empereur et Eglise byzantine du VIIIème et IXème siècle travaillèrent à une réelle épuration de l'apparence des édifices religieux. "A Byzance au VIIIème siecle, au IXème siècle, l’Église et l'empereur tentèrent de briser l'idole et de refouler le christianisme dans l'intérieur du sentiment mystique abstrait, comme aux mêmes époques, l'Islam couvrait les terres conquises d'édifices où pas une figure humaine, pas une silhouette d'animal, pas une feuille d'arbre n'ornait les chapiteaux, ni les autels." Élie Faure, Op. Cit., p. 209 23. Ibid., p. 213 24. Ibid., p. 214

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1.2 /////// Un "Monde d'esthètes "- le tourisme ou la recherche du beau Nous avons à cœur de dire que nos sociétés actuelles, occidentales et globalisées des nations industrialisées sont de plus en plus régentées par un esthétisme absolu. Cependant, l'esthétique ou l'ambition du beau suit l'histoire de l'Homme dès ses heures primitives, sans écritures. De tous les temps et toutes civilisations, l'Homme a produit une multitude de "phénomènes esthétiques"

25

. Depuis toujours, l'Homme exprime un besoin de marques, de codes, de

symboles spatiaux et picturaux pour une reconnaissance immédiate, des parures aux peintures, coiffures, tatouages, objets et formes d'habitat. Comme une nécessité vitale d'identité(s) de l'homme qui se meut dans la société. L'art, du dessin à l'architecture demeure un facteur d'"humanisation et de socialisation des sens et des goûts"

26

dans lequel il singularise une

époque et une société. Gilles Lipotevski et Jean Serroy, introduisent leur ouvrage L'esthétisation du monde, vivre à l'âge du capitalisme artiste par quatre modèles dits "purs" de l'histoire du "processus immémorial de stylisation du monde" : l'artialisation rituelle - où c'est la structure sociale et religieuse qui régie sur le jeu des formes artistiques, sans innovations dans une totale allégeance aux préceptes ancestraux et mythes déistes. L'ouvrage artistique n'avait aucune spécificité, ne pouvant être autonome et spontané - les formes ne sont pas admirées mais s'élaborent dans un pouvoir pratique, tel de nombreux repères rythmant sa vie sociale, sexuelle et spirituelle. L'esthétisation aristocratique - marque les prémices de notre modernité artistique par la prise de position indépendante, progressive au fil des siècles, de l'artiste détaché de toute emprise politique ou religieuse. Encore destinés à un public éclairé et fortuné, l'artiste et l'architecte acquièrent, au regard des dignitaires et commanditaires, une marge importante d'initiatives, fait inédit jusqu'alors. On bannit les corporations dans un esprit d'émancipation, le fait esthétique devient un plaisir, une futilité, au seul motif de susciter un émerveillement du raffinement et de la grâce. "Utilitas, Firmitas, Venustas" - Peu à peu la Venustas, empiète sur l'Utilitas et la Firmitas au point où l'on pourrait plagier caricaturalement cette vieille devise de l'érudit Vitruve par "Beauté,Vanité, Mondanité". Au temps Renaissants jusqu'à nos sociétés contemporaines, partout et en tous lieux, l'apparence devient un référent indispensable. L'esthétisation moderne du monde - Cette nouvelle esthétique est définie par les auteurs

25. Gilles Lipotevsky Jean Serroy, L'esthétisation du monde, vivre à l'âge du capitalisme artiste, Gallimard, p.14 26. Ibid., p.14

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comme une figure globalisante et populaire définitivement affranchie de l'autoritarisme des pouvoirs classiques, de l'élitisme. L'art n'a plus de lois, s'insurgeant contre les conventions, méprisant l'argent et le bourgeois - elle "revendique son orgueilleuse souveraineté" 27. Elle demeure en revanche dépendante d'un acteur, ce qui place le monde de l'art, dans certains cas, dans une situation paradoxale, au comportement schizophrène entre haine du monde marchand et sa nécessité d'y être dépendante. L'art est dorénavant commercial devenant lui même un "monde économique comme les autres en s'adaptant aux demandes du public et proposant des produits "sans risques", à l'obsolescence rapide."28 Ce sont alors des objets consommables, suivant tant bien que mal les tendances, victimes d'un système de la mode de plus en plus éphémère, voire instantané. "Les anciens avaient le culte du beau, nous en avons l’appétit" 29 Je définirai le tourisme par cet incroyable engouement pour la consommation du beau. Au XVIIIe siècle, Schiller et les romantiques allemands avancent l'hypothèse du beau, l'art s'échelonnant au sommet de la hiérarchie des valeurs. L'art est désormais le seul moyen d'exprimer la vérité, on attache à l'outil esthétique des qualités menant l'humanité vers sa liberté, la raison et le bien. C'est au sein de cette mouvance romantique de sacralisation de l'art, que naquît l'institution muséale. Les œuvres sont extraites de leur contexte initial, perdant l'usage traditionnel et religieux, l’œuvre à la vue de tous. L'art se détourne définitivement du luxe. Il n'y a, dorénavant, plus qu'un pas entre le musée et la ville. En effet, la ville du XIX e et du XXe siècle, en Europe occidentale dans un premier temps, en Amérique du Nord dans un second a alors, semblable au musée, mis en scène les valeurs esthétiques, universelles et intemporelles que sont les architectures. Les œuvres bâties d'ordre pratique ou cultuelle sont ainsi transformées en objets esthétiques devant être admirés, contemplés pour elles-même, faire connaître "le beau "de la nation, dans une tentative d'instruction de la population sur ce qu'il se doit d'être regardé. Le musée tient le rôle de conservateur patrimonial, rendant les œuvres uniques, inaliénables, immortelles. La ville -ou bien plus - le monde, assimile l'univers muséal aux territoires urbains. Qu'ils soit religieux ou non - les bâtiments élevés au rang d’icônes, d'emblème sont alors le ou les "logos" de la ville, communiquant sur le territoire global. Ils semblent, tout comme au

27. Gilles Lipotevsky Jean Serroy, Op. cit., p. 20 28. Ibid., p. 20 29. Anne Barratin, De vous à moi, 1892

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musée taillés dans un écrin, éclairés, contextualisés... Nous les appelons stéréotypes, ou clichés et dessinent une carte réductrice du monde touristique. Il est alors nécessaire de se pencher brièvement sur l'histoire du tourisme afin de comprendre ce caractère d'images mentales extrêmement synthétiques et primaires d'une ville, résumée mentalement à un ou plusieurs édifices. Le tourisme résulte de divers facteurs que je tenterai d'éclaircir brièvement dans ces prochaines lignes. En effet, le tourisme, dans le sens d'effectuer des voyages d'agrément, au simple but de rompre la monotonie du quotidien, une activité en dilettante 30 provient d'une multitude de changements à la fois, historiques, géographiques et économiques de l'Europe occidentale. Le tourisme, autrefois réservé à une faible proportion de nobles, dont leur curiosité était réduite au rang d'une oisiveté grotesque, changea rapidement de public et devint peu à peu, l'occupation privilégiée d'une grande diversité de catégories de populations, plus ou moins instruites. Les hommes ont toujours voyagé, mais il s'agissait davantage de mouvements des flux migratoires, pèlerinages religieux, de grands navigateurs à la recherche de nouvelles terres à découvrir mais aussi à coloniser. Il s'agissait d'une manière d'établir un empire puis l'étendre au moyen de conquêtes et échanges commerciaux. Or, "les curiosités et l’éventuel plaisir de la pérégrination ne sont alors que des à-cotés du voyage, et non sa raison d'être" 31 Ce nouveau loisir, passe-temps des plus fortunés dans un premier temps s’installe naturellement au sein de l'Europe du XIXe siècle, berceau du colonialisme, influent du monde où son histoire semble s'échapper au delà de ses propres limites pour embrasser la terre entière. Bien que très affaiblie par la succession d'invasions barbares de l'antiquité à la fin de l'Empire romain, et au Moyen-Age; la faiblesse de sa superficie au regard de l'Asie, sa civilisation plus jeune par rapport aux vieilles Égypte, Inde ou Chine, l'Europe rayonne du fait de son caractère libéral, aventurier, et sa propension aux nombreuses révolutions politiques, techniques, économiques. Une "disponibilité d'esprit" 32 nécessaire pour la grandeur de la nation, où se substituent forces militaires par forces du génie et l’intellect.

30. Tiré de la Lexicologie et de l'Etymologie -Tourisme- du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales www.cnrtl.fr 31. Stéphane Lecler, Une histoire du tourisme. D'un luxe de riches à un loisir de masse, Alternatives économiques n°271 - juillet 2008 32. René Rémond, Introduction à l'histoire de notre temps 2. le XIXe siècle 1815-1914 - éditions du Seuil p. 211

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Cette ouverture d'esprit s'alimente par le tourisme naissant, apparu au XVIIe siècle dans l'aristocratie anglaise férue de bains de jouvence, et terrains de sports que représentaient la mer et la montagne autrefois hostiles. C'est réellement deux siècles plus tard, qu'apparaissent les premiers codes du tourisme d'aujourd'hui. Par le développement des transports, l’embourgeoisement de la population, on s'adonne aux plaisirs de la découverte des colonies, à la recherche du bien-être et du dépaysement. Les badauds suivent ainsi des itinéraires balisés nécessaires à la vénération de sites célèbres dessinant alors une géographie sociale sans cesse réinventée33 par les destinations se déclinant selon les classes et les saisons, fait particulier de nos sociétés contemporaines. Ces destinations sont alors suggérées par une multitude de guides touristiques qui envahissent les librairies, ou les publicités qui se livrent à la promotion des nations. Ces dernières, placardées de l'abri bus aux transports sous-terrains, rythment nos quotidiens d'images subliminales invitant à parcourir le monde. Ces images, ce sont souvent les monuments caractéristiques que le pays donne à voir : une architecture iconique, symboles fondateurs témoins du génie créatif de l'humanité34 - entre icône (par son statut quasi-religieux - tant elle s’élève comme une relique au dessus d'un autel) et emblème (par son esprit auto-promotionnel et sa dimension identitaire) c'est, en conséquence, un logo servant de repère, que l'on nomme alors Landmark35, emprunté à l'anglais, car il s'agit d'un signe renvoyant instantanément à des références géographiques précises. Généralement, l'image se suffit à elle-même pour visualiser la destination pour laquelle elle fait la promotion. Elles imagent36 le territoire. Ce sont toujours les mêmes qui reviennent dans les dépliants d'agences de voyage, les cartes postales, les boutiques de souvenirs à la profusion du monument favori, l'élu de tous les cœurs, confinés dans des boules à neige, imprimés sur des tasses, gravés sur des aimants...

33. Stéphane Lecler, Op. cit. 34. Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, Op. cit., p. 21 35. Point de repère, ou monument en anglais que l'on pourrait traduire littéralement par "marque du territoire" 36. Maria Gravari-Barbas, Marque d'Architecte, Marques de Musées, L'architecture médiatique en tant qu'outil de positionnement touristique urbain, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - p. 4

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Land marks

/////////////////// Quelques exemples

publicités, illustrations et souvenirs d’hier et d’aujourd’hui

Des ciseaux « Tour Eiffel » vendus dans quelques boutiques de souvenirs de la capitale cotoyant les nombreuses tours eiffels minaitures

2.

1.

L’Opéra de Sydney - pour Sydney «American Airlines : New-York to Sydney / Sydney to New-York », Campagne publicitaire par Publio Santander T. (2007). Cette publicité entretient le rapport étroit établit entre la l’image de la pomme de New-York (The Big Apple City) et Sydney dont la structure indédite a été concçue à l’aide de quartiers de pomme.

3.

Le Taj Mahal - pour l’Inde

« Incredible India », Campagne publicitaire par V. Sunil (O&M Delhi) et Amitabh Kant, Co-secrétaire du Ministère du Tourisme (2002 -2003)

4.

Le Parthénon - pour la Grèce «We are expectiong you in Greece » Campagne publicitaire par Up Greek Tourism (2012) diffusé sur de nombreux journaux anglo-saxons Le guide du (CNN, The New-York Times, The guardian, BBC, Routard 2015The Wall Street Journal) Hachette - Le Colisée pour Rome

5.


7.

La tour de Pise - Italie T imbre, Poste Italiane (1973) 6.

La Cathédrale Saint-Basile - pour Moscou « New-York direct to Moscow » Affiche publicitaire pour Sabena, ancienne compagnie aériene belge (1960)

Le Big Ben pour Londres «Southern Railway Londres et l’Angleterre » Lytographie, imp. Waterlow (1925) 9.

8.

Le Crystal Palace, l’Empire Sate Building et la statue de la liberté - pour New-York Boule à neige à vendre dans de nombreuses boutiques de souvenirs de New-York. 10.

Le musée Guggenheim de Bilbao - pour l’Espagne. «Souriez ! Vous êtes en Espagne.» Campagne publicitaire touristique (2005)


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Mais d'où vient ce succès pour ces architectures singulières ? Celles-ci sont classées, entretenant entre elles un rapport d'échelles et de valeurs. Souvent, elles surplombent les cartes touristiques envahissent tour à tour les esprits, aussi différents les uns que les autres, aux goûts et affects disparates. Ce phénomène de catégorisation, ou bien de palmarès remonte, étonnement, à l'antiquité tardive, et se poursuivra jusqu'à aujourd'hui. En effet, l'affection pour le beau à travers des sites et édifices célèbres se ressent déjà à l'ère antique. L'étude des belles formes était une pratique courante, dont certains, comme Philon de Byzance rédigèrent des listes d'architectures remarquables. Les sept merveilles du monde 37, compilées par l'historien antique Hérodote et le poète Callimaque au Ve siècle sont retranscrites comme des curiosités. Ce sont alors des œuvres architecturales qui sont l'objet de sensations, elles témoignent de la "variété des arts [...] de la domination de l'homme sur la matière, rivalité avec la nature dans la grandeur, et, au delà, une recherche spirituelle" 38 Bien plus tard, Le Grand Tour fut le devoir de tout jeunes gens instruits des hautes classes des sociétés européennes du XVIe au XVIIIe siècle : ce grand voyage fut l'apanage des plus talentueux et constituera, entre autres, une source d'espoir pour la relève artistique et architecturale des patries. Naturellement, les jeunes prodiges furent envoyés en Italie, en France et en Grèce, puis plus tard en Turquie (plus rarement en Germanie) afin de relever avec grand soin les vestiges antiques grecs et latins composant les fondations de la civilisation européenne. Par ailleurs, les envois de Rome, organisés sous le joug du pouvoir monarchique dès 1666 au sein l'Académie royale de France, au temps de Colbert, 39furent l'occasion pour les lauréats du grand prix de parfaire leur éducation par la restitution des objets architecturaux jugés les plus beaux, du Colisée de Rome à la cathédrale Sainte Sophie de l'ancienne Constantinople. Ainsi, "Ni Rome, ni Naples, ni Athènes ne pouvaient être remplacées par une ville autre dans l'imaginaire des premiers touristes. Leurs ressources culturelles leur accordaient un caractère unique" remarque Maria Gravari-Barbas. 40 Cependant, ceci n'est pas un caractère propre aux mentalités européennes occidentales ; au Japon, Philippe Bonnin, dans son ouvrage "Le goût des belles choses"41, nous apprend 37. La liste canonique de Philon au IIème av. J-C énumère la pyramide de Khéops, les jardins suspendus de Babylone, la Statue de Zeus à Olympie, le temple d'Artémis à Ephèse, le mausolée d'Halicarnasse, le colosse de Rhodes, le phare d'Alexandrie. Celui-ci indique qu'il entend par "merveilles" plus la prouesse technique que des critères esthétiques. Seule la pyramide de Khéops est encore visible de nos jours. Archives du centre national de documentation pédagogique - Les sept merveilles du monde - introduction www.cndp.fr/archivemusagora/merveilles/merveillesfr/introduction.htm 38. Archives du centre national de documentation pédagogique - Les sept merveilles du monde - introduction www.cndp.fr/archivemusagora/merveilles/merveillesfr/introduction.htm 39. Cécile Reynaud, "Introduction.", Romantisme 3/2011 n°153, Éditions Armand Colin, Dunod, p.3-9 40. Maria Gravari Barbas, Marque d'Architecte, Marques de Musées, L'architecture médiatique en tant qu'outil de positionnement touristique urbain, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - p. 4 41. Philippe Bonnin, Le goût des belles choses, Ethnologie de la relation esthétique, Paris, Édition de la maison

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Meisho-ki 11.

Meisho-ki, Anonyme, 1768, « Shinpan Yoshinoyama meishoki », gravure sur bois Japanese historical maps - East Asian Library - University of Berkeley, California, www.luna.davidrumsey.com

Meisho-e 12.

kM e i s h o s

Meisho-e, Utawa Hiroshige 1860, époque d’Edo « Sugura Hara no fûkei », Vue d’Hara en province de Sugura, gravure sur bois Museum of fine arts, Boston www.mfa.org

////////////////// Ancêtres de nos guides touristiques

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Envois de Rome /////////////// naissance de stéréotypes

13.

Henri Prost, envois de Rome de 3e et 4e année, « Restauration de Sainte Sophie à Constantinople », 1905-1907. Coupe longitudinale du projet de restauration de l’église, le soir du couronnement de Théodora. Encre, lavis et aquarelle.  Fonds Henri Prost. Académie d’architecture/Cité de l’architecture et du Patrimoine/ Archives d’architecture du XXe siècle. Collection de l’Académie d’architecture. www.citechaillot.fr

14.

Constant Moyaux, envois de Rome, « Le Tabularium » de Rome, projet de restauration - 1865-1866 Université de Caen, Le plan de Rome, restituer la forme-Les envois de Rome - www.unicaen.fr 15.

Abel Blouet, envois de Rome, « Les thermes de Caracalla », existant et projet de restauration - 1826 Université de Caen, Le plan de Rome, restituer la formeLes envois de Rome - www.unicaen.fr


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C'est alors, que naissent les concepts de stéréotypes et clichés énoncés précédemment. Ces deux termes, encore issus du vocabulaire de l'imprimerie et de l'univers typographique 43, se définissent par la succession images, comme ces moules anciens destinés à reproduire par centaines images et récits, et "opinions répétées sans avoir été soumises à un examen critique, par une personne ou un groupe, et qui détermine, à un degré plus ou moins élevé, ses manières de penser, de sentir et d'agir."44 Ces architectures sont ainsi réduites à une sorte d'étiquette, un autocollant visible dans tous les esprits. Il est certain, c'est un mécanisme primaire, indépendant de toute volonté, spontanéité, envahissant certaines situations."Un emblème fonctionne comme une icône de territoire. Cette icône lorsqu'elle est vue, permet de dire, comme la tour Eiffel, non seulement : ça s'est à Paris, mais ça c'est à Paris". 45 Le stéréotype est ainsi l’œuvre d'une unité devenue indécomposable, elle est le symbole réducteur d'un territoire. "Le stéréotype, c'est le mot répété, hors de toute magie, de tout enthousiasme, comme s'il était naturel, comme si par miracle ce mot qui revient était à chaque fois adéquat pour des raisons différentes..." s'insurge Roland Barthes. 46 Les stéréotypes semblent s'élaborer naturellement, leurs formations sont le besoin de tout individu, car l'image connue au préalable rassure et sont d'incroyables points d'accroches. En absence d'architecture, l'homme est vulnérable. Le désert en est l'exemple le plus parlant, il apparaît comme le milieux hostile d'excellence : la monotonie de son paysage rend l'homme faible, dépourvu de sens moral. L'architecture, du moins les éléments singuliers composant un paysage agissent comme les balises de l'humanité. En effet, une enquête à la demande du M.I.T, menée par les urbanistes Kevin Lynch et Don Appelyard demandaient à des conducteurs de décrire ce qu'ils avaient retenu de leur voyage sur l'autoroute de Boston à Cambridge. Étonnement, très peu d'individus ont évoqué les véhicules mais les ponts, passages, et édifices comme pour y construire un contexte particulier à leur trajet. Les infrastructures et le bâti sont les pièces isolées d'une mosaïque urbaine, la route en est le joint.

43. "Souvent sous la forme abrégé stéréo, cliché métallique en relief obtenu, à partir d'une composition en relief originale (caractères typographiques, gravure, photogravure, etc.), au moyen de flans qui prennent l'empreinte de la composition et dans lesquels on coule un alliage à base de plomb." - Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales - définition Stéréotype, www.cnrtl.fr/definition/stéréotype La stéréotypie est définie dans le Dictionnaire Larousse comme : " une branche de la clicherie (atelier d'impression typographique) qui permet la multiplication de formes et textes et de clichés typographiques par moulage à partir d'une matrice. "La stéréotypie est ainsi la parente de la machine à écrire l'ancêtre de l'imprimante d'aujourd'hui. 44. Ibid., Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales - définition Stéréotype, www.cnrtl.fr/definition/stéréotype 45. Lussaut, L'homme spatial, 2007, p. 173 46. Roland Barthes, Le plaisir du texte , 1973, p. 69

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Kevin Lynch, dans L'image de la cité47 affirme que l'image en architecture dépend de trois critères : l'identité (de l'individualité à l'unicité), la structure (spatiale et paradigmatique), puis la signification (émotive ou pratique). En tant qu'urbaniste éclairé, Lynch estime que le critère fondamental de la formation d'une ville passe par l'image commune qui se formera dans tous les têtes. Cette image se comporte comme le pivot de la vie urbaine auquel tout s'articule : orientation, identitaire, appartenance en sont ses maîtres mots. Le phénomène touristique a transformé l'habitus d'admiration du monde en marché vulgaire de clichés, cette tradition esthétisation de nos cultures par l'architecture se transforme peu à peu par un tourisme envahisseur. Dans cette mouvance globale où il n'y a plus de limites, chacun est citoyen du monde. D'hier et d'aujourd'hui l'image du touriste semble entachée de ce réflexe de réduction d'une ville ou d'un pays à un seul objet. Ce sont des"pèlerins modernes qu'aucune foi n'anime" selon Jean-Didier Urbain, sociologue. Le touriste des temps modernes a bon dos, dont sa réputation ne cesse de fléchir: superficiel, on lui reproche son comportement grégaire qui dessine la carte du monde se présentant dorénavant comme une véritable ménagerie architecturale, un cabinet de curiosités sans âmes. Ces critiques acerbes du touriste actuel s'explique par de violentes réactions face à la provocation du postmodernisme ou de l'internationalisme architectural allié d'un nouveau tourisme, porté par l'essor des transports bon marché, de la numérisation du monde à portée d'un clic, d'un hédonisme de masse. C'est un loisir visuel, les photographies d'anonymes par milliers ayant remplacé les envois de Rome de l'élite. Par là, le synonyme en langue anglaise"sightseein" (vues de sites) de tourism prend tout son sens. Les sites, et les architectures les composant donnent à voir, - la visibilité prime au dessus de l'usage.

47. Kevin Lynch, L'image de la cité, Paris, Dunod, 1960

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1.3 /////// Les Dreamlands ou architectures de l’œil Le monde touristique est dorénavant perçu comme l'afflux d'une masse d'individus à la pluralité d'esprits, d'humeurs, de visions et d'aspirations. Il se nourrit de clichés, naissants par ce nouveau monde où tout est vitesse. Nous sommes à l’affût de la moindre information, d'anecdotes croustillantes, dépendants de l'émotion, des sensations. Ainsi, l'architecture se doit de traduire ces nouveaux besoins. Le monde actuel est un grand jeu auquel l'individu se plaît à déambuler dans un univers coloré d'architectures lisses et extrêmement significatives. Le monde doit plaire à tout le monde, un monde au public sans cesse élargi. Les belles lettres stéréotypées ont ainsi laissé place à une sérialisation architecturale sans cesse réinventée. Les dreamlands, ou bien mondes merveilleux et parallèles ont toujours été le moteur d'avancées architecturales, cependant, elles n'ont jamais été aussi proches du but. Est-ce le produit du progrès ? Ou bien le fruit de sociétés qui savent oser ? Il s'agit probablement un peu des deux. Nous sommes bien loin de ce Paris ou Londres du XIX e siècle, celui qui recevait en grandes pompes de majestueuses Galeries des machines, et Palais de verre. Cependant, nos territoires en gardent de nombreuses traces. Destinées en premier lieu à un public éclairé, son évolution vers un esthétisme global d'une nouvelle modernité, échéance de compétitions entre les nations, gagneront le cœur des anonymes ignorants et serviles. La Tour Eiffel est sûrement le premier type architectural qui rassemblera le monde autour d'un même spectacle. Cette tour, destinée que pour être vue, - aura comme seul programme le symbole patriotique du génie industriel à la fois architecte et ingénieur de l'exposition universelle de 1889. On peut la nommer "prototype" moderne du symbolisme patriote. On lui attribuera plus tard des rôles laconiques, de laboratoire de mesures et expériences scientifiques en tout genre, de paratonnerre à antenne relais de radio puis de télévision... il était inconcevable qu'une telle tour ne serve pas. Adorée ou méprisée, la polémique sera l'élément déclencheur de son succès. Elle sera désormais dans toutes les têtes, définitivement et étroitement liée à son territoire et ses sujets. Égocentrique, et narcissique, elle va être le miroir d'une architecture tournée vers elle même, elle est une expérience, celle de l'ascension, de la vue panoramique. En 1889, ce rêve d'une forme alors dénuée de tout style ou plutôt de catégorisation, vient à la réalité. La Tour Eiffel figure comme la réalisation des folles aspirations, la rêverie architecturale rendue concrète, un phénomène porté par l'ouverture technique et architecturale qu'offre l'ambition des Lumières. Du jamais vu, à la vue de tous. Autrefois, du temps de Claude Nicolas Ledoux ou de Étienne-Louis Boullée, les hommes recherchaient la pureté dans la forme, à l'influence Platonicienne - éprise dans des formes parfaitement rondes, d'essence divine, à l'image des astres. Il s'agit d'un esthétisme avant31


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gardiste de la fin du XVIIIe siècle poussé par le rejet du baroque, où l'on estime qu'il faut substituer la vérité au caprice.48 On leur attribuera le statut de visionnaires, quelque peu fous, où les œuvres comme comme le Cénotaphe de Newton 49, au symbolisme primitif, influencé par les monuments égyptiens. Ce soudain enthousiasme pour l'archéologie antique (et surtout mythique), bercé par la "globomanie"

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en vogue, s'explique par la volonté d'exprimer la

pérennité de l'architecture par des formes et proportions capables de défier le temps. En effet, la sphère offre selon Boullée "la perception la plus évidente des corps", qui, à travers la symétrie, la variété et la régularité, sa dégradation est vouée à l’échec : le dépouillement de la forme architecturale contribue à sa grande conservation et empêche toute altération optique au fil des ans. Elle s’offrira toujours parfaite à nos regards. C'est ainsi le début d'une pratique sensualiste des arts, détachée de tout ordre et règles absolues, genèse du formalisme, entreprenant une timide réflexion sur la copie obsessionnelle des ordres antiques. Ce fut, en quelque-sorte, l'invention des premiers logos, emblématiques d'une architecture des humanistes, signifiant l'homme par une forme épurée la liant à son territoire. Cependant, en matière d'architecture, l'ambition utopiste restera couchée sur le papier, à l'époque encore tributaire de codes classiques indispensables pour s'imposer en société. Nous pouvons parler d'utopie dans la façon de charger l'architecture de contenus théoriques, lui donnant une dimension idéale, proposant des modèles formels étrangers à la diffusion des styles. Franco Borsi parle de l'"utopie géométrique de la forme" propre chez Ledoux ou Boullée, et détournée des songes oniriques de Piranèse qualifiés d'"utopie antique". 51 Il n'y a plus là de projet social comme on l'entend chez de nombreux écrits philosophiques ou dessins délirants d'architectes en tout genre, mais un projet critique résumé à une seule forme d'ensemble. L'utopie de Ledoux résidait dans l'invention des types ou modèles idéals52, Boullée les retravaillait systématiquement. (Illus. p 34) Les expositions universelles sont les figures pionnières des Dreamlands, sortes de villes

48. Franco Borsi, Architecture et Utopie, Editions Hazan, 1997, p. 38 49. Le Cénotaphe de Newton rend hommage à l'une des plus grandes figures du siècle des Lumière, morte en 1727. Louis Etienne Boullée, conçoit à cette occasion un monument funéraire à l’effigie de sa grandeur en matière d'astronomie et de physique. Ce fut une incroyable innovation, excepté l’œuvre de De Wailly pour les frères Montgolfier. Bibliothèque Nationale de France, Exposition Etienne-Louis Boullée, Arrêt sur les monuments funéraires. www.expositions.bnf.fr/boullee/arret 50. Terme utilisé par le satiriste Rivarol pour qualifier l'engouement soudain pour la sphère ou ballon aérostatique suite au Salon des globes de la Bibliothèque royale exposant les imposantes sphères de Coronelli pour Louis XIV. www.expositions.bnf.fr/boullee/arret 51. Franco Borsi,Architecture et Utopie, Editions Hazan, 1997, p. 39 52. Claude Nicolas Ledoux imaginait par une conjugaisons de prismes ou de sphères l'habitat futur. Franco Borsi explique qu' "il est habituel de voir dans ses séries de gravures [...] une concrétisation architecturale des idées maçonniques, dans sa géométrie primitive et symbolique" contrairement à Etienne-Louis Boullée qui était essentiellement marqué par ses projets animés par la foi ou guidé sous l'autorité du pouvoir pour justifier son œuvre.

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utopiques rendues réelles et qui semblent fonctionner dans un entre-soi. Ils se définissent en premier lieu comme des univers clos dans lesquels tout est possible. Le recours systématique à la représentation, l'architecture parlante et l'esprit de géométrie sont le credo de ces architectures. "C'est une façon de dessiner la "vision" de l'architecture qui est toujours, même graphiquement, identique à elle-même, toujours portée au même degré de détermination cosmique. Le projet est considéré en dehors de tout contexte sans que l'image renonce à son efficacité." 53 Nous pouvons citer divers modèles de sites à la fois utopiques et bien réels : les expositions universelles, les parcs et villes thématiques comme Disneyland, Las Vegas ou encore Macao, puis, plus récentes les nouvelles métropoles misant sur le capital du tourisme luxueux des pays du golf, telles que Dubaï, Doha, Abu Dhabi ou même Astana. (illus. p. 39) Dès 1889, les expositions universelles évolueront tour à tour en direction d'un nouveau modèle venu tout droit de l'imagerie fantasmagorique du dessin animé - Disneyland. Un jeu de concurrence établit entre Londres et Paris dès 1851 va voyager au delà du vieux continent et ses colonies, qui synthétisera peu à peu le monde en échantillons d'architectures pittoresques. Ainsi, porté par le succès et le mythe de la tour Eiffel, personnifié en Dame de fer veillant sur Paris, les villes organisatrices des expositions universelles vont, peu à peu, à l'image de Ledoux et Boullée, s'emparer d'une certaine neutralité de la forme géométrique et élémentaire pour signifier aux yeux de tous. De prime abord, ces architectures ne se conçoivent plus pour l'usage mais pour le regard. Walt Disney, lors de la création du premier parc à Los Angeles, imagine une architecture du réconfort. Les américains soucieux du monde meurtri par les guerres, crises économiques et politiques, aspirent à une image rassurante par des volumes, formes et symboliques de l'univers fictif et merveilleux de Mickey. Dès lors, ses "imagineers" créent une nouvelle forme d'architecture faisant appel à la mémoire collective. En effet, lors de la présentation du projet en 1955, il confiait que "Disneyland serait l'essence même de l'Amérique telle que nous la connaissons... la nostalgie du passé, les défis exaltants du futur." 54 En voici donc l'image historiciste qui caractérisera la ville dès les premières sensations vécues au sein des attractions de Disneyland, particulièrement aux États-Unis.

53. Franco Borsi, Op. cit., p.42 54. Karal Ann Marling, L'architecture du réconfort, les parcs thématiques de Disney, Communiqué de presse du Centre canadien de l'architecture - www.cca.cp.ca , p.3

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16.

Merveilles archi tecturales

/////////////// utopies et exposition creuset d’idées, de symbolisme & d’innovation

Etienne Louis Boullée, « Cénotaphe de Newton » , 1784 - Franco Borsi, Architecture et Utopie, L’utopie des Lumières, Hazan, Paris, 1997, p. 98-99

17.

Claude-Nicolas Ledoux, «Vue perspective de la maison des gardes agricoles de Mauperthuis », vers 1780. - Franco Borsi, Architecture et Utopie, L’utopie des Lumières, Hazan, Paris, 1997, p. 102

18.

Neurdein frères, « La Tour Eiffel », tirage sur papier albuminé, BnF, Estampes et Photographie, 1900 Expositions universelles, photographies de Neurdein, tome 3. www.expositions.bnf.fr

19.

Affiche « Grand globe céleste. Exposition Universelle de 1900 » Paul Dupont, Paris, 1900 BnF, www.gallica.bnf.fr


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L'homme cherche à se sentir mieux et en confiance en se rappelant ses origines, enjolivées par l'architecture. Par ce procédé, Walt Disney assume son postulat de clichés apaisants, précurseur du post-modernisme. Nous ne pouvons pas citer le post-modernisme sans les provocations de Robert Venturi et Denise Scott Brown, à l'égard de l'hypocrisie d'un modernisme iconophobe ambiant. Dès les premières lignes de L'enseignement de Las Vegas, un manifeste grinçant, ces derniers relèvent l'argument paradoxal du moderniste représentés par Le Corbusier, le Bauhaus, ou bien Mies Van Der Rohe. Effectivement, ils ironisent au fait qu'ils utilisent inconsciemment des analogies, des symboles et images pour projeter. "Les premiers architectes modernes s'approprièrent sans beaucoup l'adapter un vocabulaire industriel conventionnel existant. Le Corbusier aimait les silos à grain et les paquebots; le Bauhaus ressemblait à une usine; Mies épura des détails des aciéries américaines qu'il utilisa dans des bâtiments en béton"'55 Il est évident qu'il est impossible de concevoir sans images au préalablement vécues, bien qu'ils désapprouvent ces "déterminants de leurs formes sauf la nécessité structurale et le programme"'56 A l'ère de l'internationalisation, du monde constitué de voyages et de transports, l'image doit être produite dans une interaction entre l'individu et le lieu comme le démontre Kevin Lynch lors de ses expériences à Boston :"l'image était essentielle à la fois à leur formation actuelle et à leur bien-être émotionnel" 57 Nous pouvons, de ce fait, rapprocher les expériences de Lynch avec le Strip de Las Vegas minutieusement analysé des Venturi, dans la mesure où la route demeure un élément majeur dans la mise en place de signes éclectiques stimulant l’œil du conducteur. Le facteur vitesse du visionnage des formes, véhiculé par l'automobile est alors un enjeu primordial à prendre en compte dans toute conception architecturale. Cette nouvelle culture du déplacement favorise une architecture vulgairement "iconique" et pleinement assumée par ses auteurs. Au triomphe du kitsch, les bâtiments bordant la célèbre avenue de cette villecasino, sont de réels logos communiquant explicitement avec le public. Des Canards, en référence à une rôtisserie de canards The Long Island Duckling, en forme de canard géant et imposant fait ainsi office d'enseigne : " l'espace, la structure et le programme sont subordonnés et déformés par une forme symbolique d'ensemble"

58

- l'architecture est

consommable - tandis que les Hangars décorés se caractérisent par "l'espace et la structure

55. Robert Venturi, Denise Scott Brown, Steven Izenour, L'enseignement de Las Vegas ou le symbolisme oublié de la forme architectural, Architecture + Recherches, Edition Pierre Mardaga, p.17 56. Ibid., p.17 57. Richard Sennett à propos de Kevin Lynch, propos receuillis par Thierry Paquot et Bernard Ecrement, Paris, novembe 1994, p. 3 58. Robert Venturi, Op. cit., p.

35


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directement mis au service du programme, où l'ornementation est appliquée en toute indépendance"

59

. La rue se présente comme une page de publicité à la télévision, les

enseignes défilant à toute allure et rythmant les trajets par une architecture de persuasion. Une combinatoire s’exécute alors entre le type et l'image : "Le type se réduit à l'image ou plutôt l'image est le type" 60 Entre écrans et sculptures historicistes, Las Vegas s'annonce comme un o.v.n.i urbanistique, débarquant ses extraterrestres

architecturaux, sillonnant çà et là le Strip, monotones et

répétitifs, envahissant le désert de Mojave sans difficultés apparentes. Le succès de Vegas est dû en grande partie par la singularité, ou bien ses multitudes de singularités qu'ornent le paysage urbain. Nous y voyons une petite Venise, une Tour Eiffel, un Manhattan condensé, des temples de Karnak (voir illustration) ... le monde résumé en quelques kilomètres carrés. L'architecture est le moyen d'attraction, où la ville du jeu est elle même un jeu se déroulant sur et au delà du Strip, où tout prête à la folie architecturale et aux pastiches au sein du royaume extravagant du mauvais goût. La façade des modernistes s'est affranchie des contraintes structurelles afin de s'exprimer au travers de compositions les plus abstraites, en revanche, celle des post-modernes capitalise sur cette autonomie pour en faire un outil de communication imposant. Alors que prône l'articulation entre forme et fonction chez les Whites (désignant d'un ton farceur, les modernistes, ou puristes résumés à la blancheur immaculée de leurs réalisations) , les Greys (les post-modernes farouchement opposés au modernes) jouent d'images et de messages par la surabondances de signes stylistiques, utilisés à outrance. L'architecture fut trop longtemps un art élitiste et ennuyeux, incompris des passants - la pop architecture rétablit une tradition iconologique, donc lisible et évidente pour Venturi. De plus, celui-ci propose une grande leçon architecturale aux plus sceptiques, un divertissement pour les plus indifférents, une destination lointaine pour les plus curieux. Tous les codes, tous les styles sont ainsi permis afin de se familiariser à l'architecture : du baroque, du néoclassique, ... mais aussi une invention de styles hybrides dans un croisement de styles locaux, fétichistes, ou même issus d'un certain vocabulaire propre au modernistes. Nous y trouvons, à titre d'exemple, du "Miami Morrocan", du "Bauhaus Hawaiin", de l'"International jet set style" ou du "Niemeyer Moorish" dans ces complexes de casinoshôtels, travestissements tous plus farfelus les uns que les autres.

59. Robert Venturi, Denise Scott Brown, Steven Izenour, L'enseignement de Las Vegas ou le symbolisme oublié de la forme architectural, Architecture + Recherches, Edition Pierre Mardaga, p. 60. Rafael Moneo rapporté par Valéry Didelon dans L'architecture crève l'écran, Criticat n°5, mars 2010, p. 112 Rafael Moneo, On typology, Opposition n°13, 1978, p. 39

36


201

20.

Sur 22.

le

b

Strip

/////////////// La principale avenue de Las Vegas, : canards, hangars, échantillons du monde.

23.

24.

25. 26.

« The Long Island Duckling » Le canard, bâtiment-enseigne

Le hangar décoré, grande enseigne, bâtiment neutre

27.

Images tirées de « L’enseignement de Las Vegas » Scènes de route reproduites de God’s Own Junkyard R. Venturi - D.Scott - S. Izenour

28. Carte touristique du Strip de Las Vegas, juillet 2007


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La société du spectacle de Guy Debord apparaît comme un réquisitoire virulent de nos sociétés marchandes. Révolté du conformisme des Trente glorieuses, il s'exprime en militant situationniste à la veille de mai 68 :"Sous produit de la circulation des marchandises, la circulation humaine considérée comme une consommation, le tourisme, se ramène fondamentalement au loisir d'aller voir ce qui est devenu banal. L'aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la garantie de leur équivalence. La même modernisation qui a retiré du voyage le temps, lui a aussi retiré la réalité de l'espace."

61

De cette manière, Guy Debord, figure anticapitaliste, s'indigne du ton post-

moderne prenant de l'ampleur aux heures prospères et insouciantes du monde d'après-guerre. Cependant, malgré sa vision pessimiste, il y prédit l'avenir qui est bel et bien réel aujourd'hui : une certaine aliénation des territoires générée par cette architecture-média. Las Vegas comme son homologue Macao, sont ces villes dominées par un tourisme à la fois populaire et privilégié, s'exposant de milles feux comme des cités de tous les possibles et de toutes les fortunes. Ces mondes clos par leur positionnement géographique ou géopolitique s'élabore comme une île au milieux des océans. Au milieu de nulle part, un terrain vierge propice aux idées les plus folles. Las Vegas s'est considérablement développé au Nevada, État d'un des plus désertiques et arides du pays tandis que Macao anciennement portugais, à pu évoluer vers une culture capitaliste du jeu, que la nation communiste chinoise n'aurait pas permis. Ces deux modèles de villes jeux, concrétisations d'utopies ancestrales influenceront le monde de leur aura caricaturale et symbolique dominée par l'argent. Telles seront les métropoles du golf, gisant des dunes de sable pour s'attirer les touristes les plus fortunés à la recherche de chaleur et d'un luxe sans précédent. Dubaï, Doha, Abu Dhabi sont les vitrines de la richesse fulgurante de ces nations. Elles affichent des "skylines" formées par le positionnement des tours défiant l’ingénierie sur une même avenue, à l'image du vieux Strip de Las Vegas. Ces tours forment, par conséquent un ensemble fantasmagorique où l'homme pénètre d'un œil émerveillé. A l'allure futuristes, ces formes, parfois hasardeuses transforment l'accidentel en essentiel, une distraction pour le regard. "Le stéréotype cache, et montre, le passage du type au prototype" 62 Nous considérons alors la plupart des métropoles contemporaines héritières de ces villes chargées de singularités, riches de formes et de sens, où le bonheur est religion. Elles envoient méthodiquement des signaux visuels, à des fins marketing et touristiques.

61. Guy Debord, La société du spectacle, Paris, 1967, chapitre 7 : l'aménagement du territoire, p. 42 62.Alberto Abruezzese, Antonio Rafele, Dreamlands. La ville comme ruine, comme mémoire, Sociétés, n°111, 2011, p.13

38


Abu Dhabi - Emirats Arabes Unis

29.

27.

Etihad Tower (2011)

Doha - Quatar

Burj Doha Tower par Jean Nouvel - au centre (2005-2012)

30.

Astana - Kazakhstan

31. 32.

33.

DubaĂŻ - Emirats Arabes Unis

Burj Khalifa (2004-2010)

34.

Las Vegas- Etats-Unis

N

Dream l a nds

Macao - Chine

Grand Lisboa Casino-Hotel (2006-2008)

////////////// Le pĂŠtrole et les jeux Entre pastiches et symbolisme


- Vers une architecture logo -

"L’œil est devenu notre organe sociologique" 63annonce Richard Senett, expliquant que dans nos régimes d'indifférence sociale, la plus grande part d'information nous vient par les yeux, dans la manière où, dorénavant, les images supplantent les mots. L'architecture, par la banalisation du monument introduite par les Dreamlands,"la géométrie élimine les "accidents" de l'histoire, les métamorphoses esthétiques." La pierre est désuète, elle ne parvient pas à communiquer. Stérile, elle représente l'austérité esthétique dépourvue de langages spontanés, une obéissance servile aux ordres qui ne signifie rien vis à vis d'une architecture, ou bien même d'objets à caractère fétichiste façonnés dans une échelle monumentale, aux goûts et tendances d'un bref moment. L'ancien est simplifié, réapproprié, formant un patchwork d'identités visuelles et dénigrant l'espace par l'image. Les métropoles mondiales sont, de nos jours, le terrain d'application du post-moderne, parfois hangar, parfois canard. A l'opposé des villes du "vieux monde" hiérarchisées en classes, à la modénature faite d'ordres; la masse de la ville moderne entraîne une cohésion sociale autour de totems, et rituels communs, ils se pensent en tant logos marqueurs de ville à la fois icône et emblèmes. La mondialisation entraîne cette intersubjectivité libérée du carcan des classes, élites et masses formant un tout, "attirée par la sphère intime et profonde du sentir, de la réalisation d'illusions, rêves et désirs, de la nécessité de "vivre intensément". 64 Que ce soit beau ou laid, du moment qu'on en parle, l'architecture deviendra plus que jamais l'objet indispensable de tout pays pour se créer une place sur la scène internationale. Les architectures sont des destinations, le monde est une foire. Des fêtes versaillaises de Louis XIV aux Salons, des expositions universelles de Paris du XIX e à Shanghai du XXIe siècle, de Las Vegas à Macao, de Dubaï à Doha, ces villes dont leurs seules fondations reposent sur le rêve, ont considérablement et durablement changé nos rapports à l’architecture. D'un élément patriotique de reconnaissance territoriale, elle est devenu l'objet de tendances esthétiques, culturelles, commerciales où l'on doit concilier local et global, mémoire et innovation. "Usine, transports, foule, constructions, presse, photographie, illustrations, passages, romans, blasé, distraction et plaisir, conscience et mémoire, publicité, expositions, boutiques, vitrines, collectionneurs, flâneur, modes, consommation, parti et mouvements sociaux.." 65 sont les composants de nos métropoles modernes actuelles, l'architecture y est alors le miroir. Elle propose dans ces métropoles mondiales un système de vie alternatif, objets " de délire comportemental et perceptif dû aux incessants flux humains et matériels : à des communautés motivées par la faim, l'aventure, l'émancipation, la recherche de la richesse ; à des individus 63. Richard Senett, La conscience de l'oeil, 2009 64. Alberto Abruezzese, Antonio Rafele, Op. cit., p.14 65. Ibib., p.13

40


66

35. « Recommandation pour un monument » R. Venturi / Denise Scott Browm / Steven Izenour, L’enseignement de Las Vegas ou le symbolisme oublié de la forme architecturale Edition Architecture + Recherches / Pierre Mardaga, 1977, p.162

66

41



2

« Archicouture » La fondation Louis Vuitton, nouvelle griffe de Frank Gehry

////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// L’architecture tendance

Fondation Louis Vuitton

Iwan Baan

36.

37.

38.

Sipa

40.

39.


- Vers une architecture logo -

Louis Vuitton, célèbre malletier et l'une des maisons de luxe les plus influentes du monde67 qui s'est lancée dans le mécénat depuis près de vingt cinq ans, inaugure la Fondation Louis Vuitton en octobre 2014 - à l'instar d'autres maisons telles que le joaillier Cartier et Pinault issu du groupe Kering (anciennement Pinault-Printemps-Redoute). Bernard Arnault, directeur du groupe LVMH68 et fervent collectionneur, a fait appel à Frank Gehry, grande figure de l'architecture pour l'édification de son musée d'art, à la manière du couple Guggenheim, mêlant le marché de l'art et de l'industrie (ici, en l’occurrence celle du luxe). Le monde du luxe a toujours été proche du monde de l'art et de l'architecture, s'en inspirant fortement pour nourrir sa créativité. Or, d'années en années, les frontières s'abolissent donnant une image confuse de l'architecture entre mode, design, et image de marque. Par conséquent, j'accorderai à cette partie la place à cette nouvelle culture de l'"arketing"

69

, phénomène à la croisée des arts et du marketing de la société de

consommation,

en y décelant les différents éléments de l'univers de la mode et de

l'architecture et la relation qu'entretiennent ces acteurs sur un terrain mondialisé. De plus, j'aborderai ses créateurs et sélectionneurs de pièces urbaines, ces dernières conçues comme de véritables objets de design épurés dans la mouvance marchande de la planète, afin d'entretenir sur le long terme leur identité. Enfin, Les dirigeants fortunés de ces marques de prestige représentent les "Médicis du XXIe siècle"

70

et entretiennent l'architecture logo comme une

nouvelle méthode marketing embrassant l'art, l'architecture en relation avec le graphisme publicitaire comme un investissement nécessaire pour exister durablement.

2.1 /////// Le système de la mode dans un parallèle avec l'univers des maîtres bâtisseurs Au fil de son histoire, l'architecture du postmodernisme, a peu à peu pris les composantes du système de la mode, devenant elle même phénomène de mode. Poussée par la numérisation du monde, de l'information à la construction, le "hangar" et le "canard" de Venturi se sont démocratisés au delà de ces villes thématiques et illusoires. L'architecture, désormais

67. Selon le classement du magazine Forbes, la maison Louis Vuitton se place au 14e rang dans sa liste des marques les plus influentes du monde. www.forbes.com/powerful-brands/#tab:rank 68. LVMH, initialement pour Louis Vuitton Moët Hennessy, crée en 1987, est le leader mondial de l'industrie du luxe regroupant plus de soixante marques de prestige dont les vins et spiritueux; Château d'Yquem, Moët & Chandon, Hennessy, Maison Ruinart, Whisky Glenmorangie ; la mode et la maroquinerie telles que Guerlain, Fendi, Louis Vuitton, Givenchy, Marc Jacobs, Kenzo, mais aussi les montres et joallerie TAG Heuer Bvlgari, Chaumet, Fred; et la distribution sélective comme Séphora, La Samaritaine ou Le Bon Marché. 69. Le terme d'arketing,un marketing stratégique apparaît dans Le Monde, Les marques de luxe, du mécénat au (m)arketing, par Christel de Lassus, 23 octobre 2014. www.lemonde.fr/idees/article/2014/01/23/les-marques-deluxe-du-mecenat-au-m-arketing 70. Le Monde, Ibid.

44


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démonstrative et dotée d'une grande clarté, parfois bête et vulgaire, incarne la personnalité de la ville ou de sa nation. (J'entends par "bête et vulgaire" l'architecture récréative de Las Vegas des années 1970, comme nous pouvons la voir sur le Strip que l'on retrouve chez BIG 71 dans un projet présenté à l'exposition universelle de Shanghai représentant clairement l'idéogramme chinois signifiant "populaire"72, ou par le pavillon des Émirats Arabes Unis de Norman Foster, illustrant le stéréotype des chaudes dunes de son désert.) Christian Norberg-Schulz, dans la préface de son ouvrage "La signification dans l'architecture occidentale" exprime l'objet architectural comme vecteur polysémique de nos existences : "l'architecture est un phénomène concret. Elle comprend des paysages et des implantations, des bâtiments et une articulation caractérisante. Elle est donc une réalité vivante. Depuis des temps reculés, l'architecture a aidé l'homme à rendre son existence signifiante. A l'aide de l'architecture, il a obtenu une assise dans l'espace et dans le temps." 73 Cette architecture est sans cesse véhiculée par un groupe, une culture, aux croyances spécifiques, par une époque."L'architecture-logo" comme l'habit revêtent l'unicité culturelle du groupe, elle constitue un référent identitaire sur lequel les individus se présentent au monde. Elle répond à une tendance, où les goûts nous façonnent par des influences éclectiques et inscrites dans une société mondiale. En effet, l'architecture fonctionne comme l'habit local, folklorique devenant peu à peu le costume de scène insolite expatrié en tous points du globe - tel un échantillon de ce qu'il se fait ailleurs. Ainsi, les architectes puisent de plus en plus leurs inspirations au delà de leurs terres. Ce phénomène d'aliénation des territoires à une culture globale peut s'expliquer par le règne des promoteurs à l'ère de l'urgence constructive d'après guerre, justifiant l'emploi massif du fonctionnalisme initié dans les années 1920, standardisant toute forme architecturale à sa simple nécessité. Parallèlement, l'aristocratie se fait plus rare lorsqu'une classe moyenne s'impose au devant de la société, le sur-mesure de la couture destinés à une riche minorité laisse place à du prêt-à-porter, l'architecture se démocratise tout comme la mode. Les bourgeois industriels, au XIXe siècle, amateurs d'hôtels particuliers, et folies privées, sont dorénavant friands d'inédits architecturaux au service de la société. Sur la scène urbaine comme les sur les podiums les styles insolites prolifèrent, sans cesse renouvelés et parfois recyclés. Le style qui pouvait caractériser une époque sur plusieurs siècles laisse place à la tendance qui ne subsiste sur une dizaine ou vingtaine d'années seulement. Il s'agit d'un phénomène lié à la société de consommation en représentation par les éléments identitaires 71. BIG pour Bjarke Ingels Group. 72. Ce projet sera plus amplement étudié dans la troisième partie - voir III. 3.2 , p. 64 de ce mémoire. 73. Norberg Schulz, La signification dans l'architecture occidentale, 1977, p. 5

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- Vers une architecture logo -

que sont les logos et la culture de la nouveauté. La tendance est furtive, éphémère et populaire. Les villes désirent se vêtir de leurs plus beaux atours à la recherche d'une identité, d'une personnalité. Et pour ceci, elles font appel aux grands bâtisseurs de notre temps à l'image des maisons de couture qui élisent les stylistes du moment. C'est par une citation de Claude Franck, architecte, dans la revue "Le débat" que m'est venue l'idée de dresser une succincte analogie entre les deux univers que sont la mode et l'architecture, dans nos sociétés hypermodernes : "On ne peut être frappé par le parallélisme entre ces catégories et le système de la mode, avec ses leaders d'opinion, ses pitres, ses créatifs et ses petites mains, ses produits dérivés et ses soldes en tête de gondole. On y retrouve les copies, les contrefaçons, les tendances et leurs publics, les relais économiques, les publications, la diffusion, les consécrations par des prix." 74

La fondation Louis Vuitton, conçue par Frank Gehry s'y prêtait à ravir, et fut l'occasion inouïe de mêler les éléments de la fantaisie du tissu à la pierre, de l'ouvrage textile à l'ouvrage architectonique. Je tenterai alors de distinguer, à travers ces prochaines lignes, ces divers facteurs énumérés par Claude Franck rejoignant le monde de la mode et celle de l'"architecture-logo". Tout d'abord, il est important de rappeler le "phénomène Bilbao", événement initiateur d'une mécanique d'architectes stars. Héritier des théories post-modernes de Jencks 75 ou Venturi, Frank Gehry s'en détachera toutefois, au fil de ses projets, refusant toute idée d'historicisme. Néanmoins, on impute à Gehry à la fois le statut de postmoderne et de déconstructiviste tant son œuvre conjugue la forme à la charnière entre le symbolisme et le structuralisme. C'est dans cette mouvance d'architecture hybride, étrange forme entre l'allégorie du poisson et de son mouvement, que s'échoue sur les rives du Nervion, le musée Guggenheim de la capitale basque en perte de vitesse. L'architecture si singulière de Franck Gehry, jusqu'alors encore méconnue du grand public, débarque au secours d'une cité industrielle essoufflée, dont les décideurs locaux capitalisent pour une transition vers une nouvelle économie tertiaire. Il demeurera ainsi, en même temps "leader d'opinion, pitre, et créatif"76, le sauveur des villes à la recherche d'une nouvelle identité, d'un nouveau costume. Bilbao est une "paradigmatic

74. Claude Franck, Un monde d'objets dans Le Débat n°155, 2009, p. 155 75. Vu, pour la plupart des théoriciens et critiques, comme le fondateur du mouvement postmoderne par la parution en 1977 de The Language of Postmodern Architecture qui s'est forgé dans le sillage de l'ouvrage de Venturi Complexity and Contradiction in Architecture paru en 1966. 76. Claude Franck, Loc. cit., p. 155

46


42.

41.

43.

80

77 78 79 80 81

47

41. Blason de la ville de Bilbao. L'écu représente l'église San Antón et le pont médiéval sur le Nervion. 42. Le nouveau logo de Bilbao et du pays basque (2012) sous les formes de son musée Guggenheim. 43. Logo de la chambre de commerce de Bilbao.


r

Gehry le Héro

//////// Ghery est invité à incarner son génie à Springfield, ville des Simpson.

.44

Frank Gehry est un héro populaire, vedette de Springfield qui tentera de réveiller l’intérêt des habitants pour la culture à la demande de Marge, mère de la famille Simpson. Nous voyons alors Gehry sous les traits particuliers de ces personnages jaunes, de sa maison-manifeste de Santa Monica, aux jurys de concours. Le projet initial est un opéra, à l’image du Walt Disney Concert Hall de New-York. Face à l’échec du concert de musique classique donné lors de son inauguration, l’espace sera requalifié en musée, en référence au Guggenheim de Bilbao, puis deviendra une prison. Matt Groening, dessinateur, ironise de cette architecte-star, amoureux de la tôle (ou titane). Ce matériau si cher à Gehry, et ses formes hasardeuses deviendront un mythe.


45.

46.

45. Hotel Marquès de Riscal, Elcieglo, Alava (Espagne) par F. Gehry inauguré en 2006 46. Walt Disney Concert Hall, Los Angeles par F. Gehry, inauguré en 2003

47.

47. Musée Guggenheim, Bilbao par F. Gehry, inauguré en 1997

82 83

49


- Vers une architecture logo -

subordination aux désirs du client s'efface au profit de l'initiative créatrice de l'offreur. [...] la norme est une norme esthétique, la beauté et l'originalité créative."

84

A la manière de la

maison de haute-couture, l'architecture d'aujourd'hui, du moins culturelle, s'organise autour du créateur,

"renforçant

la

place

de

la

créativité

comme

valeur

suprême"

85

.

Ces architectes-stars, avancent tous un produit plastique chargé d'un contenu intellect créatif, révélant le bien public. L'habit soutient une appartenance à une communauté, ou bien exprime la personnalité de chacun par la recherche stylistique de ses formes. De là, "ce taux dominant de contenu intellectuel et sa qualité de bien public sont la raison principale de l'essor des marchés illégaux de la contrefaçon"

86

nous expliquent Christian Barrère et Walter

Santagata. Nous y retrouvons les "contrefaçons, les copies, les tendances et leurs publics" 87 énumérés précédemment par Claude Franck. Ainsi se développe comme de faux sacs Vuitton vendus à la sauvette auprès des touristes à la recherche de bonnes affaires, de nombreux pastiches architecturaux - figures d'architectures "à la manière de". Il s'agit réellement de plagiats émanant de concepteurs en panne d'inspiration ou alors sous l'emprise inconsciente de ce qui est à la mode, du créateur qui fait la mode. De ce fait, certains sites internets et blogs s'amusent des impostures et influences grotesques, que certains qualifient d'obsolescence sémiologique88 : de la Farnsworth House de Mies Van Der Rohe (1945-1951) à la villa Casaclima de Michelle Perlini (2012), ou encore la Neue Nationalgalerie de Mies Van Der Rohe (1968) au le Palais de Justice de Nantes de Jean Nouvel (2000). De plus, à Paris est né accidentellement le projet de Carlos Ott (1989), architecte canadien méconnu qui fut propulsé lauréat du concours pour l'Opéra Bastille devant un jury croyant commander un projet de Richard Meier. "Pour être conforme aux critères du temps"

89

s'insurge Jean-Louis Cohen,

certains n'hésitent pas à réemployer la griffe des stars et ils sont nombreux. En effet, le nouveau site des archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine de Fuksas, récemment livré (2013) fait étrangement référence à la médiathèque Romain Rolland de Gazeau (2011), empruntant la grille immaculée du pavillon français de Ferrier à l'exposition universelle de Shanghai (2010), celui-ci adoptant la trame de la bibliothèque de Seattle de Koolhaas et Ramus (2004).

84. Christian Barrère, Walter Santagata, Une économie de la créativité et du patrimoine : la mode, Note de synthèse du rapport rédigé pour le département des études et de la prospective du Ministère de la Culture et de la Communication, février 2003, p. 5 85. Ibid., p. 4 86. Ibid., p. 3 87 Claude Franck, Loc. cit., p. 155 88. Christian Barrère, Walter Santagata, Op.cit., p. 6 89. Jean-Louis Cohen, L'architecture entre image et usage, conférence du 24 décembre 2000, la web tv de l'enseignement supérieur et de la recherche, www.canal-u.tv

50


l

48.

Contre façons

/////////////// Influences, tendances ou plagiat des signatures architecturales

49.

48. La Farnsworth House par L. Mies Van der Rohe (1946-1951) fidèlement copiée dans - 49. la Casaclima de Michelle Perlini ( 2012) 52.

50.

53. 51. 50. Le Palais de justice de Nantes de Jean Nouvel (2000) présentant de nombreuses similitudes avec 51. la Neue Nationalgalerie de Berlin de L. Mies Van der Rohe (1968)

54.

56.

55. 57.

52. Les nouvelles archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine de M. Fuksas (2013) 53. La médiathèque Romain Rolland de P. Gazeau (2011) 54. Le pavillon français à l’Exposition universelle de Shanghai de J. Ferrier (2010) 55. La bibliothèque de Seattle de Rem Koolhaas (OMA, 2004)

56. L’Opéra de Paris-Bastille de Carlos Ott (1989) 57. High Museum of Art à Atlanta, de R. Meier (1983)


90

58. Caricature du journal The New Yorker, par

Steve Duenes. - L’architecture esr une tendance.

Empreintes

U

d'archi tectes 59. Quelques grands architectes résumés par un

///////////////////// L’architecture signée manifeste des grands architectes.

bloc graphique, logos à l’allure d’étiquettes à portée éducative. Ce sont des projets phares ayant contribué à leur succès auprès d’une population inexpérimentée en matière d’architecture.

90

52


- Vers une architecture logo -

Enfin, de la dynamique architecturale à la mode se fonde, de nos jours, à travers "les publications, la diffusion et les consécrations par des prix" . Le succès se fédère autour de collections, l'honneur et la reconnaissance, l'élection du plus influent par ses "défilés" du Prix Priztker. Ces évènements contribuent à une patrimonialisation aussi bien autour de l'objet architectural que de celui de la couture. Ces architectures tendent à être l'exemple à suivre, à valeurs historiques, elles jouent un rôle essentiel dans l'organisation, le fonctionnement et son évolution. Les conventions, habitudes, comportements et représentations émanent alors de la création textile ou architectonique. Il s'agit alors d'un "fond commun partagé par une communauté"

91

qui a pu s’imprégner des différents signes, les dotant d'une grande lisibilité. Au temps de la cour, il était question d'étiquettes, s'ensuit l'avènement du couturier-créateur, puis la représentation de l'habit comme le pivot du luxe. L'architecture dans le domaine culturel, et aujourd’hui particulièrement à travers la fondation Louis Vuitton, semble de nos jours s'établir sur ce même modèle. Par ailleurs, les nombreuses publications valorisent le créateur, elles ont la charge d'éclairer le lecteur, "de faire partager un goût" et "de dispenser à ceux qui ne l'éprouvent pas immédiatement la matière d'une "émotion" ou le mouvement d'une réflexion"

92

écrivait

François Chaslin en 1990. Or, aujourd'hui, une inversion s'élabore : les revues sont réduites à faire une simple publicité du bâtiment, dans la mesure où celui-ci n'est plus seulement "valant-pour"93, plus qu'informatif il est directement l'émotion subjective du concepteur proposant dès lors son spectacle pour signifier à tous. La forme de l'architecture s'explique d'elle même, il est inutile de la commenter, sa forme singulière et aujourd'hui, elle n'est plus que jamais une affirmation éthique sur le monde. Cette émulation de la créativité se dessine en ces temps éclatés d'une abondance de modes éclectiques, par des formes architecturales qui font sens pour tous. Celles-ci font référence non plus seulement en terme d'esthétique artistique conventionnelle comme dans la peinture ou la sculpture, mais aussi par la futilité de l'habit.

En effet, l'architecture adopte le

phénomène cyclique si particulier de la mode. Prenons pour exemple l'architecture des années 1950 à 1970 : il y a vingt ou trente ans, il ne fut pas question de revisiter cette architecture à l'allure administrative, marquée par le brutalisme, ses lignes verticales, l'uniformité de ses

91. Christian Barrère, Walter Santagata, Une économie de la créativité et du patrimoine : la mode, Note de synthèse du rapport rédigé pour le département des études et de la prospective du Ministère de la Culture et de la Communication, février 2003, p. 4 92. François Chaslin, Un état critique, Espaces et Sociétés, n°160, L'Harmattan Eres, 1990, p.75 93. "explicitement conçu le vêtement comme un valant-pour, c'est-à-dire comme une signification (le signifié étant la psyché profonde) " Kiener empruntant la notion de valant-pour à Saussure. Article "Langage et Vêtement" dans le livre "Pour une sociologie du vêtement", Annales, mars-avril 1960, p.1

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volumes imposants, son béton brut, ses plafonds en bois, ses couleurs fades... Néanmoins, ces éléments sujets à de nombreuses critiques virulentes figurent maintenant dans de nombreuses revues architecturales et figurent comme de véritables exemples à suivre et à se réapproprier ! La fondation, par l'intermédiaire de l'architecture-création et la préciosité de l'architecture de Gehry, impose sa création en tant que mode légitime. Nous pouvons illustrer ceci par le vieil exemple du goût et du ragoût de l'Abbé Dubos, premier défenseur du moderne au début du XVIIIe siècle94, qui appelle aux "principes géométriques de la saveur" : "on goûte le ragoût, et même sans savoir ses règles, on connaît s'il est bon".95 Gehry fait l'unanimité, c'est une star, parfois détesté, mais tous reconnaissent l'ingéniosité de ses incroyables ouvrages, se situant dans cette lignée de logos architecturaux. Il est donc considéré comme bon, dans l'air du temps. Parallèlement, celui-ci s'adapte aux courant changeants, ou est-ce lui qui, quelquesfois, insuffle un nouveau tournant architectural. L'expression archistar, contractant architecte et star devient un phénomène populaire, s'appliquant dorénavant aux figures architecturales conçues comme des costumes d'une scène internationale. L'objet architectural, cependant, se simplifie, se formalise, à l'image du costume, "il doit servir des proportions humaines et en quelque sorte sculpter l'acteur, faire sa silhouette naturelle, laisser imaginer que la forme du vêtement, si excentrique soit-elle par rapport à nous, est parfaitement consubstantielle à sa chair, à sa vie quotidienne."

96

De ce fait, l'architecture se confectionne dorénavant à partir des attributs de l'objet, entre l'esthétique communicative du vêtement et du besoin de l'objet. Par l'intermédiaire d'une intellectualisation de son travail, l'architecte dessine un nouveau design clairement identifiable, à échelle monumentale : un design urbain.

2.2 /////// L'objet singulier, une pratique du design à l'échelle métropolitaine : un nouveau type d'art total L'idée de design urbain précédemment cité tiens d'un nouvel art total, à la confusion entre peinture, sculpture, architecture, nature et industrie. La fondation Louis Vuitton en est une proposition : installations et accrochages artistiques à l'intérieur, protégés à l'extérieur d'une composition de voiles à l'allure organique tout en montrant la technique de l'articulation de sa peau avec son corps - présentant un logotype architectural lisible de toutes parts. (Cet art total

94. L'abbé Dubos, nous enseigne François Chaslin dans Un état critique p.75, fut un fervent défenseur du sentiment et du goût subjectif, où le moderne,au détriment des anciens (qui n'avaient foi qu'en l'art classique comme témoin de vérité) , oppose "la voie du sentiment" comme "la plus appropriée que celle de la discussion". 95. Ibid., p.75 96. Roland Barthes, "Les maladies du costume du théatre" par Olivier Burgelin "Barthes et le vêtement", Communications n°63, 1996, p.84

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englobe alors aussi le régime du graphisme.) Il est important de le rappeler que l'idée d'art total n'est en rien nouvelle, à dire même qu'elle est plutôt ancienne. Les interférences entre le commercial et l'utilitaire remontent à l'ère industrielle du XIXe siècle, et semble s'accomplir en relation avec l'Art nouveau en vogue. Cet art en question prend racine dans la nature, la courbe organique se propage partout et contamine l'architecture, aux propriétés pérennes afin que la fleur ne se fane plus. Ainsi poussent les œuvres d'Otto Wagner à Vienne, ou bien de Guimard du souterrain au trottoir parisien, par exemple. Par ailleurs, nous pouvons parler également97 de l’œuvre d'art total de Richard Wagner, souhaitant refléter l'unicité de la vie par

la réalisation

de la

Gesamtkunstwerk98, une synthèse des champs plastiques dans son opéra à l'apogée du romantisme allemand. Ce dernier élabore la fusion des trois arts majeurs du spectacle (la danse, la musique, la poésie) avec les arts plastiques ( l'architecture, la peinture, la sculpture) afin que le Drame obtienne la plus grande pureté, dans lequel chacun des éléments forment un même corps. Ainsi, l'architecture de Gehry, notamment par la fondation Louis Vuitton, se place comme le dénominateur commun de ces deux définitions d'art total, mêlant l’organicisme de la première et l'énergie spectaculaire et populaire de la seconde. Michel Ragon99 utilise le terme de Baroquisme, celui-ci désignant non plus cet art à l'harmonie lourde, confuse et riche du XVIe au XVIIIe siècle mais un nouveau baroque de la structure qui n'est plus simplement décor. Des architectes illuminés dédieront leur vie à la puissance créatrice de leur œuvres au style inqualifiable : nous pouvons évoquer, bien entendu, Gaudi qui fait aujourd'hui la grandeur et la spécificité de Barcelone, entre maisons, parc, et monuments religieux ou bien, le facteur Ferdinand Cheval, moins connu mais s'adonnant à son travail avec la même frénésie au cœur de la Drôme, à travers son palais idéal.

97. "Le terme « œuvre d'art totale » apparaît pour la première fois en 1827 dans le traité d'esthétique de K. F. Trahndorff (1762-1863). Victime d'une inflation récente, souvent galvaudé, il appartient à la catégorie de ces concepts que les Anglais qualifient de « portemanteau », chacun pouvant y accrocher sa propre définition. On peut classer celles-ci, qui varient d'un pays à l'autre, en diverses rubriques, qui se recoupent partiellement et peuvent revêtir des aspects esthétiques, philosophiques, psychologiques, anthropologiques, sociaux ou politiques." Philippe Junod, "Oeuvre d'art totale", Encyclopædia Universalis. www.universalis.fr/encyclopedie/oeuvre-d-art-totale/ 98. La Gesamtkunstwerk ou l'"Oeuvre d'art totale", fut réalisée à Bayreuth, en Allemagne, suite à la volonté de Wagner de concevoir un opéra de l'avenir, lassé des représentations classiques rennaissantes et baroque où l'Opéra est établi selon une hiérarchie stricte de tous les champs artistiques le composant, de la musique à la mise en scène en passant par l'orchestre et l'architecture générale de la salle. "La collaboration [...] devait être fondée sur leur égalité, non sur la suprématie de l'un d'entre eux; c'est ce qu'il appelait "la ronde des arts" [...] Dans cette collaboration, le Drame pourrait surgir dans sa pureté première et arracher le spectacle à sa finalité de divertissement bourgeois" explique A. Lazaridès, De l’œuvre totale aux spectacles multimédias : l’œuvre d'art total, Jeu : revue de théâtre, n° 84, p. 169-170. 99 . Michel Ragon, Les cités de l'avenir, Encyclopédies Planètes, Editions Planète, Paris, p. 80

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60. Casa Batlo d’Antonio Gaudi, Barcelone, 1906

61. Le palais idéal ou le palais du facteur Cheval, Hauterives (Drôme), constuit entre 1879 et 1912

96 97 98

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les demandes de collaborations avec les milieux extra-picturaux, de l'ingénieur, artisan au plasticien en passant par l'architecte. Dans ce cas, par la réalisation de l'objet au bâtiment, les sculpteurs trouvent une nouvelle destination à leurs recherches. Ceux-ci assistent les architectes désireux de concevoir davantage de formes plastiques et qui ne possèdent pas les qualités, du moins, présentent des lacunes dans le domaine de la culture artistique. Les plasticiens retrouveront une place féconde, où dorénavant, le travail en maquette et l'organisation de la recherche seront davantage sollicités, privilégiés afin d'améliorer l'expression architecturale. L'enseignement pluridisciplinaire du Bauhaus et la naissance d'une économie de marché amena à se pencher sur la question de l'emballage. En effet, Hal Foster parle de l'abondance du même qu'offrait le monde avant la généralisation du modèle capitaliste. La scène primitive du design moderne explique t-il, n'avait qu'à présenter le produit pour en faire sa propre publicité et idéologie, la nouveauté s'effectuait par les réactions de l'ancien modèle. Mais, alors que s'installait la concurrence, "il fallut concevoir de nouvelles séductions, et l'emballage devint presque aussi important que le produit. " 103 L'architecture, sera rapidement intégrée à ce système marchand, car répondant aux mêmes critères de l'emballage et du produit que ce dernier propose. C'est une sculpture évidée Ainsi, dans un premier temps, les sculpteurs se prennent au jeu de la forme architecturale : on peut citer la Halle au vins de Gilioli en 1946, Étienne Martin et ses "demeures" dès 1956, puis André Bloc qui conçut sa première "sculpture habitacle" en 1962. S'ensuivirent les architectes tels que Le Corbusier, qui donna son premier coup d'éclat dans la chapelle de Ronchamp, devenant le pionnier de l'architecture spectacle à la croisée des disciplines plastiques (Illus. p.58).

Le Corbusier, tout comme Van de Velde ou Behrens, commencèrent d'ailleurs par la

peinture : "Je suis un peintre occupé à inventer des formes conditionnées"

104

déclarait Le

Corbusier. Michel Ragon, prédisait le paysage architectural et urbain d'aujourd'hui en s'amusant de la main mise des artistes des années d'après guerre sur l'architecture ; "Intuition exaltante pour les artistes coupés de la cité depuis les débuts de l'art moderne, [...]prenant eux même en main les destinées de l'architecture. Ambition démesurée ? Folie ? Les architectes en place n'ont pas manqué de le dire. Mais si les premiers grands sculpteurs modernes, à part Rodin, ont été des peintres (Daumier, Renoir, Picasso, Braque, Derain...), il est n'est pas impossible que certains grands architectes de demain soient des peintres et surtout des sculpteurs." 105

103. Hal Foster, Op. cit., p. 33 104. Michel Ragon, Les cités de l'avenir, Encyclopédies Planètes, Éditions Planète, Paris, p. 82 105. Ibid., p. 82

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Hermann Finsterlin 62. Wolkenkuckkucksheim - Casa Nova (1920-24) 63. Traum aus Glas - Casa Nova (1920)

62.

63.

64.

66.

Archi sculpture ////////////// Une synthèse des arts

pour une architecture sensuelle

67.

64. Frederick Kiesler, projet de la "Maison sans fin", maquette et plan (1924) 65. Emile Giololi, La halle aux vins (1946)

65.

66. Etienne Martin, Demeures n°1, 1956 67. Le Corbusier, Chapelle de Ronchamp, 1955

68.

69.

- André Bloc 68. Sculpture habitacle n°2, Meudon, 1964 69. Intérieur de la Sculpture habitacle n°1, Meudon, 1962


102

70.

71.

70. et 71. Musée Guggenheim, F.L.Wright, New-York (1959)

72.

73.

72. et 73. Terminal TWA de l’aéroport John F. Kennedy, E. Saarinen , New-York (1962)

74.

75.

74. et 75. Musée Juif de Berlin, D. Libeskind, Berlin (2001)


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Le programme devient peu à peu secondaire au regard de l’esthétique de son contenant. Kiesler introduit l'idée d'un objet sans commencement, ni fin, bâti de courbes concaves et convexes. Ses théories élaborées il y a 90 ans sont toujours d'actualité, quand bien même, elles trouvent depuis l'ère Bilbao une incroyable application, une utopie rendue possible par l'informatique. L'architecture-sculpture, objet, ou bien émotion et les trois à la fois, cherche le moyen d'échapper à tout dogme d'esthétique formaliste, d'organique régionaliste pour s'élever vers une certaine spiritualité, du moins y retranscrire l'émotion du moment. Elle est un bel objet de collection exposant le plaisir des formes libérées. L'architecture devient inutile puisque qu'elle ne contient quasiment rien, elle n'existe que pour elle même, reflet de l’égoïsme et du narcissisme dans un monde qui s'évalue et se transforme par la concurrence. "Cette inflation du design vient aussi du fait que l'emballage a fini par remplacer le produit." 107 Le programme est un prétexte et fait figure de farce que l'on injecte dans la pâte de l'architecte. Ainsi l'architecture de la fondation Louis Vuitton, n'est plus au service du programme, elle est au service d'elle-même. 108 En revanche, l'architecture paraît presque inutile mais pas sans qualités. L'architecture revient à l'objet de contemplation où son esthétique passe par l'exaltation de nos sens, il s'agit ainsi d'une sorte de surréalisme architectural. Elle est plus que jamais un objet de désir, une "adaptation du rêve aux réalités"109 poussée par le pouvoir d'achat du système capitaliste. "Audacieuse, splendide, somptueuse, extraordinaire", la fondation Louis Vuitton pour l'art contemporain ne manque pas de superlatifs de la part de ses nombreux visiteurs, qui se sont déplacés en masse ces derniers mois. Bernard Arnault s'est offert une fondation Louis Vuitton, Bernard Arnault s'est offert Frank Gehry. Du musée Guggenheim de Bilbao à la Fondation Louis Vuitton, il y a un pas. L'architecte a gardé son incroyable empreinte, glorifiant à jamais le mouvement figé, mais les objectifs ont changé. Alors qu'il était question de renouveau urbain et de transition économique, aujourd'hui, la fondation revêt la particularité d'une architecture fétichiste, nouveau modèle de "la religion du désir sensuel"110. La célèbre maison française de maroquinerie a acquis ce bien précieux sans doute dans le but de donner le ton, façonner le goût du moment, et de ce fait alimenter la création des prochaines collections. L'architecture de Gehry s’inscrit comme représentation de la marque, une sorte de nouvelle égérie élue par Louis Vuitton.

107. Hal Foster, Design & Crime, les prairies ordinaires, p.34 108. Nous pouvons faire référence au musée Juif de Berlin de Libeskind, où l'espace est essentiellement dédié au travail de l'émotion plus qu'un vulgaire espace d'accrochage. 109. Jean Baudrillard, Jean Nouvel, Les objets singuliers, Arléa, Paris, 2013, chapitre Architecture virtuelle, architecture réelle, p.85 110. Karl Marx cité par Hal Foster, Design & Crime, les prairies ordinaires, p.127

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Guy Debord voyait ainsi juste lorsqu'il déclarait que "le côté contemplatif du vieux matérialisme qui conçoit le monde comme représentation et non comme activité - et qui idéalise finalement la matière - est accompli dans le spectacle, où des choses concrètes sont automatiquement maîtresses de la vie sociale. Réciproquement, l'activité rêvée de l'idéalisme s'accomplit également dans le spectacle, par la médiation technique de signes et de signaux qui finalement matérialisent un idéal abstrait."111 Frank Gehry, fort de la singularité avec laquelle il mène ses projets, tant dans son processus de conception que dans ses formes, tient de ces diverses expériences sculpturales. A l'image d'un peintre en quête de style tel que Turner, Picasso ou Mondrian, Gehry débuta ses sculptures par l'obéissance au modèle du poisson géant à Minneapolis, Barcelone (1992), jusqu'à ses diverses formes d'abstraction, en commençant par le Guggenheim de Bilbao, pour atteindre la Fondation Vuitton, dans lesquelles une pluralité des lectures s'élabore. Cette fondation serait une ode à la voile navigatrice et soufflée par le vent pour les uns, pour d'autres, la déconstruction de l'oiseau ou du poisson caractérisé par la multitude de ses écailles de verre décollées de son abdomen opaque. Christophe Catsaros112 qualifie Gehry de maniériste, remarquable par le souci des formes allongées, juxtaposées, étirées à la façon d'un drapé monumental. Celui-ci magnifie les matériaux, les détournant de leurs usages initiaux afin de surprendre son public. Par la sculpture, l'architecte présente son spectacle, dans un monde régné par le sensible. Gehry évoque une récréation du monde, l'immersion incroyable de l'individu dans un tableau cubofuturiste, dans un jeu de décalage des formes et des vues du panorama parisien. Certains partent d'un objet d'art afin d'y développer un objet encore plus grand. Tel est le cas de Calatrava pour la gare TGV de Satolas, s'inspirant fidèlement de l'une de ses sculptures réalisées dix ans auparavant. D'autres partent de l'outil informatique Catia, tel un Hadid ou un Gehry, comme tout designer industriel afin de concevoir une forme qui pourra épouser les formes de son environnement : une architecture "ergonomique" 113. D'ailleurs, ce dernier fut le précurseur d'architectures tracées directement depuis une maquette. Le processus de conception traditionnel dessin, plan, maquette étant alors inversé, deviendra sa marque de

111. Guy Debord, La société du spectacle, chapitre 9 : l'idéologie matérialisée, p. 53 112. Christophe Castaros, La déconstruction tardive, éditorial de Tracés n° 21, novembre 2014 113. Tout comme Gehry ou Hadid, nous pouvons parler également du duo Jacob+Macfarlane, constituant une sorte de "blob architecture" (le terme de de l'architecte Greg Lynn en 1995"blob architecture" , "blob" signifiant "tâche" ou "goutte" tiré des expérimentations d'architectures profitant du nouvel apport technologique et numérique des logiciels de C.A.O et D.A.O - entraîne un nouveau courant architectural dans lequel les bâtiments ont une forme organique et bombée, comme de grosses amibes). Brendan MacFarlane expliquait lors d'une conférence, qu'il se présentait comme un "prescripteur" ou un "acupuncteur" urbain. Son projet des Docks en Seine, s'est conçu avec l’assistance de l'outil informatique, capturant le vent de Paris continuellement changeant, et sculptant de jour en jour le projet.

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76.

Clo’e Floirat, Frank Gehry et la fondation Louis Vuitton, chronique - Artpress n°416, novembre 2014.

77.

78.

77. Gare de Lyon-Saint Exupéry TGV , anciennement Satolas TGV par Santiago Calatrava (1994) 78. Santiago Calatrava, sculpture The Bird (1986) Calatrava à la recherche d’un vocabulaire, passe par la sculpture dans la volonté de transgresser la frontière entre art et architecture.

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matière à l'idée"115, figeant la forme immédiate et fugace, elle introduit ainsi une phrase, un rythme, une musicalité propre à l'architecte, directement retranscrite par un "logo", l'essence de sa forme telle "une sorte de passage direct du désir à la réalité construite"116 Le design contemporain exprime désormais "la revanche du capitalisme sur le postmodernisme"117 comme le fait remarquer Hal Foster par l'hybridation des disciplines artistiques, artisanales et industrielles et leur banalisation au profit d'une promotion des marques. Ainsi, l'autonomie de cette nouvelle forme d'art, initiée par le Bauhaus, fut le motif d'un véritable manifeste chez Adolf Loos, par exemple, comme pragmatique et dépouillée, puis dénoncée par le postmodernisme tel un esprit de formes mortes, pétrifiées, dépourvues de toute signification au nom d'un canon esthétique. Or, nous remarquons de nos jours une inversion de cette nouvelle forme d'art, remarquable par le jeu d'attraction de l’œil à la main : l'architecture passe de la main à l’œil, à l'autonomie modérée par les médias, où le manifeste et l'avant-garde se mettent au profit d'un nouvel acteur, le marketing urbain et d'état. Le design monumental caractéristique de l'architecture culturelle d'aujourd'hui à la fois fonctionnaliste et pétri d'informations s’expose sur la scène urbaine avec l'impact visuel exigé par les décideurs locaux. En comparant la ville à une scène, les mots de Roland Barthes prennent alors sens : "le bon costume de théâtre doit être assez matériel pour signifier et assez transparent pour ne pas constituer ces signes en parasites"

118

disait-il. L'architecture comme

objet léché, minutieusement étudié à l'échelle monumentale devient immédiatement un élément patrimonial d'un genre nouveau. Nous pouvons dès lors parler de ces nouveaux types d'objets d' image de marque ou marque de ville, mais aussi architectes de l'image ou marque d'architectes. Nous voyons, par cette précédente allitération des notions d'image et de marque la confusion persistante de leurs frontières, définitions et objectifs. François Chaslin, l'exprimait déjà en 1990 : "on ne distingue pas toujours ce qui relève du métier, et ce qui relève de l'autobiographie narcissique de l'artiste et de l'observation qu'elle exerce sur l'observateur. [...] le goût et le sentiment ne peuvent plus triompher de la raison, l’excès et le brio primer le réalisme, l'inattendu l'emporter sur le familier, l'innovation sur la continuité, le spectacle sur la compétence dans son acception la plus strictement professionnelle."119 Cependant, l'architecte et son architecture, ou bien le maître d’œuvre et son objet aspirent à la reconnaissance instantanée. Jean Nouvel précise que "L'artiste qui a réussi a trouver son

115. Jean Baudrillard, Jean Nouvel, Op. cit., p.85 116. Ibid., p.85 117. Hal Foster, Design & Crime, les prairies ordinaires, p.39 118. Roland Barthes, Les maladies du costume de théâtre, cité par Olivier Burgelin, Barthes et le vêtement, Communications n°63, 1996, p.84 119. François Chaslin, Un état critique, p. 77

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champ est un artiste repérable, identifiable, une valeur marchande"120 .Voilà les impératifs du design et du logo qui s'appliquent à la construction architecturale. Pour cela il est nécessaire de retourner à une géométrie primale ou l'abstraction doit être une syntaxe architecturale constante, préconise t-il. Maria Gravari-Barbas121 parle donc de Brandscape, une contraction où l'on associe la marque (brand) et son environnement (le suffixe -scape), pour qualifier ses bâtiments volontairement publicitaires. Il est venu le temps où la "branding architecture122" y est prospère.

2.3 /////// La Branding architecture - ou comment la singularité suscite le logo Il est important de noter le passé d'urbaniste de Frank Gehry pour comprendre son incroyable sens de l'architecture communicante. Il commença sa carrière en tant qu'urbaniste anonyme auprès de Victor Gruen, inventeur des malls123, véritables villes de marques calquées sur le modèle des bazars et galeries marchandes du XVIe au XIXe siècle. Il évoluera tout au long de ces vingt premières années de carrière au sein d'agences à l'influence postmoderniste, pratiquant la nouvelle discipline à la mode : le Branding par ce nouveau champ urbanistique mercantile. Il s'agit d'une discipline introduite massivement aux États-Unis, par le designer industriel et graphiste français Raymond Loewy. Elle s'avère dès lors indispensable pour personnaliser tout type d'entreprise autour d'une identité unique et originale. Ce terme issu du jargon marketing en germe entre les années 1950 et 1970, consiste à créer, cultiver puis nourrir les marques d'entreprises commerciales qui sera ensuite élargi aux enseignes de tout genre. Il est issu de l'anglais brand (marque), dont la racine germanique brennen signifie brûler. La marque tient ainsi ses origines du "marquage par le feu" par un "brandon", de "bren" brûler et "dru" bois, soit du bois bruni par le feu ou tison grâce au fer rouge. Initialement utilisé pour "marquer" les troupeaux afin de les reconnaître, son sens sera étendu à tout "marquage" commercial. Aujourd'hui, le branding

est largement utilisé dans les

120. Jean Baudrillard, Jean Nouvel, Op. cit., p. 50 121. Maria Gravari-Barbas, "Marque d'architecte", "Marque de musées", L'architecture médiatique en tant qu'outil de positionnement touristique urbain, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, p. 5, le terme "Brandscape" est emprunté à Anna Klingmann issu de son livre "Brandscapes , architecture in the Experience Economy", MIT Press, 2010. 122. "Branding architecture" signifiant architecture de marque ou marque d'architecture. 123. Centres commerciaux caractéristiques des États-Unis pour leur très grande superficie nés après la première guerre mondiale, grâce à la démocratisation de l'automobile (les premiers centres commerciaux ouvrent entre 1916 et 1924 comme le Lake View Store (Minnesota, 1916), le Market square (Illinois, 1916) ou le Country club plaza. De son nom complet "Shopping Mall" , rues, places contenues comme dans un enclos, desservi par un parking à l'importante signalétique. En effet, les voitures furent considérées comme un élément perturbateur, anti-social, ainsi elles sont rapidement bannies de ces villes-commerce. Cependant, les Malls s'établissent à proximité des autoroutes et départementales, en périphérie de ville pour une plus grande facilité d'accès.

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milieux du design marketing et graphiste, il semble dès lors envahir celui de l'architecture. Le Branding se compose d'une multitude d'aspects permettant d'entretenir l'image de marque et de la faire évoluer : son territoire, ses moyens d'expression et son ton communicant par l'intermédiaire d'une charte graphique, d’événements organisés ou sponsorisés, publicités et célébrités engagées pour la représenter. L'architecture semble être l'élément fédérateur auquel tout ces outils de communications énumérés se rattachent : elle est tout à la fois. Le bâtiment entreprend une grammaire inventive qui fabrique les valeurs du client, entreprise, organisation ou ville. Cependant, pour en créer un logo, il faut trouver le bon "artiste-graphiste-architecte" qui saura incarner l'âme de son maître d’œuvre. Après Gruen, le jeune Frank Gehry travailla sur différents projets conçus sous l'autorité de James Rouse, fondateur de la Rouse Company une chaîne de malls prestigieuse des États-Unis - Frédéric Migayrou le qualifiant d'homme à la "vision philantropique des villes nouvelles"124 , dont il réalisera, en 1980, le Santa Monica Place, un complexe parking-centre-commercial d'envergure colossale, telle une deuxième ville au sein de la ville de Santa Monica (Californie). L'architecture persuasive C'est ainsi que l'on remarque chez le Gehry architecte le pouvoir d'attraction de ces architectures, utilisant les codes du monde consumériste des malls américains inculqués par ses précepteurs, riches de signaux subliminaux, à la charnière entre publicité et performance artistique. Il a aussi gardé ce mythe pour un renouveau social par les formes et l'aménagement. Certains critiques de l'époque déploraient déjà le pouvoir persuasif d'une "architecture de boutiques" naissante chez Gruen à New-York : "ses boutiques sont comme des attrapesouris !"125 Celui-ci utilisant l'enseigne comme le moyen d'extraire une nouvelle forme d'architecture puisant dans le processus du logotype pour en créer un univers à part, telle la Bonbonnière Barton's en 1952. Plus tard, en 1959, il réutilisera sans scrupules les lignes si particulières de la chapelle de Ronchamp pour la Bank of America, édifice-vitrine qui fera office d'un des premiers logos de la banque de Palm Spring. (illus. p. 67) Par ailleurs, nous retrouvons de fortes similitudes dans l'architecture de Gehry avec les artistes de la scène californienne comptant Kienholz, Jaspers Johns, Rauschenberg et Oldenburg, surtout dans ses premiers projets architecturaux. L'architecte collaborera avec l'artiste Oldenburg, qu'il admire pour son travail des matériaux où "il ne s'agissait pas de détails 124. Frédéric Migayrou, Les villes de Frank Gehry, interview dont les propos sont recueillis par Jean-Philippe Peynot, Art press, 10 novembre 2014. www.artpress.com/2014/11/10/les-villes-de-frank-gehry/ 125. The Economist, Birth, Death and shopping, the rise and fall of the shopping mall, 19 décembre 2007. www.economist.com/node/10278717

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superficiels, mais d'utilisations directes, ce qui me fit poser la question de la nature et de la beauté. Je me décidai de me servir des techniques existantes, de travailler avec les artisans et de faire vertu de leurs limites."126disait-il dans son discours de réception du Pritzker Prize en 1989. C'est en 1991 que tous deux réceptionnent le Chiat/Day Building127, dans le quartier de Venice de Los Angeles. Aisément reconnaissable par la forme de ses jumelles de géant, l'édifice est composé de trois volumes radicalement différents. Cependant par sa singularité, l'objet familier transfiguré à l'échelle monumentale détonne. Il n'y a, dès lors, aucune concurrence entre les trois volumes distincts : les jumelles gagnent immédiatement toute l'attention. Le détournement du familier à grande échelle fait partie de la tradition d'Oldenburg, et semble avoir eu une grande influence sur Gehry, avide d'images criardes poussant encore plus loin l'approche sémiologique préalablement fréquentée dans les malls de Gruen à Rouse. (illus. p, 67) La pratique d'un langage sémiologique, dans le sens où les formes s'élaborent en étroite relation avec le cadre social, devient primordial. L'architecture a toujours été porteuse de valeurs sociales, d'un statut, mais aujourd'hui, cela devient pour de nombreux équipements culturels la fonction première. L'image supplante donc la mission originelle de l'architecture, c'est-à-dire, d'y loger un programme pour son public. L'image triomphe sur l'espace, devenant l'élément autonome au regard du contexte environnant, un procédé d'une redoutable efficacité. Par son caractère publicitaire, l'architecture est une information et un média pérenne. Or, nous pouvons constater que c'est le lieu de toutes les contradictions - un paradoxe s'installe entre l’événement furtif de l'information et le récit durable du patrimoine architectural. La marque régit sur l'architecture comme un faire-valoir sur le territoire dans lequel elle s'implante. "Comme pour tout architecte, la fonction de créateur d'espace amène celle de producteur de valeur, chez Gehry, on observe un basculement. La création de valeur prime sur la création architecturale. C'est cette inversion, plus que les qualités spatiales de ses réalisations, qui serait la cause du déferlement de critiques qui accablent son tout dernier projet"128 constate Christophe Catsaros.

126. Frank Gehry, Discours de réception du Pritzker Prize, Nara, Japon, 1989. www.pritzkerprize.com/1989/ceremony_speech1 127. Complexe de bureaux destiné à accueillir le siège social de Chiat/Day puis de l'agence de publicité DDB WorldWide 128. Christophe Catsaros, La déconstruction tardive , Tracés n°21, novembre 2014

66


79.

80.

formes l? persua

sives

////////////////////// De Gruen, Rouse, à Oldenburg : l’architecture de Gehry sous influence

81.

82.

79. La bonbonnière Barton’s, Victor Gruen, New York (1952) 80. Magasin Robinson, enseigne de vêtements bon marchés pour femmes, Victor Gruen, Philadelphie (1946) 81. et 82. Bank of America, Victor Gruen, Palm Spring (1959), un hommage à Le Corbusier et les courbes de sa chapelle de Ronchamp. 83.

84.

85.

83. The Chiat/Day Building, siège social - agence de publicité, Frank Gehry, Claes Oldenburg, Los Angeles (1991) 84. The Shuttlecocks ( le volant de badminton), Claes Oldenburg et Coosje Van Brugen, Nelson -Atkins Museum of Arts, Kansas City (1994) 85. Dropped Cone (le cône renversé), Claes Oldenburg et Coosje Van Brugen , Cologne, Allemagne, Neumarkt Galerie (installé en mars 2001) 86.

87.

88.

Frank Gehry, à la manière de Claes Oldenburg - la progressive abstraction du poisson 86. Fish Dance Restaurant, Frank Gehry, Kobe (1987) 87. Le Poisson doré ou Peix, Frank Gehry, Barcelone, port olympique (1992) 88. La Fondation Louis Vuitton, Frank Gehry, Paris (2014)


89.

90.

89. La plateforme logistique de Cartier Interdica, Jean Nouvel, Fribourg (1990) 90. Siège social du journal Le Monde, Christian de Portzamparc, Paris (2005) 91. Centre d’art et des médias, Karlsruhe, OMA Rem Koolhaas (1989) - concours / projet non réalisé 91.

.

68


92. La fondation Louis Vuitton, ses diverses étapes de conception.

128

128 129 130

2000, p.24

69

, p. 6


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Louis Vuitton s’institutionnalise par la grandeur et l'extraordinaire de son architecture, qui en fait sa valeur d'audace et d'inventivité. Hal Foster constate dès lors comment un sujet, sous toutes ses formes, est devenu dépendant de l'image : "On comprend le sujet comme une espèce d'image : cet axiome est passé des théories psychanalytiques (où l'acte fondateur de notre identité est une mimesis imaginaire, l'identification à une image) au comportement quotidien de la culture dans son ensemble. En même temps, l'inverse est également vrai : l'image est définie comme une espèce de sujet doté de ses propres désirs." 135 Hal Foster, nous éclaire avec Bruce Mau, graphiste et designer auteur de Life Style, un manifeste autobiographique relatant sa pratique et sa vision du design contemporain. Celui-ci aperçoit dans la pratique du design (que l'on peut dorénavant rattacher à l'architecture) le pouvoir d'apporter une certaine allure à l'enseigne, elle la personnifie et la façonne afin d'exister aux yeux de tous, une "semi-autonomie", un "espace de jeu" 136 palpable chez Gehry. Cependant, de nos jours, on note que cette"affaire de désir" 137du design qui semble sans sujet ou, du moins, sans manque. Foster ajoute qu'"il semble promouvoir un nouveau genre de narcissisme, tout entier image et dépourvu d'intériorité, et cette apothéose du sujet annonce aussi sa disparition. [...] La transfiguration de l'âme solitaire semble être son but", remarquait déjà Benjamin à propos du style 1900" .138 Le livre de Bruce Mau s'ouvre sur une photographie de Celebration, ville californienne fantaisiste fondée par Disney en 1994, illustrant son propos pour un design produisant une identité, le logotype s'exprimant comme une prime de reconnaissance d'un style de vie assumé : "la question du "style de vie", du choix de vie rencontre le régime du logo et de ses images". 139 Peu après, ce sont les marques de luxe qui imposeront leur style, mis en scène dans de nombreux hôtels et restaurants dessinés par les plus grands designers comme une façon d'établir un art de vivre à la Louis Vuitton, Armani, Moschino, ou Baccarat par exemple, ce dernier concrétisé par le restaurantmusée Cristal Room Baccarat érigé des mains de Starck. Un monde-devenu-information Heidegger voyait en l'invention de la perspective une nouvelle conception du monde 140 de la Renaissance. Le triomphe de l'humanisme s'effectua lorsque l'image devint une image conçue, car désormais "le monde semble disponible comme monde conquis", où "se dresse le sujet, [...]la considération du monde"141, développant alors la transition d'une théorie du monde à 135. Hal Foster, Op. cit., p. 125 136. Ibid., p. 125 137. Ibid., p.39 138. Ibid., p.39 139. Ibid., p.36 140. Ibid., p. 120 Hal Foster citant Heidegger, L'époque des conceptions du monde, 1938 141. Ibid., p.120

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140

93.

94.

93. Ieoh Ming Pei et sa pyramide du musée du Louvre, par Josef Astor pour Vanity Fair, 1996 94. «Le Louvre une marque comme les autres ?» Télérama n°2982, 10-16 mars 2007. Au moment de l’annonce du projet du Louvre Abu Dhabi, nombreux sont les débats autour d’une création de franchise muséale. Le Louvre est floqué sur le territoire à l’image des polos. Grâce à son aura symbolique acquit avec la pyramide de Pei, il s’exporte.

138 Hal Foster, Op. cit., p.120 139 140

141

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esprit stylistique reconnu. Il joue sur la rétention de l'image afin de garder toute l'attention du touriste-consommateur. Cette technique de branding - où la marque et son logo exercent davantage d'autorité aux yeux des consommateurs que ce que celle-ci propose, tient réellement ses origines au Royaume-Uni. C'est durant la période de fusion-acquisitions massives du libéralisme de l'axe Reagan-Thatcher privilégiant la compétition à la coopération significative des "Trente Glorieuses", que la recherche de l'intérêt personnel influence l'intérêt général. Une profusion de logos englobe alors la Terre entière. Sous le joug de cette nouvelle économie mondiale naissante dans les années 1980, "les nouvelles méga-entreprises ne semblent pas avoir grand chose à vendre à part leurs noms et leurs logos. Quand l'économie connu un déclin, sous Georges Ier, le branding fut un moyen de faire grimper les actions en dehors de tout lien avec les réalités de la productivité et de la profitabilité"

146

explique Hal Foster. Ainsi, Krens emboîta le pas de l'hyper-libéralisme, des nouveaux impératifs du marché consumériste global dans le but de séduire une clientèle lassée du musée et de ses expositions, cultivant depuis trop longtemps une image vieillissante, hermétique et peu accessible. L'effet Beaubourg147 issu du centre Pompidou pour sa réputation de bâtiment insolent, émaillé par sa mécanique exploitant alors une facette divertissante de l'architecture, à l'apogée du postmodernisme lors de son inauguration (en 1977), a suscité d'importantes vagues d'indignations auprès des plus conservateurs : "Est-ce un morceau du France, qu'on a écorché comme une langouste et qui a perdu la salle de ses machines ? Est-ce une raffinerie destinée à récupérer les boues de la Seine pour en faire de l'essence ? [...] Bien entendu, on sait de quoi il s'agit, mais on cherche des analogies, on en trouve cent, et on s'aperçoit qu'elles ont toutes un point commun : le saugrenu. Et quand on a ôté les comparaisons c'est tout ce qu'il reste. Ce serait une très belle perceuse d'autoroute, une superbe centrale pluvieuse, une surprenante fabrique de morceaux de sucre, ce n'est qu'un hangar saugrenu" 148 s'insurge René Barjavel. Cette "Notre-Dame des tuyaux"

149

fait écho à Adolf Loos malmené

par ses pairs à Vienne, son immeuble de la Michaelerplatz comparé à une plaque d’égout dans le journal satirique local en 1911.

146. Hal Foster, Op. cit., p.34 147. Maria Gravari-Barbas, "Marque d'architectes", "Marques de Musées" L'architecture médiatique en tant qu'outil de positionnement touristique urbain, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, p.7 148. René Barjavel, Centre Beaubourg, Dieu que c'est laid !, article du Journal du dimanche, 30 janvier 1977 http://barjaweb.free.fr/SITE/ecrits/JDD/art_jdd.php?jma=300177 149. Jean-Louis Cohen, L'architecture entre image et usage, conférence du 24 décembre 2000 au Collège de France.

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95. Caricature de l’Illustrierte Wiener Extrablatt, 1911 journal satirique viennois. L’immeuble de Loos comparé à une vulgaire plaque d’égout. 96. Immeuble de la Michealerplatz, A. Loos (1909-1911) 95.

96.

150 151

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Louvre Lens (4 décembre 2012) et l'annonce du projet du Louvre Abu Dhabi (en mars 2007 pour une ouverture prévue fin 2016) conservant l'ambition d'originalité architecturale du premier. Est-ce une réplique à l'annonce d'un centre Pompidou-Metz (dont l'inauguration est prévue en mai 2010), dans un marché culturel et architectural concurrentiel sensibles au personnage architectural incarné par son œuvre particulière ? La marque est un musée Parallèlement, alors que le musée devient une marque, la marque devient musée. Tel est le cas de la fondation Louis Vuitton, et telle a déjà été la fondation Cartier à Paris. Le monde du luxe désire s'approprier la sphère publique et culturelle dans un but de promotion et d'expérience de l'univers de l'enseigne. Le luxe, en réaction à la globalisation d'un marché offrant une vision trop homogène et cohérente à leur goût, exige la singularité pour se démarquer. Ainsi, les équipes de communication ont recours à une architecture "flagship"

152

imaginée par les

"poids lourds" du métier : Toyo Ito pour Tod's ou Sanaa pour Dior à Tokyo, Rem Koolhaas pour Prada à New-York, Manuelle Gautrand pour Citroën sur les Champs Elysées... (Concernant cette dernière, nous reconnaissons clairement les chevrons du logo Citroën, ainsi transposés de manière volumétrique en façade.) Contrairement à la logique du logo auparavant étudiée, par ces "happenings" architecturaux, la tendance se renverse : afin de renforcer le sentiment de rareté et d'exclusivité, le marché du luxe a l'ambition de faire vivre à chaque individu (et non pas spécialement un client) un moment spécial et unique, une surprise à chaque visite suivant la ville dans laquelle il se trouve. Nous voyons ainsi apparaître une diversification de ces architectures soucieuses de l'esthétique spatiale et visuelle. Cependant, cette architecture conserve tout de même ce caractère graphique dans lequel l'essence du projet, est facilement reproductible par un dessin en deux dimensions : le logo se diversifie, il s'émancipe pour rejoindre des labels territoriaux. Une pluralité des logos et des lectures tendent à s'établir pour une même enseigne en fonction de son public et ses attentes : "les grands architectes d'aujourd'hui sont comme les grands designers : ils doivent avoir des lignes de produits pour tous les consommateurs."

153

Il s'agit alors d'une architecture sur-

mesure, prônant l'élégance du créateur opposée à l'internationalisme ambiant pratiquée massivement, comparable au vulgaire prêt-à-porter.

152."Flagship": un magasin phare. Issu de "flag" le drapeau ou pavillon et "ship" le navire, que l'on peut traduire littéralement par "navire du pavillon". 153. Hal Foster, Op. cit., p. 35

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99. / 100. / 101. Toyo Ito, flagship Tod’s, avenue Omotesando, Tokyo (2004)

g F sl ah gi p s

99.

///////////////////// Une architecture

précieuse, rare et spectaculaire.

Un voyage initiatique de la marque. 97. / 98. Manuelle Gautrand, flagship Citroën, Avenue des Champs Elysées, Paris (2007)

102.

97.

100.

103.

101.

98.

104. Rem Koolhaas, flagship Prada, New-York (2001)

104.

102. Sanaa (Sejima And Nishizawa And Associates) flagship Dior, Avenue Omotesando, Tokyo (2004) 103. Kumiko Uni, flagship Dior, quartier Ginza,Tokyo (2004)

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Ce rôle démonstratif et excentrique de l'architecture comme l'habit de couture, nous le voyons également à travers le comportement de ses créateurs. Par ailleurs, Maria-Gravari Barbas remarquait que "la globalisation de l'économie favorise l'émergence d'une élite urbaine mobile, demandeuse d'un réseau de lieux culturels, éducatifs et ludiques à haute valeur symbolique."

154

, Jean-Louis Cohen reconnaît de son côté que, par ces logotypes

architecturaux d'aujourd'hui la " veine élitiste qui traverse la profession architecturale dès lors qu'elle se définit avant tout comme une production artistique en rupture avec les stéréotypes visuels les plus répandus".

155

La popularité et la reconnaissance mondaine se

réalise par la singularité des formes et du architecte-personnage-créateur qui fait sa tournée mondiale en créant ses "pépites inédites" que tout le monde s'arrache.

En outre, l'architecture et son maître d’œuvre sont plus que jamais une nouvelle voie de renouvellement du capital de marque de Louis Vuitton, les collections entreposées à la fondation ne sont qu'un prétexte pour ériger la serre futuriste spectaculaire. Le mot "spectacle", Frank Gehry ne l'aime pas, et l'a fait savoir lors d'une remise de prix en Espagne en octobre 2014 : à la question "que répondez-vous à ceux qui parlent de votre architecture comme d'une architecture spectacle ?"

156

celui-ci lèvera son majeur en guise de réponse,

visiblement irrité par l'emploi d'une vision journalistique désinvolte de son architecture. Celui à qui l'on peut attribuer le prix de l’éclectisme de ses productions architecturales, à l'esprit de formes enjouées, soucieuses d'apporter la touche excentrique souhaitée par ses commanditaires, ne se détourne pas pour autant de ses critiques. Il a l'allure d'une rock star, il est étonnant de voir l'architecte en conférence de presse filmée et attendue comme pourrait être celle présentant un film hollywoodien en lisse pour une récompense médiatisée. Ainsi, le branding passe donc aussi par le discours, le charisme de l'architecte moderne qui refuse de se taire. Hal Foster s'en amuse : "ce n'est pas sans ironie que Koolhaas réclame un copyright sur les expressions plaisante qu'il invente, comme s'il voulait reconnaître la corruption des concepts des concepts critiques se trouvant sur la page" 157 A l'heure d'une domination des médias, l'économie et la politique qui en découle, l'architecture évolue en faveur de "la culture du marketing" 158 mais aussi du "marketing de la culture" 159.

154. Maria-Gravari Barbas, Op. cit., p.7 155. Jean-Louis Cohen, L'architecture entre image et usage, conférence du 24 décembre 2000, la web tv de l'enseignement supérieur et de la recherche, www.canal-u.tv 156. Conférence de presse de la remise du prix des Asturies, octobre 2014. 157. Hal Foster, Op. cit., p. 38 158. Ibid., p. 34 159. Ibid., p. 34

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La fondation Louis Vuitton, nouvelle griffe de Frank Gehry, s'est construite autour de stratégies économiques et politiques, sa singularité étant le choc visuel mémorable, du moins, l'élément déclencheur pour une nouvelle identité. "Il s'agit d'une restructuration de l'économie autour du numérique et de l'informatique, dans laquelle le produit n'est plus conçu comme un objet à produire mais comme une donnée à manipuler, c'est-à-dire à designer et à redesigner, à consommer et à reconsommer. Cette "médiation" produit une telle inflation de design qu'il n'est plus possible de la considérer comme une industrie secondaire. Peut-être faut-il parler aujourd'hui d'"économie politique du design".

160

L'architecture, tendance, produit de design et marque devient un média politique

indispensable. Or, l'architecture a toujours été synonyme de pouvoir et de médiation autoritaire au regard du peuple, cependant, il est nécessaire d'étudier cette architecture qui brasse désormais ces divers domaines issus d'une culture capitaliste de plus en plus généralisée et s'admet comme un fait de concurrence entre les territoires.

160. Ibid., p. 34

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3

L’architecture, le nouveau bijou médiatique du politique

///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// L’architecture adhésion

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3.1

/////// L'architecture est un instrument de séduction : études de deux cas

particuliers, l'usage du type classique et contemporain

L'architecture iconique d'une religion passera au fur et à mesure vers une architecture-logo comme le signal d'un pouvoir étatique du monde consumériste. Nous étudierons ainsi les divers cas d'une architecture iconique qui devient un outil de légitimation du pouvoir, l'évolution de son style et son programme selon l'époque, l'idéologie, et son économie et comment, malgré les aléas politiques et religieux, l'architecture iconique demeurera l'outil suprême de communication. Nous y verrons la transformation de l'émotion religieuse à la marque d'une glorification de l'État, telle une nouvelle religion. La naissance d'une architecture d'émotion, une ancienne et fiable manière de faire autorité autour d'un même objet architectural Il fut déjà question d’instrumentalisation du pouvoir aux prémices de l'architecture, où l'on peut trouver de nombreux vestiges jusqu'à la période néolithique dont les roches mégalithiques161 de Stonehenge à Carnac. La religion se transfigurait ainsi par la pierre telle une profession de foi devant la grandeur céleste, aménageant les rituels autour de la construction et instaurant un ordre de pensées selon un rythme trouvant son appui dans l'architecture. De nos jours, l'architecture cléricale s'efface au profit d'une architecture d’État, plaçant ses équipements culturels ou sièges sociaux témoignant de sa richesse économique, sociale et culturelle. La politique longtemps au service de la religion fut le motif de tous les défis afin d’accéder au salut éternel. En outre, la multitude de styles et techniques innovantes émanent de l'admiration idolâtrique, où le "croire et le voir" sont étroitement liés et la fascination matérielle demeure le moyen nécessaire d'adhésion spirituelle. Dans ce domaine, pour se cantonner à l'exemple européen dominé par le christianisme, l'évangélisation s'effectua par la médiation d'une architecture "suscitant l'émotion pour rapprocher du sacré le commun des mortels"162

161. Mégalithe : Monument du Néolithique ou du début de l'époque du bronze, constitué par un ou plusieurs gros blocs de pierre bruts ou peu dégrossis et qui servait notamment de tombeau ou de sanctuaire (d'apr. Ville, 1967) - définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales www.cnrtl.fr/definition/mégalithe 162. Isabelle Bourdial, Editorial Les Merveilles du monde chrétien, Les Cahiers Science et Vie, aux racines du monde n° 142, janvier 2014, p. 3

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"Qui que tu sois, si tu veux exalter l'honneur des portes, N'admire ni l'or ni la dépense, mais le travail de l'œuvre. L'œuvre noble brille, mais l'œuvre qui brille dans sa noblesse Devrait illuminer les esprits, afin qu'ils aillent, à travers les vraies lumières, Vers la vraie lumière, où le Christ est la vraie porte. Ce que la vraie lumière est à l'intérieur, la porte dorée le détermine ainsi, L'esprit engourdi s'élève vers le vrai à travers les choses matérielles, Et plongé d'abord dans l'abîme, à la vue de la lumière, il ressurgit." 163 lit-on sur les portes de la Basilique Saint-Denis. L'architecture acquiert ainsi le mythe d'un catéchisme visuel, un support pérenne d'apprentissage pour les plus indigents et ignorants au regard de l’Église puissante. Un symbole tel que le logo permettant une adhésion immédiate, par la séduction de ses espaces extrêmement travaillés pour l'amour de Dieu. Nous retrouvons d'ailleurs le même phénomène de styles éclectiques bien présents de nos jours, la nécessité de renouveau dans la même tentative de se démarquer les uns des autres. En effet, les bâtisseurs s'adonnèrent à une multitude de styles, là ou le mystère fut parfois empiété par le renouveau permanent des canons architecturaux. Il était alors indispensable d'innover afin de se réaliser par la construction et aspirer à la reconnaissance démiurge. Cependant, rien ne prédestinait à l'appel de la richesse et l’expérimentation de techniques dépassant toutes les aspirations. "L’église est là quand deux ou trois sont réunis en mon nom"164 déclarait le Christ dans l’Évangile selon Saint-Matthieu. Les seigneurs, fédérations, cités et états se livraient tout de même une bataille du sublime et d'une noblesse technique, à celui qui sera le plus digne de représenter son attachement à la divinité. Le roi, comme représentation de Dieu sur terre, s'octroie du droit divin pour ériger le monument religieux à l'image de sa stature, employant ses goûts et son caractère. De ce fait, il s'avéra difficile d'accueillir simplement la communauté des baptisés selon des impératifs pratiques et formels quand il s'agissait en réalité d'une mission divine magnifiant son maître d'ouvrage et ses sujets. L'architecture fut rapidement le moyen d'encadrer l'individu, un outil de discipline populaire redoutablement efficace. Le fait politique est dépendant du religieux, l’œuvre de l’Église est donc aussi celle de l’État, vitrine de sa puissance en même temps que de sa ferveur. De cette manière, nous pouvons présenter l'abbé Suger, une grande figure ecclésiastique à la fois conseiller du roi Louis VI puis Louis VII et père de la Cathédrale. A Saint-Denis, il ose la rupture avec l'art roman sous le prétexte d'étendre le déambulatoire de la

163. Inscription du texte de Hilduin d'après les écrits de Denys L'Aéropagite que fait graver l'Abbé Suger sur l'une des portes de bronze de la Basilique de Saint-Denis, au XIIe siècle. 164.Christophe Migeon, Les Merveilles du monde chrétien, Les Cahiers Science et Vie, aux racines du monde n° 142, janvier 2014, p. 6

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crypte carolingienne, bien trop étroite pour accueillir les fidèles se déplaçant en grand nombre lors des fêtes et des pèlerins venus se recueillir auprès des reliques des saints martyrs. Fidèle aux traités scolastiques et théologiques enseignés pour qui "Dieu est lumière"

165

, il libère

l'espace des travées, multiplie les chapelles rayonnantes ornées de vitraux éclatants ceci faisant la lumière sur une voûte en croisée d'ogives et ses colonnes monolithes. Suger invente la cathédrale par le gothique166, elle s'impose par l'étrangeté de sa lumière et l'étonnant aménagement spatial conférant à une mise en scène d'un paradis. C'est ainsi que s'exprime Patrick Demouy au sujet du principe de clarté porté par le gothique très vite répandu à toute l'Europe sur le modèle et manifeste de Suger : "Ces grandes fenêtres donnent à ceux qui sont dans l'église un avant-goût du paradis. On peut imaginer la sensation que cela devait procurer à des braves gens vivant dans des maisons en torchis, des rues étroites et malodorantes, de pénétrer dans ces monuments gigantesques, avec des hauteurs sous voûtes qui arrivent jusqu"au ciel, avec l'odeur d'encens et ces vitraux qui sont comme des pierres précieuses sur les murs."

167

Les évêques se livreront, dès lors, la bataille des cathédrales,

toujours plus hautes, plus riches et extravagantes, quitte à remplacer ou modifier les anciennes "maisons de Dieu". Ceci figurant alors comme ancêtre d'un logotype architectural monumental symbole d'un pouvoir tout puissant que nous pouvons trouver aujourd'hui à travers la compétition des gratte-ciels, remarquables dans les pays du golf, remplacés par d'anciens villages de pêcheurs et communautés nomades. Par l'architecture, l'image même de Dieu se transforme de la figure redoutable et intimidante des jugements derniers à l'époque romane en un profil doux et miséricordieux incarné dans le gothique. Nous remarquons, de fait, que l'architecture est personnifiée et entretien un rapport expressément différent avec son public suivant les dispositifs architecturaux mis en œuvre. "Et si l'architecture romane donne l'impression d'un bastion impénétrable de l'extérieur et uniquement intelligible de l'intérieur, le gothique classique va être dominé par ce que l'on peut appeler le principe de la transparence"

168

remarque Emmanuel Alloa, professeur

d'esthétique à l'université de Paris VIII. Par conséquent, l'architecture entreprend un dialogue social forgeant croyances et coutumes dans laquelle elle s'implante. Elle demeure un puissant outil de discipline populaire. Dans ce sens, elle sera l’œuvre au cœur de modèles de sociétés utopiques désireuses de canaliser l'Homme à travers une doctrine démagogique. 165. Nassera Zaïd,Les Merveilles du monde chrétien, Les Cahiers Science et Vie, aux racines du monde n° 142, janvier 2014, p.16 166. Le style gothique vient, en effet, "de l'Opus Francigenum - l'oeuvre française, rebaptisée "gothique" par l'artiste italien Giorgio Vasari, qui voyait dans cette esthétique bafouant les règles du classicisme un art barbare digne des Goths. explique Nassera Zaïd. (Nassera Zaïd, art. Et la lumière fut dans Les Merveilles du monde chrétien , Les Cahiers Science et Vie, aux racines du monde n°142, janvier 2014, p. 17) 167. Nassera Zaïd, Op. cit., p.16 Nassera Zaïd citant Patrick Demouy 168. Ibid., p.16 Nassera Zaïd citant Emmanuel Alloa

82


169

C

M 105. Yona Friedman, L’architecture mobile, projet pour New-York (1959) 106. Kenzo Tange, plan de réaménagement de la baie de Tokyo (1960)

105.

106.

107. Le Corbusier, Le plan voisin pour Paris (1922-1925)

107.

108. Ricardo Bofill, Walden 7, cité résidentielle, Barcelone (1970) 109. Ricardo Bofill, Antigone, quartier de Montpellier (1978)

108.

109.

110.

169

83

110. Frank Lloyd Wright, The national life insurance building, projet. (1923)


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Les architectes aspirent à devenir des hommes intègres, maîtres-penseurs, alliant réflexions philosophiques et dimension sociologique de l'art architectural et urbanistique où leur architecture iconique semble être une métaphore de leurs mode de pensées. Aujourd'hui, ce phénomène est nettement perceptible, il semble presque automatique dans le but de légitimer leur démarche conceptuelle et développer leur assise intellectuelle. Comme l'écrit François Chaslin "il n'est que de voir Henri Gaudin se référer à la poésie d'André du Bouchet ou, à titre peut-être de simple métaphore poétique, aux théories fractales de la mathématique contemporaine, Christian de Portzamparc invoquer Hegel ou Heidegger et Jean Nouvel se nourrir des philosophes de Baudrillard ou de Virilio ou des atmosphères de Wim Wenders, pour vérifier combien peuvent être vifs cette volonté de conceptualisation, cette envie de lier au métaphysique l'activité ordinaire de l'architecte, ce besoin d'assurer sa cohérence intellectuelle en l'ancrant dans d'autres domaines spéculatifs de l'époque"

170

. Fier de sa

récente suprématie qu'il exerce sur ses usagers, à l'âge d'une exaltation de l'égo, l'image est mâtinée de l'architecte et son maître d'ouvrage, ne parvenant pas à identifier les volontés de l'un et de l'autre. La voie sociale et discursive d'une nouvelle architecture humaniste visible par les rêveries ingénieuses, fruit de théories politisées de concepteurs bien-pensants peut transformer l'utopie bienveillante en dystopie particulièrement apparente au sein des régimes totalitaires du XXe siècle. Franco Borsi y voyait les prémices de l'inquiétante entreprise architecturale iconique à des fins de propagande politique au siècle précédent. Lorsque la technique et les premières démocraties s'instaurent, l'utopie s'adapte au réel et se concrétise par le progrès du XIXe siècle, "les machines à habiter ou à cohabiter évoquent plus le camp de concentration - répression, planification, autoritarisme - que la vitalité et les lois de nature dont elles prétendent s'approcher" 171remarque t-il. Ces évolutions en matière sociale, technique, et la multiplicité des styles prirent un tournant dramatique. Ce dernier oppose l'isolement et l'autarcie versus la communication et le libreéchange, la perfection des institutions au prix du totalitarisme, la marginalisation ou l'abolition de la famille en tant que noyau essentiel de la société, l'uniformité obsessionnelle de la planification spatiale et des comportements individuels, l'omnipotence de la pédagogie et de la propagande pour déterminer les convictions uniformes"

172

. Il fait alors référence aux

phalanstères et familistères, véritables plans d'aménagement de cohésion sociale et de vivre ensemble, mais aussi les lieux de concentration particuliers dans les cités grecques où le nazisme et le communisme de la seconde guerre mondiale parviennent à créer une

170. François Chaslin, Un état critique, Espace et sociétés n° 60, 1990, p. 76 171. Franco Borsi, Op. cit., p. 7-8 172. Ibid., p. 18

84


111. Maquette du Grand Dôme de Germania, le nouveau Berlin, réalisée par l’agence Speer en 1939.

112.

111.

112. Maquette du Palais des Soviets, Moscou, par Boris Iofan et approuvé par Staline en 1931. 113. Le Palais du Peuple (rebaptisé Palais du Parlement après la chute du régime des époux Ceausescu en 1989), Bucarest, par Anca Petrescu.

113.

85


- Vers une architecture logo -

Sur le modèle d'une cathédrale ou d'un palais grec antique surdimensionné, la monumentalisation devient le mot d'ordre de tout pouvoir despotique qui souhaite établir une relation de concurrence avec ses nations voisines, ou plutôt les écraser de son imposante empreinte architecturale. Tel un jeu de compétition infantile Hitler souhaitait du plus grand, du plus haut, un véritable défi d'identités, un pied de nez aux cités jalousement admirées. Par narcissisme obsessionnel, il trouva le besoin de montrer qui était le meilleur, définitivement dans le projet de dépasser l'envergure architecturale de Rome et Paris : Saint-Pierre par le Grand Dôme, l'arc de Triomphe par sa copie doublement amplifiée. Nous pourrions justifier sa plus grande envergure par l'usage des voitures du peuple nazi ayant remplacé les calèches de Napoléon, mais l'effet escompté résida tout de même dans la mise en scène théâtrale de l'illustre parti, comme l'élément majeur d'une scénographie politique. C'est ainsi qu'Albert Speer eu recours à la grande échelle, le Grand Dôme, devait être le bâtiment le plus haut du monde, quartier général de l'idéologie nazie qui, à travers cet édifice hors norme, se présentait comme une religion. Par Albert Speer, jeune prodige de l'architecture allemande, Hitler donne le ton : il exige l'édification d'une ville à l'aspect royal revêtant une forme néo-classique exubérante, annonçant un respect des ordres allant de pair avec l’ordre terrible et édifiant du régime national-socialiste. Main dans la main, Speer et Hitler par Germania, mais plus particulièrement le Grand Dôme, se devaient "de symboliser la vitalité et la confiance en l'avenir de la "Nouvelle Allemagne"

173

, l'architecture-patrimoine élevant le Furher au rang de

seigneur et permettant de jouer un rôle didactique sur ses nouveaux sujets. La vision classique, comme l'indique Christian Freigang174, est une réaction visionnaire visant à une reconstruction nationale et morale. Hitler s'oppose au Berlin du Reichstag de l'Allemagne wilhelmienne qu'il juge chaotique et à l'architecture souvent exécutée pour des besoins immédiats. Sévère envers le fonctionnalisme alors en vogue dont ce dernier en a le dégoût, les dictateurs prennent le contre-pied traditionaliste, vénérant le classique, là où les réalisations de l’État devraient durer pour l'éternité et non répondre à une finalité ponctuelle. Ils louent le classique et le célèbrent par l'intermédiaire d'une échelle colossale, jamais réalisée jusqu'alors tout en diabolisant la technicité du fonctionnalisme, qui selon eux, ne sera jamais patrimoine et monument puisqu'elle est internationale et de fait ne renvoie à aucune idéologie. Il s'agit d'un pastiche monstrueux, mêlant imaginaire de la terreur, intimidation extraordinaire et mystique religieux par l'image d'un dôme rivalisant avec les nuages.

173. Lars Olof Larsson, Albert Speer : Le plan de Berlin, 1937-1943, AAM Editions, 1983, p. ? (à vérifier bibliothèque) 174. Christian Freigang, Holisme, esthétisme politique et architecture, colloque du 23 juin 2014 dirigé par JeanLouis Cohen dans le cycle L'architecture moderne, promesse ou menace ? à l’amphithéâtre Marguerite de Navarre - Marcelin Berthelot - Collège de France. www.college-de-france.fr/site/jean-louiscohen/symposium-2014-06-23-09h40

86


- Vers une architecture logo -

Effectivement, ce Saint-Pierre déformé, pompeux, démesuré était destiné aux réunions extraordinaires du parti devant s'élever jusqu'à 290 mètres de haut. Piliers cannelés de marbre, frises légèrement sculptées, colonnes de granit rouge, coupole en cuivre, sculptures et réceptacles en bronze étaient tracés de la main de Speer dans une "soif démesurée de représentativité"

175

indiquant, par ailleurs, cette tendance à vouloir maîtriser l'épreuve du

temps par l'usage de matériaux prestigieux. Le classique est considéré comme intemporel, Hitler s'offre un précieux joyau de propagande dont son éclat est jugé inaltérable. La "théorie des ruines" imaginée par Speer est la preuve de ces initiatives, choix architecturaux singuliers pour son époque et assumés sans vergogne. Il s'agissait, en utilisant certains matériaux ou en respectant quelques règles de physique statique, de construire des édifices, qui, après des milliers d'années ressemblerait aux ruines laissées par Rome. Avant d'imaginer le Grand Dôme, Speer, afin de convaincre Hitler, réalisa une planche dans le style romantique présentant la tribune de l'esplanade Zeppelin (stade olympique de Nuremberg où se tenait les congrès du parti nazi) après des siècles d'abandon : rongée par le lierre, murs effondrés par endroits, pilastres renversés - celle-ci restait tout de même reconnaissable. L'architecture iconique, hors norme, permet donc à Hitler de dépasser la mort; elle continuera au delà d'exprimer ses messages. C'est ainsi que, séduit, le tyran donna l'ordre de bâtir ses édifices majeurs selon cette théorie, afin d'y léguer un patrimoine architectural germanique digne d'un empereur romain. Le Grand Dôme a ainsi pour dessein de se présenter comme la matrice des civilisations, l’emblème du nazisme dominant le monde, bravant le temps par l'objet classique disproportionné, telle une réinvention du patrimoine de la race allemande qui aspire à être global. "Cette synthèse, cette accumulation des différentes parties de la ville - c'est grâce à ça que cette ville saura qu'elle a eu centre un pouvoir, c'est comme ça que le plus obtus, le plus bête et le plus cancre berlinois comprendra enfin ce qui nous aura motivé"

176

justifiait Hitler

de l'emploi d'un réel signal, le stéréotype du classique et son dôme fait autorité à tous, élevant le führer au rang d'un dieu tout-puissant. Ce fut la manière pour Hitler de galvaniser les foules, à travers le souvenir, ses richesses, renouant les plus bêtes et sceptiques au sentiment d'appartenance aux "victorieuses" racines du peuple germanique.

175. Lars Olof Larsson, Op. cit., p. 77 176. Hitler à Speer devant la maquette de Germania dans le film d'Heinrich Breoler, Speer & Hitler, l'architecte du diable, 2005

87


114.

Le Grand

Dôme

///////////// L’inquiétante entreprise La monumentalié, le vocabulaire antique et religieux : moyens historicistes pour rassembler.

118. 115.

116.

Le Zeppelinfeld de Nuremberg, (A. Speer, 1933)où se tenait le congrès annuel du parti nazi. Une architecture à l’image des grandes infrastructures sportives antiques et arènes de gladiateurs. C’est un pastiche monumental du grand autel de Pergame (monument hellenique décourvert par un ingénieur allemand en 1886 et reconstitué au Pergamonmuseum de Berlin)

119.

117.

120.

Maquette de Germania et du Grand Dôme (Volkshalle) - A. Speer (1939)

Images tirées du film documentaire d’Heinrich Breoler, Speer & Hitler, l’architecte du diable, 2005


- Vers une architecture logo -

Pascal Robert, dans son article "La logistique du politique : de l'architecture aux machines à communiquer"177 explique l'amalgame des archétypes architecturaux à des fins de communication politique. "Comment rapprocher, raccorder, connecter au plus près l'instance du pouvoir - État ou Temple - et le Nombre, la masse des gouvernés - alors même que celle-ci est toujours dispersée ?"

178

se demande t-il, il y répondra quelques lignes plus loin :"la

solution que propose le véhicule architectural vise tout simplement à rabattre le tout sur la partie, à replier le global sur le local."

179

Parmi ces archétypes, il y distingue le théâtre et

l'église, le cirque et le stade, la cour et l'hémicycle où l’iconicité en fait un "lieu de rencontre entre le spirituel et le temporel" 180, un "lieu et un enjeu de pouvoir" 181 . Ces édifices ont alors la particularité d'être polyvalents réunissant longtemps les institutions politiques comme religieuses, la culture, le divertissement et ses foules avec l’État représentant le tout par une partie, justifiant le caractère emblématique ou iconique et l'échelle monumentale comme image repère (engageant paradoxalement une distanciation - la grande échelle qui intimidetout comme une attraction - la grande échelle qui dirige le regard et l'immobilise sur celle-ci.) et "image-texte" ou logo pour rassembler, concentrer, s'imposer, et séduire le plus grand nombre.

Les régimes totalitaires aspirent à un phénomène de monumentalisation ou patrimonalisation quasi instantanée, dès son édification. Il semble que nos démocraties tendent vers ce même procédé. Le monument n'est plus dû à son histoire mais à sa valeur en tant qu'image communicante. En France, cette" image-texte" citée précédemment s'exprime essentiellement à travers les mandats de nos présidents, puis récemment des grandes marques et entreprises françaises qui font sa valeur et sa spécificité (comme nous pouvons le voir à la fondation Louis Vuitton).

Les grands projets présidentiels, logos de mandats. Il s'agit là d'une tradition royale : encenser son nom par la création architecturale est toujours d'actualité en France, là où en Allemagne, ceci ferait scandale, comme un sulfureux symbole de détournement de fonds publics.

177. Pascal Robert, La logistique du politique : de l'architecture aux machines à communiquer, Quaderni vol.43, n°1, pp. 5-18 178. Ibid., p. 7 179. Ibid., p. 7 180. Ibid., p. 7 181. Ibid., p. 7

89




 Logos de mandats 121.

///////////// L’architecture étatique des démocraties - un bien citoyen

 122.

Centre Beaubourg - R. Piano / R. Rogers

Tour Montparnasse Saubot / Beaudouin / Cassan / Hoym de Marien

1969 -1973

1971 -1977 Valéry Giscard d'Estaing 1974 // 1981

1981 - 1987

1977 -1986

 Institut du Monde Arabe - J. Nouvel

Georges Pompidou 1969 // 1974

Cité des Sciences et de l’Industrie - A. Fainsilber 124.

123.

 

 François Mitterrand 1981 // 1995

1982 - 1989

Opéra national de Paris-Bastille - C. Ott

125.

0


Tribunal de Grande Instance - Piano

Philarmonie de Paris - Nouvel

François Hollande 2012 // 2017

130.

2007- 2015

131.

Nicolas Sarkozy 2007 // 2012

 1999 - 2006

 129.

Musée des Arts Premiers - J. Nouvel

Jacques Chirac 1995 // 2007

128.

1989 - 1995

1985 - 1995

128.

 L’arche de la Fraternité O. V. Spreckelsen / P. Andreu

Le Grand Louvre, Pyramides - I. M. Pei

127. 126.

La Très Grande Bibliothèque, (TGB) Bibliothèque nationale de France - D. Perrault




- Vers une architecture logo -

Dans l'histoire de la Ve République, nous ne comptons pas moins de 13 projets présidentiels, du mandat de Charles de Gaulle à François Hollande. Relativement discret et gêné par la vision narcissique de projets exécutés sous l'ordre du président, De Gaulle amorcera l'idée de constructions de structures d'intérêt public. Ainsi, il ne s'agit plus d'édifications pour le bien du gouvernement mais pour son peuple. Ceci se démarquant de la très mauvaise réputation des régimes totalitaires, dont a souffert l'Europe. Les grandes œuvres des dirigeants passent alors d'une programmatique de bâtiments ministériels et équipements d'affaires publiques à des infrastructures dites citoyennes : musées, bibliothèques, bureaux, espaces de spectacles, tribunal... Ils garderont cependant le caractère emblématique, monumental, "logotypique" de ces architectures tant décriées. A Paris, nous pouvons évoquer le Centre Beaubourg (Piano, Rogers), la tour Montparnasse (Saubot, Beaudoin, Cassan) pour Pompidou ; la Cité des sciences et de l'Industrie (Fainsilber) puis l'Institut du Monde Arabe 182 (Nouvel) pour Giscard ; l'Arche de la Défense (Otto Von Spreckelsen, Andreu), le Grand Louvre (programme de réaménagement du musée comptant la construction de la pyramide de Pei), l'Opéra Bastille (Ott), et la Très Grande Bibliothèque de France (Perrault) pour Mitterrand, faisant de son appétit pour les projets pharaoniques durant son mandat la cible de moqueries virulentes auprès de l'opposition. On l’appellera le "mégalomaniaque" ou le "Louis-quatorzien" : le cumul des projets iconiques durant la présidence étant désormais mal vu. D'autant plus que celui-ci choisira l'architecte chinois Pei sans concours, contrairement à la législation. Ses successeurs, seront ainsi plus sages mais toujours désireux de s'illustrer par le geste architectural, tel un tampon certifiant leur passage à la tête de l’État. Leurs formes primaires ou singulières, permettent d'y déceler leur visage ou nom183 pour chacune de leurs œuvres, dessinant tour à tour le paysage parisien, les inscrivant plus durablement dans l'Histoire. Chirac sera à l'origine du musée des arts premiers (musée du quai Branly par Nouvel), Sarkozy initiateur du projet de la Philharmonie de Paris (Nouvel), quant à Hollande, il inaugurera le Tribunal de Grande Instance (Piano) en 2017.

182. Le projet de l'institut du Monde Arabe a été décidé sous le mandat de Valéry Giscard d'Estaing, cependant, sa construction se fera après son septennat, inauguré sous Mitterrand en 1987. 183. Nous pouvons remarquer que le nom initialement attribué à l'édifice peut être rebaptisé au nom du président commanditaire à sa mort. Tel est le cas du Centre Beaubourg qui deviendra Centre Pompidou ou de la Très Grande Bibliothèque renommée Bibliothèque François Mitterrand à leur mort, comme un hommage posthume suprême. Par ailleurs, Giscard et Chirac,l'un président élu en 1974 et l'autre alors maire de la capitale se disputeront l'aménagement des Halles, tous deux furieux de la possibilité d'être privé du statut de commanditaire. De Chirac, nous retiendrons la formule : "L'architecte en chef des Halles, ce sera moi, carrément et sans complexes." - Corinne Delvaux, Le symbole : les grands travaux, Karambolage n°136 (magazine diffusé par Arte), 6 janvier 2006 www.arte.tv/magazine/karambolage/fr/le-symbole-les-grands-travaux-karambolage

92


- Vers une architecture logo -

Ces grands projets, tous aussi différents les uns que les autres connaîtront néanmoins la même veine symbolique, l'essence du projet se formant immédiatement mentalement. Ces architectures se construisent autour d'un discours, du moins une ligne politique, comme cela était le cas des architectures totalitaires. Voici pourquoi elles se doivent d'être parfaitement claires, afin d'attiser curiosité et émotions, pour qu'elles se mémorisent inconsciemment dans nos esprits en même temps que les principes politiques de son maître d’œuvre. L'architecture, dans ce cas devient le logo du président, son empreinte privilégiée exprimant ses goûts et son caractère, du moins, celui qu'il veut communiquer. Nous retrouvons donc, par exemple, chez Pompidou son incroyable fascination pour toutes formes de modernisme et d'avant-garde, visionnaire et ambitieux, il se montre déterminé, qui n’éprouve aucune inquiétude face à la contestation, se refuse de mettre Paris sous cloche en proposant deux projets aux espaces contemporains inattendus et insolites pour le paysage parisien. Comme une réponse à la crise artistique de mai 1968. Pour la plupart des grands ouvrages parisiens cités, le symbole est poussé à l’extrême simplicité : le dôme géodésique proche d'une sphère pour la Géode de la Cité des Sciences et de l'Industrie, un arc de triomphe résumé à sa seule arche où l'architecte eu l'ambition de clore "la plus belle perspective du monde"- le vieux monde Napoléonien face à l'avenir capitaliste et moderne de la Grande Arche de la Défense. Il y a aussi la pyramide du Louvre, une petite réplique en verre de celles que l'on peut visiter à Gizeh; elle fut détestée puis admirée. En revanche, la Très Grande Bibliothèque dont l'iconicité obsessionnelle de Mitterrand sera longtemps raillée, la TGB deviendra la "Très Grande Bêtise". L'idéogramme plutôt simpliste de quatre livres ouverts, celui des Temps, des Lois, des Nombres et des Lettres, sont amenés par quatre en tours de verre qui empêcheront tout stockage d'ouvrages, la lumière non filtrée représentant un danger pour la conservation de ses livres. "Quand la volonté d'innover oublie le simple bon sens"

184 _

s'insurge la presse. Tel fut le cas de la Grande Arche, le symbolisme

esthétique primant sur la qualité des espaces : " ce qui devait devenir l'Arche de la Fraternité a été privatisée et mène avec ses nombreux bureaux sans lumière du jour et donc inutilisés, une existence pour le moins obscure" 185 remarque Corinne Delvaux. Ces travers d'une architecture-logo, nous les retrouvons également à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord : l’hôtel Ryongyong devait s'inscrire dans la compétition des plus grands et illustres établissements du monde, initiative étonnante tant le pays est quasiment fermé au tourisme. Du haut de ses 330 mètres dans un "compromis incertain entre une pyramide 184. L'express, La véritable histoire de la Grande Bibliothèque, 1er septembre 2002. www.lexpress.fr/culture/livre/la-veritable-histoire-de-la-grande-bibliotheque 185. Corinne Delvaux, Le symbole : les grands travaux, Karambolage n°136 (magazine diffusé par Arte), 6 janvier 2006, www.arte.tv/magazine/karambolage/fr/le-symbole-les-grands-travaux-karambolage

93


Hotel Ryongyong - mars 2004

aoรปt 2011

94


- Vers une architecture logo -

Par conséquent, nous remarquons que ces grands groupes internationaux semblent dominer autant, ou même, davantage sur les territoires dans lesquels ils s'implantent, que les élus, des maires aux présidents. En définitive, la marque, tout comme l'architecture totalitaire ou présidentielle, adopte la forme d'une architecture-logo érigée à la manière d'une cathédrale, ou d'un temple. La religiosité émane de ses formes, conçues comme des reliques, amulettes, signes distinctifs destinés à séduire de nouveaux disciples, afin qu'ils adhèrent aux idées énoncées, à leur philosophie mais aussi dans le but d'entretenir leur foi par des formes qui leur "parlent". Nous pouvons le voir à la fondation Louis Vuitton, conjuguant univers utopique, ou fantasmagorique où le monumental lui confère une dimension quasi-religieuse. Bernard Arnault tend alors à sacraliser la marque par sa nouvelle fondation. Daniel Bô analyse cela comme une technique empruntée de l'architecture religieuse et politique exerçant un grand pouvoir sur l'individu : "Dernier enjeu capital, le développement d'une communauté de fidèles ambassadeurs de la marque peut d'appuyer sur un lieu de marque conçu comme un "temple". Plus qu'y acheter des produits, les "adeptes" de la marque viennent y approcher la cour sacré de la marque, la "performer", comme on performe un culte religieux. Ces pratiques supposent des lieux de célébration spécifiques et appropriés, riches de symboles, mais également la mise en place de cérémonies, de rituels comme les événements." 191 L'organisation de ces rituels, et aménagement de ces événements architecturaux sont ainsi l'affaire des décideurs locaux, venant alors de tous bords - car pour que le logo symbole du pouvoir subsiste face à la submersion d'inédits architecturaux au sein de la ville contemporaine, une hiérarchisation des valeurs architecturales s'opère. Comme dans un musée, la ville tend alors à exposer ses pièces phares, exerçant un rapport de tension avec son environnement. C'est le temps d'un marché de l'architecture semblable au marché de l'art, de la ville-catalogue, là où les commanditaires comme architectes-côtés font conjointement leur promotion.

3.2 /////// Les pouvoirs, metteurs en scène du théâtre urbain Avant de vouloir séduire le public, il faut toutefois réussir à charmer le metteur en scène. Les maires, sont des "metteurs en scène incultes", il est alors nécessaire de les former. Vincent Feltesse, président de la fédération nationale des agences d'urbanisme et élu municipal, interrogé par Jean-Louis Cohen explique le paradoxe du pouvoir démocratique sur la ville : le maire a cet incroyable pouvoir de signer les permis de construire mais il s'agit "d'un des

191. Daniel Bô, Les lieux des marques de luxe, CB News, 15 décembre 2014 www.cbnews.fr/Info%20CB%20News/les-lieux-des-marques-de-luxe-par-daniel-bo-pdg-de-qualiquanti

95


192

.

135.

96


- Vers une architecture logo -

sites internet interactifs, par l'utilisation du logotype graphique pour chaque projet, esthétique et instructif, ou la publication de manifestes déroutants. Parmi eux, Bjarke Ingels, fondateur de l'agence BIG au Danemark faisait la promotion de sa bande-dessinée "Yes is More" (- et par extension de son architecture), lors d'une conférence TED. Il s'agit, selon lui, d'un ouvrage privilégié liant image, dessins et mots, d'une grande accessibilité, pour tous les publics. Ainsi, Ingels tente de soulever le problème du débat public sur l'architecture, de plus en plus souvent centré sur le résultat final, caricaturé quand celui-ci demeure incompris : "La dernière tour de Londres195, c'est quoi ? Une saucisse, un cornichon, un sex-toy ? Alors depuis peu, on se demande si on peut inventer une forme qui raconte l'histoire qui se cache derrière les projets."

196

Au fil des planches et des vignettes, l'architecte délivre la trame, le scénario de

son travail, ses coulisses de ses nombreuses productions, ses rebondissements "grâce à l'adaptation et à l'improvisation. Grâce à l'agitation, aux opportunités et aux incidents présents dans le monde réel"

197

L'architecture est un jeu, le logotype est utilisé à outrances du

dessin au volume. Dans le cas de BIG, c'est ce support d'expression tout droit sorti de l'imaginaire des illustrateurs de bande dessinés cherchant à représenter par un dessin exécuté en peu de traits l'expression singulière du personnage - que l'on retrouve dans son architecture. (Illus. p. 98) Cette monographie, première en son genre, fait évoluer son personnage principal, Bjarke Ingels lui-même, autour de maquettes et montages, un univers de bulles, onomatopées, flèches et imagerie "pop" colorée. Il se présente comme un "manifeste de culture populaire" tout autant que d'architecture tant les méthodes parfois non conventionnelles répondent à des demandes polymorphes. BIG s'accomplit par l'architecture qui se refuse à un "appauvrissement de l'imagination"

198

emmenée par Mies Van der Rohe. "Yes is More" se

place comme l'ouvrage critique du moderne internationaliste "Less is more", une dépersonnalisation de l'architecture dont le monde semble désormais en avoir le dégoût. En effet, le paysage urbain actuel offre "un modernisme pluraliste" 199, que l'architecture-logo tente d'unifier, de composer. Ce phénomène d'une multiplicité de singularités vient probablement des concours, où les architectes sont encouragés à dévoiler une image percutante et originale pour se démarquer des concurrents, tout en procédant à une uniformisation afin d'y apporter davantage d'impact et de compréhension.

195. En référence à la tour de Norman Foster, "The Gherkin", livrée en 2007. 196. Bjarke Ingels, conférence TEDGlobal, Bjarke Ingels : 3 warp-speed architecture tales, juillet 2009 www.ted.com/talks/bjarke_ingels_3_warp_speed_architecture_tales 197. Ibid. 198. Bjarke Ingels Group, "Yes is more", p.2 199. Expression tirée du dessin de Robert Krier "Pluralism / Modern Pluralism"

97


136. Site internet de BIG - Bjarke Ingels Group // www.big.dk

La

Des logos pour définir immédiatement l’essence du projet

méthode /////// L’architecture ludique

Exposition linéaire

Exposition courbe

Toit terrasse, parking à vélos et vélodrome

Exposition continue

Les boucles sont connectées entre elles afin de créer une continuité entre intérieur et extérieur - piétons et cyclistes

137.

Le pavillon du Danemark à l’exposition universelle de Shanghai 2010 dont le processus de conception est clairement expliqué au moyen de dessins rapidement exécutés - visibles sur le site internet de l’agence BIG. 138.

Bureaucratic Beauty - Projet au programme mixte (équipements et logements) à Tojhuset, Cophenague. Idées et réflexions exposées dans les planches de Yes is More, p.131-132


- Vers une architecture logo -

Nous observons par la démocratisation des concours concernant les bâtiments publics (les commandes y sont rares contrairement aux siècles passés), une évolution d'une architecture à l'esthétique élitiste à une architecture marqueur de ville populiste. Les maires, décideurs locaux, aspirent à des formes plus humaines, dorénavant réticents à l'"architecture apatride et nomade" 200 des modernes. La scénographie urbaine des dirigeants, une hiérarchisation des valeurs : du banal à l’exceptionnel Une fois conquis et instruit, le maire, fier de son nouvel acteur, s'adonnera à l'exercice de la scénographie urbaine. Car un ordonnancement des valeurs doit s'effectuer parmi la masse bâtie afin de célébrer sa nouvelle acquisition, établir des dispositifs plaçant le bijou architectural dans son écrin et d'assurer une cohérence des séquences urbaines. Ainsi, nous pouvons évoquer le processus couramment employé que Koolhaas appelle "la théorie de la Grandeur" : "Dans un paysage marqué par le désordre, le désassemblage, la dissociation, l'abandon, l'attrait de la Grandeur est ce qui peut permettre de reconstruire le Tout, de ressusciter le Réel, de réinventer le collectif, de retrouver le chemin de tous les possibles."

201

Comme nous avons pu le voir lors de la partie précédente, la monumentalisation de l'objet architectural reste le moyen sine qua none pour s'imposer, et le procédé radical afin que les tissus urbains se réorganisent autour de lui. Tel était le cas de l'exposition universelle de Shanghai, constellée d'échantillons d'architectures toutes plus singulières et significatives les unes que les autres. Nous nous pencherons alors sur l'exemple de la Chine, qui, peut-être par son écriture faite d'idéogrammes et le goût pour la calligraphie en fait un des principaux pays renouant l'architecture et l'écriture, le goût du symbole et du stéréotype en une profusion d'architectures "logotypiques" et comment celles-ci s'organisent les unes par rapport aux autres. Dès mon arrivée sur le site de l'exposition, je fus étonnée par le gabarit du pavillon chinois, imposant, d'un rouge criard. La sémantique de l'architecture s'élabore sous divers angles : techniques, formes, lignes, couleurs, motifs, proportions, lumière, l'emplacement, où les uns dans les autres engendrent une lecture spécifique de l'architecture.

200. Jean-Louis Cohen, La menace moderne : une anthologie, conférence du colloque ---, Amphithéatre Marguerite de Navarre-Berthelot, Collège de France, 23 juin 2014. 201. Hal Foster, Design & Crimes, Les prairies ordinaires, 2008, p.65 Hal Foster citant Rem Koolhaas en 1994.

99


139.

Pavillon chinois, - ou «La Couronne de l’Orient» Exposition universelle de Shanghai 2010. C’est le plus grand pavillon de l’exposition et figure parmi les plus grands de l’histoire des Expositions.

140.

141.

142.

202

203

202 203

100


- Vers une architecture logo -

Ceci représente l'architecture du pavillon chinois, encore profondément marquée par la tradition impériale et sa stricte étiquette : l'atelier Jintang, dont la conception du pavillon leur a été confié, a tiré son inspiration des techniques de construction en bois des doudongs 204, ici au nombre de 56, matérialisant les 56 ethnies du pays. Cette architecture s'impose alors comme le logo du pouvoir chinois utilisant sa taille, sa couleur, revisitant ses traditions. Un logo à la charnière entre l'effervescence réductrice du moderne et une tradition encore extrêmement présente. Le pavillon fait autorité sur son exposition, son architecture est cette "visibilité hégémonique, celle qui nous domine, celle du système où tout doit devenir immédiatement visible et immédiatement déchiffrable.[...]et qui crée donc une forme en quelque sorte d'apparition" 205 dont nous parle Jean Baudrillard. L'architecture-logo semble être le moyen pour la Chine de renouer le caractère autoritaire de cette puissance communiste et sa culture du symbole et dont la monumentalité est le un mot d'ordre de tout pouvoir qui désire s'exposer. En effet, l'agence BIG accéda à l'exposition universelle pour construire le pavillon du Danemark (à l'origine de son succès), par un homme d'affaires chinois à la recherche d'un architecte scandinave. A la vue d'un concours perdu pour un projet de tour, complexe comprenant hôtel, palais des congrès et spa à Umea, au nord de la Suède, celui-ci voyait en ce projet l'idéogramme chinois de "populaire" ou "peuple". (Illus. p. 102)

Séduit, l'invitation à l'appel d'offre pour l'exposition sera aussitôt expédiée. En 2010, le

maire de Shanghai, face à la maquette du projet alors exposé au pavillon, imagina "la tour du peuple" comme un pont entre la sagesse ancienne et l'avenir progressif de la Chine que Shanghai a bien du mal à faire cohabiter. L'édifice se présente à l'échelle monumentale 206, afin d'obtenir immédiatement un objet patrimonial, hors-échelle devant lesquelles les valeurs du peuple chinois s'exposent et exercent une autorité sur chaque chinois. En effet, nous retrouvons ce même idéogramme dans "République Populaire de Chine". Par ailleurs, l'agence a engagé un maître feng shui pour pouvoir adapter l'écriture architecturale à la philosophie des formes chinoises extrêmement codifiées. Le maire avait pour projet d'installer cet immense logo du peuple, logo de la république populaire de Chine, quelque peu grotesque, sur le Bund dans le but de rétablir l'ordre parmi de chaos des gratteciels Shanghaïens. Ceci plaçant alors Shanghai comme le siège incontestable de la Chine puisqu'il en possède le symbole.

204. Les doudongs sont des pièces de construction en bois prenant la forme de crochet, caractéristique de l'architecture traditionnelle chinoise. Il est placé au sommet d'une colonne et d'une poutre transversale pour supporter les toits concaves des constructions en poutres étagées. 205. Jean Baudrillard, Jean Nouvel, Les objets singuliers, Arléa 2013, Jean Baudrillard, p. 22 206. "Nous avons donc triplé la taille de l'édifice d'Umea pour satisfaire les proportions chinoises" lit-on dans "Yes is more", Taschen Éditions, 2010, p. 28

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143. 144.

Projet nommé REN - pour homme / peuple ou populaire en mandarin. Images : www.big.dk

145.

207

208

207 208

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Derrière une extrême simplicité, le bâtiment est pourvu de signaux et symboliques. Il constitue ainsi une sorte de syntaxe architecturale rassemblant tous les chinois autour d’un édifice fédérateur. C’est une image communiquante, qui tente par le feng shui de s’accorder parfaitement au souci chinois de l’équilibre entre les 5 éléments.


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en s'y démarquant de sa prouesse technique et esthétique. Régis Debray explique par quels moyens s'effectue la monumentalisation de ses architectures particulières et les dispositifs urbains à requérir face au spectacle architectural : "Cette mise entre guillemets s'obtient en général par un double isolement dans l'espace. A la verticale, on exhausse (socle, piédestal, gradins ou pilotis à la Le Corbusier). A l'horizontale, on dégage (esplanade, perspective, terre-plein). Le monumental, c'est une masse mise en valeur par du vide." 209 Ainsi, un espace de distanciation est préconisé, ce sont les consignes appliquées dans la muséographie qui est alors transposée dans nos villes contemporaines. Face à de grandes toiles, l'espace se dilate. Face au nouveau monument, parvis et places s'aménagent afin de tirer le meilleur parti du symbole, dégager tout élément perturbateur afin que l'édifice, d'un seul coup d’œil soit perceptible de toutes parts, du moins sous un profil avantageux. Les grandes métropoles du monde entier sont unies par ce souci d'esthétisation du territoire, dont ironise Jean-Louis Cohen, qui sont comme des musées en plein air, aux mêmes codes et processus de mise en valeur des œuvres : "Tout se passe comme si les choix architecturaux, en particulier à l'échelle de l'édifice culturel, du musée tendait à permettre aux villes de disposer une sorte de collection d'architectures contemporaines. Comme si elles se proposaient d'accrocher dans un musée les maîtres du moment. On sait que chaque musée, dans une ville de ce nom accroche un Picasso, un Klee [...] De façon mimétique, chaque ville semble aspirer aujourd'hui à montrer un menu dégustation composé à partir du hit parade du moment" 210 Alors que cette architecture-logo semble s'élaborer, de manière générale, dans un rapport de rupture avec son environnement, certains nouveaux metteurs en scène, moins politisés que sont les marques de luxe, misent étrangement sur une unité architecturale et une gentrification du paysage urbain à partir de leur création. Par le flagship, les marques s'approprient l'espace public, comme un édifice-logo-événement, il acquièrent rapidement une reconnaissance mais aussi une dépendance économique du quartier dans lequel ils s'installent leur permettant d'intervenir dans la politique d'urbanisme de la ville : "ainsi, dans certaines villes chinoises, Louis Vuitton a pris à sa charge l'ensemble de la rénovation de certains immeubles et bâtiments publics pour que ceux-ci se fondent dans les codes stylistiques et l'architecture de la marque"

211

Leur univers si singuliers envahissent les

villes au delà de leur espace

209. Régis Debray, La jeunesse du sacré, Gallimard, 1999, p. 35 cité dans Ruggero Ragonese, Monument et espace urbain, Pour une sémiotique des parcours et des structures de la ville, novembre 2012, www.ocula.it, p. 4 210. Jean-Louis Cohen, L'architecture, entre image et usage, conférence du 24 décembre 2000, Production Mission 2000 en France, Collection les Arts et Culture (Canal U- web TV de l'enseignement supérieur et de la recherche), www.canal-u.tv 211. Daniel Bô, Op. cit.

103


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initialement dédié. Ce monde à part que propose les flagships et qui s'étend à la ville ne correspond pas forcément à l'art de vivre local, ses modes de vie et ses particularités. Le logo peu à peu unifie le paysage urbain à son image alors qu'il devait refléter sa spécificité. Ainsi, dans ce cas précis, ces nouveaux urbanistes autoproclamés parviennent, au moyen de l'architecture-logo unique et singulière, à étendre leur influence. Ils ne tentent pas de s’insérer dans la ville, ils la reconstruisent selon les valeurs propres de la marque, ignorant souvent l'histoire et la complexité du tissu urbain. Naomi Klein, militante altermondialiste, s'insurge contre cette pratique identitaire du politique brandissant ses logos monumentaux, se substituant à une politique personnelle qui tend à façonner nos vies et nos affects selon les goûts et enjeux économiques des plus grands dirigeants du moment :" Le slogan "le privé est politique" finit par remplacer l'économique en tant que politique [...] Plus nous donnions d'importance aux questions de représentation, plus elles semblaient vouloir acquérir un rôle central dans nos vies - peut-être parce que faute d'objectifs politiques plus tangibles, tout mouvement de lutte pour obtenir des miroirs sociaux plus satisfaisant finirait inévitablement par être victime de son propre narcissisme" 212 La main mise du politique et de l'économie, où chacun des dirigeants souhaite faire figurer un nom, une pépite architecturale, un logo d'architecte sur leurs terres durant leurs mandats, élevant éloges et débats autour de sa personne, constitue un frein pour la production architecturale des architectes-stars. En effet, comme un chanteur qui essaye de changer de répertoire, autre que celui qui a contribué à son succès, le fait de s'éloigner, expérimenter une nouvelle approche architecturale constitue un véritable risque. Celui de perdre toute considération de la part de ses admirateurs que l'architecte a su fidéliser des années durant autour d'ouvrages quelque peu similaires, du moins à l'empreinte aisément reconnaissable. Ils sont alors fait prisonnier de leur propres images par leurs maîtres d'ouvrage : leur autonomie est en quelque sorte limitée, ils bénéficieront d'une grande liberté qu'à la stricte condition qu'ils se signifient par leur signatures connues.

212. Naomi Klein, No Logo, la tyrannie des marques, Editions J'ai lu, 2001, p . 145

104




c

onclusion

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Enfin, bien que cela a toujours été le cas, l'architecture est un outil de domination du pouvoir, cependant, elle n'a jamais été aussi claire et intelligible aux yeux de tous. Nous y voyons une certaine application de la monumentalité des édifices religieux et des formes issues des utopies humanistes, au caractère élémentaire et lisse (copiant parfois de grands préceptes architecturaux) comme l'instrument puissant d'éducation des individus, de la dictature aux grands projets présidentiels en passant par les marques. L'iconicité permettant de concilier le tout de la masse populaire hétérogène sur une partie uniforme, qui enseigne le peuple sur son pouvoir, le fédère autour d'une seule et même icône. Les images parlent ainsi plus que les discours. De ce fait, alors que le bâtiment nécessitait un passé, du temps et de la vie pour que celui-ci se charge de la fonction mémoriale, aujourd'hui, l'utilisation du logotype en architecture et sa monumentalité en fait dès sa construction immédiatement un monument, instantanément sacré. Par l'usage du logo, primaire et significatif dans la pierre, nous perdons tout sens de la durée : le bâtiment n'a plus besoin d'être vécu pour faire partie de l'histoire puisqu'il raconte déjà, par ses formes et le geste architectural de son maître d’œuvre, une histoire. Ce caractère graphique à la fois singulier et épuré puis érigé à grande échelle a pour dessein de signifier à tous sur l'idéologie typique rattachée à son territoire. Ce pouvoir d' adhésion, hypertrophié par le logo en architecture, s'applique à tout bâtiment public, dans ce furieux besoin permanent de communiquer, se faire valoir et de commémorer sans recul historique. Nous constatons, aujourd'hui ce paradoxe du patrimoine et son monument contemporain : la finalité ponctuelle du logotype conjugué à celle pérenne de l'architecture. L'architecture mêlée aux principes graphiques et esthétiques du logo est une information au même titre que toutes sortes d'autres médias, poussé par des sociétés en quête permanente d'une nouvelle identité, d'actualités croustillantes et étonnantes. Cet ego urbanistique et son appétit d'inédits architecturaux, poussé par de nouveaux impératifs économiques, qui émane de tout dirigeant quel qu'il soit, modifieront profondément et durablement la profession d'architecte comme nos villes. Les architectes aspirent tous à la gloire par la provocation de ses formes détonantes au regard de ses potentiels maîtres d’œuvres : "Le maître d'ouvrage, public ou privé, devient un individu admiré pourvu qu'avec audace il ose des "coups" dont ce n'est pas forcément la finalité qui est appréciée, mais l'éclat"

213

disait justement François Chaslin. Une médiatisation de leur

travail est ainsi nécessaire, les élevant au rang de star populaire et de marque, condition pour se faire une place sur le marché architectural comparable au marché de l'art. Cette "réputation 213. François Chaslin, Un état crtitique, Espaces et sociétés n°60, Eres, 1990, p. 79

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acquise auprès d'un public large grâce à la médiatisation du travail joue un rôle essentiel, prend de l'importance [...] au détriment du professionnalisme certifié par les titres" 214 déplore Florent Champy. Ils capitalisent essentiellement sur une production spectaculaire, "une architecture d'exploit"

215

au point que cette minorité d'architectes-stars nomades qui

s'exportent en toutes contrées du globe façonnent une image uniforme de l'architecture des équipements publics. Gehry, Hadid, Libeskind, Foster, Pei, Perrault, Nouvel, BIG,... tous ont le privilège d'exposer durablement leurs ouvrages sur la plupart des continents et deviennent, par l'extraordinaire de leurs édifices, les référents absolus des architectes locaux bien plus importants que leurs autochtones. Il s'agit paradoxalement, de singularités, objets architecturaux étonnants, aux qualités et signatures d'architectes reconnaissables qui sont dorénavant généralisés dans toutes les grandes villes du monde, dont nombreux sont tentés de vouloir les imiter. La singularité devient banale, une condition architecturale universelle pour s'affirmer comme contemporain. Nous remarquons ainsi un risque de "déprofessionalisation"

216

, où l'architecte, prisonnier de

son image voit son champ d'action réduit à l'esthétique graphique : un "appauvrissement des pratiques qui nuit à la reconnaissance de l'utilité sociale de la profession"

217

. Cependant,

l'architecte se doit maintenant d'assumer autant de compétences en matière administrative, économique, qu'en tant artiste-concepteur d'espaces. Il se charge de la nouvelle identité visuelle de la ville dans le besoin d'une image plus que d'un quelconque équipement. L'architecte devient un graphiste urbain ou "acupuncteur urbain" 218 , qui soigne la ville de ses maux comme le déclarait Brendan Macfarlane au sujet de son projet vert et globuleux des Docks en Seine. A l'heure où "toute commande ordinaire est travestie en un projet extraordinaire"

219

, dans un

contexte généralisé de concurrences économiques, la majorité des bâtiments publics sont des pages de publicités permanentes, qui n'évolueront plus. Ce spectacle confus d'architectures de promotion d'idéologies et de marques liant singularité et monumentalité peuvent être compris comme le reflet d'une époque d'expérimentation, où l'exploitation des nouvelles ressources du monde informatique et de la conception assistée demeure le meilleur moyen de se dépasser,

214. Florent Champy, Des valeurs et des pratiques de l'architecture contemporaine, Trois tentatives d'explication de la "monumentalisation" des constructions publiques, L'homme et la société, Éditions L'Harmattan, n°145, 2002, p. 26 215. Claude Franck, Un monde d'objet, p. 157 216. Florent Champy, Op. Cit., p. 25 217. Ibid., p. 25 218. Brendan Macfarlane de l'agence Jacob+Macfarlane, colloque international d'architecture, 1er et 2 octobre 2009 (dans le cadre des rendez-vous du Grand Paris) - intervention de Brendan Macfarlane, 2 octobre 2009, Centre Pompidou, Paris. http://metropoles.centrepompidou.fr/intervenant.php?id=18 219.Claude Franck, Op. cit., p. 26

109


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d'afficher la fierté de ses compétences. Alors qu'il y avait l'internationalisme critique du fonctionnalisme, (- qui suscitera l'explosion du postmodernisme et le symbolisme à l'origine de logos appliqués à l'architecture -) il y a aujourd'hui l'internationalisme critique de l’éclectisme des logos architecturaux. En effet, lassés de ce catalogue, ce marché du monde dominé par l'image et le narcissisme économique, certains prônent de nouveaux manifestes, dégagés de toute dépendance marketing et étatique : le neutre. Le neutre : "qui ne prend pas parti, indifférent, indépendant, d'aucun accent, style ou éclat, il ne nous soumet à aucun sentiment." En réponse à l' "esthétisation généralisée, planifiée par un monde dont la puissance de formatage est aussi fascinante qu'insupportable"

220

, certains tentent un degré zéro de

l'architecture, faisant écho au "degré zéro de l'écriture" de Barthes. C'est une suspension de l'expression architecturale, où ces architectes refusent la médiatisation de logos marqueurs de ville, d'esprits et de moments désormais généralisés. Ils dédaignent les genres, veulent dépasser les styles : le neutre est une nouvelle voie pour "s'imposer à la tyrannie du moment"221. Fait étrange en architecture que de vouloir offrir des espaces indéterminés, qui ne pèsent pas sur le territoire et ne laissent pas de traces. Le projet ne doit plus se penser comme la modification d'un contexte mais privilégier par la banalité de ses formes la minimisation de son impact sur son environnement. D'autres cherchent le "déterminisme des plans et des programmes" 222 qui s'épuisaient dans la "logo-manie" architecturale fabriquant tour à tour des espaces polyvalents. Cette nouvelle écriture architecturale polémiste qui se refuse toute autorité, tout devoir d'expression au regard de son époque, d'écriture d'un récit de la démarche conceptuelle du maître d’œuvre et des intentions du commanditaire - est-elle possible ? Ou est-ce en réalité une autre manière de se démarquer ? Un nouveau style, un nouveau lexique ? En absence de style, peut-on encore appeler cela de l'architecture ? En quoi la neutralité, valeur libertaire, anarchiste peut-elle modifier notre manière de concevoir l'architecture ?

220. Soline Nivet, Jean-Louis Violeau, Le neutre, figure paradoxale, dossier Radicalement neutre ?, D'architectures n°191, mai 2010, p. 31 221. Ibid., p. 31 222. Ibid., p. 32

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32. Photographie, vue aérienne d'Astana - Kazakhstan https://dilemmaxdotnet.files.wordpress.com/2012/06/astana-skyline.jpg - Page 39 33. Photographie - vue sur Las Vegas- Etats-Unis, quartier "Paris" http://img0.svstatic.com/wallpapers/fd1314aa4ad3b79466fb563b72b57b54_large.jpeg - Page 39 34. Photographie - Macao - Chine vue sur le Grand Lisboa Casino-Hotel https://www.flickr.com/photos/kudo88/5401233398 - Page 37 35. Dessin - "Recommandation pour un monument "- R. Venturi / Denise Scott Browm / Steven Izenour, Edition Architecture + Recherches / Pierre Mardaga, p.162 - Page 41 36. La Fondation Louis Vuitton, vue depuis le bois de Boulogne, photographié par Iwan Baan - Site internet de la fondation Louis Vuitton. http://www.fondationlouisvuitton.fr/content/flvinternet/fr/la-fondation/la-fondation-d-entreprise-louisvuitton/jcr:content/content/image_3281.flvcrop.1200.5000.jpeg - Page 43 37. La Fondation Louis Vuitton, vue depuis l'entrée, photographié par Sipa - Challenges, Visite guidée de la fondation Louis Vuitton au bois de Boulogne, 24 octobre 2014. http://referentiel.nouvelobs.com/file/11755227.jpg - Page 43 38. La Fondation Louis Vuitton, vue depuis les coursives et balcons , photographié par Sipa - Challenges, Visite guidée de la fondation Louis Vuitton au bois de Boulogne, 24 octobre 2014. http://referentiel.nouvelobs.com/file/11755237.jpg - Page 43 39. La Fondation Louis Vuitton, vue de nuit depuis le bois de Boulogne, photographié par Sipa - Challenges, Visite guidée de la fondation Louis Vuitton au bois de Boulogne, 24 octobre 2014. http://referentiel.nouvelobs.com/file/11755249.jpg - Page 43 40. La Fondation Louis Vuitton, vue depuis le bassin , photographié par Sipa - Challenges, Visite guidée de la fondation Louis Vuitton au bois de Boulogne, 24 octobre 2014. http://referentiel.nouvelobs.com/file/11755239.jpg - Page 43 41. Blason ville de Bilbao, province Basque (provincia de Viscaya / Bizakaia / Biscaye - Communidad autonoma del Pais Vasco / Euskadi) http://herald-dick-magazine.blogspot.fr/2011/09/la-vuelta-espana-2011-en-blasons-3eme.html - Page 47 42. Nouveau logo de Bilbao et du pays Basque choisi pour une meilleure visibilité internationale, empruntant les formes du musée Guggenheim de Frank Gehry. Crée par Ros y Etcétera, 2012 http://brandingsource.blogspot.fr/2012/09/new-logo-bilbao-bizkaya.html?m=1 - Page 47 43. Logo de la Chambre de commerce de la ville de Bilbao. 2014 http://www.irudigital.com/wp-content/uploads/2015/09/logo-camara.jpg - Page 47 44. Captures d'écran de la série des Simpson - Matt Gorenig, Les Simpson - Le bon, les Brutes et la Balance, Saison 16, Épisode 14, 2005. - Page 48 45. Hotel Marques de Riscal, Elcieglo, Alava, Frank Gehry http://ivancotado.es/blog/wp-content/uploads/2013/09/Gehry-marques-riscal.jpg - Page 49 46. Musée Guggenheim, Bilbao, Frank Gehry - Page 49 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/Guggenheim_Bilbao_06_2012_Panorama_2680.jpg 47. Walt Disney Concert Hall, New-York , Frank Gehry http://commons.marymount.edu/alrasheedgehry/wpcontent/uploads/sites/3624/2015/06/Walt_Disney_Concert_Hall.jpg - Page 49 48. Farnsworth House - Mies Van der Rohe, 1951 http://farnsworthhouse.org/wp-content/uploads/2014/10/Main-Image_960x528.jpg - Page 51 49. Casaclima Michele Perlini, 2012 http://www.arretsurimages.net/media/breve/s150/id14963/original.56404.demi.jpg - Page 51 50. Palais de justice de Nantes, Jean Nouvel, 2000 http://p7.storage.canalblog.com/71/77/260497/87632511_o.jpg - Page 51

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51. Neue Nationalgalerie de Berlin, Mies Van der Rohe, 1968 http://images.cdn.baunetz.de/img/1/7/5/6/4/1/5/NNG_Ansicht_mit_Auto_PotsdStr_1968_Reinhard_Friedrich _Archiv_NNG__NG__SMB.jpg-3043f2a6ae51e65a.jpeg - Page 51 52. Centre des archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, Massimiliamo Fuksas, 2013 http://www.culture.fr/var/culture/storage/images/actualites/architecture-patrimoine/portes-ouvertes-auxarchives-nationales-a-pierrefitte-sur-seine/90659-1-fre-FR/Portes-ouvertes-aux-Archives-nationales-aPierrefitte-sur-Seine.jpg - Page 51 53. Médiathèque Romain Rolland, Philippe Gazeau, 2011 https://labeilleetlarchitecte.files.wordpress.com/2013/01/1338277812-mainimage-07-s-cult-015-ph-pru-18aweb-1000x666.jpg?w=680&h=452 - Page 51 54. Pavillon français, Exposition universelle de Shanghai, Jacques Ferrier, 2010 https://labeilleetlarchitecte.files.wordpress.com/2013/01/shangai2.jpg?w=680&h=428 - Page 51 55. Bibliothèque centrale de Seattle, Rem Koolhaas, Joshua Ramus - Office for Metropolitan Architecture (OMA), 2004 https://labeilleetlarchitecte.files.wordpress.com/2013/01/3583690433_da8fab8165_z.jpg - Page 51 56. Opéra de Paris-Bastille, Carlos Ott, 1989 http://www.lepoint.fr/images/2013/09/13/1905211-jpg_1719404_1000x667.jpg - Page 51 57. High Museum of Art, à Atlanta, Géorgie, Etats-Unis, Richard Meier, 1983 http://www.richardmeier.com/?projects=high-museum-of-art - Page 51 58. Dessin satirique de Steve Duenes, The New Yorker http://fuckarchitectureyeah.tumblr.com/post/41921204987/calatrava-d - Page 52 59. Poster All Nighter http://www.archdaily.com/117365/an-all-nighter-original/print-80/ - Page 52 60. Antonio Gaudi, Casa Batllo, 1906 http://www.metalocus.es/content/en/system/files/file-images/metalocus_libro-manzanadiscordia_11_1280.jpg - Page 56 61. Ferdinand Cheval, Palais idéal, 1879-1912 - Page 56 http://narcissusmagazine.com/wp-content/uploads/2015/04/Narcissus-Magazine-Facteur-Cheval-1.png 62. Dessin - Hermann Finsterlin," Wolkenkuckkucksheim - Casa Nova ",1920-24 http://payload.cargocollective.com/1/2/88505/1254453/06-Hermann-Finsterlin--1920-24-Wolkenkuckkucksheim_900.jpg - Page 58 63. Dessin - Hermann Finsterlin, " Traum aus Glas - Casa Nova" (aka "Sundae, Dirty Sundae"), 1920 http://50watts.com/Wandering-from-Organ-to-Organ-with-Hermann-Finsterlin - Page 58 64. Frederick Kiesler, projet de la "Maison sans fin", maquette et plan, 1924 http://architecture3d.org/wp-content/uploads/2015/01/H23p16n%C2%B01.jpg - Page 58 65. Sculpture - Émile Giololi,La halle aux vins, 1946 http://www.artcurial.com//Full//475/10218475.jpg - Page 58 66. Sculpture - Étienne Martin - Demeures N°1, jardin Tino Rossi, Paris (5e arr.), 1956 https://culturetoi.files.wordpress.com/2012/10/img_3411.jpg - Page 58 67. Le Corbusier- Chapelle de Ronchamp, 1955 https://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_Notre-Dame-du-Haut#/media/File:2012-Chapelle_Notre-Dame-duHaut.jpeg - Page 58 68. André Bloc, Sculpture-habitacle n°2, Meudon, 1964 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/24/4e/69/244e69ac1d518eaf170421337a9ee8c6.jpg - Page 58 69. André Bloc, Sculpture-habitacle n°1, Meudon, 1962 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/originals/4f/16/28/4f1628c4984fed87520ecb9eb9a54d45.jpg - Page 58

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70. Frank Lloyd Wright, Musée Guggenheim, New-York, 1959 - vue extérieure https://autrecarnetdejimidi.files.wordpress.com/2014/03/frank-lloyd-wright-67-59-musc3a9e-solomon-rguggenheim-new-york-usa-1959-photo-003.jpg - Page 59 71. Frank Lloyd Wright, Musée Guggenheim, New-York, 1959 - vue intérieure http://41.media.tumblr.com/7b9cb5f7e8b7f89e8640234f86828be2/tumblr_npn6b5ZLBA1uv5nh7o1_1280.jp g - Page 59 72. Eero Saarinen,Terminal TWA de l'aéroport John F. Kennedy, 1962 - vue extérieure http://lecatalog.com/blog/wp-content/uploads/2013/02/TWA-Treminal-Saarinen-lecatalog.com_.jpg - Page 59 73. Eero Saarinen,Terminal TWA de l'aéroport John F. Kennedy, 1962 - vue intérieure http://b.fastcompany.net/multisite_files/codesign/article_feature/1280-balthazar-korab-p55.jpg - Page 59 74. Daniel Libeskind, Musée Juif de Berlin, Berlin, 2001 - vue extérieure https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/b5/0e/31/b50e315d5188f5f03309eb697e63a92b.jpg - Page 59 75. Daniel Libeskind, Musée Juif de Berlin, Berlin, 2001 - vue intérieure http://www.inexhibit.com/wp-content/uploads/2014/07/jewish-museum-berlin-libeskind-02.jpg - Page 59 76. Dessin satirique - Clo'e Floirat, Frank Gehry et la fondation Louis Vuitton, chronique - Artpress n°416, 17 novembre 2014 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/originals/5f/07/8b/5f078b0c165e15be65af72188eb0ec0e.jpg - Page 62 77. Santiago Calatrava, Gare de Lyon Saint-Exupéry TGV, 1994 http://wiskerke.home.xs4all.nl/satolas/sato13.jpg - Page 62 78. Santiago Calatrava, sculpture The Bird, 1986 http://www.calatrava.com/art/the-bird-010-d.html - Page 62 79. La bonbonnière Barton’s, Victor Gruen, New York,1952 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/originals/97/d2/ac/97d2ac6e55afe9c6b3453c742159c657.jpg- Page 67 80. Magasin Robinson, enseigne de vêtements bon marchés pour femmes, Victor Gruen, Philadelphie,1946 http://40.media.tumblr.com/tumblr_m5yf6eAlWj1qgpcw5o1_500.png - Page 67 81. Bank of America, Victor Gruen, Palm Spring, 1959 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/4c/5d/4a/4c5d4a2b33f58e2980dfda64460a7af5.jpg - Page 67 82. Bank of America, Victor Gruen, Palm Spring, 1959 http://www.psfilmfriendly.com/image_library/Architecture/images/Bank%20of%20America%20Building %20Downtown_photo%20credit%20Arthur%20Coleman.jpg - Page 67 83. The Chiat/Day Building, siège social - agence de publicité, Frank Gehry, Claes Oldenburg, Los Angeles,1991 http://www.mimoa.eu/images/5131_l.jpg - Page 67 84. The Shuttlecocks (le volant de badminton), Claes Oldenburg et Coosje Van Brugen, Nelson-Atkins Museum of Arts, Kansas City, 1994 https://www.flickr.com/photos/greateuropetripplanner/3302308976/ - Page 67 85. Dropped Cone (le cône renversé), Claes Oldenburg et Coosje Van Brugen , Cologne, Allemagne, sous la commission de la Neumarkt Galerie , installé en mars 2001 http://www.unregardcertain.fr/wp-content/uploads/2012/08/Claes_Oldenburg_ice_cream2-358x500.jpg Page 67 86. Fish Dance Restaurant, Frank Gehry, Kobe,1987 http://www.eikongraphia.com/wordpress/wp-content/Fish_dance01_2816%20in%20Kolbe,%20Wikipedia %20small.jpg - Page 67 87. Le Poisson doré ou Peix, Frank Gehry, Barcelone, port olympique,1992 http://www.eikongraphia.com/wordpress/wp-content/280015634_dd80c0bb98_o%20Flickr,%20Your %20Teacher%20small.jpg - Page 67

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88. La Fondation Louis Vuitton, Frank Gehry, Paris,2014 - photographié par François Bouchon/ Le Figaro"La fondation Louis Vuitton, un iceberg au bois de Boulogne", 29 septembre 2014 http://i.f1g.fr/media/ext/805x453/www.lefigaro.fr/medias/2014/09/29/PHOb1573fc8-47bc-11e4-b3e7e5a471991bc5-805x453.jpg - Page 67 89. La plateforme logistique de Cartier Interdica, Jean Nouvel, Fribourg, 1990 http://www8.archi.fr/afex/IMG/jpg/1163686293.jpg - Page 68 90. Siège social du journal Le Monde, Christian de Portzamparc, Paris, 2005 http://www.bouygues-immobiliercorporate.com/sites/default/files/styles/realisations_media/public/medias/image/le_monde_paris_1-1.png? itok=3HXhGtGd - Page 68 91. Centre d’art et des médias, Karlsruhe, OMA - Rem Koolhaas,1989 - concours / projet non réalisé http://images.oma.eu/20150804095240-1400-1ivf/700.jpg - Page 68 92. Modélisation des diverses étapes de conception de la fondation Louis Vuitton - site de la fondation Louis Vuitton. http://www.fondationlouisvuitton.fr/la-fondation/la-construction.html - Page 69 93. Ieoh Ming Pei et sa pyramide du Louvre par Josef Astor pour Vanity Fair, 1996 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/6e/57/37/6e5737b16b6c4068d68f77299dff6f67.jpg - Page 71 94. Télérama n° 2982, 10-16 mars 2007, couverture "Le Louvre. Une marque comme les autres ?" - Page 71 95. Caricature de l'Immeuble de la Michaelerplatz d'Aldof Loos, Illustrierte Wiener Extrablatt, ,Vienne, 1911, capture d'écran de la conférence de Jean-Louis Cohen, La menace moderne : une anthologie, colloque du Collège de France "Architecture et forme urbaine" - Amphithéâtre Marguerite de Navarre - Marcelin Berthelot, 23 juin 2014 http://www.college-de-france.fr/site/jean-louis-cohen/symposium-2014-06-23-15h00.htm - Page 73 96. Adolf Loos, Immeuble de la Michaelerplazt, Vienne , 1909-1911 https://rosswolfe.files.wordpress.com/2014/03/adolf-loos-geschc3a4ftshaus-goldman-salatsch-ansichtmichaelerplatz-august-1910.jpg - Page 73 97. Manuelle Gautrand, flagship / showroom Citroën, avenue des Champs Élysées, Paris, 2007 - vue extérieure. Photographié par Vincent Fillon. https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/9e/20/10/9e201061a66a67375e8d8985309a5378.jpg - Page 75 98. Manuelle Gautrand, flagship / showroom Citroën, avenue des Champs Élysées, Paris, 2007 - vue intérieure. Photographié par Lili l'archi. http://lili-larchi.com/wp-content/uploads/2013/01/manuelle_gautrand_02.jpg - Page 75 99. Toyo Ito, flagship Tod's, avenue Omotesando, Tokyo, 2004 - vue extérieure. Photographié par Nacàsa & Partners Inc. http://www.toyo-ito.co.jp/WWW/Project_Descript/2000-/2000-p_13/2-800.jpg - Page 75 100. Toyo Ito, flagship Tod's, avenue Omotesando, Tokyo, 2004 - vue intérieure. Photographié par Nacàsa & Partners Inc. http://www.toyo-ito.co.jp/WWW/Project_Descript/2000-/2000-p_13/4-800.jpg - Page 75 101. Toyo Ito, flagship Tod's, avenue Omotesando, Tokyo, 2004 - vue extérieure. Photographié par Nacàsa & Partners Inc. http://www.toyo-ito.co.jp/WWW/Project_Descript/2000-/2000-p_13/3-800.jpg - Page 75 102. Sanaa (Sejima And Nishizawa And Associates), flagship Dior, avenue Omotesando, Tokyo, 2004 - vue extérieure http://amplitude.blog83.fc2.com/blog-entry-985.html - Page 75 103. Kumiko Uni, flagship Dior, quartier Ginza, Toyo, 2004 - vue extérieure http://www.inuiuni.com/projects/234/ - Page 75 104. Rem Koolhaas, flagship Prada, New-York - vue intérieure http://www.prada.com/content/dam/prada/SPECIAL%20PROJECTS/EPICENTERS/coverny.jpg/_jcr_content/renditions/cq5dam.web.1280.1280.jpeg - Page 75

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105. Yona Friedman, Projet pour New-York, issu de l'ouvrage L'architecture mobile, 1959, http://static.skynetblogs.be/media/2130/dyn003_original_520_376_pjpeg_2649770_e6eec575d26ff70c03819 fd7f0fc0254.jpg - Page 83 106. Kenzo Tange, plan de réaménagement de la baie de Tokyo,1960 http://fuckyeahbrutalism.tumblr.com/post/6180290613/plan-for-tokyo-kenzo-tange-1960- Page 83 107. Le Corbusier, Le plan voisin pour Paris, 1922-1925 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/34/03/f9/3403f99d8a84b3a0cfaeeb2264e282b6.jpg- Page 83 108. Ricardo Bofill, Walden 7, cité résidentielle, Barcelone, 1970 http://www.mascontext.com/wp-content/uploads/2011/06/04_walden7_01.jpg - Page 83 109. Ricardo Bofill,, le quatier Antigone, Montpellier, 1978 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/2a/f1/37/2af1375c21005bf777996907ae3b2f1e.jpg - Page 83 110. Frank Lloyd Wright, The national life insurance building, Chicago, projet, 1923 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/e4/92/2e/e4922eaff1f393e56d6ba12830c891f8.jpg - Page 83 111. Maquette du Grand Dôme de Germania, Albert Speer, 1939 dans Lars Olof Larsson, Albert Speer, Le plan de Berlin, 1937-1943, AAM Éditions, 1983 - Page 85 112. Maquette du Palais des Soviets, Moscou, Boris Iofan, 1931 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/originals/50/31/57/5031578be963046f1a9fb940395d1955.jpg - Page 85 113. Palais du Peuple (Palais du Parlement), Bucarest, Anca Petrescu, 1984 http://www.espritdavant.com/Donnees/Structures/79255/Upload/137263.jpg - Page 85

114. Maquette de Germania, Albert Speer, 1939- Welthauptstadt Germania, vue sur le Grand Dôme. http://static1.squarespace.com/static/507dba43c4aabcfd2216a447/t/53861702e4b0123bd13a16ec/140129666 6245/?format=750w - Page 88

115. Maquette de Germania - le Grand Dôme, Albert Speer, 1939. Archives fédérales d'Allemagne / CC BY SA 3.0-de (Bundesarchiv) http://www.bbc.com/culture/story/20141106-fantastical-buildings-never-built - Page 88

116. Perspective intérieure du Grand Dôme (Volkshalle), maquette, Albert Speer, Berlin, 1939. http://40.media.tumblr.com/tumblr_lj70m76PKM1qzlcoro1_500.jpg - Page 88

117. Maquette de Germania, Albert Speer, 1939 - vue aérienne de la perspective de la Welthauptstadt (avenue principale) - Archives fédérales d'Allemagne (Bundesarchiv) http://germanhistorydocs.ghi-dc.org/images/Bild%20146III-373_web.jpg - Page 88

118. Zeppelinfled et sa tribune, Albert Speer 1933-Carte postale "Stoja', Sto jaton N°597, Stoja-Verlag Paul Janke, Nuremberg, 1938 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/Zeppelinfeld1.jpg - Page 88

119. Image issue du film documentaire d'Heinrich Breoler, Speer & Hitler, l'architecte du Diable, 2005- Page 88 120. Image issue du film documentaire d'Heinrich Breoler, Speer & Hitler, l'architecte du Diable, 2005 - Page 88 121. Jean Saubot / Eugène Beaudouin / Urbain Cassan / Louis Hoym de Marien, Tour Montparnasse, 1973 photographiée par Steven Strehl https://en.wikipedia.org/wiki/Tour_Montparnasse#/media/File:Tour_montparnasse_view_arc.jpg - Page 90

122. Richard Rogers, Renzo Piano, Centre Beaubourg (rebaptisé Centre Georges Pompidou en 1974), inauguré en 1977 - http://www.ousebalader.com/photos/centre%20georges%20pompidou_2.jpg - Page 90

123. Adrien Fainsilber, Cité des Sciences et de l'Industrie et sa Géode, inauguré en 1985-1986 www.gazettevaldoise.fr/files/2014/02/Satellite.jpg - Page 90

124. Jean Nouvel, Institut du Monde Arabe, inauguré en 1987 Photographié par Georges Gessy, Livret IMA Architecture, 2001, p. 3 - Page 90

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- Vers une architecture logo 125. Carlos Ott, Opéra National de Paris-Bastille, inauguré en 1989 https://res.cloudinary.com/opera-national-deparis/image/upload/c_crop,h_1330,w_2362,x_0,y_151/w_870/f_auto/v1/user_photos/u9sjzoy2kydv3vic5zth - Page 90

126. Johan Otto Von Spreckelsen puis Paul Andreu, La Grande Arche de la Défense -ou l'Arche de la Fraternité), inaugurée en 1995 http://p7.storage.canalblog.com/71/30/817647/70321746.jpg - Page 91

127. Ieoh Ming Pei, Le Grand Louvre - réaménagement du Musée du Louvre / Pyramides, Paris, inauguré en 1995 Photographie Le Figaro, La pyramide du Louvre : quelle histoire !, 4 avril 2009 www.lefigaro.fr/culture/2009/04/04/03004-20090404ARTFIG00232-la-pyramide-du-louvre-quellehistoire-.php - Page 91

128. Dominique Perrault, Très Grande Bibliothèque de France (rebaptisée Bibliothèque François Mitterrand), 1995 www.bnf.fr/images/fm_vue_seine_gd.jpg - Page 91

129. Jean Nouvel, Musée du quai Branly (ou Musée des Arts Premiers), Paris, 2006 www.jeannouvel.com/images/made/mobile/images/7.AJN_Paris_MQB_RolandHalbe_ext_600_464_80.jpg Page 91

130. Jean Nouvel, Philharmonie de Paris, 2015 - photographié par Charles Platiau/ Reuters www.lefigaro.fr/musique/2015/04/10/03006-20150410ARTFIG00076-la-philharmonie-referme-ses-portespour-travaux-cet-ete.php - Page 91

131. Renzo Piano Building Workshop, Tribunal de Grande Instance, Paris-Batignolles, image : L'autre Image, Labtop et Lansac, livraison prévue pour 2017 www.clichy-batignolles.fr/le-futur-palais-de-justice-de-paris-0 - Page 91

132. Ryongyong Hotel, Pyongyang, 1986 - ? Photographié en mars 2004 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ryugyong_hotel_01.jpg - Page 94

133. Ryongyong Hotel, Pyongyang, 1986 - ? Photographie Joseph Ferris, août 2011 www.flickr.com/photos/josephferris76/6116220635/ - Page 94 134. Vue sur Pyongyang et le Ryongyong Hotel, The White Words, Kim Jung Un's Postcard from Pyongyang, 6 janvier 2014 https://thewhitewords.files.wordpress.com/2014/01/pyongyang-skyline.jpg?w=480&h=360 - Page 94

135. Image issue de l'épisode des Simpson, Un truc super à ne jamais refaire, épisode 19, saison 23, 2012. - Page 96

136. Capture d'écran de la page d’accueil du site internet de Bjarke Ingels Group (BIG) - www.big.dk- Page 97 137. Bjarke Ingels Group (BIG), Pavillon du Danemark à l'Exposition universelle de Shanghai 2010, dessins utilisés sur le site internet - www.big.dk/#projects-xpo - Page 98

138. Bjarke Ingels Group (BIG), Bureaucratic Beauty, projet - programme mixte logements et équipements, Tojhuset, Copenhague - en cours de conception, Yes is more, p. 131-132. - Page 98

139. He Jingtang, Pavillon de la Chine, Exposition Universelle de Shanghai, 2010. Photographie personnelle. - Page 100

140. He Jingtang, Pavillon de la Chine, Exposition Universelle de Shanghai, 2010. Photographie personnelle. - Page 100

141. He Jingtang, Pavillon de la Chine, Exposition Universelle de Shanghai, 2010. www.chinatoday.com/china.topics/china.topic.pictures/world_expo_shanghai_2010.jpg - Page 100

142. Vue aérienne sur l'Exposition Universelle de Shanghai 2010. www.chinatoday.com/china.topics/china.topic.pictures/world_expo_shanghai_2010.jpg - Page 100

143. Bjarke Ingels Group, Diagrammes, dessins et perspective du projet "Ren"www.big.dk - Page 102

123


 studiomeadow

 studiomeadow

 Vahram Muratyan


De haut en bas :

Boutique Tod’s Omotesando - Tokyo //////////////////////////////////////// Toyo Ito Sièges sociaux de la CCTV - Pekin ///////////////////////////// Rem Koolhaas Pyramide du Musée du Louvre - Paris ////////////////////////////////// Ieoh Ming Pei

Edition originale Rédaction : Mathilde Cochard Imprimé à Paris, février 2016


exposition Economie politique

Stararchitecture Logo Design Internationalisme marketing

Mathilde Cochard memoire de master 2 ENSA Paris Val de seine ///////// Fevrier 2016

Seminaire " Diffuser l'architecture " - Martine Bouchier


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